Sommaire
Présidence de M. Vincent Delahaye
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi, M. Victorin Lurel.
2. Loi de finances rectificative pour 2020. – Discussion d’un projet de loi
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
Discussion générale :
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances
Clôture de la discussion générale.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances ; M. Gérald Darmanin, ministre ; M. Bruno Retailleau ; M. le président.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
3. Modification de l’ordre du jour
4. Loi de finances rectificative pour 2020. – Suite de la discussion d’un projet de loi
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics
Amendement n° 142 de M. Éric Kerrouche. – Retrait.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 85 rectifié de Mme Sophie Taillé-Polian. – Rejet.
Amendement n° 292 de M. Éric Bocquet. – Rejet.
Amendement n° 293 de M. Éric Bocquet. – Rejet.
Amendement n° 289 de M. Éric Bocquet. – Rejet.
Amendement n° 171 rectifié de M. Patrice Joly. – Rejet.
Amendement n° 170 rectifié de M. Patrice Joly. – Rejet.
Amendement n° 291 de M. Éric Bocquet. – Rejet.
Amendement n° 174 rectifié de M. Patrice Joly. – Rejet.
Amendement n° 314 de M. Pascal Savoldelli. – Rejet.
Amendement n° 51 rectifié quater de M. Jean Pierre Vogel. – Retrait.
Amendement n° 250 rectifié de Mme Dominique Estrosi Sassone. – Retrait.
Amendement n° 68 rectifié quater de Mme Nathalie Delattre. – Retrait.
Amendement n° 40 de Mme Nadia Sollogoub. – Rejet.
Amendement n° 337 de M. Éric Bocquet. – Rejet.
Amendement n° 323 de M. Bruno Retailleau. – Devenu sans objet.
Amendement n° 265 rectifié bis de M. Jean-Marc Gabouty. – Rectification.
Amendement n° 98 rectifié de M. Olivier Jacquin. – Rejet.
Amendement n° 95 de M. Claude Raynal. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Vincent Delahaye
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
M. Victorin Lurel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 15 avril 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Loi de finances rectificative pour 2020
Discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2020 (texte n° 403, rapport n° 406).
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Discussion générale
M. le président. Je rappelle que tous les orateurs, y compris les membres du Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune. Par ailleurs, les sorties de la salle des séances devront s’effectuer exclusivement par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, et moi-même sommes très heureux de vous présenter ce projet de loi de finances rectificative, qui doit nous permettre de faire face aux exigences économiques nouvelles liées à la crise du coronavirus.
Je voudrais d’abord rappeler à quel point cette crise est sans équivalent dans l’histoire contemporaine des nations occidentales et même de la planète entière.
Une économie entièrement à l’arrêt, ou presque ; une crise qui touche toutes les nations, tous les continents, sans exception, avec d’ailleurs une inquiétude particulière, à présent, pour les pays en voie de développement et les pays africains ; une récession qui se chiffre, pour l’ensemble de la zone euro, à -7,5 % du PIB et, suivant la proposition que nous vous faisons, à -8 % pour la France en 2020. Ces chiffres sont sévères, mais ils sont provisoires, tant les incertitudes sont grandes quant à la durée de la pandémie et à son impact sur les différentes économies, de la plus puissante, les États-Unis, jusqu’aux pays africains en voie de développement.
On observe des phénomènes inédits depuis la Seconde Guerre mondiale : ainsi, le prix du baril de pétrole est aujourd’hui négatif ! Je tiens d’ailleurs à rappeler qu’il n’y a que des risques dans cet effondrement des prix du pétrole : risque pour la transition énergétique, car pour réussir celle-ci, encore faut-il que les prix des énergies fossiles soient à un niveau raisonnable et que nous puissions financer les énergies renouvelables ; risque d’effet domino sur les marchés, puisque les compagnies pétrolières sont détenues par des investisseurs et des fonds qui peuvent être menacés, demain, sur les marchés, et entraîner avec eux l’ensemble des marchés financiers de la planète ; risque, enfin, pour les pays d’Afrique, en particulier ceux de l’est du continent, dont 40 % des ressources budgétaires sont liées à l’extraction et à la commercialisation du pétrole – c’est autant qui part aujourd’hui en fumée. Je tiens donc à le redire avec gravité : l’effondrement des prix du pétrole est un danger pour l’économie mondiale.
Face à cette situation économique sans équivalent dans l’histoire contemporaine, nous avons voulu, avec le Président de la République et le Premier ministre, prendre immédiatement la mesure de la crise. Nous avons immédiatement dit la vérité aux Français : cette crise économique est l’une des plus graves que nous ayons connues depuis la grande récession de 1929. Les fondamentaux ne sont pas les mêmes, les logiques non plus, les réactions des États non plus, mais la profondeur de la récession est comparable à ce que nous avons connu en 1929. Nous avons toujours tenu ce langage de vérité, depuis le premier jour de la crise économique : nous n’en avons jamais dissimulé ni la gravité ni les conséquences.
Nous avons aussi voulu apporter une réponse rapide, forte et immédiate. Nous avons fait un choix très simple, que nous revendiquons devant la représentation nationale, devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs : de la dette plutôt que des faillites ; de la dette plutôt que la disparition de décennies entières d’efforts économiques des salariés, des ouvriers, des employés, des ingénieurs et des entrepreneurs français. Ce choix, je le revendique : mieux vaut préserver notre capital humain et économique que préserver des finances publiques que nous saurons restaurer le moment venu.
Les choix simples et clairs que nous avons faits ont été entendus, me semble-t-il, par le monde économique comme par les salariés.
Nous avons choisi, d’abord, de préserver les compétences en développant massivement le dispositif le plus généreux en matière de chômage partiel. Nous indemnisons les salariés, à 100 % au niveau du SMIC et jusqu’à 84 % du salaire net pour les salaires inférieurs à 4,5 SMIC ; 9 millions de salariés bénéficient aujourd’hui de ce chômage partiel qui nous permet de préserver les savoir-faire et les qualifications, mais aussi de garantir que nous pourrons faire redémarrer rapidement l’économie française quand il le faudra. Je préfère cette situation à celle que connaissent nos amis américains : en l’espace d’une quinzaine de jours, des millions de salariés ont dû s’inscrire au chômage aux États-Unis du fait de l’absence d’un tel dispositif. De ce point de vue, nous avons tiré les conséquences de la crise de 2008-2009 : l’Allemagne avait alors su redémarrer vite, parce qu’elle avait un dispositif de chômage partiel efficace, alors que la France, faute d’un tel dispositif, avait mis plus de temps à relancer son économie.
Le deuxième choix que nous avons fait est le soutien à la trésorerie des entreprises. Évidemment, quand il n’y a ni recettes ni chiffre d’affaires, la trésorerie fond comme neige au soleil. Nous avons donc mis en place, avec M. le ministre de l’action et des comptes publics, des dispositifs de report des charges sociales et fiscales. Nous avons également mis en place des dispositifs de prêts garantis par l’État, à hauteur de 300 milliards d’euros, pour que toutes les entreprises, jusqu’aux PME, puissent trouver les prêts dont elles auraient besoin.
Notre troisième choix a été le soutien aux plus fragiles. Cela s’est traduit, notamment, par la création d’un fonds de solidarité ; le premier étage des versements s’élève à 1 500 euros ; un deuxième étage peut aller jusqu’à 2 000 euros dans sa première version.
Enfin, notre quatrième choix a été de défendre les entreprises stratégiques, celles dont dépend notre indépendance. Je pense notamment à Air France : on est bien content d’avoir cette compagnie et ses avions quand il faut rapatrier nos compatriotes depuis l’étranger. Mais il est aussi question des entreprises de l’énergie, du transport aérien, ou encore du secteur nucléaire, qui ont vocation à être protégées et défendues par l’État ; elles le seront.
Ce premier dispositif a rencontré un succès considérable. Les chiffres que je vous ai donnés sur le chômage partiel montrent que nous avons visé juste, tout comme l’ampleur des prêts accordés aux entreprises françaises – 24 milliards d’euros en quelques jours –, ou encore le nombre d’entreprises bénéficiaires du fonds de solidarité – 1 million d’entrepreneurs s’y sont inscrits.
Cela dit, comme nous avons agi rapidement – je le revendique ! –, des améliorations restaient évidemment à apporter au dispositif. Beaucoup d’entre vous nous ont d’ailleurs fait remonter des critiques et des observations à ce sujet.
Dès le premier jour de cette crise, j’ai eu comme méthode de travail la concertation quotidienne avec tous les acteurs économiques, sans exception. Je m’entretiens avec les représentants de toutes les filières, du très petit entrepreneur jusqu’au patron de très grande entreprise, du travailleur indépendant à la profession libérale, du secteur agricole à la restauration, à l’agroalimentaire et à la grande distribution : j’ai écouté tout le monde de manière à améliorer ce dispositif. Gérald Darmanin et moi-même avons été à l’écoute de toutes les propositions et de toutes les critiques qui nous sont parvenues depuis le terrain.
Nous vous proposons donc aujourd’hui, par le biais de ce projet de loi de finances rectificative, d’une part de recharger le dispositif existant, parce qu’il coûte cher, et d’autre part de l’améliorer.
S’agissant des prêts garantis par l’État, beaucoup nous ont dit que c’était un beau dispositif, mais que toutes les entreprises qui sont en redressement judiciaire ou connaissent des difficultés de cet ordre n’ont pas accès à ces prêts. C’est vrai. Si vous adoptez ce texte, ces entreprises seront éligibles aux prêts garantis par l’État : vous l’avez demandé, nous vous le proposons.
Vous nous avez dit que certaines entreprises ne trouvaient aucune solution. Effectivement, des entreprises industrielles importantes de 300 ou 400 salariés qui se trouvent dans des situations très difficiles, leur secteur d’activité se trouvant fortement impacté, ne parviennent pas à souscrire de prêt, même garanti par l’État : même si le taux de refus des banques n’est que de 4 % ou 5 %, il reste tout de même des milliers d’entreprises qui ne trouvent pas de solution, notamment des entreprises industrielles de taille intermédiaire qui sont pourtant vitales pour certains territoires.
Nous voulons leur apporter, à elles aussi, des solutions. C’est pourquoi nous vous proposons la mise en place d’un système d’avances remboursables qui permettra d’apporter des solutions aux entreprises les plus en difficulté.
Nous proposons également d’abonder le Fonds de développement économique et social (FDES) : 75 millions d’euros étaient disponibles dans ce fonds ; nous proposons de porter cette somme à 1 milliard d’euros. Cet argent ira précisément à des entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui ne trouvent pas de solution auprès des banques parce qu’elles ont besoin de se restructurer pour être viables. Le principe du FDES est justement d’apporter aux entreprises des prêts directs de l’État, et non pas simplement de garantir des prêts octroyés par les établissements bancaires. Ces prêts peuvent être complétés par des banques – l’État amorce du moins la pompe – et doivent s’accompagner d’une restructuration de l’entreprise lui permettant d’être viable sur le long terme, l’État n’ayant évidemment pas vocation à financer à fonds perdu des entreprises qui, même en l’absence de la présente crise, n’auraient pas survécu.
Nous apportons donc, concernant l’amélioration de la trésorerie des entreprises, des réponses concrètes aux critiques qui nous sont remontées du terrain, des départements, de tous vos territoires.
Sur le fonds de solidarité aussi, beaucoup de critiques ont été émises immédiatement, même s’il a rencontré un très grand succès ; nous avons tenu compte de ces critiques. Trop de populations étaient exclues de ce fonds. C’était le cas, d’abord, des professions libérales : celles qui répondent aux critères du fonds seront désormais incluses. C’était aussi le cas des groupements d’agriculteurs : ils seront inclus. Je pense enfin aux entreprises en redressement judiciaire ou en difficulté : elles aussi seront incluses. Nous allons élargir considérablement le spectre des petits entrepreneurs éligibles – ceux qui emploient moins de dix salariés – pour que personne ne soit laissé de côté. Telle est bien notre ambition : comme la commissaire européenne Margrethe Vestager l’a elle-même reconnu, la réponse économique française est la plus forte de toutes les réponses européennes. J’estime que c’est à l’honneur de notre nation d’avoir su apporter des réponses à chacun.
Toujours sur ce fonds de solidarité, d’aucuns nous ont dit que notre mode de calcul n’était pas le bon. Pour être éligible à ce fonds, à l’heure actuelle, il faut être une très petite entreprise, de moins de dix salariés, dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million d’euros et qui a enregistré une baisse de chiffre d’affaires d’au moins 70 % entre mars 2019 et mars 2020. Ce pourcentage est trop élevé, et la période de référence n’est pas la bonne. Nous avons donc baissé ce taux à 50 % ; nous vous proposons en outre de changer les modalités de calcul en offrant aux entreprises qui le souhaiteraient la possibilité de calculer la perte de chiffre d’affaires, non plus à partir de mars 2019, mais à partir de la moyenne mensuelle de l’activité tout au long de l’année 2019. C’est l’une des propositions de la commission des affaires économiques du Sénat que nous avons retenues dans ce projet de loi de finances rectificative. Nous avons donc là un dispositif qui me paraît plus efficace.
Enfin, concernant les entreprises stratégiques, vous nous avez fait observer à juste titre que le compte d’affectation spéciale (CAS) destiné à les soutenir était insuffisamment doté pour apporter du capital aux entreprises qui en auraient besoin ; nous avons donc décidé d’augmenter de 20 milliards d’euros l’abondement du CAS de l’Agence des participations de l’État (APE). Ainsi, nous disposerons de réserves financières suffisantes pour apporter le capital nécessaire aux entreprises qui en auraient besoin. Beaucoup pensent à Air France, qui aura effectivement besoin du soutien de l’État : il lui sera apporté, afin de préserver un fleuron industriel français et un gage d’indépendance de la nation française. Nous le ferons dès les prochains jours.
Une fois passé le temps de cette réponse immédiate, qui nous permet d’amortir le choc, il faudra reprendre le travail et l’activité. Nous savons tous que la solution immédiate est nécessaire, que ce soutien et cette protection apportés par l’État sont conformes à ce que nous sommes – nous, Français – et à ce qu’a toujours été l’État dans l’histoire de la France : le protecteur des intérêts supérieurs de la Nation. Mais l’économie française devra fonctionner autrement dans les mois qui viennent.
Il faudra commencer par redémarrer, par reprendre l’activité, reprendre le chemin du travail. C’est la demande qui m’a été faite par le Premier ministre et le Président de la République : examiner comment nous pouvons faire redémarrer l’économie française dans des conditions de sécurité sanitaire totale ; j’insiste bien sur ce dernier mot. Je ferai donc des propositions au Premier ministre et au Président de la République dans les heures qui viennent, en essayant d’offrir aux Français à la fois de la méthode et de la clarté.
Trois situations très différentes s’offrent à nous. La première est celle des secteurs qui sont déjà capables de fonctionner aujourd’hui, mais n’ont pourtant pas véritablement repris l’activité.
Certains secteurs ont pour leur part très bien fonctionné et, grâce à eux, nous avons pu avoir une vie à peu près normale pendant les semaines de confinement – je pense en particulier aux secteurs de l’alimentation, de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution, qui ont tourné, contre vents et marées, malgré les difficultés et les risques sanitaires ; les ouvriers de l’industrie agroalimentaire, les agents de caisse, les metteurs en rayon, les transporteurs, tous étaient là, fidèles au poste, pour garantir la sécurité de l’approvisionnement alimentaire et une vie à peu près normale.
D’autres secteurs, en revanche, se sont heurtés à des difficultés que je peux parfaitement comprendre alors qu’ils auraient pu continuer à fonctionner. Nous allons devoir répondre à ces difficultés. Je pense au bâtiment et aux travaux publics ; nous aurons dès aujourd’hui une réunion spécifique à ce secteur avec Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, pour déterminer à quels obstacles il se heurte et pourquoi les chantiers sont aujourd’hui, pour 80 % à 85 % d’entre eux, à l’arrêt. On observe des problèmes d’approvisionnement en matières premières et en matériel de protection, mais aussi de définition de la distance qui doit être observée entre ouvriers sur les chantiers ; enfin, la situation peut entraîner des surcoûts que les clients ne veulent évidemment pas prendre à leur charge. Tous ces problèmes devront être réglés.
La deuxième situation qui réclame notre attention est celle des commerces qui ont été fermés par arrêté ministériel le 15 mars et qui pourront rouvrir à partir du 11 mai. Mon souhait est en tout cas que le plus grand nombre de commerces puissent rouvrir à partir de cette date. J’ai cité les coiffeurs – je pense que leur fermeture affecte tous les Français ! –, je pourrais en citer d’autres. Pour cela, il faut définir, secteur par secteur, des guides de bonnes pratiques qui permettront le redémarrage de ces secteurs dans des conditions de sécurité sanitaire totale pour les salariés comme pour les clients.
Il reste le troisième cas de figure, qui a été cité explicitement par le Président de la République : je veux parler des lieux de convivialité, dont la situation est plus compliquée. Nous savons parfaitement que la société que nous allons devoir construire dans les mois qui viennent, tant que nous n’aurons pas de réponse à cette épidémie sous la forme d’un vaccin, est une société de la distance. Je vous l’avoue, une telle société n’est pas agréable. Elle n’est conforme ni à notre génie national ni à notre conception de la vie en société.
Personne n’aime la distance, les Françaises et les Français moins que quiconque : nous sommes une société de convivialité, de contact, de rapport humain, de démocratie et de débats. J’aimerais mieux voir cet hémicycle plein que de le voir aussi vide qu’il l’est aujourd’hui pour des raisons de sécurité sanitaire, et je pense que n’importe quel Français, dans son lieu de travail, dans les lieux de culture, dans n’importe quel lieu d’activité, dirait exactement la même chose.
Mais il se trouve que, pour des raisons de sécurité sanitaire, nous devons vivre avec de la distance. Or dans les lieux de convivialité que sont les restaurants, les bars, ou les cafés, le défi est beaucoup plus considérable que dans n’importe quel autre lieu d’activité professionnelle. Il faudra donc se donner un peu plus de temps pour déterminer sous quelles règles ces lieux pourront rouvrir dans les meilleures conditions de sécurité sanitaire possible.
Permettez-moi, à ce propos, de rendre hommage à tous les restaurateurs : depuis des semaines, ils ne cessent de se mobiliser et de nous apporter des idées et des propositions. Ils ont parfaitement conscience que, s’ils doivent rouvrir le plus vite possible, ce ne sera possible que dans des conditions de sécurité sanitaire totale, de manière à ce que leurs clients soient rassurés et à ce que leur activité puisse se poursuivre. Nous prendrons donc le temps nécessaire pour garantir la réouverture dans les meilleures conditions possible de tous les restaurants, de tous les bars et de tous les cafés français.
La troisième et dernière étape, après la réponse immédiate et la reprise progressive du travail, sera la relance de notre activité économique. Il faut y penser dès maintenant ; c’est ce que nous faisons, avec les économistes, nos partenaires européens et les représentants de divers organismes multilatéraux. Il faut déterminer quels défis nous devrons relever et quelles seront les lignes directrices de cette relance : j’en vois au moins quatre.
La première ligne directrice de cette relance est l’investissement. Ce qui va manquer à l’économie française, aux entreprises françaises, aux technologies françaises, à notre industrie, c’est de l’investissement. Aujourd’hui, il est à zéro, alors même que, juste avant la crise, nous étions l’un des pays de la zone euro qui investissaient le plus. Eh bien, il faut relancer cet investissement dans nos entreprises, parce que c’est de lui que dépend la puissance économique de la nation française au XXIe siècle.
La deuxième ligne directrice est un certain soutien à la demande. Il restera à déterminer dans quel volume, par quels moyens et instruments, mais vous voyez bien que les Français sont en train de constituer une épargne de précaution, à hauteur de 55 milliards d’euros en quelques semaines. Il faut nous assurer que les Français retrouvent le goût de la consommation et que la demande reparte ; sinon, notre économie aura du mal à redémarrer rapidement.
La troisième ligne directrice, qui me paraît importante, est le soutien aux secteurs qui auront été les plus touchés par la crise. Il faut venir en aide à ceux qui ont pris la crise de plein fouet, du tourisme et de la restauration à l’hôtellerie. On peut également citer l’industrie automobile et ses dizaines de milliers de sous-traitants, l’industrie aéronautique, Airbus au premier chef, et bien sûr le transport aérien. Tous ces secteurs auront besoin d’un accompagnement spécifique et ciblé plus important et plus efficace.
La dernière ligne directrice de cette relance est évidemment la coordination européenne, à laquelle je vous invite tous à réfléchir dès à présent ; vos idées et vos propositions, qui émergent en nombre depuis quelques jours, sont toutes les bienvenues, car personne n’a la vérité révélée ; je consulte donc le plus possible pour être sûr de trouver la réponse la plus appropriée le moment venu. Si nous ne coordonnons pas nos réponses économiques au moment de la relance et que certains pays européens vont dans une direction et d’autres dans la direction opposée, il y a fort à parier que cette relance ne sera pas efficace. Nous sommes un marché unique, nous avons avec nos partenaires européens un destin commun ; nous devons donc réfléchir à une relance commune et coordonnée, qui sera ainsi plus efficace.
Voilà les quelques éléments que je voulais vous présenter en ouverture de l’examen de ce projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants, RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais évoquer devant vous les aspects budgétaires de ce deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020. Je veux relever les nouveautés contenues dans ce texte, mais aussi exposer les actions entreprises par la puissance publique qui n’y figurent pas.
Ainsi, nous n’avons pas présenté de projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, mais j’aurai l’occasion de m’exprimer demain devant votre commission des affaires sociales au sujet de la santé et des comptes sociaux. Vous n’ignorez pas que, comme le budget de l’État est limitatif, tous les crédits doivent être adoptés par le Parlement, tandis que le budget de la sécurité sociale est seulement indicatif ; nous ne sommes donc pas obligés de présenter un tel texte, qui n’aurait pas de valeur juridique en tant que telle. Pour autant, la représentation nationale doit disposer d’éléments d’information ; je suis d’ailleurs déjà prêt à répondre à vos questions tout au long du débat qui s’ouvre aujourd’hui.
Le présent texte procède tout d’abord au « rechargement », si vous me permettez l’expression, des dispositifs prévus dans la loi de finances rectificative que M. le ministre de l’économie et des finances et moi-même avions défendue devant vous le mois dernier.
Il faut ouvrir de nouveaux crédits pour le dispositif de chômage partiel, dont le coût s’élève à presque 25 milliards d’euros, dont un tiers est constitué des dépenses de l’Unédic.
Le fonds de solidarité mis en place en direction des travailleurs indépendants nécessite 7 milliards d’euros. Il est abondé aujourd’hui par les assureurs : 185 millions d’euros ont déjà été versés, 215 millions doivent encore l’être. Les régions contribuent à hauteur de 7 % à ce fonds d’indemnisation ; on attend encore le versement de la part de la moitié d’entre elles, mais je sais qu’il est en bonne voie. Ce fonds, grâce aux crédits que vous allez adopter, pourra répondre à toutes les ouvertures demandées par la représentation nationale et le Gouvernement et mises en place par la direction générale des finances publiques ; demain s’y ajouteront, pour le deuxième étage, les instructions des conseils régionaux.
Ce projet de loi de finances rectificative contient également de nouvelles dispositions. Ce sont, d’abord, toutes les mesures économiques que vient d’évoquer M. le ministre de l’économie et des finances : l’APE est abondée de 20 milliards d’euros, de manière à participer au soutien des entreprises françaises ; le FDES, chargé d’intervenir en faveur des grosses PME et des ETI, passe de 75 millions à 1 milliard d’euros ; l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement du Gouvernement permet également la mise en place d’avances remboursables pour les entreprises qui n’auraient pu recevoir de prêts bancaires.
On peut citer une autre disposition encore : 880 millions d’euros de crédits sont octroyés au ministère de la santé et des solidarités pour permettre le versement d’une prime de précarité de 150 euros à chaque bénéficiaire du RSA, auxquels s’ajoutent 100 euros par enfant à charge, ainsi que l’avaient annoncé le Président de la République et le Premier ministre.
D’autres dispositions prévoient un abondement de crédits de 1,7 milliard d’euros – le texte initial en prévoyait 2,5 milliards – du programme 552, « Dépenses accidentelles et imprévisibles », de la mission « Crédits non répartis ». Il s’agit d’un dispositif, permis par l’article 7 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), visant à prévoir ce genre de dépenses. Les collectivités territoriales savent bien comment utiliser ce type de crédits, qui n’est pas contraire, suivant la jurisprudence du Conseil d’État, au principe d’autorisation parlementaire des dépenses. Pour autant, je rendrai évidemment compte de l’utilisation de ces crédits : je m’en suis expliqué auprès du président de votre commission des finances, de son rapporteur général et de la commission tout entière. C’est en leur sein, d’ailleurs, qu’on a pu prendre les 880 millions d’euros destinés à la prime de précarité, par l’adoption d’un amendement du rapporteur général du budget de l’Assemblée nationale.
Ce texte contient, outre ces ouvertures de crédits, des articles très importants : l’article 5 permet ainsi la défiscalisation et l’exonération de charges sociales des primes décidées pour la fonction publique hospitalière, la fonction publique d’État et la fonction publique territoriale. Je rappellerai d’ailleurs, pour cette dernière, que le déchargement porte également sur la part de l’employeur. Les collectivités locales pourront donc verser à l’ensemble des agents, si elles le souhaitent, la prime décidée par le Gouvernement, dans ce plafond de 1 000 euros, sans avoir à payer de charges patronales.
D’autres dispositions concernent l’outre-mer et, singulièrement, les collectivités du Pacifique. La Nouvelle-Calédonie reçoit en particulier un prêt de 240 millions d’euros. Quant à la Polynésie française, nous discutons en ce moment avec M. Édouard Fritch, son président, qui nous a adressé sa demande il y a quelques heures. Nous pensons faire à nos amis polynésiens des propositions pour la trésorerie de cette collectivité qui se concrétiseront sans doute dans un prochain texte financier ; même si le chômage partiel relève des compétences du gouvernement autonome, la République se tient évidemment aux côtés des gouvernements du Pacifique.
Alors, que n’y a-t-il pas dans ce texte ? On n’y trouvera pas les 8 milliards d’euros que le Gouvernement a débloqués pour la santé. Ils relèvent en effet de l’utilisation de l’Ondam, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, et figureront dans le déficit de la sécurité sociale, parmi les chiffres que je donnerai demain à la commission des affaires sociales. Ces données sont extrêmement difficiles à suivre parce que, par définition, les assiettes de cotisation se réduisent énormément en ce moment, dans un temps assez record. Vous avez vu que presque 10 millions de personnes se trouvent en chômage partiel. Par ailleurs, nous suivons de près les dépenses qui relèvent du champ social. Ces 8 milliards d’euros, qui contiennent les annonces de 4 milliards d’euros faites par le Président de la République à Mulhouse, sont bien là, mais ils ne figurent pas dans le budget de l’État que nous vous proposons d’examiner aujourd’hui.
Ne figure pas non plus dans ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, le dispositif d’annulations de charges évoqué par le Président de la République, notamment lundi soir. Ces annulations iront au-delà du report de charges, qui est général et va évidemment continuer au mois de mai pour l’ensemble des entreprises de France qui le souhaitent et en ont besoin. Vous avez été nombreux à nous solliciter sur ce point ; de fait, la Haute Assemblée aura à se prononcer sur de telles annulations sectorielles, parce qu’il faudra adopter des dispositions législatives pour y procéder.
Depuis que la protection sociale a été créée, on n’a jamais annulé de charges sociales par secteurs. Le Gouvernement a déjà pu, sur autorisation parlementaire, annuler des charges sur un territoire donné, notamment en cas de catastrophe naturelle ; c’est ce que j’ai fait pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sur demande du Premier ministre et de vos assemblées, dans les premiers mois de ma présence au ministère. Le Parlement, dans le cadre défini par l’édifice constitutionnel, où cette question fait l’objet d’un contrôle très sourcilleux, peut octroyer des exonérations territoriales spécifiques – c’est le cas des zones de revitalisation rurale, par exemple –, mais nous ne l’avons jamais fait par secteur. Or c’est bien ce que nous allons faire.
Nous avons donc un chemin de crête à trouver entre les annulations qui s’imposent pour les secteurs les plus touchés – le Président de la République les a cités : la restauration, l’hôtellerie, les arts et spectacles, l’événementiel et, de manière générale, les activités touristiques, extrêmement affectées par la crise du coronavirus – et les précautions nécessaires pour que ces mesures soient validées par le Conseil constitutionnel. Il nous faut donc choisir les critères à la fois les plus efficaces et les plus simples, afin d’éviter sur ce point toute dérive technocratique.
Nous avons un double problème, que nous devons résoudre ensemble. Nous vous proposerons, plus tard, une disposition législative à ce sujet, c’est pourquoi, aujourd’hui, j’émettrai un avis défavorable sur les amendements portant sur ce point, afin d’éviter de fragiliser le futur dispositif.
D’abord, nombre d’entreprises ont demandé un report de charges, mais beaucoup ont payé les leurs. Prenons l’exemple des restaurateurs : malgré la fermeture de leur établissement, 40 % d’entre eux les ont payées. Il ne suffit donc pas d’annuler par voie d’amendements ces charges, car cela pénaliserait ceux qui ont joué le jeu.
Je le sais bien, certains de ceux qui ne se sont pas acquittés de leurs charges ont agi ainsi pour des raisons évidentes – ils ne pouvaient pas payer –, mais, selon les experts-comptables, ceux qui avaient de la trésorerie ont payé, alors même que nous avions accordé un délai de cinq jours après l’échéance, pour modifier la déclaration sociale nominative (DSN) et qu’il y a eu des remboursements par les Urssaf.
Par conséquent, il nous paraît inacceptable que l’annulation des charges dans la restauration ne concerne que ceux qui en ont demandé le report et non ceux qui les ont payées. Il faudrait que cela concerne l’ensemble du secteur, mais ce n’est pas facile à faire.
En second lieu, nous devons maintenir les cotisations salariales. En effet, l’annulation des charges ne concerne pas les cotisations salariales, d’abord parce que ces dernières sont payées par le salarié, de manière automatique – un peu comme avec le prélèvement à la source –, lorsque le salaire est perçu, et puis parce qu’elles ouvrent des droits individuels à la retraite et à la protection sociale. Or je ne crois pas que la volonté du Parlement soit de rogner ces droits pour les salariés connaissant des difficultés. Il s’agit donc bien des charges patronales.
En outre, il faut considérer les secteurs. Il y a des secteurs pour lesquels c’est assez simple, comme la restauration. Le Gouvernement a pris un arrêté imposant aux établissements de ce secteur de fermer, avant tout le monde, et nous leur demanderons sans doute de rouvrir après beaucoup d’autres entreprises ; on peut postuler que c’est un fait exceptionnel qui nous pousse à proposer ce secteur.
L’exemple de l’hôtellerie est un peu plus compliqué : ce secteur n’a pas fait l’objet de fermetures par décision gouvernementale. Officiellement, les hôtels sont potentiellement ouverts ; d’ailleurs, parfois, nous les réquisitionnons. Pourtant, très souvent, ils sont vides et ils connaissent de grandes difficultés économiques ; beaucoup ont mis leurs employés au chômage partiel. Du reste, dans nombre de territoires français, la restauration et l’hôtellerie sont liées. Nous devons donc inclure l’hôtellerie dans les secteurs bénéficiant de l’annulation.
Cela nous demande un travail important sur les secteurs à inclure et sur les sous-secteurs qui en sont dépendants. La blanchisserie n’a pas été citée, mais il est évident que ce secteur est en lien avec l’hôtellerie. Les vignerons n’ont pas non plus été mentionnés, mais il est certain que, si les restaurants ne sont pas ouverts, ces producteurs perdent énormément de leur chiffre d’affaires, même si une partie d’entre eux vend quand même au travers de la grande distribution.
Bref, il nous faut faire un travail fin, que le Gouvernement est évidemment disposé à réaliser avec la représentation nationale, en particulier avec les commissions des finances ou des affaires sociales, mais également avec tout sénateur qui le souhaiterait. Nous y travaillons et nous souhaitons disposer d’un maximum de chiffres ; je transmettrai ceux-ci à la représentation nationale dès que je les aurai finalisés.
L’Assemblée nationale a adopté 36 amendements, dont 9 du Gouvernement, qui tendent entre autres à prévoir le relèvement du plafond de l’Unédic. Les dispositions concernées corrigent certaines injustices portant notamment sur les arrêts de travail et sur les indemnités de ceux qui, par exemple, ont arrêté de travailler et qui avaient un enfant à garder. Cela concernait aussi d’autres dispositifs, dont l’octroi de 235 millions d’euros au ministre de l’économie et des finances pour faire face à diverses exceptions à la règle budgétaire que nous nous sommes fixée depuis le mois de décembre, notamment, vous l’avez vu, pour les cirques, les centres équestres et les zoos, qui font vivre beaucoup de nos territoires.
Voilà les quelques mots que je voulais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, pour montrer que ce projet de loi de finances rectificative représente un moment historique. Jamais le Parlement n’aura autorisé le Gouvernement à engager des crédits conduisant à une dette représentant 115 % du PIB et à un déficit représentant 9,1 % de la richesse nationale. Avec votre assentiment – au moins celui de certains d’entre vous–, ce gouvernement aura porté le déficit budgétaire à 185 milliards d’euros, c’est-à-dire au double du montant présenté il y a encore trois mois dans le projet de loi de finances initiale.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, depuis l’instauration de la République sociale en 1945, et même avant, puisque le Parlement n’a pas eu l’honneur de se réunir pendant l’Occupation – cela rappellera des discussions juridiques, mais elles ont été tranchées depuis bien longtemps, je crois : la France n’était évidemment qu’à Londres –, nous n’avons jamais présenté de tels chiffres. Lorsque la crise de 2009 a éclaté, le déficit constaté à la fin de l’année était d’un peu plus de 7 % du PIB. Or c’était déjà le déficit le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous ne sommes qu’au mois d’avril et le déficit s’élève déjà à plus de 9 %…
Bref, même si c’est l’anniversaire d’Olivier Henno, monsieur le président, nous n’avons pas de quoi nous réjouir aujourd’hui !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce n’est pas une surprise, nous voici de nouveau réunis, moins d’un mois après l’examen d’un premier projet de loi de finances rectificative (PLFR 1).
