Mme Josiane Costes. Je souhaite insister sur l’importance de cet article, qui vise à garantir l’effectivité du droit prévu à l’article 27 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, tout en permettant une bonne administration.
En effet, l’absence de titres d’identité reconnus comme authentiques complexifie toutes les procédures administratives et judiciaires dans les États de droit comme le nôtre, qui reposent sur des preuves écrites. Il s’agit à la fois d’une perte de temps pour la personne concernée et pour l’administration.
L’objet de cet article est donc de permettre à toute personne se trouvant sur le territoire français d’être fixée définitivement sur l’authenticité attribuée au titre d’identité dont elle se prévaut, afin de limiter les recours inutiles.
Les informations dont nous disposons nous laissent penser que nos services diplomatiques et consulaires sont à même d’exercer ce contrôle rapidement et qu’une telle mesure ne comporterait pas de risque de rétention aux frontières. Ces vérifications ont déjà lieu au moment de la soumission des demandes de visas et ne concerneraient donc pas les personnes en disposant.
Il s’agit également d’une protection pour la personne titulaire de ce titre d’identité, laquelle ne pourrait pas se le voir refuser par une autorité administrative non compétente.
Mme la présidente. L’amendement n° 16, présenté par M. Bonhomme, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. L’article 14 de la proposition de loi vise à permettre la délivrance d’un certificat d’authentification de titre d’identité unique par les services des douanes, afin de simplifier les démarches administratives des mineurs isolés étrangers, notamment en cas de dysfonctionnement de leurs services consulaires.
Le présent amendement tend à supprimer cet article, en raison du délai particulièrement long nécessaire à la délivrance d’un tel document. Il en résulterait un risque de rétention accrue aux frontières.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Marc, rapporteur. La commission est favorable à cet amendement de suppression. En effet, il ne nous semble pas opportun que les services des douanes délivrent des certificats d’authenticité. Cela créerait de nombreux problèmes.
La rédaction de l’article est trop large. Surtout, sa portée juridique est incertaine et son adoption poserait de très importantes difficultés opérationnelles.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. En conséquence, l’article 14 est supprimé et l’amendement n° 20 rectifié n’a plus d’objet.
Article 15
La première phrase de l’article L. 313-15 du code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifiée :
1° Au début, les mots : « À titre exceptionnel et » sont supprimés ;
2° Les mots « depuis au moins six mois » sont supprimés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes, sur l’article.
Mme Josiane Costes. Le présent article vise à faciliter l’accès des mineurs isolés étrangers aux contrats d’apprentissage, afin de leur permettre d’accéder plus rapidement à une autonomie financière et de s’émanciper par le travail.
Comme je l’ai déjà dit, dans beaucoup de départements, dont le mien, des postes sont vacants dans de très nombreux secteurs. Il me paraît dès lors inconcevable de refuser à de jeunes volontaires qui veulent s’intégrer d’y candidater, au seul motif de leur nationalité.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, sur l’article.
Mme Nadia Sollogoub. Je souhaite aller encore plus loin que Mme Costes et porter ici la parole des élus qui m’ont saisie à plusieurs reprises depuis le début de mon mandat sur des cas particuliers.
Ainsi, un collègue maire m’a fait part de la situation d’un jeune homme, intégré dans l’équipe des services techniques de la mairie et donnant parfaite satisfaction, qui, pour une histoire brumeuse de documents d’identité, s’est retrouvé sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
On m’a parlé de cas similaires : celui d’une jeune femme aspirant à devenir préparatrice en pharmacie et bénévole régulière aux Restaurants du cœur, celui d’un jeune homme qui maintenait l’équipe de football locale, en lui permettant d’enregistrer de bonnes performances…
Ces jeunes sont des forces vives pour nos territoires, qui, pour certains, en ont grandement besoin, et pas seulement pour occuper les emplois. Tous ces rendez-vous manqués sont regrettables. Il faudrait plus de souplesse dans l’instruction des dossiers.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Sollogoub, M. Henno, Mme Vullien, M. Cadic, Mme Vérien, MM. Détraigne et Longeot, Mme Rauscent, M. Prince, Mme Gatel, MM. Cigolotti et Le Nay et Mmes Gréaume, Bonfanti-Dossat, Berthet et Saint-Pé, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
Après la première phrase du même article L. 313-15 est insérée une phrase ainsi rédigée : « La carte de séjour temporaire peut être délivrée dans les mêmes conditions lorsque l’étranger demandeur justifie d’un contrat d’engagement au titre du service civique. »
La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Cet amendement vise à élargir les possibilités de régularisation aux jeunes ayant souscrit un engagement au titre du service civique.
