Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, produire mieux, ne plus utiliser de pesticides, préserver la santé du consommateur, protéger la biodiversité, ne pas nuire aux voisins avec des animaux bruyants ou un épandage trop odorant, telles sont les nouvelles injonctions adressées aux agriculteurs. Autrefois professionnels les plus appréciés de nos concitoyens, ils font face aujourd’hui à un désamour qui va parfois jusqu’à l’agri-bashing.
Ces hommes et ces femmes font face à un milieu toujours plus concurrentiel, où leur travail ne leur permet plus de vivre, car les prix ne sont plus garantis. Nous devons agir en faveur des agriculteurs, qui assurent depuis des décennies l’autosuffisance alimentaire de notre pays, offrant ainsi à l’ensemble de la population une meilleure espérance de vie.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. Il ne s’agit pas de nier l’impact de l’agriculture sur l’environnement ni la nécessité d’une transition vers un modèle plus vertueux. Toutefois, le procès permanent d’une profession en difficulté n’est pas acceptable. Le monde agricole est en évolution perpétuelle, les modes de production ne cessant d’évoluer depuis les années soixante.
Oui, le métier d’agriculteur n’est plus celui d’il y a cinquante ans ! L’agriculteur est aujourd’hui plus formé. De plus en plus, il doit devenir gestionnaire, comptable, administrateur et bientôt ingénieur numérique ou robotique, tant l’agriculture devient le débouché d’un marché technologique en pleine expansion.
Faut-il rappeler ici que, pour répondre aux exigences de production, mais aussi aux exigences sanitaires et environnementales, les agriculteurs ont dû s’endetter à des taux parfois prohibitifs ? Or ils sont aujourd’hui en première ligne face au changement climatique, victimes de sécheresses à répétition, d’inondations et de nombreux autres épisodes qui fragilisent fortement leurs revenus.
Navrée de vous le dire, après des années de pénurie, ce n’est pas une légère hausse de la mission « Agriculture » qui aidera les agriculteurs à survivre à cette crise désormais structurelle. Il est temps de le reconnaître, comme cela a été fait au siècle dernier, mais aussi lors des négociations des accords du GATT, les spécificités économiques et sociologiques de l’agriculture justifient une intervention volontariste des pouvoirs publics. Nous devons protéger notre modèle agricole contre les effets de la libéralisation des marchés et du rapport de force indécent et déséquilibré entre, d’une part, la grande distribution et l’agroindustrie et, d’autre part, les agriculteurs.
Comment ne pas entendre qu’il est impératif de garantir à l’agriculteur les « justes prix » nécessaires à sa survie ? Monsieur le ministre, il est temps de le reconnaître, les objectifs des États généraux ne sont pas atteints. Ainsi, les prix payés aux producteurs ont continué de baisser. Dans le même temps, les consommateurs ont vu les prix augmenter.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Eh oui !
Mme Cécile Cukierman. La grande distribution a gagné plus de 800 millions d’euros sur le dos des producteurs et des consommateurs depuis que la loi Égalim a été promulguée. (M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis, ainsi que MM. Jean-Paul Émorine et Jackie Pierre applaudissent.)
La régulation des marchés agricoles et les politiques agricoles ne doivent plus être perçues comme des entorses au principe de la concurrence libre et non faussée. Cela n’est plus soutenable, ni économiquement ni écologiquement. Nous devons revenir sur les accords de libre-échange que nous avons ratifiés et renoncer à ceux qui sont en cours de discussion, comme le CETA, lequel, nous l’avons déjà dit, ne va pas dans le sens de l’histoire et est en contradiction avec ce que vous semblez pourtant, monsieur le ministre, vouloir défendre. Ratifier ce genre d’accords entraîne une concurrence déloyale exacerbée, avec des normes et, donc, des prix différents. En outre, la traçabilité étant proche du néant, nous courons le risque de faire face à de nouveaux scandales sanitaires. Je ne reviendrai pas sur le scandale des faux steaks et le rapport de mon collègue Fabien Gay, qui attend d’ailleurs toujours d’être reçu par vous, afin d’échanger réellement sur ces problématiques sanitaires et de distribution alimentaire.
