Sommaire
Présidence de M. Jean-Marc Gabouty
Secrétaires :
Mmes Catherine Deroche, Patricia Schillinger.
2. Loi de finances pour 2020. – Suite de la discussion d’un projet de loi
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial de la commission des finances
M. André Vallini, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission de la culture
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Amendement n° II-375 de Mme Christine Prunaud. – Retrait.
Amendement n° II-438 de Mme Claudine Lepage. – Rejet.
Amendement n° II-440 rectifié de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° II-374 de Mme Christine Prunaud. – Rejet.
Amendement n° II-439 de Mme Claudine Lepage. – Rejet.
Amendement n° II-442 de Mme Hélène Conway-Mouret. – Retrait.
Amendement n° II-437 de Mme Claudine Lepage. – Rejet.
Amendement n° II-441 de Mme Hélène Conway-Mouret. – Rejet.
Amendement n° II-132 rectifié bis de Mme Nathalie Goulet. – Rectification.
Amendement n° II-132 rectifié ter de Mme Nathalie Goulet. – Rejet.
Amendement n° II-112 rectifié de M. Olivier Cadic. – Rejet.
Vote sur les crédits de la mission
Adoption des crédits de la mission « Action extérieure de l’État », figurant à l’état B.
Articles additionnels avant l’article 73 A
Amendement n° II-443 de M. Rachid Temal. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° II-131 rectifié bis de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Amendement n° II-2 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
Aide publique au développement
Compte de concours financiers : Prêts à des États étrangers
M. Yvon Collin, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
aide publique au développement
Amendement n° II-376 de Mme Christine Prunaud. – Rejet.
Amendement n° II-445 de Mme Claudine Lepage. – Rejet.
Amendement n° II-377 de Mme Christine Prunaud. – Retrait.
Amendement n° II-444 de Mme Claudine Lepage. – Rejet.
Vote sur les crédits de la mission
Adoption, par scrutin public n° 47, des crédits de la mission « Aide publique au développement », figurant à l’état B.
Amendement n° II-4 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
compte de concours financiers : prêts à des états étrangers
Vote sur les crédits du compte spécial
Adoption des crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », figurant à l’état D.
Suspension et reprise de la séance
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial de la commission des finances
Mme Corinne Imbert, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé
Amendement n° II-36 de la commission. – Rejet par scrutin public n° 48.
Amendement n° II-474 de M. René-Paul Savary. – Adoption.
Amendement n° II-475 de M. René-Paul Savary. – Adoption.
Amendement n° II-135 rectifié de Mme Élisabeth Doineau. – Adoption.
Amendement n° II-451 rectifié de M. Maurice Antiste. – Adoption.
Vote sur les crédits de la mission
Adoption des crédits modifiés de la mission « Santé », figurant à l’état B.
Article 78 duodecies (nouveau)
Amendement n° II-419 de M. Bernard Jomier. – Rejet.
Amendement n° II-364 rectifié de M. Philippe Bonnecarrère. – Devenu sans objet.
Article 78 terdecies (nouveau)
Article 78 quaterdecies (nouveau) – Adoption.
Article 78 quindecies (nouveau)
Amendement n° II-39 de la commission. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article 78 sexdecies (nouveau)
Amendement n° II-40 de la commission. – Retrait.
Adoption de l’article.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Solidarités, insertion et égalité des chances
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé
Amendement n° II-465 rectifié ter de M. Jean-Louis Tourenne. – Rejet.
Amendement n° II-82 de M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. – Adoption.
Amendement n° II-462 de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.
Amendement n° II-406 rectifié de M. Fabien Gay. – Adoption.
Amendement n° II-466 rectifié ter de Mme Sophie Taillé-Polian. – Adoption.
Amendement n° II-657 de la commission. – Adoption.
Amendement n° II-463 de Mme Patricia Schillinger. – Adoption.
Amendement n° II-83 de M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. – Adoption.
Vote sur les crédits de la mission
Adoption des crédits modifiés de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », figurant à l’état B.
Article 78 octodecies (nouveau)
Amendement n° II-583 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article 78 novodecies (nouveau)
Amendement n° II-84 rectifié de M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article 78 vicies (nouveau) – Adoption.
Recherche et enseignement supérieur
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial de la commission des finances
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation
Amendement n° II-380 de M. Pierre Ouzoulias. – Rejet.
Amendement n° II-379 de M. Pierre Ouzoulias. – Rejet.
Amendement n° II-405 de Mme Sophie Taillé-Polian. – Retrait.
Amendement n° II-476 rectifié de M. Michel Canevet. – Retrait.
Amendement n° II-460 de M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis. – Retrait.
Amendement n° II-381 de M. Pierre Ouzoulias. – Rejet.
Amendement n° II-567 de Mme Sylvie Robert. – Rejet.
Amendement n° II-382 de M. Pierre Ouzoulias. – Rejet.
Amendement n° II-418 rectifié de M. Michel Raison. – Retrait.
Amendement n° II-427 rectifié de M. Yves Daudigny. – Non soutenu.
Amendement n° II-368 de M. Daniel Gremillet. – Non soutenu.
Amendement n° II-378 de M. Pierre Ouzoulias. – Rejet.
Amendement n° II-404 rectifié de Mme Martine Berthet. – Retrait.
Amendement n° II-105 rectifié de M. Jean-Pierre Leleux. – Retrait.
Amendement n° II-383 de M. Pierre Ouzoulias. – Rejet.
Amendement n° II-26 de la commission. – Rejet.
Amendement n° II-289 rectifié bis de M. Gérard Poadja. – Rejet.
Vote sur les crédits de la mission
Adoption des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », figurant à l’état B.
Article additionnel avant l’article 76 sexdecies
Amendement n° II-389 rectifié de M. Éric Bocquet. – Rejet.
Article 76 sexdecies (nouveau)
Amendement n° II-24 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Article additionnel après l’article 76 sexdecies
Article 76 septdecies (nouveau)
Amendement n° II-25 de la commission. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
Article additionnel après l’article 76 septdecies
Amendement n° II-391 rectifié de Mme Martine Berthet. – Retrait.
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Jean-Marc Gabouty
vice-président
Secrétaires :
Mme Catherine Deroche,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Loi de finances pour 2020
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2020, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 139, rapport général n° 140, avis nos 141 à 146).
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des différentes missions.
SECONDE PARTIE (SUITE)
MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES
Action extérieure de l’État
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Action extérieure de l’État » (et article 73 A).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Action extérieure de l’État » sont stables en valeur en 2020, à hauteur de 2,9 milliards d’euros. Cette stabilité apparente masque en réalité une augmentation des crédits de paiement de 1,1 % à périmètre constant, puisque le programme consacré à la présidence française du G7 prend fin le 31 décembre 2019.
L’évolution des crédits de la mission se situe toutefois en deçà de celle des dépenses totales de l’État, qui augmentent de 2 % en valeur entre 2019 et 2020. Il me semblait important de le souligner, car cela fait déjà quelques années que beaucoup d’efforts budgétaires sont réalisés sur la mission « Action extérieure de l’État ».
Dans cette stabilité générale, quelques variations significatives de crédits devraient néanmoins caractériser l’année 2020. Les évolutions à la hausse correspondent essentiellement à l’augmentation de 24,6 millions d’euros de la subvention de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), sur laquelle reviendra mon collègue rapporteur Rémi Féraud, à la dynamique des dépenses de personnel – +9,3 millions d’euros – et à la progression de 7,4 millions d’euros des dépenses d’immobilier à l’étranger.
À l’inverse, les évolutions à la baisse correspondent à une économie de constatation de 7,6 millions d’euros sur les contributions internationales, essentiellement liée au repli des contributions en faveur des opérations de maintien de la paix, à une diminution de 8 millions d’euros des dépenses de protocole et à la baisse d’un certain nombre de subventions allouées aux opérateurs : Atout France, alliances françaises, Institut français de Paris.
Je souhaite souligner quatre points en particulier.
Premièrement, comme je viens de l’indiquer, la masse salariale de la mission augmente légèrement en 2020, de 9,3 millions d’euros, soit 0,96 %.
L’effet change-prix sur les indemnités de résidence à l’étranger (IRE) et l’effet prix sur les rémunérations des agents de droit local (ADL) constituent les principaux facteurs d’évolution à la hausse de la masse salariale.
Par ailleurs, l’effet du glissement vieillesse-technicité (GVT) sur la masse salariale de la mission est positif en 2019 et beaucoup plus important que les années précédentes. Il s’élève à près de 9 millions d’euros. Pour la première fois depuis 2012, la part du GVT qui correspond au remplacement d’agents ayant une certaine ancienneté par des agents plus jeunes, qui est habituellement négative, est positive.
Le Gouvernement m’a indiqué que cette situation était notamment liée à la requalification des agents de droit local sur des postes plus qualifiés. J’avoue être un peu surpris que les agents de droit local puissent avoir un effet sur le GVT.
Plus généralement, je m’étonne d’une telle inversion de tendance. J’appelle à la vigilance sur ce point.
Deuxièmement – c’est un classique –, les effectifs de la mission « Action extérieure de l’État » diminuent. Cela m’a conduit avec Rémi Féraud à remettre un rapport d’information spécifique sur la masse salariale.
En 2020, les effectifs devraient diminuer de 81 équivalents temps plein (ETP), soit plus que pour l’ensemble des missions du présent projet de loi de finances, puisque la baisse globale est de 47 ETP. Cette diminution est mieux répartie qu’auparavant entre les différentes catégories de personnels – titulaires, contractuels, agents de droit local. Une telle évolution va dans le sens des préconisations que Rémi Féraud et moi-même avons formulées.
Troisièmement, le PLF 2020 prévoit pour la première fois un mécanisme de provision des effets de change-prix sur la masse salariale. Cela devrait permettre de limiter la surexécution chronique des dépenses de personnels et de rendre plus sincères les prévisions budgétaires faites en loi de finances initiale. De ce point de vue, nous vous adressons plutôt un satisfecit, monsieur le ministre.
Quatrièmement, le sujet de l’immobilier à l’étranger va nous occuper dans les années à venir.
M. Richard Yung. C’est vrai !
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. Nous souhaitons appeler l’attention sur le risque d’impasse du budget de l’immobilier à l’étranger. La chute importante des produits de cessions, qui traduit notamment l’épuisement du volume de ventes potentielles, fait peser un risque important sur le budget de la mission « Action extérieure de l’État » et pourrait conduire à une dégradation du patrimoine immobilier du ministère.
Rémi Féraud et moi-même avons beaucoup travaillé sur les indemnités de résidence à l’étranger. Nous n’avons pas déposé d’amendement sur le sujet dans le cadre du présent projet de loi de finances, car nous considérons que nos travaux ne sont pas finalisés à ce stade. Nous avons reçu votre réponse, monsieur le ministre, et nous y avons nous-mêmes répondu. Il existe visiblement un désaccord ou une incompréhension entre Bercy et le ministère des affaires étrangères. Le travail doit se poursuivre. Nous avons l’impression d’un décalage entre les indemnités de résidence à l’étranger qui sont versées et les indemnités de résidence à l’étranger théoriques telles qu’elles seraient calculées en fonction des différents critères utilisés.
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. Le concept a été inventé par Bercy. Nous souhaitons donc creuser cette question, afin de voir avec le ministère des affaires étrangères si toutes les corrections sont bien apportées chaque année au montant des IRE, qu’elles soient à la hausse ou à la baisse. Nous avons le sentiment qu’elles sont souvent atténuées quand elles sont à la baisse, d’où l’écart constaté, d’ailleurs assez classique, et pas seulement dans la fonction publique : quand des critères permettent d’augmenter une rémunération, il est procédé à l’augmentation, et quand ils justifient une baisse, on essaie de limiter celle-ci. Est-ce bien cela, monsieur le ministre ? Rémi Féraud et moi-même souhaitons nous faire une idée plus précise sur le sujet.
Par ailleurs, le fait que de telles indemnités ne soient pas imposables suscite des interrogations. Ne faudrait-il pas aller progressivement vers une imposition ? Cela ne semblerait pas complètement aberrant.
Nous sommes favorables à l’adoption des crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, Les Indépendants, RDSE, LaREM et SOCR.)
M. Richard Yung. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la suite de Vincent Delahaye, je vais vous présenter les programmes de la mission « Action extérieure de l’État » qui concernent la diplomatie culturelle et d’influence, l’enseignement français à l’étranger ainsi que les Français à l’étranger et les affaires consulaires.
Monsieur le ministre, au mois d’août dernier, lors de la conférence des ambassadeurs, vous avez réaffirmé l’ambition de la politique d’influence de la France, que vous décrivez comme « l’un des trois piliers fondamentaux de notre politique étrangère globale ».
La hausse des crédits du programme 185, « Diplomatie culturelle et d’influence », de près de 3 % par rapport à l’an dernier, semble témoigner de cette priorité politique.
Je veux d’abord saluer l’augmentation de 24,6 millions d’euros de la subvention accordée à l’AEFE. Après une baisse des crédits en 2017 et une stabilisation l’an dernier, cette hausse est évidemment une bonne nouvelle et, pour beaucoup, un soulagement. Elle permet d’aller vers l’objectif, fixé par le Président de la République, de doubler le nombre d’élèves scolarisés dans son réseau d’ici à 2030, sans néanmoins – je tiens à le souligner – être suffisante pour l’atteindre.
Si les éléments que je viens d’évoquer pour l’enseignement français à l’étranger sont positifs, on ne peut pas en dire autant s’agissant des trois autres opérateurs du programme : Atout France, Campus France et l’Institut français.
Ainsi, la subvention pour charge de service public accordée à Campus France est maintenue à son niveau de l’an dernier, soit 3,8 millions d’euros. Mais cet opérateur est chargé de mettre en œuvre l’objectif présenté par le Premier ministre l’an dernier dans la stratégie d’attractivité universitaire « Bienvenue en France », qui vise à accueillir 500 000 étudiants étrangers en France de pays d’origine plus diversifiée qu’actuellement d’ici à 2027. C’est aussi dans ce cadre que des frais de scolarité différenciés ont été mis en place, avec les contestations que nous connaissons dans le monde universitaire. Ces dernières ont poussé le Premier ministre à annoncer le triplement des bourses d’études et de stages, ainsi que certaines exonérations des droits d’inscriptions.
Comment l’opérateur Campus France pourra-t-il faire face à ces nouvelles mesures sans augmentation de sa subvention ? Comment justifier le maintien du niveau des bourses dédiées aux étudiants étrangers au même niveau que l’an dernier dans ce contexte ? Pour répondre à ces interrogations, nous souhaiterions d’ailleurs qu’un bilan détaillé de l’utilisation de l’enveloppe dédiée aux bourses puisse être établi à l’occasion de la prochaine loi de règlement. Il en est de même pour les exonérations de droits d’inscription accordées par les postes à l’étranger, qui n’ont pas toutes été documentées à ce jour. C’est d’autant plus important que le nombre de demandes de bourses a chuté fortement, à hauteur de 18 %, en 2019. À mon sens, sur ce sujet, il y a un certain nombre de travaux à mener pour nous permettre d’exercer notre contrôle parlementaire.
Le budget des deux autres opérateurs est, lui aussi, contraint.
La subvention à l’Institut français, dont je veux saluer la qualité du travail, retrouve cette année son niveau de 2018, après une hausse de 2 millions d’euros l’an dernier. Celle-ci était alors justifiée par la mise en œuvre du plan pour la langue française et le plurilinguisme annoncé par le Président de la République. L’annonce n’a été suivie d’effets qu’une année ; nous ne pouvons que le regretter.
Et Atout France est fortement mis à contribution dans le projet de loi de finances, puisqu’il voit sa subvention réduite de 1,8 million d’euros. En réalité, la baisse est plus importante, puisque 2,6 millions d’euros ont été provisionnés pour financer les mesures d’accompagnement d’un probable plan social. Les économies attendues sont donc bien de 4,4 millions d’euros.
Redéfinir notre politique d’attractivité touristique, mutualiser les moyens avec Business France, revoir le rôle de chacun des acteurs de cette politique… pourquoi pas ? Mais Atout France a aussi besoin d’une visibilité pluriannuelle sur les crédits qui lui seront accordés pour réaliser ces économies dans les meilleures conditions. Cette visibilité doit lui être donnée dans le cadre de son nouveau contrat d’objectifs et de moyens. Nous y serons attentifs.
Le programme 151, « Français à l’étranger et affaires consulaires », est marqué par de nombreux chantiers de modernisation. Près de 2 millions d’euros sont consacrés à ces réformes, qui reposent notamment sur la mise en place du vote par internet, l’élargissement des horaires, l’état civil électronique et la création d’une plateforme téléphonique d’accueil consulaire.
Cette modernisation de l’administration consulaire est évidemment souhaitable, mais elle est parfois difficile tant pour les agents dans les consulats et les ambassades que pour les Français de l’étranger. Alors que la demande de présence de l’État est toujours plus forte pour nos concitoyens à l’étranger, l’existence d’un lien humain demeure – nous le savons – fondamentale, et le numérique ne peut pas toujours le remplacer. À ce risque d’éloignement s’ajoute souvent – Vincent Delahaye et moi-même l’avons constaté lors de nos visites – le scepticisme des agents sur place. Ces derniers ont besoin d’un accompagnement important pour faire face à ces changements d’ampleur, dont les gains de productivité ne sont d’ailleurs pas toujours assurés et devront être vérifiés.
La stabilité globale du budget de la mission en termes de reconduction des crédits masque des différences importantes selon les programmes et les opérateurs. Il y aurait besoin d’une vision de long terme. Au demeurant, la mission « Action extérieure de l’État », qui est pourtant le plus petit des budgets régaliens de la République, a déjà grandement contribué aux efforts de maîtrise des dépenses publiques depuis une quinzaine d’années. Il me semble important de le rappeler aujourd’hui et d’en tenir compte pour l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et LaREM et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Bernard Cazeau, en remplacement de M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre collègue Ladislas Poniatowski, qui ne peut pas être présent aujourd’hui, m’a prié de vous donner lecture de l’intervention qu’il souhaitait prononcer :
« En 2020 se poursuivra la réorganisation des modes de gestion des réseaux de l’État à l’étranger. Mais tous les ministères ne jouent pas le jeu et n’acceptent pas que l’ambassadeur devienne le pilote de l’ensemble des réseaux de l’État à l’étranger. C’est pourtant légitime et indispensable. Nous en reparlerons lors de l’examen du projet de loi d’orientation sur l’aide au développement, car la question se posera s’agissant de l’aide publique au développement.
« J’en viens maintenant au modèle de gestion immobilière du Quai d’Orsay. Il n’est pas soutenable, car il fait dépendre l’entretien courant des bâtiments des recettes exceptionnelles des cessions d’immeubles à l’étranger. Nous arrivons à une impasse dans ce domaine : l’État s’appauvrit et les possibilités de vente diminuent !
« Les prévisions de recettes sont inférieures à 30 millions d’euros. On a même plafonné à 4 millions d’euros en 2019, alors que le besoin réel est compris entre 40 millions d’euros et 80 millions d’euros par an. Il faut mettre un terme à l’érosion du patrimoine qui découle de cette gestion non vertueuse. La commission demande aussi au Gouvernement de réfléchir au projet de rénovation du Quai d’Orsay, dit QO21.
« Mal adapté aux besoins, avec des espaces sans lumière, et dépourvu de lieu de restauration du personnel, ce projet est au point mort depuis un an, accumulant retard et dépassement du budget, qui atteint déjà 95 millions d’euros, pour moitié financés par des cessions de biens immobiliers à l’étranger. Pourquoi ne pas profiter de ce blocage au stade de l’avant-projet sommaire pour redéfinir le projet ? Celui-ci ne doit pas être un totem. » (M. le président de la commission des affaires étrangères et M. Claude Kern applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Bernard Cazeau, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le ministre, je souhaite tout d’abord vous féliciter de l’effort de sincérisation du budget du programme 105, « Action de la France en Europe et dans le monde », pour prendre en compte ce que l’on appelle l’effet « change-prix », c’est-à-dire change sur l’inflation et prix sur les indemnités de résidence à l’étranger. Cela explique le paradoxe apparent entre la baisse des effectifs, que M. le rapporteur spécial a évoquée, et la hausse des dépenses des personnels. Un effort est fait, et une provision de 15 millions d’euros est prévue.
Plus globalement, les effets de change et l’inflation posent un problème de soutenabilité au programme 105. Nous devons donc être vigilants et veiller à ce que cette provision compensant les effets change-prix soit désormais annuelle.
De même – là encore, c’est une demande récurrente de notre commission –, le Premier ministre a validé la couverture du risque d’une perte au change sur la rémunération des agents de droit local et sur les indemnités de résidence à l’étranger. Nous pouvons nous en féliciter.
J’en viens à la sécurité des implantations diplomatiques, consulaires et culturelles. Les crédits budgétaires dédiés ont diminué en 2019, passant de 75 millions à 44 millions d’euros. Cette réduction a été compensée par une avance sur deux ans de 100 millions d’euros financée par le fameux compte d’affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l’État » dans le cadre du programme 723. Nous sommes donc passés d’une gestion par le Quai d’Orsay à une gestion par Bercy !
La définition d’un programme d’investissements à la hauteur des besoins de financement et l’accroissement des dépenses éligibles au compte d’affectation sont nécessaires pour que cette réforme atteigne ses objectifs et que les crédits dédiés soient réellement consommés.
Enfin, le ministère ayant contribué bien au-delà de ses obligations, à hauteur de 207 millions d’euros, au désendettement de l’État de 2014 à 2017, ne pourrait-on pas considérer que l’avance au compte d’affectation est déjà remboursée ? (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE. – M. le président de la commission des affaires étrangères et M. Claude Kern applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. André Vallini, en remplacement de M. Robert del Picchia, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Robert del Picchia ne peut pas se trouver parmi nous aujourd’hui à cause d’un deuil cruel. La commission a eu l’occasion de lui exprimer sa vive sympathie ; avec votre permission, je souhaite à présent le faire au nom de l’ensemble de l’hémicycle.
Je vais vous donner lecture de l’intervention que notre collègue comptait prononcer aujourd’hui :
« Nous avons émis un avis favorable sur les crédits de la diplomatie culturelle et d’influence, qui sont en légère augmentation du fait d’une hausse de 25 millions d’euros de la subvention à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE).
« L’objectif énoncé par le Président de la République est de doubler les effectifs d’élèves scolarisés dans l’enseignement français à l’étranger d’ici à 2030, ce qui suscite plusieurs interrogations ; nous les avons évoquées en commission.
« En premier lieu, on note une lente érosion de la part des enfants français scolarisés dans le réseau. Elle est passée en cinq ans de 38 % à 35 %. L’enveloppe des aides à la scolarité stagne et les droits d’inscription sont, eux, en constante augmentation. Le budget des aides à la scolarité suivra-t-il l’extension du réseau, donc du nombre de bénéficiaires potentiels ? Ou bien cette extension reposera-t-elle sur un modèle purement privé, dans une logique de “labellisation” des établissements, ce qui serait évidemment moins favorable ?
« En deuxième lieu, on vise un doublement du nombre d’élèves, avec seulement 11 % de détachements supplémentaires de personnels titulaires de l’éducation nationale. Y aura-t-il un pilotage conjoint de ces détachements par les deux ministères concernés, celui des affaires étrangères et celui de l’éducation nationale, dans la mesure où une gestion “au fil de l’eau” ne permettrait pas de mettre en œuvre les priorités du ministère des affaires étrangères ? Et ne risque-t-on pas de dénaturer le réseau en faisant reposer son extension sur un recrutement essentiellement local ?
« En troisième lieu, le développement du réseau sur le plan immobilier est freiné par des obstacles à l’emprunt, qui doivent être levés. Ne faudrait-il pas alors autoriser l’AEFE à emprunter auprès d’établissements de crédit ? Elle ne peut le faire aujourd’hui. Un dispositif alternatif à l’Association nationale des écoles françaises de l’étranger (Anefe) sera-t-il mis en place pour permettre le recours des établissements à la garantie de l’État ? »
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. André Vallini, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite pour ma part évoquer la stratégie nationale d’accueil des étudiants internationaux.
La France est aujourd’hui le cinquième pays d’accueil de ces étudiants. Elle est suivie de près par la Russie et le Canada. Plusieurs pays ont des stratégies très offensives. Je pense à la Turquie, dont le nombre d’étudiants internationaux a progressé de 180 % en cinq ans, à la Malaisie – +79 % – ou encore à l’Arabie saoudite – +63 % –, avec évidemment un enseignement universitaire à connotation islamique. Ces pays déploient des moyens considérables pour attirer des étudiants de tous les pays du monde.
Face à de telles évolutions, notre stratégie d’attractivité est fragile.
D’abord, les moyens qui lui sont consacrés sont insuffisants. Une politique d’exonérations a permis de limiter les effets de la hausse des droits d’inscription. Mais ces exonérations sont supportées par un système universitaire déjà à bout de souffle ; les événements récents l’ont encore montré. Les crédits des bourses sont stables, à 65 millions d’euros. En dix ans, ils ont diminué de 43 %.
Par ailleurs, ces crédits ne sont pas intégralement consommés, ce qui est fâcheux. Cette année, seulement 76 % ont été effectivement confiés en gestion à Campus France.
Plus généralement, comme l’a souligné la Cour des comptes dans un rapport récent, cette politique des bourses souffre d’un manque de stratégie d’ensemble. Elle doit être absolument mieux pilotée. Dans cette perspective, on pourrait envisager un rapprochement entre Campus France et Erasmus +, ce qui permettrait d’être plus efficace.
M. Richard Yung. Très bien !
M. André Vallini. Une meilleure articulation entre le réseau diplomatique et les établissements d’enseignement supérieur en France pour les étrangers est nécessaire. Les filières longues, les filières d’excellence, doivent évidemment être privilégiées sur les stages courts.
Enfin, la politique des bourses doit être rendue plus visible sur le plan international par l’instauration d’une vraie marque, prestigieuse, avec une forte notoriété – la marque actuelle, « bourse du Gouvernement français », n’est pas très attractive –, ainsi que par des appels à candidatures mondiaux et un recrutement sur des critères unifiés. Monsieur le ministre, envisagez-vous une telle réforme, évidemment accompagnée d’un accroissement des moyens ?
Cette politique des bourses est en effet un vecteur d’influence essentiel – du soft power, en bon français… –, un moyen de diffuser notre langue et nos valeurs dans un contexte mondial, on le sait, de plus en plus concurrentiel. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, RDSE et LaREM, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits destinés au programme 151, « Français à l’étranger et affaires consulaires », sont globalement stables, en baisse de 0,3 %, la plupart des lignes budgétaires étant reconduites. Les crédits de personnel connaissent une légère baisse de 1,45 million d’euros, soit 0,6 %, alors que ceux qui sont destinés à la modernisation de l’administration consulaire sont en augmentation de 1,9 million d’euros.
Ces deux chiffres illustrent la tendance de fond qui est à l’œuvre dans le réseau consulaire depuis de nombreuses années, consistant à dégager des marges de manœuvre grâce à la dématérialisation et la rationalisation pour maintenir le service rendu aux usagers dans un contexte d’économies et de suppressions de postes.
En 2020, les chantiers de modernisation vont se poursuivre, avec la mise en place d’un registre d’état civil électronique, le lancement d’un « centre mondial d’accueil consulaire » et le déploiement de l’application France-Visas, permettant un traitement entièrement dématérialisé des demandes de visas.
Des marges de manœuvre sont aussi recherchées dans des mesures de réorganisation. Il en est ainsi du regroupement d’activités, permettant des gains de productivité et des redéploiements d’effectifs. Dans les pays comptant plusieurs postes, des spécialisations sont mises en place, comme depuis le 1er septembre 2019 aux Émirats arabes unis : la compétence en matière de visas est exercée à Abou Dhabi, alors que celle en matière d’administration des Français est du ressort de Dubaï. Le projet de regrouper au service central de l’état civil à Nantes les transcriptions d’état civil, expérimenté depuis 2018 avec plusieurs postes en Europe, procède de la même logique et suscite quelques inquiétudes.
Évoquons les réorganisations de la carte consulaire. Après la fermeture récente des consulats de Séville et de Moncton, après la transformation du consulat général de Boston en consulat d’influence, il est prévu en 2020 de supprimer un certain nombre de sections consulaires, notamment à Monaco et Tallinn, et de fusionner les fonctions de consul et de directeur de l’Institut français à Agadir, Bilbao, Fès et Tanger. Ces évolutions entament l’universalité du réseau.
En 2020, comme depuis une décennie, l’administration consulaire continuera de se réformer pour maintenir le niveau de service rendu à une population de ressortissants français en augmentation continue de 81 % depuis 1998, et ce avec toujours moins de moyens.
Afin de se conformer à l’objectif fixé par le plan stratégique Action publique 2022, prévoyant une réduction de 10 % de la masse salariale à l’étranger d’ici à 2022, le programme 151 supprimera encore 22 emplois en 2020, après 37 en 2019.