Nous l’avions alors annoncé, les données macroéconomiques nous paraissaient quelque peu optimistes – l’estimation de la contraction du PIB passe d’ailleurs de -1 % à -8 % – et les dispositifs méritaient sans doute d’être ajustés.
C’est pourquoi nous nous réunissons encore aujourd’hui, moins d’un mois plus tard, en assez grand nombre et avec un nombre élevé d’amendements, puisqu’il y en aurait, me dit-on, plus de 330. Cela impliquera de nous réunir demain matin ou de travailler jusqu’à tard cette nuit, puisque la réunion de la commission mixte paritaire était initialement fixée à demain matin.
Je veux dire un mot du programme de stabilité. C’est la période au cours de laquelle, normalement, vous le savez, nous devrions donner un avis sur ce programme. Dans les circonstances actuelles, celui-ci est limité à la simple reprise des éléments, déjà considérables, des PLFR 1 et 2. Messieurs les ministres, nous aurons donc à nous prononcer, au travers des prochains documents, sur les engagements pluriannuels de la France, mais ce n’est pas le débat aujourd’hui.
Quelques mots sur le contexte macroéconomique, notamment la prévision de croissance, fortement révisée. On prévoyait encore une récession de 1 % en mars ; j’avais souligné, avec d’autres, que l’on était évidemment très en deçà de la réalité. Aujourd’hui, le Gouvernement table sur un recul de plus de 8 % du PIB ; c’est sans doute beaucoup plus réaliste et cela constitue, Gérald Darmanin vient de le dire, la pire performance depuis l’après-guerre.
Cela s’explique par la prolongation du confinement au-delà de la période initiale, mais aussi, malheureusement, par le recul d’un tiers de l’activité économique, avec des secteurs – je pense bien sûr au tourisme ou à la construction – qui sont particulièrement touchés, voire, dans certains cas, totalement à l’arrêt. On considère ainsi, si j’en crois les auditions de la commission des finances, que chaque mois de confinement représente une baisse d’à peu près 3 points de PIB. Ainsi, on le voit, toute prolongation du confinement – nous verrons ce qui se passe après le 11 mai prochain – a des conséquences très directes sur notre taux de croissance.
En réalité – là est peut-être la principale incertitude –, tout dépendra non pas de la période de confinement en elle-même, mais de la sortie du confinement et de la capacité de rebond de notre économie. En l’occurrence, messieurs les ministres, le scénario retenu à ce stade me paraît peut-être un peu optimiste. Nous le savons, et vous l’avez indiqué, certains secteurs ne reprendront leur activité que très progressivement. En outre, il y a une épargne de précaution très importante et il n’est pas certain que les Français consommeront fortement demain ; peut-être voudront-ils prendre encore quelques précautions, peut-être leur aversion au risque nous entraînera-t-elle vers un scénario malheureusement plus pessimiste qu’une contraction de 8 %, si ce rebond n’est pas confirmé.
J’en viens maintenant au plan de soutien. Son impact budgétaire était, dans le PLFR 1, assez modeste – nous l’avions souligné –, mais, Bruno Le Maire vient de le dire, le Gouvernement a fait des ajustements relativement significatifs, lesquels conduisent à un plan beaucoup plus massif de soutien à l’économie. Le montant global du plan croît de 20 %, en cohérence avec la prolongation du confinement. Vous avez également accepté de rééquilibrer un certain nombre de composantes du plan, en tenant compte des insuffisances de sa version initiale. C’est la raison pour laquelle, messieurs les ministres, la majorité sénatoriale soutiendra ce plan, en votant le PLFR, quelque peu amendé, bien sûr.
En dépit de ce rééquilibrage – soyons tout à fait complets –, les comparaisons internationales, notamment avec l’Allemagne ou le Royaume-Uni, montrent que le plan français prévoit davantage de mesures de report de charges. Peut-être, si j’en crois Gérald Darmanin, ces mesures se transformeront-elles en dégrèvements dans quelques mois, mais, à ce stade, nous prévoyons moins de mesures budgétaires – à peu près 40 milliards d’euros, dont 24 milliards pour le chômage partiel – que nos voisins allemands, dont le fonds de solidarité est beaucoup plus puissant, et que nos voisins britanniques, qui ont également un dispositif de soutien au chômage partiel. Le plan français révèle une relative parcimonie par rapport au plan allemand, mais, sans doute, la situation budgétaire de départ n’était pas la même…
Conséquence évidente de ce plan, on constate une très forte dégradation de nos comptes publics : un déficit de 9,1 % et un endettement public de 115 % du PIB. Néanmoins, nous devons partager, me semble-t-il, la stratégie gouvernementale, qui consiste à ne pas augmenter les impôts et à mettre en place des mesures qui préservent, autant que possible, le tissu productif.
De fortes incertitudes demeurent sur l’hypothèse de croissance, mais également sur l’élasticité des recettes et sur le chiffrage du coût des mesures de soutien. Bref, ce plan de soutien, nous n’en doutons pas, ne sera pas le dernier, nous aurons des rendez-vous très prochainement ; il faudra, peut-être avant même le plan de relance que nous espérons tous, ajuster ces mesures.
À court terme, l’objectif est évidemment de préserver le tissu productif, dès lors que les coûts de financement sont heureusement, grâce à la politique de la Banque centrale européenne (BCE), d’à peu près zéro. À moyen terme, cet héritage budgétaire ne paraît pas de nature à remettre en cause la soutenabilité de la dette française, à condition que, bien entendu, une fois cette crise passée, nous soyons capables de redresser les comptes publics.
Le budget que vous nous présentez, messieurs les ministres, est, je le dis clairement, un budget qui pare au plus pressé. Je le précise pour nos collègues, car de nombreux amendements ont été déposés – je comprends cette impatience collective à aller vers la relance et vers le rebond de l’économie –, il ne s’agit pas d’un plan de relance. Nombre d’amendements relèvent plus du plan de relance, de mesures de rebond de l’économie. Nous débattrons de cela – nous sommes tous impatients de le faire –, mais, selon le plan du Gouvernement, les mesures prises aujourd’hui restent temporaires et, à mon sens, elles doivent le rester.
Il s’agit ainsi de sauvegarder les emplois menacés, d’apporter, en quelque sorte, une bouée de sauvetage permettant d’aider les ménages, notamment les plus modestes, et les entreprises à rester à flot, à payer leurs factures.
Les chiffres sont, à cet égard, exceptionnels. Le déficit de l’État s’élèvera à 185,4 milliards d’euros, quasiment le double de ce que nous avons adopté dans le cadre de la loi de finances initiale – laquelle prévoyait un déficit, déjà élevé, de 93,1 milliards d’euros –, alors qu’aucune mesure de relance n’a encore été prise. Cette aggravation résulte, d’une part, de la baisse de nos recettes, puisque toutes les recettes de l’État, sauf peut-être celles qui portent sur les jeux en ligne, sont affectées – la TVA, l’impôt sur les sociétés, dont le rendement baisse de 40 %, l’impôt sur le revenu, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) –, à hauteur d’à peu près 32 milliards d’euros, et, d’autre part, bien sûr, d’une très forte augmentation de nos dépenses.
Au-delà du budget de l’État, je veux également souligner les difficultés que rencontreront, à plus ou moins long terme, un certain nombre d’opérateurs de l’État, qui devront faire face à des difficultés. Prenons l’exemple de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), dont le budget est notamment alimenté par des recettes sur le carburant : il n’y a plus de circulation automobile aujourd’hui ; cela posera donc un problème à cette agence. Ce n’est pas le seul cas ; beaucoup d’opérateurs de l’État sont dans la même situation, de même que les collectivités ; nous y reviendrons.
Les dépenses du budget général augmentent de 38 milliards d’euros, qui s’ajoutent aux 6,25 milliards d’euros relatifs aux heures supplémentaires prévus dans le PLFR 1 ; pour la comparaison, cela représente un montant à peu près équivalent à celui d’une mission aussi importante que la mission « Défense ». Les chiffres, nous en convenons tous, sont vertigineux, mais je crois que la situation l’exige.
Logiquement, c’est la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » qui connaît l’augmentation la plus importante de ses crédits, avec le renforcement du fonds de solidarité et le financement de l’activité partielle, qui concerne plus de 9 millions de salariés et représente, à ce stade, 24 milliards d’euros. Le fonds était initialement, le ministre l’a reconnu et je l’en remercie, peut-être excessivement restrictif ; il est très largement amélioré, grâce à des initiatives diverses et variées. Il tient notamment compte de la prolongation du confinement et il vise à préserver le maximum d’emplois.
Un nouveau programme est créé, le programme « Renforcement exceptionnel des participations financières de l’État dans le cadre de la crise sanitaire », et est doté de 20 milliards d’euros. Il vise tout simplement à permettre à l’État de participer au capital d’entreprises en difficulté. Bien évidemment, vous le comprendrez très bien, le Gouvernement ne peut pas publier, à l’avance – il y a eu des débats à ce sujet à l’Assemblée nationale –, la liste des entreprises dans lesquelles il souhaiterait intervenir, si ce sont des sociétés cotées ; le ministre a cité Air France, qui aura évidemment besoin de soutien, mais il y en a d’autres. Néanmoins, nous avons déposé un amendement tendant à renforcer, dans des conditions particulières de sécurité, l’information du Parlement à ce sujet.
Ce projet de loi de finances rectificative prévoit également d’autres mesures. Je pense notamment à la TVA à 5,5 % sur les masques de protection et sur les gels hydroalcooliques, etc.
Mes chers collègues, la commission des finances, qui s’est réunie ce matin, vous propose d’adopter ce texte, qui constitue, je le répète, une bouée de sauvetage et non un plan de relance ; cela viendra et nous vous ferons des propositions, messieurs les ministres. Toutefois, nous souhaitons apporter un certain nombre d’améliorations techniques, au nombre de quatre. Il s’agira d’amendements de soutien à la lutte contre l’épidémie et au déconfinement, avec l’extension du taux de TVA réduit aux tenues de protection, de mesures visant à soutenir tous les salariés ayant travaillé pendant la période de confinement – c’est la question de la défiscalisation et de la « désocialisation » des heures supplémentaires –, du renforcement de l’aide aux entreprises, au travers de la prorogation du fonds de solidarité au-delà du 11 mai pour les entreprises qui ne pourraient pas rouvrir, et d’amendements visant à permettre, sous certaines conditions, des prêts octroyés à 100 % par Bpifrance aux entreprises confrontées à des refus de prêt.
Sans vouloir aller trop loin dans la comparaison avec l’Allemagne, il est indéniable que ce PLFR 2 renforce les moyens du fonds de solidarité, qui sont multipliés par sept.
Par ailleurs, nous souhaitons un meilleur contrôle des participations de l’État, via le renforcement du comité de suivi.
Nous sommes dans l’urgence et la commission des finances ainsi que les groupes majoritaires feront le choix de la responsabilité. Ne nous trompons pas de tempo, nous aurons des propositions à faire sur la relance, mais, aujourd’hui, nous sommes dans le sauvetage et nous souhaitons y contribuer par nos amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marc Gabouty et Mme Nadia Sollogoub applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici en séance pour examiner un deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020, exactement un mois après l’examen du précédent.
Cet exercice était déjà annoncé lors de nos débats du mois de mars ; nous le pressentions, cela s’est confirmé. Très vite, les chiffres présentés dans le premier PLFR – une croissance en baisse de 1 %, un déficit de 3,9 % du PIB, une dette publique en légère hausse – se sont révélés en décalage par rapport à l’ampleur de la crise que nous traversons. Les pertes de recettes fiscales étaient largement sous-estimées, de même que le coût budgétaire du dispositif de chômage partiel.
Dans le présent texte, la chute du PIB est désormais estimée à 8 %, le déficit public serait porté à 9 % du PIB et la dette consolidée à 115 % du PIB. Même s’il s’agit d’un constat sévère et d’une dégradation historique de nos finances publiques, même si, à cette heure, toutes les estimations doivent encore être considérées avec prudence, cet exercice de sincérité des comptes était nécessaire ; il est donc le bienvenu.
Cet effort de transparence devra être poursuivi. Nous le savons, le Gouvernement n’est pas juridiquement contraint de déposer un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, mais tous les paramètres de cette loi sont bouleversés. De même, la crise affecte l’ensemble des politiques publiques et son effet, à la hausse, mais parfois aussi à la baisse, avec un décalage de certaines dépenses – je pense par exemple aux investissements qui ne peuvent être engagés –, devrait être mesuré.
Il ne suffit pas d’affirmer que les ouvertures de crédits budgétaires, annoncées par tel ou tel membre du Gouvernement, seront financées par des économies de constatation ; ces données devront être présentées au Parlement. Il n’est pas envisageable ni raisonnable, du point de vue du pilotage de l’action publique, d’attendre le schéma de fin de gestion pour faire les comptes de chaque mission budgétaire.
Ce projet de loi de finances rectificative permet également de répondre aux observations sur l’insuffisance du premier plan d’urgence, que beaucoup d’entre nous avaient pointée. Je me réjouis que le Gouvernement présente désormais des actions complémentaires, en portant notamment à 7 milliards d’euros le montant du fonds de solidarité pour les entreprises, et en en élargissant les critères d’éligibilité, mais nos voisins allemands prévoient 50 milliards d’euros pour le même objet !
Les mesures pour le personnel soignant et le soutien aux ménages modestes étaient également attendues.
Pour autant, chacun sait que le deuxième PLFR n’est encore qu’une étape ; un troisième projet est d’ores et déjà en préparation, nous dit-on. Il sera celui des arbitrages politiques. Quel sera le plan de relance ? Quels secteurs seront prioritaires ? Surtout, après avoir constaté la sévérité de la crise et de son impact sur nos finances publiques, avec une hausse de la dette publique de près de 20 points de PIB, comment financer cette relance ? Malgré l’accord survenu à Bruxelles, il n’existe pas encore de plan européen de relance ; jusqu’où pourra-t-on aller, à l’échelon national, sans un fort soutien européen ?
Pour ce qui concerne la part de financement national, j’avais avancé, le mois dernier, la nécessité, dans le cadre d’un futur plan de relance, de reconsidérer les allégements très importants de fiscalité, auxquels nous avons procédé au cours des dernières années, pour les détenteurs des plus hauts patrimoines.
Je souhaiterais également que le prochain PLFR prenne en compte la situation des collectivités territoriales, dont les recettes sont très fortement touchées, qu’il s’agisse des redevances ou des produits fiscaux, avec, dès cette année, le versement transport, les droits de mutation, la taxe de séjour, l’octroi de mer, si substantiel pour nos collectivités ultramarines, et, dès l’an prochain, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Toutes les collectivités locales ne pourront pas faire face à cette situation.
La crise actuelle touche toute notre économie, mais des secteurs souffrent plus fortement que d’autres. Devant notre commission, Mme Agnès Pannier-Runacher a indiqué que « la prochaine étape, après l’élargissement du fonds de solidarité, consistera à mettre en place des dispositifs spécifiques à certains secteurs : le tourisme, la culture, l’événementiel, l’hôtellerie et la restauration ». Nous espérons pouvoir examiner ces mesures rapidement, tant ces secteurs sont durement frappés. Au-delà de ces branches, nous souhaitons une prise en compte de la situation des entreprises, quel que soit le secteur, dont les charges fixes non modulables sont élevées.
À l’heure où nous débattons de ce texte, beaucoup d’incertitudes demeurent, et non des moindres, sur les conséquences de la crise sanitaire qui a conduit à mettre notre pays pratiquement à l’arrêt. Le Gouvernement nous demande de lui faire confiance, tant pour les initiatives qui devront être prises pour le redémarrage de l’économie que pour les mesures de sauvetage qu’il devra mettre en œuvre, en ouvrant 20 milliards d’euros supplémentaires pour permettre des recapitalisations, sans connaître les entreprises concernées ni le calendrier de mise en œuvre.
Monsieur le ministre de l’économie et des finances, vous avez indiqué à l’Assemblée nationale qu’il s’agira d’entreprises cotées, privées ou publiques, intervenant dans des secteurs stratégiques et répondant à trois critères de choix : l’indépendance nationale, les technologies et l’emploi. Nous suivrons ce dossier avec une totale attention pour voir quelles seront ces priorités.
La commission des finances restera donc mobilisée, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au cours des jours et des semaines qui viennent, dans son rôle de contrôle et de proposition pour permettre à notre pays de surmonter cette crise sans précédent. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Marc Laménie applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, face à une situation inédite, le Gouvernement a décidé de donner la priorité à l’humain et à la santé. Tout le monde, du moins en France et en Europe – peut-être à une exception près, du côté de la Biélorussie –, s’accordera sur cet impératif sanitaire.
Toutefois, notre pays doit aussi être vigilant à l’égard de son économie et de son fonctionnement social, qui contribuent également à la santé de nos concitoyens. Le scénario économique, pour les semaines, les mois et peut-être les années à venir, est aussi incertain que le scénario sanitaire. Le premier dépend en partie du second, mais pas seulement, et les incertitudes persistantes ne doivent pas brider notre capacité d’action et d’initiative.
Dans l’urgence, nous avons adopté conforme, au mois de mars, un premier PLFR, qui avait un caractère certes incomplet, mais qui avait le mérite de mettre en place les principaux outils d’intervention permettant d’éviter un effondrement de l’économie, la disparition de nombreuses entreprises et une explosion du chômage. Je pense en particulier au dispositif immédiatement mis en place et très vite opérationnel du chômage partiel. J’aurai toutefois une question à ce sujet : lorsque l’on parle de près de 10 millions de chômeurs, est-ce en équivalent temps plein ou en nombre de personnes ? Cela mériterait d’être précisé, car, financièrement, l’impact n’est pas tout à fait le même.
Dans ma question au Gouvernement du 1er avril dernier, j’estimais, messieurs les ministres, que le dispositif adopté méritait d’être amplifié, complété et parfois précisé, et j’appelais à la mise en place d’un fonds de solidarité beaucoup plus ambitieux. Les réponses que nous trouvons dans le PLFR 2 répondent assez positivement à ces remarques. Elles permettent notamment d’élargir le champ d’intervention du prêt garanti par l’État (PGE), malgré les contraintes de l’Union européenne, qui a elle-même adapté, fin mars, son dispositif.
Le fonds de solidarité, quant à lui, change de dimension, avec une dotation totale de 7 milliards d’euros, à laquelle il faudrait ajouter les engagements des régions à hauteur de 500 millions d’euros et ceux des assurances, qui sont passés de 200 à 400 millions d’euros, montant qui n’est d’ailleurs toujours pas à la hauteur des économies qu’elles feront sur les indemnisations pendant le confinement ; cet abondement est tout à fait appréciable, mais probablement encore insuffisant, d’autant que ses modalités de mise en œuvre et son accessibilité ont fait l’objet d’assouplissements et que les mesures sectorielles visant les professions se trouvant dans l’incapacité de reprendre prochainement leur activité ne semblent pas – c’est normal – avoir été totalement intégrées à cette montée en puissance.
Il convient aussi de se féliciter de dispositions complémentaires importantes, comme la dotation supplémentaire de 925 millions d’euros au Fonds de développement économique et social, pour l’octroi de prêts à des entreprises fragiles ou en difficulté et dont le redressement nécessite une restructuration.
Avec un engagement financier d’une autre dimension, la mission « Participation financière de l’État » est dotée de 20 milliards d’euros de crédits, pour renforcer les fonds propres d’entreprises stratégiques. C’est une mesure indispensable.
Les autres mesures à caractère économique et social me semblent, dans leur ensemble, tout à fait pertinentes. Je pense en particulier à celles qui concernent les soignants et tous ceux qui se sont investis au cours de la période – fonctionnaires d’État, agents des collectivités locales et salariés du secteur privé – pour que notre pays continue de fonctionner au minimum.
Nous devons maintenant penser à l’avenir, avec un horizon qui se mesure plutôt, pour l’instant, en semaines, éventuellement en mois pour les optimistes, mais non encore en années. Tout en respectant les mesures de protection sanitaire, notre économie aurait sans doute pu maintenir un niveau d’activité plus élevé que celui que nous avons connu au cours des dernières semaines ; on ne va pas refaire l’histoire, mais un certain nombre d’entreprises, y compris publiques, comme La Poste, ont été très réactives pour mettre le pied sur le frein… Le redémarrage risque d’être hétérogène, suivant la nature des activités, et sans doute un peu chaotique, à la veille d’un été qui suscite bien des interrogations.
En revenant sur les difficultés rencontrées par les entreprises, notamment les plus petites, il conviendrait de donner à celles-ci des garanties, par l’intermédiaire la commission des chefs des services financiers (CCSF), qui réunit les directeurs financiers des différentes administrations – impôts, Urssaf ou autres –, sur la possibilité d’étaler le remboursement de charges sur douze, vingt-quatre ou trente-six mois, une sorte de « crédit fournisseur » de l’administration, qui fait déjà cela pour un certain nombre d’entreprises. En effet, même avec un regain dynamique d’activité, je ne vois pas comment ces entreprises pourraient être en mesure, en juillet ou en septembre, de faire face à un double montant d’échéances. Ce dispositif existe ; autant s’appuyer dessus.
Nous devrons aussi, au cours des prochaines semaines, anticiper, peut-être avec des mesures complémentaires, la reprise, sans doute très progressive, de secteurs d’activité touchant au tourisme, aux loisirs, à la restauration, à la culture et au sport.
Je souhaite que nous puissions aborder la renaissance de ces secteurs lors de notre prochaine réunion, pour examiner un PLFR 3, ce qui serait bien évidemment un excellent signe.
En attendant, le groupe du RDSE approuvera ce PLFR, mais défendra un certain nombre d’amendements et votera pour la plupart de ceux qui seront présentés par notre rapporteur général. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, oui, c’est le deuxième projet de loi de finances rectificative ; il approfondit, amplifie, prolonge le premier, qui devait être ajusté. C’est bien normal ; c’était d’ailleurs attendu, puisqu’il fallait agir vite, dans l’urgence. Maintenant, il faut ajouter un certain nombre de mesures.
Ce qui importe, cela a été dit, c’est de ne pas se tromper de tempo. Nous ne sommes pas encore dans la relance ; nous sommes dans l’urgence ; puis, in fine, viendra – nous l’espérons tous – le temps de la croissance. Il est important de retenir cela, parce que c’est ce qui nous servira de guide dans l’examen et dans le vote des amendements qui seront présentés. Il faut bien différencier les moments successifs, qui vont de l’urgence à la façon dont nous revisiterons un certain nombre de pans de notre économie.
Je me réjouis du climat de nos échanges, notamment au sein de la commission des finances…
M. Jean-François Husson. C’est ça, le Sénat !
M. Julien Bargeton. L’ordre de marche proposé par le Gouvernement ne se heurte pas à une opposition frontale. Au contraire, il rencontre plutôt une forme d’unité ; cela me semble positif pour le pays, car une forme de défiance serait plus néfaste.
Bien sûr, il y a des nuances et des débats – des amendements ont d’ailleurs été déposés –, mais l’annonce de l’adoption de ce projet par la majorité sénatoriale me semble aller dans le bon sens.
Elle témoigne d’un esprit de responsabilité, signe que le Gouvernement a tenu compte des remontées formulées par les sénateurs et par d’autres, Bruno Le Maire y a insisté, pour modifier les premiers dispositifs. En outre, nous partageons le même constat quant à la pertinence des outils utilisés, parce que la situation est inédite. Face à cette crise, nous avons dû arrêter l’économie, même si la décision n’a pas été prise de gaieté de cœur. Il ne s’agit pas d’une crise financière dont on tire les conséquences, mais d’une crise de l’offre et de la demande provoquée par la décision de mettre l’économie à l’arrêt, ce qui est totalement inédit dans l’histoire économique.
Il en découle évidemment des décisions à prendre, principalement le chômage partiel et les prêts garantis, pour sauvegarder au maximum les compétences, les talents et le savoir-faire de nos entreprises sur le long terme. Ces mesures nous rassemblent.
Dans ce contexte, j’insisterai sur trois éléments. Le premier, ce sont les hypothèses. Comment l’économie rebondira-t-elle… ou non ? Quelle sera la répartition entre la reprise de la consommation et l’épargne de précaution ? L’épargne de précaution qui se constitue sera-t-elle durable ? Les Français seront-ils tentés de la conserver ou bien portés par une forte envie de consommation, notamment dans les villes ? Regardons ce qui se passe dans les autres pays. Il faudra s’adapter au déroulement de la situation, en tirer les conséquences et orienter cette épargne si elle devait être maintenue.
Le deuxième élément, c’est le rétablissement des comptes. L’histoire économique nous enseigne plutôt de ne pas augmenter les impôts, quels qu’ils soient, en cas de forte récession, comme le recommandait l’économiste John Maynard Keynes. L’histoire récente nous a montré que vouloir rétablir rapidement les comptes par la hausse fiscale pénalise le retour de la croissance ; on l’a vu d’ailleurs sous deux gouvernements différents, de 2010 à 2014, avec deux vagues successives. Le rétablissement des comptes ne peut pas passer, me semble-t-il, par une augmentation de la fiscalité – c’est un débat que nous aurons.
Enfin, il y a l’après : les mesures qui devront être prises pour enrichir le plan de relance. Gérald Darmanin et Bruno Le Maire nous invitent à formuler des propositions, à poursuivre notre contribution, comme nous l’avons fait pour le premier projet de loi de finances rectificative. Il est bon que les idées foisonnent, mais il faudra aussi établir des priorités et sérier les problèmes. Oui, il y a l’investissement, pour lequel il faudra envisager un crédit d’impôt ou une forme d’amortissement accéléré. Distinguer plus clairement ce qui relève du fonctionnement et de l’investissement dans les règles européennes me semble constituer une priorité. Autre sujet essentiel : les politiques industrielles et les formes qu’elles prendront dans les différents budgets. Voilà quelques-unes des pistes que nous étudierons, j’en suis convaincu, à l’avenir.
En tant que rapporteur spécial, avec Vincent Éblé, des crédits de la mission « Culture », je conclurai en attirant notre attention collective sur le choc énorme de cette crise sur le secteur culturel. Je pense notamment aux acteurs privés, aux indépendants, aux cinémas, aux libraires et à d’autres, qui devront être pris en considération dans les plans à venir. (M. Jean-Marc Gabouty applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, sans surprise, je vais voter les crédits du deuxième PLFR. Ne vous y trompez pas, messieurs les ministres, il s’agit de faire en sorte que vous disposiez des moyens financiers pour répondre aux trois défis que cette situation exceptionnelle nous impose : le défi sanitaire, le défi économique et le défi sociétal.
Le défi sanitaire est loin d’être gagné et si, dans cette période, il n’est pas question d’entrer en polémique, il faudra bien faire un jour le bilan de vos décisions. Je pense notamment aux tests. Tous les pays qui ont maîtrisé au mieux leur situation ont eu une politique massive de tests. En France, il semblerait que l’on s’interroge encore sur lequel choisir… Tous les retards de décision auront un coût humain et financier, et le Gouvernement en est responsable puisque nous lui en donnons les moyens.
En matière économique, là aussi, nous sommes d’accord pour que vous puissiez disposer des marges de manœuvre nécessaires, mais nous devrons comparer l’utilisation de ces moyens avec la pratique de nos voisins. Force est de constater, par exemple, que nous consacrerons trois fois plus de moyens au chômage partiel que l’Allemagne, qui, elle, disposera de sept fois plus de moyens pour le soutien aux entreprises. Surtout, les prises de participation financière de l’État sont de 100 milliards d’euros en Allemagne, contre 20 milliards d’euros en France.
On voit bien qu’une chose est de disposer de moyens financiers, une autre est la mise en œuvre des stratégies. Aujourd’hui, nous avons la responsabilité de vous donner les moyens d’une politique forte. Vous serez responsables de la qualité de sa mise en œuvre. Les Français ont de plus en plus de mal à se tenir confinés. L’espoir d’un rebond fort peut les aider à tenir, mais ne nous y trompons pas : si la problématique de la santé est prioritaire, les dégâts sociétaux consécutifs à une économie chancelante pourraient être considérables. Les Français sont nombreux à s’interroger sur les effets de la valse des milliards. Ceux qui pensent que cela n’aura pas de conséquence se trompent. Demain plus que jamais, nous aurons besoin de citoyens forts, entreprenants, responsables et n’attendant pas tout de l’État. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’examen d’un projet de loi de finances rectificative ne permet évidemment pas d’embrasser tous les aspects d’une loi de finances initiale. Nous sommes dans une situation d’urgence sanitaire, sociale et économique. Cependant, les mesures qui s’inscrivent dans ce PLFR devraient déjà, selon nous, donner des signes clairs quant aux politiques qui seront menées demain. Les choix du moment devraient engager fortement l’avenir de notre société.
Le Gouvernement a décrété d’emblée que notre fiscalité ne serait pas modifiée. Cette crise sanitaire bouscule la planète entière, notre continent européen, et percute de plein fouet la société française, qui souffre de fortes inégalités depuis trop longtemps. L’Insee montrait qu’en 2018 la pauvreté avait augmenté de 0,6 % dans notre pays ; personne ne niera que le confinement est beaucoup plus difficilement supportable quand on est confronté au mal-logement ou à l’absence de moyens numériques pour assurer la continuité éducative des enfants. Cette crise met aussi en évidence la nécessité de services publics forts, celui de la santé d’abord, de l’éducation aussi, ou encore des collectivités locales.
Les discours du Gouvernement, dans la période, tranchent singulièrement avec certains propos tenus au début de ce quinquennat. Ainsi, dans son discours de politique générale prononcé le 4 juillet 2017 à la tribune de l’Assemblée nationale, M. Édouard Philippe déclarait : « Il y a une addiction française à la dépense publique ». M. le ministre Bruno Le Maire, ici présent, lui emboîtait le pas quelques jours plus tard avec ces paroles : « Depuis trente ans, la France est droguée aux dépenses publiques. Oui, il faut les réduire : c’est une question de souveraineté nationale. » Enfin, et j’arrêterai là mon inventaire, la fameuse formule du président Macron, en juin 2018 : « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux ».
Ces propos pourraient-ils encore être tenus aujourd’hui, en pleine crise sanitaire où la dépense publique devient un outil essentiel ? Nous considérons pour notre part que les prochains débats budgétaires se tiendront dans un contexte profondément modifié, où les repères libéraux auront été largement bousculés. Vous faites le choix de financer vos mesures par la dette, et nous avons même entendu un temps très bref un appel à la générosité publique. Or la force d’un État, c’est notamment sa capacité à lever l’impôt. Nous pensons qu’il y a des ressources à solliciter du côté des plus gros patrimoines, des plus hauts revenus, ou encore des dividendes, dont le niveau a battu un record l’an dernier avec 51 milliards d’euros, un chiffre qui fait de la France le meilleur rémunérateur d’actionnaires en Europe. Notre groupe a déposé plusieurs amendements visant à solliciter ces ressources.
Les aides aux entreprises ne sauraient se limiter aux plus grands groupes industriels stratégiques ; il faudra veiller à ce que l’ensemble du tissu économique soit demain en mesure de retrouver rapidement sa vitesse de croisière. Il importe également de conditionner ces aides. L’on ne saurait imaginer l’octroi d’argent public à des groupes qui distribueraient des dividendes, pratiqueraient des licenciements ou auraient des liens avec les paradis fiscaux.
À la date d’aujourd’hui, on estime que la dette de la France pourrait atteindre 115 % du PIB. Tous les dogmes libéraux volent en éclats : déficit à 3 % – on parle aujourd’hui de 8 % –, dette à 60 % du PIB dont nous sommes très loin. Dans cette crise internationale, on a vu des tabous tomber. La banque centrale britannique a pris la décision, le 9 avril dernier, de financer directement le Trésor afin de l’aider à affronter les ravages sanitaires et économiques provoqués par l’épidémie de Covid-19. C’est bien un pilier de la doxa libérale qui s’effondre, à savoir l’indépendance des banques centrales et l’interdiction qui leur est faite de financer directement les États. La Réserve fédérale aux États-Unis a suivi le même chemin et a déjà engagé des moyens illimités pour soutenir l’économie du pays.
Il faudra bien à un moment donné lancer ce débat de fond au niveau européen. Il faudrait, dans les circonstances présentes, redéfinir fondamentalement le rôle de la Banque centrale européenne. Notre pays va donc encore enrichir les marchés financiers et in fine nous ne connaîtrons pas davantage les détenteurs ultimes de nos titres de dette. Avouez que la souveraineté de la France est singulièrement mise en danger !
Les collectivités locales doivent être également particulièrement aidées, pour deux raisons essentielles : elles sont d’abord, avec beaucoup d’autres, aujourd’hui en première ligne, prenant les initiatives les plus diverses pour soutenir et accompagner les populations dans cette crise ; ensuite, ces collectivités seront demain des leviers essentiels dans le redémarrage économique de notre pays – rappelons qu’elles représentent encore 73 % de l’investissement public. Elles ne doivent plus à l’avenir être considérées comme des variables d’ajustement à la baisse de la dépense publique.
Enfin, les aides aux plus démunis dans ce PLFR ne sont pas à la hauteur des enjeux du moment, comme les efforts pour les personnes bénéficiant des minima sociaux, sans compter les demandeurs d’emploi non indemnisés, ainsi que les étudiants boursiers.