Il s’agit non pas simplement de soutenir la colère des agriculteurs, mais d’agir ! Finalement, la seule question que nous devons nous poser est la suivante : quelle agriculture voulons-nous ? Voulons-nous d’un modèle fortement concentré, réduit à 100 000 exploitations, tourné vers l’agroindustrie, le bio restant réservé aux plus aisés ? Ou bien voulons-nous préserver et encourager les exploitations familiales, qui produisent elles aussi pour le marché, mais créent des richesses immatérielles, peu marchandes, collectives ?
Au groupe communiste républicain citoyen et écologiste, nous faisons le choix d’un modèle d’exploitation familiale, qui doit être préservé, et de l’agroécologie, nouveau modèle à développer. En somme, c’est le choix d’une agriculture saine pour tous, sans fracture sociale ni territoriale. Elle permet à tous ceux qui y travaillent d’en vivre et à l’ensemble de la population de se nourrir sainement à un coût abordable. Nous devons bien évidemment accompagner une telle décision, en exigeant, pour les produits importés, les mêmes règles phytosanitaires que celles qui sont imposées dans notre pays.
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Très bien !
Mme Cécile Cukierman. Nos agriculteurs, mais aussi l’ensemble des consommateurs de notre pays en ont besoin. Il s’agit d’un défi national, auquel il nous appartient de répondre collectivement. Dans la mesure où les crédits de la mission qui nous sont proposés ne le permettront pas, nous ne voterons pas ces crédits. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, UC et Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture rencontre de grandes difficultés. La crise est à la fois économique pour certaines filières, de compétitivité, mais aussi et surtout morale. En effet, les agriculteurs sont aujourd’hui dans le doute. Ils ne savent plus ce que la société et les pouvoirs publics attendent d’eux. Cette colère, ce mal-être, s’est une nouvelle fois exprimée la semaine dernière dans les rues de la capitale.
Les agriculteurs sont pourtant les garants de notre souveraineté alimentaire. Ils jouent un rôle essentiel pour la protection et la gestion de la ressource en eau. Ils concourent au maintien de la biodiversité. Ils contribuent aussi à la transition énergétique au travers des biocarburants. Enfin, ils participent au stockage du carbone, levier important quand on connaît les enjeux du réchauffement climatique. La liste pourrait être beaucoup plus longue. Pourtant, ils sont chaque jour la cible d’attaques directes ou indirectes communément dénommées « agri-bashing ».
Les États généraux de l’alimentation se sont tenus voilà un peu plus de deux ans. Ils ont suscité beaucoup d’espoirs. De cette concertation est née la loi Égalim, qui tarde à porter ses fruits. C’est dans ce contexte difficile que s’inscrit, monsieur le ministre, votre action et votre budget.
Le budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » que nous examinons aujourd’hui est en légère hausse par rapport à celui de l’année 2019, ce dont je ne peux que me réjouir, même s’il ne retrouve pas son niveau de 2018. Le budget pour 2020 maintient les équilibres et s’inscrit dans la lignée des années précédentes. Malheureusement, dans le contexte que je viens de décrire, il ne nous semble pas à la hauteur des enjeux et des attentes.
Dans un premier temps, je souhaite évoquer le budget de la forêt.
Monsieur le ministre, j’ai eu l’occasion de vous interpeller sur la crise sanitaire de la forêt française la semaine dernière. Je regrette que cette politique soit encore le parent pauvre du budget. Elle réunit un millième des dépenses totales du budget de l’État, pour 30 % du territoire. Les dotations allouées à la forêt représentent 8 % des 3 milliards d’euros alloués au budget de l’agriculture. En outre, elles baissent de 2,5 %, n’atteignant que 268 millions d’euros.
Ce budget manque d’ambition. Pourtant, la forêt doit faire face à un niveau de risque jamais atteint : réchauffement climatique, sécheresses successives et multiplication des attaques pathogènes. Malgré un tel contexte, le CNPF, qui est chargé de la gestion des forêts privées, lesquelles représentent 75 % de la superficie forestière française, voit son budget amputé de 1 million d’euros. Le CNPF et ses antennes régionales que sont les CRPF jouent un rôle primordial dans l’accompagnement quotidien des forestiers. Une baisse de leurs moyens serait donc en totale contradiction avec les objectifs d’une politique en faveur de la forêt.