Compte tenu des efforts de rationalisation déjà réalisés, comment ces suppressions de poste ne pourraient-elles pas se traduire, à terme, par une dégradation des prestations fournies ? Comment, dans ces conditions, préserver le contact humain avec le public, auquel les ressortissants français sont légitimement très attachés ?
Monsieur le ministre, on ne peut que convenir que l’on touche là aux limites de l’exercice. Pour autant, j’émettrai un avis favorable sur cette mission.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon collègue Jean-Pierre Grand et moi-même rapportons donc sur le programme 151, qui concerne les Français à l’étranger et les affaires consulaires.
Derrière ces mots, c’est bien du service public qu’il s’agit, et plus particulièrement de sa qualité. Nous le devons à nos compatriotes établis hors de nos frontières, qui sont – le ministre partagera certainement mon avis – les premiers ambassadeurs de la France.
Il s’agit également de l’image de notre pays, au travers de notre réseau consulaire.
Alors que nous examinons le budget pour 2020 et que nous sommes à treize jours d’élections législatives, ô combien importantes, au Royaume-Uni, il nous a semblé impératif de prêter une attention plus particulière aux Français d’outre-Manche.
Ceux-ci sont estimés à 300 000. Nos compatriotes, comme les quelque 3,5 autres millions de résidents étrangers installés au Royaume-Uni, devraient connaître une année particulière, celle du Brexit, aux conséquences aujourd’hui encore incertaines.
C’est la raison pour laquelle nous nous sommes rendus à Londres. Nous avons pu échanger avec notre ambassadrice, le consul général et des membres de notre poste, dont je tiens à saluer à la fois l’engagement et le grand professionnalisme.
Permettez-moi donc de vous présenter, monsieur le ministre, les principaux enseignements.
D’abord, j’évoquerai le statut de résident pour les étrangers, qui doit leur permettre, après le Brexit, de vivre, de travailler, et d’étudier dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. À ce jour, un grand nombre de nos compatriotes, bien que préoccupés par la situation, continuent en effet d’adopter une attitude relativement attentiste, malgré les actions, dont nous nous félicitons, menées par notre poste.
Ensuite, nous devons prêter attention aux personnes dites « vulnérables », qui représentent 10 % de nos compatriotes : ce sont des personnes âgées, isolées, ou encore socialement précaires… À ce titre, je tiens à saluer la mobilisation non seulement de notre poste, qui fait beaucoup en termes de communication, mais aussi des associations et ONG qui ont été créées pour agir auprès de ces personnes et dont nous avons rencontré l’un des membres.
Enfin, je veux souligner la forte croissance de l’activité consulaire, d’ailleurs perceptible dès le lendemain du Brexit, qui se poursuit à ce jour, ce qui impose des contraintes supplémentaires à notre poste. Il faut le souligner, nous avons permis le recrutement de personnels supplémentaires pour traiter de ces questions.
Permettez-moi ensuite, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’attirer votre attention sur deux points. Le premier concerne la vétusté de notre poste à Londres, qui impacte négativement les conditions d’accueil, d’une part, et de travail, d’autre part. J’y ajoute la nécessité de prendre, rapidement, les mesures de renforcement de la sécurité, s’agissant notamment des conditions d’accès.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis. Le second point concerne plus largement la question des moyens dont dispose notre réseau pour assurer un service public de qualité, ce que j’évoquais au début de mon propos.
Monsieur le ministre, les efforts demandés à votre ministère – 22 emplois supprimés en 2020 et 37 l’an dernier – ne sont ni tenables ni acceptables. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé, avec mon groupe, un amendement afin de redonner à votre ministère des marges de manœuvre au travers du dispositif dit des visas.
C’est aussi pour cela, et pour marquer notre soutien aux Français de l’étranger et aux personnels de nos postes, qui sont impactés par ces suppressions, que nous voterons contre les crédits de ce programme. Il s’agit d’une opposition utile au rayonnement et à l’action internationale de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits destinés à notre diplomatie culturelle et d’influence augmentent en 2020. Je salue cet effort budgétaire, qui rompt avec la baisse drastique ayant prévalu sous le précédent quinquennat.
Derrière cette progression globale du budget se cachent toutefois des disparités dans le traitement réservé aux opérateurs de notre diplomatie culturelle.
Ainsi, la priorité est mise sur l’enseignement français à l’étranger et l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Le relèvement de sa subvention était très attendu depuis la coupe franche qui avait fortement ébranlé le réseau en 2017. Ces moyens supplémentaires constituent donc une bonne nouvelle pour l’AEFE.
J’apporterai néanmoins deux bémols s’agissant de la politique d’expansion du réseau.
Le choix de faciliter l’homologation de nouveaux établissements n’est pas sans soulever des inquiétudes sur le maintien d’un haut niveau de qualité de l’enseignement. En aucun cas, l’excellence de notre réseau ne doit être sacrifiée sur l’autel de son élargissement. En outre, il ne faudrait pas qu’une moindre attention soit portée à la situation, parfois délicate, des anciens établissements. Un juste équilibre doit donc être trouvé entre essor du réseau et soutien aux structures existantes.
Sur l’ambition présidentielle de doubler le nombre d’élèves scolarisés dans le réseau d’ici à 2030, je reste dubitatif sur le niveau des moyens qui permettraient de la concrétiser.
J’en viens à la nouvelle stratégie pour l’accueil des étudiants étrangers : Bienvenue en France. Étonnamment, elle ne donne pas lieu à une augmentation de la subvention versée à son opérateur, Campus France. La stabilisation de son montant n’est assurément pas à la hauteur de l’objectif de 500 000 étudiants étrangers accueillis d’ici à 2027. Le contexte concurrentiel international imposerait d’avoir enfin les moyens de nos ambitions.
Je tiens également à alerter sur l’utilisation des crédits destinés aux bourses versées aux étudiants étrangers. J’ai appris qu’ils ne leur sont, depuis 2016, pas entièrement consacrés. S’agissant du delta, le ministère n’est pas en mesure de nous dire précisément ce qu’il en est… C’est inquiétant !
Le troisième opérateur de notre diplomatie d’influence, l’Institut français, ne bénéficie pas d’un traitement favorable en 2020. Après le coup de pouce de l’année dernière, sa subvention retrouve son niveau de 2018, et je n’évoquerai même pas l’état déplorable des bâtiments, notamment à Mexico. Il s’agit clairement d’un repli par rapport aux ambitions du plan Langue française et plurilinguisme, dont certaines actions ne pourront sans doute pas être déployées.
Quant au rapprochement de l’Institut français avec la Fondation Alliance française, si la procédure a bien avancé sur le plan fonctionnel, elle est bloquée sur le plan matériel. Je m’étonne que le ministère se refuse à jouer les arbitres sur ce point.
Au final, je porte sur ce budget une appréciation en demi-teinte : l’indéniable hausse des crédits permettra de valoriser notre réseau d’enseignement français à l’étranger, mais elle exerce en quelque sorte un effet d’éviction sur les autres piliers de notre politique d’influence.
Aussi, au regard des réserves soulevées, et à l’issue d’une discussion nourrie, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis, de justesse, un avis défavorable sur les crédits du programme 185 consacré à la diplomatie culturelle et d’influence. (M. le président de la commission des affaires étrangères et Mme la présidente de la commission de la culture applaudissent.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la voix de la France est écoutée dans le monde et elle doit continuer de l’être. La situation internationale n’est pas sur le chemin de la stabilisation. C’est peut-être encore moins le cas depuis que les alliances sont devenues changeantes et que les accords sont susceptibles d’être remis en cause à tout moment.
La diplomatie est cependant un outil essentiel dans la politique internationale. Son action se fait souvent dans l’ombre. Ses échecs sont davantage remarqués puisqu’ils se traduisent trop souvent par des guerres. La diplomatie évite parfois les conflits, mais elle participe surtout à bâtir ou rebâtir la paix.
À cet égard, la France doit maintenir des capacités diplomatiques de haut niveau pour continuer de faire rayonner ses idées et ses valeurs. Ces capacités nous permettent également de connaître en détail nos interlocuteurs, ainsi que les situations et les enjeux auxquels il nous faut faire face.
L’année dernière, le réseau diplomatique français a reculé de la deuxième à la troisième place, derrière les États-Unis et la Chine. Il nous faut impérativement maintenir notre rang si nous souhaitons que notre pays reste une grande puissance de diplomatie et de paix.
La France poursuit son effort et nous nous félicitons que les budgets du ministère de l’Europe et des affaires étrangères soient en hausse. Les crédits de la mission « Action extérieure de l’État » sont, quant à eux, maintenus.
Afin de procéder aux économies nécessaires, l’État s’est lancé dans une réforme visant à rationaliser les moyens dont il dispose à l’étranger.
Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères s’est engagé avec rigueur et sincérité dans la mutualisation des moyens de l’État à l’étranger, ce qui est à saluer. La logique de cette réforme nous semble être la bonne, et nous souhaitons la voir aboutir.
Plus généralement, nous nous interrogeons sur les moyens de parvenir aux objectifs que souhaite atteindre le Gouvernement. Il nous semble que des pistes d’amélioration subsistent.
Le nombre d’équivalents temps plein baisse en dix ans de presque 10 % et, sur la même période, les dépenses de personnel ont augmenté de 34,5 %. Même si l’inflation explique en partie ce phénomène, cette tendance nous semble problématique.
Nous sommes plusieurs à déplorer la baisse des effectifs, mais nous sommes encore plus nombreux, me semble-t-il, à regretter que cela se traduise tout de même par l’augmentation des dépenses de personnel.
De même, le produit des ventes immobilières est en forte baisse. C’est inquiétant parce que cela signifie qu’il n’y a plus beaucoup de « bijoux de famille » à vendre ! Vous nous avez dit, monsieur le ministre, être conscient que « nous ne pouvons pas vendre indéfiniment nos emprises majeures à l’étranger ». Il s’agit à présent de s’orienter vers la recherche de sources d’économies durables.
Vous nous avez rassurés sur le devenir de la diplomatie culturelle et d’influence, qui est, comme vous avez eu l’occasion de le rappeler, une diplomatie stratégique. Nous nous réjouissons que vous ayez stoppé la diminution des crédits qui y sont affectés et recommencé à les faire augmenter.
Cette diplomatie est essentielle, car elle donne du poids aux prises de position de la France. Elle promeut nos valeurs et notre modèle. Le pays des droits de l’homme doit avoir une voix qui porte. Plus la France enseignera aux étrangers, plus la France sera écoutée.
Il faut donc saluer l’objectif de doublement des effectifs des écoles françaises à l’étranger à l’horizon 2030. Nous entendons les inquiétudes sur l’existence des financements permettant d’atteindre cet objectif. Nous souhaitons vous voir réussir : il faudra donc que les moyens nécessaires soient mis en œuvre pour y parvenir.
Nous savons que l’enseignement aux étrangers est crucial, et nous sommes confortés dans cette idée lorsque nous regardons nos voisins. Plusieurs pays se sont effectivement engagés dans une démarche d’influence via l’enseignement à l’étranger ou aux étrangers. C’est ainsi que le nombre d’étudiants étrangers en Turquie a augmenté de 180 % ces cinq dernières années.
Nous ne devons pas relâcher nos efforts. Il a été fait état de difficultés dans l’obtention de visas français par les étudiants étrangers. Il nous semble qu’une clarification des procédures et une accélération du traitement des dossiers soient nécessaires.
La stratégie diplomatique française ne doit pas être mise à mal par des problèmes d’organisation des services : les visas doivent être délivrés en temps utile.
Sur tous les sujets qui ont trait à son action extérieure, la France doit maintenir son effort. Nous sommes moteurs en Europe et nous sommes force de propositions sur la scène internationale. Cette dynamique doit être conservée et amplifiée.
Les années à venir s’annoncent porteuses de tensions et de dissensions. L’échange et la négociation sont les alternatives à l’emploi de la force. Nous qui n’oublions pas le prix du sang savons qu’il faut donner les meilleures chances à la diplomatie si nous voulons maintenir la paix. (M. le président de la commission des affaires étrangères et M. Olivier Cadic applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous évoluons dans un monde en pleine recomposition géopolitique et stratégique, dans lequel les anciennes puissances sont concurrencées par de nouvelles, comme la Chine et l’Inde, des puissances d’abord économiques mais désormais politiques, qui souhaitent aussi peser sur l’ordre du monde.
Cet ordre du monde est, hélas, loin d’être en ordre.
De nouveaux défis se présentent : le changement climatique et ses probables effets en termes de migrations, ou encore l’expansion du numérique, qui, si elle n’est pas encadrée, peut être une source de dérives.
Toujours, des conflits perdurent et d’autres éclatent. Au-delà du Proche-Orient, je pense aussi au continent sud-américain, dont plusieurs pays sont en proie à des difficultés politiques : le Venezuela en particulier avec l’intransigeance de son dirigeant, mais aussi l’Équateur, la Bolivie, le Chili et la Colombie, dans lesquels les contestations s’étendent.
Aussi, dans ce contexte, la France doit absolument tenir sa place pour défendre la paix, la démocratie et les droits de l’homme. Comme l’a rappelé le Président de la République lors de la dernière conférence des ambassadeurs, « l’esprit français, c’est un esprit de résistance et une vocation à l’universel ».
Refuser la fatalité, diffuser l’humanisme qui nous est cher impliquent pour la France de conserver son rayonnement sur la scène internationale.
La mission « Action extérieure de l’État » que nous examinons aujourd’hui est le levier de cette ambition. Elle n’est pas la seule. La politique d’aide au développement et la politique du ministère des armées l’accompagnent à bien des égards. S’agissant de la défense, je n’oublierai pas de saluer la mémoire des treize militaires exceptionnels qui, au Mali, ont payé de leur vie leur engagement au service de la paix dans le monde.
Mes chers collègues, comme l’a exposé le rapporteur, les crédits de la mission sont stables en valeur et conformes à la loi de programmation des finances publiques 2018-2022. On peut toutefois observer que la fin du programme consacré au G7 entraîne en réalité une hausse de 1,1 % des crédits de paiement. J’en profiterai pour rappeler que le G7, qui s’est déroulé à Biarritz, a démontré que l’efficacité diplomatique pouvait être encore au rendez-vous malgré la crise du multilatéralisme. Pays organisateur, la France s’est retrouvée au cœur d’annonces importantes parmi lesquelles la reconstitution du Fonds vert pour le climat ou la réaffirmation de l’Afrique comme zone prioritaire de l’aide au développement.
Dans le détail de ce budget, je partagerai les observations de la commission, en particulier sur la question de la chute importante des produits de cessions qui menace le budget de l’immobilier à l’étranger, la pression qui pèse sur certains opérateurs auxquels on demande de participer à l’effort de rationalisation des moyens dans le cadre d’Action publique 2022, ou encore les conséquences que pourrait avoir sur le lien entre les Français de l’étranger et leurs services publics une modernisation à marche forcée de l’administration consulaire.
On peut en revanche se féliciter du renforcement, à hauteur de 24,6 millions d’euros, du budget de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, dont la subvention pour charge publique avait tout de même diminué de 33 millions d’euros en 2017. On le voit, nous revenons de loin ! Cet abondement est plus que nécessaire pour remplir l’objectif, décidé par le Président de la République, de doubler le nombre d’élèves scolarisés au sein du réseau français.
Disons-le, la francophonie est en perte de vitesse.
Aussi, il apparaît essentiel de préserver les moyens des quelque 522 établissements français qui accueillent 200 000 élèves étrangers sur un effectif total de 365 000. Il faut bien mesurer l’enjeu de la diffusion de notre langue. Encourager au maintien du plus grand nombre possible de locuteurs français, c’est conserver un levier fort de la transmission de nos valeurs, dont le caractère universel est encore – on s’en réjouit ! – reconnu dans le monde.
Enseigner le français, c’est en quelque sorte enseigner la liberté, l’égalité et la fraternité.
M. Jean-Claude Requier. C’est vrai !
M. Yvon Collin. La coopération culturelle passe aussi par le développement et le renforcement d’une approche partenariale. Le nouveau traité d’Aix-la-Chapelle, signé en janvier dernier avec l’Allemagne, élargit et renouvelle le champ de la coopération culturelle entre Berlin et Paris. J’en suis heureux et j’espère que les projets communs, que ce soient la plateforme numérique et les instituts franco-allemands intégrés contribueront à valoriser la relation franco-allemande, dont on connaît tous l’impact politique sur la scène internationale.
Enfin, c’est bien sûr au travers de la conservation d’un réseau dense d’ambassades que la France exerce son rayonnement. À mon sens, le réseau diplomatique doit conserver, autant que faire se peut, son universalité. Pour autant, c’est un objectif qui n’interdit pas un redéploiement plus net des moyens d’un poste diplomatique à un autre, en particulier pour répondre au souhait du chef de l’État de voir la France exercer davantage son rôle de puissance d’équilibre dans certaines régions du monde, en Asie par exemple. À cet égard, la volonté de construire un partenariat euro-chinois du XXIe siècle est à mettre en œuvre.
Mes chers collègues, dans cette perspective d’approfondissement de l’action extérieure de l’État dans le monde, le RDSE soutiendra les crédits ouverts en 2020 pour la mission. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’an dernier, le Président de la République a annoncé vouloir doubler le nombre d’apprenants du français, alors même que les prédictions démographiques anticipent un milliard de locuteurs d’ici à 2065. L’AEFE a donc intégré 8 800 nouveaux élèves et labellisé 30 nouveaux établissements.
Toutefois, le détachement de nouveaux enseignants et l’augmentation de la subvention de 25 millions d’euros seront difficilement suffisants pour absorber le choc.
De plus, l’AEFE n’est pas le seul outil du réseau diplomatique, réseau qui baisse d’ailleurs de 13 %. Ce constat d’une diminution des crédits s’applique à l’Alliance française, à Atout France, à l’Institut français ou encore à Campus France.
Bref, la plupart des outils censés viser un double objectif de rayonnement culturel et de développement de la francophonie doivent toujours faire plus, avec moins.
Je souhaiterais aborder ici le plan Bienvenue en France.
Même en modifiant les règles de calcul avant l’été, certaines zones d’origine prioritaires, le Maghreb et l’Afrique subsaharienne entre autres, avaient vu le nombre de demandes baisser de 24 % et 14 %.
Monsieur le ministre, quelle sera votre action à ce sujet après la décision historique du Conseil constitutionnel du 11 octobre dernier rappelant le nécessaire respect des exigences de gratuité de l’enseignement public et d’égal accès à l’instruction ?
L’autre levier essentiel de notre diplomatie, c’est bien évidemment le réseau administratif et politique auprès de nos compatriotes à l’étranger et des étrangers souhaitant avoir des liens avec la France.
Certes, l’objectif fixé dans le cadre de CAP22 d’une réduction de 10 % des effectifs a été ramené à 5,7 %. Mais il faut quand même rappeler que le personnel diplomatique a baissé de 9,4 % depuis quinze ans. Pour 2020, ce sont 81 postes qui sont supprimés sur la mission.
Mes chers collègues, la précarisation de notre réseau consulaire est préoccupante. L’an dernier, plus de 150 demandes de missions de renfort n’ont pu être satisfaites par les services du ministère, faute de personnel.
En parallèle, on estime que le cumul des congés non pris et des heures non rémunérées et non récupérables équivaut à 70 emplois à temps plein. La situation est similaire à celle de l’année dernière.
S’il faut s’interroger, comme l’ont fait nos collègues Rémi Féraud et Vincent Delahaye sur l’augmentation de la charge de l’indemnité de résidence à l’étranger, il convient d’agir, me semble-t-il, avec une extrême prudence.
En effet, certaines villes du globe deviennent si chères que l’indemnité se révèle parfois nettement insuffisante pour vivre dans de bonnes conditions.
D’ailleurs, un bilan devra être fait des conséquences de la réforme du recrutement des agents diplomatiques sur la masse salariale du ministère.
Je ne serai pas étonnée que la priorité donnée aux contrats courts de spécialistes, accompagnée de la prime de fidélisation de 2,8 millions d’euros, coûte beaucoup plus cher que le recrutement de fonctionnaires.
Mon groupe constate une grande différence entre les attentes et les moyens mobilisés, et ce encore plus au regard des priorités fixées par le Gouvernement, que je rappelle : l’action pour la paix et la stabilité, la promotion de l’Union européenne, la défense de la démocratie et des droits humains, et, enfin, la régulation économique et commerciale. Notre pays s’inscrit depuis plusieurs années maintenant dans une politique où, à mon sens, la défense de la démocratie conduit à mettre, plus souvent que nous le souhaiterions, la paix entre parenthèses.
Les choix diplomatiques de notre pays s’appuient de plus en plus souvent sur des considérations d’alliance et/ou économiques, plutôt que sur des analyses de la situation.
Nous avons le sentiment que notre réseau et ses personnels sont – pardonnez-moi ce terme ! – des « VRP » des produits français, notamment, et surtout, en matière de commerce des armes. Vous connaissez notre opposition sur ce sujet. Comment poursuivre un objectif de promotion de la paix tout en étant l’un des plus grands exportateurs d’armes ?
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, malgré toute notre bonne volonté, nous ne pourrons pas voter des crédits dont le montant et l’utilisation méritent, à nos yeux, une autre répartition. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par le programme 105 de la mission « Action extérieure de l’État », relatif aux ambassades et à l’action diplomatique.
Il prévoit une légère hausse du montant global des crédits, qui s’élèvent à 1,78 milliard d’euros pour 2020.
Premier point notable : la très légère diminution des contributions obligatoires de la France, qui représentent 676 millions d’euros.
J’ai fait partie de la délégation de notre commission qui était à l’ONU en début de semaine. Je souhaite saluer notre équipe diplomatique, conduite par Nicolas de Rivière.
La France est le cinquième ou sixième contributeur à l’ONU. Notre rang de membre permanent du Conseil de sécurité nous y oblige et nous devons souscrire à des contributions obligatoires.
Mais si nous regardons les contributions volontaires, avec 45 millions d’euros, notre contribution est faible et nous ne pointons qu’à la quinzième ou vingtième place.
Il faut être attentif à cette situation, car un déclassement dans ce domaine entraîne une perte d’influence.
Le deuxième poste de dépenses du programme 105 est consacré au fonctionnement du réseau diplomatique à l’étranger, soit 621,6 millions d’euros.
J’appuie votre choix de proposer une légère progression pour ce poste.
Nous soutenons votre réforme consistant à mutualiser et à moderniser les services de l’État français à l’étranger.
Mais la réduction des crédits recherchée ne doit pas altérer la bonne exécution des missions.
M. Olivier Cadic. Ce qui nous inquiète dans ce programme 105, c’est la politique immobilière du Quai d’Orsay. L’image que donne notre diplomatie est celle d’un reflux continu depuis 1995. Pour financer l’entretien de notre patrimoine, nous cédons des propriétés parfois emblématiques.
M. Olivier Cadic. Vendre les « bijoux de famille » pour financer son train de vie a une fin. Et nous y sommes !
Ainsi, en 2019, le montant des cessions n’a atteint que 4 millions d’euros. Et, en effet, il est heureux que vous ayez mis un terme à ce programme de cessions.
Déjà l’an dernier, je vous indiquais qu’il fallait penser différemment sur le sujet.
En commission, vous nous avez demandé de faire des propositions. En voici : à Addis-Abeba, par exemple, notre ambassadeur serait en mesure de réaliser ses propres recettes pour entretenir sa résidence et ses trente-sept hectares de végétation, le tout sans puiser dans les deniers publics.
Pour y parvenir, il faut réformer la comptabilité publique pour donner de l’autonomie à nos chefs de poste, afin de leur permettre de gérer au mieux localement notre patrimoine sans nécessairement faire appel aux deniers publics.
S’agissant du programme 151, qui concerne les consulats et les Français de l’étranger – dont je fais partie –, nous devons faire face à une situation où nous avons de plus en plus d’expatriés ou de personnes de passage, mais de moins en moins de moyens : c’est le fameux effet ciseau.
J’approuve les mesures d’adaptation que vous avez prises dans ce domaine. Mais cela ne suffira pas à dynamiser le réseau consulaire, constitué de 206 postes et d’un réseau d’environ 500 consuls honoraires, que je salue, car leur action bénévole est essentielle à son bon fonctionnement.
Là encore, notre réseau consulaire donne l’image d’un repli permanent : la fermeture des consulats de Moncton et de Séville, la transformation du consulat général de Boston en consulat d’influence, etc. J’arrête là !
Quelle sera la carte consulaire dans dix ans ? Voilà la question !
Ce réseau doit être abordé non pas comme une structure de coûts, mais comme une opportunité de gérer des revenus. Si l’intégralité des recettes des visas était affectée à ce programme 151, notre présence consulaire pourrait ainsi s’étendre hors de nos frontières sans que cela coûte un sou au contribuable.
On pourrait aussi s’inspirer des bonnes pratiques : les consuls honoraires allemands peuvent effectuer les prises d’empreintes biométriques, ce qui évite aux Allemands de faire de longs déplacements pour pouvoir renouveler leurs passeports.
De plus, cela nous permettrait de faire des économies de fonctionnement substantielles.
S’agissant du programme 185, qui concerne notre diplomatie culturelle, je soutiens sans réserve la dynamique initiée par le Président de la République dans le but de doubler le nombre d’élèves scolarisés dans l’enseignement français à l’étranger à l’horizon 2030.
Pour y parvenir, vous avez présenté une réforme de l’enseignement français à l’étranger. Afin de soutenir le développement du réseau, vous avez augmenté la subvention de l’AEFE de 24,6 millions d’euros.
Mais Bercy veille : avec une augmentation de la réserve de précaution de 3 % à 4 % du budget de l’AEFE, la dotation de l’État ne représentera en fait que 16,15 millions d’euros.
Mon collègue Jean-Marie Mizzon reviendra plus en détail sur ce programme 185, tout comme j’y reviendrai au cours des débats.
Puisqu’il me reste quelques secondes, je veux rendre hommage, monsieur le ministre, à votre action personnelle à la tête de ce ministère : je n’entends que des éloges à votre égard. Je voulais le signaler. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et LaREM. – Mmes Hélène Conway-Mouret et Laure Darcos applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je veux remercier mon groupe, qui a eu l’amabilité de m’attribuer quelques minutes pour permettre au président de la commission que je suis d’évoquer son propre budget.
Malgré la modestie de leur montant, il n’y a rien de plus essentiel que les crédits du Quai d’Orsay. Compte tenu de notre rôle dans le monde, ce sont des crédits qui visent à aider à sa pacification, alors qu’il est en proie à une forme de chaos géopolitique.
À la conférence des ambassadeurs, monsieur le ministre, vous nous disiez de « regarder avec lucidité le monde tel qu’il est, pour entrevoir le monde qui se prépare ».
Votre constat était très clair : « Les grandes puissances sont résolues à faire de l’Europe leur terrain de jeu. […] Le système multilatéral est la cible d’attaques sans précédent. […] La grande compétition mondiale […] se joue sur des terrains nouveaux. » Notre commission partage votre analyse. Quand on regarde le monde avec lucidité, comme vous nous invitez à le faire, il y a de quoi être saisi de vertige.
D’un côté, on constate une aggravation accélérée des menaces : menaces de la force, comme on le voit dans le nord-est Syrien, mais aussi en mer de Chine, et jusqu’en Méditerranée, dans les eaux territoriales d’un État membre de l’Union européenne ; menaces de la faiblesse, celle des États faillis, terreau du terrorisme djihadiste, comme notre pays ne le sait que trop au Sahel.
Je rends à cet instant un nouvel hommage à l’action résolue et courageuse de nos armées et je salue la mémoire de nos treize militaires morts au combat, morts pour la France, au Mali. J’alerte le ministre – même s’il en est bien conscient – sur la situation préoccupante du Burkina Faso, peu à peu gangréné par le terrorisme. (M. le ministre opine.)
Les menaces peuvent, enfin, être hybrides, créant des situations « troubles », dans la zone grise entre guerre et paix, par l’utilisation de milices ou de la désinformation massive.
De même apparaissent de nouveaux espaces de conflictualité : après le cyberespace, l’espace extra-atmosphérique, pour lequel la France et l’Europe doivent rester des acteurs de premier plan. Je me félicite à cet égard de l’ambition portée par le conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne de Séville, qui a prévu un engagement financier très fort, lequel fera de l’Europe un acteur de tout premier plan.
Face à ces crises, les outils de régulation issus de la Seconde Guerre mondiale sont malheureusement contestés : le Conseil de sécurité de l’ONU est bloqué sur la Syrie, sur le Yémen, sur le conflit israélo-palestinien. Quand on songe au fameux P3 – États-Unis, Grande-Bretagne, France –, jadis le « moteur » du camp occidental, vous voilà contraint de travailler avec Donald Trump et Boris Johnson, qui, aussi respectables soient-ils, sont quand même des partenaires assez remuants et compliqués. (M. le ministre sourit.)