Nous nous étonnons également de l’absence, dans ce PLFR, de mesures d’ampleur pour l’éducation nationale. Certes, on y évoque une prime aux enseignants qui ont assuré l’accueil des enfants du personnel soignant, mais la problématique est, selon nous, beaucoup plus globale. L’école, dans ce pays, représente 12 millions d’élèves et 800 000 personnels. Il faudra sans doute, dans un prochain PLFR, prendre des mesures fortes pour aider les élèves en décrochage dans cette période difficile à retrouver le chemin de la réussite, car on connaît l’incidence forte de la sociologie sur la réussite scolaire des élèves.
Ainsi donc, nous considérons qu’il y a beaucoup de manques dans ce projet de loi de finances rectificative et, en l’état, il n’est pas envisageable que le groupe CRCE émette un vote favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en quelques mois, l’épidémie du coronavirus a balayé toutes nos prévisions : un déficit maintenu à 2,2 % du PIB, une dette stabilisée à 100 %, une croissance à 1,2 %… Rarement loi de finances initiale aura été rendue caduque aussi rapidement, et dans de telles proportions !
Le déficit qui plonge à 9 % du PIB, la dette qui s’envole et la récession qui frappe à -8 % : telle est désormais la réalité avec laquelle nous devons composer. La froideur de ces chiffres a de quoi nous glacer le sang.
Nous espérons tous que les conséquences sanitaires de la pandémie seront rapidement limitées, et je souhaite ici m’associer à la douleur de tous nos concitoyens pour qui la période du confinement est aussi celle d’un deuil. Grâce à la mobilisation exceptionnelle de nos soignants, de nos chercheurs et de tout le pays, je suis certain que nous vaincrons le virus.
Cependant, nous savons désormais que les conséquences économiques de la pandémie grèveront longtemps nos finances publiques. Et pour cause : les moyens nécessaires que nous mobilisons pour sauver nos entreprises donnent le vertige. Alors que nous nous apprêtons à voter un projet de loi de finances rectificative qui entérine une dette à 115 % du PIB et sanctionne une dépense publique au-delà de 60 % du PIB, je tiens à le rappeler : la situation est alarmante.
Pourtant, nous devons nous rendre à l’évidence : sans entreprises, pas de reprise. Telle doit être aujourd’hui notre seule préoccupation : préserver le tissu de nos entreprises ; aider nos artisans, nos TPE, nos PME, nos ETI et nos grandes entreprises à passer la crise, à tenir bon, à survivre, ni plus ni moins. La santé a commandé hier la stratégie du confinement pour tous les citoyens. Ce n’est pas terminé, mais l’économie commande aujourd’hui la stratégie du soutien pour les entreprises en difficulté. Au vu de la situation actuelle, le plan de sauvetage de 110 milliards d’euros apparaît malheureusement comme une impérieuse nécessité – une impérieuse nécessité, certes, mais nous devons garder à l’esprit que nous n’avons pas cet argent.
Le plan que nous votons aujourd’hui sera donc financé par les générations futures. C’est encore ce que nous avons de mieux à faire, car mieux vaut transmettre un actif et un passif, c’est-à-dire un bilan, une entreprise, que pas d’entreprise du tout. Mais les générations qui naîtront dans le monde de demain paieront les décisions que nous allons prendre aujourd’hui. Soyons-en conscients.
Le dispositif de chômage partiel s’inscrit dans cette logique. Il s’agit d’une mesure sociale qui s’avère indispensable par la souplesse qu’elle accorde aux entreprises. Elle permet de sauvegarder aujourd’hui les emplois dont nous aurons besoin demain pour relancer l’activité du pays. Le renforcement des deux dispositifs exceptionnels mis en place lors du premier PLFR, le chômage partiel, que je viens d’évoquer, et les prêts garantis par l’État, me semblent aller dans le bon sens : l’État prend à sa charge le financement des conséquences liées à la crise, sans chercher à tout administrer. Le renforcement de ces dispositifs répond aux attentes des acteurs du terrain.
Il en va de même pour la dotation du fonds de solidarité. En totalisant l’abondement supplémentaire de l’État, le concours des régions et la participation des assureurs, désormais un peu plus en phase avec la gravité de la situation, le fonds est aujourd’hui doté de plus de 7 milliards d’euros. Ce rehaussement, accompagné d’une révision des critères d’éligibilité, répond aux attentes du terrain, notamment dans les territoires les plus fragiles.
Un mot, enfin, sur les futures prises de participation de l’État au capital d’entreprises stratégiques. Je salue cette décision indispensable qui matérialise notre souveraineté économique, et je ne doute pas que ces participations seront aussi temporaires que possible. Je regrette seulement que le Parlement ne puisse pas, à ce stade, participer plus activement à la définition de cette stratégie, même si j’en comprends les raisons. Je rejoins en cela la position du rapporteur général de la commission des finances.
Mes chers collègues, en votant le premier PLFR, nous nous doutions bien qu’il y en aurait un deuxième. Et en abordant le deuxième, on ne peut qu’envisager un troisième… Quoi qu’il en soit, les mesures que nous allons voter, même si elles font l’objet d’un débat, et c’est heureux, vont dans le bon sens. Comme je l’ai dit : sans entreprises, pas de reprise. C’est dans cette logique constructive que le groupe Les Indépendants aborde l’examen de ce texte.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Sylvie Vermeillet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la France, comme le reste du monde, est durement affectée par la pandémie de Covid-19. Cette catastrophe sanitaire entraîne dans son sillage une catastrophe économique qui explique que nous nous retrouvions ici pour un second projet de loi de finances rectificative, à peine plus d’un mois après en avoir adopté la première mouture. Dans un contexte exceptionnel où les inconnues sont nombreuses, mesurer l’ampleur des dégâts relève de la gageure.
Le groupe Union Centriste a salué, en mars dernier, la réactivité du Gouvernement, dont la réponse a permis tout à la fois de protéger les salariés et de soulager la trésorerie des entreprises en difficulté. Compte tenu du prolongement du confinement, dont le coût hebdomadaire pour l’économie française est chiffré à près de 20 milliards d’euros par l’Insee, la situation d’un grand nombre de nos entreprises, dans un grand nombre de secteurs, s’est aujourd’hui fortement détériorée.
Dans le présent « collectif budgétaire », le Gouvernement propose de porter de 45 milliards à 110 milliards d’euros le plan d’urgence économique. Le budget dédié au dispositif de chômage partiel voit ainsi ses crédits quasiment tripler, pour atteindre désormais 24 milliards d’euros. C’est une somme considérable, mais non moins nécessaire. De même, les crédits alloués au fonds de solidarité pour les TPE sont revus très nettement à la hausse, à 7 milliards d’euros. Il faut s’en réjouir.
Ce budget rectificatif instaure également un dispositif exceptionnel de soutien aux prêts et aux fonds propres, à hauteur de 20 milliards d’euros, pour les entreprises dites « stratégiques » fragilisées par la crise. Il faudra veiller, messieurs les ministres, et nous y veillerons, à ce que l’État n’investisse pas à fonds perdu dans des activités commerciales en subventionnant aveuglément les investisseurs et les créanciers de ces grandes entreprises. Il est en tout cas heureux que l’Assemblée nationale ait subordonné le soutien de l’État, et à travers lui celui des contribuables, au respect d’objectifs environnementaux. Nous approuvons cette mesure et espérons qu’elle prospérera à l’issue de la navette parlementaire.
Le Gouvernement a fait le choix opportun de plusieurs mesures complémentaires, à la fois bancaires, budgétaires et fiscales, visant opportunément à sauvegarder l’appareil productif français ; et il faudra aller plus loin s’agissant de certaines d’entre elles.
Nous l’avons dit le mois dernier : le report des échéances sociales et fiscales était nécessaire. Mais il est devenu insuffisant à mesure que s’est prolongé le confinement. Nous avons appris, lors de la présentation de ce PLFR « nouvelle version », que 750 millions d’euros allaient être consacrés à des annulations de charges sociales et fiscales, dans le cadre de plans sectoriels concernant l’hôtellerie, la restauration ou encore l’événementiel.
Mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même pensons qu’il sera tôt ou tard inévitable de transformer ce report en annulations pures et simples. Nous déposerons en ce sens un amendement, sans limitation sectorielle, mais à la condition que soient satisfaits certains critères rigoureux, notamment celui du chiffre d’affaires. Notre volonté est non seulement de réserver le bénéfice de cette annulation aux entreprises les plus en difficulté, mais aussi d’en limiter le coût pour les finances publiques.
Nous approuvons évidemment le versement d’une prime exceptionnelle aux agents publics mobilisés dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Cette prime est une juste reconnaissance du travail effectué, s’agissant en particulier des personnels hospitaliers. Mais, pour être tout à fait justes, il nous faudrait aussi marquer notre reconnaissance à tous les autres : songeons en effet aux médecins généralistes, infirmières et infirmiers libéraux, salariés de laboratoires d’analyses et de dépistages, et à toutes celles et tous ceux qui, au péril de leur vie, allant même jusqu’à la donner, ont affronté le danger sans réserve ! Ne pourrait-on pas, messieurs les ministres, prévoir un nouveau dispositif ou calibrer les dispositifs existants de façon à rétribuer leur vaillance ?
Nous le savons, et le rapporteur général l’a rappelé ce matin en commission des finances : la saison des PLFR ne fait que commencer. À travers cet épisode 2, le solde budgétaire se dégrade déjà, par rapport à la loi de finances initiale, de 92 milliards d’euros, pour s’établir à plus de 185 milliards d’euros. « Une fois qu’on a passé les bornes, il n’y a plus de limites », écrivait Alphonse Allais. Mais que ce soit par le canal budgétaire ou le canal monétaire, par la voie nationale ou la voie européenne, chaque euro injecté devra un jour ou l’autre être remboursé. Notre collègue Nathalie Goulet, rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l’État », vous l’expliquerait mieux que moi.
Espérons ainsi que nos débats de ce jour permettent d’esquisser le plan d’investissement qu’il nous faudra, sans tarder, collectivement bâtir pour éviter chacun des écueils. Cela dépendra évidemment des perspectives de la sortie de crise. L’hypothèse privilégiée par le Gouvernement d’un retour rapide à la normale, avec une consommation rebondissant dès le second semestre, nous paraît plutôt optimiste. Les exemples récents sont là pour nous montrer que thésauriser est souvent le premier réflexe après les périodes de tumulte. Nous devrons nous méfier de « la relance pour la relance », souvent dispendieuse. L’épargne devra être drainée le plus rapidement et le plus efficacement possible vers le tissu productif.
Au-delà du choc sanitaire et économique qu’elle provoque dans le pays tout entier, la pandémie de Covid-19 aura un impact particulièrement lourd sur l’ensemble des collectivités territoriales qui, grâce à la proximité des élus locaux avec les administrés, grâce aussi à leur réactivité et leur agilité, ont démontré le rôle primordial qu’elles savaient jouer en ces circonstances si singulières. Pour que leurs initiatives se poursuivent et produisent tous leurs fruits, il faudra veiller, messieurs les ministres, à leur conférer les outils juridiques et financiers leur permettant d’accompagner au mieux nos campagnes, nos villages et nos villes de province…
L’examen du texte par l’Assemblée nationale a déjà permis de notables progrès. Parmi ceux-là, nous nous félicitons de l’abaissement du taux de TVA applicable aux gels hydroalcooliques ainsi qu’aux masques de protection, mesure réclamée par notre président Hervé Marseille.
Nous espérons que l’examen de ce PLFR par la Haute Assemblée permette, dans un esprit toujours constructif, de préserver la vitalité et les forces de notre pays. Enfin, en votre nom à tous, vous me permettrez d’avoir une pensée pour tous nos malades, qu’ils soient hospitalisés ou isolés dans leur domicile. Personne ne s’adresse jamais à eux ! Depuis le début de la crise sanitaire, les malades sont devenus des chiffres ou, pire, ont disparu parce que non comptabilisés. Le Sénat n’étant pas une assemblée à chiffres, adressons donc à tous les malades notre soutien et nos espoirs, notre énergie aussi, parce que leur combat vaut largement le nôtre cet après-midi ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Claude Raynal. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020, dans un contexte à la fois très similaire et très différent du premier. Très similaire, car le pays est toujours confiné et nous sommes toujours en train de lutter contre cette maladie qui le paralyse largement. Mais aussi très différent, car ce deuxième texte nous est soumis alors que nous en savons aujourd’hui davantage sur les conséquences économiques possibles de la pandémie.
Lors du premier PLFR, notre groupe, par la voix de Thierry Carcenac, avait fait part de ses réserves sur le cadrage macroéconomique présenté par le Gouvernement. Les données présentées dans ce deuxième texte le confirment : 9,1 % de déficit attendu pour 2020, 115 % de dette et 8 % de récession. Nous espérons tous que ces chiffres pourront être revus positivement dans les semaines et les mois qui viennent, en tout cas qu’ils ne s’aggravent pas encore, mais ce scénario semble à ce stade cohérent et pertinent.
Se pose dès lors la question, parmi mille autres, de l’impact de la stratégie de déconfinement sur la reprise de l’activité économique. Je veux dire à cet égard, même si je conviens qu’il ne s’agit pas du cœur du sujet, que nous partageons les craintes exprimées par le Haut Conseil des finances publiques : estimer que l’essentiel de l’impact économique concernera le premier semestre de l’année et que le retour à la normale pourrait être rapide et complet nous semble être un pari certes positif, mais risqué quant à l’avenir… et au niveau de nos finances publiques.
Puisque nous abordons la question des chiffres, je voudrais également vous mettre en garde, messieurs les ministres, comme nous l’avons fait dès le premier PLFR, sur le vocabulaire qu’emploie le Gouvernement durant cette crise. Le climat est suffisamment anxiogène pour nos concitoyens pour ne pas ajouter, au-delà des polémiques portant sur la gestion de la pandémie, celles sur les chiffres. Laisser penser que vous injectez 110 milliards d’euros est une manière particulièrement biaisée de présenter les choses. Il y a tout d’abord les 20 milliards d’euros de participations financières de l’État dont on ne sait pas encore s’il s’agit d’une dépense réelle. À ce stade, il s’agit avant tout d’une provision permettant d’agir autant que de besoin pour renforcer nos entreprises. De plus, l’expérience passée montre que ces prises de participation sont, au final, rentables pour l’État. Il y a également 50 milliards d’euros qui relèvent d’avances de trésorerie et pas de dépenses réelles. Il y a également 8 milliards d’euros, au bas mot, qui sont assumés non pas par l’État directement, mais par l’Unédic, même si l’État en assume le portage à ce stade, et 8 milliards d’euros de plus qui sont portés par le budget social et non par le budget général de l’État – je reviendrai plus loin sur ce point.
Je vous épargne l’analyse au milliard près, mes chers collègues, mais je crois que tout le monde comprend l’idée générale : n’en faisons pas trop avec les chiffres, messieurs les ministres, ou plus exactement adoptons moins d’emphase et plus de sobriété dans le discours sur ce point.
De fait, force est de le constater, notre pays n’a pas les moyens de mettre autant d’argent sur la table que nous le souhaiterions.
Après la crise de 2008, vos prédécesseurs, faisant face à une augmentation de la dette, se sont attachés à diminuer le déficit de nos comptes publics. La bien meilleure croissance que vous avez trouvée à votre arrivée pouvait enfin permettre de baisser significativement le niveau de la dette en pourcentage du PIB.
Vous vous y étiez d’ailleurs engagés. Malheureusement, à l’orée de cette crise sanitaire, le niveau de la dette était au plus haut ; vous n’en êtes évidemment pas seuls fautifs, mais nous en payons collectivement le prix aujourd’hui.
Encore faut-il noter que la politique monétaire plus qu’accommodante de la Banque centrale européenne nous permet, malgré tout, de mener l’action publique nécessaire au moment que nous vivons.
J’en viens maintenant à un point qui, pour le groupe socialiste et républicain, est fondamental. Nous nous sommes d’ailleurs régulièrement exprimés sur ce sujet. Au-delà de son coût, c’est la question du paiement de la crise qui nous intéresse. La problématique est d’ailleurs double.
En premier lieu – je reviens sur les dépenses sociales –, nous estimons que ce n’est pas au budget social que devrait revenir le paiement des 8 milliards de dépenses de santé liées au Covid-19. Si vous avez, à juste titre, créé une mission budgétaire spécifique dans le budget général, nous estimons que ces sommes devraient y être portées, d’une part dans un souci de lisibilité financière, d’autre part parce que c’est un enjeu d’information et de vote du Parlement, dans la mesure où vous ne prévoyez pas l’examen d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative. Surtout, nous ne connaissons que trop bien ce sujet. Depuis votre arrivée aux affaires, on creuse de nouveau le déficit de la sécurité sociale. Ces dépenses ne sont pas contestables en soi, mais demain, au lieu de faire porter les efforts sur la solidarité nationale, on déremboursera d’un côté, on coupera dans les dépenses de l’autre.
Finalement, en bout de course, ce seront une nouvelle fois les plus précaires, les malades, et nos aînés qui paieront. C’est la raison pour laquelle nous demandons l’inscription de ces dépenses sociales au budget général : la santé d’aujourd’hui ne doit pas se traduire par un affaiblissement de la santé de demain.
De plus, s’il devait y avoir une prise en charge par le budget général, nous proposons que, sur le modèle des OPEX, cela se fasse non pas dans l’opacité des décrets de reventilation intraprogramme des crédits, mais, pour partie, dans le cadre d’une solidarité de toutes les missions budgétaires.
Cela nous semblerait de nature à favoriser le financement nécessaire à la lutte que nous menons actuellement sur les plans tant sanitaire qu’économique.
Les recettes constituent le second aspect du financement de cette crise. Une nouvelle fois, comme après le premier PLFR, nous n’en trouvons guère trace dans votre texte, monsieur le ministre.
Lors de l’examen du premier PLFR, vous aviez estimé que ce n’était pas le débat et, malgré nos doutes, nous n’avions pas insisté et avions accepté que le sujet soit renvoyé à plus tard.
Nous considérons que plus tard c’est aujourd’hui, et que nous pouvons et devons désormais évoquer les conséquences de cette crise tant pour les finances publiques que pour les particuliers.
Le Gouvernement a d’ailleurs déjà ouvert le sujet. Aux provocations du MEDEF visant à mettre à bas quasiment un siècle de conquêtes sociales…
M. Philippe Dallier. Ce n’est pas caricatural !
Mme Sophie Primas. Ou si peu…
M. Claude Raynal. J’exagère à peine ! (Sourires.)
Plusieurs ministres ont invoqué la nécessité de travailler plus ou la nécessaire remise à plat de la dépense publique.
Mme Sophie Primas. Indispensable !
M. Claude Raynal. On cherche vainement le « en même temps » cher à notre président. Curieusement, rien sur la solidarité nationale nécessaire, rien sur la participation et l’effort des entreprises, une fois l’activité redémarrée, rien sur la participation des plus fortunés d’entre nous, rien sur la contribution du capital à la restauration de nos comptes.
Nous ne repartirons pas avec les recettes du passé ! Nous appelons à davantage de solidarité entre tous et demandons un mécanisme de taxation exceptionnelle du capital. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Enfin, on va faire de la politique !
M. Claude Raynal. Une taxation des revenus ou de la consommation serait bien évidemment contre-productive, nous en convenons sans aucune difficulté, eu égard à la spécificité de la crise économique que nous traversons.
Cependant, rien sur le plan économique n’empêche la mise en œuvre d’un mécanisme de solidarité centré sur le capital. Nous vous ferons plusieurs propositions en ce sens durant les débats.
M. Philippe Dallier. Nous n’en doutons pas !
M. Claude Raynal. Je sens qu’il y aura des accords en la matière !
Nous nous permettrons également de mettre en lumière certains secteurs d’activité et certaines situations sociales pour lesquelles nous estimons que la réponse du Gouvernement gagnerait à être complétée.
En conclusion, monsieur le ministre, nous prenons acte des apports du Gouvernement dans ce deuxième PLFR, notamment pour maintenir le potentiel de croissance de notre économie et faire en sorte que les salariés puissent continuer à vivre et être présents pour la relance. La réponse n’est évidemment pas parfaite, mais elle existe, et le texte gagne en crédibilité par rapport à la première mouture.
Le groupe socialiste et républicain le votera, même s’il souhaite bien entendu obtenir des avancées dans le cadre de notre débat. Il ne s’agit cependant pas d’un blanc-seing, et nous demandons au Gouvernement, dans le cadre de cette lecture au Sénat, d’améliorer sa copie, pour permettre plus de transparence dans la communication et plus de solidarité dans les faits.
Messieurs les ministres, je le dis avec gravité, ne prenez pas le risque d’une fracture citoyenne et sociale au lendemain de la crise. Nous n’avons pas besoin de cela. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a à peine plus d’un mois, le Sénat adoptait à la quasi-unanimité, rappelons-le, le premier PLFR, dont les dispositions visaient à limiter les effets d’une crise économique sans précédent par son origine et son ampleur – nous le pressentions –, conséquence du gigantesque shutdown de pans entiers de l’économie mondiale décidé pour enrayer la pandémie de Covid-19.
À crise exceptionnelle, moyens exceptionnels ! Il fallait effectivement préserver notre tissu économique et l’emploi, pour préserver notre potentiel de croissance et permettre, le moment venu, un redémarrage le plus rapide possible. Il fallait également éviter qu’une crise sociale ne s’ajoute à la crise sanitaire. Nous avons donc évidemment approuvé ces mesures.
Cependant, le vote favorable du groupe Les Républicains ne l’avait pas empêché de formuler plusieurs remarques.
Tout d’abord, messieurs les ministres, vos prévisions macroéconomiques nous semblaient alors bien trop optimistes, avec une croissance affichée en recul de 1 % seulement. Les critères d’accès au fonds de soutien aux entreprises nous paraissaient trop restrictifs et présentaient des « trous dans la raquette ». Par ailleurs, le montant de ces aides était faible. Surtout, il s’agissait pour l’essentiel de mesures de trésorerie – reports de charges et d’emprunts déjà contractés, nouveaux emprunts garantis par l’État –, bien évidemment utiles, mais insuffisantes à nos yeux pour les entreprises qui seraient les plus impactées par cette crise.
Il manquait également la possibilité de faire un geste de reconnaissance sonnant et trébuchant envers toutes celles et tous ceux qui, par leur engagement à leur poste de travail – je pense aux soignants, bien sûr, mais aussi à d’autres personnels, qu’ils appartiennent aux trois fonctions publiques ou au privé –, ont permis la continuité du fonctionnement des services publics, mais aussi des entreprises essentielles à la Nation.
Avec ce second PLFR, vous ajustez fortement vos prévisions macroéconomiques, vous assouplissez l’accès aux premiers dispositifs, que vous élargissez, tout en en créant de nouveaux, et vous instaurez la possibilité de primes. Tout cela est bienvenu, monsieur le ministre, et nous l’approuverons, même si notre groupe va proposer un certain nombre d’amendements sur lesquels reviendra Jérôme Bascher.
Pour ma part, j’en évoquerai seulement un. Il concerne une question importante, dont vous repoussez encore le traitement : il s’agit de ces milliers d’entreprises qui ne pourront faire face à la crise, même avec les nouvelles dispositions que nous allons adopter.
Les plus grandes entreprises, les plus stratégiques, pourront bénéficier du fonds de 20 milliards d’euros que vous créez pour des prises de participations de l’État, voire pour des nationalisations. Quid des autres ? Je pense bien évidemment aux entreprises des secteurs du tourisme, de la restauration, de l’hôtellerie et de la culture, dont la reprise d’activité sera encore décalée dans le temps, probablement de plusieurs mois, et pour lesquelles le chiffre d’affaires qui sera perdu le sera définitivement, parce qu’il n’est pas possible de rattraper une saison ratée.
Il faut répondre à cette question, messieurs les ministres, et vite. Vous dites être bien conscients du problème, mais vous repoussez la prise de décision. Pourtant, ces entreprises, peut-être plus que les autres, ont besoin d’un minimum de visibilité, parce qu’elles sont les plus fragiles et que leur existence même est en jeu.
En ce moment, permettez-moi d’avoir une pensée pour ces artisans, ces commerçants, ces agriculteurs, ces libéraux, ces chefs d’entreprises petites ou moyennes, qui, du jour au lendemain, voient la pérennité de leur activité fortement menacée. Très souvent, c’est l’investissement humain et financier d’une vie. La vie des chefs d’entreprise, contrairement à ce que laissent parfois entendre certains, n’est pas un long fleuve tranquille, au bout duquel il n’y aurait qu’à engranger des bénéfices. Eux aussi, du jour au lendemain, ils peuvent tout perdre sans avoir commis la moindre faute de gestion ou la moindre erreur, uniquement victimes des circonstances.
Nous devons mesurer leur angoisse, ainsi que celle de leurs salariés, et y répondre par des annulations de charges et d’impôts. Il y a urgence !
De manière plus générale, il faut également et très rapidement mettre en place un plan de relance de l’activité économique, qui doit être le pendant du plan de déconfinement sanitaire progressif, annoncé pour le 11 mai prochain, c’est-à-dire demain.
Limiter à 8 % la chute de la croissance, ce que nous espérons tous, dépendra de nombreux facteurs endogènes et exogènes, que vous ne maîtrisez pas tous, messieurs les ministres, ce dont personne ne vous fera le reproche. Si nous voulons avoir une chance de ne pas devoir encore réviser ce chiffre à la baisse, il nous faut très rapidement mettre en place le plan de relance annoncé.
Il faut également nous donner la certitude que le pays disposera des moyens de protection nécessaires pour l’ensemble de la population qu’elle soit active ou non. Sur ce point, il faudra bien expliquer aux Français – mais le temps n’est pas venu –, pourquoi nous avons tant manqué de masques et de tests, alors que d’autres pays ont pu mettre en place des stratégies différentes et, finalement, limiter bien mieux que nous les dégâts humains et, probablement, économiques de cette crise sanitaire.
Sur la base de vos prévisions nouvelles, le déficit public serait donc de 9 % cette année, et le déficit budgétaire d’un peu plus de 186 milliards d’euros après le vote de l’Assemblée nationale. C’est un chiffre considérable, mais c’est le prix que nous devons payer, au risque d’aggraver la crise si nous ne le faisions pas.
Cependant, il faut dès à présent penser à l’après. Depuis la crise de 2009, nous n’avons pas su, contrairement à d’autres, inverser la courbe de notre dette en réduisant suffisamment notre déficit public – sans même parler d’un retour à l’équilibre, ce que certains ont fait. Nous avons ainsi perdu dix ans. Notre dette représentera donc à la fin de l’année 115 % de notre PIB et, paradoxe absolu, alors qu’elle aura exactement doublé, passant de 1 200 milliards d’euros à 2 500 milliards d’euros entre 2008 et 2020, elle nous coûtera moins cher en intérêts cette année qu’en 2008 ! C’est un paradoxe auquel nous devons prêter attention.
Pour le moment, nous n’avons eu qu’une petite tension sur les marchés – 70 points de base, ce qui n’est rien. La politique de la BCE a permis de corriger immédiatement le tir. Toutefois, mes chers collègues, nous devons nous poser la question suivante : combien de temps cela va-t-il durer ? C’est « l’insoutenable légèreté de la dette », comme le disait à l’époque Philippe Marini. Soyons-en bien conscients : plus le temps passe et moins nous réagissons, plus le sort de la France dépend d’aléas, plus nous perdons en souveraineté, parce que nous ne sommes plus maîtres de notre destin.
Quant à l’Europe, si elle a pris des décisions importantes, chacun voit bien où sont ses limites : les pays du Nord, l’Allemagne, les Pays-Bas et d’autres ne sont pas prêts à accepter l’idée même d’une mutualisation d’une partie de nos dettes. Par ailleurs, l’écart se creuse encore entre nos économies, alors que nous partageons la même monnaie. Il y a là un risque majeur.
Si nous approuvons les mesures que vous prenez pour faire face à cette crise, nous voulons en même temps, dès aujourd’hui, réaffirmer ici que le nouveau « nouveau monde » que le Président de la République nous a annoncé ne pourra pas mettre de côté la question de la dette et du déficit public. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le lundi de Pâques, le Président de la République annonçait un déconfinement le 11 mai. Le dimanche suivant, le Premier ministre annonçait un déconfinement le 11, mais… (Sourires.)
Au-delà du jeu de mots, la sortie de confinement est complexe, sans vérité, mais essentielle. Elle doit être précise, car, je le dis solennellement ici, la France ne peut pas se permettre un reconfinement. La reprise en V attendue, un V qui ressemble plutôt au symbole de Nike au fil du confinement, ne doit pas être en W puis en L, comme disent les économistes : ce ne serait alors plus une récession, mais une dépression, avec le risque démocratique de sinistre mémoire qui ne manque pas de s’ensuivre.
Ce PLFR 2, plus réaliste que la réaction rapide et bienvenue du PLFR 1, Philippe Dallier l’a dit, ne donnera sa pleine efficacité que sous deux conditions, déjà évoquées dans le Discours de la méthode de Descartes.
Pour réussir le déconfinement, il faut donner de la clarté et un calendrier, secteur par secteur, mais aussi pays par pays, car, vous l’avez dit, monsieur le ministre, tout doit être coordonné. J’ai peur que l’Union européenne ne passe à côté de l’histoire. L’incertitude et les palinodies sont les armes létales de la reprise. Donnons vite des perspectives avec un PLFR 3, véritable pacte de stabilité et de croissance !
Ensuite, seconde condition, il convient d’écouter et de réagir aux manques que ce plan globalement bien construit et bien calibré laisse entrevoir, malgré votre bonne volonté.
J’en viens à l’esprit qui nous anime : faire remonter les inquiétudes de l’économie réelle oubliées par les administrations centrales, les fameux « trous dans la raquette » des aides. La commission des affaires économiques, sous l’impulsion de Sophie Primas, comme celle des finances, avec Vincent Éblé et Albéric de Montgolfier, mais aussi celle des affaires européennes, avec Jean Bizet, y travaillent.
J’évoquerai tout d’abord trois sujets budgétaires. Il manque des crédits pour la culture, les intermittents, les vacataires du patrimoine, mais aussi pour l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), comme l’ont souligné nos collègues représentants des Français établis hors de France, Robert del Picchia, Christophe-André Frassa, Ronan Le Gleut et Jacky Deromedi.
Il manquera aussi des crédits pour un dispositif, le Fonds d’intervention pour la sauvegarde de l’artisanat et du commerce (Fisac), que Bercy veut faire disparaître depuis vingt ans et que nous défendons ici. Il jouera un rôle clef pour l’après.
Nous avons pensé à un fonds abondé par ceux qui profitent de l’oligopole administratif, créé à la suite de la fermeture de certains magasins.
Car c’est notre grande conviction : les efforts de crise doivent être partagés par tous, banquiers et assureurs, grandes surfaces, État et collectivités, mais aussi contribuables et travailleurs de tout type, syndicats, qui doivent jouer le jeu du travail et du dialogue. (Protestations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.) Et je n’oublie pas les actionnaires, qui peuvent rogner sur leurs dividendes…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est vous qui avez dérivé à gauche !
M. Jérôme Bascher. Il ne doit pas y avoir non plus de trous dans la raquette des efforts.
Plusieurs amendements que nous soutenons visent à améliorer l’efficacité et la justice de ce plan de soutien. Ils sont inspirés du terrain et de nos groupes de travail.
Il s’agit de transformer les reports de charges sociales et fiscales en dégrèvements, notamment pour le secteur des hôtels, cafés et restaurants, ainsi que pour le tourisme, la culture et l’événementiel. Il convient également de rendre certaines sociétés civiles immobilières (SCI) éligibles aux prêts garantis par l’État, de reporter la hausse de la TICPE appliquée au gazole non routier (GNR) dans le BTP, secteur qui se porte fort mal. Il faut aussi introduire, dans la commande publique, des critères locaux, raccourcir les délais pour engager plus vite les chantiers, relever le plafond de défiscalisation des dons et du mécénat liés à la crise sanitaire, baisser la TVA sur les masques et les gels hydroalcooliques,…
M. Jérôme Bascher. … surtout lorsque ce sont les collectivités qui les financent à la place de l’État. Enfin, des prêts devront être directement consentis par Bpifrance, certaines banques ne jouant pas le jeu.
S’agissant des prises de participation, je crois plus à celles de Bpifrance et de la Caisse des dépôts et consignations qu’à celles de l’État, qui se révèle souvent un bien mauvais actionnaire, enfermé dans des injonctions paradoxales.
Ce PLFR pose de nombreuses questions pour la suite. J’en évoquerai trois.
Comment les banques noteront-elles le bilan des entreprises pour l’année 2020 ? Il sera bien évidemment catastrophique. Je rappelle à cet égard que les prêts de trésorerie viennent grever les bilans et sont assujettis à l’impôt sur les sociétés.
Par ailleurs, avec des dépenses publiques représentant 60 % du PIB, y a-t-il de la place pour un plan de relance budgétaire ? Un tel niveau de dépenses est « communiste », ce qui devrait faire plaisir à notre collègue Éric Bocquet…
La montagne des dettes que nous avons contractées est le respirateur artificiel de notre économie. Le fait que les stabilisateurs économiques, très élevés en France, n’aient pas joué leur rôle soulève certaines questions.
Enfin, la réactivité de notre système administratif a montré ses limites. Il faudra déconcentrer, décentraliser, et transformer le préfet en vrai patron de toutes les administrations : agence régionale de santé (ARS), direction départementale des finances publiques (DDFiP) et rectorats compris.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il faut supprimer les ARS !
M. Jérôme Bascher. Faites confiance au local, les élus locaux se sont montrés exemplaires dans cette crise !
Méfions-nous de toutes les tracasseries et complications que la bureaucratie française tente de constituer par atavisme, malgré elle, comme l’a si bien dit Bruno Retailleau.
Penser global, c’est l’objet de ce PLFR. Agir local, ce doit être la souplesse et l’agilité, nécessaires en ces temps de crise, et permettant la déclinaison de ce texte.
Messieurs les ministres, le Sénat joue pleinement son rôle sur ce volet économique et budgétaire comme il l’a fait s’agissant des libertés individuelles, sous l’égide de Philippe Bas.