Je pourrais encore m’étendre sur leur investissement associatif ou sportif. Je dirai, en bref, que nous avons parfois grand besoin des ressources que représentent tous ces jeunes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Marc, rapporteur. Ma chère collègue, nous comprenons vos arguments.
Cependant, imaginez les conséquences que pourrait avoir l’automaticité de l’autorisation de séjour pour ceux qui sont engagés dans un service civique en amont ! Je pense à ceux qui font régulièrement passer des jeunes en situation illégale sur le territoire.
Je crois qu’il faut laisser les préfets agir sur le terrain. Vous avez cité des cas particuliers. Je pourrai en citer d’autres, dont j’ai eu connaissance dans mon département.
Malheureusement, si l’entrée dans le service civique garantissait une autorisation de séjour, nous verrions rapidement beaucoup de jeunes entrer illégalement sur le territoire.
C’est surtout pour cette raison – il y en a d’autres – que la commission est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement comme à l’article 15.
La suppression du délai de six mois prévu à l’article L. 313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui permet d’encadrer la délivrance des titres de séjour, aurait pour effet de donner plus de latitude. Je ne suis pas sûr que cela ne serait pas contre-productif au regard de votre objectif.
Dans le cadre de la stratégie du Gouvernement pour l’asile et l’immigration, nous avons travaillé avec le ministre de l’intérieur pour faire en sorte de mieux intégrer, lorsque cela est possible, les mineurs non accompagnés qui se trouvent sur notre sol.
Je me suis appuyé sur ce que j’ai constaté dans les territoires. De fait, monsieur Ravier, derrière les fantasmes que brandissent un certain nombre, il y a des réalités humaines et territoriales. Or, sur le terrain, on voit des jeunes dont le parcours pour venir chez nous a été dramatique. On voit des jeunes non francophones qui apprennent le français en quelques mois, qui ont envie de bosser et qui s’inscrivent dans des filières d’apprentissage. Mme Costes a raison, un certain nombre d’entreprises, sur les territoires, n’ont qu’une envie : pouvoir embaucher ces jeunes.
Je pense que la clé est l’anticipation. Là aussi, comme pour les jeunes majeurs dont nous parlions, n’attendons pas que le couperet s’abatte pour commencer à se poser des questions. Ne laissons pas suspendre une épée de Damoclès au-dessus de la tête de ces jeunes – on la sent jusque dans le regard de ceux que l’on rencontre.
Dans l’Oise, par exemple – j’espère ne pas me tromper : me déplaçant beaucoup sur le terrain, il m’arrive de confondre les territoires, aussi spécifiques et magnifiques soient-ils –, le préfet et le département ont passé une convention pour que l’on commence à examiner la situation du jeune au plus tard à ses 17 ans. On étudie la trajectoire dans laquelle il s’inscrit, on regarde si l’on peut anticiper son intégration dans la société française… Cette première évaluation ne vaut pas décision, mais elle permet de calmer un peu les angoisses du jeune, qui a, ainsi, une perspective. Surtout, elle permet qu’une décision soit prise pour ses 18 ans et qu’il n’ait pas à subir un délai d’examen susceptible d’entraîner une rupture supplémentaire dans son parcours. Il s’agit d’éviter, par exemple, qu’il doive quitter sa filière d’apprentissage parce qu’il n’a plus de papiers. Cela permet donc également de fluidifier les parcours.