Concernant plus spécifiquement l’agriculture, pour la troisième année consécutive, la dotation pour aléas, réduite de 25 millions d’euros, poursuit sa baisse, qui est toutefois moins importante que les années antérieures, alors même que les agriculteurs n’ont jamais été autant exposés aux aléas et aux risques climatiques. Nous appelons de nos vœux une réforme en profondeur et un renforcement des outils assurantiels et du régime des calamités agricoles.
Je veux aussi revenir sur le budget des chambres d’agriculture.
Initialement, le projet de budget pour 2020 ambitionnait de revoir profondément leur fonctionnement. Il prévoyait, d’une part, une baisse de 45 millions d’euros de la TFPNB et, d’autre part, un versement de cette taxe aux chambres régionales. Cette régionalisation à marche forcée a été très mal accueillie, puisqu’elle revient à anéantir le financement des chambres départementales.
Je me réjouis que le Gouvernement soit revenu sur ce dispositif. Les chambres d’agriculture sont un partenaire essentiel pour l’accompagnement de notre agriculture. Il faut donc les mobiliser plutôt que les affaiblir.
Enfin, je me réjouis que vous ayez maintenu les crédits du Casdar, levier essentiel du développement et de l’innovation.
Pour terminer, je veux m’attarder quelques instants sur le défi du renouvellement des générations. Aujourd’hui, un agriculteur sur deux a plus de 50 ans. Par ailleurs, 800 000 hectares de terres agricoles ont disparu en dix ans, soit quatre exploitations par jour.
Il est absolument indispensable d’assurer la protection des terres agricoles. Il y va de l’avenir de nos territoires. Aujourd’hui, les outils de régulation sont affaiblis par le développement de nouveaux modes de portage du foncier. Une nouvelle loi foncière doit donc au plus vite voir le jour, afin d’enrayer ce phénomène et de faciliter l’accès des jeunes générations au foncier.
Dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, le budget de l’agriculture est d’une relative stabilité, ce qui pourrait à première vue nous satisfaire. Néanmoins, au regard des enjeux agricoles en matière d’innovation et de recherche, ainsi que des nécessaires investissements pour la forêt, ce budget ne nous semble pas à la hauteur des besoins.
S’il est stable, il ne permet pas suffisamment de répondre au malaise des secteurs en crise ni de rassurer nos agriculteurs. Il n’investit pas suffisamment dans l’avenir. Toutefois, je sais combien l’exercice est complexe. Notre groupe votera donc les crédits du Casdar et s’abstiendra sur les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural », la parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Il y a deux ans, monsieur le ministre, votre prédécesseur nous disait que le budget pour 2018 était la « première étape d’une transformation sans précédent de l’agriculture française », et vous nous avez dit, l’an dernier, que le budget pour 2019 s’inscrivait dans la continuité du précédent.
Au sein de ces deux budgets, nous n’avions pu trouver aucune nouveauté répondant aux grands enjeux que doit relever l’agriculture française, et nous nous étions abstenus, considérant que l’essentiel restait à faire.
Dans notre démocratie, l’acte politique majeur est le vote du budget, et c’est à l’aune des difficultés et des grands enjeux de transformation auxquels l’agriculture de notre pays est confrontée que le budget présenté aujourd’hui par le Gouvernement doit être apprécié.
Le revenu des agriculteurs, l’accompagnement de la transformation agroécologique des exploitations, la compétitivité des filières, la gestion des risques, le budget et la gouvernance de la future PAC, la stratégie politique en faveur de la forêt et de la filière bois, l’anticipation des conséquences du Brexit pour la pêche : voilà les sujets sur lesquels notre appréciation doit porter.
Pour ce qui est du revenu agricole, l’évaluation des premiers effets de la loi Égalim par nos collègues rapporteurs fait apparaître, à mi-parcours de l’expérimentation et du point de vue des producteurs, une inefficacité totale.
À l’époque, tout en partageant avec le Gouvernement les objectifs du projet de loi Égalim, qui faisait suite aux États généraux de l’alimentation, nous étions sceptiques sur la réalité de ses effets pour les producteurs – je l’avais dit ici même, à cette tribune, au nom de mon groupe. Vous faites aujourd’hui le même constat d’échec ; or on ne peut pas en rester là : il y va de nos producteurs !