Le Gouvernement appelle à l’union nationale. Avec le PLFR 1, le Sénat a adopté cet état d’esprit. Avec le PLFR 2, c’est au Gouvernement de montrer le sien : faisons de part et d’autre assaut de modestie et de détermination, face à une crise qui interroge notre humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Bruno Le Maire, ministre. Permettez-moi de revenir rapidement, monsieur le président, sur deux points évoqués par tous les orateurs.
Il s’agit tout d’abord du calendrier et des perspectives économiques dans les semaines et les mois à venir. Je souhaite que nous puissions procéder étape par étape, ne serait-ce que par souci de clarté vis-à-vis des Français.
Le premier temps a été celui de la riposte économique : c’est le plan d’urgence économique que nous avons mis en place et qui est amélioré par ce projet de loi de finances rectificative, lequel tient compte, je le répète, des remontées du terrain, des critiques, des observations et des propositions.
Le deuxième temps est celui de la reprise économique, de la reprise du travail, à partir du 11 mai pour certains secteurs. Nous devrons alors préciser, par des codes de bonnes pratiques, sous quelles conditions pourront se rouvrir un certain nombre de commerces. Ce deuxième temps s’étalera sur plusieurs semaines. Il durera un peu plus longtemps pour certains secteurs comme la restauration, qui sont soumis, nous l’avons tous dit, à des contraintes particulières.
Le troisième temps sera celui de la relance économique. À mon avis, rien ne serait pire que de mélanger les différentes étapes, ne serait-ce que vis-à-vis de nos compatriotes. La riposte est immédiate ; la reprise aura lieu dans quelques jours pour un certain nombre de secteurs économiques ; et la relance est située à un horizon de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, pour être efficace, bien calibrée et coordonnée avec nos partenaires européens.
Ensuite, je ne voudrais pas, devant la représentation nationale, laisser flotter l’idée que le Gouvernement tablerait sur une reprise économique rapide. Telle n’a jamais été notre position. Vous pouvez reprendre toutes mes déclarations depuis plusieurs semaines, j’ai toujours indiqué que la reprise économique serait lente, longue et coûteuse, et je ne retire pas un seul de ces mots. Selon moi, le discours de vérité est le bon discours vis-à-vis des Français.
C’est vrai, cette crise est sans précédent dans notre histoire économique récente. Dans son intensité, elle n’est comparable qu’à la grande récession de 1929. Retrouver des niveaux de croissance économique et de prospérité comparables à ceux que nous avons connus prendra du temps, sera difficile et coûteux. Il vaut mieux le dire dès le départ.
Les raisons en sont très simples et très pratiques. Certains secteurs industriels ont été presque totalement à l’arrêt pendant plusieurs semaines. Les chaînes de valeur ne vont pas se ranimer du jour au lendemain. Il faudra d’abord trouver des matières premières. Regardez ce qui se passe aujourd’hui avec le cobalt, qui permet de fabriquer des batteries électriques ! La République démocratique du Congo a confiné un certain nombre de ses mines dans lesquelles est extrait le cobalt. Ainsi l’approvisionnement en matières premières va-t-il s’avérer compliqué. Je pense également à l’exemple du lithium et à ce qui se passe en Amérique du Sud et dans tous les pays en développement.
Certaines chaînes de production sont très complexes. La construction d’un Airbus nécessite 500 000 pièces ! Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour que la machine redémarre immédiatement : des centaines de sous-traitants doivent se remettre en branle, ce qui est long, lent et difficile. Les chaînes de valeur sont complexes, et nous ne pourrons pas les simplifier du jour au lendemain, sans compter que l’approvisionnement en matières premières peut poser un certain nombre de difficultés.
Par ailleurs, nous sommes dans l’incertitude s’agissant de la situation pandémique tant que nous n’avons pas de vaccin. Or rien n’est plus défavorable à la reprise économique que l’incertitude. En effet, les consommateurs pourraient avoir un comportement de thésaurisation, ce qui les conduirait à abonder leur livret A et leur livret de développement durable. De la même manière, les investisseurs n’aiment pas non plus l’incertitude.
Aucun d’entre nous, il faut avoir l’humilité de le reconnaître, ne peut avoir de certitude pour ce qui concerne la sécurité sanitaire. Nous devons l’accepter, et bien voir qu’elle pèsera sur la reprise économique.
Enfin, troisième raison, la reprise sera lente, difficile et coûteuse parce qu’elle devra s’accompagner de règles sanitaires strictes. Faire fonctionner un commerce en instaurant des règles concernant le nombre de clients par mètre carré, rouvrir un restaurant avec des règles de distanciation, relancer une industrie avec des règles d’accès différentes, relancer des administrations – on le voit à Bercy, Gérald Darmanin peut en témoigner – avec des règles de présence différentes, ce n’est pas simple et cela empêche l’économie de tourner à plein régime ! Je pense notamment à l’organisation de la cantine, mais aussi du télétravail, nécessaire pour s’assurer que les locaux ne sont pas trop remplis.
Je ne fais que vous exposer, avec beaucoup d’humilité, des raisons très simples et très pratiques, pour expliquer que la relance de l’économie sera longue, difficile et coûteuse. C’est mon langage depuis le premier jour, et c’est un langage de vérité. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC.)
M. le président. Mes chers collègues, compte tenu du nombre d’amendements déposés, à savoir 339, et afin d’organiser nos travaux dans de bonnes conditions, je vous propose de suspendre la séance jusqu’à vingt et une heures trente.
Monsieur le président de la commission des finances, pouvez-vous nous indiquer l’heure à laquelle vous souhaitez réunir la commission ?
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Je propose que la commission se réunisse à dix-neuf heures. Il y a en effet un délai nécessaire à l’élaboration du dérouleur par les services de la séance.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Si j’ai bien compris, et pour réorganiser nos agendas, sont prévues une séance de nuit et une séance demain matin.
M. le président. Nous cesserons nos travaux à minuit et demi, pour pouvoir reprendre demain matin à neuf heures et demie, monsieur le ministre.
La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, pouvez-vous nous préciser l’organisation des jours qui viennent, afin que chaque groupe puisse organiser efficacement ses propres travaux ?
M. le président. La réunion de la commission des finances aura lieu à dix-neuf heures ce soir. Nous poursuivrons nos travaux de vingt et une heures trente à minuit et demi. Il est prévu que la séance soit ouverte demain, le matin, l’après-midi et, éventuellement, le soir.
La commission mixte paritaire aurait lieu jeudi à onze heures, et le Sénat examinerait ses conclusions jeudi après-midi.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
3
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du mercredi 22 avril, le matin, l’après-midi après les questions d’actualité au Gouvernement et éventuellement le soir, de la suite du projet de loi de finances rectificative pour 2020.
Le Gouvernement demande également l’inscription à l’ordre du jour du jeudi 23 avril après-midi, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi, initialement inscrites à l’ordre du jour du jeudi 23 avril matin.
Acte est donné de ces demandes.
Il n’y a pas d’observation ?…
L’ordre du jour est ainsi modifié.
4
Loi de finances rectificative pour 2020
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2020.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion des articles.
projet de loi de finances rectificative pour 2020
Article liminaire
La prévision de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques pour 2020 s’établit comme suit :
(En points de produit intérieur brut) * |
|||
Exécution pour 2019 |
Loi de finances initiale pour 2020 |
Prévision pour 2020 |
|
Solde structurel (1) |
-2,0 |
-2,2 |
-2,0 |
Solde conjoncturel (2) |
0 |
0,1 |
-5,3 |
Mesures exceptionnelles et temporaires (3) |
-1,0 |
-0,1 |
-1,7 |
Solde effectif (1 + 2 + 3) |
-3,0 |
-2,2 |
-9,1 |
* Les montants figurant dans le présent tableau sont arrondis au dixième de point le plus proche ; il résulte de l’application de ce principe que le montant arrondi du solde effectif peut ne pas être égal à la somme des montants entrant dans son calcul. |
M. le président. Je mets aux voix l’article liminaire.
(L’article liminaire est adopté.)
PREMIÈRE PARTIE
CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER
TITRE Ier
DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES
MESURES FISCALES
Article 1er
I. – Les aides versées par le fonds de solidarité institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation sont exonérées d’impôt sur les sociétés, d’impôt sur le revenu et de toutes les contributions et cotisations sociales d’origine légale ou conventionnelle.
Il n’est pas tenu compte du montant de ces aides pour l’appréciation des limites prévues aux articles 50-0, 69, 102 ter, 151 septies et 302 septies A bis du code général des impôts.
II. – Le I entre en vigueur à une date fixée par décret qui ne peut être postérieure de plus de quinze jours à la date de réception par le Gouvernement de la décision de la Commission européenne permettant de les considérer comme conformes au droit de l’Union européenne en matière d’aides d’État.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, sur l’article.
M. Jean-François Husson. L’article 1er de ce projet de loi prévoit l’exonération fiscale des sommes versées par le fonds de solidarité des entreprises.
Ce fonds va permettre de porter secours aux très nombreuses TPE et PME et aux professions indépendantes qui doivent – nous en sommes tous d’accord, monsieur le ministre – bénéficier de concours financiers importants en provenance de tous les acteurs économiques de notre pays.
Un débat s’est instauré sur le montant de ce fonds et sur ses modalités de financement qui reposent notamment sur les contributions que vous avez demandées, monsieur le ministre, à certains acteurs économiques. Je pense au secteur des assurances qui a mobilisé 200 millions d’euros, puis 400 millions d’euros. Je pense aussi aux régions. Je voudrais saluer la demande que vous avez formulée et l’effort qui a été ainsi produit.
Il me semble cependant que nous devons aller plus loin en termes de contribution. Eu égard à la gravité de la situation, nous devons appeler solennellement l’ensemble des entreprises qui sont en bonne santé, notamment les grands groupes, qu’ils appartiennent ou non au CAC 40, à apporter une contribution supplémentaire. Beaucoup de ces entreprises ont été bien gérées, vont bien et font des profits, ce qui n’est évidemment pas un gros mot – nous devons respecter ces entreprises. Il est plus facile de donner un coup de pouce supplémentaire, lorsqu’on est riche et bien portant ; c’est même un devoir moral, une exigence.
Je crois que nous devons appeler de nos vœux une nouvelle contribution de la part de ces grandes sociétés. Je suis fier du rayonnement mondial des entreprises françaises et l’heure est suffisamment grave pour leur demander une contribution volontaire. Je citerai uniquement l’exemple de la Française des jeux qui continue de prospérer, alors qu’elle ne vend pas de biens de première nécessité.
Nous aborderons tout à l’heure des propositions visant à augmenter impôts ou taxes. Je ne souscris pas à cette idée ; nous devons aller au-delà par des contributions volontaires versées par ces entreprises au service du redressement de notre pays.
Nous ne devons pas opposer les uns aux autres, mais plutôt rassembler et mobiliser les bonnes volontés. Les grandes entreprises ont un devoir et doivent répondre à une exigence morale : être aux côtés des Français qui sont aujourd’hui victimes d’une crise sanitaire exceptionnelle.
M. Stéphane Piednoir. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, sur l’article.
Mme Sophie Primas. Je voudrais également saisir l’occasion de la discussion de cet article pour évoquer le volume et le fonctionnement du fonds de solidarité qui s’adresse aux TPE, c’est-à-dire à notre boucher, notre boulanger, notre libraire, etc. Les artisans, les commerçants et les autres professions assimilées assurent notre vie quotidienne et constituent un élément essentiel de notre économie, puisqu’ils représentent un emploi sur cinq, 20 % du PIB et 15 % des investissements nationaux. Si ce tissu se déchire, la catastrophe sera non seulement économique, mais elle sera aussi sociale et territoriale.
Le Gouvernement a choisi de soutenir ces entreprises par le biais de subventions. Cet outil est simple et pertinent. Ni l’apport en fonds propres ni l’endettement ne sont adaptés pour ce type d’entreprises.
Pour autant, il semble nécessaire de renforcer encore la taille de ce fonds de solidarité. La commission des finances proposera d’aller dans ce sens et nous soutiendrons cette proposition. Monsieur le ministre, nous devrons certainement revenir sur ce sujet dans un prochain projet de loi de finances rectificative, ainsi que sur les questions relatives aux critères d’accès à ce fonds et au niveau des aides. Ainsi, pour les TPE qui ont un peu moins de dix salariés, l’aide actuelle, qui peut aller jusqu’à 5 000 euros, risque d’être insuffisante.
Un chiffre résume la situation : le fonds de solidarité français qui était initialement doté de 1,5 milliard d’euros atteindra un montant de 7 milliards à l’issue de l’adoption de ce texte, tandis que son équivalent allemand dispose de 50 milliards d’euros pour soutenir le même type d’entreprises. Nous devrons donc revoir l’enveloppe globale de manière significative. Ce texte constitue un progrès, mais il n’est pas suffisant. Nous aurons l’occasion d’en débattre.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. Nous entamons l’examen de ce projet de loi par un article sur le fonds de solidarité.
Je souscris aux propos qui viennent d’être tenus sur le caractère nécessaire de ce fonds dans la période que nous traversons, même si chacun d’entre nous a pu constater sur son territoire qu’il y avait quelques trous dans la raquette que nous devons essayer de combler.
Je pense par exemple aux professions libérales, au secteur du numérique et aux entreprises de onze à vingt salariés, même si nous conservons les critères en termes de chiffre d’affaires et de bénéfice. Je pense aussi à la situation des autoentrepreneurs – livreurs de repas, chauffeurs de VTC, etc. – pour lesquels nous n’avons aucune réponse, monsieur le ministre : vous avez indiqué, lors d’une audition, que ces autoentrepreneurs avaient accès à ce fonds, mais les choses sont bien plus compliquées concrètement sur le terrain.
Nous devrons corriger les choses rapidement, peut-être lors d’un troisième projet de loi de finances rectificative…
Une autre question concerne la manière dont ce fonds est abondé.
Notre collègue Jean-François Husson parle d’une contribution volontaire qui pourrait être liée aux dividendes. En ce qui nous concerne, nous pensons qu’il faut légiférer. Nous ne demandons tout de même pas l’aumône !
En tout cas, le secteur des assurances qui a annoncé verser 400 millions d’euros, mais qui réalise en ce moment un gain compris entre 3 et 3,5 milliards d’euros, ne contribue pas assez ; il faut aller plus loin et, pour cela, légiférer.
Autre secteur qui doit être mis à contribution : l’e-commerce. Il existe aujourd’hui une distorsion de concurrence avec nos commerçants, qui sont fermés. Les droits des salariés sont méprisés. En temps normal, ces entreprises bénéficient d’une optimisation fiscale gigantesque organisée au niveau mondial. Nous devons donc inventer une taxe que j’appellerais volontiers « taxe Amazon ». Il ne s’agit pas de la taxe Gafam qui est déjà en discussion et qui correspond à un autre combat. En ce moment, l’e-commerce fonctionne et on ne peut pas dire que les choses vont mal pour lui : je rappelle que durant la dernière semaine de mars l’action d’Amazon a bondi de 200 euros et que la fortune personnelle de Jeff Bezos a progressé de 13 milliards d’euros depuis le début de la crise. Voilà la réalité ! Elle justifie que nous inventions quelque chose de nouveau.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Je souhaite apporter quelques réponses aux questions qui viennent d’être posées sur le sujet important du fonds de solidarité.
Je partage l’idée que nous devons encore améliorer le dispositif. À cette heure, nous avons reçu 1,088 million de demandes de la part d’indépendants, dont des autoentrepreneurs.
Je voudrais d’ailleurs vous rassurer sur ce point, monsieur le sénateur Gay : les autoentrepreneurs y sont éligibles. Pour autant, n’hésitez pas à me faire remonter des dossiers, si vous avez connaissance de difficultés. Il suffit de se déclarer sur les pages réservées aux particuliers du site impôts.gouv.fr avec son numéro Siret, Siren ou d’autoentrepreneur. Il faut avoir réalisé moins d’un million d’euros de chiffre d’affaires et moins de 60 000 euros de résultat. Je suis évidemment prêt à regarder les choses avec attention, si vous êtes interpellé en ce sens.
Aujourd’hui, nous avons versé 937 millions d’euros à 702 000 indépendants, ce qui constitue d’une certaine manière un « succès » – je mets évidemment ce mot entre guillemets –, et il est important d’adopter le plus rapidement possible cette semaine les nouveaux crédits prévus dans ce projet de loi de finances rectificative pour éviter toute rupture dans le versement des fonds – M. le rapporteur général le sait bien.
Les assurances se sont engagées à verser 400 millions d’euros. Il faut saluer cet engagement, mais nous sommes nombreux à penser qu’elles peuvent faire davantage, y compris sur d’autres aspects de la question comme la couverture assurantielle des pandémies – le ministre de l’économie et des finances travaille sur cette question. À ce jour, les assurances ont versé 185 millions d’euros, il leur reste donc 215 millions d’euros à verser sur les comptes de l’État.
Les régions se sont également engagées à hauteur de 7 % du montant total du fonds de solidarité. Elles n’ont pas encore versé les crédits, mais la Bretagne, l’Occitanie, les Hauts-de-France et la Normandie ont opéré des mandatements correspondants et nous discutons de manière soutenue avec le président de l’Association des régions de France, Renaud Muselier – le Premier ministre tiendra aussi jeudi une nouvelle réunion avec les présidents de région. J’entends souvent dire que les régions souhaitent aider l’économie ; à ce titre, elles seront naturellement les bienvenues, si elles veulent abonder davantage le fonds de solidarité.
Enfin, je signale que certaines entreprises contribuent déjà à ce soutien, parfois sans le dire. J’ai déjà eu l’occasion de citer la société Hermès qui a versé 3 millions d’euros dès le début de la crise et sans contrepartie fiscale. D’autres entreprises regardent la situation de leurs comptes et prennent contact avec nous soit pour aider directement l’hôpital public, soit pour abonder le fonds de solidarité destiné aux indépendants, soit les deux. J’aurai certainement l’occasion, lorsque le gros de la crise sera passé et que l’économie sera repartie, de répondre à vos questions sur la participation de ces entreprises qui sont évidemment les bienvenues et qui ne donnent lieu – chacun le comprendra – à aucune contrepartie fiscale ou sociale.
M. le président. L’amendement n° 142, présenté par MM. Kerrouche, Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Féraud, P. Joly, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian, MM. Bérit-Débat, Joël Bigot, Courteau et Daunis, Mmes Grelet-Certenais, G. Jourda, Préville et Monier, MM. Temal, Todeschini et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 1
Après les mots :
cette propagation,
insérer les mots :
et les aides instituées par les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dans le cadre exceptionnel de l’état d’urgence sanitaire
II. – Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Un décret définit la liste des aides des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
III. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I, compléter cet article par deux paragraphes ainsi rédigés :
…. – La perte de recettes résultant pour l’État du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
.… – La perte de recettes résultant pour les organismes de sécurité sociale du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Les aides attribuées dans le cadre du fonds de solidarité sont exonérées d’impôts et de cotisations sociales, ce qui est une très bonne chose, mais les aides du même type versées aux entreprises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire par les collectivités territoriales et les EPCI à fiscalité propre ne bénéficient pas, à ce jour, des mêmes exonérations.
Cet amendement a pour objectif d’exonérer de toute charge fiscale ou sociale les aides versées par les collectivités comme le sont celles versées par l’État, puisque toutes ces aides concourent à la réalisation du même objectif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je comprends la logique de cet amendement : lorsque les collectivités versent une aide via le fonds de solidarité, celle-ci est exonérée de charges au même titre que les aides de l’État, mais lorsque les mêmes collectivités versent directement une aide, celle-ci est soumise à taxation.
En tout état de cause, l’ensemble des aides publiques versées provient d’impôts ou de dotations elles-mêmes publiques ; il y a donc un certain paradoxe à taxer ces aides. Je suis donc enclin à m’en remettre à la sagesse du Sénat sur cet amendement, mais je souhaite connaître l’avis du Gouvernement sur cette différence d’appréciation.
Il n’est guère logique qu’une aide apportée par l’État dans cette période délicate bénéficie d’une exonération, mais pas celle versée par une collectivité locale. Toutes ces aides répondent en effet à l’urgence de la crise sanitaire. Je prends l’exemple d’une région : l’aide qu’elle verse à une entreprise via le fonds de solidarité sera exonérée, à la différence de celle qu’elle lui verse directement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. L’avis du Gouvernement est défavorable pour deux raisons.
La première est de forme : cet amendement renvoie la définition des aides concernées à un décret, ce qui constitue, me semble-t-il, un cas d’incompétence négative du Parlement qui serait à coup sûr censuré par le juge constitutionnel.
La deuxième est de fond : je crois que nous ne devons pas multiplier les guichets – il n’y aurait rien de pire. Les entrepreneurs nous alertent déjà sur le risque de compliquer les choses, alors même que nous essayons de faire simple.
Le dispositif compte aujourd’hui trois étages qui sont tous les trois défiscalisés et exonérés de charge sociale. Il y a d’abord le fonds de l’État qui permet de verser 1 500 euros au maximum par mois sur le compte de l’entreprise. Il y a ensuite la part instruite par le conseil régional qui permet de verser entre 2 000 et 5 000 euros. Il y a enfin le versement opéré sur le compte personnel de l’indépendant par les Urssaf pour le compte du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), l’ancien régime social des indépendants (RSI). Au total, l’aide peut ainsi atteindre 8 000 euros qui sont entièrement, je le répète, défiscalisés et exonérés de charges sociales.
Si des collectivités locales veulent contribuer au soutien des entreprises et des indépendants, elles peuvent abonder le fonds de solidarité. C’est ce que font notamment les régions qui, en outre, instruisent les dossiers. Nous avons aussi autorisé les régions à contractualiser avec les EPCI qui connaissent bien le tissu économique local et le type d’entreprises et de secteurs d’activité qui sont présents sur le territoire.
Bref, il ne me semble pas pertinent de multiplier les lignes de crédit, d’autant que l’État et les collectivités locales se sont mis d’accord sur le fonctionnement du fonds de solidarité et que les montants alloués à ce fonds sont extrêmement élevés – nous serons peut-être amenés à les augmenter encore lors de nos débats. Je cite un exemple : les aides complémentaires versées éventuellement par les collectivités locales ne sont pas destinées à remplacer les revenus d’un gérant qui n’est pas salarié. Il ne faudrait pas que ces aides de soutien ou de relance viennent en contradiction avec les actions de l’État et du fonds de solidarité auquel participent les collectivités.
Je le redis, l’avis du Gouvernement est défavorable sur cet amendement, d’une part, pour éviter une censure du Conseil constitutionnel au titre de l’incompétence négative du Parlement, d’autre part, pour ne pas multiplier les fonds. Avouez quand même qu’une défiscalisation qui va jusqu’à 8 000 euros nets par mois est un effort important, même s’il est normal dans le contexte actuel.
M. le président. Monsieur Raynal, l’amendement n° 142 est-il maintenu ?
M. Claude Raynal. L’objectif de cet amendement était d’ouvrir un débat et de connaître la position du Gouvernement ; nous savions parfaitement que le fait de renvoyer à un décret posait un problème.
Pour autant, je ne vous suis pas sur le fond, monsieur le ministre. En effet, nous visons des aides complémentaires à celles qui sont versées par le fonds de solidarité qui, nous le savons bien, ne couvre pas toutes les situations. Certaines entreprises par exemple n’y ont pas accès, mais méritent aussi d’être aidées. Ces aides ne sont pas nécessairement fongibles dans le fonds de solidarité mis en place par l’État, leur montant est souvent faible et elles correspondent à des particularismes locaux.
Pour autant, après avoir entendu les explications du ministre et en espérant qu’il sera ouvert à ces situations particulières, je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 142 est retiré.
Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Articles additionnels après l’article 1er
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 85 rectifié, présenté par Mmes Taillé-Polian et G. Jourda et M. Kerrouche, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Les articles modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la même loi :
a) L’article 885 U, dans sa rédaction résultant du 1°, est ainsi modifié :
- le 1 est ainsi rédigé :
« Les taux applicables en fonction de la fraction de la valeur nette taxable du patrimoine sont les suivants :
« - N’excédant pas 400 003 € : 0
« - Supérieure à 400 003 € et inférieure ou égale à 800 003 € : 0,1
« - Supérieure à 800 003 € et inférieure ou égale à 2 000 003 € : 0,5
« - Supérieure à 2 000 003 € et inférieure ou égale à 3 000 003 € : 1
« - Supérieure à 3 000 003 € et inférieure ou égale à 5 000 003 € : 1,5
« - Supérieure à 5 000 003 € : 2 » ;
- le 2 est abrogé ;
b) À la première phrase du second alinéa de l’article 885 S, dans sa rédaction résultant du 1°, le taux : « 30 % » est remplacé par le montant : « 400 000 € ».
II. – Les articles du livre des procédures fiscales modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la même loi.
III. – L’article du code de la défense modifié par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la même loi.
IV. – Les articles du code monétaire et financier modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la même loi.
V. – L’article L. 122-10 du code du patrimoine abrogé par l’article 31 de la loi n° 20171837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la même loi.
VI. – L’article 25 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires modifié par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la même loi.
VII. – Les articles de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la même loi.
VIII. – L’article 16 de l’ordonnance n° 2017-1107 du 22 juin 2017 relative aux marchés d’instruments financiers et à la séparation du régime juridique des sociétés de gestion de portefeuille de celui des entreprises d’investissement modifié par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la même loi.
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Avant cette crise, un grand nombre de nos concitoyens et de nos concitoyennes étaient déjà confrontés à une situation économique très difficile. Parmi les locataires, le taux de pauvreté atteint 35 % en HLM et 23 % dans le parc privé. Il y a bien entendu beaucoup plus de précaires, de personnes en contrats à durée déterminée ou de personnes qui travaillent dans l’économie informelle parmi les locataires que parmi les propriétaires.
C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il faut aller beaucoup plus loin qu’une aide de 150 euros. Nous devons faire en sorte que les ménages les plus fragiles soient aidés plus fortement. Nous devons notamment éviter que ces ménages n’accumulent un endettement important qui serait lié à leur incapacité à régler leur loyer, celui-ci constituant bien souvent la plus grosse part de leur budget.
Cet amendement a donc pour objectif de mettre en place un moratoire sur les loyers pour les ménages les plus en difficulté. Il prévoit également que les propriétaires qui remboursent encore un emprunt sur le bien qu’ils ont mis en location puissent eux aussi bénéficier d’un moratoire sur le remboursement de leur dette afin de ne pas les mettre en difficulté. Pour autant, nombreux sont les propriétaires bailleurs qui sont déjà pleinement propriétaires de leurs biens.
Lors de la discussion générale, le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire a évoqué une épargne de plusieurs dizaines de milliards d’euros qu’il sera nécessaire de réorienter vers l’économie. Si les propriétaires ne perçoivent pas certains loyers, une partie de l’épargne évoquée par M. Le Maire pourrait être réinjectée dans l’économie dès à présent. Les ménages les plus modestes ne peuvent guère épargner et n’ont souvent d’autre choix que la seule consommation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je souhaite seulement indiquer que l’objet de cet amendement ne correspond pas du tout à son dispositif juridique. L’objet tel qu’il est rédigé et tel que vient de le présenter Mme Taillé-Polian vise à créer un moratoire sur les loyers, alors que le dispositif juridique tend en fait à rétablir l’ISF…
M. le président. L’amendement n° 292, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les articles du code général des impôts modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
II. – Les articles du livre des procédures fiscales modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
III. – L’article du code de la défense modifié par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
IV. – Les articles du code monétaire et financier modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
V. – L’article L. 122-10 du code du patrimoine abrogé par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
VI. – L’article 25 quinquies de la loi n° 83-634 portant droits et obligations des fonctionnaires modifié par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
VII. – Les articles de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
VIII. – L’article 16 de l’ordonnance n° 2017-1107 du 22 juin 2017 relative aux marchés d’instruments financiers et à la séparation du régime juridique des sociétés de gestion de portefeuille de celui des entreprises d’investissement modifié par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Vous vous souvenez, mes chers collègues, que nous nous sommes abstenus sur le premier projet de loi de finances rectificative. En effet, nous nous attendions à ce que soient proposées des mesures exceptionnelles, notamment pour mettre à contribution les plus riches. À situation exceptionnelle, effort exceptionnel de l’État et impôt exceptionnel !
M. Pascal Savoldelli. Vous verrez Che Guevara plus tard, monsieur le ministre. Moi, c’est Savoldelli ! (Sourires.)
Votre Président de la République finit son intervention télévisée par une référence aux « jours heureux » et, de votre côté, monsieur le ministre, vous répondez à une question sur l’ISF lors d’une interview sur France Inter – vous voyez donc bien que cette question n’émane pas seulement du groupe communiste, elle intéresse aussi l’opinion publique en général –, en disant que le rétablissement de l’ISF va démoraliser les Français. (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. Pascal Savoldelli. Franchement, il y a bien d’autres choses qui démoralisent les Français en ce moment…
M. Darmanin nous dit que garder la situation telle qu’elle est aujourd’hui va créer des recettes, relancer l’économie et permettre de rembourser la dette… Chiche ! Monsieur le ministre, mettez devant leurs responsabilités tous ceux qui seraient assujettis à l’ISF. Demandez à chacun d’entre eux, s’ils vont effectivement réinjecter leur argent dans l’économie productive !
Nous avons déjà eu ce débat et vous nous dites en permanence : « Pas d’impôt, pas d’impôt, pas d’impôt ! », parce que selon vous les investisseurs vont partir.
Pourtant, l’idée de rétablir l’ISF n’appartient pas seulement au groupe communiste, elle est répandue dans une grande partie de la population française. Certes, cela ne rapporterait que 3 milliards d’euros, mais le symbole serait très important et, de toute façon, nous avons besoin de ces 3 milliards.
Je vais le dire de manière plus solennelle, monsieur le ministre : mettre un mois et demi pour obtenir des masques et ne pas accepter de rétablir l’ISF, cela crée un réel problème de crédibilité.
M. Pascal Savoldelli. Cela vous apprendra à invoquer Che Guevara… (Sourires.)
M. le président. L’amendement n° 293, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Il est institué pour l’exercice budgétaire en cours une contribution exceptionnelle ainsi établie :
I. – Les articles du code général des impôts modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
II. – Les articles du livre des procédures fiscales modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
III. – L’article du code de la défense modifié par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
IV. – Les articles du code monétaire et financier modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
V. – L’article L. 122-10 du code du patrimoine abrogé par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
VI. – L’article 25 quinquies de la loi n° 83-634 portant droits et obligations des fonctionnaires modifié par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
VII. – Les articles de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique modifiés par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
VIII. – L’article 16 de l’ordonnance n° 2017-1107 du 22 juin 2017 relative aux marchés d’instruments financiers et à la séparation du régime juridique des sociétés de gestion de portefeuille de celui des entreprises d’investissement modifié par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est rétabli dans sa rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Mon collègue Pascal Savoldelli vient de proposer de rétablir l’ISF et j’entends déjà les dents grincer…
Selon Mme Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, le rétablissement de l’ISF serait nocif pour les investissements en direction des TPE et des PME. Pourtant, l’ISF incluait une niche fiscale destinée spécifiquement au financement de ce type d’entreprises.
Je ne suis pas sûr qu’elles aient retrouvé l’équivalent lorsqu’on a supprimé l’ISF de la niche fiscale – ce serait un débat intéressant à mener avec vous. Du coup, je suis un peu moins révolutionnaire que mon collègue Pascal Savoldelli et je deviens même pragmatique – j’ai dû être touché par quelque chose… (Sourires.) Vous pouvez toujours rigoler, mais si vous n’êtes pas d’accord avec l’amendement que vient de présenter Pascal Savoldelli, nous vous proposons dans cet amendement de repli que celles et ceux qui étaient touchés par l’ISF soient soumis cette année à une contribution exceptionnelle, comme celle que Jean-François Husson appelle de ses vœux. Pour le moment on expérimente, et puis si le dispositif fonctionne, on le pérennisera – cela vous arrive très souvent.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. L’amendement n° 85 rectifié de Mme Sophie Taillé-Polian devrait être retiré, car il soulève un petit problème de correspondance sur lequel nous reviendrons sans doute.
Sur les amendements qui rétablissent l’ISF et, plus généralement, qui vont augmenter la fiscalité par un certain nombre de contributions, deux raisons nous conduisent à émettre un avis défavorable.
La première est une raison de tempo. Lors de la discussion générale, j’ai indiqué très clairement que c’est dans un esprit de responsabilité que nous abordions ce texte d’urgence, qui constitue un élément du sauvetage des entreprises, notamment pour apporter des moyens aux salariés très gravement touchés par cette crise sanitaire.
Il ne s’agissait sans doute pas, à ce stade, de réécrire la totalité du projet de loi de finances, puisque nous débattrons inévitablement au moment de l’examen du prochain budget de la soutenabilité de la dette et des moyens de financer notre économie. En l’occurrence, nous sommes dans l’extrême urgence, la relance fera d’ailleurs l’objet d’un texte ultérieur qui sera inscrit assez vite à l’ordre du jour, peut-être dès le mois de mai. Aujourd’hui, vouloir réviser la totalité de la fiscalité serait à mon sens contre-productif.
La seconde raison porte plus sur le fond.
Nous estimons de manière générale, et ce raisonnement ne s’applique pas simplement à ces deux amendements, que la réponse ne doit pas être recherchée du côté de l’augmentation de la fiscalité, dans un pays qui détient déjà le record de l’OCDE en termes de pression fiscale.
En revanche, la relance par la mobilisation d’une épargne qui est aujourd’hui en très forte augmentation avec 45 milliards d’euros déposés sur les livrets depuis le début de la crise, est un vrai enjeu : il est plus important de réfléchir à la manière de libérer cette épargne que de penser à augmenter encore le taux de prélèvements obligatoires dans notre pays. Cela ne ferait qu’ajouter de la crise à la crise.