Le droit international est bafoué, la liberté de circulation des mers est contestée, les traités de maîtrise de la prolifération chimique et nucléaire sont fragilisés. Après la dénonciation du traité sur l’armement nucléaire intermédiaire, le traité FNI, c’est désormais le traité New Start de réduction des armes nucléaires stratégiques qui est en danger. En vérité, c’est tout le système de maîtrise de la prolifération nucléaire en Europe qui est menacé ! Sur notre sol ! Qui aurait cru cela possible il y a seulement quelques années ?
On pourrait ajouter le retrait américain de l’accord nucléaire iranien, la stratégie dite de la « pression maximale », qui achève de mettre le Moyen-Orient à feu et à sang sans régler aucune des trois principales menaces iraniennes : nucléaire, missiles balistiques, instabilité régionale.
Même nos alliances les plus solides, comme la relation transatlantique, vacillent certains jours. L’opération turque dans le nord-est syrien a offert une victoire finale au régime de Damas et le retrait américain a livré aux Russes le Moyen-Orient. La menace djihadiste qui pèse sur l’Europe s’est hélas ! renforcée.
Surtout, cela a montré que nos alliés américains pouvaient abandonner des alliés loyaux et efficaces – les Kurdes, et nous, la France, deuxièmes partenaires de la coalition –, et ce du jour au lendemain. Il n’est pas besoin d’avoir lu Clausewitz pour comprendre les conséquences désastreuses de l’offensive turque et de la complicité américaine sur les relations entre la Turquie, membre de l’OTAN, et les pays européens.
Le Président de la République, en parlant de « mort cérébrale » de l’OTAN – peut-être la formule était-elle brutale – a dressé un constat que nous partageons en très grande partie.
Monsieur le ministre, il vous faut maintenant travailler sereinement au réveil stratégique de l’Europe, qui doit apprendre à se défendre seule. Pour les Français, c’est une évidence, mais, manifestement, cela ne l’est pas pour tous nos partenaires.
Comme l’a dit crûment un de vos prédécesseurs, le sentiment prévaut que, l’Europe, c’est aujourd’hui « un Bisounours en plein Jurassic Park », qui risque de « sortir de l’histoire » si elle ne se réveille pas.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, que j’ai l’honneur de présider, travaille à ce réveil stratégique européen en tissant inlassablement des relations étroites, tant en matière d’affaires extérieures que de défense, avec ses homologues des vingt-sept parlements de l’Union, Britanniques inclus.
Le rapport sur la défense européenne de nos excellents collègues Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret, que je salue, a fait considérablement avancer la compréhension mutuelle. Nous n’hésitons pas à aller parler avec nos partenaires réputés les plus difficiles, en particulier nos collègues russes, avec lesquels nous allons entreprendre la rédaction d’un deuxième tome de ce rapport qui, à l’époque, avait marqué les esprits, ou les pays du groupe de Visegrad.
Finalement, nous sommes surpris de l’écho rencontré, car ils ne sont, évidemment, ni aveugles ni sourds à l’évolution du monde !
Monsieur le ministre, la semaine prochaine, à Londres, seront fêtés les 70 ans de l’Alliance atlantique. Le secrétaire général de l’OTAN était hier à Paris. Il faut utiliser le moment de crise que nous vivons pour aller vers une Europe plus forte dans une OTAN plus forte.
Tel est l’objectif. Nous ne doutons pas de votre volonté d’aller dans cette direction, et nous vous soutenons.
Dans ce contexte, chacun comprendra bien que les crédits du Quai d’Orsay, que les rapporteurs ont commentés – c’est la raison pour laquelle je ne le fais pas moi-même – sont très importants. La France est cette « puissance diplomatique d’équilibre », décrite par le Président de la République, c’est la nation qui parle à tous, de manière indépendante et crédible, car nous sommes dotés d’une armée disposant d’une autonomie stratégique fondée sur une capacité d’appréciation propre. La France n’a pas d’agenda caché ; elle ne vise qu’à produire de la sécurité et de la paix dans un monde devenu fou.
Les rapporteurs de la commission, dans leurs rapports très fouillés, ont tous finalement posé la même question : celle du grand écart entre l’ambition et les moyens.
Qu’il s’agisse des moyens des réseaux diplomatique et consulaire, optimisés jusqu’à l’extrême – pour le dire poliment –, ou du défi – le mot est faible – posé par l’objectif de doubler le nombre d’élèves apprenant le français d’ici à 2030, ce qui frappe c’est, bien sûr, le grand écart entre l’horizon des ambitions et, parfois, la petitesse des moyens mis à disposition pour l’atteindre.
Nous savons – et je veux, ici, vous en rendre hommage et en porter témoignage – le combat que vous menez personnellement face à certains autres collègues ministres, situés sur la rive droite de la Seine, non loin du Val-de-Marne (Sourires.), pour tenter de maintenir et même d’accroître ces crédits.
Je ne parle pas du modèle de financement des dépenses immobilières du Quai, notre bête noire depuis plusieurs années, car Ladislas Poniatowski l’a fait dans son rapport avec talent. Vous-même nous avez dit en commission : « La méthode consistant à vendre les bijoux de famille n’est plus acceptable, et je me suis opposé à certaines ventes. Il faudra trouver d’autres solutions. » Vous nous direz lesquelles. Nous attendons cela avec impatience.
Malgré nos doutes, monsieur le ministre, nous soutenons votre action et celle de nos diplomates, auxquels je veux rendre hommage, engagés à vos côtés.
La commission des affaires étrangères a donné un avis favorable à l’adoption de ces crédits, et j’espère que les réponses que vous nous apporterez nous conforteront dans nos choix. (Applaudissements sur l’ensemble des travées, à l’exception de celles du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous allons présenter des amendements afin d’améliorer le fonctionnement de ce beau et grand ministère dont nous sommes fiers. Malheureusement, il continue à pâtir d’une image désuète, alors que les réformes qu’on lui impose depuis longtemps en font un ministère incroyablement moderne, dont le personnel montre une grande adaptabilité et une grande flexibilité.
Vous allez vous opposer à nos amendements pour ne pas mettre en péril le subtil équilibre budgétaire validé par Matignon. Mais, franchement, ce ministère mérite mieux que les nouvelles économies qui lui sont imposées chaque année.
Grâce à lui, la France a une place et une influence unique à l’étranger parce que nous figurons encore dans les trois premiers réseaux diplomatiques au monde. Mais, comme ses résultats sont plus qualitatifs que quantitatifs, et donc difficilement mesurables, il demeure la cible des coupes demandées par Bercy.
Il est vrai que nos trois millions de compatriotes résidant à l’étranger n’ont aucun moyen de pression en dehors de la voix de leurs élus locaux ou au Parlement.
Le constat de notre perte d’influence est partagé par tous. Alors, votre annonce d’un budget stabilisé ne changera rien à la triste réalité, tandis que notre présence à l’étranger décline parce que nous réduisons partout nos effectifs ou parce que nous disparaissons parfois en fermant nos missions, comme c’est le cas avec les consulats de Moncton ou de Séville.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé, lors de la conférence des ambassadeurs, l’objectif du Quai d’Orsay : « Faire preuve d’agilité, d’imagination, et, comme dirait le Président de la République, d’audace. »
Mais à quelles fins ? Pour trouver comment continuer à faire la même chose avec des moyens financiers et humains toujours plus réduits ? Je puis vous assurer que nos diplomates font déjà preuve d’une incroyable créativité pour sauver la face et préserver l’image de notre pays, à commencer par l’organisation du 14-juillet.
En fait, ce budget pour 2020 est un budget en trompe-l’œil, même s’il paraît plus sincère que le précédent, puisque vous prenez en compte les effets de l’inflation mondiale sur les salaires et le risque d’une perte liée aux taux de change.
Vous annoncez une dotation de 2,87 milliards d’euros, stabilisée, pour la mission « Action extérieure de l’État », avec même une légère augmentation de 2 millions d’euros. Mais, au sein de cette enveloppe globale, de nombreux programmes sont en baisse. Par exemple, les crédits de l’action Réseau diplomatique baissent de 24 millions d’euros, ceux qui sont dédiés à la sécurité à l’étranger diminuent de 25 millions d’euros par rapport au PLF précédent. Les crédits du programme 105, « Action de la France en Europe et dans le monde » sont quasi stables, après, quand même, une baisse de 118 millions d’euros en 2018. Le plaisir suscité par la hausse de 3 % des crédits du programme 185 n’est qu’éphémère lorsque l’on constate, en même temps, la fermeture de quatre instituts français, dont celui d’Oslo, qui demeure pour moi incompréhensible.
Pour être en contact avec nos élus de proximité, les conseillers consulaires, les personnels diplomatiques, éducatifs, culturels et économiques, je puis vous confirmer que plus aucune ambassade n’est épargnée par le manque d’investissement et de moyens humains. Il faut se déplacer sur le terrain pour voir des bâtiments trop souvent mal entretenus ou que nous sommes forcés de vendre, car nous sommes dans l’incapacité de les rénover ou parce que le produit de leur vente est attendu dans la contribution du ministère. Je crains fort que la rallonge de 8 millions d’euros que vous avez obtenue, monsieur le ministre, ne soit insuffisante pour l’entretien de notre parc immobilier.
Autre élément majeur qui ternit notre image : les suppressions de postes. Certains de nos personnels cumulent plusieurs fonctions, alors que les compétences requises pour exercer celles-ci ne sont pas les mêmes – je pense ainsi aux fonctions de consul, de directeur de l’Institut français ou de régisseur.
Les nouveaux secrétaires généraux d’ambassade (SGA) en sont un autre exemple, ces postes regroupant plusieurs fonctions sur une même personne.
Ne poussons-nous pas la rationalisation à l’extrême, en fusionnant des métiers différents ? Le service public en pâtit, et nos compatriotes s’en plaignent régulièrement auprès des élus des Français de l’étranger ou à travers les sondages que nous faisons. L’image de la France s’en trouve également dégradée auprès des étrangers, pour lesquels le consulat est le premier contact avec notre pays.
Monsieur le ministre, nous ne savons plus comment exprimer notre désarroi devant une situation que nous voyons se dégrader. Si nous étions à l’os il y a dix ans, où en sommes-nous aujourd’hui ? Allons-nous nous arrêter ? Eh bien, non !
Malgré l’artifice d’un budget stabilisé cette année, de nouvelles économies sont attendues sur la masse salariale, notamment avec la suppression de 81 équivalents temps plein. L’objectif est la diminution de 10 % de la masse salariale sur toutes les missions de notre réseau d’ici à 2022, soit la plus grande économie jamais imposée au Quai d’Orsay. Dans ces conditions, il est difficile d’envisager comment les services sur lesquels comptent les Français de l’étranger pourraient être améliorés.
Ces économies se sont traduites par la suppression de 241 postes depuis deux ans. Derrière la froideur de ces chiffres, il y a des femmes et des hommes qui ont donné beaucoup au ministère, parfois pendant plusieurs décennies, en travaillant sous contrat local, et qui sont aujourd’hui licenciés.
L’effet se fait sentir de Kyoto, au Japon, à Moncton, au Canada, où la communauté française se mobilise, une pétition ayant déjà été signée par 2 600 personnes qui réclament l’annulation de la fermeture du consulat général de France. Si l’on demandait aux Brestois d’aller renouveler leurs passeports à Nice, monsieur le ministre, je me demande comment ils réagiraient…
La rationalisation des services dans le cadre de la réforme « Action publique 2022 » donne mission aux ambassadeurs de faire des propositions concernant notamment la mutualisation du personnel. C’est une excellente initiative, même s’il faut comprendre par mutualisation l’obligation de faire des propositions de suppressions de postes sur l’ensemble des services, et le ministère y a plutôt perdu, selon un rapport de l’Assemblée nationale.
La dématérialisation est un outil utile et nécessaire, mais elle ne peut compenser les suppressions de postes. Nous devons être vigilants sur ce point.
Monsieur le ministre, l’influence française au-delà de nos frontières se mesure aussi par la préservation de notre rayonnement culturel, qui n’est pas épargné, puisque le PLF pour 2020 prévoit la baisse des subventions de tous les grands opérateurs, alors que votre gouvernement avait promis une hausse des crédits dédiés à la politique culturelle et d’influence. Or une économie de 1,2 million d’euros est réalisée sur le réseau des alliances françaises, du fait d’une diminution des crédits de sécurisation et d’un effort de rationalisation.
Nous n’avons pas oublié la démission du board de la Fondation Alliance française en janvier 2018, à la suite de votre refus de soutenir cette dernière eu égard aux 1,5 million d’euros qui lui manquaient, et que nous proposions de lui accorder à travers un amendement.
Si l’on peut se féliciter que l’Institut français, lui, retrouve son niveau de 2018, à savoir 28,8 millions d’euros – il n’a toutefois plus aucune marge de manœuvre pour sa modernisation –, la fermeture de quatre centres culturels en Norvège, au Brésil, au Canada et au Costa Rica nous suscite notre interrogation.
Mme Hélène Conway-Mouret. J’attends alors vos explications !
Cela dit, il est prévu que les activités de certains soient reprises par les ambassades, déjà surchargées de travail.
Cet affaiblissement culturel semble bien entériné au sein de ce PLF, puisque France Médias Monde connaît une nouvelle baisse de ses crédits. TV5 Monde, qui avait déjà pâti l’an dernier de la non-répercussion de l’inflation, voit ses crédits simplement reconduits.
Je vais maintenant passer à l’éducation et au budget de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, qui gère un vaste réseau, unique au monde, car les autres pays présents à l’international voient leur système éducatif soutenu par des établissements privés. Il n’est donc pas juste de comparer l’Agence aux établissements étrangers concurrents.
Nous saluons la sanctuarisation des crédits de financement des aides à la scolarité, tant pour les élèves français du réseau des établissements de l’AEFE que pour les étudiants étrangers suivant leurs études en France. Nous sommes heureux de voir les moyens dévolus à l’Agence augmenter de 24,6 millions d’euros, mais cette hausse ne compense pas la suppression de 33 millions d’euros décidée en 2017. Il manque toujours 7 millions d’euros à la loi de finances pour 2019, et 8 millions d’euros au PLF pour 2020.
D’autre part, cette coupe brutale de 2017 a entraîné la hausse des frais de scolarité liée à la participation forfaitaire accrue des établissements au budget de l’AEFE, qui est passée de 6 % à 9 %.
Se pose alors la question de la prise en charge des demandes de bourses scolaires avec des frais plus élevés, dans une enveloppe financière maintenue à 105 millions d’euros.
Enfin, le Président de la République a proposé de doubler le nombre d’élèves scolarisés d’ici à 2030, objectif téméraire, qui n’est basé sur aucune évaluation de la demande, mais que l’on ne peut qu’épouser, puisqu’il soutient la francophonie.
A été annoncée dans la foulée la création de 1 000 postes d’enseignants titulaires supplémentaires sur dix ans, soit 100 postes par an pour répondre à la demande présidentielle. Mais, dans le même temps, vous lancez ce programme de recrutement par une baisse de 106 ETP en 2020 pour l’AEFE, monsieur le ministre. Rappelons que ce sont 512 postes qui auront été supprimés en trois ans. L’ambition est belle, et nous la soutenons volontiers, mais où sont les moyens ?
Et comme il n’y a pas de petites économies, je vais ajouter à la liste la réduction de la dotation pour l’organisation en mai 2020 des élections consulaires, de l’ordre de 1,3 million d’euros. Vous avez affirmé que le nombre de bureaux de vote serait stabilisé ; certes, mais tel n’est pas le cas de celui des centres de vote, en forte diminution. Le vote électronique ne sera pas accessible à tous. Tout doit être fait pour que ces élections consulaires aient le taux de participation le plus élevé possible. Je puis vous assurer que ces élus sont devenus des relais indispensables de notre réseau diplomatique sous tension.
En conclusion, nous nous félicitons, monsieur le ministre, de l’augmentation du budget de l’aide publique au développement (APD), qui permet de présenter un budget de votre ministère globalement en hausse. Nous déplorons toutefois que, pour la mission « Action extérieure de l’État », le compte n’y soit pas. Nous ne pouvons pas voter ses crédits, qui ne sont pas à la hauteur de nos ambitions, et nous ne voulons pas donner raison à Bercy, qui demande chaque année de nouvelles économies.
Comprenez notre vote négatif comme un signe de solidarité envers les personnels, à qui l’on demande toujours plus sans leur donner les moyens, et comme une marque de soutien personnelle, monsieur le ministre, vous qui ne ménagez pas vos efforts pour défendre votre budget. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouissais de la tonalité positive de notre débat, mais Hélène Conway-Mouret est venue sérieusement doucher mon enthousiasme…
M. Jean-Claude Requier. Ah oui !
M. Antoine Lefèvre. Elle a dit beaucoup de vérités !
Mme Hélène Conway-Mouret. Les chiffres parlent !
M. Richard Yung. Elle n’a pas trouvé un seul point positif dans ce budget.
Mme Hélène Conway-Mouret. J’en ai relevé une dizaine !
M. Richard Yung. Elle a néanmoins exprimé sa solidarité à votre égard, monsieur le ministre, à défaut d’être solidaire de l’action du Gouvernement.
M. Richard Yung. Le budget pour 2020 de l’action extérieure de l’État est un bon budget, après tant d’années de décroissance des crédits et des effectifs. C’est un budget au service de la « diplomatie de l’audace » prônée par le Président de la République lors de la réunion des ambassadeurs.
Pour la première fois, le Quai d’Orsay disposera d’un budget légèrement supérieur à 5 milliards d’euros, dont près de 3 milliards d’euros pour l’action extérieure de l’État.
Une partie de ces crédits sera consacrée à la poursuite de la réforme des réseaux de l’État à l’étranger. Tous les services extérieurs français à l’étranger seront désormais placés sous le contrôle des ambassadeurs, et c’est une bonne chose. Nous espérons néanmoins que le transfert de 424 postes des autres ministères vers le Quai d’Orsay sera accompagné des crédits suffisants,…
M. Richard Yung. … et que les moyens alloués aux secrétaires généraux d’ambassade, dont le rôle est de plus en plus important, suivront.
Cette intervention me donne également l’occasion de saluer la mémoire de nos treize soldats tombés cette semaine au Mali.
Pour ce qui concerne la masse salariale, le Gouvernement a pris la sage décision de ramener à 5 % environ la cible de réduction devant être atteinte par le ministère d’ici à 2022, un objectif qui paraît plus raisonnable que le précédent.
Plusieurs orateurs ont souligné la mise en place d’un dispositif pour faire face aux variations de change et à l’inflation. Nous le demandions depuis une dizaine d’années, et nous ne pouvons donc que nous réjouir de cette mesure.
Mme Hélène Conway-Mouret. Je l’ai dit !
M. Richard Yung. Le patrimoine immobilier est sans doute l’un des points faibles du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Ce projet de loi de finances prévoit certes une modeste rebudgétisation, mais l’hypothèse envisagée d’une vente de notre ambassade de Londres montre bien, en dépit de sa faible commodité, que le ministère en est réduit à céder ses derniers investissements immobiliers. L’urgence est d’autant plus grande qu’à compter de 2021 le Quai d’Orsay devra commencer à rembourser l’avance qui lui a été accordée dans le cadre du plan de sécurisation des emprises à l’étranger. Il s’agit donc d’un problème majeur.
Pour ce qui concerne les personnels du ministère, je me félicite de la revalorisation des cadres salariaux des agents de droit local, une mesure que nous demandons également depuis de nombreuses années. Certains de ces agents auront la possibilité d’accéder aux concours internes. Pour l’instant, il ne s’agit que des concours de catégorie C, mais j’espère que la mesure sera vite étendue aux catégories A et B.
J’en viens à présent à la diplomatie culturelle. Avec la hausse de la subvention allouée à l’AEFE, le plan de développement de l’enseignement français à l’étranger trouve une première traduction budgétaire. La mise en œuvre de ce dernier est cependant subordonnée à l’adoption d’une réforme des modalités d’octroi de la garantie de l’État aux emprunts réalisés par les écoles françaises de l’étranger.
La situation est pour le moins paradoxale. Tout le monde souhaite doubler le nombre d’élèves fréquentant le réseau français à l’étranger, mais, dans le même temps, l’Association nationale des écoles françaises de l’étranger (Anefe), qui garantissait les crédits contractés par les établissements français à l’étranger, se voit rayée de la carte, et le Trésor ne peut plus accorder d’avances à l’AEFE pour financer ses projets immobiliers.
Comment va-t-on faire ?
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis. Dites-le-nous !
M. Richard Yung. Je ne doute pas que M. le ministre apportera une réponse satisfaisante. (M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)
Permettez-moi également, monsieur le ministre, de vous interroger sur les bourses du gouvernement français. Mon collègue André Vallini a mentionné le rapport de la Cour des comptes qui pointe l’écart régulier entre le montant prévu par le programme 185 et la réalité des crédits consommés, ainsi que l’absence de « procédure formalisée et partagée » pour la sélection des candidats par les postes diplomatiques.
Je souhaite aussi connaître votre avis sur la proposition de la Cour des comptes consistant à confier à un seul opérateur le pilotage opérationnel de la mobilité internationale des étudiants, en d’autres termes le rapprochement de Campus France et de l’agence Erasmus +.
Le budget pour 2020 de l’action extérieure de l’État est aussi un budget au service des Français établis hors de France. Je citerai notamment l’expérimentation de la dématérialisation des actes de l’état civil, avec un rôle central des services du ministère établis à Nantes, le vote par internet, l’extension des horaires d’ouverture au public des consulats, ou encore la mise en place d’un centre d’appels téléphoniques ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept.
Compte tenu de ces éléments, dans l’enthousiasme, le groupe La République En Marche votera ce budget, qui donne à l’État les moyens de mener ses missions. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la coopération culturelle et linguistique est un vecteur important de la politique d’influence de la France, à propos de laquelle vous avez rappelé, monsieur le ministre, qu’elle était « l’un des trois piliers fondamentaux de notre politique étrangère globale ». La promotion de la langue française dans le monde et la valorisation du réseau d’enseignement français à l’étranger constituent à ce titre une composante majeure de notre diplomatie, et la commission de la culture y est bien entendu très attachée.
En 2020, la subvention pour charges de service public de l’AEFE atteindra 408,6 millions d’euros, soit une augmentation de 24,6 millions d’euros ou de 6,4 %.
Nous nous réjouissons de cette mesure, alors que l’annulation brutale de 33 millions d’euros au cours de l’été 2017 avait été très mal vécue par un réseau qui s’est senti fragilisé.
Notre vigilance quant à la mise en œuvre du plan de développement de l’enseignement français à l’étranger, présenté en octobre dernier, sera donc à la hauteur de nos attentes le concernant. Un juste équilibre devra être trouvé entre le développement du réseau et le soutien aux structures existantes.
Un autre grand plan est censé permettre à notre pays de rayonner à l’étranger, le plan Langue française et plurilinguisme. Alors qu’il est en grande partie piloté par l’Institut français de Paris, nous nous inquiétons du mauvais signal envoyé par la non-reconduction, certes annoncée, des moyens supplémentaires accordés en 2019 à l’Institut.
M. Jean-Marie Mizzon. Comme l’a indiqué son président lors de son audition, des arbitrages seront nécessaires entre les missions de l’organisme, du fait du manque de moyens. Ce plan, monsieur le ministre, est-il remis en question ?
Au-delà de cette interrogation, nous nous réjouissons de la clarification des rôles entre les instituts français et les alliances françaises, grâce à la convention tripartite. Cependant, le rapprochement physique des deux opérateurs boulevard Raspail reste pour nous une vive source d’inquiétude.
Enfin, nous ne pouvons aborder la question de notre influence culturelle sans dire un mot de l’audiovisuel extérieur. La commission de la culture, en premier lieu sa présidente, ne cesse d’alerter sur la diminution constante de ses crédits, à rebours de nos ambitions.
À l’unisson de notre excellent collègue rapporteur pour avis Claude Kern et de sa position exprimée devant la commission de la culture, la grande majorité du groupe Union Centriste soutiendra les crédits de la mission « Action extérieure de l’État », malgré les points de vigilance soulevés. (Applaudissements sur des travées du groupe UC et sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur chacun des programmes, car les rapporteurs l’ont très bien fait avant moi.
Pour 2020, nous retiendrons que l’enveloppe globale de la mission atteint les 2,74 milliards d’euros. Cette stabilisation est en réalité directement liée à la disparition du programme relatif à la présidence française du G7.
Je souhaite tout d’abord évoquer le contexte international, européen et ses impératifs.
Cette séance est l’occasion de nous poser la question : « quel rayonnement et quelle influence voulons-nous pour la France ? », sachant que le rayonnement ne dépend pas que de l’état de notre réseau, sur lequel je vais évidemment revenir.
En effet, rayonnement et attractivité sont liés. À quoi bon des capacités et des structures en nombre hors frontières si l’image et la situation intérieure de votre pays sont détériorées par de mauvais choix économiques, une recrudescence des violences, ou encore une crise sociale qui n’en finit plus ?
La gestion des conflits sociaux résonne à l’international. Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités en la matière. Toutefois, ces fractures nationales, aussi importantes soient-elles, ne sauraient effacer l’importance de la singularité française sur la scène internationale, une singularité qui mérite d’être « réactivée » et « promue » !
La France ne peut rester spectatrice face à la fracturation accélérée de l’Union, écartelée par un Brexit interminable, déconnectée par les ultra-normes bruxelloises, déstabilisée par les vagues d’immigration et fragilisée par les différences de perception sécuritaire.
Dans ce contexte international chahuté où les repères diplomatiques sautent, l’heure n’est plus au soft power des années 2000. Nous sommes confrontés à une lutte d’influence exacerbée.
Les domaines, le niveau d’excellence et les acteurs augmentent ! Les États-Unis, la Chine développent depuis près de quinze ans une stratégie offensive et inclusive. Les nouvelles routes de la soie sont loin d’être un simple concept. Il s’agit d’une nouvelle organisation globale, qui s’étend de Pékin à Djibouti, en passant par Gwadar.
Je salue au passage les rapports de mon collègue Pascal Allizard sur ce sujet.
Mais à ces géants du hard power s’ajoute l’émergence de la Turquie, de l’Inde, de l’Arabie saoudite et de la Corée du Sud, qui consacrent à leur politique d’influence des moyens importants.
Robert del Picchia et André Vallini, rapporteurs pour avis du programme 185, indiquent que les crédits des bourses ont diminué de 43 % entre 2008 et 2017. Cette baisse s’est traduite, d’une part, par une réduction du nombre de bénéficiaires de 30 % et, d’autre part, par une diminution du montant unitaire des bourses de 18 %. Elle a contribué à la démotivation et à la baisse des demandes. De fait, on assiste aujourd’hui à une sous-consommation des crédits.
Cette ineptie résume bien une situation générale et révèle une certaine surenchère des réformes imposées au Quai d’Orsay.
J’en viens à mon deuxième point, le réseau en lui-même.
Les restructurations du réseau étaient destinées à mutualiser les moyens pour un meilleur accueil et une rationalisation des coûts. Cependant, après dix ans de réformes, le résultat dans certaines régions du globe est une rupture du lien de proximité entre les Français expatriés et leurs institutions. La volonté de maîtriser les finances publiques est bien évidemment primordiale, mais il semble que cette politique devienne contre-productive.
Dans certains endroits où les prix des loyers sont très élevés, la vente du foncier s’est révélée être une erreur financière.
Enfin, je veux vivement regretter l’insincérité de Bercy quant à l’utilisation du produit des cessions immobilières, qui devaient constituer des ressources exceptionnelles et bénéficier aux premiers acteurs de cette réforme, à savoir les agents. Or une partie de ce produit a été affectée au compte d’affectation spéciale (CAS) pour le désendettement de l’État.
Les rapporteurs pour avis Ladislas Poniatowski et Bernard Cazeau ont dénoncé cette pratique, qui prive le ministère de 207 millions d’euros en quatre ans, soit près de 50 % du produit des cessions. Ils ont appelé à une refonte urgente de la gestion immobilière, et on ne peut que les soutenir.
Concernant l’AEFE, ses crédits augmenteront de 24,6 millions. Nous souhaiterions saluer ce geste, si ces crédits n’étaient destinés à financer de nouvelles mesures, puisque le Président de la République s’est fixé comme objectif de doubler le nombre d’élèves scolarisés dans les réseaux de l’enseignement français à l’étranger d’ici à 2030.
Je me félicite de cette ambition, mais je m’interroge sur la réalité des moyens. Depuis 2013, ne pouvant emprunter sur des durées de plus de douze mois, l’AEFE bénéficiait d’avances de crédits provenant du compte de concours financiers. Cette année, ces avances ne sont pas reconduites, ce qui tend au respect de l’esprit de l’article 24 de la LOLF. Par ailleurs, l’Agence a commencé les remboursements à hauteur de 5,4 millions d’euros.
Ces montages démontrent clairement que le financement de l’Agence n’est pas pérenne. Sans ces avances, l’AEFE se retrouve avec un défaut de trésorerie important, l’empêchant de financer des investissements, pourtant attendus, à Alger et à Moscou. Le montant évoqué est de 11 millions d’euros, ce qui laisse perplexe quant à l’augmentation de la somme allouée cette année.