Une disposition de la loi Asile et immigration prévoit l’extension, par circulaire, de ce type de procédure à l’ensemble du territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Alors que nous parvenons à la fin de son examen en séance, force est de constater que ce texte a été largement modifié. Les dispositions dont il s’agit n’en demeurent pas moins essentielles.
Bien entendu, on peut toujours faire preuve de bonne volonté, au cas par cas. On peut toujours prévoir des dérogations par circulaire, lorsque cela est possible.
Cependant, c’est en affirmant des droits et en pariant sur l’intégration par le travail que la République s’est construite dans les moments où elle parvenait à accueillir et à intégrer les étrangers.
L’article 15 et l’amendement vont dans ce sens. Il faut voter les deux !
Il s’agit véritablement de faire un pari sur l’intégration républicaine par le travail. Il faut le faire non par le biais de faveurs ponctuelles des préfets, mais en affirmant des droits.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour explication de vote.
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur Leconte, je vous remercie de votre soutien.
Néanmoins, je vais retirer mon amendement, qui – je pense que vous l’aurez compris – était essentiellement un amendement d’appel.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai vraiment été sensible à vos propos. Je vous invite dans mon département, la Nièvre : nous avons des cas concrets à vous présenter. Nous aurions vraiment besoin de votre aide pour pouvoir les résoudre ensemble.
Cela dit, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 1 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’article 15.
(L’article 15 n’est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, modifiée.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Madame la présidente, je veux remercier M. le secrétaire d’État, M. le rapporteur, Mme la rapporteure pour avis et l’ensemble de mes collègues de la qualité des débats. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SOCR et CRCE.)
3
Retrait de l’ordre du jour d’une proposition de résolution
Mme la présidente. La parole est à M. le président du groupe RDSE.
M. Jean-Claude Requier, président du groupe RDSE. Madame la présidente, les débats ont été fructueux, mais un peu longs.
Vu l’heure avancée, je vous propose de reporter l’examen de la proposition de résolution visant à encourager le développement de l’assurance récolte au prochain espace réservé du groupe RDSE, qui se tiendra le 24 juin prochain. En effet, je trouverais dommage que nous commencions la discussion générale de ce texte, pour l’achever un mois plus tard. Il vaut mieux maintenir l’unité de l’examen de cette proposition de résolution, d’autant que nous avons beaucoup à faire actuellement.
Mme la présidente. Acte vous en est donné, mon cher collègue.
L’examen de la proposition de résolution visant à encourager le développement de l’assurance récolte est donc retiré de notre ordre du jour.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour un rappel au règlement.
M. Jean-François Husson. Madame la secrétaire d’État, la prise en charge par l’État d’une partie des dépenses relatives aux masques mis à la disposition des Français, qui relève de votre compétence, est un sujet important.
Vous le savez, les collectivités territoriales ont engagé beaucoup de dépenses de matériels de protection. Le 5 mai, j’avais interrogé Mme Gourault, en rappelant les annonces du Premier ministre : une prise en charge des dépenses locales pour l’achat des masques à hauteur de 50 % sous réserve que la commande soit postérieure au 13 avril. Comme je l’avais alors souligné, celles et ceux qui ont pris des initiatives plus tôt se retrouvent malheureusement victimes d’un dispositif inéquitable et injuste.
M. Lecornu avait répondu le même jour qu’au lieu de cibler certaines catégories de collectivités au risque de créer une usine à gaz, le choix avait été fait de les viser toutes, en partant du principe que les plus grosses et les plus riches aideraient les plus petites et les plus pauvres à irriguer le territoire en masques grand public. Il insistait également sur la « souplesse » du dispositif, la date de référence étant la date de facturation, et non celle de livraison. Or, depuis, une instruction du Premier ministre évoque toujours la date de commande.
