M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Émorine. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Paul Émorine. Monsieur le ministre, je me souviens de vos interventions pertinentes sur l’agriculture en commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Mes collègues ont beaucoup parlé du budget ; je voudrais, quant à moi, évoquer le revenu des agriculteurs.
Dans mon département, les centres de gestion ont déjà établi les prévisions de résultats des exploitations. Le discours prononcé par le Président de la République à Rungis le 11 octobre 2017, ouvrant la perspective d’un revenu décent pour l’ensemble des agriculteurs, avait fait naître un espoir.
La loi Égalim était censée régler toutes les problématiques de la contractualisation : aux termes de cette loi, c’est l’interprofession qui devait se mettre d’accord sur les prix en tenant compte des coûts de production.
Le Gouvernement, alors, n’avait pas retenu les propositions du Sénat : nous avions notamment demandé que les coûts de production soient chiffrés par FranceAgriMer, l’Établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, ou par l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. Nous constatons aujourd’hui, monsieur le ministre, que, depuis trois ans, le revenu des agriculteurs baisse.
Je vais vous donner des chiffres qui sont ceux de la Saône-et-Loire, mais qui sont transposables au niveau national : le revenu des éleveurs est en baisse depuis trois ans, y compris si l’on prend en compte les aides au titre de la PAC et des dégrèvements de taxe sur le foncier non bâti. On constate surtout, depuis trois ans, une décapitalisation du cheptel. Un tiers des éleveurs ont des revenus inférieurs à 500 euros par mois, un tiers gagnent aux environs de 1 000 euros par mois, sans compter les résultats négatifs, et un dernier tiers plus de 1 000 euros par mois.
Les agriculteurs, et surtout les éleveurs, ont aujourd’hui beaucoup de difficultés à promouvoir l’installation de jeunes et à transmettre les exploitations. Même des agriculteurs qui ont terminé leurs investissements, dont l’âge se situe entre cinquante et soixante ans, s’apprêtent à quitter leur exploitation pour s’orienter vers un autre métier !
Quant au revenu des céréaliers, avec la crise de la sécheresse, monsieur le ministre, il est, en 2019, inférieur à celui des éleveurs.
C’est le désespoir qui règne aujourd’hui dans le monde agricole. Je rappelle que l’élevage et les grandes cultures occupent à peu près 50 % de la superficie de notre territoire. La viande et les céréales se vendent au même prix qu’en 1985 : quelle autre profession accepterait de vendre sa production à un prix inchangé depuis trente-cinq ans ?
M. Jean-Paul Émorine. Les charges et les normes n’étaient pas les mêmes à cette époque ! S’installe aujourd’hui un certain désespoir, surtout chez les jeunes qui investissent et dont la situation est la plus fragile.
Mes collègues ont évoqué le système assurantiel, dont nous parlions déjà il y a une douzaine d’années. Il est indispensable à la production agricole dans notre pays. Pour l’heure, une partie seulement des agriculteurs et des viticulteurs s’assurent. Il nous faut assurer l’ensemble de la « ferme France », par un système qui couvre les aléas sanitaires et climatiques, mais aussi, peut-être, les crises, du moins en partie, en incitant la profession à profiter des financements européens qui peuvent être consacrés au financement des primes d’assurance.
M. Jean-Paul Émorine. Monsieur le ministre, la majorité des présidents de groupe politique de notre assemblée a souhaité que le film Au nom de la terre soit projeté demain soir au Sénat. J’ai déjà vu ce film, dont l’action se déroule en 1999. À l’époque, je siégeais au sein de commissions d’agriculteurs en difficulté : je peux vous dire que nous n’étions pas dans la situation d’aujourd’hui !
M. Jean-Marc Boyer. Il a raison !
M. Jean-Paul Émorine. La Mutualité sociale agricole nous apprend que, tous les jours, un agriculteur se suicide. Monsieur le ministre, je vous demande d’ouvrir des perspectives pour encourager l’installation des jeunes et maintenir le moral de nos agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Jean-Marc Boyer. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Janssens. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
M. Jean-Marie Janssens. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fin de l’année est marquée, comme en 2018, par un mouvement de contestation de la part de nos agriculteurs. Si la mobilisation semble moins massive cette année, il n’empêche que le malaise paysan demeure toujours aussi profond en France.