Que dire aussi du sort de l’Association nationale des écoles françaises de l’étranger (Anefe) ? Grâce à cette association, 160 projets ont été garantis dans 110 établissements en quarante ans.
La commission interministérielle d’octroi de la garantie de l’État aux emprunts réalisés par les écoles françaises de l’étranger vient d’être supprimée par décret. La suspension du dispositif empêche actuellement une quinzaine de projets d’être financés. Comment pouvez-vous justifier ces errements ?
Enfin, je souhaite aborder un dernier point relatif à la représentation des Français de l’étranger. Depuis deux ans et demi, le Gouvernement et les députés de la majorité n’ont eu de cesse de revenir sur toutes les avancées que nous avions réussi à obtenir ces dernières années en faveur des Français de l’étranger.
M. Richard Yung. Ce n’est pas vrai !
Mme Jacky Deromedi. Le Sénat a adopté en janvier dernier, dans un large consensus, une proposition de loi visant à clarifier le droit électoral, reconnaissant aux élus de nouveaux droits.
Cette proposition a été radicalement oubliée à l’Assemblée nationale. Elle a resurgi à la faveur d’amendements de députés En Marche lors de la discussion du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique. Je me félicite que nos collègues députés reprennent nos idées. Néanmoins, le rapporteur du projet de loi en a profité pour affirmer que les conseillers consulaires n’étaient pas élus, puis, reconnaissant son erreur, qu’ils n’étaient pas des élus comme les autres. Les conseillers consulaires du monde entier apprécieront…
Quand allez-vous donner aux conseillers consulaires les moyens d’exercer leur mandat ? Quand allez-vous leur donner de vrais pouvoirs, monsieur le ministre ? Sur ces points, vous ne proposez rien.
Plusieurs collègues et moi-même avons donc déposé une proposition de loi relative aux Français établis hors de France. Elle reprend le texte adopté par le Sénat, ainsi que tout ce que nos compatriotes demandent légitimement et que le Gouvernement leur refuse en matière fiscale et de droits sociaux.
Cela dit, monsieur le ministre, nous voterons les crédits de cette mission, mais je ne peux que vivement vous inviter à prendre en compte les recommandations des rapporteurs pour l’avenir et à agir vite. L’expérience a démontré que la Haute Assemblée avait pour tort d’avoir raison trop tôt.
Je conclurai en citant Winston Churchill : « Agissez comme s’il était impossible d’échouer ! » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans un monde instable, marqué par la multiplication des crises et la remise en cause des règles du jeu multilatéral, dans un monde en état d’urgence environnementale, certes riche en opportunités nouvelles, mais aussi en défis sans précédent, la France conduit une diplomatie à la fois audacieuse et pragmatique, pour défendre les intérêts de nos concitoyens, mais aussi les valeurs qui nous rassemblent.
En 2020, au-delà des crises, qui continueront à figurer à l’actualité – le tragique accident de nos soldats au Sahel nous l’a cruellement rappelé cette semaine – et constitueront une grande partie de l’agenda et des réunions de la commission, auxquelles je participe souvent, au milieu du « chaos géopolitique » – je partage cette expression du président Christian Cambon –, trois chantiers nous occuperont de façon prioritaire.
Le premier consiste à construire une véritable souveraineté européenne. Elle est indispensable si nous voulons avancer sur l’Europe de la défense, apporter une réponse commune au défi des migrations, accomplir un saut industriel et technologique massif, sortir de la naïveté face aux géants économiques et politiques que sont les États-Unis, la Chine ou, demain, l’Inde et le Brésil, et accomplir un « réveil stratégique », pour reprendre encore l’une de vos expressions, monsieur le président de la commission des affaires étrangères. Sinon, nous sortirons de l’histoire.
Le deuxième chantier consiste à consolider le multilatéralisme renouvelé dont nous avons jeté les bases au cours de ces derniers mois, en lançant des coalitions d’action, notamment avec l’Allemagne, pour réunir les puissances de bonne volonté, sous la bannière de la coopération internationale, comme nous le faisons déjà dans l’Alliance pour le multilatéralisme.
Le troisième chantier concerne ce que j’appelle les batailles nouvelles de l’influence. Dans le contexte d’une extension de la compétition internationale à tous les aspects de la vie culturelle et sociale, la culture, l’information, la formation, ou encore le développement sont devenus de nouveaux attributs de la puissance. Je suis de ceux qui pensent que la distinction entre le hard power et le soft power ne tient plus : le soft power est devenu un élément majeur de l’affirmation de puissance.
Face à l’ensemble de ces chantiers, nous avons besoin d’agir pour contribuer à la reconfiguration de l’ordre international que nous sommes en train de vivre, et il importe que nous disposions d’un budget qui aille dans ce sens.
Je sais gré aux rapporteurs et aux différents intervenants d’avoir donné un avis plutôt positif sur l’action que mène le ministère dont j’ai la charge et d’avoir aussi formulé un certain nombre de suggestions et de propositions.
Je vais tenter maintenant de répondre aux demandes de clarification qui m’ont été adressées, même si je ne pourrai sans doute pas parler de tous les sujets en raison du temps qui m’est imparti.
Je veux d’abord rappeler que nous avons mis en œuvre une première réforme : la réorganisation du mode de gestion des réseaux de l’État à l’étranger. Chacun a bien voulu, de manière quasiment unanime, reconnaître que cette réforme se mettait bien en place. Aujourd’hui, les emplois de soutien et les crédits de fonctionnement de tous les réseaux internationaux de l’État sont effectivement sous la seule responsabilité du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Nous avons ainsi mis fin à l’effet de silo dans la gestion des ressources humaines, ce qui se traduit concrètement par des mutualisations.
Je rassure à cette occasion M. le sénateur Yung : nous avons obtenu les crédits correspondants en termes de plafond d’emplois – des emplois ont effectivement été transférés pour permettre la mise en œuvre de cette mutualisation –, mais aussi en termes de gestion des crédits de l’État à l’étranger. Désormais, c’est mon ministère qui est affectataire de l’ensemble du parc immobilier de l’État à l’étranger, ainsi que de l’ensemble des conventions de prestations que nous passons avec des partenaires locaux. Les crédits de fonctionnement servent à cela et, là aussi, nous avons eu les retours financiers nécessaires, à un million d’euros près – le budget pour 2020 intègre ce point. Nous avons donc soldé les comptes et nous continuerons évidemment à être vigilants.
Cette réorganisation est maintenant en place et vous pourrez vous en rendre compte, lorsque vous vous déplacerez à l’étranger.
Plusieurs orateurs ont attiré mon attention sur le fait que ce travail avait beaucoup mobilisé les secrétaires généraux d’ambassade. J’en ai pleinement conscience et nous en avons tiré des conséquences : nous allons augmenter le nombre de postes – ils seront dédoublés à certains endroits, et c’est déjà le cas à Kaboul, Khartoum et Doha – et nous devons préserver leurs fonctions et leur permettre d’obtenir des promotions. C’est un sujet central que nous avons déjà abordé l’année dernière et je vous redis aujourd’hui les engagements que j’avais pris alors – je les ai d’ailleurs réaffirmés hier devant le comité technique du ministère en présence des organisations syndicales.
En tout cas, cette réforme est en cours et elle avance bien. Je veux aussi vous dire que le sérieux avec lequel nous l’avons mise en place a payé, puisque la réduction de la masse salariale est maintenant de 5 % contre 10 % auparavant. J’ai constaté que Mme Conway-Mouret n’était pas au courant de cette évolution, contrairement à M. Yung, et j’espère qu’elle va l’intégrer – il est tout de même préférable, lorsque l’on tente une critique, de la faire reposer sur une base juste et non sur de mauvaises intentions…
C’est grâce à la réforme du mode de gestion des réseaux de l’État à l’étranger que nous avons pu obtenir une moindre réduction de la masse salariale par rapport à ce qui nous était imposé antérieurement. Cette réduction faisait l’objet de nombreuses protestations ; ce fut le cas dans cette enceinte même l’an passé au moment de l’examen du projet de loi de finances.
Je remercie également les uns et les autres d’avoir souligné que ce budget marque le lancement d’une autre réforme qui, à mon avis, fera date : la maîtrise des effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat des agents du ministère. Pour la première fois, en effet, nous avons intégré une provision qui reflète les montants que nous estimons nécessaires pour préserver le pouvoir d’achat des agents du ministère face à l’inflation. C’est une grande nouveauté et elle perdurera !
De la même manière, nous avons obtenu que le risque de perte de change en cours de gestion soit mécaniquement et obligatoirement couvert en fin d’année par la mobilisation de notre réserve de précaution.
Ce sont des réformes budgétaires qui peuvent paraître techniques, mais elles me semblent tout à fait importantes pour l’avenir.
Je veux maintenant revenir sur quelques autres points qui ont été évoqués en essayant d’être le plus précis possible.
Sur la question du patrimoine, beaucoup d’entre vous ont souligné la nécessité de mobiliser des moyens financiers significatifs. Je ferai deux remarques.
Tout d’abord, le budget consacré à l’immobilier passe de 73 millions à 80 millions d’euros, soit une augmentation de 10 %, ce qui est assez exceptionnel.
Ensuite, les investissements liés à la sécurité augmentent de 100 millions d’euros sur le CAS 723 « Gestion du patrimoine immobilier de l’État ». Là encore, madame Conway-Mouret, vous avez fait preuve d’imprécision : vous avez dit que les crédits liés à la sécurité baissaient de 24 millions d’euros. (Mme Hélène Conway-Mouret proteste.) Je ne sais pas si les autres chiffres que vous avez évoqués sont aussi faux, mais celui-ci l’est totalement ! J’imagine que vous faisiez référence à une année antérieure. Si vous voulez être constructive, utilisez les bons chiffres !
En tout cas, j’ai obtenu une enveloppe de 100 millions d’euros. Sachez que je suis particulièrement attentif aux questions de sécurité, celle des résidences des ambassadeurs, mais aussi celle de tous les autres sites, y compris les lycées et les instituts français.
Au-delà de ces deux remarques liminaires, il n’en reste pas moins que nous serons dans une impasse après 2021 en termes de soutenabilité de notre effort en matière immobilière – M. le rapporteur spécial et d’autres intervenants en ont parlé. Il nous faut travailler ensemble sur ce sujet. Nous devrons certainement procéder à une rebudgétisation, mais cela a des conséquences. En tout cas, nous devons agir dès à présent et alerter sur la nécessité de mettre en place à cette échéance un nouveau dispositif.
En ce qui me concerne, je suis tout à fait opposé à la vente d’un certain nombre de lieux emblématiques pour financer l’entretien de nos biens immobiliers, parce qu’un bâtiment n’est pas uniquement un lieu de travail, c’est aussi un élément d’influence. J’ai bien entendu la proposition de M. Cadic concernant Addis-Abeba, je connais ce site ; certes, il présente des opportunités, mais ce n’est pas un élément suffisant pour prendre une décision. En tout cas, nous devons travailler sereinement sur cette question.
Je veux aussi remercier Mme Deromedi et M. Cazeau de m’avoir fait découvrir un trésor caché, dont je subodorais l’existence… Entre 2014 et 2017, j’exerçais alors d’autres responsabilités, 200 millions d’euros liés à la cession de biens exceptionnels de mon ministère ont été en quelque sorte cachés au sein du CAS 723. Avec leur soutien, je vais me mobiliser pour récupérer ce trésor.
Néanmoins, le fond de l’affaire reste le même et il importe que nous agissions ensemble sur la question immobilière – j’en ai déjà parlé avec plusieurs d’entre vous.
J’aurai l’occasion durant l’examen des amendements d’aborder d’autres sujets, mais je veux d’ores et déjà dire quelques mots sur l’Institut français.
Tout d’abord, il existe parfois une confusion entre l’Institut français et les instituts français – je reconnais que les choses ne sont pas simples. L’Institut français, qui s’appelait auparavant Culturesfrance, fournit des prestations aux différents instituts français dans le monde ; ces derniers sont sous la responsabilité de l’ambassadeur ou du chef de poste et n’ont pas le même statut que le premier.
Ensuite, l’Institut français de Paris – je préfère l’appeler ainsi pour éviter les confusions – a reçu en 2019 une subvention exceptionnelle de 2 millions d’euros. Cette subvention correspondait à une mission particulière que l’Institut a d’ailleurs remplie ; elle n’avait donc pas vocation à être reconduite et je ne comprends pas bien les protestations à ce sujet. Lorsqu’on attribue une subvention spécifique pour remplir une mission, il est naturel de ne pas retrouver cette subvention une fois la mission remplie. C’est tout simplement du bon sens.
Par ailleurs, nous travaillons au rapprochement de la Fondation Alliance française avec l’Institut français – MM. Kern et Mizzon en ont parlé. Le rapprochement fonctionnel a été entériné et j’espère que le rapprochement physique aura lieu prochainement et que nous aboutirons rapidement au règlement de la situation.
Je veux profiter de l’occasion qui m’est donnée pour vous parler de Quai d’Orsay 21, le projet de réaménagement et de réorganisation qui vise à regrouper sur deux sites l’ensemble des agents du ministère de l’Europe et des affaires étrangères qui se trouvent à Paris. Le processus est en cours, mais il a pris un peu de retard ; celui-ci est lié à la redéfinition de certains espaces et à la question du restaurant administratif. Je dois tenir une réunion dans quelques jours pour faire en sorte que ce retard soit résorbé et que nous puissions engager définitivement le chantier.
Je veux aussi vous dire que je suis très attentif à ce que le Quai d’Orsay et la dimension internationale soient correctement pris en compte dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme de l’audiovisuel public. Nous avons ainsi obtenu que mon ministère soit totalement intégré à la gouvernance du nouvel ensemble et nous veillerons très attentivement à ce que la contribution à l’audiovisuel public soit répartie de manière à garantir le financement de l’audiovisuel extérieur. C’est très important, dès lors que le contexte de compétition est particulièrement âpre à l’échelon international en ce qui concerne l’information. Je sais que c’est une préoccupation particulière du président Cambon et je voulais lui apporter ces éléments de réponse.
M. Collin m’a interrogé sur la mise en œuvre du traité d’Aix-la-Chapelle qui prévoit le développement de programmes d’échanges, en particulier dans le cadre de l’Office franco-allemand pour la jeunesse.
Le traité prévoit aussi l’instauration d’un fonds citoyen qui sera mis en œuvre très rapidement – Mme de Montchalin, secrétaire d’État, est très vigilante sur ce point. Pour la France, son financement de 1,2 million d’euros sera assuré pour moitié par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et pour moitié par le ministère de l’éducation nationale. Nous serons ainsi en cohérence avec la partie allemande et nous pourrons mettre en place cet élément central du traité d’Aix-la-Chapelle très rapidement.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Beaucoup d’entre vous ont évoqué la question des moyens affectés à l’AEFE. Là aussi, je voudrais être très clair : les crédits augmentent de 24,6 millions d’euros. Une partie d’entre vous se demandait sûrement, si j’allais pouvoir obtenir cette augmentation ; je l’ai obtenue, et pas seulement pour l’année à venir, mais de manière permanente.
Mme Hélène Conway-Mouret. C’est bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Cette augmentation significative permet de répondre aux engagements qui ont été pris lors du discours du Président de la République à l’Académie française pour augmenter le nombre d’élèves dans les établissements français à l’étranger. Jean-Michel Blanquer et moi-même avons présenté les grandes lignes de ce plan début octobre.
L’objectif de doublement du nombre d’élèves dans les établissements français à l’étranger à l’horizon 2030, ce qui veut dire passer de 350 000 à 700 000 élèves, suppose d’accueillir davantage d’enfants de nos compatriotes – c’est la mission première de ces établissements –, mais aussi d’élargir notre zone d’influence et d’accueillir d’autres enfants. Nous devons trouver un équilibre. Cela signifie aussi davantage d’établissements – l’homologation devra rester exigeante, tout en étant simplifiée – et de professeurs – Jean-Michel Blanquer a évoqué ce point. Nous devrons également être attentifs à la question de la formation des enseignants locaux.
Vous le voyez, nous devons préserver un équilibre global, tout en créant une dynamique d’influence, alors même que la confrontation entre les puissances est très importante en ce moment sur ces sujets.
Plusieurs sénateurs, dont Mme Deromedi, m’ont interrogé sur l’Anefe. Je suis extrêmement vigilant sur ce sujet. Je souhaite que nous trouvions un dispositif qui soit conforme à la réglementation, afin que les investissements prévus puissent se réaliser. J’espère que nous pourrons rapidement aboutir à un résultat positif.
Concernant les bourses pour les étudiants étrangers, MM. Vallini et Féraud, notamment, m’ont demandé de revoir le dispositif en vigueur. J’y suis favorable et je crois que nous devons aussi travailler sur la question de la mutualisation entre Campus France et l’agence Erasmus +. Je suis ouvert à une discussion sur l’ensemble de ce dispositif ; je souhaite non pas que nous ayons un rapport de plus, mais que nous disposions d’un bilan. C’est un point sensible que le président Cambon a évoqué à plusieurs reprises et il faut y être attentif, parce que c’est également un outil important d’influence.
Pour terminer, je rappellerai l’importance de la modernisation de notre action consulaire – MM. Grand et Temal ont évoqué ce sujet. Nous avons mis en œuvre quatre projets emblématiques qui seront renforcés en 2020 : le vote par internet ; la mise en œuvre de France-Visas pour accélérer grâce au numérique l’accès aux visas – avec le numérique, on pourrait faire une demande de visa à Nice tout en habitant Brest, madame Conway-Mouret ; le registre d’état civil électronique qui sera opérationnel d’ici à la fin de 2022 – ce sera une avancée pour nos compatriotes qui résident à l’étranger ; enfin, un centre unique de réponses par téléphone et courriel, dont nous lancerons l’expérimentation en 2020.
J’ai également entendu des observations sur Atout France ; je pense que j’aurai l’occasion durant l’examen des amendements de revenir sur ce sujet.
Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère vous avoir convaincus que nous faisons preuve d’inventivité et de détermination pour présenter, à crédits constants, des mesures nouvelles qui auront une incidence forte pour l’ensemble de nos publics, en France et à l’étranger. Ce projet de budget a pour vocation de permettre à la France d’assurer efficacement son rôle de puissance d’équilibre. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Action extérieure de l’État », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Action extérieure de l’État |
2 873 475 134 |
2 868 357 179 |
Action de la France en Europe et dans le monde |
1 783 998 273 |
1 778 880 318 |
Dont titre 2 |
671 067 425 |
671 067 425 |
Diplomatie culturelle et d’influence |
716 943 811 |
716 943 811 |
Dont titre 2 |
74 926 548 |
74 926 548 |
Français à l’étranger et affaires consulaires |
372 533 050 |
372 533 050 |
Dont titre 2 |
236 837 673 |
236 837 673 |
M. le président. L’amendement n° II-375, présenté par Mme Prunaud, M. P. Laurent et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Action de la France en Europe et dans le monde dont titre 2 |
|
18 203 102 |
|
18 203 102 |
Diplomatie culturelle et d’influence dont titre 2 |
18 203 102 |
|
18 203 102 |
|
Français à l’étranger et affaires consulaires dont titre 2 |
|
|
|
|
TOTAL |
18 203 102 |
18 203 102 |
18 203 102 |
18 203 102 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Notre pays développe de plus en plus la diplomatie économique. Pour preuve, les diplomates seront chargés de mener les négociations de dix contrats et de les faire aboutir. L’enjeu serait donc de représenter non plus la France, mais bien ses entreprises, qu’elles soient publiques ou privées. Cela nous laisse perplexes, notamment au regard du rôle des ambassades dans l’attribution et le fléchage de l’aide publique au développement.
C’est pourquoi nous considérons qu’il est plus intéressant de renforcer les crédits de la diplomatie culturelle et éducative. De grandes ambitions sont portées par la francophonie, mais nos réseaux de diplomatie culturelle et d’enseignement ne disposent pas des moyens suffisants pour remplir leurs missions malgré un succès qui n’a jamais été aussi grand.
Je voudrais évoquer l’exemple de l’université franco-tunisienne inaugurée cette année. Elle participe pleinement à cette image de structures réservées à une certaine élite. Comment accepter la création d’un établissement, dont les frais d’inscription s’élèvent à 9 000 dinars, c’est-à-dire à peu près 2 900 euros, alors que le gouvernement tunisien a divisé par deux le budget des universités depuis 2008 ?
C’est pour éviter ce genre de situation que nous proposons cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. Cet amendement vise à réaffecter une bonne partie de la contribution française à l’OTAN à la diplomatie culturelle et d’influence, 18,2 millions d’euros sur une contribution de 26,2 millions d’euros.
Si cette organisation suscite actuellement des interrogations de la part du Président de la République, mais aussi d’autres acteurs – d’ailleurs, il est toujours légitime de s’interroger –, je ne crois pas que nous puissions mettre fin d’un seul coup à nos engagements internationaux, même partiellement, au détour de l’examen d’un amendement.
Je veux rappeler que les crédits alloués en 2020 aux contributions de la France aux organismes de coopération internationale diminuent de 7,6 millions d’euros par rapport à 2019. Accentuer cette baisse de façon unilatérale ne serait pas, à mon sens, de bonne politique.
La commission des finances émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Madame Prunaud, pouvez-vous m’imaginer aller à Londres la semaine prochaine au sommet qui marque le 70e anniversaire de l’OTAN et annoncer que la France quitte l’Organisation ? C’est peut-être ce que vous souhaitez, puisque vous proposez de supprimer une grande partie de la contribution de la France à l’OTAN, mais même si nous avions l’intention de le faire, nous ne procéderions sans doute pas comme vous le proposez.
Aujourd’hui, la question principale en ce qui concerne l’OTAN en tant qu’organisation de défense collective dont la France est membre, c’est son avenir. Quel est son rôle ? Quels sont les nouveaux risques ? Quels sont les sujets communs à ses membres ? Qui sont nos ennemis ? Comment lutter contre le terrorisme ? Voilà de vraies questions !
Je ne peux évidemment pas suivre la voie que vous nous proposez ; il serait tout de même assez surréaliste de renoncer à notre présence dans l’Alliance atlantique au détour d’un amendement.
Au sujet de la diplomatie d’influence, je voudrais dire que, lorsque je suis arrivé à la tête de mon ministère, j’ai constaté que, depuis plusieurs années, le programme 185, « Diplomatie culturelle et d’influence » avait subi une forte érosion et que la diplomatie d’influence de la France n’avait plus les moyens de fonctionner. J’ai commencé par stopper l’érosion – ce fut fait en 2017 et 2018 ; cette fois, j’augmente les crédits, et ce n’est pas fini.
J’ai pris des engagements à cet égard, parce que je considère que l’enjeu de la diplomatie culturelle et d’influence est déterminant. C’est la raison pour laquelle ce budget augmente de 3 %. Vous estimez peut-être que ce n’est pas assez, mais honnêtement nous avançons et la pente est très positive.
Pour ces deux raisons, l’avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Mme Prunaud a évoqué la diplomatie économique et je regrette, monsieur le ministre, que la mission « Action extérieure de l’État » ne comprenne pas le budget de Business France, qui représente plus de 80 millions d’euros. Comme le budget de cet organisme est en grande partie consacré à l’internationalisation de nos entreprises et à l’attractivité du territoire, il me semblerait logique qu’il fasse partie de l’ensemble dont nous discutons maintenant, et non de la mission « Économie ». De ce fait, le débat sur l’action extérieure de la France est un peu tronqué.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour explication de vote.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le ministre, je vous suis, en ce qui concerne la diplomatie d’influence.
La demande de réduction de la contribution de la France à l’OTAN est évidemment un symbole. Avouez tout de même que cela correspond à d’importantes questions qui se posent aujourd’hui, notamment au regard des accords passés entre la Turquie et les États-Unis à l’insu de l’OTAN ! Le groupe CRCE met en cause l’OTAN depuis longtemps ; maintenant, nous sommes encore plus persuadés d’avoir raison.
Pour autant, je retire cet amendement.
M. le président. L’amendement n° II-375 est retiré.
L’amendement n° II-438, présenté par Mme Lepage, M. Leconte, Mme Conway-Mouret, MM. Todeschini, Kanner, Boutant et Devinaz, Mme G. Jourda, M. Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Temal, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Action de la France en Europe et dans le monde dont titre 2 |
|
15 000 000 |
|
15 000 000 |
Diplomatie culturelle et d’influence dont titre 2 |
15 000 000 |
15 000 000 |
||
Français à l’étranger et affaires consulaires dont titre 2 |
||||
TOTAL |
15 000 000 |
15 000 000 |
15 000 000 |
15 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger est l’un des grands opérateurs de la diplomatie d’influence culturelle française. Conscient de l’impact de l’enseignement français à l’étranger, le Président de la République a souhaité que le nombre d’élèves scolarisés au sein du réseau double d’ici à 2030.
Pour autant, dès la première année de ce gouvernement, l’AEFE a subi une annulation de crédits de 33 millions d’euros qui a entraîné la suppression de 512 postes sur trois ans. Le rebasage de 24,6 millions d’euros qui est prévu dans le projet de loi de finances pour 2020 ne compense pas cette baisse ; plus de 8 millions d’euros sont manquants.
Afin de compenser cette difficulté budgétaire et pour ne pas altérer la qualité des enseignements dispensés au sein du réseau, de nombreux établissements n’ont d’autre choix que d’augmenter les frais de scolarité. Ce sont par conséquent les familles, qui ne sont pas toutes aisées, contrairement à une idée reçue, qui souffrent le plus de cette baisse de subvention.
Cet amendement vise à flécher 15 millions d’euros de crédits de paiement supplémentaires vers l’action n° 05, Agence pour l’enseignement français à l’étranger, au sein du programme « Diplomatie culturelle et d’influence » et à réduire de 15 millions d’euros les crédits de paiement de l’action n° 06, Soutien, au sein du programme « Action de la France en Europe et dans le monde ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. La commission des finances ne peut pas être favorable à cet amendement.
Vous avez raison, madame Lepage, de rappeler les 33 millions d’euros annulés en juillet 2017, mais nous avons considéré qu’en fléchant 24,6 millions d’euros supplémentaires en 2020 le Gouvernement fournissait un véritable effort – cet effort devra toutefois être poursuivi dans la durée.
De manière plus générale et comme l’indiquait Hélène Conway-Mouret dans son intervention liminaire, l’ensemble qui nous est proposé est un subtil équilibre et nous ne pouvons pas être favorables à ce que soient retirés 15 millions d’euros sur le programme 105.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. La belle ambition du Président de la République vise 300 000 élèves supplémentaires dans le réseau d’ici à 2030, soit 12 000 classes et 15 000 enseignants en plus. Monsieur le ministre, le plan que vous avez annoncé prévoit 100 % d’élèves en plus avec une hausse de 10 % du nombre d’enseignants titulaires et de 6 % des subventions publiques !
Les moyens qui sont donnés ne sont donc guère à la mesure de l’objectif et il existe une inquiétude sur la qualité de l’enseignement qui sera délivré dans ces conditions. En outre, les frais de scolarité augmentent de manière importante depuis de nombreuses années.
Or cette année nous constatons qu’il n’y a pas d’avance de la part de France Trésor pour permettre aux établissements de l’AEFE en gestion directe de se développer et de faire face à leurs projets immobiliers.
Nous constatons aussi que, même si ce n’est ni soumis à notre vote ni inscrit dans les fascicules budgétaires, le conseil d’administration de l’AEFE impose un plafond d’emplois aux établissements en gestion directe, ce qui leur pose de grosses difficultés en termes de développement, alors même qu’ils facturent des frais de scolarité destinés à cela.
Nous constatons aussi un décalage, qui a été noté au moment de la ratification du traité d’Aix-la-Chapelle, entre les moyens des Allemands et ceux des Français dans les eurocampus franco-allemands, ce qui pose un problème d’équilibre.
Pour toutes ces raisons, nous avons besoin de moyens supplémentaires pour l’AEFE. Même si un effort a été fait cette année, nous ne pensons pas que l’ambition que vous avez affichée pourra être mise en œuvre. De surcroît, nous avons adopté l’année dernière, avec votre soutien, un amendement afin d’obtenir un rapport sur la mise en place des garanties qui étaient jusqu’à présent assurées par l’Anefe pour le développement des écoles françaises à l’étranger. Une note de la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats de votre ministère montre que la direction générale du Trésor n’a pas avancé sur ce sujet depuis un an. Nous sommes donc particulièrement inquiets des perspectives d’évolution de l’enseignement français si aucune solution n’est apportée à la question de l’Anefe rapidement.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Je comprends l’objet de l’amendement de mes collègues socialistes. En juillet 2018, un hold-up de 33 millions d’euros a été opéré sur le budget de l’AEFE. On a récupéré 30 millions d’euros, mais, effectivement, il en manque.
Cela dit, quand je regarde la liasse des amendements déposés par mes amis socialistes,…
M. Jean-Louis Tourenne. Anciens amis !
M. Richard Yung. … et que je fais les comptes, j’arrive à une diminution de l’action extérieure de la France en Europe et dans le monde de près de 50 millions d’euros. Cela me pose problème. On ne peut pas en même temps pleurer sur les difficultés budgétaires du ministère et retirer une telle somme à ce qui constitue le cœur de l’action diplomatique. Pour ces raisons, je m’abstiendrai sur cet amendement.