La commission des affaires économiques du Sénat a pris ses responsabilités et va présenter un texte dont l’ambition sera de corriger certains dispositifs de la loi Égalim. Nous serons signataires de cette proposition de loi ; j’espère, monsieur le ministre, que vous ferez en sorte qu’elle puisse être examinée par l’Assemblée nationale. Certes, elle ne réglera pas tout, mais elle permettra de faire un pas dans la bonne direction.
En revanche, nous n’avons rien trouvé, dans les missions du présent budget, qui pourrait améliorer la situation actuelle des agriculteurs en difficulté.
Il y a trois ans, avec Henri Cabanel et vous-même, monsieur le ministre, nous avions ensemble fait voter à l’unanimité du Sénat un texte relatif au développement des outils de gestion des risques en agriculture. Nous proposions même la mise en place, dans le cadre des règlements européens, d’un fonds de stabilisation du revenu agricole. Ce texte n’a pas alors été repris par l’Assemblée nationale, mais il pourrait certainement l’être aujourd’hui, sur votre initiative. Entre-temps, le règlement européen Omnibus a été adopté ; il assouplit les mécanismes de gestion de ces fonds de mutualisation des risques et d’éligibilité à ceux-ci.
L’État est bien entendu partie prenante à ces financements, mais rien dans le budget ne semble avoir été prévu pour déployer ces dispositifs, ce que confirme la stagnation des crédits de l’action Gestion des crises et des aléas de la production agricole, qui restent à leur niveau de 2019, à savoir 5,37 millions d’euros.
La gestion mutualisée des risques se réalise aussi au travers des coopératives d’utilisation de matériel agricole (CUMA). Nous pensons que ce mouvement, qui a fait ses preuves, doit être conforté. Nous présenterons un amendement visant à augmenter les aides aux CUMA de 1,4 million d’euros.
En matière viticole, je peux vous dire, pour avoir rencontré leurs représentants il y a quelques jours, que les filières sont extrêmement inquiètes des déséquilibres qui apparaissent sur certains marchés et des conséquences de la surtaxation par les États-Unis de nos produits d’exportation. Ces exportations, qui font notre fierté, représentent une part importante de notre commerce extérieur agricole. Qu’est-il prévu dans le présent projet de budget, monsieur le ministre, pour atténuer ou compenser ces taxations abusives et aider les filières viticoles par exemple ?
Dans ce contexte, l’affaiblissement et la mise en extinction de l’exonération de cotisations dont bénéficient les employeurs agricoles employant des travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi, ou TO-DE, va occasionner des difficultés supplémentaires pour la viticulture et la filière fruits et légumes notamment. Elles n’avaient pas besoin de cela ! Vous envoyez là un signe contredisant l’intention initiale de redonner du revenu aux producteurs.
Maintenir ce dispositif est indispensable, quand bien même des allégements de charges s’y ajoutent. Je regrette que l’amendement de préservation intégrale du dispositif que nous avions présenté lors de l’examen du PLFSS n’ait pas été adopté. La compétitivité des filières concernées ne s’en serait que mieux portée, dans ce contexte de guerre économico-diplomatique, auquel s’ajoute en permanence une compétition sur les coûts de production. La transition agroécologique vers des produits de qualité à prix abordables en serait aussi facilitée.
Nous savons tous ici que la fin de l’utilisation du glyphosate et la création de zones de non-traitement vont se traduire par des surcoûts de production de l’ordre de 50 à 150 euros, voire plus, par hectare, engendrés notamment par le recours nécessaire à un surcroît de main-d’œuvre et de mécanisation. Votre projet de budget, monsieur le ministre, n’anticipe pas la transition des exploitations vers la fin progressive de l’utilisation du glyphosate. Par conséquent, nous proposerons un amendement de création d’un « fonds spécifique d’aide et d’accompagnement à l’arrêt de l’utilisation de produits phytosanitaires », doté de 10 millions d’euros.
Dans la même logique, nous proposerons d’affecter 10 millions d’euros à la réalisation de l’objectif consistant à ce que soient servis 50 % de produits sous signe d’identification de la qualité et de l’origine et 20 % de produits bio dans la restauration collective d’ici à 2022, comme le prévoit la loi Égalim. Le développement des fermes « Dephy » –démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires – doit être également accéléré, et nous souhaitons que 450 000 euros y soient consacrés.
Pour faire face à ses missions croissantes, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) doit conserver son budget, et nous proposerons, par amendement, de rétablir sa subvention pour charges de service public à la même hauteur que l’année dernière, en lui octroyant 4 millions d’euros supplémentaires.