Les questions fondamentales des revenus agricoles, de l’assurance chômage et des retraites restent pour l’heure sans réponse. Or la plupart de nos agriculteurs vivent dans une grande précarité, qui crée de plus en plus de situations personnelles et professionnelles dramatiques.
À cela s’ajoute, chez les professionnels agricoles, le sentiment de ne pas être assez soutenus face aux pratiques de concurrence déloyale d’autres pays. Nos agriculteurs sont pris en tenaille entre une exigence de qualité exemplaire et une guerre des prix intenable.
Dans ce contexte, le projet de loi de finances pour 2020 se caractérise par une quasi-stagnation du budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » par rapport à l’an dernier, avec 3 011,2 millions d’euros inscrits en autorisations d’engagement et 2 957,8 millions d’euros en crédits de paiement. Cette stabilité ne doit pas faire oublier la baisse de 350 millions d’euros des crédits du projet de budget pour 2020 par rapport au budget pour 2018, soit une baisse de 10 %.
Cette évolution vient confirmer la tendance à une baisse sensible des crédits agricoles dessinée par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Or c’est précisément aujourd’hui que nos agriculteurs ont besoin de preuves de soutien !
Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a fixé trois priorités pour le budget de 2020.
Première priorité : le soutien aux revenus des agriculteurs, avec la garantie de contreparties nationales à la baisse des aides européennes au titre de la politique agricole commune.
Deuxième priorité : la sécurité sanitaire de notre territoire et de nos aliments. Cette exigence répond aux recommandations émises par mes collègues de la commission des affaires économiques dans leur rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2019. C’est d’autant plus important que le Brexit aura des conséquences sur les capacités de la France à contrôler la qualité sanitaire des denrées alimentaires importées.
Aussi le budget pour 2020 consacre-t-il la hausse des crédits destinés à lutter contre les maladies animales, ainsi que la création de 320 équivalents temps plein supplémentaires pour renforcer les contrôles sanitaires aux frontières avec le Royaume-Uni. C’est un point positif.
Troisième priorité : la formation des jeunes et l’innovation, axe majeur, évidemment, pour l’avenir de notre modèle agricole et pour sa place dans notre économie.
En dépit de ces intentions, le projet de budget pour 2020 ne semble pas répondre pleinement aux besoins et aux attentes des professionnels agricoles en matière d’amélioration du présent et de préparation de l’avenir.
Améliorer le présent, c’est soutenir les revenus pour qu’ils soient à la hauteur du travail fourni, offrir des garanties en cas de chômage, assurer des retraites décentes. Or la stagnation des crédits du programme « Compétitivité et durabilité de l’agriculture, de l’agroalimentaire, de la forêt, de la pêche et de l’aquaculture », qui ne progressent que de 0,4 %, montre que les moyens mobilisés ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Préparer l’avenir, c’est anticiper la transformation de notre environnement. Les épisodes climatiques de plus en plus extrêmes se multiplient, qu’il s’agisse de sécheresse ou d’inondations. Ces épisodes ont des incidences majeures sur les métiers agricoles et la production. Ce budget ne semble pas faire suffisamment droit à cette réalité ; il est grand temps de prendre la mesure de ces changements et de donner aux agriculteurs les moyens d’y faire face sur le long terme.
Pour ces raisons, le groupe Union Centriste n’est pas favorable à l’adoption des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » ; nous voterons néanmoins les crédits du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le ministre, deux domaines stratégiques pour notre pays, s’inscrivant dans le long terme, relèvent de votre portefeuille : la nourriture et la forêt.
S’agissant de la nourriture, votre responsabilité s’exerce tant en France qu’au sein de l’Union européenne. Je partage complètement les propos qu’ont tenus l’ensemble des rapporteurs. Nous avions le rendez-vous de l’exigence ; il est manqué !
La France est exigeante en matière de qualité des produits et d’évolution des pratiques de l’agriculture doit évoluer pour répondre aux attentes sociétales. Pour que notre agriculture puisse réussir dans l’ensemble de nos territoires, il était indispensable de prendre des mesures d’adaptation et de construire un budget permettant de financer la recherche et les innovations nécessaires. Or – j’y insiste, monsieur le ministre – le rendez-vous est complètement manqué !