M. Rachid Temal. Vous savez très bien que cela ne s’additionne pas !
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Évidemment, je ne peux souscrire à cet amendement. Comme l’a dit M. le rapporteur spécial, cette approche n’est pas la bonne. S’agissant de l’enseignement, j’approuve totalement la volonté de doubler le nombre d’élèves d’ici à 2030. La question porte sur la façon de faire. Est-ce que cet effort peut reposer uniquement sur l’AEFE ? Il faut être conscient que le fonctionnement de cette dernière est l’objet de critiques. Il a été rappelé, lors de son conseil d’administration, que le budget était en déficit chronique, à cause notamment d’une masse salariale trop élevée. Ainsi, on a appris que les dix premières rémunérations de l’Agence représentent à elles seules 1,8 million d’euros, soit 180 000 euros en moyenne pour, je pense, 10 proviseurs !
On peut toujours ajouter des moyens pour l’AEFE, mais il faut aussi regarder comment l’argent est dépensé. C’est important.
Je m’aligne totalement sur les propos de Jacky Deromedi au sujet de l’Anefe lors de la discussion générale. Après avoir entendu mon collègue Leconte, je crois pouvoir dire qu’il y a un consensus sur le diagnostic : si l’Anefe ne fonctionne pas, il sera très dur, voire impossible d’atteindre l’objectif fixé pour 2030.
M. le président. L’amendement n° II-440 rectifié, présenté par M. Leconte, Mmes Lepage et Conway-Mouret, MM. Todeschini, Kanner, Boutant et Devinaz, Mme G. Jourda, M. Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Temal, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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Action de la France en Europe et dans le monde dont titre 2 |
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Diplomatie culturelle et d’influence dont titre 2 |
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Français à l’étranger et affaires consulaires dont titre 2 |
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10 000 000 |
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La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Le nombre de boursiers dans les pays du rythme Nord a baissé de 2 % l’année dernière, celui dans les pays du rythme Sud de 5 %. Vous me direz : pourquoi cet amendement ? S’il y a moins de boursiers, tout va bien ; les familles peuvent payer les frais de scolarité. Il n’en est rien ! On constate que les bourses prennent en compte de moins en moins d’éléments et correspondent de moins en moins aux besoins des familles. Ainsi, dans certains établissements, la « part du fondateur » n’est pas prise en charge par les bourses scolaires. À Zurich, le coût de l’immobilier, soit 2 000 euros par élève et par an, ne l’est pas davantage. Je pourrais multiplier les exemples, qui montrent tous que seule une petite partie des frais de scolarité est couverte par les bourses.
Par ailleurs, le barème est fixé à partir de l’indice Mercer. J’ai demandé la publication des indices parité pouvoir d’achat (IPA) pour voir comment ils avaient évolué depuis quelques années, et le ministère m’a répondu, hier, qu’il ne pouvait pas diffuser ces données, car elles font partie d’un marché privé. Le ministère ne fournit donc pas à la représentation nationale les moyens de contrôler le budget qu’elle vote. C’est anormal ! Les indices, modes de calcul et barèmes devraient faire l’objet d’une transparence absolue. Monsieur le ministre, j’y insiste, vos services nous ont confirmé le refus de publication des IPA. Nous ne pouvons donc pas vérifier que, depuis cinq ans, il n’y a pas eu de changement résultant de l’évolution du pouvoir d’achat de l’euro dans les différents pays. Pour toutes ces raisons, il est important de donner des moyens complémentaires aux bourses scolaires pour réellement répondre aux besoins des familles.
J’ajoute que, depuis quelques années, à raison, nous nous sommes très fortement mobilisés pour l’école inclusive, laquelle nécessite aussi des accompagnements à l’étranger. Or très peu de ces aides sont aujourd’hui financées. Nous proposons donc qu’une bonne partie de cette augmentation des bourses soit utilisée pour financer les plus de 1 200 accompagnements personnalisés qui existent au sein de l’AEFE pour des enfants français. Il s’agit de faire en sorte que ce coût soit pris en compte dans le calcul des bourses scolaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. Le débat sur les bourses revient chaque année. Il est évidemment très important. Si les bourses s’avèrent insuffisantes, comme le relèvent les auteurs de cet amendement, cela peut tenir aux modalités de calcul, aux critères. Nous avons nous-mêmes travaillé sur la question de l’indice Mercer pour le calcul de l’indemnité de résidence à l’étranger et je peux dire qu’il n’est pas la cause de l’insuffisance d’un budget, celui des bourses, qui n’est pas entièrement consommé, un peu plus de 16 millions d’euros restant sur la soulte de l’AEFE.
Par ailleurs, autre sujet d’importance, c’est la première année que 310 000 euros d’euros de crédits pour l’accompagnement des élèves en situation de handicap sont inscrits dans le budget de l’AEFE. C’est un début, même si cette somme est insuffisante par rapport à l’ampleur des besoins.
Cela étant, la commission des finances ne peut pas émettre un avis favorable sur l’amendement, car nous ne pouvons pas nous permettre de retirer 10 millions d’euros au programme 105, ce qui remettrait en cause l’équilibre budgétaire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Le débat revient en permanence. Je constate que le montant fixé pour cette année n’a pas été entièrement mobilisé.
M. Jean-Yves Leconte. Le mode de calcul est mauvais !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. J’ai compris. Vous me l’aviez déjà dit l’année dernière et encore l’année d’avant. Je pense que vous me le redirez l’année prochaine, à l’appui du même amendement. C’est non ! Je ne vois pas comment je pourrais accepter d’augmenter le montant des bourses, alors que la totalité des crédits n’a pas été dépensée l’année dernière.
Je vous fais néanmoins observer, monsieur Leconte, que 310 000 euros supplémentaires sont prévus cette année, à la suite de discussions que nous avons eues dans cette enceinte et à l’Assemblée nationale, pour accompagner les élèves boursiers en situation de handicap. Lorsque des propositions correspondent à ce que nous sommes en mesure de faire, nous y donnons suite. Pour le reste, je vous rappelle qu’une commission nationale des bourses scolaires est chargée de fixer les modalités d’attribution. Je vous suggère de la solliciter pour éventuellement modifier les critères, qui peuvent d’ailleurs être différents selon les postes, comme vous le savez, les prix et l’inflation variant selon les lieux. Je n’ai pas d’autre observation. Avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour explication de vote.
Mme Jacky Deromedi. Toutes les bourses ne sont pas consommées, parce que les critères sont les mêmes pour tout le monde. Or, eu égard au coût de la vie, on ne peut pas vivre partout avec le même montant. Si vous demandez une bourse pour votre enfant, c’est que votre salaire correspond au minimum pour vivre dans ce pays, donc vous n’avez pas forcément les moyens pour payer l’école française, a fortiori quand vous avez deux, trois ou quatre enfants. Il faudra effectivement discuter avec la commission nationale des bourses pour obtenir une révision des critères.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. On ne peut tout de même pas encore retirer 10 millions d’euros au programme 105. C’est quand même extraordinaire d’entendre nos collègues socialistes critiquer un montage pour les bourses scolaires, qu’ils ont eux-mêmes créé en 2014, et qui revient à partager la pénurie.
Je rejoins les propos de Jacky Deromedi : il faut faire évoluer les critères.
M. Rachid Temal. Qui siégeait avec nous en 2014 ? (M. Rachid Temal regarde avec insistance MM. Bernard Cazeau et Richard Yung sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. L’amendement n° II-374, présenté par Mme Prunaud, M. P. Laurent et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
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Action de la France en Europe et dans le monde dont titre 2 |
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8 000 000 |
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8 000 000 |
Diplomatie culturelle et d’influence dont titre 2 |
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Français à l’étranger et affaires consulaires |
8 000 000 |
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8 000 000 |
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dont titre 2 |
4 000 000 |
4 000 000 |
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TOTAL |
8 000 000 |
8 000 000 |
8 000 000 |
8 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Cet amendement est dans la même veine que celui que nous avons présenté précédemment. Dans le cadre de nos réflexions sur l’OTAN, nous proposons d’anticiper un désengagement en redirigeant notre contribution à cet organisme vers les services consulaires, où elle serait plus utile, ces derniers connaissant une baisse de crédits et des suppressions de postes dépendant du Quai d’Orsay depuis trente ans. Pour certaines structures, cela représente plus de 60 % des agents accueillis sous le régime des recrutés locaux.
On atteint les limites de cette pratique. En toute logique, les conséquences sont négatives tant pour les secrétaires généraux d’ambassade que pour les directions centrales et les agents. Pourtant, cette année encore, la baisse de 61 millions d’euros des crédits des affaires consulaires ne fait que confirmer cette dynamique de dégradation des conditions de travail de l’ensemble des fonctionnaires à l’étranger.
Avec cet amendement, lui aussi à moitié symbolique, nous voulons redonner un peu de souffle et d’espoir à ces agents.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. C’est le même principe que le précédent amendement ; seul le montant change. Même avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° II-439, présenté par Mme Lepage, M. Leconte, Mme Conway-Mouret, MM. Todeschini, Kanner, Boutant et Devinaz, Mme G. Jourda, M. Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Temal, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le ministre, je ne sais pas si vous avez vu ce film, Groundhog Day, où le personnage principal se réveille tous les matins à sept heures pour revivre la même journée. Comme il connaît ce qu’il a déjà vécu, il essaye de s’améliorer chaque jour pour tendre vers la journée idéale. J’ai l’impression de vivre mon Groundhog Day aujourd’hui, puisque je vous présente de nouveau cet amendement pour augmenter de 5 millions d’euros l’action Accès des élèves français au réseau AEFE. Je ne doute pas de votre avis, mais, j’y insiste, à enveloppe constante, avec des élèves plus nombreux chaque année, des demandes de bourse, certes en baisse, mais des frais de scolarité en augmentation, nous ne pouvons pas répondre à toutes les réclamations qui sont faites, notamment pour des prises en charge de boursiers à 100 %. À cet égard, on relève une baisse graduelle non pas du nombre de demandeurs, mais de celui de bourses allouées. Or, quand une famille ne touche que 80 % ou 90 % de la bourse, elle peut être confrontée à de graves problèmes.
Si l’on s’attache à regarder les chiffres des impayés ou des familles quittant les établissements scolaires parce qu’elles ne peuvent plus payer les frais d’inscription, il y a lieu de s’inquiéter, car on est en train de perdre un grand nombre de familles françaises dont on a besoin pour conserver cet équilibre entre Français et non-Français dans nos établissements scolaires à l’étranger.
Je sais ce que vous allez répondre, monsieur le ministre, mais je voudrais que vous nous donniez l’assurance que la soulte, qui nous permet d’obtenir des crédits supplémentaires en cas de besoin, sera préservée.
Enfin, pour appuyer l’intervention de mon collègue Jean-Yves Leconte, permettez-moi de vous interroger de nouveau sur le refus du ministère de publier l’évolution du pouvoir d’achat par pays.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. Avis défavorable. Là encore, c’est le montant, et non pas le principe, qui change. Je pense aussi que cette multiplication d’amendements doit nous conduire à mener une réflexion sur l’allocation des bourses. Nous avons peut-être intérêt à regarder où nous en sommes, compte tenu des contraintes qui pèsent sur les familles, les frais de scolarité ayant beaucoup augmenté ces dernières années, même si tel n’est pas le cas cette année. En somme, je les prends pour des amendements d’appel à une réflexion collective.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Madame Conway-Mouret, je ne me sens pas le talent de Bill Murray pour refaire Un Jour sans fin tous les jours. (Sourires.) En revanche, je suis tenté, sans perversité, mais avec un plaisir malin (Mêmes mouvements.), de vous rappeler que la modification des règles d’attribution des bourses a été faite au moment où vous étiez vous-même au Quai d’Orsay. (M. Olivier Cadic applaudit.)
Je m’interroge donc non pas sur Un jour sans fin, mais sur le moment où Le jour s’est levé… (Nouveaux sourires.)
Je ne voudrais pas vous mettre mal à l’aise, mais vous me provoquez, alors je me permets de répondre avec un peu d’humour… et en faisant un retour sur le passé. Je me contente d’appliquer les règles que vous avez fixées, tout simplement.
M. Olivier Cadic. Merci de le rappeler !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Si d’aventure il y avait plus de demandes de bourse, on aviserait, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. J’ajoute, à l’intention de M. le rapporteur spécial, que nous apportons des modifications chaque année. Ainsi, nous avons modifié les barèmes cette année, à la suite de l’adoption d’un amendement déposé à l’Assemblée nationale, et nous avons fait en sorte de proposer un dispositif supplémentaire pour les élèves boursiers en situation de handicap. Je suis prêt à regarder d’autres propositions, qui peuvent être transmises à la commission nationale des bourses scolaires. En attendant, je suis défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le ministre, c’est vrai que les règles ont été changées. Nous étions dans une logique où nous votions le budget avant d’évaluer les besoins, lesquels étaient, bien sûr, toujours supérieurs au budget adopté. Nous avons donc souhaité mettre en place un système, qui marche, et même bien, puisque nous sommes capables d’évaluer les besoins à l’échelon local, puis de disposer d’une enveloppe globale susceptible d’y répondre. Cependant, il n’a jamais été question, dans la réforme que j’ai soutenue en 2013, que l’enveloppe reste figée.
Mme Hélène Conway-Mouret. Bien sûr…
Je crois que le système, si vous en faites l’évaluation, est bon. On peut toujours le perfectionner, mais, je le répète, avec ces amendements, nous voulons dénoncer le fait que l’enveloppe globale reste figée. Nous souhaitons pouvoir l’augmenter un peu, afin que les boursiers à 100 % soient plus nombreux.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Je ferai deux observations, non pas sur le fond, étant moi-même peu au fait de ces questions, mais sur le déroulement des débats et les réponses apportées.
D’abord, selon votre argumentation, monsieur le ministre, quand on prend une décision en 2013, elle a vocation à friser l’éternité. Je suis désolé, mais toute décision est susceptible d’évoluer, sinon cela signifie que nous sommes déconnectés de la réalité d’un monde qui change. Toutes nos positions doivent être modulées en cette fonction.
Ensuite, vous objectez que les crédits n’ont pas été consommés pour justifier votre refus d’en ajouter. Ce raisonnement est simple et compréhensible par tout le monde, mais il est faux. L’important, c’est de savoir quel est l’objectif visé. Lorsque l’on dit que l’on veut doubler le nombre d’étudiants, il s’agit de savoir si l’on a prévu les moyens suffisants. Si les crédits ne sont pas consommés, n’est-ce pas que les montants accordés sont absolument incompatibles avec les besoins, ce qui dissuade un certain nombre de candidats d’intégrer les écoles et les universités comme nous le souhaitons ? En d’autres termes, il me paraîtrait plus intelligent de s’interroger au préalable sur les raisons pour lesquelles le budget n’est pas consommé complètement, puis d’apporter les moyens nécessaires pour qu’il en aille différemment.
M. le président. L’amendement n° II-442, présenté par Mmes Conway-Mouret et Lepage, MM. Leconte, Todeschini, Kanner, Boutant et Devinaz, Mme G. Jourda, M. Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Temal, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Je sais et salue l’attention que vous portez à la question de la sécurité de nos compatriotes à l’étranger. Lors de la discussion générale, il me semble avoir fait référence à toutes les avancées et noté les points positifs de votre action. M. Yung ne les a peut-être pas tous entendus, car ils étaient noyés dans la présentation globale, qui tendait à montrer notre désaccord quant au manque de soutien financier et humain qui vous est apporté, monsieur le ministre. Il est étonnant que vous deviez vous battre de cette façon pour obtenir des crédits supplémentaires. À tout le moins, il nous plairait que l’on ne vous demande plus de faire d’économies, même si cela concerne peu de lignes budgétaires que nous avons à examiner. Je note avec plaisir, même s’il n’y a pas eu d’annonce, que la baisse des effectifs sera finalement de 5 % et non de 10 %. Il y a lieu de s’en réjouir, même si l’on parle toujours de diminuer des effectifs d’équipes qui sont aujourd’hui sous pression.
Avec cet amendement, nous voulons rattraper le manque à gagner consécutif aux coupes brutales de 2017, dont nous avons du mal à nous remettre. Ainsi, chaque augmentation de budget que vous présentez, de fait, pallie simplement le déficit initial imposé par ces coupes.
Sur la sécurité, j’ai bien entendu dans votre réponse que votre budget allait être augmenté de 100 millions d’euros pour, j’imagine, la construction et la formation. Peut-être pouvez-vous nous préciser comment se répartit cette somme entre sécurité active et sécurité passive.
En tout cas, prenez mon amendement comme un amendement d’appel sur la question de la sécurité, qui reste un motif d’inquiétude. Nos consulats ne sont pas simplement mobilisés contre les menaces terroristes. Ils doivent aussi faire face à des crises sanitaires, climatiques, politiques dans nombre de pays. Nous avons besoin de ces équipes mobilisées en cas de crise. À cet égard, la baisse des effectifs dans les consulats ne laisse pas de nous inquiéter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. La question de la sécurité a été prise en compte dans un plan pluriannuel qui est en cours d’exécution, sans retard ni problème particulier. Je ne comprends absolument pas ce prélèvement de 10 millions d’euros sur le programme 151, « Français à l’étranger et affaires consulaires ». Notre souci, c’est plutôt la pérennité du financement des investissements pour la mise en sécurité du patrimoine immobilier à l’étranger. L’avis de la commission est défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. J’ai répondu en grande partie lors de la discussion générale. J’ai obtenu 100 millions d’euros sur les questions sécuritaires dans les postes, que ce soit les lycées, les instituts français, les ambassades, les consulats, dans le cadre d’un plan concernant les zones fragiles et à risque. Par ailleurs, M. Temal m’a signalé la vétusté du consulat de Londres, qui n’avait pas été prise en compte, et nous allons y remédier.
Le plan d’action est aujourd’hui couvert à 86 %, ce qui signifie que les résultats sont au rendez-vous. L’avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. J’ai besoin d’éclaircissements. L’amendement n° II-442 a pour objet d’enlever 10 millions d’euros à l’action concernant les visas, quand l’amendement n° II-443, du même groupe, tend à augmenter, en la faisant passer de 3 % à 5 %, la part de la recette des droits de visa. Entre les deux, mon cœur balance…
M. Rachid Temal. Ce n’est pas ça, mais je t’expliquerai.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. J’abonde dans le sens de mon collègue Richard Yung. Avec cet amendement, il est proposé de réduire de 10 millions d’euros les crédits de paiement dédiés à l’instruction des demandes de visa, ce qui paraît surréaliste, d’autant plus que par le biais de l’amendement n° II-437 les mêmes auteurs proposent d’augmenter le budget pour soutenir notre tourisme. Or c’est en ayant des structures adaptées pour délivrer des visas que l’on va pouvoir développer notre activité touristique. Il y a un vrai problème de cohérence dans cette approche.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.
Mme Hélène Conway-Mouret. Je l’ai déjà dit, et je le répète, il s’agit d’un amendement d’appel sur les questions de sécurité. Cela étant, je le retire.
M. le président. L’amendement n° II-442 est retiré.
Mes chers collègues, avec toute la diplomatie qu’une telle requête exige, je vous demande d’être le plus concis possible, surtout sur les amendements d’appel, car nous sommes en train de prendre du retard sur notre ordre du jour.
L’amendement n° II-437, présenté par Mme Lepage, M. Leconte, Mme Conway-Mouret, MM. Todeschini, Kanner, Boutant et Devinaz, Mme G. Jourda, M. Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Temal, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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Action de la France en Europe et dans le monde dont titre 2 |
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7 000 000 |
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7 000 000 |
Diplomatie culturelle et d’influence dont titre 2 |
7 000 000 |
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7 000 000 |
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Français à l’étranger et affaires consulaires dont titre 2 |
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7 000 000 |
7 000 000 |
7 000 000 |
7 000 000 |
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La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Cet amendement a pour objet de compenser la baisse des subventions pour charge de service public destinées aux grands opérateurs de l’État. On peut ainsi relever 2 millions d’euros en moins de dotation de fonctionnement aux établissements à autonomie financière, 2 millions d’euros en moins pour l’Institut français de Paris, 2 millions d’euros en moins pour Atout France et une réduction de 1 million d’euros pour les alliances françaises locales.
Alors que le Président de la République a fait part d’objectifs ambitieux pour la promotion du français l’an dernier, on ne peut que constater la baisse des budgets de tous les opérateurs qui concourent au rayonnement de notre langue.
Certes, la dotation accordée à l’Institut français l’an passé était annoncée comme exceptionnelle, mais, une fois les projets lancés, il faut bien aller au bout tout en poursuivant les activités courantes. Monsieur le ministre, l’Institut français se trouve aujourd’hui en difficulté. Nous souhaitons donc relever de 7 millions d’euros les crédits de paiement de l’action Coopération culturelle et promotion du français, afin de doter les acteurs de moyens leur permettant de répondre aux ambitions affichées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. C’est vrai, il y a des diminutions, notamment pour l’Institut français de Paris, Atout France et les alliances françaises. Cela étant, on ne peut approuver que des augmentations et rejeter toute diminution.
Ces 7 millions d’euros que vous proposez de redonner aux opérateurs de l’État, ma chère collègue, seraient prélevés sur les crédits du programme 105, « Action de la France en Europe et dans le monde ». Vous ne précisez pas quelles actions seraient affectées par cette baisse, mais celle-ci nous semble en tout cas trop importante.
C’est pourquoi la commission souhaite le retrait de cet amendement ; à défaut, son avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. J’ai déjà répondu tout à l’heure au sujet de l’Institut français. Je n’ai manifestement pas été entendu ; c’est dommage. Je redis donc que, quand on accorde une subvention exceptionnelle, cela a un coût ; tout le monde est prévenu de son caractère exceptionnel, y compris le Sénat, et l’Institut français de Paris le premier. Je ferai d’ailleurs remarquer que l’Institut français est un établissement public à caractère industriel et commercial : il doit donc être en mesure de diversifier ses ressources. C’est d’ailleurs son objectif : ses ressources ne sont aujourd’hui pas assez diversifiées.
Concernant Atout France, je ferai observer que la réduction de crédits que nous prévoyons portera uniquement sur le fonctionnement de cet opérateur et ne rognera pas ses dépenses d’intervention. Cette baisse de 1,8 million d’euros correspond essentiellement à des relocalisations physiques : les coûts encourus par l’opérateur seront moindres après son déménagement.
Pour ce qui est, plus généralement, du financement d’Atout France, j’estime que l’augmentation du nombre de visas délivrés et la hausse du prix du visa Schengen, de 60 à 80 euros, prévue en 2020 offriront à cet opérateur des recettes supplémentaires. Je n’ai donc pas d’inquiétude sur ce point.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. L’amendement de Claudine Lepage, membre de la commission de la culture, reflète les débats que nous avons eus au sein de cette commission au sujet de l’avis que nous devions émettre sur les crédits de cette mission.
Je voudrais rappeler à ma collègue et, plus largement, aux membres du groupe socialiste et républicain que la baisse extrêmement forte des crédits alloués à la diplomatie culturelle qu’ils déplorent a eu lieu lors du précédent quinquennat. En particulier, les crédits de l’Institut français ont alors baissé de 37 % au moins. On était arrivé à l’os ! Certes, le quinquennat actuel voit une stabilisation, voire une légère hausse de ces crédits, mais un certain nombre de problèmes demeurent, parce qu’on n’a jamais retrouvé une masse critique suffisante pour assurer les missions de ces opérateurs. Voilà l’enjeu du débat que nous avons eu au sein de notre commission, même si je reconnais que les budgets sont contraints : nous comprenons bien que chacun doit faire des efforts.
Je voudrais par ailleurs répondre à M. le ministre. On incite en permanence nos établissements, nos instituts et nos institutions à trouver des ressources propres. Cela dit, si la réduction de 60 % à 40 % de la possibilité de déduction fiscale des entreprises qui aident les différentes associations et fondations culturelles – nos instituts pourraient être concernés – est adoptée malgré l’opposition prévisible du Sénat, nous nous retrouverons dans une situation illogique : c’est le serpent qui se mord la queue ! Il faut prêter attention à ce problème. Nous débattrons la semaine prochaine de cette mesure, mais je voulais d’ores et déjà le relever.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. L’amendement n° II-441, présenté par Mmes Conway-Mouret et Lepage, MM. Leconte, Todeschini, Kanner, Boutant et Devinaz, Mme G. Jourda, M. Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Temal, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le ministre, vous avez eu raison de souligner que la culture a été trop longtemps et trop souvent utilisée comme variable d’ajustement budgétaire. Vous en avez fait une priorité : nous attendons donc que vous souteniez à l’avenir nos instituts, les alliances françaises et les lycées français.
Je voudrais revenir sur la fermeture de quatre centres culturels, au Brésil, au Canada, au Costa Rica et en Norvège ; vous l’avez contestée, mais sans revenir sur ce sujet lors de votre intervention en clôture de la discussion générale.
Je m’attacherai à l’Institut français d’Oslo, puisque j’y suis allée il y a quelques semaines : la fermeture de ce centre culturel serait motivée par le montant insuffisant de ses recettes et son incapacité à générer des ressources propres. Cela est faux ! C’était le cas il y a cinq ans, mais des efforts énormes ont été accomplis, des postes ont été supprimés et aujourd’hui non seulement cet institut connaît une situation financière saine, mais il dégage des recettes. Par ailleurs, les autorités norvégiennes octroient à l’Institut français une subvention considérable, qui s’élève chaque année à 233 000 euros ; cela atteste de l’importance accordée par nos amis norvégiens à notre présence dans leur capitale. Un accord bilatéral de coopération linguistique, culturelle et scientifique a été signé en 2018.
Cet institut ferme, à ce qu’on dit. Il est même proposé à ses professeurs d’ouvrir leurs propres écoles pour se recycler. Nous n’aurons plus fenêtre sur rue ; l’Institut français n’existera plus.
Cet amendement vise, par conséquent, à dégager des crédits, afin de préserver l’existence de ces instituts, pour un montant correspondant au coût estimé de leur fonctionnement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. Je laisserai M. le ministre répondre, s’il le souhaite, sur la situation de ces quatre instituts, qui a été seulement évoquée au cours de la discussion générale, leur possible fermeture, ou leur évolution.
Sur cet amendement, l’avis de la commission est défavorable, car son adoption conduirait à retirer un peu plus de 1 million d’euros au programme 151, qui subit déjà une baisse de 0,3 %. Nous savons les efforts de productivité qui ont été faits ; nous savons aussi que le risque d’éloignement est réel et que la situation est parfois difficile.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. J’avais commencé à donner des explications en clôture de la discussion générale ; je voudrais simplement les compléter.
Notre démarche consiste à faire renoncer ces quatre instituts au statut d’établissement à autonomie financière (EAF), et non à remettre en cause leurs actions. En effet, ces quatre EAF, qu’il s’agisse de l’Institut français d’Amérique centrale, au Costa Rica, de l’Institut français du Brésil, de l’Institut français de Norvège, ou du Centre culturel français au Canada, ne disposent pas de ressources propres. Or ce statut, qui est en général celui des instituts français, est destiné à des établissements disposant de ressources propres.
Les missions et les activités culturelles et de coopération accomplies dans ces lieux se poursuivront, non plus sous la houlette d’un EAF, mais au sein des services de coopération et d’action culturelle (SCAC) des ambassades. (Mme Hélène Conway-Mouret le conteste.) Si, madame la sénatrice ! Par ailleurs, vous allez constater que, quand on nous interroge, nous nous penchons sur la question. Les informations que j’ai récemment reçues concernant Oslo me conduisent en effet à revenir sur la décision prise au sujet de cet institut ; je vais la réexaminer dans un sens plutôt favorable au maintien du statut d’EAF, puisqu’il apparaît manifestement que des recettes le justifient.
Mme Hélène Conway-Mouret. Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Cela ne signifie pas pour autant que, au Costa Rica, les activités qui se déroulent à l’Institut français cesseront. Simplement, elles se feront sous une autre casquette : elles seront directement assurées par les SCAC des ambassades.
Je voudrais enfin profiter de l’occasion pour revenir sur la fermeture redoutée du consulat général de France à Moncton ; vous avez été plusieurs à attirer mon attention sur ce point. Je peux vous annoncer que j’ai pris la décision de ne pas procéder à cette fermeture. (Bravo ! et applaudissements sur des travées des groupes SOCR et UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Merci, monsieur le ministre, pour ces précisions ! Cet amendement aura eu l’intérêt de soulever le sujet des établissements à autonomie financière, qui ont été créés par la loi de finances pour 1974. Les EAF, que vous avez évoqués dans votre réponse, sont souvent l’objet de débats. C’est ce statut qui permet à nos centres culturels de disposer de leurs propres recettes, sans qu’elles remontent dans le budget de l’État. C’est donc un système indispensable pour nos opérateurs culturels à l’étranger ; c’est pourquoi il faut défendre ces derniers.