Cet impôt n’est pas spécialement en cause, mais de manière plus générale, l’addition des amendements portés par votre groupe qui visent à créer des surtaxes et à prévoir des augmentations de barème irait totalement à l’encontre des pratiques ayant cours chez nos voisins. Certains regrettent aujourd’hui l’absence de convergence des politiques économiques européennes : en adoptant de telles mesures, la France ferait exactement le contraire de ce que font ses voisins.
M. Jean Bizet. Absolument !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La réponse ne réside pas dans les augmentations d’impôts.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je rejoins les arguments de M. le rapporteur général.
D’abord, ce PLFR 2 ne prévoit pas de mesures fiscales supplémentaires : il comprend des baisses de fiscalité conformément au souhait du Parlement, notamment pour la TVA à 5,5 %, mais aucune mesure de rendement, puisque nous sommes dans l’urgence. Demain, nous proposerons des solutions de relance, mais nous avons déjà eu l’occasion de le dire très clairement, pour nous, la relance ne peut pas se traduire par une augmentation de fiscalité, quelle qu’elle soit.
Donc, sur la forme, pardon de le dire, nous ne sommes pas là pour « récupérer » – si j’ose dire –, par une fiscalité particulière, de l’argent pour le budget.
En revanche, sur le fond, je rejoins les arguments de M. le rapporteur général, car les choses ne nous apparaissent pas aussi claires que vous le dites.
Monsieur Savoldelli, je suis désolé de vous réveiller le matin avec ma voix, mais vous n’avez pas l’air particulièrement choqué… (Sourires.) Puisque vous avez cité mes propos, permettez-moi, puisque j’en suis l’auteur – si modeste soit-il –, d’apporter quelques rectifications à certains raccourcis, qui ne sont pas toujours honnêtes.
Voici le verbatim de France Inter, monsieur le sénateur, lorsque j’ai répondu à la réponse sur l’ISF : « Personnellement, je trouve que les retours en arrière ne font pas de bonnes politiques en avant, et que poursuivre les chimères ne mène à rien. La suppression de l’impôt sur la fortune, remplacé par l’impôt sur la fortune immobilière – je le rappelle, celui-ci rapporte plus que prévu, nous avons d’ailleurs eu l’occasion d’en parler –, a permis, je crois, en partie la baisse du chômage et l’une des meilleures croissances de l’Union européenne. […]
« On a besoin aujourd’hui que les gens qui possèdent de l’argent – pardonnez-moi le style, mais il s’agissait d’une intervention orale – puissent le mettre dans les entreprises pour relancer l’économie. On ne va pas en effet décourager ceux qui veulent investir dans nos TPE et nos PME. Je constate qu’aucun pays en Europe n’a un tel impôt. »
Voilà mes propos exacts ; je n’ai pas fait de lien particulier entre le rétablissement de l’ISF et le découragement de la population française.
M. Pascal Savoldelli. Faible argument !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 94 est présenté par MM. Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Féraud, P. Joly, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian, MM. Bérit-Débat, Joël Bigot, M. Bourquin, Courteau et Daunis, Mmes Grelet-Certenais et G. Jourda, MM. Kerrouche et Jacquin, Mmes Préville et Monier, MM. Temal, Todeschini et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 299 est présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les articles du code général des impôts modifiés par les articles 28 et 29 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
II. – Les articles du code monétaire et financier modifiés par l’article 28 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
III. – Les articles du code de la construction et de l’habitation modifiés par l’article 28 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
IV. – Les articles du code de la sécurité sociale modifiés par l’article 28 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
V. – Les articles du livre des procédures fiscales modifiés par l’article 28 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont rétablis dans leur rédaction antérieure à la publication de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.
VI. – Les articles 28 et 29 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 sont abrogés.
La parole est à M. Thierry Carcenac, pour présenter l’amendement n° 94.
M. Thierry Carcenac. Il est question ici non de l’ISF, mais du prélèvement forfaitaire unique (PFU). En matière de solidarité, si l’on veut rendre la confiance à nos concitoyens, il faut tout de même évoquer les ressources, puisque 15 % des ménages ont bénéficié d’une baisse importante du prélèvement forfaitaire unique. L’objectif n’est pas de revenir en arrière ; il s’agit, par la suppression du prélèvement forfaitaire unique, de faire participer ses bénéficiaires à la solidarité nationale.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour présenter l’amendement n° 299.
M. Éric Bocquet. Dans la droite ligne de ce qu’a dit Thierry Carcenac, je pense que cette proposition fera souffrir certains d’entre vous, j’en suis désolé : après la fortune, les dividendes ! Pourquoi revenir sur le passé ? Parce que 2019 aura été, en France, l’année record en matière de distribution de dividendes, quasiment 50 milliards d’euros, le même niveau qu’en 2007, avant la crise financière. La France est ainsi devenue le premier rémunérateur d’actionnaires d’Europe ! Ce n’est tout de même pas mal… Au nom de la solidarité, on peut faire des appels à la modération de manière très courtoise, mais cela ne marche pas. Il faut des lois pour créer des impôts. C’est pourquoi nous proposons d’abroger ce dispositif du PFU.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Éric Bocquet vient de faire un bref rappel sur l’année 2019. Moi, je ferai un retour en arrière jusqu’en 2013, année où l’on a expérimenté ce que vous proposez. Concrètement, la gauche avait supprimé le prélèvement forfaitaire et réintégré les dividendes dans les revenus soumis au barème de l’impôt.
Or, contrairement à ce que l’on pense, le rapport d’information que j’ai cosigné avec Vincent Éblé à ce sujet a démontré tout simplement que le retour au barème avait produit non pas une augmentation, mais une baisse du rendement de l’impôt.
Par conséquent, si on soumettait les dividendes au barème et non pas au prélèvement forfaitaire unique, on risquerait d’observer le même phénomène qu’en 2013, c’est-à-dire une contraction de nos recettes, ce que nous ne souhaitons pas en ce moment. Voilà la raison de fond.
Sur la forme, comme je l’ai dit à l’instant, ce PLFR d’urgence ne comporte pas de mesures fiscales, et il n’est pas souhaitable de réintroduire le débat sur l’ensemble de la fiscalité, qui aura sans doute lieu au moment de l’examen du projet de loi de finances. Au-delà, il faut être extrêmement prudent, puisque cette contraction de l’assiette fiscale, comme on l’a constaté par le passé, entraînerait des pertes de recettes, contrairement à l’objectif visé.
Dans la mesure où nous ne souhaitons pas reproduire la même erreur qu’en 2013, l’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 94 et 299.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 289, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa du 1 du I de l’article 117 quater du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, en période d’état d’urgence sanitaire tel que défini aux articles L. 3131-12 et suivants du code de la santé publique et jusqu’au 31 décembre de l’année suivante, ce taux est porté à 57,8 %. »
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Dans le prolongement de notre amendement précédent, nous proposons de porter ce prélèvement forfaitaire unique à 75 %,…
M. Philippe Dallier. Allons bon !
Mme Sophie Primas. Rien que ça ?
M. Éric Bocquet. … sachant que les dix premiers groupes du CAC 40, l’an dernier, ont distribué 35 milliards d’euros de dividendes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. En comparant la fiscalité sur les dividendes en Europe, on s’aperçoit que la plupart de nos voisins se sont dotés d’un système de prélèvement forfaitaire afin que les capitaux circulent. Or, si la problématique de l’imposition de la fortune immobilière ne se pose pas dans les mêmes termes, rien n’est plus mobile que les actions et les obligations.
Face à la question de l’attractivité de notre fiscalité, la France a mis en place le PFU et s’est globalement alignée sur un système de prélèvement qui existe dans la plupart des pays en Europe. Le remettre en cause par un taux aussi important – 75 % – serait totalement contre-productif et pourrait soulever des difficultés juridiques en étant considéré comme confiscatoire par le Conseil constitutionnel, comme la jurisprudence nous l’a montré.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je formulerai deux remarques sur cet amendement.
En premier lieu, on voit bien en quoi ce PFU est démocratique. En quoi consisterait l’alternance fiscale, avec l’arrivée d’un gouvernement qui serait, comme vous le souhaitez, monsieur Bocquet, inspiré par une augmentation de fiscalité, notamment sur le capital ? Il n’aurait qu’à ouvrir le robinet du PFU, et ce serait sans doute l’une de ses premières mesures fiscales pour augmenter le rendement.
Nous avons d’ailleurs essuyé beaucoup de critiques au moment de la mise en place du PFU dans notre premier projet de loi de finances, car, en introduisant une flat tax, nous aurions limité le pouvoir du Parlement de fixer le taux de l’impôt. On voit bien qu’il est possible, sous réserve d’une validation par le Conseil constitutionnel, de le moduler pour augmenter le débit du « robinet » du PFU.
En second lieu, monsieur Bocquet – j’espère que l’avenir ne nous le démontrera pas –, une augmentation du taux du PFU ferait sans doute fuir beaucoup de rendement, car, comme l’a très bien dit M. le rapporteur général, nous ne vivons pas dans un monde clos et le capital ne stagne pas. Il y a fort à parier que, si vous augmentez fortement le taux, votre rendement diminuera fortement, peut-être même au point que le prélèvement vous rapportera moins qu’avec le taux actuel fixé par le Gouvernement et par le Parlement.
En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 171 rectifié, présenté par MM. P. Joly et Antiste, Mme Meunier, M. Marie, Mme Rossignol, MM. Duran, Tissot, M. Bourquin, Montaugé et Vaugrenard, Mmes Tocqueville et G. Jourda, M. Daudigny, Mme Grelet-Certenais, MM. Joël Bigot et Houllegatte, Mmes Préville et Taillé-Polian, M. Devinaz, Mme Jasmin et M. Mazuir, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I.– Les deuxième à dernier alinéa du 1 du I de l’article 197 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l’article 2 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, sont remplacés par sept alinéas ainsi rédigés :
« – 9 % pour la fraction supérieure à 10 064 € et inférieure ou égale à 25 659 € ;
« – 24 % pour la fraction supérieure à 25 659 € et inférieure ou égale à 49 514 € ;
« – 31 % pour la fraction supérieure à 49 514 € et inférieure ou égale à 73 369 € ;
« – 44 % pour la fraction supérieure à 73 369 € et inférieure ou égale à 157 806 € ;
« – 49 % pour la fraction supérieure à 157 806 € et inférieure ou égale à 280 000 € ;
« – 54 % pour la fraction supérieure à 280 000 € et inférieure ou égale à 480 000 € ;
« – 60 % pour la fraction supérieure à 480 000 € ».
II.– La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Cet amendement, comme le suivant, vise à la fois à trouver des ressources pour que l’État puisse faire face à ses dépenses nouvelles et à améliorer la justice fiscale dans notre pays.
L’amendement n° 171 rectifié a pour objet de diminuer la fiscalité pesant sur les ménages les plus modestes, qui sont les plus durement touchés par la crise, et, en contrepartie, d’augmenter l’impôt sur le revenu des Français les plus aisés.
L’amendement n° 170 rectifié est un amendement de repli qui vise simplement à créer des tranches supplémentaires jusqu’à 54 % pour les ménages les plus aisés.
Cela dit, nous sommes très loin de la fiscalité qui a été appliquée à l’époque de Roosevelt – jusqu’à 81 % –, et nos perspectives économiques sont à peu près les mêmes que lors de la crise de 1929, voire pires si l’on en croit les annonces qui nous sont faites. Sous Kennedy, le taux de 75 % est encore applicable pour la tranche supérieure de revenus. De plus, en France, le taux moyen de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu a avoisiné les 60 %, pendant une cinquantaine d’années, et les 65 % dans les années 1980.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Sans la CSG !
M. le président. L’amendement n° 170 rectifié, présenté par MM. P. Joly, Antiste et Joël Bigot, Mme Grelet-Certenais, MM. Marie et Lozach, Mme Conconne, M. Jacquin, Mmes Meunier et Rossignol, MM. Duran, Tissot, M. Bourquin, Montaugé et Vaugrenard, Mmes Tocqueville et Guillemot, M. Houllegatte, Mme Préville, M. Leconte, Mme G. Jourda, M. Daudigny, Mme Taillé-Polian, M. Devinaz, Mme Jasmin et M. Mazuir, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les deuxième à dernier alinéa du 1 du I de l’article 197 du code général des impôts, dans leur rédaction résultant de l’article 2 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, sont remplacés par six alinéas ainsi rédigés :
« – 11 % pour la fraction supérieure à 10 064 € et inférieure ou égale à 25 659 € ;
« – 30 % pour la fraction supérieure à 25 659 € et inférieure ou égale à 73 369 € ;
« – 41 % pour la fraction supérieure à 73 369 € et inférieure ou égale à 157 806 € ;
« – 45 % pour la fraction supérieure à 157 806 € et inférieure ou égale à 280 000 € ;
« – 49 % pour la fraction supérieure à 280 000 € et inférieure ou égale à 480 000 € ;
« – 54 % pour la fraction supérieure à 480 000 €. »
Cet amendement a été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. J’entends bien ce qui a été dit à l’instant, mais ces taux marginaux aussi élevés ont été fixés à une époque où la contribution sociale généralisée (CSG) n’existait pas. Par conséquent, à cette fiscalité de tranche marginale doit s’ajouter la CSG, qui est applicable à l’ensemble des revenus. En effectuant ce cumul, on arrive à des taux d’imposition qui sont sans commune mesure avec ceux que vous citez, monsieur le sénateur.
Je rappelle, comme je le fais lors de l’examen de chaque projet de loi de finances, l’hyperconcentration de l’impôt sur le revenu, puisque 20 % des foyers les plus aisés ont acquitté 85,1 % de l’impôt en 2017, taux qui était plus proche de 84 % en 2016.
Donc, cette concentration a augmenté, notamment dans le dernier projet de loi de finances où le Gouvernement a, au contraire, baissé l’imposition des ménages les plus modestes. Aller au-delà de 85 % semblerait déraisonnable : d’une part, nous ne sommes pas dans le tempo du projet de loi de finances, et, d’autre part, le PLFR doit être limité aux mesures d’urgence qui sont les plus attendues par nos concitoyens.
La commission émet un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable pour les raisons invoquées par M. le rapporteur général.
Ces discussions autour de l’impôt sur le revenu me permettent de répondre à la question de la baisse des recettes attendues dans ce deuxième PLFR, évoquée lors de la discussion générale. Cette baisse n’est pas encore pas tout à fait bien cadrée par la direction du budget ou par la direction de la sécurité sociale, mais il est prévu près de 6 milliards d’euros d’impôt sur le revenu en moins par rapport au PLF présenté en décembre dernier et environ 4,5 milliards d’euros en moins par rapport au premier PLFR.
Cela me permet de souligner également devant vous la grande vertu du prélèvement à la source, puisque, aujourd’hui, des centaines de milliers de contribuables peuvent moduler le taux qui leur est applicable, afin de payer moins d’impôts s’ils sont au chômage partiel, et ce même sans modifier le taux d’imposition. En outre, plus de 100 000 indépendants ont depuis trois semaines supprimé ou reporté des acomptes : soixante-dix fois plus de reports ont été enregistrés depuis les quinze derniers jours qu’au cours de toute l’année dernière.
L’impôt à la source s’adapte à la vie des Français pour le meilleur et pour le pire – en l’occurrence pour le pire : on supprime des impôts, on baisse des recettes pour aider les Français à maintenir leur trésorerie.
M. le président. L’amendement n° 291, présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 1 du I article 223 sexies du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au deuxième alinéa, le taux : « 3 % » est remplacé par le taux : « 8 % » ;
2° Au dernier alinéa, le taux : « 4 % » est remplacé par le taux : « 10 % ».
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. On a discuté plusieurs fois de la question de l’impôt et des recettes de l’État. Vous l’avez dit vous-mêmes à plusieurs reprises lors de nos échanges politiques dans le cadre de la loi de finances, mais aussi sur d’autres sujets, il existe deux lignes de partage, des stratégies et des explications différentes.
Pour notre part, nous pensons que nous sommes depuis assez longtemps dans un cycle politique, avec des réductions d’impôts telles que certains sont de moins en moins contributeurs, et avec des baisses de cotisations sociales qui ont participé à la progression de la dette publique – les comptes sont là, mais je ne vais pas faire l’inventaire ici – sur plusieurs décennies.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons la contribution des plus riches, sans demander de les imposer pour le principe et sans les « mettre sur la paille » – excusez cette expression familière –, d’autant qu’une part seulement d’entre eux investissent dans l’économie.
Cet amendement, nous vous l’avions déjà proposé lors du premier projet de loi de finances rectificative, afin de faire passer le taux de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus de 3 % à 8 % sur la fraction du revenu fiscal de référence situé entre 250 000 euros et 500 000 euros, et de 4 % à 10 % pour les revenus supérieurs à 500 000 euros pour les contribuables célibataires, veufs, séparés ou divorcés, et pour les revenus supérieurs à un 1 million d’euros pour les contribuables soumis à l’imposition commune. Honnêtement, où est la catastrophe ? Ne croyez-vous pas que cela remontera le moral des Français et leur redonnera un peu d’espoir quand ils constateront qu’on se retrousse tous les manches ? À un moment, il faut un effort de solidarité exceptionnel, qui ne viendra pas spontanément.
Donc, peut-être que vous allez rejeter notre amendement, mais il faut comprendre ce qui va se passer, qui n’a évidemment pas une valeur universelle : le premier projet de loi de finances rectificative visait à traiter les urgences, qui ont toujours un caractère politique ; aujourd’hui, au moment du deuxième projet de loi de finances rectificative, cette question revient dans le débat. Si on nous oppose une fin de non-recevoir en nous expliquant qu’il est irresponsable de passer de 3 % à 8 %, et de 4 % à 10 % pour de tels revenus, ce n’est pas du dogme, ce n’est pas de la posture, mes chers collègues ; ce sera un élément identitaire qui justifiera, pour nous, le fait de ne pas voter ce projet de loi de finances rectificative.
Il faut le reconnaître : il existe plusieurs options et une façon de construire les urgences politiques du moment et de préparer l’après. Croyez-moi : nous avons le souci de la croissance en mettant un peu à contribution ceux qui, d’après ces chiffres-là, sont tout de même assez riches.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je me suis déjà exprimé sur la concentration de l’impôt sur le revenu, rappelant que 20 % des contribuables payaient précisément 85,1 % de l’impôt en 2017. Au-delà, je pense que nous avons une différence d’approche très nette, car nous considérons, au sein du groupe majoritaire, que la réponse ne réside pas dans l’augmentation de la fiscalité pour un pays qui détient le record des pays membres de l’OCDE. Il existe sans doute d’autres moyens d’assurer la relance comme l’épargne, qui est un vrai sujet, de redonner de la confiance, de faire en sorte que l’épargne, au lieu de rester contrainte du fait de l’absence de consommation ou de devenir une épargne de précaution du fait de la peur, soit utilisée pour la consommation et les investissements.
En tout état de cause, augmenter les prélèvements obligatoires, dans un pays qui est aujourd’hui le plus fiscalisé d’Europe, serait totalement déraisonnable. C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Les débats que nous avons sur les premiers amendements de ce PLFR ont un petit goût d’été 2012. Pourtant, à l’époque, on n’entrait pas dans la crise, on commençait, en tous les cas on l’espérait, à pouvoir en sortir. Mais souvenez-vous de ce que vous avez fait cette année-là. Sur les mêmes arguments, à l’été 2012, après la victoire de François Hollande – vous vous en souvenez, monsieur Savoldelli ? –, qu’avez-vous fait ? Vous avez dit : il faut réduire les déficits, il faut dépenser plus, et pour cela, on va utiliser le levier fiscal de 30 milliards d’euros.
Que s’est-il passé dix-huit mois plus tard, en décembre 2013, lors des vœux du Président de la République au Français : machine arrière toute ! Si, pendant les dix dernières années – je veux bien exclure la période 2007 –, si, pendant le quinquennat de François Hollande, nous n’avons pas réussi à relancer la croissance ni à inverser la courbe du chômage et de la dette, c’est certainement parce que, à l’été 2012, vous vous êtes trompés en écrasant les entreprises et les particuliers d’impôts.
Ayez un peu de mémoire ! De grâce, ne commettons pas les mêmes erreurs, surtout au moment où nous entrons dans une crise qui est encore plus grave que celle de 2008 !
Au demeurant, alors que je suis sénateur depuis 2004, je me réjouis d’avoir entendu mon collègue Fabien Gay vanter les mérites des niches fiscales ! (Sourires.) Vous avez dit que l’ISF-PME n’était pas si mal, car il permettait d’orienter…
Au fait, pourquoi a-t-on créé autant de niches fiscales dans ce pays ? Parce que les impôts étaient trop lourds et que les dispositifs créés visaient à les alléger – nous avons suffisamment critiqué ce procédé les uns et les autres.
Mes chers collègues, nous ne discutons pas aujourd’hui d’un projet de loi de finances. La situation, c’est l’urgence ; il faut répondre à cette crise, mais de grâce, n’assommons pas de nouveau les Français d’impôts ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Puisque vous parlez de mémoire, monsieur Dallier, je vous répondrai que l’été 2012 a été précédé par le printemps 2012, qui connaissait un déficit de 5,1 %. Vous ne pouvez pas le nier. En outre, à l’époque, la croissance était de 0 %, et à la fin du quinquennat, elle était de 1,7 % et un déficit ramené au-dessous de 3 %.
M. Philippe Dallier. À quel prix !
M. Patrick Kanner. Alors, si votre mémoire est sélective, sachez que, chaque fois, nous vous rappellerons votre propre bilan « à l’époque ».
M. Jean-François Husson. Le vôtre ne mérite pas d’être rappelé !
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. On a effectivement la mémoire sélective. Nous n’allons pas continuer longtemps à vous l’opposer, monsieur Dallier, mais puisque vous citez la date de 2012, qui est certes intéressante, je vais en citer une autre : 2009,…
Mme Sophie Primas. Et la crise ?
M. Claude Raynal. … le choc fiscal à l’origine duquel on trouve « à l’époque » des amis à vous – je ne les citerai pas –, et qui a représenté 40 milliards d’euros.
M. Philippe Dallier. Était-ce une raison pour en rajouter ?
M. Claude Raynal. Donc, je vous en prie, arrêtons avec ça !
Quel est l’objet de ces amendements ? On ne peut pas se contenter de dire : « Travaillons plus ! » Ce sujet peut être débattu, mais ça ne peut pas être le seul. On ne peut pas dire non plus : « Il va falloir demain diminuer la dépense publique et donc les services publics. » C’est un sujet, mais ce n’est pas le seul. En revanche, il faut mettre sur la table un certain nombre de sujets concernant la fiscalité du capital. Tel n’est peut-être pas l’objet du débat d’aujourd’hui, mais nous voulons qu’on en parle !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 96 est présenté par M. P. Joly, Mme Perol-Dumont, MM. Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Féraud, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian, MM. Lozach et Antiste, Mmes Conconne, Meunier et Rossignol, MM. Duran, Tissot, M. Bourquin, Montaugé et Vaugrenard, Mmes Tocqueville, Guillemot et Grelet-Certenais, MM. Joël Bigot et Houllegatte, Mme Préville, MM. Leconte, Bérit-Débat, Courteau et Daunis, Mme G. Jourda, M. Kerrouche, Mme Monier, MM. Temal, Todeschini et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 290 est présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au V de l’article 235 ter ZD du code général des impôts, le taux : « 0,3 % » est remplacé par le taux : « 0,5 % ».
La parole est à M. Patrice Joly, pour présenter l’amendement n° 96.
M. Patrice Joly. Notre amendement vise à augmenter le taux de la taxe sur les transactions financières, de manière à dégager une ressource qui pourrait s’élever à plus de 1 milliard d’euros et être réorientée sur l’aide publique au développement en faveur des pays en difficulté, en Afrique ou en Asie, pour qu’ils puissent mener une politique sanitaire à la hauteur de l’urgence et des enjeux actuels, sachant que la pandémie touche le monde entier.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 290.
M. Fabien Gay. Notre amendement vise à augmenter le taux de la taxe sur les transactions financières à 0,5 %, ce qui pourrait rapporter 1,2 milliard d’euros.
En réalité, le débat est maintenant de savoir qui va payer la crise. Vous avez commencé à y répondre, puisque le Gouvernement, la droite et le Medef portent depuis dix jours des propositions en vue d’alléger les 35 heures, de rogner les RTT et les congés payés dans la prochaine période pour relancer l’économie. Autre option : il va falloir, comme l’a indiqué M. Husson au début de notre discussion, que les plus riches contribuent.
Nous avons proposé plusieurs séries d’amendements : le retour de l’ISF, vous nous dites non ! Partiellement, pour une année : non ! La contribution exceptionnelle sur les hauts revenus : non ! Toujours non… Là, j’attends la réponse, mais je sais déjà que, même à une augmentation du taux de la taxe sur les transactions financières à 0,5 %, vous direz non !
Donc, allez au bout de votre raisonnement et dites que les mesures que nous avons prises dans le PLFR 1 sur l’allégement du code du travail vont se prolonger, y compris après la crise sanitaire, et que vous ferez peser sur les salariés de ce pays la relance économique. C’est ce que vous voulez et, à un moment, il faudra que vous soyez francs.
Vous refusez systématiquement toutes nos propositions, comme c’est le cas depuis la reprise de la séance, mais vous continuez à dire qu’il va falloir que tout le monde se retrousse les manches et contribue à l’effort général. Pascal Savoldelli vous propose de faire appel aux plus hauts revenus, soit 1 % des salariés, dont les salaires dépassent 250 000 euros – ce n’est pas donné à tout le monde –, car il est normal, dans les moments que nous traversons actuellement, de les solliciter un peu plus que d’habitude.
La question des dividendes est en train de monter partout. Il faut décider leur annulation pure et simple pour cette année, comme au Danemark, au lieu de moduler les options.
Pour finir, vous aviez dit que les entreprises qui profiteraient du chômage partiel ou du prêt garanti par l’État (PGE) ne pourraient pas verser de dividendes. Or Vivendi distribuera 695 millions de dividendes, alors que ses deux filiales, Canal Plus et Vivendi village ont fait appel au chômage partiel. Donc, pour Vivendi, c’est fromage et dessert ! Acceptez-vous cela, monsieur le ministre ?
M. le président. En attendant, mon cher collègue, vous avez pris de la TVA sur le temps de parole… (Sourires.)
Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Aujourd’hui, le CAC 40 a terminé en baisse de 3,7 %, me semble-t-il. Assurément, c’est le bon moment pour taxer davantage les achats d’actions françaises… C’est le meilleur signal pour inciter les Français à revenir vers la bourse !
On l’a maintes fois rappelé : dans une économie ouverte, une Europe ouverte, la France se distingue par une taxe sur les transactions financières que nos voisins ne connaissent pas. On fait en ce moment beaucoup de comparaisons, notamment avec l’Allemagne, qui semble avoir de meilleures recettes que la France sur le plan sanitaire, mais aussi économique. Eh bien, l’Allemagne, comme la plupart des autres pays européens, n’a pas de taxe sur les transactions financières.
Alors que nos compatriotes se défient des achats d’actions, il serait totalement contre-productif d’aggraver cette taxe, qui frappe, je le répète, non pas les ventes, mais les achats de valeurs. Avis défavorable sur les amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Ce débat n’est pas médiocre : comme toujours avec les élus communistes, deux pensées, donc deux stratégies s’affrontent – M. Savoldelli a eu raison de le souligner. Le Parlement, le Gouvernement sont là pour mener la controverse en essayant de comprendre les arguments des uns et des autres.
En somme, deux questions sont posées.
La seconde, un peu accessoire : faut-il supprimer les dividendes ou cela fragilisera-t-il l’économie de notre pays ? Le rapporteur général a répondu sur ce point. Au reste, monsieur Gay, on verra ce que vous direz des 20 milliards d’euros que nous ouvrons à l’Agence des participations de l’État pour entrer au capital de certaines entreprises, parfois pour les nationaliser – ceux qui me connaissent savent que cette idée n’est pas à mes yeux négative, quand bien sûr elle ne procède pas d’une idéologie.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas prévoir des modérations et des conditions ; d’ailleurs, c’est ce que le Gouvernement a fait. Mais vous savez bien, monsieur le sénateur, que la suppression générale de la distribution des dividendes, touchés certes par des personnes très riches – je vous l’accorde bien volontiers –, mais aussi par de nombreux petits porteurs attendant parfois le complément d’une vie de travail – petits porteurs très nombreux dans certaines entreprises –, fragiliserait certaines grandes entreprises françaises, qui, dès lors, risqueraient d’être attaquées par d’autres entreprises, ce qui nous obligerait à mettre sur la table des milliards d’euros pour les soutenir. Je ne suis pas sûr que ce serait faire bon usage de l’argent public dans les quelques semaines qui viennent.
Je n’ai pas un amour fou pour la bourse, mais vous comprenez bien que nous ne pouvons pas risquer de fragiliser certaines de nos grandes entreprises. Quant aux excès, il faut les condamner et, comme l’a fait le Gouvernement, prendre des mesures pour les tempérer.
Je rappelle tout de même, monsieur Gay, que ne pas recourir au chômage partiel pénaliserait non pas les actionnaires, mais les salariés. Les aides directes de l’État – reports de charges, avances, prêts remboursables, prêts garantis – ne relèvent pas de l’accord qu’a signé le ministre de l’économie et des finances avec les entreprises de plus de 5 000 salariés. (M. Fabien Gay proteste.)
La première question est une question importante, que certainement les Français se posent : faut-il augmenter les impôts pour combler le déficit et la dette que nous choisissons presque unanimement d’alourdir, parce que l’heure est grave ? Telle n’est pas notre position.
En effet, en sauvant de la faillite le plus grand nombre possible d’entreprises et en « nationalisant » le salaire de près de 10 millions de Français à travers le chômage partiel, donc en évitant les licenciements massifs que nombre de pays occidentaux connaissent, nous faisons un pari, dont nous savons que nous le remporterons, même si cela doit prendre du temps, parce que les entreprises, les salariés pourront redémarrer l’activité économique et recréer de la richesse, donc des recettes fiscales et sociales qui rembourseront une partie de la dette créée.
Il y a quelques instants, M. Kanner a reproché à M. Dallier d’avoir la mémoire sélective. La sienne ne l’est pas moins, car il n’a pas rendu des comptes publics avec un déficit à moins de 3 % du PIB – ou alors, ces comptes étaient très éloignés des vérités objectives relevées par la Cour des comptes, qui a établi le déficit à 3,4 %.
Au reste, monsieur Kanner, notre stratégie est totalement inverse de celle du gouvernement précédent : nous avons baissé les impôts, ce qui nous a été fortement reproché ici, et, malgré cela, augmenté largement les recettes. De fait, comme nous le pensions, des taux plutôt bas et la suppression d’impôts idiots qu’aucun de nos voisins n’applique ont stimulé la création de richesses.
Résultat : comme la Cour des comptes et la Commission européenne l’ont fait observer, et même si la crise du coronavirus l’a rendu moins visible, nous avons amélioré les comptes publics au-delà même de ce que prévoyait la loi de finances initiale.
Excusez-moi d’être un peu long, monsieur le président, mais je tiens à insister : tout en baissant largement les impôts, nous avons presque ramené le déficit à 2 %, hors l’effet one-off du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ; nous avions l’une des meilleures croissances de l’Union européenne et le chômage le plus bas depuis vingt ans – à cet égard, monsieur Kanner, point n’est besoin de rappeler la courbe du chômage qui a empêché le représentant de votre famille politique de se représenter…
Bref, notre stratégie fiscale et économique commençait à porter ses fruits, et des centaines de milliers de personnes retrouvaient le chemin de l’emploi. En revanche, augmenter les impôts est une stratégie de court terme dont je puis comprendre l’idéologie, mais qui n’a jamais fait qu’aggraver le chômage dans notre pays !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 96 et 290.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 174 rectifié, présenté par MM. P. Joly et Antiste, Mme G. Jourda, MM. Daudigny, Marie et Lozach, Mme Conconne, M. Jacquin, Mmes Meunier et Rossignol, MM. Duran, Tissot, M. Bourquin, Montaugé et Vaugrenard, Mmes Tocqueville, Guillemot et Grelet-Certenais, MM. Joël Bigot et Houllegatte, Mme Harribey, M. Gillé, Mmes Préville et Taillé-Polian, M. Devinaz, Mme Jasmin et MM. Mazuir et Jomier, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le b du 1 de l’article 265 bis et le a de l’article 265 septies du code des douanes sont abrogés.
La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Tout le monde s’accorde à considérer que la crise que nous vivons aujourd’hui a des origines en partie liées aux problèmes environnementaux. Il s’agit donc d’accélérer la transition écologique et sociale.
Dans cette perspective, nous proposons la suppression des niches fiscales bénéficiant aux secteurs polluants, en particulier de la niche sur le kérosène, qui coûte environ 3 milliards d’euros, sur un total de dépenses fiscales défavorables à l’environnement évalué à 13 milliards d’euros dans un récent rapport de la Cour des comptes. Ces fonds pourraient financer les actions qui ont commencé à être mises en place pour répondre à l’urgence économique et sociale.
Nous devons tirer les leçons de cette crise et concevoir une nouvelle mondialisation, fondée non plus sur la concurrence et la recherche du moins-disant, mais sur la coopération. De manière plus immédiate et concrète, il faut nous demander dès à présent quels secteurs doivent être relancés intelligemment et quels sont ceux qu’il faut faire décroître au profit de secteurs moins polluants – je pense au développement des transports ferroviaires, qui contribuerait aussi à la relocalisation de certaines activités. Le présent amendement est une contribution à cette réflexion.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est surtout, mon cher collègue, une contribution à la disparition d’Air France… Et, plus largement, des transports aériens et routiers, qui se portent déjà très mal.
Personne ne peut ignorer la situation des compagnies aériennes, notamment d’Air France. Dans ce contexte, le Gouvernement a dû supprimer la taxe de solidarité sur les billets d’avion, inscrite en loi de finances contre l’avis du Sénat. À peine entrée en vigueur, la voilà suspendue : il faut dire qu’il n’y a plus de trafic aérien, donc plus de contribuables… Si l’on veut définitivement tuer le transport aérien, il faut appliquer des idées comme celle qui vient d’être exposée !