Parallèlement, dans le cadre du programme de recherche Horizon Europe, l’Union européenne est en train de décider de diminuer de 264 millions d’euros l’enveloppe de crédits dévolue à la recherche agricole. D’un côté, donc, les investissements européens décroissent ; de l’autre, la France, qui impose à ses agriculteurs des contraintes supplémentaires, n’est pas au rendez-vous. Pendant ce temps, partout à travers le monde, nos concurrents adoptent des stratégies offensives et accordent à leur agriculture des moyens budgétaires supplémentaires, parce qu’ils veulent donner envie à leurs paysans de conquérir des marchés et de garantir la sécurité alimentaire.
Par ailleurs, monsieur le ministre, comment pouvez-vous imaginer que les agriculteurs vont pouvoir garantir à notre pays la sécurité alimentaire en assumant seuls le financement du système assurantiel ? C’est absolument impossible ! Certes, les paysans doivent contribuer, comme c’est le cas actuellement pour la DPA, la déduction pour aléas, ou pour le régime des calamités agricoles, mais quand ils apportent un, l’État met un. Il est inconcevable que la sécurité alimentaire relève de la seule responsabilité des paysans. Il est normal que la solidarité nationale et la solidarité européenne y contribuent.
La forêt est également une richesse assez exceptionnelle de notre pays, monsieur le ministre. La France dispose d’atouts formidables, mais la situation sanitaire de notre forêt est aussi mauvaise, pour ne pas dire pire, qu’elle ne l’était à la suite de la tempête de 1999.
Le rendez-vous à ne pas manquer est surtout celui des moyens à consacrer à une politique de développement et de reconquête, permettant à la forêt française de s’adapter aux nouvelles exigences. Ce rendez-vous est stratégique, parce qu’il y a des emplois et des investissements en jeu.
Monsieur le ministre, on ne peut pas balayer le problème d’un revers de main en disant qu’il appartient aux régions de jouer leur rôle, d’accompagner le secteur forestier dans la crise qu’il traverse. Certes, les régions ont un rôle à jouer, mais la solidarité nationale doit s’exercer.
Il faut également que l’Europe se saisisse enfin du dossier forestier. Elle ne peut pas rester spectatrice et dire à la France qu’elle n’a pas le droit d’intervenir parce que ce serait anticoncurrentiel ! Il importe que l’Europe ait une stratégie forestière : l’enjeu est devenu sociétal et économique au niveau communautaire.
Mon père m’a appris que ce n’est pas quand la charrette est renversée qu’il faut déterminer où il fallait passer. La tâche du Sénat est de vous aider à trouver le bon chemin, monsieur le ministre. Ceux qui voudraient balayer d’un revers de main les expérimentations et le travail du comité de suivi de la loi Égalim se trompent. Tout comme vous, nous y croyons, nous voulons que le revenu des paysans augmente, mais nous savons que des adaptations restent nécessaires. Ayons le courage d’agir, évitons de renverser la charrette ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Chauvin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Christine Chauvin. Monsieur le ministre, mercredi dernier, les agriculteurs sont venus à Paris crier leur mal-être, souvent leur grande détresse. Que faites-vous pour répondre à leur angoisse ?
Vous affirmez régulièrement dans cet hémicycle que vous soutenez nos agriculteurs. J’ai le regret de vous dire, monsieur le ministre, que le projet de budget que vous nous présentez aujourd’hui ne donne pas le signal tant attendu par la profession. Hélas, ce n’est que la suite logique de ce qui s’est passé, par exemple, avec la loi Égalim : beaucoup d’espoir et, malheureusement, à ce jour, pour grand nombre de nos agriculteurs, pas d’amélioration de revenu !
Vous parlez beaucoup de transition écologique. Là encore, la déception est grande : il n’y a rien dans le projet de loi de finances pour 2020 pour accompagner nos agriculteurs dans une mutation profonde des modes de production de leurs exploitations. Ce texte souffre d’un manque de vision. Aucune stratégie à long terme n’est envisagée pour protéger les agriculteurs contre les aléas climatiques et économiques. Les exploitations agricoles restent donc vulnérables face aux risques climatiques et sanitaires.
En effet, la recrudescence de la tuberculose bovine peut inquiéter. L’essentiel des cas, pour le moment, se concentre en Nouvelle-Aquitaine. Le nombre de foyers a augmenté de 30 % en 2018. Il y a urgence à traiter ce problème. La peste porcine africaine nous épargne, fort heureusement, pour le moment. Les élevages chinois, eux, sont décimés.