Le sujet me paraît trop important. Il faut – c’est le cas de le dire ! – arrêter la guerre des masques. Le Président de la République a déclaré que l’État serait présent « quoi qu’il en coûte ». Je pense qu’une position claire, rassurante et digne de l’importance du sujet s’impose. L’ensemble des collectivités ayant pris des initiatives doivent bénéficier de la participation de l’État à hauteur de 50 %, quelle que soit la date non plus de commande, mais de facturation – celle-ci sera forcément postérieure au 13 avril, ce qui permettra d’englober tous les cas de figure – jusqu’au bornage indiqué, actuellement fixé au 1er juin. J’attends que l’État soit au rendez-vous, une fois de plus !
M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.
5
Plafonnement des frais bancaires
Adoption d’une proposition de loi modifiée
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi visant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires, présentée par MM. Patrick Kanner, Claude Raynal, Vincent Éblé, Mme Laurence Rossignol, M. Jacques Bigot et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 339, résultat des travaux de la commission n° 447, rapport n° 446).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Rémi Féraud, auteur de la proposition de loi.
M. Rémi Féraud, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en déposant cette proposition de loi au début de l’année, nous étions bien loin d’imaginer l’intensité de la crise sanitaire dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, ainsi que les conséquences économiques et sociales dramatiques qui frappent désormais un grand nombre de nos concitoyens. En effet, si notre pays connaît une augmentation des inégalités sociales depuis plusieurs années et si la question du pouvoir d’achat est au cœur des préoccupations et du débat politique depuis 2018, la crise risque d’accentuer encore bien davantage les disparités sociales, la précarité et les difficultés financières des plus modestes.
Dès lors, nous avons le devoir de définir des mécanismes visant à contenir une telle dégradation, en limitant autant que possible la baisse du pouvoir d’achat de nos concitoyens. C’est pourquoi la question des frais bancaires est si importante aujourd’hui. Ces frais maintiennent la tête sous l’eau de ceux qui sont déjà en difficulté et nuisent directement à l’efficacité des actions publiques menées pour les aider à sortir de cette situation. Ils constituent donc un levier sur lequel nous devons agir, puisque nous en avons la possibilité. C’est l’objet de la proposition de loi que j’ai l’honneur de présenter, au nom du groupe socialiste et républicain.
La situation actuelle n’est plus acceptable. Ainsi, l’association 60 millions de consommateurs considérait en 2018 que les frais liés aux incidents de paiement coûtaient chaque année 34 euros en moyenne à chaque Français, mais près de 300 euros à ceux qui étaient en difficulté persistante. Cette même étude montrait aussi qu’un foyer en difficulté financière sur cinq était prélevé à hauteur de 500 euros par an au total. Si l’on compare ce montant à la somme perçue par les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) ou bien au niveau du seuil de pauvreté, il est difficile d’imaginer comment les personnes concernées peuvent s’en sortir. Par exemple, l’aide exceptionnelle de 200 euros que le Gouvernement a mise en place pour les étudiants au mois de juin servira souvent à peine à combler les frais bancaires accumulés pendant cette période. C’est aberrant !
Selon l’Observatoire de l’inclusion bancaire, en 2019, en France, 3,6 millions de personnes étaient considérées comme en situation de fragilité bancaire. Ce sont autant de Français qui auraient dû bénéficier d’un plafonnement effectif des frais bancaires. Car, et c’est peut-être le chiffre le plus parlant, plus de 90 % des personnes qui perçoivent moins de 1800 euros de revenus mensuels, c’est-à-dire le salaire médian en France, payent plus de 40 euros de frais pour incident par mois. Nous devons agir. Je sais que nous sommes nombreux à partager cette volonté. À nos yeux, ce plafonnement doit être entendu au sens large, et non limité aux seuls incidents de paiement, si nous voulons que notre action ait des répercussions fortes sur le pouvoir d’achat.
À plusieurs reprises, le Gouvernement a pris des engagements ces dernières années.