S’agissant du transport routier, les statistiques sont très claires : 51 % des camions sont au garage, et 86 % des entreprises du secteur sont confrontées à un arrêt total ou partiel de leur activité. Or, comme nous l’avons déjà souligné dans la discussion du projet de loi de finances, nombre de ces entreprises sont de très petites entreprises : elles seraient tuées par l’adoption du présent amendement.
Alors qu’il n’y a plus de transport aérien et presque plus de transport routier, alourdir la fiscalité ne ferait qu’ajouter de la crise à la crise. Essayons plutôt de nous mettre d’accord pour relancer l’activité… Que les camions puissent circuler dans notre pays, le transport aérien désenclaver des régions, ce n’est pas juste du luxe ; c’est une question de survie économique dans de nombreuses régions !
L’avis de la commission est totalement défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 314, présenté par MM. Savoldelli et Bocquet, Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article 278-0 bis, les mots : « taux réduit de 5,5 % » sont remplacés par les mots : « taux réduit de 0 % » ;
2° Après le B du I de la section V du chapitre premier du titre II de la première partie du livre premier, est insérée une division ainsi rédigée :
« B …
« Taux supérieur
« Art. 279-…. – Le taux supérieur de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé à 33,33 % en ce qui concerne :
« a) Les prestations hôtelières de luxe ;
« b) L’argenterie et la vaisselle de luxe ;
« c) Les jets privés et automobiles de luxe ;
« d) Les cosmétiques et parfums de luxe ;
« e) Les vêtements et maroquinerie de luxe ;
« f) Les chaussures de luxe ;
« g) Les spiritueux et alcools de luxe. »
II. – Le 1° du I est applicable à compter de la publication de la présente loi jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Toutefois, il ne s’applique pas aux encaissements pour lesquels la taxe sur la valeur ajoutée est exigible avant cette date.
III – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par l’augmentation du taux prévu par le taux supérieur de la taxe sur la valeur ajoutée
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le ministre, je dois reconnaître que, lorsque j’ai pris connaissance du projet de loi de finances rectificative, y compris dans sa version initiale, avant son examen par l’Assemblée nationale, je lui ai trouvé un aspect très positif : le Gouvernement a tenu son engagement de ne pas percevoir les dividendes de ses participations dans un certain nombre d’entreprises.
Ces temps-ci, on parle beaucoup de transparence et de solidarité. Vous me direz si je me trompe, monsieur le ministre, mais, à ma connaissance, plus de 40 % des grandes sociétés ont décidé, par mesure de solidarité exceptionnelle dans la crise que nous vivons, de reporter leur assemblée générale, afin de ne rien décider… C’est qu’il va bien falloir payer la crise ! D’où cette décision courageuse, offensive et inédite…
Nous avons tous, dans notre département, des sièges de grands groupes. Nous connaissons la vie de ces entreprises, qui ont besoin des collectivités territoriales et le reconnaissent. Celles que j’ai interrogées m’ont répondu : l’assemblée générale va être reportée à septembre, à octobre, à novembre. Je suis prêt à citer les noms des grands groupes concernés – ce que vous ne faites pas, monsieur le ministre, quand vous annoncez 20 milliards d’euros d’investissements en capital.
Je le répète : plus de 40 % des grandes sociétés à dividendes de notre pays ont décidé de reporter le versement des dividendes.
Le présent amendement – que nous appelons avec un peu d’humour « Robin des bois », même si le sujet est grave – vise à opérer un basculement de TVA des produits de luxe vers les produits de première nécessité.
Le rapporteur général lui aussi a déposé un amendement pour baisser la TVA sur tous les produits de première nécessité et de sécurité sanitaire, et nous le voterons sans difficulté. En l’occurrence, on ne s’embête pas avec les dogmes européens…
M. le président. Il faut songer à conclure.
M. Pascal Savoldelli. Quant à la TVA de 33 % sur les produits de luxe, elle existait en 1992 !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement est peut-être fort sympathique, mais il est totalement contraire à la directive européenne sur la TVA,…
M. Pascal Savoldelli. Voilà !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. … qui n’autorise que le taux normal et les taux réduits. Ce n’est pas moi qui l’ai écrite, mais c’est ainsi. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 51 rectifié quater, présenté par MM. Vogel, Husson et Maurey, Mme Estrosi Sassone, MM. Fouché, Priou, Karoutchi, Pierre et Lefèvre, Mmes Bruguière, Deroche, Goy-Chavent, Chauvin, Lamure et Raimond-Pavero, M. Raison, Mme Imbert, M. Vaspart, Mmes Micouleau et Deromedi, MM. Calvet, Chevrollier, Courtial, Allizard, Chasseing et Fichet, Mmes Garriaud-Maylam et Puissat, MM. Bascher, Meurant, Poniatowski, Joyandet et Paccaud, Mme Mélot, M. Lagourgue, Mme Sittler, MM. Prince et Détraigne, Mmes Morhet-Richaud, Billon, Loisier et Vullien, MM. Segouin, Luche, Charon et Bonhomme, Mme Lopez, MM. Sido, Forissier et Gilles, Mmes Guidez et G. Jourda, MM. Retailleau et Dallier, Mmes Perrot, Costes et N. Goulet, MM. Bockel, Adnot, Laménie et H. Leroy, Mmes Malet, Duranton et de Cidrac, M. Brisson, Mmes Létard, Vermeillet et Gruny, MM. Piednoir, Danesi, Pointereau et Canevet, Mmes Joissains et M. Mercier, M. Gremillet, Mmes Troendlé et L. Darcos, MM. Babary, Mandelli, Vall, B. Fournier et de Legge, Mmes Ramond et Férat, MM. Bizet et Bas, Mme Féret, M. Kennel, Mme Gatel, M. Regnard, Mmes Procaccia, Canayer et Richer et MM. Marseille, Capus et Malhuret, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 278-0 bis du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« …. – Toutes les prestations correspondant au droit d’utilisation des installations sportives, en ce compris l’utilisation des animaux à des fins sportives, éducatives, sociales et thérapeutiques et de toutes les installations agricoles nécessaires à cet effet. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Le rapporteur général a parlé, il y a quelques instants, de relancer l’économie. Je vous propose de commencer par préserver un secteur d’activité : les centres équestres.
Vous savez, monsieur le ministre, qu’il s’agit d’une activité largement répartie sur le territoire national, réalisée par des structures à dominante agricole, mais exerçant en réalité plusieurs métiers en même temps. Pour elles, l’arrêt brutal d’activité résultant du confinement provoque des difficultés sérieuses ; le coup pourrait même être fatal à un certain nombre d’élevages.
Nous proposons de ramener le taux de TVA du secteur à 5,5 %. Certes, la directive européenne s’y oppose – nous en avons déjà débattu dans cette enceinte. Mais, chaque fois que nous émettons cette idée, on nous promet de travailler à une réforme de la directive : réforme souvent annoncée, mais toujours attendue… Dans ces conditions, monsieur le ministre, anticipons la réforme pour répondre aux besoins d’une activité importante pour nos territoires !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je partage, comme nombre d’entre nous, les craintes exprimées sur l’avenir de la filière équestre. Des amendements seront examinés ultérieurement pour lui donner droit au fonds de solidarité et, plus spécifiquement, pour aider les centres équestres et poneys clubs. Le Gouvernement a pris des positions publiques sur ce sujet.
Il est exact que le secteur est particulièrement frappé par la crise : sans aucune recette, il doit faire face à des charges fixes incompressibles sans que le chômage partiel puisse constituer une réponse, puisqu’il faut bien continuer à nourrir les chevaux. Cette activité très spécifique, qui subit ainsi une double peine, mérite une attention particulière.
Le présent amendement est extrêmement sympathique, et nous l’avons voté par le passé. Malheureusement, ce vote a conduit en 2013 à la condamnation de la France par la Cour de justice de l’Union européenne, la directive TVA ne prévoyant pas les activités équestres dans la liste des activités pouvant bénéficier du taux à 5,5 %. La directive n’ayant pas changé, je suis contraint, dans un esprit de responsabilité, mais à mon grand regret, d’émettre un avis défavorable sur cette proposition contraire au droit européen.
Néanmoins, j’insiste : je ne méconnais pas les difficultés du secteur, et nous allons tenter, avec les amendements que j’ai annoncés, d’y apporter une réponse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Husson, je partage votre intention ; d’ailleurs, j’ai plusieurs fois reçu le président de la Fédération française d’équitation.
Reste que l’adoption de cet amendement créerait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait. De fait, nous sommes déjà en délicatesse avec la Commission européenne. Nous avons bel et bien demandé que le taux de TVA réduit puisse bénéficier à ce secteur, et, avant la crise, les discussions étaient plutôt bien parties. Chercher à forcer la décision n’est sans doute pas la meilleure stratégie.
Indépendamment même de la crise, les modèles économiques dans ce secteur ne sont pas simples, surtout dans les territoires ruraux où la fréquentation n’est pas considérable. Il faut donc lui apporter une réponse, mais, pour les raisons que le rapporteur général a développées, le Gouvernement en a choisi une autre que celle proposée dans cet amendement.
Ainsi, nous avons fait adopter un amendement accordant 235 millions d’euros au ministre de l’économie et des finances pour aider notamment les établissements qui ne peuvent pas recourir au chômage partiel parce qu’il faut continuer à nourrir et soigner des animaux ; c’est le cas des centres équestres, mais aussi des zoos.
Le ministre de l’agriculture, la ministre des sports et moi-même avons pris ce matin un engagement en la matière. L’arrêté prévoira explicitement que les centres équestres pourront bénéficier de ces subventions d’État exceptionnelles ; j’ai dit ce matin au président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, particulièrement intéressé à la question, que je lui transmettrais cet arrêté, et je ferais de même pour le président et le rapporteur général de la commission des finances du Sénat.
Monsieur Husson, ce n’est pas une réduction de TVA qui réglera le problème, d’autant que provoquer la Commission européenne n’est probablement pas le meilleur moyen d’obtenir que l’on revienne sur notre condamnation. Nous prévoyons les fonds nécessaires pour soutenir les centres équestres, et tous les parlementaires seront associés à la définition des critères permettant de les distribuer.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Les explications du ministre sont importantes, mais nous avons besoin d’une précision supplémentaire.
L’enjeu est fondamental, et, monsieur le président, vous en savez la raison… En avant, calme et droit : c’est le titre d’un livre de François Nourissier et la devise du Cadre noir.
M. le président. Du colonel L’Hotte, écuyer en chef !
M. Bruno Retailleau. C’est aussi, je crois, votre propre devise…
De fait, toutes les activités équestres ont une résonance particulière. Or, monsieur le ministre, nous pouvons être sensibles à vos arguments, mais M. Vogel, président de la section Cheval du groupe d’études Élevage et premier signataire de cet amendement qui reprend une bagarre ancienne des clubs équestres, que je comprends parfaitement, a déposé aussi l’amendement n° 52 rectifié quater, visant à préciser la mesure adoptée par les députés avec l’avis favorable du Gouvernement.
En effet, nous voulons, sans attendre le décret, nous assurer que les centres équestres recevant du public entreront bien dans le cadre de ce dispositif. Monsieur le ministre, donnerez-vous un avis favorable sur cet amendement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Retailleau, l’avis du Gouvernement ne sera pas favorable, parce que, je le répète, les fonds sont déjà prévus. Les parcs zoologiques, les cirques disposant d’animaux et les centres équestres, trois catégories qui se posent des questions similaires, même si leurs activités sont évidemment différentes, seront toutes trois éligibles au dispositif adopté par l’Assemblée nationale, pour lequel 235 millions d’euros supplémentaires ont été prévus.
Le montant total des aides n’est pas fixé : nous mettrons sur la table l’argent correspondant à la demande de ces secteurs. Le président de la Fédération française d’équitation, avec lequel j’ai échangé ce matin, n’est pas encore en mesure de déterminer précisément les sommes nécessaires. Quoi qu’il en soit, je m’y engage : nous prévoirons les fonds nécessaires pour que tous les centres équestres de tous les territoires puissent vivre !
M. Bruno Retailleau. L’amendement n° 52 rectifié quater sera donc satisfait ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Il le sera, monsieur le sénateur. Je m’engage en outre devant vous à soumettre la décision réglementaire que nous prendrons pour les zoos, les cirques animaux et surtout les centres équestres aux présidents et aux rapporteurs généraux des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Cet engagement sera tenu très rapidement, pour que vous puissiez vous assurer que le Gouvernement tient ses promesses à l’égard du secteur équestre.
Enfin, si le dossier est traité par le ministère de l’économie et des finances, le ministère de l’agriculture, traditionnellement chargé du secteur équin, pourra aussi mobiliser 5 millions d’euros dans le cadre du fonds Éperon, quand le Paris mutuel urbain (PMU) et ses sociétés mères auront reversé les fonds nécessaires.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour explication de vote.
M. Jean-François Husson. Compte tenu de ces échanges nourris et de l’engagement clair et précis du ministre, consigné au procès-verbal, je retire l’amendement. Monsieur le ministre, nous vous remercions.
M. le président. L’amendement n° 51 rectifié quater est retiré.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 250 rectifié, présenté par Mmes Estrosi Sassone et Dumas, M. Bonne, Mme A.M. Bertrand, MM. D. Laurent, Husson, Mandelli, Grand, Pellevat et J.M. Boyer, Mme Lopez, M. Gremillet, Mme Noël, M. Mouiller, Mmes M. Mercier et Deroche, MM. Pierre, Bonhomme, Daubresse et Regnard, Mmes Morhet-Richaud, Deromedi, Di Folco, Eustache-Brinio et L. Darcos, MM. Perrin, Priou, Vaspart, Bas et Joyandet, Mme Lanfranchi Dorgal, MM. Savary, Sido, Houpert et Brisson, Mme Deseyne et M. Segouin, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le code général des impôts est ainsi modifié :
1° L’article 278-0 bis est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« …. – Les ventes à emporter ou à livrer de produits alimentaires, à l’exclusion de celles relatives aux boissons alcooliques qui relèvent du taux prévu à l’article 278. » ;
2° Le n de l’article 279 est abrogé.
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Il s’agit d’appliquer à la vente à emporter le même taux de TVA qu’à la restauration traditionnelle, afin d’aider dans l’urgence les professionnels de la restauration.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je comprends la philosophie de l’amendement n° 250 rectifié, mais je ne suis pas certain que la baisse de la TVA sur la vente à emporter serait une réponse suffisante à la crise considérable qui frappe les restaurateurs, dont les activités resteront à l’arrêt bien au-delà du 11 mai prochain. Le problème est d’une tout autre ampleur…
Subsidiairement, on ne sait pas si la baisse de taux serait répercutée pour les consommateurs, et la mesure risquerait de complexifier le régime fiscal des restaurants.
Je ne méconnais nullement les difficultés du secteur. Au contraire, la restauration est sans doute, avec le tourisme, le secteur qui connaît les plus grandes difficultés et dont la reprise sera la plus complexe – le port d’un masque ou la distanciation sociale dans un restaurant, c’est compliqué…
La portée de cet amendement n’étant pas suffisante face à toutes ces difficultés, j’en demande le retrait.
M. le président. Pardonnez-moi, mes chers collègues, j’aurais d’abord dû appeler en discussion l’amendement suivant, puisqu’il est en discussion commune avec celui présenté par M. Lefèvre.
L’amendement n° 68 rectifié quater, présenté par Mme N. Delattre, MM. B. Fournier, Roux, Jeansannetas et Collin, Mmes M. Carrère et Férat, M. Pointereau, Mmes Duranton et Gruny, MM. Babary et Kern, Mme Sollogoub, MM. D. Laurent et Détraigne, Mmes Imbert et Berthet, M. Cabanel, Mme G. Jourda, MM. Milon, Grand et H. Leroy, Mme Dumas et MM. Savary, Capus et Malhuret, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Au 1° du A de l’article 278-0 bis du code général des impôts, les mots : « et les boissons » sont remplacés par les mots : « , les boissons d’origine viticole distribuées dans la restauration et les boissons ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Marchés et salons annulés, restaurants fermés, difficultés pour trouver de la main-d’œuvre saisonnière, problèmes de trésorerie, conflit commercial avec les États-Unis lié à la fameuse taxe Trump, incertitudes autour du Brexit, instabilité des marchés internationaux, notamment asiatiques… Et pourtant, les dépenses nécessitées par les travaux de la vigne courent !
La viticulture française traverse aujourd’hui une grave crise, dont une partie du secteur ne se relèvera pas. Cette crise, qui frappe d’abord les professionnels, inquiète sérieusement les élus des terroirs viticoles que nous représentons.
Dans nombre de ces territoires, l’activité vitivinicole est la principale, voire la seule activité créatrice de richesses et d’emplois et attirant les touristes. La survie des acteurs de la vigne et du vin est essentielle à la bonne santé économique de ces territoires.
Pour de nombreux vignerons, la fermeture des restaurants, cafés et bars, auprès desquels ils écoulaient une partie de leur production, entraîne des conséquences alarmantes. Les viticulteurs comptent beaucoup sur leur réouverture, d’autant que les achats dans la grande distribution ont fortement chuté.
Pour accompagner la réouverture des cafés et restaurants et embarquer la filière viticole dans une reprise d’activité tant espérée, je propose d’aligner le taux de TVA appliqué aux produits d’origine viticole, dont le vin est le représentant emblématique, sur celui des autres produits servis dans la restauration.
Aujourd’hui, les vins et eaux-de-vie de vin se voient appliquer un taux de 20 %, alors que les boissons non alcoolisées et les autres produits servis en restauration bénéficient d’un taux de 10 % ou de 5,5 %. L’alignement que je propose serait un signal fort envoyé à la filière !
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ce deuxième amendement ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nathalie Delattre a raison sur le fond : le secteur est l’un de ceux qui souffrent le plus, d’autant qu’il était déjà frappé par la baisse des exportations vers les États-Unis. Seulement, aussi sympathique soit-il, son amendement est totalement contraire à la directive européenne sur la TVA. Après les centres équestres, nous ne pouvons pas nous exposer à un nouveau risque de condamnation. Je sollicite donc le retrait de l’amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements en discussion commune ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je sais, madame Delattre, que vous connaissez bien les vignerons de votre terre d’élection, comme nombre de vos collègues.
Avec le ministre de l’agriculture, j’ai reçu ce matin les représentants de ce secteur, mais aussi des secteurs du cidre et de la bière. La plupart des professionnels écoulant leur production à plus de 80 % dans les restaurants, la fermeture de ceux-ci fait naître pour eux de grandes difficultés. Les réalités sont différentes, notamment parce que les produits sont plus ou moins périssables, mais les difficultés financières sont grandes pour tous ces professionnels, déjà touchés par la taxation de M. Trump.
Je ne suis pas sûr que la baisse du taux de TVA, nonobstant sa non-conformité au droit européen, soit la solution : si on ne vend rien, cette baisse ne sert pas à grand-chose.
Le Gouvernement n’acceptera pas de baisser la TVA sur les vins et spiritueux pour les raisons évoquées par M. le rapporteur général. On pourrait imaginer une telle disposition dans un plan de relance, en concertation avec le Parlement, mais pas dans le plan d’urgence que je vous présente aujourd’hui, car cela n’aiderait en rien producteurs et distributeurs.
En revanche, à la demande du Président de la République, qui ne l’avait pas précisé dans son discours, nous avons annoncé ce matin aux syndicats de vignerons et de producteurs de cidre et de bière qu’ils seront concernés par les annulations de charges, car ils pâtissent de la fermeture des restaurants. Quelques producteurs fonctionnent malgré tout correctement, grâce à la grande distribution, mais la très grande majorité d’entre eux connaît des difficultés. Nous avons demandé des données, madame la sénatrice, et nous allons travailler avec les producteurs de vin, de cidre et de bière.
Le Gouvernement ne sera pas favorable à votre amendement sur la vente à emporter, monsieur Lefèvre : à part les quelques restaurants qui faisaient de la vente fixe et qui s’arrangent désormais pour faire de la vente à emporter, les établissements de ce secteur fonctionnent plutôt bien. Dès lors, pourquoi baisser leur TVA ? La règle du jeu consiste plutôt à baisser la fiscalité des secteurs qui connaissent des difficultés.
M. le président. Madame Delattre, l’amendement n° 68 rectifié quater est-il maintenu ?
Mme Nathalie Delattre. Je vais retirer cet amendement, comme nous l’avons fait sur les centres équestres, pour éviter de pénaliser notre pays.
Les viticulteurs étaient déjà très touchés avant le Covid-19. La solution ne réside pas dans un seul dispositif. Vous annoncez l’annulation des charges, ce qui est une très bonne nouvelle. La baisse de la TVA est une autre piste. Je présenterai d’ailleurs un amendement de repli visant à instaurer une baisse de la TVA à 10 %.
M. le président. L’amendement n° 68 rectifié quater est retiré.
Madame Dumas, l’amendement n° 250 rectifié est-il maintenu ?
Mme Catherine Dumas. J’ai bien entendu vos explications, monsieur le ministre. Permettez-moi de redonner quelques chiffres : 220 000 cafés et restaurants pour 80 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
La vente à emporter joue un rôle très significatif, surtout après que le Président de la République a annoncé que ce secteur économique ne pourrait être déconfiné le 11 mai – on parle maintenant du 15 juin… Ce secteur travaille sur le déconfinement, veut rétablir la confiance et apporter les garanties sanitaires nécessaires. Tel est le message que je voulais faire passer. Cela étant dit, je retire cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 250 rectifié est retiré.
L’amendement n° 40, présenté par Mmes Sollogoub et Vermeillet, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le 2° de l’article 1605 bis du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Bénéficient d’un dégrèvement de la contribution à l’audiovisuel public pour la durée de fermeture administrative résultant des arrêtés du 14 et 16 mars portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, les professionnels de l’hôtellerie-restauration (cafés, restaurants, hôtels et hôtels-restaurants) ; ».
II. – Le I s’applique à compter du 16 mars 2020.
III. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Je ne vous apprends rien en disant que l’hôtellerie va très mal. Parmi les charges qui continuent de courir, alors que les hôtels sont fermés, figure la contribution à l’audiovisuel public.
Un grand nombre d’hôtels comptent une télévision par chambre. Cette charge pèse donc assez lourdement dans leur budget. Nous demandons simplement – ce qui nous paraît juste – d’accorder un dégrèvement pour la période correspondant à la fermeture de ces établissements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement est sous-tendu par une vraie logique : à partir du moment où les hôtels sont fermés, pourquoi faire payer la contribution à l’audiovisuel public ?
Peut-être faudrait-il envisager un dégrèvement prorata temporis par voie réglementaire ? À l’Assemblée nationale, il me semble que le Gouvernement avait déclaré que cette question serait abordée dans le cadre d’un plan de soutien à l’hôtellerie. Je souhaiterais donc connaître sa position sur cette question.
Ce n’est sans doute pas à nous de voter une suppression totale. Toutefois, il me semble qu’une mesure d’abattement serait un minimum, aucun service ne pouvant concrètement être rendu durant cette période.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Madame la sénatrice, comme je l’ai déjà souligné, nous avons accepté le report général du paiement de la redevance audiovisuelle. Les dispositions de votre amendement se heurtent à trois difficultés : premièrement, tous les hôtels ne sont pas fermés, une petite partie d’entre eux fonctionne et certains sont même parfois réquisitionnés par le Gouvernement. Il faudrait donc distinguer ceux qui peuvent payer et ceux, très nombreux, qui ne le peuvent pas. Nous ne pouvons donc pas prendre de mesure générale. Je rappelle que les hôtels, contrairement aux restaurants, ne sont pas concernés par l’arrêté de fermeture que le Gouvernement a pris.
Deuxièmement, la redevance est annuelle et pas mensuelle. Si nous décidions d’un dégrèvement, il faudrait l’envisager prorata temporis.
Troisièmement, une telle décision me semble impossible, parce qu’il s’agit d’une taxe affectée. Vous savez avec quel bonheur les ministres des comptes publics suppriment généralement les taxes affectées. Je ne vais pas relancer le débat sur la redevance audiovisuelle – je me suis déjà beaucoup exprimé sur le sujet. Il faudrait évidemment un débat avec les commissions des affaires culturelles et du Sénat et de l’Assemblée nationale. Une telle suppression entraînerait une perte de recettes pour l’audiovisuel public dont vous savez que le budget est supérieur à celui du ministère de la culture, alors même que nous avons déjà demandé des efforts importants à ce secteur.
Je comprends la philosophie de votre amendement, madame la sénatrice. Le rapporteur général a mille fois raison de souligner que nous pourrions envisager une telle solution dans un plan que pourrait annoncer le Président de la République. Nous examinons la faisabilité technique d’une telle mesure. En attendant, reste le report.
Pour ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je partage totalement les préoccupations de Mme Sollogoub. Encore une fois, monsieur le ministre, la plupart des hôtels sont fermés.
Toutefois, la difficulté technique est réelle. Il s’agit d’une taxe annuelle. J’ai entendu l’engagement du Gouvernement. Si vous ne traitez pas la question, dans le prochain projet de loi de finances rectificative que nous examinerons, probablement d’ici à quinze jours ou un mois, j’émettrai un avis favorable sur cet amendement. À ce stade, madame Sollogoub, la commission vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Madame Sollogoub, l’amendement n° 40 est-il maintenu ?
Mme Nadia Sollogoub. Oui, monsieur le président, je le maintiens.
M. le président. L’amendement n° 337, présenté par MM. Bocquet et Savoldelli, Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la section II bis du chapitre I bis du titre III de la deuxième partie du livre 1er du code général des impôts, est insérée une section ainsi rédigée :
Section …
« Taxe sur l’exploitation totale ou partielle des publications de presse par un service de communication au public en ligne
« Art. 1609 …. – I. – Une taxe sur l’exploitation totale ou partielle des publications de presse est due à raison des opérations de reproduction et de communication au public des publications de presse sous une forme numérique.
« II. – Sont redevables de la taxe les services de communication au public en ligne, qu’ils soient établis en France ou hors de France
« III. – La taxe est assise sur le montant hors taxe sur la valeur ajoutée des sommes versées par les annonceurs pour la diffusion de leurs messages publicitaires.
« IV. – Ne sont pas comprises dans l’assiette de la taxe les sommes versées par les annonceurs, pour la diffusion de leurs messages publicitaires et de parrainage sur les services de télévision de rattrapage, qui sont déjà soumises à la taxe prévue aux articles L. 115-6 à L. 115-13 du code du cinéma et de l’image animée. Le taux de la taxe est fixé à 5,15 %. La taxe est exigible dans les mêmes conditions que celles applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Elle est constatée, liquidée, recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.
« V. – Le produit de la taxe est affecté au Fonds stratégique pour le développement de la presse. »
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Autre secteur en difficulté – aucun n’y échappe –, celui de la presse écrite. Certains titres souffraient déjà avant le confinement. La situation que nous connaissons ne fait qu’aggraver les choses : distribution perturbée avec la réduction des tournées des services postaux, fermeture des kiosques…
Cet amendement tend à instaurer une taxe due par les services de communication des moteurs de recherche comme Google au profit des publications de presse, au titre de l’exploitation qui est faite de leurs articles et de leurs référencements.
Cette taxe, qui a vocation être temporaire, vise à mettre en application de toute urgence les dispositions de la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse durant les négociations entre les plateformes et les éditeurs de presse.
En effet, si la loi est maintenant promulguée depuis plus de six mois, les premières estimations montrent qu’il faudra attendre encore un an au moins avant qu’elle ne soit pleinement appliquée. Au regard de la fragilité économique du secteur de la presse, cette période pourrait être fatale à certains titres. Il est donc urgent d’agir selon nous.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. La commission des finances, particulièrement Roger Karoutchi, travaille sur ce sujet. Je pense à la question des aides à la presse, à celle du tarif postal… Ce soir, nous allons entendre une très longue litanie sur les aides sectorielles. Comme vous l’avez souligné, monsieur Bocquet, tous les secteurs sont touchés. Il serait un peu rapide et sans doute mal calibré d’adopter cet amendement.
Les difficultés de la presse relèvent d’un problème de fond qui dépasse très largement le cadre de cette crise, même si cette dernière ne fait que les aggraver encore, notamment en ce qui concerne la distribution. Ces très grandes difficultés appellent une refonte des aides autrement plus importante que les seules dispositions de cet amendement.
La commission demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés » pour reprendre le vers de La Fontaine dans Les Animaux malades de la peste.
La presse est l’un des nombreux secteurs frappés par cette crise qui aggrave encore les difficultés qu’elle rencontrait. Son rôle, essentiel dans une démocratie, s’appuie sur un modèle économique étonnant : on n’a sans doute jamais autant lu d’articles – notamment sur internet – ou regardé la télévision et les journaux télévisés et on n’a jamais eu aussi peu de publicité. Il s’agit de l’un des problèmes essentiels de la presse, notamment écrite.
Le ministre de l’économie travaille avec celui de la culture et de l’audiovisuel – un projet de loi sur l’audiovisuel devrait être présenté prochainement – sur cette question, en particulier sur celle de Presstalis et celle d’un soutien à la presse.
Je ne peux accepter cet amendement sectoriel, comme beaucoup de ceux qui seront présentés. Je ne doute pas que nous pourrons en discuter de nouveau dans le cadre du plan de relance à venir.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. J’ai cru un moment que vous alliez soutenir cet amendement qui fait écho à la position remarquable de la France, et donc de votre gouvernement, le 26 mars 2019, sur le droit d’auteur et les droits voisins, qui est une aide à la presse. Quand quelque chose est positif, il faut le souligner !
La France a été le premier pays à avoir mis en œuvre la directive, ce qui a provoqué un bras de fer, notamment avec Google qui a refusé les négociations. Notre amendement vise à apporter une aide d’urgence à la presse seulement, pas à l’ensemble des activités professionnelles liées à la couverture médiatique.
On aurait ainsi pu à la fois soutenir la presse écrite, qui constitue un métier particulier, et vous encourager dans les négociations sur le droit d’auteur et les droits voisins que la France a été la première à transcrire en droit interne. Il s’agit d’un amendement extrêmement constructif.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 90 rectifié est présenté par MM. M. Bourquin et Tissot, Mme Artigalas, MM. Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Féraud, P. Joly, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian, MM. Duran et Montaugé, Mmes Guillemot et Conconne, MM. Bérit-Débat, Joël Bigot, Courteau et Daunis, Mmes Grelet-Certenais et G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Préville et Monier, MM. Temal, Todeschini, Durain et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 197 rectifié ter est présenté par MM. Menonville, Guerriau, Fouché et Bignon, Mme Mélot et MM. Lagourgue, Chasseing et Capus.
L’amendement n° 327 est présenté par MM. Danesi, Retailleau, Allizard, Babary, Bas, Bascher et Bazin, Mmes Berthet et A.M. Bertrand, M. Bizet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme et Bonne, Mme Bories, M. Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Bouloux, J.M. Boyer et Brisson, Mme Bruguière, MM. Buffet et Calvet, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon et Chatillon, Mme Chauvin, M. Chevrollier, Mme de Cidrac, MM. Courtial, Cuypers et Dallier, Mme L. Darcos, M. Darnaud, Mme Delmont-Koropoulis, M. Dériot, Mmes Deroche, Deromedi, Deseyne, Di Folco et Dumas, M. Duplomb, Mmes Duranton, Estrosi Sassone et Eustache-Brinio, MM. B. Fournier, Frassa et Genest, Mme F. Gerbaud, MM. Gilles, Ginesta, Gremillet et Grosdidier, Mme Gruny, MM. Guené, Hugonet et Husson, Mmes Imbert et M. Jourda, MM. Joyandet, Karoutchi, Kennel et Laménie, Mmes Lamure, Lanfranchi Dorgal et Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Lefèvre, de Legge, Leleux et H. Leroy, Mmes Lherbier, Lopez et Malet, MM. Mandelli et Mayet, Mmes M. Mercier et Micouleau, M. Milon, Mme Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller, Nachbar et de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Paccaud, Paul, Pellevat, Pemezec, Perrin, Piednoir, Pierre, Pointereau et Poniatowski, Mme Primas, M. Priou, Mmes Puissat et Raimond-Pavero, M. Raison, Mme Ramond, MM. Rapin, Regnard et Reichardt, Mme Richer, MM. Saury, Savary, Savin, Schmitz, Segouin et Sido, Mme Sittler, M. Sol, Mmes Thomas et Troendlé et MM. Vaspart, Vial et Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article L. 1615-2 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les collectivités territoriales et leurs groupements bénéficient également des attributions du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée au titre des dépenses d’achat d’équipement de protection individuelle en lien avec l’épidémie de Covid-19 réalisées sur la période 2020-2022. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour présenter l’amendement n° 90 rectifié.
M. Jean-Claude Tissot. Le Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) assure aux collectivités territoriales et à leurs groupements la compensation, à un taux forfaitaire, de la TVA qu’ils acquittent sur leurs dépenses d’investissement, voire, plus rarement, sur certaines dépenses de fonctionnement.
Afin d’accompagner les collectivités territoriales qui doivent faire face à la crise du Covid-19, cet amendement vise à inclure dans le champ du FCTVA les achats de protections individuelles telles que les masques, blouses, gels hydroalcooliques par les collectivités territoriales à destination des professionnels de santé dans un premier temps et, plus tard, de leurs administrés.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour présenter l’amendement n° 197 rectifié ter.
M. Franck Menonville. Cet amendement vise à soutenir les collectivités territoriales en rendant éligible au FCTVA l’achat des masques et autres équipements de protection pour leurs administrés.