Le cours du porc a augmenté de 45 % depuis le début de l’année 2019. Après plusieurs années difficiles, les éleveurs de porcs soufflent. Cette embellie ne sera peut-être pas durable. Eu égard aux nombreux défis qu’ils doivent relever, le renforcement de leur compétitivité passe par des investissements. Comment l’État peut-il leur donner un signal fort pour qu’ils profitent de ce haut de cycle pour investir ? Je soutiens, à cet égard, la solution adoptée par le Sénat lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances, qui permettra aux éleveurs de suramortir leurs investissements et ainsi de renforcer leur résilience, de réduire l’usage d’intrants ou de veiller à la santé et au bien-être des animaux.
Comme d’autres l’ont souligné avant moi, l’installation, la transmission des exploitations et l’accès au foncier font partie des enjeux majeurs pour l’avenir.
Le Jura a vu, cette année, plus de soixante-dix agriculteurs s’installer, hors cadre familial ou pas, avec des choix de production divers, allant du lait AOP au lait conventionnel, en passant par les grandes cultures et d’autres productions. C’est un beau résultat.
La réforme de la dotation aux jeunes agriculteurs a porté ses fruits. Le nouveau dispositif doit être renforcé si l’on veut favoriser le renouvellement des générations et permettre à 100 % des jeunes qui souhaitent s’installer d’aller jusqu’au bout de leur projet. En 2020, toutes les installations des cinq dernières années doivent être financées, sans retard.
Reste le problème la déchéance de la dotation aux jeunes agriculteurs. Le nombre de cas, dans le Jura comme dans d’autres départements, est en augmentation. Pour l’année 2019, dans le Jura, on en compte vingt avec obligation de remboursement total ou partiel. On risque de pénaliser des jeunes qui travaillent bien. De telles contraintes peuvent les dissuader de s’engager dans le processus de l’installation. Pourtant, cette démarche permet d’avoir des projets sûrs, cohérents et durables. Monsieur le ministre, peut-on trouver une solution pour remédier à cette situation ? Les chambres d’agriculture ont fait des propositions en la matière. Peut-on envisager qu’elles soient examinées ?
Notre agriculture relève aujourd’hui d’un choix de société et votre politique ne me paraît pas à même de relever ce défi. Notre indépendance alimentaire est en jeu. C’est pourquoi, comme nombre de mes collègues, je ne voterai pas les crédits pour 2020 de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ».
Monsieur le ministre, les fermes brulent au sens figuré et, malheureusement, au sens propre. S’il vous plaît, ne regardez pas ailleurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est toujours un plaisir de venir débattre devant votre assemblée, à laquelle j’ai appartenu un certain nombre d’années et qui est celle qui connaît le mieux les territoires. C’est pourquoi elle est à même d’évoquer l’avenir de la ruralité. Car nous allons peu parler de budget ce soir, mais beaucoup de ruralité et d’agriculture. C’est la vocation et la responsabilité de la chambre haute de se saisir de ces sujets.
Vous avez choisi très majoritairement, semble-t-il, de vous opposer à ce projet de budget. La question est la suivante : y aura-t-il encore demain une agriculture en France ? Comment parvenir à relier les deux France qui s’opposent de plus en plus ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez la France, vous connaissez la ruralité et, pour nombre d’entre vous, vous connaissez les paysans pour appartenir ou avoir appartenu au monde agricole. Le pays se tend et s’étire, comme un élastique. Il risque de lâcher un jour. À un bout se trouvent nos concitoyens des métropoles ; à l’autre, les habitants des petites villes et des villages. Comme on l’a vu il y a plus d’un an sur les ronds-points, ils ont un rapport différent à la mondialisation. Ils ont un rapport différent à la nature : les uns y vivent et y travaillent, les autres se contentent de la contempler. Ils ont également un rapport différent au temps : le temps de la campagne, des plantations et des semis est beaucoup plus long que celui des tweets et des smartphones !
Les questions relatives à l’agriculture et à l’alimentation, qui devraient réunir nos concitoyens, grossissent au contraire ces oppositions et deviennent sources de tensions, d’incompréhension et, trop souvent, de division.
En débattant du projet de budget de l’agriculture, c’est à la question suivante que nous devons répondre : est-il encore possible de maintenir l’unité nationale des territoires ? Cette préoccupation est au cœur de notre mission de responsables politiques, particulièrement au sein de la chambre haute. La diversité des opinions représentées sur vos travées doit pouvoir nous aider, car vous êtes tous animés de la volonté de préserver cette unité, même si vous ne proposez pas forcément tous de suivre le même chemin pour y parvenir.