En réponse à la crise des gilets jaunes, le Président de la République a lui-même promis au mois de décembre 2018 de plafonner les frais bancaires pour les plus fragiles de nos concitoyens. Car, dans la crise démocratique et sociale qui venait de se déclencher avec tant de violence, l’enjeu des frais bancaires était l’une des revendications mises en avant avec force et apparaissait comme un levier sur lequel l’État pouvait agir.
Interrogé dans cet hémicycle par Laurence Rossignol au mois de novembre dernier, Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, a réitéré ces engagements : plafonner les incidents bancaires à 20 euros par mois et 200 euros par an dans le cadre de l’offre spécifique ; augmenter le nombre de clients bénéficiaires de cette offre ; plafonner les frais d’incidents bancaires à 25 euros par mois pour les personnes aux revenus modestes n’ayant pas nécessairement besoin de l’offre.
Force est de constater que ces mots n’ont toujours pas été suivis d’effets. Et pour cause : la bonne volonté du Gouvernement est moins grande que la mauvaise volonté des banques !
Ainsi, lors de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, le Gouvernement a fait supprimer l’amendement du groupe socialiste qui visait à protéger les ménages les plus fragiles des frais et commissions pour incident bancaire au cours de cette période. Cet amendement avait pourtant été adopté très largement par le Sénat. Écoutez bien l’exposé des motifs de l’amendement de suppression déposé par le Gouvernement à l’Assemblée nationale : « Cette disposition pourrait créer des effets d’aubaine importants ou susciter des effets indésirables, notamment en réduisant les incitations à honorer certains paiements dus. » C’est de cette logique punitive qu’il faut sortir, car elle enfonce les plus fragiles et les plus pauvres et, plus largement, tous ceux dont les revenus couvrent à peine les dépenses incontournables. Même le ministre Olivier Véran a reconnu : « Je ne l’aurais pas écrit ainsi et je regrette ces mots qui n’ont pas à figurer dans un exposé sommaire quand il s’agit de frais bancaires pour des personnes précaires. » Madame la secrétaire d’État, qui a donc rédigé un tel exposé des motifs ?
Mme Laurence Rossignol. Bercy !
M. Rémi Féraud. Depuis, Bruno Le Maire a de nouveau affirmé qu’il n’y avait pas lieu de renforcer le cadre légal existant relatif aux frais bancaires, dans une déclaration faite quarante-huit heures après l’inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour. Heureuse coïncidence…
C’est pour mettre fin à de telles tergiversations que Patrick Kanner, mes collègues du groupe socialiste et républicain et moi-même avons déposé cette proposition de loi. Ce texte, s’il ne répond sans doute pas à toutes les problématiques, permettra néanmoins, en cas d’adoption, d’en traiter une partie importante.
Je ne veux pas être trop long sur le dispositif lui-même. Je sais que le rapporteur, Michel Canevet, y reviendra. Je tiens d’ailleurs à le remercier de son travail au nom de la commission des finances.
D’abord, en modifiant le code monétaire et financier, l’article unique de notre proposition de loi vise à intégrer dans les plafonnements définis par décret la problématique des frais bancaires. Nous l’avons souligné, ceux-ci ont connu une croissance très soutenue ces dernières années et servent beaucoup trop aux établissements bancaires de variable d’ajustement pour leurs marges. La somme perçue – je parle des frais visant l’ensemble des services bancaires – représente au total près de 30 milliards d’euros par an. Ainsi, les plafonnements s’appliqueraient aux sommes perçues par les banques pour les incidents de paiement et pour les différents et très nombreux services bancaires proposés par les établissements.
Ensuite, nous proposons que les plafonds spécifiques dont peuvent bénéficier les personnes en situation de fragilité bancaire atteignent au maximum le tiers du plafond général existant. Il s’agit là d’un enjeu important sur le plan social : éviter que les plus modestes ne soient ceux qui contribuent le plus en réalité, comme c’est le cas aujourd’hui.