M. le président. La parole est à M. Sophie Primas, pour présenter l’amendement n° 327.
Mme Sophie Primas. Il est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements identiques ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Les collectivités territoriales fournissent des efforts considérables, notamment pour l’achat de gel hydroalcoolique et d’équipements de protection. Certaines régions, certains départements, certaines communes sont même parfois plus efficaces que l’État. Dans mon département, les masques commandés par l’ARS ne sont toujours pas arrivés, alors que certaines collectivités sont passées par d’autres filières d’achat pour approvisionner les personnels des services d’aide à domicile ou des Ehpad.
Dans cette crise sanitaire sans précédent, les efforts des collectivités territoriales méritent d’être encouragés. Ces amendements visent donc à faire entrer dans le champ du FCTVA des dépenses liées à l’épidémie, même si ce fonds concerne généralement des dépenses d’équipement amortissables – pas toujours, cependant : Philippe Dallier nous a fait remarquer en commission que certaines dépenses de fonctionnement étaient éligibles au FCTVA.
L’adoption de ces amendements constituerait peut-être un écart par rapport à nos principes, mais nous en faisons beaucoup en ce moment – ne vient-on pas de doubler le déficit en trois mois ? Un peu de souplesse dans l’appréciation du FCTVA permettrait aux collectivités de financer ces achats indispensables qui permettent de sauver des vies.
J’aimerais que le Gouvernement me confirme qu’il n’existe pas d’obstacle juridique à ces amendements auxquels je suis favorable sur le fond.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous aurez remarqué, monsieur le rapporteur général, que ce PLFR 2 ne comporte pas, excepté la défiscalisation et l’exonération de charges sociales des primes, de mesures concernant les collectivités locales. Il s’agit d’un choix du Gouvernement, en lien avec les élus et les maires de France que nous avons consultés.
En ce moment, le Premier ministre, le pôle collectivités locales et le pôle Bercy, en l’occurrence Olivier Dussopt et moi-même, consultons beaucoup les collectivités locales pour connaître précisément leurs difficultés à court, à moyen et à long terme du fait de la crise. Je ne parle pas simplement du déconfinement ou de l’achat de matériels, mais des difficultés attendues en matière d’investissement, de recettes et de fonctionnement. Les situations sont très variées selon la taille des collectivités et le terme retenu.
Je n’entrerai pas plus avant dans cette discussion qui passionne la Haute Assemblée. J’ai déjà signalé au président de la commission des finances et à la délégation aux collectivités territoriales que je me tenais à leur disposition. Je serai d’ailleurs auditionné sur ce point à l’Assemblée nationale, la semaine prochaine. Des mesures seront sans doute prises très rapidement, notamment dans le prochain texte financier.
Reste le débat sur ce qui relève du domaine de l’investissement ou de celui du fonctionnement. Le rapporteur général souligne les écarts. Sachez que nous avons fait une exception en acceptant que les subventions versées par les régions au fonds d’investissement pour les indépendants entrent dans le cadre de l’investissement. Cette exception permet aux régions de financer ces subventions par l’emprunt.
Pour autant, je ne suis pas favorable, à titre personnel, à la confusion des genres, au bénéfice de la crise, en matière de dépenses de fonctionnement et d’investissement dans les collectivités. Si elle peut se révéler fort utile dans un premier temps, notamment pour financer par l’emprunt et libérer ainsi des marges de fonctionnement, cette confusion ne nous permettra plus d’avoir une réelle photographie des comptes des collectivités locales dans un, deux ou trois ans, lorsque la crise sera passée. Que se passera-t-il alors, lorsque les collectivités locales demanderont à l’État, à bon droit, de compenser ces dépenses par des dotations de fonctionnement ? Si vous grossissez artificiellement leur section « investissement » pour répondre à la crise actuelle, les collectivités seront moins fondées, demain, à demander des aides de fonctionnement.
Par ailleurs, les agences de notation, et singulièrement les banques qui aident les collectivités locales à emprunter, ne sont pas dupes de ce genre de confusion. Les collectivités risquent donc de rencontrer de grandes difficultés dans l’obtention des prêts.
Enfin, le FCTVA est consacré, en règle générale, à l’investissement. Il peut être utilisé, comme vous l’avez souligné, à titre exceptionnel, pour des dépenses de fonctionnement. Nous sommes en train de proposer aux collectivités d’amortir, sur plusieurs exercices de fonctionnement si nécessaire, des dépenses liées à la crise, notamment celles que vous évoquez.
En outre, nous avons soumis au Premier ministre la possibilité de prévoir un nouveau remboursement plus rapide au titre du FCTVA, à l’instar du dispositif mis en place sous la présidence de Nicolas Sarkozy lors de la crise de 2009.
Dans ces conditions, monsieur le rapporteur général, je ne peux que vous faire une réponse d’attente. Ne confondons pas dépenses d’investissement et de fonctionnement. Inscrire en investissement l’achat de gel hydroalcoolique, même en grande quantité, ne me paraîtrait pas de bonne comptabilité publique. Cela ne veut pas dire non plus que l’on ne peut prendre de mesures du type FCTVA qui supposent un décalage dans le temps.
Je demande à leurs auteurs de bien vouloir retirer ces amendements. Nous aurons l’occasion de reparler de ces sujets d’ici à quelques semaines, lors du débat sur les collectivités locales.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, sur cet amendement, nous ne lâcherons pas. J’en appelle à tous les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent.
Nous ne lâcherons pas, car aucune justification technique ne peut aller à l’encontre des dispositions de cet amendement.
Je reconnais votre habileté. Votre argumentation consiste à nous dire : n’élargissez pas trop votre section d’investissement, car l’État pourrait, demain, vous pénaliser dans le calcul de ses subventions, puisque les dépenses de fonctionnement auront été réduites. Quel sénateur, monsieur le ministre, pourrait être convaincu par un tel raisonnement ?
Nous ne lâcherons pas, c’est une question de justice. C’est ici, au Sénat, lors de la discussion de la première mouture du PLFR, que nous avons obtenu, au bout de plusieurs jours, que l’État prenne un décret, le 20 mars, permettant aux collectivités d’importer des masques. Nous n’avions pas mené ce combat contre l’État, mais parce qu’il ne répondait pas présent sur le terrain. En dépit des commandes par dizaines et centaines de millions que l’on nous annonçait – on arrive aujourd’hui à 2 milliards –, il n’y avait rien sur le terrain. Nous avons retroussé nos manches et convaincu l’État de prendre ce décret. Il s’agissait d’une bonne décision, monsieur le ministre, que j’ai saluée.
Il s’agit d’une question de principe, il y va même du symbole, mais il n’est pas question que l’État se fasse de l’argent sur les dépenses des collectivités qui cherchent à acquérir des masques pour sauver des vies. Dans nos communes, on est loin des dissensus des sociétés savantes. Entendre de soi-disant experts discuter encore sur la question de savoir si les masques constituent ou non une protection me fait penser à Byzance, où l’on discutait du sexe des anges, voilà quelques siècles…
Nous souhaitons que les collectivités qui investissent pour combler les retards ou les manques de l’État puissent récupérer la TVA sur le FCTVA. C’est une question de principe et de justice. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Tissot. Nous maintenons notre amendement, monsieur le ministre.
Vous évoquez une confusion entre les sections d’investissement et de fonctionnement, mais il n’appartient qu’à vous de neutraliser l’année 2020 pour les calculs budgétaires que nous aurons à faire pour les années à venir. La même problématique va se présenter sur d’autres amendements, tout au long du débat… Pourquoi ne pas décider que les choix budgétaires faits aujourd’hui en termes de compensation n’auront aucune conséquence sur les calculs des exercices à venir ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Monsieur le ministre, il n’y a aucun risque de confusion des genres entre investissement et fonctionnement. Nous ne demandons qu’un geste pour les collectivités territoriales. Nous espérons tous que ces achats se limiteront à la seule année 2020 et que nous n’en parlerons plus à l’avenir. Cette disposition ponctuelle ne change strictement rien. Je n’imagine pas qu’une collectivité ait besoin de recourir à l’emprunt pour financer l’achat de masques ou de gel hydroalcoolique. Ce n’est pas le sujet.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je souhaiterais vous poser une question : les Français se tournent déjà vers leur maire pour savoir quand ils auront des masques, dans la perspective du 11 mai. Faute de réponse claire de la part du Gouvernement, beaucoup de collectivités locales commandent des masques, alors même que c’était à l’État, me semble-t-il, de les fournir, à charge pour les collectivités locales de les distribuer. Dites les choses clairement, monsieur le ministre, car – et ce serait un comble – nous allons finir par avoir trop de masques !
M. le président. Nous n’en sommes pas encore là, mon cher collègue…
La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je suis solidaire des auteurs de ces amendements ; c’est une question d’éthique, de morale et de solidarité.
Les collectivités locales, depuis 2016, peuvent récupérer la TVA sur l’investissement et sur le fonctionnement pour l’entretien des bâtiments ou de la voirie.
Les investissements évoqués dans ces amendements visent à la sécurité des soignants, des administrés et de tous ceux qui rencontrent du public. Il s’agit de sauver des vies. Monsieur le ministre, vous avez invoqué la Commission européenne et le risque de blocage qu’aurait induit l’adoption d’autres amendements, alors même qu’elle fait preuve d’une certaine souplesse en ce moment.
Les élus locaux, élus de la proximité s’il en est, prennent des engagements indispensables pour leurs administrés et l’ensemble des personnels concernés. Il faut faire le maximum et il faut le faire au plus vite, raison pour laquelle je soutiendrai ces trois amendements identiques.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je vais soutenir ces amendements, car les sommes en jeu ne me semblent pas considérables, même si cela nous fait quelque peu dévier de l’orthodoxie comptable et budgétaire.
Si nous en sommes là, monsieur le ministre, c’est parce que l’État n’a pas joué son rôle. Les masques ont tant manqué que les collectivités ont dû pallier vos carences. Peut-être l’État pourrait-il consentir ce geste à l’endroit de cet allié précieux que sont les collectivités locales ?
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Notre groupe n’a pas déposé d’amendement sur ce sujet, mais nous soutiendrons ceux qui viennent d’être défendus. Nous avons parfois un rôle d’aiguillon et nous espérons les faire adopter à l’unanimité.
Le pacte républicain est en jeu. L’État doit faire des gestes en direction des collectivités territoriales. M. Retailleau a parlé des masques, mais il pourrait aussi aborder tout le reste. Nous y sommes tous confrontés et nous nous démenons : j’ai dû appeler la chambre de commerce et d’industrie de mon département pour me procurer des charlottes et des blouses. On en est là s’agissant de la place et du rôle de l’État et des ARS dans nos collectivités territoriales !
Nous invitons la Haute Assemblée à voter ces amendements, même si ceux que nous présenterons plus tard ne devaient pas être retenus. La question est trop importante.
Monsieur le ministre, on discute de la suite dans nos territoires, notamment de la question des tests. Dans mon département, on en discute avec les maires, avec le préfet, avec l’ARS. Il faut mettre en place un protocole entre l’État, l’ARS, la ville et le département.
Or l’adoption de ces amendements à l’unanimité et avec votre assentiment permettrait de faciliter cette démarche de protocole entre les deux piliers solides de la proximité – la commune et le département –, l’ARS, laquelle doit jouer son rôle – il y aurait beaucoup à dire, mais nous ne sommes pas là pour tirer sur une ambulance –, et le préfet qui représente l’État. Cela permettrait d’envoyer un vrai signe de confiance.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour explication de vote.
M. Franck Menonville. Nous maintenons bien sûr notre amendement. Faire un geste pour les collectivités, qui sont particulièrement engagées dans cette crise, est une mesure de justice.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Nous sommes tous ici des élus locaux ou d’anciens élus, tout comme vous, monsieur le ministre.
Le Premier ministre l’a reconnu dimanche soir lors de sa conférence de presse aux côtés de M. le ministre des solidarités et de la santé : au début de la crise, l’État n’avait en stock que 117 millions de masques – 117 millions ! –, alors qu’il en fallait au moins 30 à 40 millions par semaine pour le seul personnel soignant. Heureusement que les collectivités territoriales se sont mobilisées, parfois avec des bouts de ficelle ! La presse écrite et les médias audiovisuels évoquent d’ailleurs tous les jours des exemples de petites collectivités ayant fait leur maximum pour en trouver.
Je vous invite donc à prendre acte du fait que la Haute Assemblée, qui représente les collectivités territoriales, souhaite de manière unanime, ce qui n’est pas si fréquent, non pas remettre en cause la doxa budgétaire, mais simplement adresser un signe d’encouragement aux maires, aux élus départementaux et régionaux, qui se sont mobilisés pour accompagner les efforts de l’État. Nous discuterons le moment venu des efforts qui ont été engagés et à quel moment, mais, pour l’heure, il faut sauver des vies et préserver la santé de nos concitoyens.
Ce que nous vous demandons, ce n’est pas simplement d’accepter une mesure de bon sens, c’est de faire preuve de solidarité avec les élus de la République, qui ont été solidaires pendant cette crise.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le ministre, d’un point de vue technique, vous avez totalement raison. Toutefois, le 11 mai, le fait est que l’essentiel des masques qu’utiliseront nos concitoyens pour des raisons diverses – parce qu’ils souhaiteront en porter, parce qu’ils se rendront dans les magasins, parce que leur entreprise n’aura pas encore pu s’approvisionner, parce qu’ils devront emprunter les transports en commun – leur aura été fourni par les collectivités locales : les intercommunalités, les départements, les régions. Ces dernières en ont en effet commandé, en passant parfois par des circuits privés dont il faudra peut-être valider la qualité des approvisionnements.
Je ne doute pas de la capacité de l’État à s’approvisionner. En revanche, force est de constater que l’État a eu beaucoup de mal à approvisionner, via son réseau d’ARS, les médecins, les maisons de retraite, les personnels soignants. Je pense donc que l’État ne sera pas en mesure d’approvisionner l’ensemble de la population, même en mobilisant toutes ses forces, les préfets étant peut-être les plus opérationnels en la matière. Il faut donc établir un lien entre les collectivités locales et l’État.
Je le répète, vous avez techniquement raison, monsieur le ministre, mais je pense que vous devez faire un geste politique ayant une force symbolique, un geste qui fasse écho aux propos du Président de la République et du Premier ministre : vous devez dire que c’est aux collectivités locales qu’il revient de gérer localement les approvisionnements en fournitures. Un tel geste serait certes contraire à la rigueur budgétaire et fiscale, mais il serait utile et apprécié par l’ensemble du Sénat et des élus de nos territoires impliqués dans la lutte contre le coronavirus.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre. Permettez-moi de sourire lorsque je vous entends parler d’orthodoxie et de rigueur budgétaires au ministre de l’action et des comptes publics qui vous présente un niveau d’endettement de 115 % et un déficit de 9 %… Si les défenseurs des collectivités locales pouvaient éviter d’instruire un tel procès au Gouvernement à l’appui de leurs demandes infinitésimales, que je comprends par ailleurs, nos échanges y gagneraient.
M. le président Kanner a eu la gentillesse de rappeler que j’ai été élu local, comme tout le monde ici. J’ai même été maire, et je continue de m’intéresser à ce qu’il se passe dans ma commune. M. Dallier dit que ce ne sont pas quelques masques ou quelques gels hydroalcooliques qui vont changer les choses.
Dans la commune de Tourcoing, qui compte 100 000 âmes, il faudrait acheter 100 000 masques, peut-être un peu plus.
M. Philippe Dallier. Ça ferait 100 000 euros !
M. Gérald Darmanin, ministre. Un masque ne coûte pas 1 euro, monsieur Dallier. Je vous encourage à vous informer sur les prix d’un masque textile normé, lavable dix fois. Un tel masque coûte au minimum 2,40 euros, son prix pouvant atteindre 4 euros. Je peux vous le dire, car je viens d’un territoire textile, où je discute avec les industriels. Pour une collectivité locale, l’achat de masques pourrait donc représenter un montant de 200 000 à 300 000 euros. Pardon de le dire, mais cela présente un intérêt quand on parle de section d’investissement.
Quand les collectivités devront mettre à disposition du gel hydroalcoolique partout – peut-être faudra-t-il le faire, je n’en sais rien –, quand elles devront réaliser des aménagements urbains, mettre en œuvre, comme le prévoit le ministre de l’éducation nationale, des mesures de distanciation sociale dans les écoles, lesquelles appartiennent aux mairies, quand elles devront aménager un certain nombre de postes de travail dans les mairies, elles auront évidemment besoin de beaucoup d’argent. Il faudra donc que l’État les aide, bien sûr. Je crains toutefois, si on inscrit toutes ces dépenses en section d’investissement – et ce n’est pas là un petit débat de petit comptable –, que nous ne faussions le débat. Je le dis d’autant plus volontiers que je serai plus longtemps maire que ministre. J’essaie donc de voir où se situe l’intérêt des élus.
Par ailleurs, vous le savez – je ne vais pas vous faire un cours de comptabilité publique, ce serait ridicule, je n’en ai de toute façon ni la compétence ni l’envie –, le FCTVA sert à soutenir l’investissement. Si les dépenses d’entretien pour la voirie ou les réseaux sont désormais éligibles à ce fonds, c’est pour éviter que des équipements dans lesquels les collectivités ont investi ne se dégradent. L’achat de masques, par exemple, n’entre pas dans ce cadre.
En outre, le FCTVA est fondé sur le taux moyen de TVA de 16,5 %, alors que, comme l’a souhaité le Parlement, avec l’appui du Gouvernement, les protections sont assujetties au taux réduit, ce qui rendrait les calculs extrêmement difficiles. De plus, le Sénat a souhaité et voté l’automatisation de la TVA en 2021, laquelle rendrait impossible la mise en œuvre de la disposition que vous proposez aujourd’hui.
Certes, il s’agirait d’une mesure extrêmement symbolique, et la politique, je le comprends, est aussi faite de symboles. Pour ma part, je ne refuse bien évidemment pas d’aider les collectivités locales, je cherche à trouver un dispositif juste et efficace sur lequel nous pourrions parier s’il passait le cap de la commission mixte paritaire. J’ai bien compris que le Gouvernement serait sans doute battu – j’ai appris à compter depuis trois ans –, mais je crains que vous n’adoptiez collectivement une disposition inapplicable pour les collectivités locales.
Enfin, permettez-moi de répondre aux critiques qui sont adressées à l’État, je ne serais pas digne de mon poste de ministre si je ne le faisais pas. Sans doute étions-nous, comme quasiment tous les États, comme tous ceux qui nous entourent, mal préparés à cette pandémie. Le Président de la République l’a dit, nous aurions pu mieux nous y préparer. À cet égard, je pense que ceux qui donnent des leçons sur le nombre de masques en stock à notre arrivée pourraient prendre un peu de recul. En disant cela, je n’incrimine personne, ce n’est pas l’heure, des commissions d’enquête parlementaires seront constituées.
M. Patrick Kanner. Il y en avait 750 millions !
M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur le président Kanner, je ne vous visais pas personnellement, je suis désolé que vous le preniez pour vous.
La mairie de Tourcoing reçoit des appels de gens souhaitant savoir quand ils pourront avoir des masques. D’un point de vue pratique, je comprends donc les préoccupations que vous exprimez de façon tout à fait digne. À quelques exceptions près, et je le dis parce que vous êtes tous des élus républicains, qui avez été aux commandes du Gouvernement ou qui le serez demain, l’État, les institutions, les fonctionnaires ont été au rendez-vous. Les communes, monsieur le président du Sénat, je le sais, font partie des institutions, les maires étant aussi des agents de l’État, même s’ils tirent leur légitimité de leur élection.
Nous avons dépensé, j’allais dire sans compter, pour la santé des Français. Le système hospitalier, qui est un système d’État, a lui aussi été au rendez-vous, dans des conditions extrêmement difficiles par rapport à d’autres pays européens. On le compare souvent avec celui de l’Allemagne ou des pays asiatiques, or nous n’avons pas du tout les mêmes structures.
Les préfets, les sous-préfets, les agents de la DGFiP, les agents des douanes, qui valident les masques, tous les agents publics, quels qu’ils soient, ont été au rendez-vous. La critique systématique de l’État est donc, me semble-t-il, disproportionnée, permettez-moi de le dire à cette heure tardive.
C’est sûr, nous aurions pu mieux faire, vous avez tout à fait raison. Il est évident que les Français se posent beaucoup de questions, comme il est évident que le Gouvernement ne dispose pas de toutes les réponses. Cela étant, il me semble important de redire que la France aurait été au rendez-vous, quel que soit son gouvernement, car elle est un grand pays, qui dispose d’une grande fonction publique et d’administrations qui fonctionnent.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 90 rectifié, 197 rectifié ter et 327.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je constate que ces amendements ont été adoptés à l’unanimité des présents.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 34 rectifié, présenté par Mme Monier, MM. Tissot, P. Joly, Montaugé et Jacquin, Mme Meunier, MM. Lozach et Daudigny, Mme Lepage, M. Duran, Mme Conway-Mouret, MM. Leconte et Mazuir et Mmes Conconne et Guillemot, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 60 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa du A, du B, du C et du D du I, la date : « 1er juillet 2020 » est remplacée par la date : « 1er janvier 2021 » ;
2° Au premier alinéa du A et au B du II, la date : « 1er janvier 2021 » est remplacée par la date : « 1er juillet 2021 » ;
3° Au premier alinéa du A et du B, aux C et D du III, au 1°, au b du 2° et au 3° du V, au 1° du B du VI, la date : « 1er janvier 2022 » est remplacée par la date : « 1er juillet 2022 ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Pour tenir compte de la situation économique très difficile dans laquelle se trouve le secteur du bâtiment et des travaux publics, cet amendement vise à repousser de six mois le calendrier de la suppression progressive du tarif réduit de TICPE sur le gazole non routier, qui avait été négocié dans le cadre de la loi de finances pour 2020. Ce report permettrait de ne pas accroître les difficultés de trésorerie des entreprises du BTP en leur épargnant un surcoût sur les carburants au moment de la reprise économique.
M. le président. L’amendement n° 323, présenté par MM. Retailleau, Allizard, Babary, Bas, Bascher et Bazin, Mmes Berthet et A.M. Bertrand, M. Bizet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme et Bonne, Mme Bories, M. Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Bouloux, J.M. Boyer et Brisson, Mme Bruguière, MM. Buffet et Calvet, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon et Chatillon, Mme Chauvin, M. Chevrollier, Mme de Cidrac, MM. Courtial, Cuypers, Dallier et Danesi, Mme L. Darcos, M. Darnaud, Mme Delmont-Koropoulis, M. Dériot, Mmes Deroche, Deromedi, Deseyne, Di Folco et Dumas, M. Duplomb, Mmes Duranton, Estrosi Sassone et Eustache-Brinio, MM. B. Fournier, Frassa et Genest, Mme F. Gerbaud, MM. Gilles, Ginesta, Gremillet et Grosdidier, Mme Gruny, MM. Guené et Hugonet, Mmes Imbert et M. Jourda, MM. Joyandet, Karoutchi, Kennel et Laménie, Mmes Lamure, Lanfranchi Dorgal et Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Lefèvre, de Legge, Leleux et H. Leroy, Mmes Lherbier, Lopez et Malet, MM. Mandelli et Mayet, Mmes M. Mercier et Micouleau, M. Milon, Mme Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller, Nachbar et de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Paccaud, Paul, Pellevat, Pemezec, Perrin, Piednoir, Pierre, Pointereau et Poniatowski, Mme Primas, M. Priou, Mmes Puissat et Raimond-Pavero, M. Raison, Mme Ramond, MM. Rapin, Regnard et Reichardt, Mme Richer, MM. Saury, Savary, Savin, Schmitz, Segouin et Sido, Mme Sittler, M. Sol, Mmes Thomas et Troendlé et MM. Vaspart, Vial et Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 60 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa du A du I, la date : « 1er juillet 2020 » est remplacée par la date : « 1er janvier 2021 » ;
2° Au premier alinéa du A du II, la date : « 1er janvier 2021 » est remplacée par la date : « 1er juillet 2021 » ;
III. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Je rappelle que le secteur du BTP compte 8 000 entreprises et que 80 % d’entre elles sont des PME, réparties dans tous les départements français. Ce secteur, qui irrigue l’ensemble de notre tissu économique, est durement frappé par la crise : au 15 avril, plus de 70 % de ces entreprises étaient à l’arrêt. C’est un taux très élevé.
Il y aura sans doute une reprise, une relance, mais ce secteur, plus que d’autres, devra cumuler deux effets : celui de la crise et du confinement, plus celui qui résulte du cycle électoral. On le sait très bien, les entreprises du bâtiment sont très sensibles aux cycles électoraux.
Alors qu’elles ont connu un double choc, un troisième est attendu, d’ordre fiscal celui-là, la loi de finances pour 2020 ayant prévu une augmentation de 40 % des impôts sur le gazole non routier. Certes, le prix du carburant va diminuer, mais vous savez très bien, mes chers collègues, que, compte tenu des taxes que supporte le carburant, la diminution du prix à la pompe n’est absolument pas proportionnelle à la chute du prix du baril de pétrole.
On ne peut pas, pendant une crise, augmenter brutalement les impôts de 40 % et prélever 220 millions d’euros sur un secteur très fragilisé. Comme mon collègue, je plaide donc pour un report de six mois de cette hausse.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Malheureusement, les statistiques donnent un peu raison aux auteurs de ces deux amendements.
Aujourd’hui, les secteurs du tourisme et de l’hôtellerie, ainsi qu’un certain nombre de commerces sont totalement à l’arrêt. C’est le cas également de 90 % des entreprises du BTP. La reprise devrait être progressive pour certains commerces, plus rapide pour d’autres. Espérons que le bâtiment pourra reprendre rapidement. Un guide des bonnes pratiques étant paru, un certain nombre de chantiers devraient pouvoir redémarrer.
Cela étant, la commission est un peu réservée sur le tempo proposé. La crise très grave que nous connaissons risque d’entraîner, tant mieux peut-être, outre parfois des effets pervers, un prix du pétrole durablement bas pendant quelques mois. Je pense que peu d’éléments pourraient concourir à une hausse du prix du carburant, la demande étant faible, en particulier dans les transports et les échanges internationaux. Dès lors, il nous a semblé que c’était peut-être au cours de cette période qu’il fallait appliquer la hausse prévue, car elle pourrait être relativement insensible pour les entreprises.
Ces amendements visent non pas à supprimer cette hausse, mais à la repousser de six mois. Or ne conviendrait-il pas de l’instaurer au moment où le prix du carburant est au plus bas ? La reporter ne reviendrait-il pas à reculer pour mieux sauter ? La question se pose.
L’avis de la commission, je le répète, est réservé, même si j’entends bien les difficultés du secteur. Il ne faudrait pas, en effet, qu’il subisse un prélèvement de 220 millions d’euros au moment de la relance.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er, et l’amendement n° 323 n’a plus d’objet.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 57 rectifié bis est présenté par MM. Menonville, Guerriau, Fouché, Bignon et A. Marc, Mme Mélot et MM. Lagourgue, Chasseing et Capus.
L’amendement n° 196 est présenté par Mme Vermeillet et les membres du groupe Union Centriste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le I de l’article 79 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 est ainsi modifié.
1° Au premier alinéa, le montant : « 41 246 740 001 » est remplacé par le montant : « 41 254 740 001 » ;
2° À la seconde colonne de la septième ligne du tableau du deuxième alinéa, le montant : « 93 006 000 » est remplacé par le montant : « 101 006 000 » ;
3° À la dernière ligne du même tableau, le montant : « 41 246 740 001 » est remplacé par le montant : « 41 254 740 001 ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Franck Menonville, pour présenter l’amendement n° 57 rectifié bis.
M. Franck Menonville. Cet amendement vise à augmenter de 8 millions d’euros les crédits de la dotation particulière « élu local » (DPEL), afin d’élargir le nombre de communes éligibles à la majoration de cette dotation consécutive à la revalorisation de l’engagement local, notamment dans le cadre de la loi Engagement et proximité. Il s’agit de faire entrer 3 500 communes rurales de moins de 500 habitants dans ce dispositif.
Rappelons également qu’il convient de saluer l’engagement des maires dans la gestion de la crise sanitaire. Le maillage des maires des petites communes a été indispensable et très efficace en ces temps difficiles. Les connaissances qu’ont ces élus de leur commune et de leur population, leur détermination et leur engagement ont été essentiels dans nos territoires ruraux. Faire entrer ces 3 500 communes dans le dispositif de majoration et de revalorisation est donc une mesure de justice.
Cette crise doit nous inciter à avoir une nouvelle vision des libertés locales.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour présenter l’amendement n° 196.
Mme Sylvie Vermeillet. Le 21 novembre 2019, Édouard Philippe, devant les maires de France, en présence de M. le président du Sénat et de M. le président de l’AMF, déclarait : « Beaucoup d’entre vous doivent se dire que leur commune n’aura pas les moyens de financer cette remise à niveau de leur indemnité. Nous allons donc proposer un effort ciblé, mais substantiel, sur la dotation particulière pour les élus locaux : nous proposerons de la doubler pour les communes éligibles de moins de 200 habitants et de l’augmenter de 50 % pour les communes éligibles de 200 à 500 habitants. C’est une façon de garantir le fait que les mesures qui ont été proposées peuvent entrer en vigueur de façon pérenne pour ceux qui sont concernés. »
Aujourd’hui, les communes concernées s’aperçoivent que leur DPEL n’a pas été augmentée comme cela leur avait été promis et qu’un critère supplémentaire de potentiel fiscal a été introduit pour réduire le coût de la mesure.
À l’heure où le Président de la République en appelle aux maires pour mener à bien le déconfinement, il manque 8 millions d’euros pour honorer cette promesse. Comment pourrait-on revenir dessus ? Comment expliquer, alors que l’on mobilise 110 milliards d’euros dans la crise que nous traversons et que les maires sont indispensables, qu’on ne puisse pas trouver 8 millions d’euros pour respecter un engagement du Président de la République et du Premier ministre ?
Nous ne sommes pas hors sujet. Il s’agit non pas d’augmenter les indemnités des maires, mais de respecter l’engagement pris devant eux, ainsi que la volonté exprimée par le Sénat.
Cet amendement vise donc à rétablir la DPEL telle qu’elle aurait dû être. Parce qu’il n’existe pas de maires au rabais, il ne doit pas non plus y avoir de DPEL au rabais ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Lors de l’examen du projet de loi de finances, nous nous étions interrogés sur les modalités de cette revalorisation.
Il est vrai que le décret qui a été soumis au CFL ne semble pas respecter l’engagement d’origine. Cela étant, cette question s’adresse plutôt au Gouvernement : pourquoi, très concrètement, l’engagement pris n’a-t-il pas été tenu ? Pour sa part, la commission demande le retrait de ces amendements, qui paraissent un peu éloignés de l’objet du projet de loi de finances rectificative, lequel prévoit les mesures à prendre face à l’urgence économique et sanitaire. Il s’agit essentiellement de sauver les entreprises et d’apporter un soutien aux populations les plus fragiles.
J’aimerais toutefois que le Gouvernement confirme, s’il le peut, l’engagement qu’il avait pris lors de l’examen du projet de la loi de finances.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Le Gouvernement demande également le retrait de ces amendements, qui n’ont effectivement pas de lien avec le texte en discussion. Je l’ai dit précédemment, les mesures en faveur des collectivités locales sont renvoyées au prochain texte financier que nous vous proposerons.
Monsieur le rapporteur général, le ministre chargé des collectivités territoriales a eu l’occasion de s’exprimer devant la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation présidée par votre collègue Jean-Marie Bockel sur l’ensemble des sujets concernant les collectivités locales, en particulier sur la question des indemnités des élus. Par ailleurs, il me semble que Mme Gourault est la plus à même de vous répondre sur l’intégration des 8 millions d’euros qui correspondraient à l’engagement pris par le Premier ministre devant l’Association des maires de France.
Je le répète, je demande le retrait de ces amendements, qui n’ont pas de lien avec le projet de loi de finances rectificative. Cela ne signifie pas pour autant que le Gouvernement ne reviendra pas sur cette question, de sa propre initiative ou à votre demande, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Pour ma part, je souhaite que nous votions largement ces amendements, afin de tendre la main au Gouvernement et de l’aider à tenir un engagement pris par le Premier ministre lors du congrès des maires de France et par Sébastien Lecornu, ici, au Sénat. Nous étions d’ailleurs très nombreux à écouter le ministre ce jour-là.
Nous partageons tous la conviction qu’il faut soutenir les maires des toutes petites communes. Je précise bien à l’intention des Français qui nous écoutent ce soir qu’il s’agit non pas des maires des grandes communes, mais de ceux qui dirigent des communes de moins de 200 ou de 500 habitants. Ces maires n’ont pas de services, ils sont les bonnes à tout faire de la République, les fantassins toujours en première ligne. On le voit bien, et le ministre l’a dit justement, la République va devoir s’appuyer sur ses maires face à cette pandémie. Or nombre d’entre eux ne peuvent compter que sur leurs propres forces et sur celles de leur conseil municipal.
L’État a pris un engagement à son plus haut niveau, le Sénat a voté une revalorisation. Or il ne sera pas possible de rehausser la rémunération des élus des petites communes avec justice et équité si la dotation particulière « élu local » ne suit pas – il manque 8 millions d’euros.
Mes chers collègues, ne remettons pas à demain ce que nous pouvons faire dès ce soir.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 57 rectifié bis et 196.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 265 rectifié bis, présenté par MM. Gabouty et Requier, Mmes Laborde et N. Delattre et M. Vall, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 235 ter X du code général des impôts, le taux : « 0,40 % » est remplacé par le taux : « 0,60 % ».
La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le ministre, je vais enfin vous proposer des recettes. Elles sont rares ce soir… (Sourires.)
Cet amendement vise à moduler la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d’assurances de dommages organisée par l’article 235 ter X du code général des impôts. Le contexte actuel lié à la crise du Covid-19 peut en effet conduire ces entreprises à surprovisionner à la suite d’une sinistralité qui risque fort de diminuer durant plusieurs mois.