Veiller à l’unité de nos territoires, c’est d’abord refuser la stigmatisation de nos paysans, comme vous avez été nombreux à l’exprimer à cette tribune. Au risque de me répéter, je veux dire de nouveau ici, au nom du Gouvernement et en mon nom personnel, que les agriculteurs ne sont ni des empoisonneurs ni des pollueurs. Le Gouvernement n’accepte pas cette stigmatisation,…
M. Jean-Marc Boyer. Sanctionnez !
M. Didier Guillaume, ministre. … ni les attaques incessantes contre les entreprises de l’industrie agroalimentaire. Celles et ceux qui travaillent dans ce secteur aiment leur terre et leurs bêtes, et en tirent le meilleur pour nos assiettes. Les attaques incessantes, les intrusions dans les élevages, les bâtiments incendiés, tout cela n’est pas acceptable !
M. Jean-Marc Boyer. Sanctionnez !
M. Didier Guillaume, ministre. Quand un éleveur est condamné par la justice, comme la semaine dernière,…
M. Jean-Marc Boyer. Eh oui !
M. Didier Guillaume, ministre. … parce que les voisins sont incommodés par les odeurs, nos agriculteurs ne peuvent pas le comprendre. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Mais que faites-vous ?
M. Didier Guillaume, ministre. Monsieur Bizet, vous qui êtes président de la commission des affaires européennes et qui avez une haute compréhension de ce qu’est la séparation des pouvoirs, vous n’ignorez pas que, jusqu’à preuve du contraire, ce n’est ni le Sénat ni le Gouvernement qui rendent la justice dans ce pays, mais les juges !
M. Jean Bizet. Bien sûr, je ne l’ignore pas, mais quel laxisme depuis deux ans !
M. Didier Guillaume, ministre. Je ne veux pas tomber dans la démagogie à propos de telle ou telle décision de justice. Peut-être le Sénat pourrait-il, demain, proposer un texte de loi visant à protéger les agriculteurs.
M. Jean-Marc Boyer. Quand on en propose un, vous ne le votez pas !
M. Didier Guillaume, ministre. Si l’on ajoute à cela les sanctions américaines unilatérales annoncées par le président Trump, aujourd’hui contre le vin français, demain peut-être contre d’autres produits, on comprend que nos amis agriculteurs soient dans une situation vraiment inconfortable, voire parfois intenable.
Après la guerre, on leur a dit qu’il fallait nourrir la France, l’Europe, la planète, et qu’on allait leur en donner les moyens. Ils l’ont fait, et bien fait. Jamais nous ne leur reprocherons d’avoir travaillé comme ils l’ont fait durant toutes ces années !
Aujourd’hui, la société a d’autres préoccupations. Nos concitoyens veulent manger sain, manger bien,…
Mme Sophie Primas. Mais ils mangent bien !
M. Didier Guillaume, ministre. … que l’on préserve la qualité de l’eau qu’ils boivent, de l’air qu’ils respirent. Ils disent : « Halte à la productivité, vive la qualité, vive la planète ! » L’incompréhension que j’évoquais est de plus en plus forte, car ce que l’agriculture et les entreprises de l’agroalimentaire produisent aujourd’hui répond exactement à ces demandes !
Actuellement, nos agriculteurs et nos entreprises sont en passe de relever le défi gigantesque de nourrir la population, qui augmente, tout en promouvant la transition agroécologique. Telle est la transition qu’est en train de réussir l’agriculture en France : contribuer à l’autonomie alimentaire, continuer à nourrir la population, tout en progressant vers la transition agroécologique. L’alimentation issue de notre agriculture est de grande qualité.
Pour aider nos agriculteurs, le budget du ministère est en augmentation…
M. Laurent Duplomb. C’est faux !
M. Didier Guillaume, ministre. … de 4,1 % en autorisations d’engagement et de 1 % en crédits de paiement. Il s’élève à 4,760 milliards d’euros. Ce budget est à la mesure des ambitions que nous avons et permet de répondre aux crises que traverse l’agriculture.
Le budget consacré aux crédits d’intervention des filières agricoles et agroalimentaires est en augmentation de plus de 9 %. Trouvez un autre budget qui augmente en 2020 de plus de 9 % !