Enfin, dans la mesure où il est avéré que les établissements bancaires ne sont pas suffisamment coopératifs en matière de reconnaissance des personnes en situation de fragilité et qu’ils ont toujours l’interprétation la plus restrictive possible, nous voulons ouvrir aux présidents de conseil départemental, de centre communal ou intercommunal d’action sociale, ainsi qu’à la Banque de France la possibilité d’exiger d’un établissement bancaire l’application du statut de personne en situation de fragilité. Car ce que nous constatons aujourd’hui, c’est une interprétation trop restrictive de la part des banques : certains bénéficiaires qui devraient en relever y échappent, la plupart en bénéficient trop tardivement et en sortent ensuite trop rapidement, rendant l’offre spécifique, qui est un progrès, largement inopérante.
Par ailleurs, une fois n’est pas coutume, le groupe socialiste a déposé des amendements sur son propre texte. Ceux-ci visent à prendre en compte la situation de crise sanitaire qui est apparue après le dépôt de la proposition de loi. Les modifications suggérées permettront d’inclure les citoyens les plus durement touchés par la crise dans les dispositions que nous proposons d’adopter, comme nous l’avons déjà voté ensemble lors de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire.
J’espère que le Sénat confirmera son engagement en ce sens, comme il l’a fait, malgré l’avis défavorable du Gouvernement, à une très large majorité voilà tout juste deux semaines.
Mes chers collègues, l’urgence sociale nous impose de ne pas renoncer. Face à cette crise, encore plus qu’hier, nous avons le devoir de protéger les plus modestes avant les bénéfices réalisés par les banques. Sur le sujet des frais bancaires, si important pour les Français, nous avons déjà beaucoup attendu. Il est maintenant temps de vraiment changer les choses, donc de légiférer ! (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Canevet, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier le groupe socialiste, tout particulièrement Rémi Féraud, qui connaît parfaitement le dossier, d’avoir déposé la présente proposition de loi tendant à rendre effectif et à renforcer le plafonnement des frais bancaires. Le sujet est important.
Vous le savez tous, la question des frais bancaires a fait l’objet de différents textes législatifs depuis un certain nombre d’années. Ainsi, la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires a institué des mesures de plafonnement pour ceux qui doivent faire face à des incidents de paiement ou à des irrégularités.
En France, nous avons la chance d’avoir un réseau bancaire particulièrement important et dense, constitué de plus d’une centaine d’institutions financières, qui offrent des produits très diversifiés et variés. Cela permet à la clientèle d’opérer des choix s’agissant des services à en attendre. Cet élément mérite d’être signalé.
Nous sommes tous particulièrement attachés au maintien de la présence bancaire sur le territoire. Le réseau se compose d’un grand nombre d’agences, dont on déplore parfois la réduction, de même que celle des distributeurs automatiques de billets. Le groupe Les Indépendants a déposé plusieurs textes visant à améliorer l’offre territoriale de distributeurs de billets. Les institutions financières ont donc un rôle essentiel dans notre pays.
La proposition de loi a été déposée avant la crise actuelle. La pandémie a modifié la perception que l’on pouvait avoir des institutions financières. Si les choses ne se sont pas trop mal passées en matière financière, c’est parce que les établissements concernés ont su faire preuve de célérité et de simplicité dans l’application d’un certain nombre de dispositions. Je pense en particulier aux prêts garantis par l’État, qui ont tout de même été mis en œuvre dans des délais extrêmement brefs, avec des taux d’acceptation très élevés, preuve du bon fonctionnement du dispositif. Les institutions financières se sont également attachées à prendre différentes mesures, dont certaines étaient d’ailleurs suggérées par le Gouvernement ; je pense, par exemple, aux reports d’échéance. Elles ont également fait preuve de beaucoup plus de bienveillance s’agissant des frais pouvant être facturés en cas d’irrégularités et d’incidents de paiement. Nous devons, me semble-t-il, prendre ces éléments en compte et avoir conscience de la chance que nous avons eue de disposer d’un réseau bancaire aussi efficient.