La sortie injuste et jusqu’à présent injustifiée de certains territoires ancestraux de polyculture-élevage de la carte des zones défavorisées simples conduit à des pertes de revenus importantes et à des arrêts d’exploitation, voire pire ! C’est le cas dans le Gers, pour près de 110 éleveurs, dans l’Aude, dans les Deux-Sèvres, ailleurs aussi. Nous ne pouvons toujours pas l’admettre, nous qui connaissons les territoires concernés, les hommes et les femmes qui y vivent avec autant de peine que de dignité !
Pour faire face à ces baisses de revenus, nous pensons qu’il serait judicieux de développer expérimentalement des paiements pour services environnementaux (PSE) sur ces territoires. Il est grand temps qu’à travers ce dispositif la contribution positive de l’agriculture française, dans sa diversité, au regard des grands enjeux de transition écologique soit reconnue et valorisée.
En matière de soutien à la transition agroécologique, les crédits du programme 149 augmentent de 140 millions d’euros, pour financer la reconduction des contrats quinquennaux de financement des mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), qui arrivent à échéance en 2020. On s’inscrit donc là dans une logique de reconduction des financements existants. Quel signal voulez-vous envoyer en matière de transition agroécologique ?
Vous nous avez dit votre intransigeance à l’égard d’une baisse du budget de la PAC, en laissant toutefois entendre que le Brexit engendrerait une perte.
M. Franck Montaugé. Avec ou sans Brexit, monsieur le ministre, comment allez-vous compenser la baisse du budget, de 15 % en euros constants, de sorte que le revenu agricole ne soit pas une nouvelle fois négativement affecté ? Rien, dans ce projet de budget, ne semble en rapport avec ce sujet crucial, qu’il s’agisse du premier pilier, du second, dont les territoires ruraux vont aussi probablement faire les frais, ou du « verdissement », dont l’accompagnement pourrait être sensiblement amoindri, ce qui retardera d’autant la transition vers un modèle durable d’agriculture. On sait d’ores et déjà que le Brexit aura une incidence sensible sur le budget de la PAC. La pêche est, à cet égard, un autre sujet particulièrement préoccupant, qui nécessite d’anticiper.
La politique déployée en matière de forêts et de soutien à la filière bois ne nous paraît pas non plus adaptée aux enjeux et au potentiel de notre pays. Pour rattraper une partie de notre retard, il est nécessaire de rétablir les moyens du fonds stratégique de la forêt et du bois. Aussi proposerons-nous un amendement visant à allouer près de 2,5 millions d’euros supplémentaires à ce fonds.
Les moyens du Centre national de la propriété forestière doivent eux aussi être confortés ; une augmentation de 1 million d’euros est nécessaire pour rester au niveau de 2019.
Il faut en outre donner à l’agriculture dite endogène d’outre-mer les moyens de son développement ; nous proposerons d’y affecter 5 millions d’euros.
Monsieur le ministre, malgré une hausse faciale de 400 millions d’euros à périmètre constant, ce budget pour 2020 ne prend pas ou pas assez en compte les grandes difficultés des filières, des territoires, des hommes et des femmes qui y vivent. Les crédits du Casdar, qui sont stables, recevront toutefois notre approbation. Pour ce qui est des crédits de la mission, les moyens n’étant pas à la hauteur des enjeux, nous ne saurions les voter. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur la filière forêt-bois, plus vulnérable que jamais.
Plusieurs effets se conjuguent pour fragiliser nos forêts, qui meurent, si j’ose dire, « à petit feu » : sécheresses à répétition, fortes chaleurs, attaques parasitaires, dégâts de gibiers croissants… Plus aucun territoire, plus aucune essence ne sont épargnés.
À la catastrophe écologique s’ajoute la menace économique : des communes forestières privées de ressources, des marchés saturés, des prix qui chutent et des trous de production en perspective. Pour toutes ces raisons, notre production ne pourra pas répondre aux besoins de construction et en charpentes, ce qui nous obligera à importer toujours plus.
Face à ces réalités, il faut dès à présent aider nos forêts à devenir plus résilientes, en privilégiant des essences plus résistantes à la chaleur et plus frugales en eau, en diversifiant les peuplements, en faisant évoluer les méthodes sylvicoles, mais aussi en innovant et en adaptant l’outil de transformation.
De nombreux pays ont compris l’intérêt d’une forêt régénérée, productrice de bois d’œuvre et d’énergie renouvelable et puits de carbone : certains de nos voisins européens, mais aussi la Chine, la Russie ou l’Australie, investissent massivement dans leurs forêts.
La France, pourtant riche d’une forêt multifonctionnelle de 17 millions d’hectares, source de plus de 400 000 emplois, ne considère pas encore sa ressource forestière à la hauteur de ses bienfaits.
Cette négligence se traduit dans le PLF pour 2020 : le Gouvernement prévoit une baisse de 2,5 % des crédits.
Si les crédits destinés à la forêt publique, via l’Office national des forêts (ONF), sont maintenus, il n’en est pas de même pour la forêt privée, qui représente pourtant les deux tiers des surfaces forestières.
Le Centre national de la propriété forestière perd 1 million d’euros, soit 7 % de son budget. Comment, dès lors, assurer sa présence et la disponibilité des 451 équivalents temps plein actuellement en service, qui ne sont pas de trop sur le terrain, aux côtés des 3 millions de propriétaires ?
Avec mes collègues du groupe d’études « forêt et filière bois », nous proposerons des amendements visant à maintenir les crédits alloués au CNPF et à revaloriser les dispositifs d’encouragement fiscal à l’investissement (DEFI) travaux et acquisition, afin d’inciter les propriétaires à s’engager dans la nécessaire restructuration des massifs forestiers.
Une enveloppe de 18,5 millions d’euros est affectée au fonds stratégique de la forêt et du bois. C’est moins qu’à sa création, en 2014. Il était alors doté de 25 millions d’euros, et devait atteindre les 100 millions d’euros !
Aujourd’hui, les sylviculteurs craignent de devenir à leur tour les victimes d’un « sylvi-bashing » condamnant sans discernement les méthodes d’une profession pourtant exemplaire, qui pratique la multifonctionnalité, le mélange des essences, le respect des cycles et des sols, plus que dans tout autre pays au monde !
C’est la même menace qui pèse sur l’agriculture et la sylviculture françaises : à force d’imposer des contraintes nouvelles, de les fragiliser commercialement, nous prenons le risque de voir exploser nos importations ; comme nous avons besoin d’agriculture pour nous nourrir, nous avons besoin de bois pour construire…
L’abondement de ce fonds stratégique est donc essentiel pour reboiser les forêts en voie de dépérissement, mais aussi pour accompagner les entreprises de transformation dans les investissements qu’elles devront engager afin d’adapter leurs outils aux nouvelles essences, aux nouveaux produits.
Cette année encore, le fonds stratégique de la forêt et du bois est amputé des 4 millions d’euros de la taxe affectée plafonnée de défrichement. Monsieur le ministre, si vous ne pouvez pas faire plus pour la forêt, laissez au moins le produit de la fiscalité de la forêt lui revenir !
Les récents débats sur le PLF ont donné à entendre que les filières disposant d’un contrat d’objectifs et de performance (COP) – c’est le cas de la filière bois – feraient l’objet d’un déplafonnement. Nous comptons sur votre soutien, car la filière mise notamment sur les prochains jeux Olympiques, qui seront l’occasion de promouvoir les usages de matériaux biosourcés dans la construction.
Il est également indispensable que le Gouvernement encourage les initiatives privées dans nos forêts. J’ai proposé la création de « certificats de captation carbone », sur le modèle des certificats d’économie d’énergie. Ces certificats pourraient efficacement concourir à la réalisation de l’objectif de neutralité carbone en 2050. Jusqu’à présent, le Gouvernement préfère se contenter des démarches volontaires de quelques grandes entreprises ou associations, certes louables, mais tenant plus d’opérations de communication que d’un véritable plan de sauvegarde et de relance de la forêt !
L’enjeu est en effet, monsieur le ministre – je sais que vous-même l’avez compris –, de faire face au rouleau compresseur climatique qui décime petit à petit nos forêts : sans ressource, pas d’activité ! Les pays forestiers voisins l’ont compris ; le Gouvernement n’a-t-il pas d’ambition pour la forêt française ?
Vous comprendrez, monsieur le ministre, que nous ne votions pas les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », à l’exception de ceux du Casdar. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)