Les filières ultramarines, oubliées dans la discussion, ont été spécifiquement prises en compte, avec un soutien de 179 millions d’euros. Je pense, notamment, au maintien de l’aide exceptionnelle au sucre, à hauteur de plus de 38 millions d’euros, malgré l’échéance des trois ans, et le soutien au renouvellement de la flotte de pêche pour les territoires ultramarins, qui mobilise 2 millions d’euros. Quand nous parlons d’agriculture, n’oubliions pas nos amis, nos compatriotes des territoires ultramarins.
Nous consacrons des efforts importants à la politique agricole commune, qui est en cours de négociation.
M. Laurent Duplomb. Elle est bradée, pas négociée !
M. Didier Guillaume, ministre. Les moyens de la politique agricole commune seront nécessairement réduits, en raison du Brexit. La position de la France, réitérée par le Président de la République, est claire : nous voterons contre la proposition de la Commission européenne de diminuer le budget de la politique agricole commune au-delà de l’incidence du départ de nos amis Britanniques. (M. Laurent Duplomb proteste.)
Nous y ajoutons dès cette année 620 millions d’euros de crédits nationaux supplémentaires afin de démultiplier l’effet levier de la PAC pour l’année 2020. Nous voulons que cet argent soutienne nos filières agricoles, car ce sont elles qui permettront demain la résilience de notre agriculture.
Nous renforçons les moyens dédiés aux mesures agroenvironnementales et climatiques, ainsi qu’à la conversion à l’agriculture biologique, en vue d’atteindre l’objectif de 15 % de la surface agricole utile cultivée en bio en 2022. Nous en sommes cette année à 7,5 %. À l’heure actuelle, 10 % des agriculteurs sont en bio : c’est un niveau inédit. Nous ajoutons 232 millions d’euros de crédits nationaux. Le doublement du fonds Avenir Bio est maintenu l’année prochaine, avec 8 millions d’euros de plus dans le cadre du plan Ambition bio, dont les crédits s’élèvent à 1,1 milliard d’euros, un montant jamais atteint dans ce pays !
Vous avez eu raison d’évoquer à plusieurs reprises la forêt, qui connaît de grandes difficultés, à la fois conjoncturelles, avec les épizooties, notamment les scolytes, et structurelles, avec le réchauffement climatique. Soyez persuadés que le Gouvernement en a pris la mesure. Nous remettons en place cette année les fonds exceptionnels qui avaient été mobilisés en 2015, en 2016 et en 2017. Nous avons également pris des mesures exceptionnelles, à hauteur de 16 millions d’euros. Nous attendons la remise début mars du plan que j’ai demandé à la filière. L’ONF restera un office national public. Il devra guider l’ensemble de notre action pour la forêt.
Le meilleur moyen de prouver notre confiance à nos agriculteurs, c’est de montrer que leur métier est un métier d’avenir. Je passe rapidement sur tout ce qui concerne l’enseignement. Depuis dix ans, nous avons regardé nos lycées agricoles se vider sans faire grand-chose.
M. Jean-Marc Boyer. Eh oui !
M. Didier Guillaume, ministre. Après avoir perdu 4 000 élèves l’année dernière, l’enseignement agricole en a gagné 750 cette année. Il faut continuer et que l’agriculture devienne un primo-choix.
M. Didier Guillaume, ministre. Veiller à l’unité de nos territoires, c’est aussi rémunérer décemment ceux qui nous nourrissent. Vous l’avez souligné à plusieurs reprises, personne d’autre n’accepterait de travailler autant sans pouvoir vivre de son travail. Telle est pourtant aujourd’hui la situation de trop nombreux agriculteurs.
Je ne reviendrai pas sur la loi Égalim, mais les trois prochains mois seront cruciaux. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Pourquoi ?
M. Didier Guillaume, ministre. Depuis le 1er décembre, vous le savez, sont ouvertes, comme tous les ans, les négociations commerciales, qui vont durer jusqu’au 28 février. C’est à l’issue de ces trois mois que nous verrons– Mme la présidente de la FNSEA l’a redit il y a quelques jours – si les États généraux de l’alimentation portent leurs fruits ou pas. Si les prix ne remontent pas dans les trois prochains mois, je considérerai que les États généraux de l’alimentation sont un échec…