La présente proposition de loi s’intéresse aux personnes en situation de fragilité financière, qui sont évaluées à environ 3,6 millions en France. Celles-ci sont inscrites soit au fichier des incidents de paiement, si elles ont été confrontées à de tels incidents pendant trois mois consécutifs, soit dans le dispositif des situations de surendettement, auquel cas elles sont automatiquement considérées comme étant en fragilité financière.
Les établissements financiers ont aussi leurs propres critères pour définir les personnes en situation de fragilité financière, à partir du niveau de ressources ou des incidents de paiement répétitifs qui sont observés. Dans ce cas, ainsi que cela a été évoqué, des dispositifs permettant de limiter les frais à 8 euros par opération et 80 euros par mois pour un client lambda sont mis en œuvre. L’offre spécifique, qui a été instituée depuis 2014, comprend un nombre minimal de services. Le nombre de bénéficiaires a augmenté significativement, passant de 380 000 personnes en 2018 à 487 000 aujourd’hui. En d’autres termes, environ 15 % des personnes peuvent être considérées comme étant en situation de fragilité financière. Pour les bénéficiaires de cette offre spécifique, le plafonnement est à 4 euros par opération et à 20 euros par mois. Nous le voyons, des dispositions existent, et elles ont montré tout leur intérêt.
La proposition de loi vise à intégrer l’ensemble des coûts bancaires, c’est-à-dire les frais liés aux incidents et aux services bancaires, dans ces plafonnements. Or, de mon point de vue, il ne faut pas remettre en cause notre système bancaire français, qui est particulièrement opérant. Si l’on réduit les moyens des banques, ne nous étonnons pas de les voir ensuite diminuer leur présence sur le territoire, se séparer de personnels et opter pour la dématérialisation, comme on le constate effectivement. Il faut que des personnes restent en relation avec les clients, pour jouer un rôle de conseil.
Par conséquent, la commission des finances a estimé qu’il n’était pas souhaitable d’adopter la présente proposition de loi.
Le texte prévoit en outre de donner à la Banque de France et aux présidents de conseil départemental et de centre communal ou intercommunal d’action sociale la possibilité d’enjoindre aux établissements financiers d’ouvrir des comptes au titre de l’offre spécifique pour les clients. Pour ma part, je considère que la responsabilité individuelle existe dans notre pays. Ne faisons pas les choses à la place des autres ! Le rôle des services sociaux est d’accompagner les personnes dans un certain nombre de démarches, pas de se substituer à elles dans l’exercice de leurs droits et libertés. Que chacun reste à sa place ! La commission des finances n’a donc pas jugé opportun de retenir une telle proposition.
Certes, des dispositifs existent, par exemple pour le droit au compte. Mais force est de constater qu’ils sont très peu usités : il y a eu deux interventions seulement en 2018. Leur existence, qui part de très bonnes intentions, n’est pas justifiée.
Il faut évidemment accompagner ceux qui ont des problèmes. C’est le rôle des points conseil budget (PCB), qui ont été institués en 2016. J’invite d’ailleurs le Gouvernement à continuer de lancer des appels à projets en ce sens, car l’objectif initial de 400 PCB n’est pas atteint ; on en dénombre seulement une centaine aujourd’hui. Il est souhaitable que les points conseil budget puissent se développer sur le territoire, car ils permettent à des personnes en situation de fragilité financière de mieux gérer leurs comptes. Certains ont en effet du mal à gérer leur situation financière. Le fait qu’il existe des frais à payer les conduit sans doute à réfléchir à cette question et incite les banquiers à s’y intéresser aussi, par exemple en proposant un accompagnement.
Pour terminer, je salue l’initiative que le Gouvernement a prise en 2018 et encore tout récemment pour inciter les établissements bancaires à avoir une approche beaucoup plus rigide, en contingentant le niveau des frais bancaires. Nous voyons que cela donne des résultats. Il faut continuer.