Les assurances vont réaliser des économies en termes d’indemnisations. Aucun chiffrage précis n’ayant été réalisé à ce jour, on se fie donc à ce qu’elles annoncent. Ces économies sont dues non pas à un effet de gestion, mais au confinement. Elles résultent de la contrainte imposée à l’ensemble des Français, ou en tout cas à la très grande majorité d’entre eux. Les assurances sont l’un des rares secteurs d’activité bénéficiaires du confinement.
Les compagnies d’assurance se sont précipitées pour proposer des formules indépendantes les unes des autres : des remises, des délais de paiement, la continuité de l’assurance, même en l’absence de paiement des primes, en mélangeant ce qui est un décalage de trésorerie avec des remises. Elles proposent par ailleurs à leurs assurés de renoncer à ces remises pour abonder le fonds de solidarité, parvenant ainsi à les comptabiliser presque deux fois ! C’est ainsi que la présidente de la Fédération française de l’assurance a pu dire que la crise leur avait déjà coûté 3 milliards d’euros, ce chiffre étant à mon avis assez proche du montant des économies qu’elles réalisent.
Je ne suis pas sûr de ces chiffres, mais d’après le rapport de 2018 de la Fédération française de l’assurance, les dommages au titre de l’assurance automobile, de l’assurance construction, des assurances sur les biens des particuliers et des entreprises représentent au total près de 40 milliards d’euros, dont pratiquement la moitié au titre de la seule assurance automobile. Or j’ai parcouru 400 kilomètres en voiture ce matin pour me rendre au Sénat, et, croyez-moi, je n’ai pas vu beaucoup de véhicules légers sur les routes entre Limoges et Paris.
Le montant des économies avancé dans l’amendement en discussion commune de notre collègue Bruno Retailleau me semble très sous-estimé. Pour ma part, je pense que les économies réalisées se chiffrent en milliards d’euros. Ainsi, les indemnisations au titre de l’assurance automobile s’élèvent à 18 milliards d’euros par an, soit 1,5 milliard d’euros par mois en moyenne. On peut rapidement faire le calcul pour la période allant du 15 mars au 15 mai, soit deux mois, même en se fondant sur une hypothèse pessimiste d’accidents de la route… Et je ne prends pas en compte la diminution de l’indemnisation des autres dommages ! Il n’y a pas non plus de hausse du nombre de cambriolages ou de bris de machines dans les entreprises ; peut-être subsiste-t-il des dégâts des eaux, mais cela ne va pas très loin.
Cet amendement vise donc à mettre la pression sur le secteur des assurances, qui, selon moi, ne contribue pas au niveau auquel il devrait le faire. Nous avons préféré pour cela nous appuyer sur un dispositif existant plutôt que de créer une nouvelle taxe.
M. le président. L’amendement n° 328, présenté par MM. Retailleau, Allizard, Babary, Bas, Bascher et Bazin, Mmes Berthet et A.M. Bertrand, M. Bizet, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme et Bonne, Mme Bories, M. Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, MM. Bouloux, J.M. Boyer et Brisson, Mme Bruguière, MM. Buffet et Calvet, Mme Canayer, M. Cardoux, Mme Chain-Larché, MM. Chaize, Charon et Chatillon, Mme Chauvin, M. Chevrollier, Mme de Cidrac, MM. Cuypers, Dallier et Danesi, Mme L. Darcos, M. Darnaud, Mme Delmont-Koropoulis, M. Dériot, Mmes Deroche, Deromedi, Deseyne, Di Folco et Dumas, M. Duplomb, Mmes Duranton, Estrosi Sassone et Eustache-Brinio, MM. B. Fournier, Frassa et Genest, Mme F. Gerbaud, MM. Gilles, Ginesta, Gremillet et Grosdidier, Mme Gruny, MM. Guené et Hugonet, Mme Imbert, MM. Joyandet, Karoutchi, Kennel et Laménie, Mmes Lamure, Lanfranchi Dorgal et Lassarade, M. D. Laurent, Mme Lavarde, MM. Lefèvre, de Legge, Leleux et H. Leroy, Mmes Lopez et Malet, MM. Mandelli et Mayet, Mmes M. Mercier et Micouleau, M. Milon, Mme Morhet-Richaud, MM. Morisset, Mouiller, Nachbar et de Nicolaÿ, Mme Noël, MM. Nougein, Paccaud, Paul, Pellevat, Pemezec, Perrin, Piednoir, Pierre, Pointereau, Poniatowski et Priou, Mmes Puissat et Raimond-Pavero, M. Raison, Mme Ramond, MM. Rapin, Regnard et Reichardt, Mme Richer, MM. Saury, Savary, Savin, Schmitz, Segouin et Sido, Mme Sittler, M. Sol, Mmes Thomas et Troendlé et MM. Vaspart, Vial et Vogel, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article 235 ter X du code général des impôts est ainsi modifié :
1° À la dernière phrase, le taux : « 0,40 % » est remplacé par le taux : « 0,50 % » ;
2° Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Ce même taux est porté à 0,60 % pour s’appliquer au titre des mois écoulés à compter du 1er janvier 2021. »
La parole est à Mme Catherine Dumas.
Mme Catherine Dumas. Cet amendement tend à prévoir une hausse progressive en 2020 et en 2021 de la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d’assurances de dommages.
La forte baisse de la sinistralité, que vient de rappeler Jean-Marc Gabouty, notamment du nombre d’accidents automobiles, résulte bien sûr des mesures de confinement et permet, selon les chiffres de la Fédération française de l’assurance, aux assurances d’économiser entre 300 et 400 millions d’euros par mois, soit entre 600 et 800 millions d’euros pour les seuls mois de mars et d’avril. Leurs provisions vont donc être bien supérieures aux résultats de l’assurance dommage, ce qui justifie d’affecter les recettes ainsi dégagées au soutien des TPE et des PME, lesquelles connaissent de grandes difficultés durant la période de confinement.
En début de séance, nous avons parlé du fonds national de solidarité. Nous avons constaté que nous n’étions pas satisfaits au départ de l’engagement de solidarité nationale des assurances. Aujourd’hui, mes chers collègues, je vous le dis : les assurances doivent être au rendez-vous de la mobilisation économique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. En matière d’assurances, une question mérite d’être posée – j’en ai discuté avec notre collègue Jean-François Husson –, celle de la prise en charge des pertes d’exploitation du fait d’une pandémie. Nous aurons sans doute à y réfléchir collectivement Le Gouvernement s’y attelle. Pour ma part, j’ai eu un entretien avec la présidente de la Fédération française de l’assurance.
Il est évidemment hors de question qu’à travers une contribution quelconque on puisse couvrir un aléa aussi important que celui-ci. Un régime assurantiel de type catastrophe naturelle avec participation de la Caisse centrale de réassurance et de l’État semble plus adapté. Un certain nombre de nos collègues ont déposé des propositions en ce sens. Nous ne pouvons en effet nous satisfaire d’un système laissant les pertes d’exploitation sans réponse assurantielle, même si l’État contribue à les amoindrir à travers le fonds de solidarité.
Quoi qu’il en soit, tel n’est pas ici l’objet de ces deux amendements. Je profitais uniquement du fait que la question des assurances soit abordée pour préciser que la commission des finances travaillera, avec d’autres commissions, sur les différentes propositions des sénateurs.
Force est de reconnaître que nous sommes dans une situation très particulière. L’aléa fait certes partie de l’assurance – c’est même sa raison d’être : il y a de bonnes années et il y a de mauvaises années –, mais si l’on taxait les assurances lorsqu’il n’y a pas de sinistre, c’est-à-dire les bonnes années, cela remettrait en cause le principe même de l’assurance. Néanmoins, comme je l’ai souligné, nous sommes ici dans une situation totalement inédite.
Prenons l’exemple de l’assurance automobile, qui a été cité à l’instant. Le décret du 23 mars introduit une quasi-interdiction de déplacement, avec contrôle des forces de l’ordre, sauf pour des motifs très précis et limités. Concrètement, nous assistons quasiment à une suspension de l’obligation d’assurance. De fait, la plupart des véhicules ne roulent pas : il n’y a d’ailleurs plus personne sur les autoroutes et il y a très peu de monde sur les routes. Bref, il ne s’agit pas pour les assurances de traiter l’aléa habituel, c’est-à-dire de gérer une bonne ou une mauvaise année : on est dans un régime très particulier d’interdiction administrative de circuler, sauf très rares exceptions.
Tout cela mérite, à mon sens, un traitement spécial. Cette situation tout à fait inédite va engendrer des effets d’aubaine et entraîner des profits liés à cette période de confinement. À combien ceux-ci doivent-ils être chiffrés, je l’ignore. Quoi qu’il en soit, ces amendements, qui tendent à prévoir une hausse de la taxe sur les excédents de provisions des entreprises d’assurances de dommages, ne me paraissent pas incongrus du fait du caractère extrêmement particulier de la sinistralité, en forte baisse en raison des interdictions administratives.
La commission est donc favorable à l’amendement n° 328 et demande le retrait à son profit de l’amendement n° 265 rectifié bis. Encore une fois, il s’agit non pas de taxer une bonne année, mais de tenir compte du fait que le service assurantiel est suspendu puisque l’on ne peut pas rouler.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je partage la plupart des remarques qui viennent d’être formulées.
À la demande du Premier ministre, le ministre de l’économie, qui a mené les négociations, a obtenu des assureurs qu’ils versent 200 millions, puis 400 millions d’euros au fonds de solidarité pour les indépendants. Pour rappel, puisqu’en tant que ministre de l’action et des comptes publics je suis chargé de compter l’argent qui entre dans les caisses de l’État, seuls 185 millions ont été versés à ce jour. Nous pensons, bien sûr, que nous pouvons obtenir plus de la part des assurances.
Comme vous l’avez souligné, il est évident, notamment en examinant la sinistralité automobile, que les assurances ne sont pas en difficulté en ce moment, d’autant qu’elles ne couvrent pas le risque pandémique. Certes, on ne peut pas le leur reprocher, car ce risque n’est couvert dans aucun pays au monde, mais il faudra dorénavant y songer, même si c’est un pari difficile. En revanche, le remboursement intégral de la perte de chiffre d’affaires mettrait évidemment le secteur de l’assurance en grande difficulté. Quoi qu’il en soit, il existe sans doute un juste milieu entre tout et rien.
Même si je comprends l’esprit de ces amendements, j’émets un avis défavorable. Je ne voudrais pas empiéter sur les travaux du ministre de l’économie, qui mène des négociations en ce moment même. J’espère néanmoins que votre amicale pression, pour reprendre votre expression, aidera le Gouvernement à obtenir davantage de la part du secteur assurantiel. En tout état de cause, d’autres textes sont prévus, qui pourraient permettre, si le Gouvernement le souhaitait, en lien avec vos assemblées, de prendre un certain nombre de dispositions législatives.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. La situation économique est tout à fait originale. Par une décision administrative, liée certes à une crise sanitaire, un certain nombre d’activités économiques ont été interdites. On a donc déplacé la marge, puisque l’on a créé, pour certains secteurs, une rente par décision administrative. C’est la loi classique de la concurrence, du monopole, etc. Bref, on a déplacé la rente. Il n’est donc pas illogique de vouloir taxer une rente indue. L’amendement n° 328 déposé par Bruno Retailleau me paraît cohérent, et je le soutiendrai.
Monsieur le ministre, nous vous aiderons. Vous l’avez vous-même reconnu, les assureurs traînent un peu les pieds. Il faut leur mettre la pression, et nous sommes à vos côtés pour cela !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le ministre, j’espère que la pression du Sénat sera utile aux négociations. Ces deux amendements sont sous-tendus par le même raisonnement. Ma proposition est juste un peu plus brutale, car aucun palier n’est prévu : je propose de passer directement de 0,40 % à 0,60 %. Je reconnais bien là la douceur du groupe Les Républicains. (Sourires.)
Je me range donc à la rédaction de M. Retailleau, mais, plutôt que de retirer mon amendement, je préfère le rectifier pour qu’il soit rendu identique à l’amendement n° 328.
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 265 rectifié ter, dont le libellé est désormais strictement identique à celui de l’amendement n° 328.
La parole est à M. Claude Raynal, pour explication de vote.
M. Claude Raynal. Est-il logique que ces deux amendements soient mis aux voix sans que soient examinés les trois amendements suivants, lesquels visent à rétablir la taxe exceptionnelle de 10 % ? Il s’agit toujours d’une question de taxe, mais avec des procédés différents. Pourrions-nous examiner tous ces amendements en discussion commune ?
M. le président. Rétablir une discussion commune semble difficile, cher collègue. (M. le rapporteur général le confirme.)
La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je remercie Jean-Marc Gabouty d’avoir aligné son amendement sur le nôtre et d’avoir reconnu la modération du groupe Les Républicains. Son ciblage est néanmoins peut-être meilleur que le nôtre : du coup, il encourage sans doute notre amendement !
Nombre de restaurateurs, d’hôteliers et de chefs de petites entreprises pensaient avoir souscrit un contrat couvrant les pertes d’exploitation. Or le risque pandémique n’est pas couvert. Comme l’a souligné le rapporteur général, il va falloir réfléchir à régler ce problème pour l’avenir. Un certain nombre de collègues, notamment Jean-François Husson, Catherine Dumas et Vincent Segouin, ont fait des propositions.
En tout état de cause, il nous appartient maintenant de gérer le présent, qui est fait d’une injustice extraordinaire. Jérôme Bascher l’a rappelé, toutes les activités ont cessé brutalement en raison du confinement, mais cela a profité à un secteur économique, ce qui est choquant !
Les gains pour le secteur de l’assurance s’élèvent à des centaines de millions d’euros, sans doute à des milliards. En deux mois, nous avons compté que les assureurs ont gagné à peu près 800 millions d’euros. La presse s’en est fait l’écho, une mutuelle a restitué à ses adhérents 100 millions d’euros pour la baisse de sinistralité au titre de l’automobile.
Monsieur le ministre, notre amendement a pour objectif de vous aider. Je le dis en prenant à témoin les sociétés d’assurance, qui, j’en suis certain, nous écoutent ce soir : nous allons le voter. Nous ne savons pas ce qu’il deviendra demain, mais il y aura d’autres PLFR : soit le tour de table avec Bruno Le Maire aboutit, et les assurances acceptent de faire un effort supplémentaire ; soit leur prise de responsabilité est défaillante, et nous aurons d’autres occasions d’y revenir.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, il s’agit peut-être d’une méconnaissance du règlement de ma part, mais je suis d’accord avec la remarque formulée par mon collègue Raynal.
M. le président. Cher collègue, nous n’allons pas entamer un débat de cette nature : il a été tranché par la commission !
M. Pascal Savoldelli. Certes, mais trois groupes de sensibilité différente souhaitent aborder la question de la réserve de capitalisation, obligatoire pour les assurances et qui constitue une garantie pour les assurés. Ce n’est pas pour embêter le monde, il s’agit de fixer les taux de provision. !
Si ce point de procédure est tranché, monsieur le président, dont acte, mais nous allons voter ces deux amendements, et nous verrons ensuite le comportement de toutes les composantes politiques…
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 265 rectifié ter et 328.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 76 rectifié, présenté par Mme Férat, M. Delcros, Mme Vermeillet, MM. Delahaye, Capo-Canellas et Canevet, Mme N. Goulet, M. Laurey et les membres du groupe Union Centriste, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les personnes mentionnées aux 1° à 6° du B du I de l’article L. 612-2 du code monétaire et financier qui, au jour de la promulgation de la présente loi, exploitent une entreprise en France au sens du I de l’article 209 du code général des impôts, acquittent une taxe exceptionnelle sur la réserve de capitalisation.
II. – Cette taxe est assise sur le montant, à l’ouverture de leur exercice en cours au jour de la promulgation de la présente loi, de la réserve de capitalisation que les personnes mentionnées au I ont constituée en application des dispositions législatives et réglementaires du code des assurances, du code de la mutualité ou du code de la sécurité sociale qui les régissent.
III. – Le taux de la taxe est de 10 %. Le montant de la taxe est plafonné à 10 % des fonds propres, y compris la réserve de capitalisation, des personnes mentionnées au I à l’ouverture de leur exercice en cours au jour de la promulgation de la présente loi.
IV. – La taxe n’est pas admise en déduction du résultat imposable à l’impôt sur les sociétés.
V. – La taxe est exigible à la clôture de l’exercice en cours au jour de la promulgation de la présente loi. Elle est déclarée et liquidée dans les quatre mois de son exigibilité sur une déclaration dont le modèle est fixé par l’administration.
VI. – La taxe est recouvrée et contrôlée selon les procédures et sous les mêmes sanctions, garanties et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.
La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Le présent amendement vise à rétablir la taxe exceptionnelle de 10 % assise sur le montant de la réserve de capitalisation des acteurs de l’assurance, mise en place en 2011 sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
L’économie française, durement affectée par la crise sanitaire sans précédent générée par l’épidémie de Covid-19, doit être aujourd’hui massivement soutenue par les acteurs de l’assurance, bénéficiaires malgré eux de la chute significative du nombre de sinistres couverts.
Le produit de ladite taxe devra être mis à profit pour soutenir les actions en faveur des TPE et PME.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 172 rectifié est présenté par MM. P. Joly et Antiste, Mme G. Jourda, MM. Daudigny, Marie et Lozach, Mmes Conconne, Meunier et Rossignol, MM. Duran, Tissot, M. Bourquin, Montaugé et Vaugrenard, Mmes Tocqueville, Guillemot et Grelet-Certenais, MM. Joël Bigot et Houllegatte, Mme Harribey, M. Gillé, Mmes Préville et Taillé-Polian, M. Devinaz, Mme Jasmin et MM. Mazuir, Féraud et Durain.
L’amendement n° 294 est présenté par MM. Bocquet, Savoldelli et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les personnes mentionnées aux 1° à 6° du B du I de l’article L. 612-2 du code monétaire et financier qui, au jour de la promulgation de la présente loi, exploitent une entreprise en France au sens du I de l’article 209 du code général des impôts, acquittent une taxe exceptionnelle sur la réserve de capitalisation.
II. – La taxe est assise sur le montant, à l’ouverture de leur exercice en cours au jour de la promulgation de la présente loi, de la réserve de capitalisation que les personnes mentionnées au premier alinéa ont constituée en application des dispositions législatives et réglementaires du code des assurances, du code de la mutualité ou du code de la sécurité sociale qui les régissent.
III. – Le taux de la taxe est de 10 %. Le montant de la taxe est plafonné à 5 % des fonds propres, y compris la réserve de capitalisation, des personnes mentionnées au premier alinéa à l’ouverture de leur exercice en cours au jour de la promulgation de la présente loi.
IV. – La taxe n’est pas admise en déduction du résultat imposable à l’impôt sur les sociétés.
V. – La taxe est exigible à la clôture de l’exercice en cours au jour de la promulgation de la présente loi. Elle est déclarée et liquidée dans les quatre mois de son exigibilité sur une déclaration dont le modèle est fixé par l’administration.
VI. – La taxe est recouvrée et contrôlée selon les procédures et sous les mêmes sanctions, garanties et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.
La parole est à M. Patrice Joly, pour présenter l’amendement n° 172 rectifié.
M. Patrice Joly. Il me paraît indispensable, compte tenu de la situation, que les assurances contribuent à l’effort. Cela a été rappelé, elles sont significativement bénéficiaires. La MAIF évalue à 75 % la baisse de la sinistralité automobile.
Je suis un adepte du financement public à travers les impôts et non à travers les appels aux dons, qui sont la solution retenue par le ministre. Plutôt que d’attendre que les bonnes volontés se décident à contribuer au fonds de solidarité créé pour soutenir notamment les petites et moyennes entreprises, il me paraît utile de fixer une base taxable, fiable et liquidable. Pour obtenir une contribution des assurances à hauteur de leurs capacités financières, nous avons eu l’idée de mettre en place une taxation sur la capitalisation.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour présenter l’amendement n° 294.
M. Pascal Savoldelli. Ces trois amendements se rejoignent et portent sur la question des réserves de capitalisation des assurances.
Même si certains sont plus compétents que moi dans le domaine assurantiel, je peux dire que l’objectif assigné aux assureurs est de répondre à la dépréciation des valeurs comprises dans l’actif de l’entreprise et à la diminution des revenus.
J’ai interrogé des artisans et des commerçants de mon territoire. Ils ont cotisé entre 4 000 euros et jusqu’à 18 000 euros par an pour bénéficier d’un contrat assez large du point de vue assurantiel. Aujourd’hui, ils enregistrent tous des pertes d’exploitation, et ils se retrouvent sur le carreau, sans personne pour les aider !
Je le dis sans nostalgie, ni personnelle ni politique : en 1999, le secteur assurantiel a versé 7,5 milliards d’euros d’indemnisation. Or nous faisons face aujourd’hui à une catastrophe dont les dommages excèdent ceux qui ont été enregistrés en 1999, tout le monde s’accorde à le dire !
Peut-on s’autoriser à taxer les fonds de capitalisation des assurances à hauteur de 10 % ? On peut être d’accord ou pas avec cette proposition, mais elle est issue de trois sensibilités différentes de notre hémicycle. Ça, c’est l’urgence.
Et puis, il y a l’après. Nous aurons aussi des confrontations légitimes, démocratiques et tranquilles, par exemple sur le nouveau contrat que sont en train de préparer AXA ou d’autres. C’est dans la presse, je n’apprends rien à personne.
Quoi qu’il en soit, la question que pose aujourd’hui notre groupe et d’autres groupes politiques est la suivante : comment faire pour que les commerçants, les artisans et les plus petits patrons s’en sortent quand ils ont souscrit des contrats à hauteur de 4 000 et jusqu’à 18 000 euros et qu’ils ne sont pas couverts ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Si on schématise, les réserves de capitalisation sont des provisions techniques obligatoires devant permettre aux assurances d’apporter une réponse en cas de sinistre. Ce sont des obligations prudentielles qui s’imposent. Il ne faut y toucher qu’à bon escient.
Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que la situation est inédite, puisqu’une interdiction administrative crée une espèce d’effet d’aubaine : il n’y a pas de sinistralité, non en raison de l’aléa habituel, mais du fait d’une situation complètement nouvelle. C’est pourquoi la question de la contribution du secteur mérite d’être posée. J’ai d’ailleurs été favorable aux deux amendements précédents. Néanmoins, avant de fixer une taxe sur la capitalisation des assurances, il convient de s’interroger sur le niveau pouvant être taxé compte tenu des nécessaires réserves prudentielles.
J’ai entendu ce qu’a dit à l’instant M. le ministre sur les discussions avec le secteur de l’assurance. J’ai également entendu ce qu’a dit Bruno Retailleau, et je le suivrai volontiers dans son argumentation. Nous aurons dans quelques semaines à examiner un nouveau PLFR. Ce n’est pas un mystère, nous serons obligés d’y revenir. J’espère simplement que ce texte portera sur la relance. Quoi qu’il en soit, il nous faudra continuer à soutenir l’économie. Je propose donc que nous prenions rendez-vous : soit les négociations avec le secteur de l’assurance ont abouti de manière satisfaisante, soit nous prendrons nos responsabilités !
À ce stade, je ne suis pas favorable à ces amendements, car je ne veux pas mettre à mal les assurances. Il faut des réserves techniques obligatoires pour garantir, le cas échéant, le paiement des sinistres. Il s’agit là de toucher aux réserves de cotisations. Faisons-le avec prudence pour être certains que nous nous situons au bon niveau.
Encore une fois, je fais confiance au Gouvernement, qui a engagé une négociation. Si elle échoue ou si le résultat obtenu n’est pas satisfaisant, nous y reviendrons dans le prochain PLFR. Je demande donc le retrait de ces trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne suis pas défavorable par principe, au nom du ministère de l’action et des comptes publics, à la demande de vos trois groupes. Seulement, comme je l’ai indiqué précédemment, une négociation est en cours – M. le rapporteur général et M. Retailleau l’ont reconnu. Ce n’est pas en adoptant de tels amendements que nous faciliterons la négociation.
Certes, le Parlement souhaite nous apporter son aide, et je l’en remercie. Je note que toute la Nation est d’accord pour dire que les assurances doivent contribuer davantage, car vos prises de position sont assez similaires à celles exprimées à l’Assemblée nationale.
Par ailleurs, cela a été rappelé, le présent texte n’est pas un PLFR de relance. Je tiendrai cette ligne tout au long de l’examen du projet de loi, sinon le Gouvernement perdrait de sa légitimité dans les contre-arguments. La question de savoir comment financer cette relance, à laquelle les assureurs devront prendre leur part, je le dis bien volontiers, ne se pose pas encore.
Enfin, je souhaite apporter un correctif. J’ai annoncé que les assurances avaient versé 185 millions d’euros sur l’aide de 400 millions d’euros qui a été annoncée. On me dit qu’elles ont effectué ce soir un virement de 10 millions d’euros supplémentaires. (Sourires et exclamations sur la plupart des travées.) Leur contribution, pour être honnête avec la représentation nationale, s’élève donc à 195 millions d’euros. (Mêmes mouvements.)
M. le président. Madame Guidez, l’amendement n° 76 rectifié est-il maintenu ?
Mme Jocelyne Guidez. Tout à fait, monsieur le président. Il s’agit d’un amendement d’appel pour inciter à la réflexion.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je retire l’amendement n° 294, pour favoriser l’adoption de l’amendement n° 76 rectifié.
M. le président. L’amendement n° 294 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 76 rectifié.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er, et l’amendement n° 172 rectifié n’a plus d’objet.
L’amendement n° 98 rectifié, présenté par MM. Jacquin, Temal, M. Bourquin, P. Joly, Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Féraud, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian, MM. Bérit-Débat, Joël Bigot, Courteau et Daunis, Mmes Grelet-Certenais et G. Jourda, M. Kerrouche, Mmes Préville et Monier, MM. Todeschini, Durain, Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Les entreprises mentionnées au 3° de l’article L. 310-1 du code des assurances et agréées au titre de l’article L. 321-1 du même code pour la branche d’assurance des pertes pécuniaires diverses sont assujetties à une contribution exceptionnelle au bénéfice du fonds de solidarité institué par l’ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création d’un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.
II. – Le montant de cette contribution est égal à la totalité des sommes économisées mensuellement par les entreprises visées au I depuis la promulgation de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, par rapport à la même période de l’année précédente. Il ne peut être inférieur à un milliard d’euros versés avant la fin de l’année 2020.
III. – L’ensemble des pièces permettant d’établir le montant de la contribution sont fournies au ministre chargé de l’économie à qui charge est donnée de contrôler l’exactitude des montants. En cas de non-fourniture de ces documents, une pénalité peut être exigée.
IV. – Le premier versement de la contribution prévue au I est payé au comptable public compétent, au plus tard 30 jours après la publication de la présente loi.
V. – Le non-versement total ou partiel de la contribution prévue au I entraîne la suspension de plein droit de l’agrément visé au même I pour un an.
VI. – Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à l’impôt sur les sociétés.
VII. – Cette contribution est calculée mensuellement et est valide pendant toute la durée de l’état de déclaration de l’état d’urgence sanitaire tel que défini aux articles L. 3131-12 et suivants du code de la santé publique.
La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Les assureurs vont être contents que nous pensions autant à eux ce soir…
Je vais peut-être vous étonner par le pragmatisme de cette proposition toute simple et pleine de bon sens. Il est beaucoup trop tôt pour connaître la situation exacte des assureurs. Nous ne la connaîtrons qu’à la fin de l’année. Je propose donc de constater au mois le mois, d’une année sur l’autre, les économies réalisées dans le domaine de la sinistralité. Il ne s’agit pas de procéder au doigt mouillé. Grâce à ce procédé, ce ne sera ni une taxe trop forte ni une taxe trop faible. Il ne s’agira pas non plus d’une obole, car ce n’est pas cela que nous demandons.
Bien évidemment, si les assureurs ne se conforment pas à cette disposition, une sanction est prévue. Un mécanisme plancher de 1 milliard d’euros comme base de la solidarité serait instauré.
Bruno Retailleau a cité la MAIF, qui a évalué à près de 100 millions d’euros les économies réalisées en huit semaines dans le seul domaine de l’automobile. La Fédération française de l’assurance estime, elle, qu’en quarante jours, pour les seuls sinistres automobiles, les économies s’élèveraient à près de 300 millions d’euros.
Les chiffres des assurances sont transparents. Pour les assurances de biens, en 2018, la Fédération française de l’assurance signale 56 milliards d’euros de cotisations, dont 22 milliards d’euros au titre de l’automobile. Tout cela nous donne une idée de ce qu’il est possible de faire.
Vous nous avez incités à la prudence, monsieur le rapporteur général, au sujet de la taxe sur la réserve de capitalisation. Nous vous proposons ici un dispositif complémentaire à la taxe sur les excédents de provisions.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. L’idée est tout à fait séduisante, mais je m’interroge sur le caractère opérationnel de cet amendement. Prévoir que le montant de la contribution est égal aux « sommes économisées mensuellement » me paraît peu ou pas opérant. En matière fiscale, il faut déterminer une assiette avec suffisamment de précision, une branche, une période de référence, etc.
Certes, nous avons ce débat parce que la situation que nous vivons est totalement inédite. Soit les assurances font un geste en matière de franchise, de report et de réduction des cotisations par exemple pour la branche automobile, au moins durant la période de confinement puisqu’il est impossible de rouler, soit nous prendrons nos responsabilités. À ce stade, je demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Jacquin, l’amendement n° 98 rectifié est-il maintenu ?
M. Olivier Jacquin. Deux fois oui ! Si j’entends bien les arguments, il s’agit d’un bon principe. Il y aurait uniquement un problème de faisabilité.
Je précise que la méthode sera déterminée par décret. Les bilans des assureurs sont connus. M. le ministre dispose de services de qualité à Bercy tout à fait en mesure de calculer ça. Il n’existe pas non plus des dizaines de milliers de compagnies d’assurance. Mettez-y un peu de bonne volonté !
Vous l’avez souligné, la situation est injuste. Certaines entreprises souffrent grandement quand d’autres profitent de la situation. Nous ne voulons ni taxe ni obole, nous voulons uniquement mettre en place une juste compensation pour contrebalancer les gains des uns, liés à la perte d’activité des autres.
Je pense à un ami horticulteur, qui paye ses cotisations d’assurance parce que c’est un honnête homme, mais qui a interdiction de vendre ses produits. Je pense à un ami kinésithérapeute, qui s’est installé il n’y a pas longtemps. En plus des assurances, il doit faire face au remboursement de ses emprunts, et il n’a pas obtenu de reports suffisants. Je pense à l’hôtel où je suis descendu : je suis seul client alors que l’établissement compte cent chambres ! L’hôtelier paye aussi ses assurances, il m’en a parlé ! Je pense à un ami entrepreneur, qui paye ses assurances pour son matériel de travaux publics qui dort. Je pense à un musée devant lequel je suis passé et qui est fermé ou à un garagiste – summum du cynisme – qui paye son assurance, mais n’a plus de travail en ce moment !
M. le président. L’amendement n° 95, présenté par MM. Raynal, Kanner, Éblé, Botrel et Carcenac, Mme Espagnac, MM. Féraud, P. Joly, Lalande et Lurel, Mme Taillé-Polian, MM. Bérit-Débat, Joël Bigot, M. Bourquin, Courteau et Daunis, Mmes Grelet-Certenais et G. Jourda, MM. Kerrouche et Jacquin, Mmes Préville et Monier, MM. Temal, Todeschini et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Il est institué pour l’exercice 2020 une contribution unique de solidarité sur les encours constitués par les personnes physiques au titre d’un contrat d’assurance sur la vie conclu auprès d’organismes relevant du code des assurances ou du code de la mutualité, d’établissements de crédit, de la Banque de France, d’un comptable public compétent ou de sociétés de gestion de portefeuille, et ce quelle que soit la nature du support de compte.
Le montant du prélèvement est fixé à 0,5 % de la valeur des encours constatée au 1er avril 2020.
Le prélèvement n’est applicable qu’aux encours supérieurs ou égaux à 150 000 euros à la date précitée.
Lorsqu’une même personne physique est titulaire de plusieurs contrats et pour l’application de l’alinéa précédent, il est tenu compte de la somme des encours de ces contrats.
La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Il s’agit d’une proposition pour trouver des recettes, sujet qui va nous occuper grandement dans les mois à venir.
Cet amendement vise à instituer pour l’exercice 2020 une contribution unique de solidarité sur les encours constitués par les personnes physiques au titre du contrat d’assurance vie auprès d’organismes relevant du code des assurances ou du code de la mutualité, d’établissements de crédit… Le montant du prélèvement serait fixé à 0,5 % de la valeur des encours constatée au 1er avril 2020. Bien évidemment, le prélèvement n’est applicable qu’aux encours supérieurs ou égaux à 150 000 euros, montant traditionnellement retenu en matière d’assurance vie.
Il s’agit ici de trouver des solutions de solidarité entre nous tous.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Le débat n’est plus du tout le même : il s’agit ici non pas de taxer les assurances qui ont réalisé des résultats exceptionnels, mais les assurés, c’est-à-dire l’épargne des Français. Nous ne le souhaitons pas. Mieux vaut inciter nos concitoyens à investir ou à consommer. L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons examiné 34 amendements au cours de la journée ; il en reste 247.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 22 avril 2020 :
À neuf heures trente :
Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2020, adopté par l’Assemblée nationale (texte n° 403, 2019-2020).
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et, éventuellement, le soir :
Suite du projet de loi de finances rectificative pour 2020, adopté par l’Assemblée nationale (texte n° 403, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 22 avril 2020, à zéro heure trente.)
nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission des finances pour faire partie de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020 a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :
Titulaires : MM. Vincent Éblé, Albéric de Montgolfier, Philippe Dallier, Jérôme Bascher, Mme Sylvie Vermeillet, MM. Claude Raynal et Julien Bargeton ;
Suppléants : MM. Arnaud Bazin, Jean-François Husson, Antoine Lefèvre, Vincent Delahaye, Thierry Carcenac, Jean-Marc Gabouty et Pascal Savoldelli.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication