PRÉSIDENCE DE M. David Assouline

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Décès d’un ancien sénateur

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Hilarion Tumi Vendegou, qui fut sénateur de la Nouvelle-Calédonie de 2011 à 2017.

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Dossier législatif : proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles
Discussion générale (suite)

Réforme du régime des catastrophes naturelles

Adoption d’une proposition de loi modifiée

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles
Article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles, présentée par Mme Nicole Bonnefoy et plusieurs de ses collègues (proposition n° 154, résultat des travaux de la commission n° 229, rapport n° 228, avis n° 223).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Bonnefoy, auteure de la proposition de loi.

Mme Nicole Bonnefoy, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous le savez, du fait de sa situation géographique, notre pays est exposé à une grande diversité de risques naturels d’origine climatique.

Ainsi, un Français sur quatre est exposé à un risque d’inondation, presque toutes les communes de France ont été frappées par une catastrophe naturelle depuis 1982, la sécheresse et ses dommages diffus sur les constructions concernent la quasi-totalité du territoire national et une grande partie du littoral est menacée par des risques de submersion marine et par l’érosion croissante du trait de côte. Les tempêtes, les orages de grêle, les inondations qui ont eu lieu récemment ont encore illustré de manière tragique la vulnérabilité de notre territoire.

Cette exposition aux catastrophes naturelles va s’amplifier dans les prochaines années à cause du dérèglement climatique. Ainsi, les pluies extrêmes augmenteront dans toutes les régions et les vagues de chaleur deviendront plus nombreuses et plus fortes, engendrant tous les deux ou trois ans des sécheresses comparables à celle de 2003.

Face à cette situation, le groupe socialiste et républicain, auquel j’appartiens, a demandé, en janvier 2019, la création d’une mission d’information.

Après six mois de travaux et une trentaine d’auditions, deux déplacements et quelque 600 contributions écrites via la mise en place d’une consultation en ligne, la mission d’information dont j’étais la rapporteure, présidée par notre collègue Michel Vaspart, rendait, le 3 juillet dernier, un rapport intitulé Catastrophes climatiques : mieux prévenir, mieux reconstruire, rapport – je tiens à le rappeler – voté à l’unanimité avant de faire l’objet d’un débat dans cet hémicycle le 29 octobre 2019.

Face au constat de l’accroissement prévisible du nombre de sinistrés, notre mission a examiné l’efficacité du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, dit régime « CatNat ». Malgré des fondamentaux pertinents, force est de constater que le système actuel reste incompréhensible et injuste pour de nombreux sinistrés.

Les remontées d’informations émanant du terrain dont nous avons été destinataires dressent un bilan sans appel de ce système : opacité de la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, inintelligibilité des critères utilisés, manque d’explications sur les motifs des décisions prises, délais d’instruction extrêmement longs, etc.

Les griefs retenus par les sinistrés à l’encontre du régime d’indemnisation sont légion et conduisent souvent à une remise en cause de la légitimité des décisions de non-reconnaissance. Il est inacceptable que nos concitoyens, après avoir tout perdu lors d’une catastrophe, n’aient d’autre choix que de s’engager, pendant plusieurs années, dans un véritable « parcours du combattant » pour tenter, souvent en vain, d’obtenir une aide des pouvoirs publics ou des assureurs.

Notre mission a également pu constater que tous les sinistrés n’étaient pas sur un pied d’égalité face à ces sinistres, dans la mesure où il existe des difficultés supplémentaires s’agissant des dommages liés à la sécheresse. En effet, les particularités du phénomène de retrait-gonflement des argiles, et notamment le décalage entre la sécheresse et l’apparition des fissures, rendent son indemnisation plus complexe. À cela s’ajoute le fait que les critères retenus pour apprécier l’intensité de ces épisodes ne rendent pas compte de la réalité du terrain et n’intègrent pas la fréquence croissante de cet aléa. Ces mêmes critères sont également à l’origine d’inégalités de traitement difficilement justifiables entre des territoires voisins, qui engendrent un vif sentiment d’injustice parmi les sinistrés.

J’ajouterai que les techniques de réparation proposées par les experts d’assurance ne sont pas toutes efficaces ; certaines aggravent même la vulnérabilité future des habitations !

Dans ce contexte, et pour concrétiser certaines recommandations de notre mission d’information, j’ai déposé la proposition de loi que nous allons examiner aujourd’hui. Nous appelons à une modernisation durable du système d’indemnisation des dommages résultant de catastrophes naturelles.

Il s’agit de renforcer les droits des assurés et de revaloriser le montant des indemnisations dont ils bénéficient. En effet, seul un arsenal juridique adapté nous permettra de préserver notre modèle unique de solidarité dans ce domaine.

D’autres évolutions, qui ne relèvent pas nécessairement de la loi, seront indispensables pour garantir la pérennité et l’efficacité de ce modèle, dans un souci d’équité et de transparence.

Je pense notamment à la méthodologie retenue pour qualifier un phénomène de catastrophe naturelle, aux dispositifs de franchise qui pénalisent excessivement certains sinistrés, ou encore aux relations entre les assurés et les assureurs, qu’il convient de clarifier.

Un effort global de pédagogie à l’égard des sinistrés est également nécessaire, l’information concernant les critères et les seuils d’intervention du régime devant être rendue claire et intelligible.

Cette proposition de loi, au-delà d’une meilleure indemnisation des sinistrés, prévoit également de renforcer le pouvoir des maires, qui sont en première ligne lorsque survient une catastrophe naturelle. Ils se trouvent souvent isolés, parfois même désemparés, quand ils doivent faire reconnaître l’état de catastrophe naturelle de leur commune, ou quand leur revient le devoir d’expliquer la situation à leurs administrés et de se faire le relais de décisions ministérielles parfois difficiles à comprendre et à entendre.

Nous proposons donc de réformer la composition de la commission interministérielle chargée d’émettre un avis sur la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle ; d’allonger la durée pendant laquelle une demande de reconnaissance peut être formulée ; de permettre aux maires de soumettre une deuxième demande de reconnaissance dès lors qu’ils produisent des données complémentaires ; de créer une cellule départementale de soutien aux maires.

J’évoquerai à présent l’article 1er de cette proposition de loi, dont l’objet est la nécessaire réforme du fonctionnement du fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit fonds Barnier.

L’un des constats essentiels de notre mission d’information est que ce fonds manque aujourd’hui de marges financières, du fait du plafonnement de ses ressources par l’État. Il manque également de souplesse, du fait de l’existence de dispositifs de sous-plafonnement. Il se trouve en outre qu’il est victime de ponctions régulières sur sa trésorerie, chaque année, par l’État.

M. Bruno Sido. Pas étonnant…

Mme Nicole Bonnefoy. Je le dis : cette situation constitue un vrai dévoiement de la contribution versée par les assurés, dévoiement guidé par des considérations budgétaires de court terme.

M. Olivier Jacquin. Tout à fait !

Mme Nicole Bonnefoy. Le fonds Barnier doit être rendu aux assurés dans sa totalité, afin de construire une véritable politique de prévention et une culture du risque à la hauteur des enjeux climatiques. (M. Olivier Jacquin applaudit.)

Madame la secrétaire d’État, pour 1 euro de prévention, ce sont 7 euros d’indemnisation économisés ! À l’heure où le Gouvernement appelle à un retour à l’équilibre de nos comptes publics, vous ne sauriez être insensible à cet argument.

Ce déplafonnement des ressources du fonds Barnier est un élément essentiel du dispositif que nous proposons aujourd’hui – je rappelle de nouveau que le rapport a été adopté à l’unanimité par les membres de la mission d’information du Sénat. J’espère donc que les divergences d’approches sur ce sujet ne remettront pas en cause l’ensemble de notre texte.

Voilà, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire concernant cette proposition de loi, qui n’a pas de couleur politique – elle est le fruit d’un travail du Sénat, comme celui-ci sait en faire –, qui s’appuie sur la réalité du terrain, qui est attendue par les citoyens et les élus, et dont j’espère, madame la secrétaire d’État, que vous allez la soutenir en permettant son inscription rapide à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

En dernier lieu, je tiens à remercier encore tous les collègues membres de la mission d’information, siégeant dans toutes les travées, et notamment son président, Michel Vaspart, pour leur implication.

Je remercie également les présidents de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des finances, ainsi que les rapporteurs de ces commissions, Nelly Tocqueville et Jean-François Husson, qui ont travaillé ensemble avec efficacité, en bonne intelligence, pour améliorer le texte et faire en sorte – je l’espère – que nous puissions l’adopter tout à l’heure.

Permettez-moi, mes chers collègues, d’ajouter un mot sur un sujet qui n’est pas dans le périmètre de cette proposition de loi : je voudrais évoquer le travail important réalisé par la délégation sénatoriale aux outre-mer sur la spécificité des outre-mer face aux catastrophes naturelles.

En cette matière aussi, madame la secrétaire d’État, il est nécessaire de reprendre la législation en vigueur pour construire un dispositif approprié. Je crois savoir que le Gouvernement y travaille. Il serait important qu’il puisse le faire en lien avec notre délégation aux outre-mer, qui a elle-même fait, sur ce point particulier – j’y insiste –, un travail important. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-François Husson, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi la proposition de loi de notre collègue Nicole Bonnefoy visant à réformer le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles, lesquelles seront, à n’en pas douter, l’un des principaux défis liés au climat de la décennie qui s’ouvre.

Cette proposition de loi fait suite aux travaux de la mission d’information, à laquelle j’ai participé, qui a rendu ses conclusions en juillet dernier. Elle compte cinq articles issus des propositions de la mission.

La commission des finances a délégué au fond les articles 4 et 5 à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, et elle s’est concentrée sur les dispositions budgétaires, fiscales et du code des assurances, qui relèvent pleinement de sa compétence.

Je tiens, pour commencer, à saluer le travail de grande qualité effectué par la mission d’information sous l’autorité de son président, Michel Vaspart, et de sa rapporteure, Nicole Bonnefoy, dont le rapport a parfaitement mis en exergue les immenses difficultés rencontrées par les sinistrés.

De la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle à l’indemnisation en passant par la prévention des risques climatiques, les sinistrés sont souvent confrontés à un véritable parcours du combattant. Comme nous l’ont encore rappelé les récentes inondations dans le Var et les Alpes-Maritimes, lorsqu’une catastrophe naturelle dévaste une résidence principale, ce sont, dans bien des cas, les économies de toute une vie qui disparaissent ; la dimension affective de la catastrophe n’est pas négligeable : elle laisse les victimes abattues et souvent démunies.

Ainsi, les objectifs des auteurs de cette proposition de loi sont louables et, surtout, fondés, en ce sens qu’ils visent à assurer une indemnisation juste, à la hauteur du préjudice subi, et à mieux mobiliser les dépenses affectées à la prévention des risques naturels.

En tant que rapporteur, j’ai souhaité examiner ces dispositions avec une triple exigence. Correspondent-elles à un réel besoin pour les sinistrés ? Sont-elles opérationnelles, tant pour les sinistrés que pour les assureurs et les pouvoirs publics ? Enfin, leur efficacité est-elle à la hauteur de leur coût pour les finances publiques ?

L’article 1er de la proposition de loi tend à déplafonner le montant des recettes affectées au fonds de prévention des risques naturels majeurs.

Rappelons que la loi de finances pour 2018 a plafonné l’affectation au fonds du prélèvement de 12 % sur les primes « catastrophes naturelles » payées par les assurés à 137 millions d’euros par an.

Le souhait des auteurs de la proposition de loi d’augmenter les recettes du fonds me paraît justifié, car la question de sa soutenabilité se fait jour : sa trésorerie diminuerait de moitié en 2020 par rapport à la fin de 2018.

Pour autant, je considère qu’un déplafonnement pur et simple des recettes qui lui sont affectées n’est pas souhaitable. D’abord, ce déplafonnement relève du domaine exclusif de la loi de finances, car il s’agit d’une disposition affectant le budget général de l’État. Ensuite, compte tenu de la variabilité des dépenses du fonds, il pourrait également conduire à l’accumulation d’une trésorerie, dont résulterait in fine un prélèvement par l’État, comme cela a déjà été le cas par le passé.

Je proposerai donc de fixer un nouveau plafond de recettes pour le fonds Barnier à 200 millions d’euros, soit un niveau de dépenses supérieur à celui qui a été observé jusqu’à présent, la moyenne sur les trois derniers exercices s’établissant à 185 millions d’euros.

L’article 1er tend également à inscrire dans la loi les missions du conseil de gestion du fonds de prévention des risques naturels majeurs et à élargir sa composition. Il en renforce les pouvoirs, en lui confiant la détermination d’un objectif pluriannuel pour les dépenses du fonds.

Tout en partageant les intentions des auteurs s’agissant du pilotage stratégique du fonds, je me dois de rappeler que la définition des missions de ce conseil relève non pas du domaine de la loi, mais du domaine réglementaire. Les dispositions proposées sont donc contraires à l’article 41 de la Constitution. D’ailleurs, le décret du 18 décembre 2019 portant suppression de commissions administratives à caractère consultatif a procédé à la fusion du conseil de gestion avec le Conseil d’orientation pour la prévention des risques naturels majeurs, afin de clarifier la gouvernance du fonds.

La fixation d’un objectif pluriannuel de dépenses, quant à elle, ne me paraît pas souhaitable, dès lors que ces dépenses sont difficiles à prévoir plusieurs années à l’avance. À mes yeux, la détermination d’objectifs chiffrés pluriannuels sans prise en compte des besoins, évalués au fur et à mesure, au plus près des territoires, n’est pas à même d’améliorer la performance du fonds.

S’agissant de l’article 2, son objectif est de garantir une meilleure indemnisation des assurés à la suite de catastrophes naturelles. Si la commission des finances partage cette ambition, plusieurs réserves substantielles ont été soulevées lors de l’examen du texte la semaine dernière. J’ai travaillé – et même bien travaillé – avec la rapporteure pour avis de la commission du développement durable, Nelly Tocqueville, afin de trouver des compromis.

Par conséquent, nous allons vous présenter des amendements identiques visant plusieurs objectifs.

Premier objectif, la restriction de l’allongement du délai de prescription de deux ans à cinq ans aux seuls cas de sécheresse.

La volonté d’allonger ce délai ne nous a semblé justifiée que pour l’indemnisation des dommages liés aux épisodes de sécheresse, pour lesquels, en effet, les dégâts causés mettent parfois plusieurs années à se manifester et à être bien expertisés. Dans les autres cas de catastrophes naturelles, il me semble au contraire qu’un délai relativement court encourage une résilience rapide des territoires concernés.

Deuxième objectif, une rédaction alternative à la disposition selon laquelle l’indemnisation reçue doit « garantir une réparation pérenne et durable, de nature à permettre un arrêt complet et total des désordres existants ».

Je proposerai plutôt d’insister sur le fait que les réparations effectuées doivent être proportionnées aux dommages et tenir compte des meilleures techniques existantes. Les sinistrés ne doivent pas subir de « double peine » : être victimes d’une catastrophe naturelle, puis faire face à des réparations insatisfaisantes, car hâtivement réalisées.

Troisième objectif, la précision des modalités d’intégration des frais de relogement d’urgence dans le périmètre de la garantie CatNat. Cette précision répond à une réelle demande des sinistrés.

Enfin, l’article 3 vise à créer un crédit d’impôt au titre des dépenses supportées pour la prévention des aléas climatiques.

Ce crédit d’impôt s’élèverait à 50 % du montant de ces dépenses. Tout à fait normalement, la détermination des conditions d’éligibilité est renvoyée à un décret.

Si je comprends l’intention des auteurs d’inciter les propriétaires à réaliser des travaux renforçant la résilience du bâti face aux effets des catastrophes naturelles, et donc de diminuer le reste à charge des particuliers en cas de survenue d’une telle catastrophe, le crédit d’impôt tel qu’il est proposé serait très coûteux pour le budget général de l’État. Son taux apparaît en effet particulièrement élevé, alors même que ces travaux sont bien souvent très onéreux.

Je proposerai donc un amendement visant à le plafonner, afin d’en limiter l’impact budgétaire.

Mes chers collègues, je souhaite que cette proposition de loi soit adoptée par le Sénat, en y intégrant, bien entendu, les propositions d’amélioration faites par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Celles-ci nous permettront de proposer – c’est en tout cas ce que j’espère – un texte équilibré, dont l’impact sur les finances publiques restera maîtrisé. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.

Mme Nelly Tocqueville, rapporteure pour avis de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la France est depuis plusieurs années confrontée à une multiplication des phénomènes climatiques extrêmes : sécheresse, inondations, cyclones, etc.

Les conséquences directes du changement climatique, ces aléas naturels dont la fréquence et l’intensité augmentent, nous imposent de repenser notre régime de prévention et d’indemnisation des catastrophes naturelles.

Rappelons que, d’après une étude de la Caisse centrale de réassurance et de Météo France publiée l’année dernière, le changement climatique provoquera une augmentation de la sinistralité au titre des catastrophes naturelles de 50 % à l’horizon de 2050, ce qui conduira le régime CatNat à être de plus en plus sollicité.

Je salue par conséquent les travaux entrepris par la mission d’information sur la gestion des risques climatiques et l’évolution de nos régimes d’indemnisation, sous la houlette de Michel Vaspart et Nicole Bonnefoy, travaux dont la présente proposition de loi est directement issue.

Cette mission a d’abord mis en évidence la nécessité d’investir beaucoup plus que nous ne le faisons aujourd’hui dans des actions de prévention des risques. En permettant une réduction de la sinistralité et, donc, du besoin d’indemnisation, cette prévention est bénéfique tant pour éviter et/ou limiter l’ampleur des catastrophes que pour ménager les comptes publics !

Lors du débat organisé au Sénat sur les conclusions de la mission d’information, la ministre de la transition écologique et solidaire, Élisabeth Borne, a reconnu que l’action face à la multiplication des risques climatiques « passera nécessairement par un rééquilibrage et un renforcement de nos efforts en faveur de la prévention, à laquelle nous consacrons aujourd’hui dix fois moins de moyens qu’à l’indemnisation ».

Dans ces conditions, madame la secrétaire d’État, comment comprendre que le Gouvernement ait plafonné le montant des recettes du principal outil de financement des actions de prévention des risques naturels majeurs – le fonds Barnier –, le privant chaque année de 70 millions d’euros, qui sont détournés de la prévention des risques pour alimenter le budget de l’État ?

Cette décision est un non-sens écologique et budgétaire, et j’espère qu’il y sera mis fin rapidement, comme le prévoit la proposition de loi.

Quant au régime CatNat, il y a urgence, madame la secrétaire d’État, à le rendre plus efficace, plus protecteur et plus transparent.

C’est ce que demandent sinistrés et élus, qui ont aujourd’hui beaucoup de mal à comprendre, et donc à accepter, les décisions de reconnaissance ou de non-reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Comment comprendre, en effet, que deux communes voisines confrontées aux mêmes dégâts puissent être placées dans des situations différentes au titre du régime CatNat ? L’opacité de la procédure de reconnaissance et des critères retenus nourrit le sentiment d’injustice éprouvé par de nombreux sinistrés.

La mission d’information a également mis en lumière les difficultés particulières que posent les phénomènes de sécheresse, dont les conséquences peuvent se manifester avec retard et pour lesquels les prises en charge proposées aux personnes sinistrées peuvent se révéler inefficaces et insuffisantes.

Rappelons, là aussi, que plus de 4 millions de maisons individuelles sont construites sur des sous-sols argileux et sont donc très exposées à des mouvements de terrain liés aux phénomènes de sécheresse.

Face à cette situation, il n’est pas responsable d’apporter des réponses ponctuelles et partielles, comme l’a fait l’Assemblée nationale en adoptant, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020, un amendement du Gouvernement mettant en place un dispositif de soutien exceptionnel de 10 millions d’euros aux victimes de la vallée de la Lys affectées par un épisode de sécheresse en 2018. C’est une démarche totalement irrespectueuse des autres sinistrés et du travail des élus, sans compter qu’elle rompt le principe d’égalité !

Il convient au contraire d’apporter une réponse globale, en réformant le régime CatNat pour mieux tenir compte des phénomènes de sécheresse. Plusieurs amendements que je vous présenterai tout à l’heure apportent une réponse à cette préoccupation.

Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable partage la philosophie qui inspire les dispositions de cette proposition de loi.

Nous avons travaillé en lien avec le rapporteur de la commission des finances, Jean-François Husson, que je remercie de sa disponibilité, ce qui se traduit par le dépôt d’amendements identiques sur un certain nombre de sujets.

Cela montre aussi que nous partageons, au Sénat, la même préoccupation d’adapter notre droit aux conséquences du changement climatique. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire dÉtat auprès du ministre de léconomie et des finances. Monsieur le président, madame et monsieur les rapporteurs, madame la sénatrice Nicole Bonnefoy, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de m’accueillir cet après-midi pour examiner cette proposition de loi portant sur un sujet important pour le Gouvernement, car il concerne nombre de nos concitoyens.

Notre régime d’indemnisation des catastrophes naturelles a fait ses preuves, mais doit être adapté à l’évolution des risques.

Avec l’accélération du changement climatique, nous affrontons une recrudescence des risques majeurs, qui font peser une menace croissante sur nos concitoyens et sur nos entreprises.

Nous l’avons observé depuis le début du quinquennat : avec l’ouragan Irma, les inondations dans l’Aude, la canicule ayant sévi cet été ou, plus récemment encore, les inondations dans le Var, notre pays est confronté de plus en plus fréquemment à des épisodes naturels d’une intensité extrême, qui suscitent des dégâts très importants.

Dans ce contexte, le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles apparaît comme un régime de solidarité unique au monde, mobilisant l’État, les collectivités et les assureurs au service des sinistrés. Nous pouvons en être fiers.

Depuis sa création en 1982, ce dispositif a prouvé maintes fois sa solidité et sa légitimité. Ce sont 36 milliards d’euros d’indemnités qui ont été versées, soit environ 1 milliard d’euros par an, dont 550 millions d’euros au titre des inondations et 400 millions d’euros au titre de la sécheresse. Ce sont environ 3 300 reconnaissances de l’état de catastrophe naturelle par an, au bénéfice de millions de sinistrés sur la quasi-totalité du territoire français.

Mais, les événements des derniers mois l’ont prouvé, nous devons faire mieux. Le changement climatique n’attend pas. La France doit être aux côtés de celles et ceux qui, en un battement de cils, ont parfois tout perdu : leur maison, leurs espoirs, leurs économies et, parfois, leurs proches.

C’est pourquoi une réforme du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles est aujourd’hui nécessaire. Il nous faut un régime moderne, adapté aux enjeux du changement climatique et à l’accroissement des catastrophes naturelles que ce dernier induit.

À l’horizon de 2050, le coût des catastrophes naturelles pourrait augmenter de 50 % du fait de l’augmentation de la fréquence et de la sévérité des événements, de l’élévation du niveau de la mer et de la concentration des populations dans les zones à risques.

Certains territoires, cela a été souligné, seront plus fortement exposés aux risques naturels en raison des dynamiques démographiques et des effets du changement climatique. C’est notamment le cas des territoires ultramarins, avec une forte augmentation de la fréquence des cyclones.

Le régime CatNat devra donc être capable de faire face à un accroissement des événements climatiques majeurs et des demandes d’indemnisation qui en découleront. Il faudra également, comme cela a été signalé, adapter la politique de prévention. Vous l’avez souligné, 1 euro investi dans la prévention pour 7 euros économisés : c’est une économie dont nous allons vite voir l’intérêt !

La procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle et d’indemnisation doit donc évoluer pour être plus simple, plus transparente, plus réactive et plus efficace.

Il nous semble également important que ce régime incite davantage à la prévention et contribue à établir une véritable culture de gestion des risques. Vous vous souvenez que le Président de la République, à la suite du cyclone Irma, avait appelé de ses vœux une réforme de l’indemnisation des catastrophes naturelles.

Je me réjouis que ce souhait soit partagé par une coalition aussi large dans cet hémicycle.

Cette proposition de loi et l’excellent rapport rendu par Mme la sénatrice Nicole Bonnefoy constituent une première contribution importante à ces travaux. Je me félicite donc de ce texte, dont les principes directeurs sont, à bien des égards, proches des convictions animant le Gouvernement.

Je partage, avec son auteure principale, l’idée selon laquelle les démarches de prévention doivent jouer un rôle accru pour nous permettre de mieux gérer la montée des risques. Nous pensons effectivement qu’il faut mieux inciter à la prévention et améliorer les outils dédiés à cet objectif.

Il nous semble également important de renforcer les droits des assurés – particuliers, entreprises ou collectivités – et de garantir une indemnisation équitable, rapide et complète des sinistrés, comme l’a demandé le Président de la République.

Enfin, nous devons penser aux élus locaux et aux maires. Ils sont en première ligne lors d’une catastrophe naturelle. Ce sont eux, en liaison avec les préfets, qui décident des premières mesures d’accompagnement des sinistrés. Ce sont eux qui, une fois le sinistre passé, engagent la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. Il faut leur donner les moyens d’agir sereinement et efficacement.

Toutefois, les mesures contenues dans cette proposition de loi soulèvent des interrogations techniques. Certaines vont dans la bonne direction, mais d’autres pourraient être retravaillées.

S’agissant de l’article 1er, nous partageons l’ambition d’une mobilisation dans les meilleures conditions du fonds Barnier pour financer des projets concourant à la prévention des sinistres et à la réduction des vulnérabilités. Il faut évidemment que les moyens engagés soient à la hauteur des besoins.

Toutefois, un certain nombre de dispositions sur le fonds Barnier présentées ici, en particulier la question de son plafonnement, relèvent de la loi de finances.

Par ailleurs, le Gouvernement a engagé une réflexion sur la mobilisation de ce fonds, qui occupera le Conseil d’orientation pour la prévention des risques naturels majeurs. Nous proposons d’avancer sur ce sujet, et d’arrêter différentes décisions en ayant pris le temps de la discussion et de la concertation.

S’agissant des modalités d’indemnisation assurantielle évoquées à l’article 2, le Gouvernement est prêt à travailler sur la question du relogement, sous réserve de consultations supplémentaires visant à en définir les conditions.

Nous sommes réservés sur l’allongement du délai biennal de prescription pour la garantie catastrophe naturelle, allongement susceptible de créer de la confusion chez les assurés sans répondre à leurs problèmes les plus urgents.

L’introduction d’un principe de « réparation pérenne et durable » ne nous semble pas conforme au principe d’une indemnité proportionnelle au dommage à la base de l’assurance.

La création d’un nouveau crédit d’impôt prévue à l’article 3 semble prématurée, alors que plusieurs dispositifs, tels que le fonds Barnier et certaines réductions d’impôt accordées par ailleurs, apportent déjà des réponses concrètes.

En matière de procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle évoquée à l’article 4, le Gouvernement partage les objectifs de transparence et d’efficacité évoqués dans le texte. Dans ce but, il a déjà mis en œuvre des améliorations très concrètes : par exemple, la création d’une procédure de reconnaissance accélérée ou la dématérialisation engagée de la procédure de reconnaissance, via l’application iCatNat, qui permet aujourd’hui à toutes les communes de France de déposer leur demande de reconnaissance par internet en quelques minutes. Nous sommes favorables à une amélioration de la transparence sur les motivations des décisions, tout en veillant toutefois à ne pas alourdir à l’excès les procédures administratives.

Enfin, à l’article 5, l’idée générale d’organisation de cellules de soutien aux maires confrontés aux effets d’une catastrophe, cellules composées d’élus locaux et de personnes qualifiées, est intéressante. Mais elle doit être approfondie, afin de bien coordonner l’action des différents intervenants sur cette matière.

Nous proposons donc de pousser plus loin le travail technique sur ces différents points pour parvenir à un dispositif techniquement abouti, et nous ne serons pas en mesure de donner un avis favorable, à ce stade, à la rédaction retenue pour ces mesures.

Le Gouvernement s’engage toutefois à approfondir rapidement les travaux et à enrichir le texte en cours de navette parlementaire. Nous lancerons à cet effet une concertation à brève échéance.

En effet, au-delà des interrogations techniques que j’ai mentionnées sur plusieurs dispositions figurant dans la proposition de loi, un certain nombre de points me semblent mériter de plus amples consultations avec l’ensemble des parties prenantes. Nous mènerons ce travail dans les prochaines semaines, en nous appuyant notamment sur le Conseil d’orientation pour la prévention des risques naturels majeurs, dont un grand nombre d’élus font partie.

J’identifie quatre thématiques principales que nous souhaitons approfondir dans les prochaines semaines.

La première thématique est l’amélioration du système de franchises, afin de s’assurer d’un traitement équitable de tous les assurés et d’adapter la prise en charge à leur situation : entreprises, particuliers ou encore collectivités.

La deuxième thématique est l’amélioration de la procédure de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, pour faire en sorte que ce régime soit mieux connu et mieux compris par les collectivités et par les assurés, en répondant aux exigences de transparence, de rapidité et d’efficacité.

La troisième thématique est le renforcement de nos outils de prévention, non seulement en modernisant le fonctionnement du fonds Barnier, mais également en incitant l’ensemble des acteurs, particuliers comme assureurs, à davantage investir dans les mesures de prévention.

La quatrième thématique est l’amélioration de la couverture outre-mer. En moyenne, seuls 50 % des biens ultramarins sont couverts par une assurance dommages contre 98 % en métropole. Le Gouvernement a donc lancé une réflexion relative à la résorption du phénomène de non-assurance ou de sous-assurance outre-mer.

Telles sont en quelques mots, mesdames, messieurs les sénateurs, les pistes de réflexion que je souhaite vous soumettre.

Votre mobilisation sur ce sujet qui touche la Nation tout entière est importante.

Même si nous ne sommes pas en mesure de nous rallier à l’ensemble des propositions discutées aujourd’hui, le Gouvernement entend jouer un rôle constructif dans cette démarche. Les travaux que j’ai évoqués, qui sont en cours, que nous allons accélérer, permettront avec votre concours de l’enrichir.

Je souhaite que nous puissions aboutir rapidement sur ce chantier législatif, afin de rendre possible une réforme ambitieuse et efficace de notre régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.

Il est dans l’intérêt de l’ensemble de nos concitoyens que nous parvenions rapidement à des améliorations concrètes et utiles. Il y va, aussi, de l’intérêt du modèle français de solidarité.