Nous savons d’ailleurs combien vous devez assurer leur défense face à Bercy. C’est peut-être pourquoi vous avez dû en réduire un petit peu le nombre, mais j’estime qu’il faut que nous marquions notre attachement à ce système.
Vous avez évoqué Oslo, mais je pourrais rappeler l’Institut français de Brasilia où, même si ses ressources propres sont effectivement faibles, on constate néanmoins l’existence de recettes de mécénat.
M. Jean-Yves Leconte. L’utilisation de ces recettes de mécénat peut poser problème s’il n’y a plus d’établissement à autonomie financière.
Permettez-moi à présent, monsieur le ministre, toujours au sujet de la pression qu’exerce Bercy sur vous au sujet des EAF, de revenir sur la menace qui pèse sur le Centre de sciences humaines (CSH) de New Delhi. Il serait prévu que ce centre fusionne avec le SCAC de l’ambassade, alors même que sa mission est extrêmement différente. On risque, en fin de compte, de porter atteinte à la capacité d’un institut français de recherche à l’étranger : son indépendance doit rester suffisante, en particulier pour qu’il puisse conclure des contrats de recherche avec des partenaires publics indiens. C’est pourquoi je vous demande de réexaminer ce projet de fusion.
Il importe de protéger les établissements à autonomie financière. Le Sénat leur est attaché, car ce statut apporte une capacité d’autofinancement et une grande flexibilité à nos actions à l’étranger. Il faut également veiller, quand il s’agit d’établissements de recherche, à ce qu’ils disposent de l’autonomie nécessaire pour leur crédibilité dans la conclusion de contrats de recherche. De ce point de vue, la fusion du CSH de New Delhi avec le SCAC de l’ambassade nous inquiète profondément ; c’est pourquoi je souhaiterais connaître votre avis à ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le ministre, nous pouvons vraiment vous remercier, non seulement de nous avoir écoutés, mais de nous avoir réellement entendus. Il est rassurant de constater que nous servons à quelque chose. Vous nous avez donné deux bonnes nouvelles ce matin !
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Merci, monsieur le ministre, pour votre décision concernant le consulat général à Moncton : vous savez combien elle était attendue et espérée.
Quant à l’Institut français de Norvège, c’est aussi une bonne nouvelle ; je tiens à vous en remercier. Je m’y suis rendu au mois de septembre, et j’ai pu constater combien les cours de français faisaient le plein. Sur les 42 employés recrutés localement, 33 étaient des enseignants. L’annonce de la fermeture au début de 2020 avait créé un réel choc. Vous avez bien fait de souligner que la coopération éducative et scientifique risquait d’être menacée, puisque cet institut bénéficiait de subventions norvégiennes et que nos partenaires n’auraient absolument pas compris cette fermeture. Encore bravo et merci !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, pour explication de vote.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Monsieur le ministre, je rentre tout juste d’une mission conjointe du Sénat et de l’Assemblée nationale à Madagascar, à laquelle participaient notamment mes collègues Jean-Pierre Vial et Jacques Le Nay. J’aimerais vous alerter, dans la lignée de M. Leconte, sur les difficultés que risque de rencontrer l’Institut Pasteur de Madagascar.
Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) se retirerait de la prise en charge financière de certains postes : si je me souviens bien, seul le poste de directeur serait désormais financé par le MEAE. Or les instituts Pasteur contribuent fortement à l’image de la France, à notre politique d’aide publique au développement, bien entendu, et à la qualité sanitaire dans les pays où ils sont présents. Ils sont des outils extrêmement importants de la marque « France ». Alors, monsieur le ministre, qu’en est-il ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je prends bonne note de vos demandes de précisions sur le CSH de New Delhi et l’Institut Pasteur de Madagascar. Concernant ce dernier, je ne dispose pas aujourd’hui d’informations à ce sujet. Je dois me rendre à Madagascar au mois de février ; je veillerai à ce que cette question soit réglée auparavant.
M. Richard Yung. Très bien !
M. le président. L’amendement n° II-132 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, MM. Cadic et Maurey, Mme Sollogoub et MM. Delcros et Mizzon, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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|
+ |
- |
+ |
- |
Action de la France en Europe et dans le monde |
|
2 000 000 |
|
2 000 000 |
dont titre 2 |
2 000 000 |
2 000 000 |
||
Diplomatie culturelle et d’influence dont titre 2 |
|
|
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|
Français à l’étranger et affaires consulaires |
2 000 000 |
|
2 000 000 |
|
dont titre 2 |
2 000 000 |
2 000 000 |
||
TOTAL |
2 000 000 |
2 000 000 |
2 000 000 |
2 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. C’est loin d’être la première fois que je dépose un tel amendement ; j’y avais certes renoncé, comme je n’obtenais jamais de réponse, mais le revoici aujourd’hui !
Il s’agit, monsieur le ministre, de recevoir quelques éclaircissements sur les ambassadeurs thématiques. Vous n’ignorez pas qu’ils ont été créés sous la présidence de Jacques Chirac. Certains sont des fonctionnaires sans affectation de votre ministère ; ils ne coûtent donc rien de plus que leur salaire, ce qui est absolument normal. D’autres en revanche sont désignés de façon tout à fait opaque et occasionnent des frais sur lesquels le Parlement n’est absolument pas éclairé.
En outre, nous ne disposons quasiment jamais des rapports de mission de ces ambassadeurs.
Mme Nathalie Goulet. La dernière personne à avoir reçu ce titre est probablement Mme Delphine O, qui avait été la suppléante à l’Assemblée nationale d’un membre du Gouvernement. Une liste a désormais été publiée. Il est indiqué que certains de ces ambassadeurs servent pro bono ; je ne reviendrai pas sur une récente polémique qui a défrayé la chronique au sujet d’un ancien membre du Gouvernement, mais il n’en reste pas moins, monsieur le ministre, que nous ne disposons toujours pas, après toutes ces années, des éclaircissements nécessaires.
Grâce à un rapport rédigé par notre collègue Richard Yung, la situation est désormais un peu plus claire, mais il demeure certains postes qui ne sont absolument pas transparents. Vous le nierez, mais MM. Alain Juppé, Bernard Kouchner et Jean-Marc Ayrault l’ont fait avant vous ! Vous vous inscrirez dans une longue liste de ministres qui ont décliné de nous exposer le coût de ces ambassadeurs thématiques.
C’est pourquoi je propose de baisser de 2 millions d’euros les crédits affectés à ces ambassadeurs. Il y a dix ans, je suggérais une baisse de 10 millions d’euros : vous pouvez constater que mes propositions sont à présent beaucoup plus raisonnables ! Je souhaite également obtenir la liste des ambassadeurs qui ne sont pas des diplomates de carrière ; tous les signataires de cet amendement s’interrogent à leur sujet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. Le sujet des ambassadeurs thématiques revient très régulièrement dans nos débats. Nous avons interrogé les administrations à leur sujet et nous avons pu obtenir des informations complémentaires.
On compte aujourd’hui 21 ambassadeurs thématiques, contre 19 en 2018. La décision de créer de nouveaux postes est prise lorsque des sujets d’actualité ou des problématiques prenant une ampleur particulière nécessitent qu’une personne soit clairement identifiée pour mener un plaidoyer spécifique. Le nombre de ces postes varie donc au gré des priorités du moment.
Ainsi, un titre d’ambassadeur coordinateur de la task-force interministérielle Ebola a été créé en novembre 2014 et supprimé à la fin de 2015 ; un ambassadeur thématique chargé de la présidence française du G7 a été nommé en janvier 2018, jusqu’à la fin de l’année ; le représentant spécial pour le numérique s’est vu reconnaître le statut d’ambassadeur thématique en 2018, compte tenu de l’ampleur prise par cette problématique ; les conférences Pékin+25 et le sommet Afrique-France organisés en 2020 ont conduit eux aussi à la création de postes d’ambassadeurs thématiques.
Sur ces 21 postes relevés cette année, deux ne sont pas rémunérés, trois ne perçoivent pas de rémunérations complémentaires au titre de leurs fonctions, dans la mesure où ils exercent déjà d’autres fonctions pour lesquelles ils sont rémunérés, et seize sont rémunérés par le MEAE au titre de leurs fonctions d’ambassadeur thématique, parmi lesquels on compte huit diplomates de carrière et huit personnalités extérieures au ministère. Nous disposons donc de données détaillées.
Le coût pour 2019 de la masse salariale, charges sociales comprises, des ambassadeurs thématiques du MEAE s’élève à 1,96 million d’euros.
J’espère que, l’an prochain, nous disposerons directement de ces informations dans les documents budgétaires qui nous seront remis. Il serait bon d’avoir à l’avenir ce niveau de détail.
Ma chère collègue, vous avez déjà accepté de diminuer de 5 millions à 2 millions d’euros le montant des crédits que vous souhaitez déplacer ; si vous voulez bien baisser encore votre demande à 1 million d’euros, la commission s’en remettra alors à la sagesse du Sénat. Dans la mesure où le coût total actuel de ces ambassadeurs est de 1,96 million d’euros, il resterait alors environ 1 million d’euros à leur consacrer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Ces ambassadeurs, madame la sénatrice, ne sont pas des ambassadeurs d’opportunité : comme M. le rapporteur spécial vient de l’expliquer, ce sont de vrais ambassadeurs !
Lorsque j’ai affaire à tel ou tel grand sujet, comme celui des migrations, l’ambassadeur thématique qui en est chargé, en l’occurrence M. Pascal Teixeira Da Silva, se rend dans plusieurs pays pour traiter de cette question. S’il n’était pas ambassadeur, il ne pourrait pas rencontrer certaines personnes avec lesquelles il doit s’entretenir, y compris des chefs d’État et de gouvernement. Ce sont pleinement des ambassadeurs, au même titre que les autres, et ils sont comme eux nommés en conseil des ministres.
Nous ne sommes pas le seul pays à avoir une telle pratique. Notre ambassadeur chargé des migrations rencontre son collègue d’un autre pays. Lorsqu’il y a une crise particulière, nous faisons appel à telle ou telle personnalité pour assurer cette responsabilité.
Tout cela est d’une grande clarté. La nomination se fait en conseil des ministres et, quand la mission est terminée, le poste l’est avec elle. Cela fait partie de l’ensemble de l’activité du Quai d’Orsay.
Je veux bien entendre tout ce qu’on veut, mais il n’y a pas d’ambassadeurs particuliers, même si en l’espèce les missions sont thématiques : ils sont tous ambassadeurs, ils sont tous des fonctionnaires du Quai d’Orsay, ou ils y sont assimilés, ils sont tous sous ma responsabilité. Les choses sont très claires. Du moins cette question nous aura-t-elle permis d’éclairer nos positions.
Pour les raisons que je viens d’indiquer, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. J’accède évidemment à la demande de modification de M. le rapporteur spécial.
Monsieur le ministre, je trouve tout à fait intéressant de disposer d’ambassadeurs thématiques qui sont utiles, notamment quand il s’agit d’anciens fonctionnaires. Toutefois, d’après la liste que j’ai pu obtenir, nous avons une ambassadrice pour le sport, Mme Laurence Fischer, qui n’était pas diplomate, non plus que Mme Delphine O ; Mme Stéphanie Seydoux, ambassadrice pour la santé mondiale, ne l’était pas plus, ni M. Jean-Bernard Nilam, qui était directeur de je ne sais quel cabinet. Bref, vous avez là des gens qui n’ont absolument rien à voir avec votre ministère. La seule chose que nous souhaitons, en tant que signataires de cet amendement, est de recevoir des précisions sur les missions de ces ambassadeurs.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° II-132 rectifié ter, présenté par Mme N. Goulet, MM. Cadic et Maurey, Mme Sollogoub et MM. Delcros et Mizzon, ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Action de la France en Europe et dans le monde |
1 000 000 |
1 000 000 |
||
dont titre 2 |
1 000 000 |
1 000 000 |
||
Diplomatie culturelle et d’influence dont titre 2 |
|
|
|
|
Français à l’étranger et affaires consulaires |
1 000 000 |
|
1 000 000 |
|
dont titre 2 |
1 000 000 |
1 000 000 |
||
TOTAL |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. J’avais commis, voilà quelques années, un rapport sur la question. Je me rallie à la suggestion de M. le rapporteur spécial, qui me paraît raisonnable.
Il est vrai que la plus grande partie de ces ambassadeurs étaient déjà des diplomates, payés à ce titre. Mieux vaut qu’ils reçoivent une telle mission que de les payer à ne rien faire !
Il est vrai également qu’un certain nombre de nominations se font en dehors du conseil des ministres, alors même que la Constitution précise que les ambassadeurs doivent être nommés en conseil des ministres. Dans un certain nombre de cas, ces ambassadeurs sont nommés par le secrétaire général du Quai d’Orsay.
M. Richard Yung. Par ailleurs, on peut se demander si certains sujets méritent vraiment un ambassadeur thématique ; ainsi de la coopération régionale dans la zone de l’océan Indien…
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. La coopération économique dans l’océan Indien est un enjeu stratégique majeur.
M. Richard Yung. On a des ambassadeurs là-bas !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. La coordination globale de ce que nous devons faire dans cette zone nécessite une mission particulière ! Pardonnez-moi, monsieur le sénateur, mais ce sont des priorités diplomatiques.
Quand nous nommons ambassadeur des personnes qui ne sont pas des diplomates, c’est parce qu’elles ont des compétences particulières qui sont nécessaires pour telle ou telle mission. Mme Stéphanie Seydoux a été nommée au poste d’ambassadeur thématique pour la santé mondiale, mission majeure liée à la gestion du Fonds mondial de lutte contre le sida ; c’est une mission très particulière qui requiert des compétences spécifiques, lesquelles ne sont pas forcément celles des diplomates en fonction au Quai d’Orsay.
Je tiens à redire qu’il n’y a là ni trou noir ni agenda caché. Tous les ambassadeurs sont nommés en conseil des ministres ; autrement, ils sont non pas ambassadeurs, mais envoyés spéciaux. En outre, chacun a une lettre de mission.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-132 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° II-112 rectifié, présenté par M. Cadic, Mmes Joissains, Sollogoub, Saint-Pé et Perrot et MM. Canevet, Détraigne et Le Nay, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Action de la France en Europe et dans le monde dont titre 2 |
|
|
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Diplomatie culturelle et d’influence dont titre 2 |
1 000 000 |
|
1 000 000 |
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Français à l’étranger et affaires consulaires dont titre 2 |
|
1 000 000 |
|
1 000 000 |
TOTAL |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Cet amendement a pour objet le dispositif « Français langue maternelle » (FLAM), qui vise à soutenir des associations proposant à des enfants français établis à l’étranger, dans un contexte extrascolaire, des activités permettant de conserver la pratique du français en tant que langue maternelle et le contact avec les cultures française et francophones.
Les associations peuvent ainsi bénéficier de subventions d’appui au fonctionnement au démarrage de leur projet, ainsi que pour l’organisation de regroupements régionaux d’associations FLAM.
L’opérateur désigné par le MEAE pour la gestion administrative du dispositif FLAM est l’AEFE.
Cet amendement vise à la fois à développer le programme FLAM, en lui affectant un budget dédié, et à en transférer la gestion à l’Institut français, dont la mission est justement d’assurer la promotion de la langue française en s’appuyant sur un réseau d’alliances françaises et d’instituts bien plus développé et décentralisé que celui de l’AEFE, ce qui permettrait de toucher davantage de familles.
Retirer les crédits des associations FLAM à l’AEFE permettrait également à cette dernière de se concentrer sur sa mission : l’éducation française à l’étranger.
Il ne m’est pas possible, dans le cadre d’un amendement, de proposer un tel déplacement. C’est pourquoi je me suis vu obligé de proposer plutôt de retirer ces sommes à un autre programme, à savoir le programme 151, pour les affecter au programme 185. J’espère que cela ne vous empêchera pas de comprendre le réel objet de mon amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. Il est défavorable, tout comme il l’était, tout à l’heure, sur un amendement du groupe socialiste et républicain : nous ne souhaitons pas voir baisser de 1 million d’euros le budget alloué au programme 151.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il est le même que celui de la commission. Je ne vois pas quelle serait l’utilité ou l’efficacité d’un tel changement. Je suis preneur d’information. Peut-être y a-t-il quelque chose que j’ignore, mais le fait que le dispositif FLAM soit géré par l’AEFE me paraît une bonne méthode ; je ne vois donc pas la nécessité de la changer.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je tiens à excuser l’absence de M. le rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui a dû nous quitter.
Je comprends les préoccupations de notre collègue Olivier Cadic, qui veut que toute la jeunesse française expatriée puisse bénéficier d’un enseignement du français, de différentes façons. Pour autant, je ne suis pas favorable à cet amendement, parce qu’on ne peut déshabiller Pierre pour habiller Jacques. S’il faut octroyer des moyens supplémentaires au réseau FLAM, une vraie réflexion devrait être menée sur le sujet, monsieur le ministre, et il est tout à fait concevable que cela se fasse en lien avec l’Institut français. En revanche, on ne peut pas priver de moyens l’AEFE, pour laquelle nous nous sommes battus l’année dernière et qui bénéficie enfin, cette année, de crédits un peu plus élevés pour changer les choses.
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour explication de vote.
Mme Claudine Lepage. Au-delà de la question des crédits, il ne me semble pas une très bonne idée d’enlever à l’AEFE la gestion des groupes FLAM, qui sont une vraie réussite et des acteurs très importants pour nos compatriotes à l’étranger qui n’envoient pas leurs enfants dans les écoles françaises.
Cela me paraît peu judicieux pour des raisons éminemment pédagogiques. En effet, l’AEFE dispose de toutes les ressources pédagogiques nécessaires pour soutenir ces groupes. Régulièrement, elle met en œuvre des séminaires pour les associations qui organisent ces groupes sur place. Le fait qu’il y ait moins d’écoles françaises que d’instituts n’a pas d’importance, parce que les cours mis en place par les groupes FLAM ont très rarement lieu dans les écoles et les instituts français, mais sont plutôt dispensés dans des écoles locales ou des salles paroissiales, partout où les associations trouvent à se loger.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Je veux absolument clarifier mon propos pour être compris de M. le ministre. Le rôle de l’AEFE est de développer l’enseignement français à l’étranger ; celui de l’Institut français est en revanche le développement de l’apprentissage de la langue française. Or les associations FLAM développent justement l’apprentissage du français.
Beaucoup d’enfants français à l’étranger, aujourd’hui, ne parlent pas français ; cela devrait être une priorité. Quand se sont réunies, voilà un mois, à Londres les 55 associations FLAM du Royaume-Uni, nous étions à l’Institut français. C’est lui qui, souvent, sinon toujours, coordonne à l’étranger l’action des écoles FLAM. C’est pourquoi j’ai voulu proposer de faire en sorte que ce soit l’Institut français qui gère ces groupes.
Pour répondre à Mme Morin-Desailly, je tiens à préciser qu’on n’enlèverait rien à l’AEFE : en effet, le budget de cette association comporte une enveloppe dédiée aux écoles FLAM. Lui retirer cette enveloppe n’affecterait en rien ses autres activités, mais permettrait simplement de faire en sorte que cet argent soit géré par l’Institut français, dont la vocation est justement de développer l’apprentissage du français. C’est de cela qu’on parle : l’AEFE n’assure pas cette mission !
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Action extérieure de l’État », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. J’appelle en discussion l’article 73 A et les amendements portant articles additionnels avant l’article 73 A, qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Action extérieure de l’État ».
Action extérieure de l’État
Articles additionnels avant l’article 73 A
M. le président. L’amendement n° II-443, présenté par MM. Temal, Todeschini, Kanner et Boutant, Mme Conway-Mouret, M. Devinaz, Mme G. Jourda, M. Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 73 A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Sont attribués au ministère de l’Europe et des affaires étrangères, pour le recrutement des vacataires supplémentaires dans les services de visas et la promotion du tourisme, les produits résultant de l’instruction des demandes de visas, dans la limite de 5 % des recettes de droit de visa de l’année précédente.
La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Cet amendement vise à porter de 3 % à 5 % la part de la recette des droits de visa instruits par les postes diplomatiques et consulaires.
Une telle hausse permettra de favoriser la promotion du tourisme et surtout d’accroître la capacité d’action du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, notamment en augmentant le nombre de postes. On sait bien que c’est là un enjeu majeur. J’ai bien entendu ce que vous avez dit s’agissant de l’augmentation du prix des visas, monsieur le ministre, mais je considère que ce n’est pas suffisant.
S’il était adopté, cet amendement permettrait à la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire d’avoir plus de moyens pour agir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Rémi Féraud, rapporteur spécial. Cet amendement vise à porter à 5 %, contre 3 % aujourd’hui, la part des recettes des droits de visa instruits par les postes diplomatiques et consulaires, laquelle est fixée par décret. Aujourd’hui, le montant est réparti entre Atout France, pour 75 %, et le financement des vacataires nécessaires à la délivrance des visas, pour 25 %, pour un montant total de 6,5 millions d’euros.
Les recettes sont en effet en progression, et il nous a semblé que le renforcement des moyens du ministère, lequel passerait par l’augmentation de la part des droits de visa qui lui est affectée, était cohérent et justifié.
La commission s’en remet donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Mes fonctions ne me permettent pas d’accéder à la demande de l’auteur de l’amendement, monsieur le rapporteur, même si j’y vois une démarche de soutien à l’action des personnels consulaires et d’Atout France.
Je rappellerai simplement ce que j’ai indiqué tout à l’heure : l’augmentation des prix des visas Schengen et celle du nombre de visas délivrés devraient permettre d’engranger des recettes supplémentaires, pour les uns et pour les autres.
Je vous remercie, monsieur le sénateur Temal, de vos encouragements, mais j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.
M. Olivier Cadic. Si le ministère de l’Europe et des affaires étrangères était une entreprise, ses dépenses seraient liées au personnel, ses revenus les droits de visa instruits. Si 100 % du produit des droits de visa revenaient au ministère, celui-ci pourrait se développer. Ses besoins de financement, du point de vue consulaire, seraient assurés par les étrangers.
Pour ma part, j’irais donc plus loin et j’affecterais 100 % des droits de visa au ministère. Cela changerait la donne, et tout irait beaucoup mieux ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je m’inscris en faux contre cette philosophie, monsieur Cadic. Le Parlement définit en quelque sorte l’intérêt général. Un budget n’est pas qu’une question de tuyauterie. Il ne s’agit pas seulement de définir qui finance quoi, puis de ne plus réformer. Il faut faire des différences entre les recettes et les dépenses, sauf dans certains cas. À cet égard, les établissements à autonomie financière, pour des missions précises, ont besoin de ressources propres.
Cela étant, monsieur le ministre, nous faisons face à deux enjeux. Premièrement, les services des visas connaissent de véritables difficultés. Deuxièmement, il faut dans certaines zones, en particulier en Afrique de l’Ouest, du personnel pour surveiller les prestataires extérieurs, qui prennent parfois un peu leurs aises, et pour les accompagner, afin que les demandes de visa soient traitées rapidement. Il ne doit pas y avoir de blocage dans les consulats de nature à entraîner de longs délais d’obtention d’un rendez-vous ou de traitement des dossiers.
Les services des visas ont réellement besoin de moyens complémentaires, un peu dynamiques, car le développement du recours à des prestataires implique aujourd’hui de nouvelles charges pour eux.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. L’intervention de Jean-Yves Leconte me donne l’occasion d’évoquer le contrôle des documents qui doivent être fournis à l’appui des demandes de visa et les problèmes de fraudes documentaires, lesquels sont massifs, notamment dans les pays d’Afrique de l’Ouest, cités à diverses reprises.
Il faut plus de moyens, mais il faut peut-être aussi envisager d’avoir recours à la biométrie…
M. Jean-Yves Leconte. C’est déjà le cas !
Mme Nathalie Goulet. Pas partout !
À chaque fois que vous avez recours à un prestataire extérieur, vous offrez des possibilités de fraude. Il faut donc renforcer les contrôles.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.
Mme Hélène Conway-Mouret. Je rappelle que le prix des visas va augmenter le 1er janvier 2020. On nous accuse de vouloir prélever des crédits sur des lignes existantes ; or nous souhaitons prélever des crédits sur les recettes supplémentaires provenant de la hausse du prix des visas.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l’article 73 A.
L’amendement n° II-131 rectifié bis, présenté par Mme N. Goulet, MM. Houpert et Reichardt, Mme Bonfanti-Dossat, M. Yung, Mmes Troendlé, N. Delattre, Costes et Garriaud-Maylam, MM. Guerriau, Cadic et Maurey, Mme Sollogoub et MM. Delcros et Mizzon, est ainsi libellé :
Avant l’article 73 A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement adresse au Parlement un rapport faisant état de la liste des ambassadeurs thématiques.
Ce rapport précise en outre le coût de ces ambassadeurs en salaires, indemnités et frais de déplacement, ainsi que le nombre et le coût des personnels qui y sont attachés.
Ce rapport précise enfin le montant des charges matérielles, locaux, réception.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, vous nous avez expliqué que les ambassadeurs thématiques non diplomates effectuent un travail formidable et que tout va très bien. Or la presse s’est emparée de ce sujet ces dernières semaines et a évoqué le cas d’un ancien ministre qui, manifestement, avait posé problème, ou qui semblait susciter une polémique.
Je sais que le Sénat n’aime pas les rapports, mais pourriez-vous au moins nous dire quelles sont les fonctions et les missions de ces ambassadeurs thématiques ? On ne peut ni discuter du bien-fondé de leur nomination ni connaître le montant de leurs dépenses. En fait, on ne peut obtenir aucune information les concernant.
Cet amendement vise donc à essayer d’obtenir quelques informations sur ces postes, ce qui ne semble pas scandaleux dans le cadre d’un débat budgétaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. La commission demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable sur cette demande de rapport.
Pour notre part, nous sommes davantage favorables à l’enrichissement chaque année des documents budgétaires qui nous sont fournis. Nous avons obtenu des informations détaillées sur ces ambassadeurs thématiques, que je pourrai vous transmettre, chère collègue.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je suis tout à fait disposé à fournir des informations sur les missions de chacun des ambassadeurs thématiques à la commission des affaires étrangères du Sénat et à vous-même, madame la sénatrice. Rien n’est dissimulé.
Je ferai simplement remarquer que le rapport que vous demandez nous obligerait par ailleurs à faire également un rapport sur les missions de tous les ambassadeurs. Je dis avec beaucoup de force que les ambassadeurs thématiques ont le même statut que les autres, et des missions de souveraineté. Pourquoi ne pas faire également un rapport sur les directeurs d’administration centrale ? On ne s’en sortira pas !
Je le répète, je suis prêt à donner toutes les informations nécessaires sur les missions de chacun des ambassadeurs à qui le souhaite. Je rappelle enfin que ces ambassadeurs sont tous nommés en conseil des ministres et qu’ils reçoivent une lettre de mission.
M. le président. Madame Goulet, l’amendement n° II-131 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Nathalie Goulet. Je sais tout cela, monsieur le ministre ! Enrichissons donc le rapport de notre collègue Delahaye pour l’année prochaine, et on verra bien.
Cela étant, je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° II-131 rectifié bis est retiré.
Article 73 A (nouveau)
Le Gouvernement remet au Parlement, avant l’examen du projet de loi de finances de l’année, un rapport présentant l’exécution des contrats d’objectifs et de moyens ou des contrats d’objectifs et de performance des opérateurs mentionnés aux articles 1er et 10 de la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État et de l’organisme mentionné à l’article L. 141-2 du code du tourisme. Ce rapport précise les moyens budgétaires alloués à l’exécution de ces contrats. Il présente les modalités permettant d’associer des parlementaires à leur élaboration et au suivi de leur exécution.
M. le président. L’amendement n° II-2, présenté par M. Delahaye, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. Cet amendement vise à supprimer l’article 73 A, ajouté par l’Assemblée nationale, et qui prévoit la remise d’un rapport par le Gouvernement sur l’exécution des contrats d’objectifs et de moyens ou des contrats d’objectifs et de performance des opérateurs de la mission « Action extérieure de l’État ».
Dans ce cas également, la commission préfère un enrichissement des informations qui lui sont fournies dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances plutôt qu’un rapport supplémentaire.
Telle est la raison pour laquelle nous proposons la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Nous pouvons faire nous-mêmes nos propres rapports. Malgré tout, force est de constater qu’il nous manque souvent certains documents.
Nous aurions ainsi besoin de plus d’informations sur les instituts français – je fais bien la différence, monsieur le ministre, entre l’Institut français et les instituts français –, notamment sur la question immobilière. Nous avons beaucoup parlé d’immobilier tout au long de cette discussion budgétaire. Or l’état de certains instituts dans le monde est fort préoccupant.
La commission de la culture s’est rendue au Mexique au mois de septembre dernier et elle a pu constater sur place le délabrement de l’Institut français, qui aurait besoin de sacrés travaux – j’en profite pour vous faire passer le message, monsieur le ministre.
Je m’en suis ouverte aux rapporteurs : nous ne disposons pas d’état des lieux précis de l’immobilier des instituts français.
Je rappelle également que nous avons l’obligation d’auditionner les opérateurs sur leurs contrats d’objectifs et de moyens, et que c’est là l’occasion d’effectuer un contrôle. L’Institut français arrivant en fin de contrat, nous pourrons évaluer ses moyens au regard de ses objectifs.
Je rappelle enfin que notre commission avait failli au début émettre un avis défavorable sur les crédits de cette mission, parce que, objectivement, les moyens n’étaient pas au rendez-vous.
M. le président. En conséquence, l’article 73 A est supprimé.
Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Action extérieure de l’État ».
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l’examen, au sein de la seconde partie du projet de loi de finances, des crédits des différentes missions.
Aide publique au développement
Compte de concours financiers : Prêts à des États étrangers
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Aide publique au développement » (et article 73 D), ainsi que du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons analysé le projet de budget pour 2020 avec la même grille de lecture que celle que nous avons utilisée l’année dernière : ce budget est-il réellement à la hauteur de l’ambition fixée par le Président de la République, qui souhaite que le montant de notre aide publique au développement représente 0,55 % de notre revenu national brut (RNB) en 2022 ?
Rappelons que ce budget nous est présenté au terme d’une année marquée par le volontarisme du Gouvernement en matière d’aide publique au développement. Ainsi, la France a accordé une place centrale à la politique de développement lors du G7 qu’elle a présidé en août dernier, ou encore lors du G20 qui s’est tenu au Japon en juin dernier. Ces deux rendez-vous internationaux ont permis de réaffirmer notre attachement aux objectifs de développement durable (ODD) et à la place centrale de l’Afrique dans notre aide.
En premier lieu, le projet de budget pour 2020 poursuit la montée en charge des moyens budgétaires en faveur de l’aide publique au développement, même si l’essentiel de la hausse interviendra après 2020.
Les autorisations d’engagement de la mission s’élèvent à 7,3 milliards d’euros, soit une hausse très importante, de près de 63 %. Les crédits de paiement s’établissent à 3,3 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 7 % par rapport à 2019.
La forte progression des autorisations d’engagement résulte en réalité du cycle de reconstitution des ressources de plusieurs fonds et organisations multilatéraux en 2020, en particulier l’Association internationale de développement (AID), le Fonds vert pour le climat (FVC) et le Fonds africain de développement (FAD). Ces reconstitutions suivent un rythme triennal ; une hausse similaire avait donc été observée en 2014 et 2017. Les contributions relevant du ministère de l’Europe et des affaires étrangères augmentent également, de près de 100 millions d’euros en autorisations d’engagement, recouvrant à la fois les contributions volontaires aux Nations unies et à d’autres fonds.
Le produit des taxes affectées au développement est stable, à hauteur de 738 millions d’euros. À cet égard, le projet de loi de finances pour 2020 est marqué par une évolution notable. La taxe de solidarité sur les billets d’avion sera augmentée et le surplus de recettes affecté à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Cette mesure a fait l’objet de vifs débats en séance publique, mais je tiens à rappeler l’importance de la sécurisation des ressources du Fonds de solidarité pour le développement (FSD), auquel le produit de cette taxe est affecté.
Nous avons un motif d’inquiétude concernant le programme 852 du compte de concours financiers, qui recouvre les crédits liés aux restructurations de dettes accordées par la France. L’indicateur de soutenabilité de la dette des pays concernés se dégrade, comme vous l’avez sans doute observé, monsieur le ministre, ce qui traduit une aggravation de leurs perspectives macroéconomiques. L’accentuation de la vulnérabilité de ces pays nous conduit à nous interroger sur la pertinence de notre politique de prêts à long terme.
Après plusieurs auditions, il a semblé aux rapporteurs spéciaux que ce budget était encourageant pour atteindre l’objectif fixé par le Gouvernement.
En effet, comme nous l’avons indiqué en commission, la part de notre aide publique au développement dans notre revenu national brut était de 0,38 % en 2016. Elle devrait être de 0,43 % en 2019, soit seulement 0,01 point en dessous de la trajectoire déterminée par le Gouvernement. C’est pourquoi mon collègue Jean-Claude Requier et moi-même nous sommes prononcés en faveur d’une confiance prudente à l’égard du Gouvernement.
Toutefois, à l’issue de débats nourris, la commission des finances a proposé le rejet des crédits de la mission « Aide publique au développement ».
La transparence en matière de financement de l’aide publique au développement et l’évaluation de l’efficacité de cette politique publique ont été au cœur des débats de notre commission. Alors que le Président de la République s’est engagé à élever la France au rang des principaux donateurs, il est impératif que le Parlement soit suffisamment informé sur la pertinence de cette politique, dont les moyens budgétaires sont en pleine expansion.
Le projet de loi d’orientation et de programmation relatif à l’aide publique au développement devrait permettre, nous l’espérons, de mettre en œuvre une évaluation plus fine et exhaustive de l’aide publique au développement. À cet égard, monsieur le ministre, pourriez-vous nous apporter des précisions sur les dispositions envisagées en la matière, en particulier sur le comité de pilotage que vous avez instauré voilà quelques semaines ?
Telles sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques réflexions que m’inspire ce projet de budget. (M. Richard Yung applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que s’achève l’année 2019, nous regrettons de ne pas avoir pu examiner, avant le présent projet de budget, le projet de loi d’orientation et de programmation relatif à l’aide publique au développement, dont le dépôt a été plusieurs fois repoussé. L’insertion du budget pour 2020 dans un cadre stratégique rénové nous aurait semblé plus pertinente.
Si mon collègue Yvon Collin et moi-même nous sommes exprimés, à titre personnel, en faveur d’une confiance prudente envers le Gouvernement, nous avons néanmoins souhaité émettre quelques réserves sur le projet de budget pour 2020.
En effet, il nous semble que ce budget aurait dû privilégier les dons plutôt que l’octroi de prêts. La France se caractérise par une certaine préférence pour les prêts, qui représentent un peu moins du tiers de notre aide publique au développement. Les plus grands donateurs, comme le Royaume-Uni ou les États-Unis, accordent presque la totalité de leur aide publique au développement sous forme de dons. Cette spécificité française entraîne un décalage entre la liste des pays que nous définissons comme prioritaires et les principaux bénéficiaires de notre aide.
Pour remédier à cette situation, le Gouvernement s’est engagé à augmenter la part des dons. En 2019, l’Agence française de développement (AFD) s’est ainsi vue attribuer 1 milliard d’euros supplémentaires – ce n’est pas rien ! – en autorisations d’engagement pour concrétiser cette promesse. Toutefois, le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une réduction des ressources permettant à l’AFD d’accorder des dons, à hauteur de 594 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 35 millions d’euros en crédits de paiement. À l’inverse, la capacité de l’Agence à octroyer des prêts progresse légèrement.
Les auditions que nous avons effectuées ont mis en évidence la volonté de revaloriser le rôle des ambassades dans le versement de subventions. Dans cette perspective, les crédits des fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) ont progressé de 36 millions d’euros.
Ce choix suscite des interrogations de notre part, car la masse salariale des réseaux consulaires et diplomatiques est appelée à se contracter dans le cadre de la réforme de l’État à l’étranger. Les ambassades auront-elles les moyens d’absorber cette charge de travail supplémentaire ? La déconcentration de cette enveloppe ne risque-t-elle pas d’entraîner un effet de saupoudrage ?
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment les ambassadeurs mèneront à bien cette nouvelle mission tout en poursuivant un objectif de réduction de leur masse salariale ? Cette perspective pose question sur les relations futures entre l’AFD et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Le projet de loi d’orientation et de programmation devrait comporter des dispositions sur ce sujet. Monsieur le ministre, comment envisagez-vous les relations entre votre ministère et l’AFD à court et à moyen terme ?
Comme l’a indiqué Yvon Collin, la commission des finances propose le rejet des crédits de la mission « Aide publique au développement ».
Indépendamment de la question de l’évaluation de cette politique publique, les échanges nourris qui ont eu lieu en commission traduisent un certain malaise concernant les principaux bénéficiaires de notre aide publique au développement, en particulier la Turquie. La commission des finances s’est exprimée clairement en faveur d’une plus grande transparence dans l’allocation des crédits et de la mise en œuvre d’un pilotage clair de cette politique publique. La coexistence de deux ministères de tutelle, d’acteurs étatiques, non étatiques, de l’opérateur pivot qu’est l’Agence française de développement, participe certainement d’une certaine confusion. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères partage nombre des préoccupations qui viennent d’être exprimées.
Clarification de la stratégie et du pilotage, renforcement de l’évaluation, priorité à l’Afrique : tels sont nos principaux sujets d’intérêt pour l’année à venir, comme vous le savez, monsieur le ministre.
En matière de pilotage et de stratégie, nous notons avec satisfaction la volonté du ministère de réinvestir cet enjeu politique majeur. Nous pouvons nous féliciter de disposer d’un opérateur puissant pour notre action extérieure, mais il est impératif que sa stratégie reste alignée sur celle qui est définie par le Gouvernement et le Parlement.
Compte tenu de l’importance des enjeux financiers, des défis politiques à relever, de leur nécessaire acceptabilité par nos concitoyens – si les Français, nous le savons, sont généreux, ils souhaitent savoir à quoi servent leurs efforts, et c’est bien normal –, il est essentiel que nous mettions en place un dispositif permettant au Parlement de co-définir le programme d’évaluation de la nouvelle instance et de demander au Gouvernement de s’exprimer devant nous sur les résultats obtenus. Je vous remercie, monsieur le ministre, de nous dire où en est votre réflexion sur ce sujet.
Alors que la priorité a été donnée à l’Afrique, le retour des dons en 2019 était une bonne chose. Toutefois, les autorisations d’engagement de l’AFD fléchissent déjà nettement dans le projet de loi de finances pour 2020. Or les besoins restent immenses, notamment dans le domaine de l’énergie, comme nous avons pu le constater la semaine dernière lors d’un déplacement à Madagascar. Et je ne parlerai pas des pays du Sahel, où le taux d’électrification n’atteint même pas 30 %.
Enfin, le retour de l’éducation au premier rang de nos priorités en matière d’aide au développement, qui se concrétise par l’augmentation des crédits alloués au Partenariat mondial pour l’éducation, est certes une bonne nouvelle. Il est en effet essentiel d’offrir un meilleur avenir aux enfants et aux jeunes d’Afrique subsaharienne, mais il conviendrait de parvenir à une plus grande adéquation entre les ambitions affichées par le Président de la République et les moyens mobilisés. C’est le débat que nous avons eu au cours de la matinée.
En revanche, notre effort en faveur de l’agriculture reste en deçà de ce que nous pourrions accomplir.
À cet égard, la nature des financements dégagés pour atteindre les 0,55 % du revenu national brut en 2022 sera déterminante : si l’on ne devait procéder qu’à des annulations de dettes, comme cela est désormais parfois évoqué, notre action ne pourrait pas être à la hauteur de nos ambitions. Pourriez-vous, monsieur le ministre, préciser les choses sur ce point ?
Enfin, vous me permettrez de vous interroger sur un aspect technique de la coopération décentralisée, dont vous connaissez l’importance, notamment dans les territoires sensibles. Cette aide se trouve contrainte dans la limite du 1,2 % d’augmentation des budgets de fonctionnement, alors qu’il s’agit souvent de financements extérieurs. Je vous remercie, sur cette question également, des précisions que vous pourrez nous apporter.
Vous le savez, monsieur le ministre, la commission des affaires étrangères a décidé de voter les crédits de la mission, compte tenu du travail engagé par votre ministère, de sa volonté de renforcer la direction politique, ainsi que le contrôle opérationnel et parlementaire. Cet avis favorable vaut pour le présent projet de loi de finances, dans l’attente du projet de loi d’orientation et de programmation relatif à l’aide publique au développement, lequel, vous le savez, est attendu avec impatience. Nous souhaitons obtenir dans ce cadre des garanties supplémentaires, en plus des engagements que vous allez prendre dans un instant, sur l’orientation politique et sur le contrôle de l’action.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’aborderai tout d’abord la situation d’Expertise France, tant la présence dans le monde de l’expertise française est un outil essentiel d’influence, notamment en Afrique, où nous risquons de passer au second plan par rapport à nos partenaires allemand et britannique.
Nous prenons acte de la subvention d’équilibre inscrite dans le présent projet de loi de finances au bénéfice de cet opérateur, mais il est essentiel que lui succède un socle de commande publique solide, comme dans les pays comparables au nôtre.
En effet, l’intégration au groupe AFD est tout sauf une solution miracle : il faut notamment éviter que ne s’installe une relation exclusive avec l’Agence, qui priverait Expertise France de son accès à l’expertise des différents ministères et la ferait dépendre d’un seul opérateur, dont la culture de banque de développement est nécessairement assez différente de la sienne. Monsieur le ministre, comment comptez-vous éviter cet écueil ?
En tout état de cause, nous serons particulièrement attentifs au nouveau contrat d’objectifs et de moyens d’Expertise France.
À la suite de Jean-Pierre Vial, mon corapporteur pour avis, j’insisterai sur l’évaluation. Il est question, semble-t-il, d’un rattachement de la future commission indépendante d’évaluation à la Cour des comptes. Nous nous interrogeons sur cette perspective. Le modèle britannique, que nous avons étudié in situ lors d’un déplacement à Londres, nous paraît nettement plus pertinent : l’Independent Commission for Aid Impact est séparée du National Audit Office, l’équivalent de la Cour des comptes, ce qui lui permet d’envisager l’aide au développement au-delà de la régularité des engagements financiers et du seul value for money, pour en mesurer les résultats globaux à long terme.
Le budget de la mission prévoit une très forte hausse des engagements au profit des fonds multilatéraux. Il est certes important d’actionner ce levier, mais à condition qu’il y ait synergie, et non contradiction, avec notre action bilatérale. À cet égard, monsieur le ministre, sommes-nous au Sahel sur la même longueur d’onde que la Banque mondiale et la Banque africaine de développement ?
De même, on sait que le Fonds mondial, auquel nous venons encore d’augmenter notre contribution, n’agit pas suffisamment pour renforcer les systèmes de santé des pays africains. Allons-nous réussir à infléchir cette tendance ou ne ferons-nous que la pallier par notre aide bilatérale ?
Plus généralement, il est essentiel que nous puissions, enfin, traiter de l’ensemble de ces sujets dans le cadre du projet de loi d’orientation et de programmation relatif à la solidarité internationale. Or, monsieur le ministre, nous désespérons un peu de voir arriver ce texte, annoncé depuis des mois…
Cette attente, ainsi que l’inquiétude, partagée par presque tous les groupes, sur la crédibilité de la trajectoire financière et certains choix fort discutables dans les pays soutenus, nous a conduits à exprimer de vives réserves sur ce budget. Néanmoins, l’augmentation globale prévue pour 2020 étant très importante, les membres de la commission des affaires étrangères se sont prononcés pour l’adoption des crédits, certains, il est vrai, du bout des lèvres.
M. le président. Il faut songer à conclure…
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure pour avis. Nul doute qu’il en irait autrement l’année prochaine, en l’absence de présentation du projet de loi d’orientation et de clarification de la trajectoire. Mais nous savons pouvoir compter sur vous, monsieur le ministre, pour qu’il n’en soit pas ainsi !
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jacques Le Nay.
M. Jacques Le Nay. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la mission « Aide publique au développement » connaît une hausse très substantielle de ses crédits, qui représenteront l’année prochaine 0,43 % de notre revenu national brut. Nous saluons cette progression, bien que nous regrettions l’écart qui se creuse avec la trajectoire nécessaire pour atteindre l’objectif présidentiel de 0,55 % du RNB en 2022 – sans parler des 0,7 % fixés dans le cadre des objectifs de développement durable des Nations unies.
Au-delà de cette hausse générale, nous constatons que l’aide publique au développement (APD) de la France est marquée par un fort déséquilibre entre les prêts et les dons, au détriment des seconds. Cela nous distingue de nos voisins, qui insistent plus que nous sur la dimension dons de leur APD.
Cette situation n’est pas sans conséquence sur notre action. En effet, elle entraîne un écart sensible entre les priorités que nous affichons, notamment géographiques – je pense évidemment à l’Afrique –, et la réalité de notre action. En d’autres termes, les pays que nous jugeons prioritaires ne sont pas ceux qui reçoivent la plus grande aide de notre part, du fait de la logique de solvabilité et de garantie qu’impose la notion même de prêt ; celle-ci favorise les pays dits intermédiaires et les secteurs profitables, au détriment des pays les moins avancés.
Nous déplorons donc la baisse prévue des moyens permettant à l’Agence française de développement d’accorder des dons. La très forte hausse de l’an dernier aurait-elle été difficile à absorber ? Dans l’attente d’éclaircissements à ce sujet, nous réaffirmons notre souhait que la hausse prévue des moyens accordés à l’APD inclue un rééquilibrage en faveur des dons.
Par ailleurs, nous constatons que l’augmentation des crédits de la mission est particulièrement marquée en ce qui concerne la coopération multilatérale, principalement en autorisations d’engagement. Cette tendance résulte notamment de la hausse de la contribution de la France à plusieurs fonds multilatéraux, tels le Fonds vert pour le climat et l’Association internationale de développement.
Il est important que la France participe à ces mécanismes internationaux en faveur des pays moins avancés, et nous y souscrivons. Cependant, nous constatons que ces autorisations d’engagement supplémentaires contrastent avec le recul de celles qui sont consacrées à la coopération bilatérale, à rebours des préconisations du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid).
Or, si les deux types d’action sont complémentaires, l’aide bilatérale, outre que sa traçabilité est meilleure, présente l’avantage de mieux servir nos intérêts nationaux dans l’aide que nous accordons à des pays étrangers. En réduire l’ampleur est donc particulièrement regrettable, car nous pensons que l’APD française doit être pleinement intégrée à la politique étrangère de notre pays.
De ce point de vue, la conditionnalité de l’aide, dans un cadre réglementaire strict, ne devrait pas être un tabou. Ce principe a été défendu par notre collègue Philippe Bonnecarrère lors du débat sur la politique migratoire de la France et de l’Europe, le mois dernier. Au reste, il est déjà appliqué par certains de nos voisins européens.
Plusieurs pays, plusieurs régions du monde sont en proie à des déséquilibres qui laissent craindre l’émergence, dans un futur proche, de situations contraires à nos intérêts. Il est donc essentiel d’agir de manière efficace, dès maintenant. Le développement, couplé, si nécessaire, aux deux autres « D » que sont la diplomatie et la défense, doit s’inscrire résolument dans cette démarche.
La semaine dernière, je me suis rendu à Madagascar dans le cadre d’une mission interparlementaire inédite dans sa constitution, car associant positivement les commissions des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat. Face à la dure réalité du terrain, nous avons pu nous rendre compte de l’action de la France à partir des projets présentés et menés par l’AFD dans des domaines aussi importants que l’urbanisme, la gestion de l’eau et l’assainissement, mais aussi l’éducation et la formation professionnelle ; certaines de ces opérations sont mises en œuvre en partenariat avec des ONG.
Les acteurs rencontrés sur place nous ont fait part de leur besoin de visibilité à long terme sur les moyens disponibles. Je ne puis donc, monsieur le ministre, que souscrire aux conclusions des rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, Jean-Pierre Vial et Marie-Françoise Perol-Dumont : il est grand temps que soit précisé l’agenda du projet de loi d’orientation et de programmation relatif à l’aide publique au développement.
La nature et l’efficacité de notre action dépendent des deux grands équilibres qui structurent le fonctionnement de l’APD : l’équilibre entre les dons et les prêts et l’équilibre entre l’aide multilatérale et l’aide bilatérale. Nous espérons que le futur texte, si nous en sommes saisis un jour, saura les articuler au mieux pour que notre politique en la matière bénéficie autant aux populations qui en ont besoin qu’à notre pays.
La majorité des membres du groupe Union Centriste voteront les crédits de cette mission.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2020 marque une nouvelle étape dans la remontée en puissance de notre politique d’aide au développement. Contrairement à ce que d’aucuns laissent entendre, il respecte la trajectoire budgétaire fixée par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement en février 2018, qui doit conduire la France à consacrer 0,55 % de son revenu national brut à l’APD en 2022.
L’an prochain, le montant de notre aide devrait représenter 0,46 % de ce revenu, alors que la cible est de 0,47 % – entre les deux, l’épaisseur d’un trait.
Les ressources extrabudgétaires, issues de la taxe sur les transactions financières et de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, sont, depuis 2018, en décroissance relative dans le total des moyens consacrés à l’APD ; la première rapporte tout de même 1,6 milliard d’euros, ce qui est beaucoup, le rendement de la seconde étant plus faible, à 218 millions d’euros. Leur part du total, de 28 % en 2017, baissera très nettement, à 18 %, l’année prochaine.
Cette inversion de tendance a été rendue possible par la rebudgétisation des crédits d’APD, qui contribue au renforcement de la transparence de notre aide.
Je me réjouis également que le Fonds de solidarité pour le développement ait été recentré sur sa mission initiale : le financement de quelques fonds multilatéraux, dont le Fonds vert pour le climat.
Sur le plan qualitatif, le projet de loi de finances est en phase avec les orientations du dernier Cicid. Plusieurs mesures budgétaires confirment le rééquilibrage de notre aide au profit de l’aide bilatérale sous forme de dons. Plusieurs orateurs ont insisté sur ce point ; le débat entre le bilatéral et le multilatéral, celui entre les dons et les prêts, sont permanents – j’entends cela depuis vingt ans, et la majeure et la mineure varient selon les années.
Un autre signe encourageant est l’augmentation importante des crédits destinés à la conduite de projets par les ambassades via le fonds de solidarité pour les projets innovants. Cette excellente initiative soutient des projets de petite ampleur, mais mis en œuvre très rapidement et, j’espère, de façon efficace, à côté de la grosse machinerie que nous connaissons.
Il convient de saluer aussi l’effort budgétaire en faveur de l’aide humanitaire et de la coopération décentralisée. Ces deux outils contribuent au renforcement du canal bilatéral sous forme de dons de notre aide.
Il en va de même pour les contrats de désendettement et de développement, auxquels le projet de loi de finances consacre 42 millions d’euros.
En ce qui concerne l’aide multilatérale, il faut souligner le doublement de la contribution française au Fonds vert pour le climat qui prendra essentiellement la forme de dons. Voilà qui confirme, monsieur Requier, que la France est en train de réduire la part de son aide consacrée aux prêts – il y a d’ailleurs beaucoup à dire sur ce débat et la politique de dons, mais ce n’est pas l’objet de la discussion de cet après-midi.
Des inquiétudes se sont exprimées sur la baisse des autorisations d’engagement allouées aux dons-projets mis en œuvre par l’AFD. Personnellement, je ne les partage pas. Je pense que le projet de loi de finances ne remet aucunement en cause les priorités thématiques et géographiques. L’effort budgétaire demeure très important.
La discussion du très attendu projet de loi d’orientation et de programmation, dont nous regrettons tous qu’il ait pris du retard, sera l’occasion de fixer un nouveau cadre à l’évaluation de notre aide. Je me réjouis que le Gouvernement envisage – peut-être nous le confirmerez-vous, monsieur le ministre – de s’inspirer du dispositif britannique, qui constitue, en effet, une référence, les Britanniques ayant fait de la politique de développement une dimension majeure de leur politique extérieure.
La commission indépendante d’évaluation qui devrait être mise en place sera chargée, notamment, de mesurer l’effet de l’APD sur les flux migratoires, le Gouvernement ayant récemment exprimé sa volonté de faire de cette aide « un levier au service de la politique migratoire ». Lors de son audition par la commission des affaires étrangères, le directeur général de l’AFD a déclaré, certainement à juste titre, qu’« une partie très significative de la réponse à la crise migratoire se trouve dans les pays d’origine, dans les pays de première destination et dans les pays de transit des migrants ».
Tout cela est vrai, et nous le disons depuis de nombreuses années ; mais nous savons tous que la mise en œuvre de ces politiques prend un temps considérable. Bien sûr, la solution réside dans le développement de ces pays ! Mais voilà plus de cinquante ans qu’ils sont indépendants…
Enfin, monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur les négociations relatives au cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour la période 2021-2027. Le projet élaboré prévoit la mise en place d’une nouvelle architecture financière pour le développement. Pouvez-vous nous en dire davantage, s’agissant en particulier des nouvelles formes de coopération – gestion des flux migratoires et climat ?
Le projet de loi de finances permet à la France d’être au rendez-vous du défi du développement. Le groupe La République En Marche votera les crédits de cette mission ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM. les rapporteurs spéciaux applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de nos débats l’an dernier, nous avions tous conclu que nous attendions beaucoup d’une loi de programmation spécifique relative à l’aide publique au développement. Malheureusement, cette loi n’existe toujours pas !
D’où mon interrogation, déjà exprimée par certains orateurs, sur la sincérité du débat budgétaire de cet après-midi : une future loi pourrait redéfinir la trajectoire financière de l’aide publique au développement. J’espère, monsieur le ministre, que vous saurez nous rassurer.
Le seul objectif, martelé par le Président de la République, est d’atteindre, d’ici à la fin du quinquennat, 0,55 % du PIB consacré à l’aide publique au développement. Loin, donc, des 0,7 % sur lesquels la France s’était engagée… Il faut dire que le niveau actuel n’est que de 0,44 % !
Pour cette année, le Gouvernement propose un budget d’un peu plus de 3 milliards d’euros, en augmentation de 210 millions d’euros. Certes, cette hausse est bienvenue, mais comment croire que la trajectoire impulsée depuis 2017 sera amplifiée au point d’atteindre des hausses de 700, puis 900 millions d’euros les deux prochaines années ?
Bien évidemment, certains jeux d’écriture pourraient permettre de gonfler artificiellement le budget. Je pense tout particulièrement au recours accru aux fonds inscrits, mais bloqués. Cela suffira-t-il ? Je ne le pense pas.
Il est urgent de redéfinir cette mission budgétaire. Tout d’abord, en augmentant massivement les crédits inscrits, sans se contenter de promesses. Ensuite, en réformant la taxation affectée à l’aide publique au développement. En effet, si le produit de la taxe sur les transactions financières était intégralement affecté à l’APD, celle-ci augmenterait de 800 millions d’euros.
Une fois les fonds réunis, vers qui les orienter ? Aujourd’hui, l’aide publique au développement française ne bénéficie toujours pas aux pays qui en ont le plus besoin, mais profite plutôt à ceux qui présentent de sérieuses garanties de solvabilité. Monsieur le ministre, nous avons dans ce domaine un certain désaccord : je ne conçois pas l’APD comme un outil conditionné aux bénéfices à en attendre pour notre pays. Au reste, je m’interroge sur l’efficacité d’une telle pratique.
Il est une autre pratique dont je veux parler, et que je conteste vraiment : le financement de la retenue des migrants en Turquie, dans des conditions indignes. Vous me corrigerez si je me trompe, monsieur le ministre, mais ce financement est considéré comme de l’aide au développement, ce que mon groupe n’estime pas justifié. Il semble qu’il faut redéfinir ce qu’est l’aide au développement…
Plus largement, nous assistons à un essor croissant de l’économie de marché et du libéralisme dans les pays bénéficiaires. Or le ruissellement, si cher à notre gouvernement, creuse toujours les inégalités chez nous : comment ne produirait-il pas les mêmes effets dans les pays en développement ?
Compte tenu de ces observations, monsieur le ministre, nous voterons contre les crédits de cette mission. (Mme Michelle Gréaume applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’aide publique au développement est-elle simplement une affaire de philanthropie, comme d’aucuns l’affirment ? Elle est bien plus que cela.
Elle participe, effectivement, à une forme de solidarité entre pays, mais elle recouvre bien d’autres aspects. En particulier, elle est l’un des outils majeurs de notre politique internationale : à travers elle, nous favorisons la diffusion de nos valeurs et nous servons nos intérêts.
Une action menée dans un pays a des répercussions dans les autres, y compris en France. Ceux qui ne le comprennent pas voient cette aide, au mieux, comme une variable d’ajustement et, au pire, comme de l’argent jeté par les fenêtres. En réalité, cette aide est un investissement, dont les retombées dépassent la seule sphère économique.
De fait, elle est aussi une aide publique à la construction de la paix. Le travail est immense… On s’en rend compte en regardant les missions de l’AFD au Sahel et dans les autres zones prioritaires.
À cet égard, nous saluons la forte augmentation, de 6 %, des crédits de la mission. Le montant inscrit dans le projet de loi de finances porte l’effort de la France de 0,43 % à 0,46 % de son revenu national brut. Nous nous rapprochons ainsi de l’objectif de 0,55 % fixé par le Président de la République. Cette augmentation et la logique qui la soutient nous paraissent être des signaux positifs.
Toutefois, nous regrettons que l’objectif de 0,7 % du RNB ait été abandonné. En effet, cet objectif résulte de nos engagements internationaux, issus des travaux de l’Assemblée générale des Nations unies de 1970.
Reste que le Gouvernement poursuit le réarmement de notre politique d’aide au développement, ce dont nous lui savons gré. Le bénéfice de cette aide n’est pas unilatéral : le pays qui dépense en retire aussi des avantages. C’est ce qu’a bien compris le Royaume-Uni, qui consacre 0,7 % de son RNB à l’aide au développement : personne ne croit qu’il s’agit d’une pure philanthropie…
Cet exemple illustre, d’abord, le fait que le Royaume-Uni considère, malgré les difficultés qui pèsent sur lui, que ces dépenses lui sont utiles ; ensuite, que cet objectif peut être atteint.
Le Royaume-Uni n’est pas seul à adopter une politique d’aide au développement forte. C’est aussi le cas de la Chine, très active en la matière, notamment sur le continent africain et en Europe de l’Est – les nouvelles routes de la soie se construisent à travers l’Eurasie. L’Inde nourrit une ambition similaire et souhaite faire émerger un projet, concurrent, de route de la liberté.
L’aide au développement façonne l’avenir, politique ou économique. La France doit y participer activement, en ayant cet objectif à l’esprit.
À cet égard, monsieur le ministre, nous sommes très favorables à la logique que vous défendez : comme vous, nous pensons que la France doit être maîtresse des dépenses qu’elle engage. Le multilatéralisme, bien sûr, n’est pas à fuir ; mais le bilatéralisme est à privilégier, lorsque nous ne nous retrouvons pas dans les projets multilatéraux.
Notre action doit servir les intérêts de la France ; elle doit être efficace. À cet égard, plusieurs points d’amélioration subsistent.
Ainsi, nous pensons qu’il faut améliorer l’articulation entre les actions de l’État, des collectivités territoriales, des ONG et des entreprises ou fondations privées. Elles peuvent parfois se compléter utilement.
S’agissant de la gouvernance, nous considérons que la prise de décisions en matière d’aide publique au développement ne doit pas être éclatée entre deux ministères et un opérateur : cette division conduit à multiplier les instances de coordination et amoindrit la lisibilité et l’efficacité de notre politique d’aide au développement.
En ce qui concerne les objectifs de l’aide au développement, nous nous réjouissons que la priorité ait été donnée à l’Afrique, car nous pensons aussi que c’est sur ce continent que les efforts de la France doivent porter. De grands défis sécuritaires sont à relever, mais nous savons aussi que de grandes opportunités s’y développent. L’Afrique de demain va surprendre le monde ! Nous souhaitons que la France participe à son essor et à son développement.
Sous réserve de ces quelques points de vigilance, le groupe Les Indépendants soutient les grandes orientations présentées pour poursuivre le réarmement de notre aide au développement ! (MM. les rapporteurs spéciaux et M. Richard Yung applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (M. Philippe Mouiller applaudit.)
M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique d’aide publique au développement est l’un des piliers de l’approche globale de résolution des crises, en « 3D » : diplomatie, défense, développement. Au-delà de la lutte contre la pauvreté, elle est bien un instrument de stabilité géopolitique, dont nous souhaitons que la France fasse le meilleur usage.
Or, aujourd’hui, comme les interventions de cet après-midi l’ont montré ou le montreront, notamment celles des membres de mon groupe, nous avons grand besoin, monsieur le ministre, que vous recadriez le sens de cette action.
De fait, la commission des affaires étrangères dresse un diagnostic quelque peu contrasté, mettant en évidence un triple déficit : déficit de pilotage politique, de lisibilité et d’évaluation – les rapporteurs pour avis l’ont déjà souligné.
Le manque de pilotage est évident : nous avons le sentiment qu’on a progressivement délégué notre stratégie à ce fleuron que constitue l’Agence française de développement, comme s’il s’agissait d’une question purement technique, dépourvue de lien avec les grands axes de notre politique extérieure. Pour nous, ce n’est pas le sens de l’action à mener. Je crois savoir, monsieur le ministre, que vous avez pris des initiatives pour corriger cette situation.
D’ores et déjà, nous saluons la décision du Gouvernement de conforter les ambassadeurs dans leur rôle de chefs d’orchestre de l’action française de développement sur le terrain. La volonté exprimée de mieux intégrer l’AFD au sein de l’« équipe France » du développement, au moment où ses engagements atteignent un niveau vertigineux, de plus de 12 milliards d’euros, est également très positive. Monsieur le ministre, je souhaite que vous nous éclairiez sur le rôle du conseil local de développement, qui permettra dorénavant à l’ambassadeur de jouer son rôle de chef d’orchestre.
J’en viens au manque de lisibilité. Nous avons plus de cinquante contributions multilatérales, dont l’opacité n’est plus vraiment tolérable. Certes, le Gouvernement a prévu de consacrer, d’ici à 2022, les deux tiers de la croissance des crédits à l’action bilatérale, une orientation que nous approuvons sans réserve. Mais, alors, est-il cohérent, pour ne citer que cet exemple, d’avoir décidé le mois dernier, sans que le Parlement soit prévenu, une augmentation de 20 % de notre contribution au Fonds mondial, qui n’agit pas suffisamment pour renforcer les systèmes de santé ? Dans le même temps, les pays africains qui construisent leur système de santé voient leurs crédits diminuer de 600 millions d’euros… Cette distorsion pose problème.
De même, les commissions des affaires étrangères et des finances ont beaucoup discuté du tableau, certes explicable, mais terrible inscrit dans le jaune budgétaire : on y voit la Turquie arriver en tête des pays destinataires de notre aide et le Brésil, qui nous insulte régulièrement, figurer en quatrième position, le Mali atteignant seulement le dix-neuvième rang. Bien sûr, il y a des raisons techniques, que vous allez exposer, monsieur le ministre ; mais vous comprenez bien le trouble qui peut naître chez un certain nombre de collègues.
Je sais que vous voulez recentrer l’aide sur nos priorités. Le Sénat vous soutiendra. Vous avez parlé d’un comité de pilotage restreint : où en êtes-vous à cet égard ?
S’agissant enfin de l’évaluation, trop lacunaire, trop dispersée et trop procédurale, elle est de longue date notre talon d’Achille. Ce qui tient lieu d’évaluation aujourd’hui ne permet en aucun cas le pilotage par les résultats tel que nous le souhaitons. Quels résultats ont produit les millions d’euros, pour ne pas dire davantage, déversés dans le sable du bassin du fleuve Niger ? Personne ne peut le dire.
Comme les rapporteurs pour avis l’ont expliqué, la comparaison que nous avons faite avec le Royaume-Uni nous a persuadés qu’une commission véritablement indépendante, appuyée sur de l’expertise privée, permet une meilleure évaluation de l’aide. C’est pourquoi nous ne sommes pas totalement convaincus par le projet de rattacher la future commission d’évaluation à la Cour des comptes. (Mme la rapporteure pour avis opine.) Ce n’est pas encore à la hauteur de l’enjeu : nous avons besoin d’un instrument complètement nouveau.
Monsieur le ministre, nous voulons de l’audace, et vous en êtes capable ! Nous voulons une évaluation resserrée, qui nous permette de juger vraiment de l’utilisation de l’argent public.
Dans ce contexte, les positions sont assez différenciées : au sein de mon groupe, la tendance est plutôt négative ; la commission des affaires étrangères s’est prononcée pour l’adoption des crédits ; quant à la commission des finances, elle appelle à les rejeter.
M. le président. Veuillez conclure.
M. Christian Cambon. Monsieur le ministre, nous espérons que vos explications conforteront notre sentiment sur l’importance de l’aide au développement !
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais relayer les propos préparés par André Vallini.
Le projet de loi de finances prévoit une hausse de 210 millions d’euros de la mission « Aide publique au développement » pour 2020. Cette augmentation est bienvenue, mais elle reste insuffisante si on la rapporte à la trajectoire nécessaire pour tenir l’engagement, pris par le Président de la République, de consacrer, d’ici à 2022, 0,55 % de la richesse de notre pays à l’aide publique au développement.
En 2019, le Gouvernement a mis l’accent sur l’augmentation des autorisations d’engagement. Cette hausse doit non seulement se poursuivre en 2020, mais être accompagnée d’une hausse significative, elle aussi, des crédits de paiement pour permettre une mise en œuvre effective des projets.
Plus précisément, l’utilisation actuelle de l’aide publique au développement n’est pas entièrement satisfaisante pour plusieurs raisons.
D’abord, la part pilotable – soit la part pour laquelle le donateur est en capacité de maîtriser les flux – de l’aide publique au développement augmente, mais elle ne reste pas dans les mêmes proportions par rapport à l’APD globale, ce qui ne permet pas une accélération de la mise en œuvre des projets.
Actuellement, la crainte est que les 0,55 % du RNB – objectif fixé par le Président de la République – soient affectés à tout ce qui ne concerne pas directement l’aide publique au développement, c’est-à-dire à des projets sans pilotage – l’accueil des étrangers, les bourses aux étudiants étrangers, etc.
Concernant les instruments que la France mobilise pour mettre en œuvre son APD, ils ne sont pas toujours les plus pertinents, dans la mesure, notamment, où la part des prêts reste très importante, alors que ce sont les dons qui permettent de soutenir au mieux les pays les moins avancés, en particulier dans les domaines sociaux et éducatifs.
Pour ce qui est de la diplomatie féministe, malgré des engagements répétés, la France se contente d’un objectif de 50 % de son APD prenant en compte la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Pour 2019, les prévisions concernant les crédits bilatéraux sont en deçà de 20 %, en décalage par rapport aux annonces du Président de la République.
Ensuite, la politique migratoire de la France présente un risque de dévoiement de l’APD, qui doit avoir pour objectif la lutte contre la pauvreté, les inégalités et leurs conséquences. Vouloir en faire un levier pour une autre politique revient à l’instrumentaliser au profit d’enjeux qui ne devraient pas lui être associés.
Par ailleurs, comment ne pas s’interroger sur la confirmation de financements à certains pays – ce point a été évoqué précédemment – tels le Brésil ou la Turquie ? Comment justifier ces choix, au moment où le Président de la République a affirmé, à bon droit, vouloir concentrer prioritairement notre aide sur l’Afrique ?
Compte tenu de la progression rapide des moyens qui lui sont consacrés, se pose la question de l’évaluation de l’aide publique au développement. Or, dans le projet de loi de finances pour 2020, les crédits dédiés à l’évaluation restent modestes, et aucune enveloppe spécifique n’est prévue pour le fonctionnement de la nouvelle commission d’évaluation qui pourrait être créée par la future loi d’orientation que nous attendions en 2019, et qui devrait arriver en 2020. Il devient donc urgent, dans le cadre de ce futur texte, de préciser les choix du Gouvernement en matière d’évaluation.
En 2015, le Royaume-Uni a adopté une loi fixant l’aide publique au développement à 0,7 % de son RNB et a créé, parallèlement, un dispositif d’évaluation avec un organisme dédié qui permet de rendre des comptes à la commission parlementaire chargée du développement. Sur ce point, je rejoins mon collègue Richard Yung : nous souhaitons qu’il en aille de même dans la prochaine loi d’orientation et de programmation.
Sous réserve des critiques que je viens de formuler, et pour encourager le Gouvernement à aller plus loin et plus vite encore, nous voterons les crédits de la mission « Aide publique au développement ». (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM les rapporteurs spéciaux applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Jeansannetas.
M. Éric Jeansannetas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’extrême pauvreté a reculé au cours de ces trente dernières années, notamment sous la pression des huit objectifs du millénaire pour le développement, les bouleversements qui agitent aujourd’hui notre monde nous invitent à rester vigilants sur cette évolution.
En effet, aux fractures anciennes, qui avaient conduit au déséquilibre économique entre le Nord et le Sud, s’en ajoutent de nouvelles liées au changement climatique qui entraîne des déplacements massifs de populations. La crise migratoire qui a frappé l’Union européenne à partir de 2015 nous le rappelle : ce qui se passe là-bas n’est pas sans conséquence ici.
La question du développement nécessite donc une action collective forte. En tant que cinquième contributeur, la France y prend toute sa part. À cet égard, je rappellerai que notre pays a accueilli des annonces très importantes en matière d’aide au développement lors du G 7 qui s’est tenu à Biarritz, annonces qui, je l’espère, seront de nature à amplifier la remobilisation des États après le creux résultant de la crise financière de 2007-2008.
Je salue également l’ambition que le Président de la République a affichée au début de son mandat et qu’il a réaffirmée depuis, à savoir porter l’aide publique au développement à 0,55 % de notre revenu national brut d’ici à 2022, sous réserve que ce cap soit atteint.
Je me réjouis que la mission que nous examinons s’inscrive dans cette trajectoire volontaire. Les rapporteurs accordent d’ailleurs une confiance, certes prudente, mais réelle, à l’atteinte de l’objectif de 0,47 % du RNB.
Depuis 2016, un cercle vertueux s’est enclenché. S’il se poursuit, il permettra à la France de remplir ses engagements pour contribuer efficacement aux objectifs fixés par la communauté internationale.
Au-delà de la question de son niveau, je souhaite également évoquer le contenu de l’aide, au travers de la ventilation des moyens mis à la disposition de l’Agence française de développement, le principal levier du soutien public.
La mission comporte une augmentation de la capacité de l’Agence à accorder des prêts à l’étranger grâce à une hausse des crédits de bonification des prêts de l’ordre de 1,1 milliard d’euros en autorisations d’engagement pour 2020. Si cet effort est positif, je regrette, en revanche, que la capacité de l’Agence à accorder les dons soit affaiblie, enregistrant une baisse de 600 millions d’euros par rapport à l’année passée.
Ayant souvent eu ce débat sur le rapport entre les dons et les prêts, nous connaissons la conséquence de la prédominance des prêts : elle bouscule la définition des priorités, en ce qu’elle tend à exclure les pays les plus pauvres et les plus fragiles.
À l’inverse, les grands émergents, dont le niveau de développement est assez élevé et qui bénéficient de prêts faiblement concessionnels, se voient ainsi bien soutenus par l’aide publique au développement.
C’est pourquoi, sans remettre en cause les projets dans des pays qui participent de l’influence française dans le monde, il est toutefois urgent de redéfinir nos priorités. Aussi, nous attendons avec impatience l’examen par le Parlement du prochain projet de loi d’orientation et de programmation – vous l’avez confirmé, monsieur le ministre, nous devrions examiner ce texte dans quelques mois.
Dans cette perspective, je souhaite d’ores et déjà évoquer quelques pistes tirées des enseignements du dernier rapport de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.
Ce document, mes chers collègues, soulève le manque d’efficacité de l’aide extérieure des contributeurs, qui ne ciblerait pas suffisamment leurs priorités de développement. Est-il normal, en effet, que dix pays sur quarante-sept captent 70 % de l’aide mondiale, parmi lesquels l’Angola qui va passer au statut de pays en développement en 2021 ?
Pourtant, une évidence demeure : c’est en Afrique que sévit la plus grande pauvreté, ce qui nous invite à réaffirmer son caractère de zone géographique prioritaire, s’agissant en particulier des pays les moins avancés.
L’Organisation des Nations unies (ONU) suggère aussi de revoir l’orientation de l’aide qu’elle juge, par exemple, trop axée sur les centres urbains, dans des pays où les trois quarts de la population vivent en milieu rural.
Sans sous-estimer la persistance de grands défis sanitaires, on peut aussi relever que le soutien est en grande partie concentré sur l’éducation et la santé, à hauteur de 45 % du total de l’aide mondiale, alors que les infrastructures économiques, qui créent les emplois, n’en captent que 14 %.
Enfin, il serait également souhaitable de bien évaluer la façon dont est canalisée notre aide sur place, afin que ne soient pas financées des multinationales avec de l’argent public.
Je prendrai un exemple : les dons qui bénéficient à des cimentiers nationaux de pays d’Afrique francophone, cimentiers qui sont en réalité reliés au sein d’une multinationale, conduisent ces groupes à abaisser leur coût du travail au détriment d’entreprises vraiment locales.
Toutes ces observations me conduisent à répéter que la remontée en puissance de l’aide publique au développement est indispensable, à condition de redéfinir clairement les orientations de celle-ci.
Mes chers collègues, cette mission ne recouvre pas tout l’effort financier que nous consacrons au développement, mais elle est le reflet d’une dynamique entamée depuis quelques années, et dont on peut se réjouir.
Le RDSE soutiendra bien entendu ce budget qui reflète une politique à laquelle adhèrent 79 % de nos concitoyens, bien conscients des enjeux qu’elle recouvre.
En effet, et pour reprendre les mots de l’ancien président François Mitterrand, exprimés devant les Nations unies le 1er septembre 1981 : « La solidarité pour le développement […] m’apparaît tout à la fois comme la clé de notre avenir commun et une nécessité pour chacun. » (MM. les rapporteurs spéciaux, ainsi que M. Julien Bargeton applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de finances est un moment de vérité comptable et politique.
La question qui nous est posée est la suivante : les crédits pour 2020 sont-ils à la hauteur des ambitions de la France sur la scène internationale ?
Il convient de rappeler que partout où elle est déployée, l’aide publique au développement est un moyen de permettre une amélioration de la qualité de vie des habitants, un outil participant à la sécurité dans le monde, ainsi qu’un instrument diplomatique.
Tout d’abord, je voudrais attirer votre attention sur la nature de l’aide publique au développement. Force est de constater que la part de l’aide directe a reculé au profit de l’aide sous forme de prêts en vertu de choix stratégiques étonnants. C’est précisément cet aspect qui pose question, monsieur le ministre, car nous sommes étonnés par certains bénéficiaires de l’AFD.
J’en donnerai deux exemples.
Premièrement, la Chine. Alors que ce pays détient une part de la dette américaine, alors qu’on impose des normes de traçabilité à tout va sur le territoire national, il est déroutant de constater qu’une banque publique française peut aider à coups de centaines de millions d’euros l’investissement dans un pays où l’échelle des valeurs est inversée.
Deuxièmement, la Turquie. Elle bénéficie d’aides, alors même que la politique de M. Erdogan a pour incidence la résurgence de l’État islamique contre lequel nous sommes engagés au Levant et en Afrique.
Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, c’est au fléchage de l’aide que nous réagissons. Il est aux antipodes de la politique que vous menez, et pour laquelle vous œuvrez sans relâche à la tête de votre ministère.
J’en viens maintenant au point névralgique de l’APD française : son pilotage.
Sur ce sujet, mon groupe soutient totalement la démarche du président Cambon et du rapporteur pour avis Jean-Pierre Vial qui appellent à une nouvelle relation avec l’administration, à sa responsabilisation et au retour à un véritable pilotage politique par le Gouvernement et le Parlement.
C’est aussi de la tutelle des opérateurs de l’aide au développement qu’il s’agit. L’AFD dépend de Bercy. Néanmoins, pour tout ce qui concerne l’aide au développement, l’Agence et sa direction ne peuvent se substituer aux décideurs politiques. La stratégie de l’AFD doit être impérativement synchronisée avec celle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE). Aujourd’hui, il est urgent de revoir le pilotage stratégique de l’Agence sur les projets résultant de choix politiques.
J’estime que la priorité stratégique et géographique doit être donnée à l’Afrique. Ce continent est menacé par l’islamisme extrémiste et a du mal à gérer sa croissance démographique exponentielle. Il représente un défi à l’échelle de la planète.
J’aborderai maintenant l’importance de l’évaluation.
Aucune politique ne peut se soustraire au contrôle. Sans évaluation, comment savoir si une politique doit être reconduite ou non ? Au moment où la réduction des dépenses publiques et les réformes touchent au cœur les Français, nous devons en permanence être animés par le souci de l’efficacité de chaque euro investi.
Avant de conclure, je souhaite revenir sur ce qui est devenu une très mauvaise habitude de Bercy, à savoir le détournement des produits des taxes, pourtant conçues pour alimenter des crédits de missions. C’est le cas de la taxe de solidarité, dont seule une part est affectée au développement.
Monsieur le ministre, les crédits de la mission « Aide publique au développement » ont été rejetés par la commission des finances. Mon groupe fera de même, non pas par esprit de polémique ni dans un objectif politicien, mais au nom d’une volonté affichée de transparence et d’un meilleur pilotage politique. Nous souhaitons un retour à une politique cohérente avec notre diplomatie. Je sais que les travaux que vous engagez avec notre commission des affaires étrangères iront dans ce sens, mais nous voulons signaler la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Plusieurs orateurs, dont le président Cambon, l’ont souligné, l’aide publique au développement est un instrument majeur de notre politique étrangère. Elle nous permet d’agir de façon concrète sur le terrain pour inscrire dans la durée nos efforts de gestion des crises, pour lutter contre les inégalités mondiales, pour protéger les biens communs que sont la planète, la culture et la santé des populations.
La mission budgétaire qui vous est présentée aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, se compose de deux programmes, le programme 110, « Aide économique et financière au développement », géré par le ministère de l’économie et des finances – ce programme bénéficie, monsieur Jeansannetas, de 1,14 milliard d’euros de crédits de paiement, et non d’une augmentation équivalente en autorisations d’engagement – et le programme 209, « Solidarité à l’égard des pays en développement », dont la gestion revient à mon ministère.
Permettez-moi d’indiquer les trois grandes priorités que j’ai souhaité inscrire sur ce dernier programme.
La première est de porter progressivement notre APD à 0,55 % de la richesse nationale brute d’ici à 2022. Un projet de loi de programmation sera soumis au début de l’année prochaine au conseil des ministres puis au Parlement – ce texte existe bien, je l’ai vu.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. C’est sûr ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il y a quelques jours, le Premier ministre a rappelé cet engagement lors de son déplacement à Dakar, où vous vous trouviez également présent, monsieur le président Cambon. Cet engagement sera tenu.
C’est d’autant plus important que nous avions atteint il y a quelques années le plus bas niveau d’aide publique au développement que nous ayons connu – 8 milliards d’euros ; nous avons entamé, si j’ose dire, une remontada, puisque chaque année nous progressons.
Et nous progressons en fonction des normes fixées et validées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), lesquelles nous permettent d’évaluer notre aide au développement par rapport au RNB.
Comme l’ont dit beaucoup d’orateurs, avec une hausse de 119 millions d’euros pour 2020, soit de près de 7 %, nous poursuivons notre trajectoire ascendante, ce qui devrait nous permettre d’atteindre 0,46 % du RNB en 2020. Les engagements sont donc tenus, monsieur Mouiller, et nous allons poursuivre dans cette direction.
Permettez-moi de faire deux observations à ce sujet.
Nous n’avons pas abandonné l’objectif de 0,7 %, monsieur Lagourgue : il nous faudra progresser au-delà des 0,55 % préconisés par le Président de la République.
Par ailleurs, pour lever toute ambiguïté, l’apurement des dettes à la manière française signifie leur transformation en dons. Dès lors qu’une dette est remboursée, le montant est réinvesti par la France. Je tenais à le préciser, parce que depuis plusieurs années, une partie de l’aide publique au développement s’établit ainsi.
Notre deuxième priorité est de mettre en œuvre les orientations définies par le Cicid le 8 février dernier : il s’agit de concentrer nos efforts sur des problématiques majeures, claires et respectées – le climat, la santé, l’éducation, le traitement des fragilités, la prévention des crises et l’égalité entre les femmes et les hommes – et sur des priorités géographiques. Le Cicid a ainsi établi une liste de dix-neuf pays prioritaires, dont dix-huit en Afrique, le dernier étant Haïti. Je tiens à indiquer devant le Sénat que ces priorités sont bien tenues.
Ainsi en 2018, les premiers bénéficiaires des subventions octroyées par l’AFD étaient le Niger, Haïti, le Burkina Faso et le Sénégal. S’agissant de 2019, tout n’est pas encore pleinement engagé, mais, selon les estimations dont je dispose, madame Prunaud, près de 70 % de l’AFD portée par le programme 209 bénéficieront à ces pays prioritaires.
Telle est la réalité : nous avons apporté les inflexions nécessaires dans la répartition des aides, afin d’inverser la situation.
Notre troisième priorité est le rééquilibrage des acteurs, des bénéficiaires et des instruments de notre APD.
Nous allons renforcer les moyens consacrés aux projets engagés directement par les ambassades dans le cadre des fonds de solidarité pour les projets innovants, autrement dit les FSPI, à hauteur de 60 millions d’euros. Je précise, madame Perol-Dumont, qu’une partie de ces FSPI permet de financer des acteurs qui mobiliseront les financements ainsi déconcentrés.
Toujours dans le cadre de notre aide bilatérale, l’aide humanitaire bénéficiera de 100 millions d’euros supplémentaires. C’est la première fois que nous allons consacrer un tel montant aux moyens de gestion et de sortie de crise – il faut dire que la situation le nécessite.
Quant aux moyens de l’AFD, ils vont de nouveau augmenter au titre de l’aide-projet avec 1 milliard d’euros en autorisations d’engagement et une augmentation de 148 millions d’euros en crédits de paiement. Je rappelle que les normes de calcul de l’aide publique au développement se font en fonction des crédits de paiement, et non pas des autorisations d’engagement – c’est une précision tout à fait essentielle dans l’appréciation du projet budgétaire que je vous présente aujourd’hui.
Je souhaite également souligner que nous allons augmenter les fonds soutenant la société civile, avec un dépassement du seuil de 100 millions d’euros pour la subvention relative aux dons aux ONG mise en œuvre par l’AFD, et que nous allons renforcer les crédits pour la coopération décentralisée, l’objectif étant leur doublement.
Je précise à cet égard, monsieur Vial, que la contrainte du 1,2 % relative aux financements décentralisés de l’aide publique au développement, qu’ils proviennent de l’État ou de l’Union européenne, sera prochainement levée pour les collectivités. La forte offensive qui avait été menée par la commission des affaires étrangères du Sénat et par les représentants des collectivités locales va donc aboutir.
Je formulerai maintenant un certain nombre d’observations concernant les trois points soulevés par le président Cambon : le pilotage politique, la lisibilité et l’évaluation.
La rénovation de notre politique d’aide publique au développement passera obligatoirement par un pilotage politique renforcé, notamment de l’État sur ses opérateurs. Cette exigence va de pair avec l’augmentation des moyens et des subventions, dont les sommes sont devenues considérables. Le Sénat exprime régulièrement cette préoccupation légitime. C’est pourquoi j’ai pris une série de mesures que j’estime indispensables.
Ces mesures concernent l’AFD au premier chef, car il s’agit de l’un des principaux opérateurs de notre politique de développement.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En amont, c’est-à-dire en année n-1, mes services réalisent à ma demande un cadrage des secteurs prioritaires d’emploi du don-projet de l’AFD en pleine cohérence avec le Cicid. Par ailleurs, une programmation géographique est effectuée en associant les postes pour les secteurs prioritaires d’emploi du don-projet et pour les prêts.
En d’autres termes, nous ne signons pas un chèque en blanc en début d’année à l’AFD. C’est l’État qui fixera, sous mon autorité, les objectifs et les critères d’emploi des subventions et les orientations des prêts en pleine cohérence avec notre politique extérieure.
En cours d’année, je tiendrai un conseil d’orientation stratégique de l’AFD avec l’ensemble des ministères concernés. Cette enceinte était en sommeil depuis 2011. Le prochain conseil se réunira dès le début de l’année prochaine.
J’ai par ailleurs souhaité que se tienne désormais un comité de pilotage plus restreint à mon niveau, avec le directeur général de l’AFD et l’un de mes collaborateurs tous les deux mois. L’objectif est simple : réaliser des points d’étape réguliers sur l’activité de l’AFD et s’assurer que les résultats attendus sur le terrain sont au rendez-vous. Ce nouveau cycle a été inauguré il y a quelques jours.
Ce pilotage politique de l’AFD ne doit pas seulement se faire à Paris. Il doit aussi se faire sur le terrain. C’est pourquoi j’ai décidé de renforcer considérablement le rôle de l’ambassadeur, qui doit être le pilote unique de l’équipe France, rassemblant l’ensemble des acteurs qui travaillent au sein de l’ambassade ou auprès des opérateurs.
Mme Hélène Conway-Mouret. Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Concrètement, l’ambassadeur doit être en position d’assurer la pleine cohérence entre tous les instruments de notre politique, qu’ils soient à la main du poste ou d’opérateurs comme l’AFD. Nous allons mettre en place à cette fin un conseil local du développement présidé par l’ambassadeur qui lui permettra d’orienter tous les efforts – de l’État, de l’AFD et des ONG françaises – sur un même territoire.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure pour avis. Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Les objectifs globaux seront précisés dans le projet de loi de programmation, et les initiatives que je prends seront aussi inscrites dans ce texte.
Vous le voyez, ma détermination pour piloter cette politique est totale.
La commission des affaires étrangères s’est interrogée sur les questions de la transparence et de la redevabilité : nous devons accorder plus de moyens à cette politique et renforcer l’évaluation de notre aide. C’est pourquoi la création d’une commission d’évaluation indépendante sera prévue dans le projet de loi, madame Perol-Dumont, monsieur Collin, sur le modèle de ce qui existe déjà chez certains de nos partenaires européens.
Je souhaite que cette commission d’évaluation soit indépendante et qu’elle ne soit pas une filiale de la Cour des comptes. Cette dernière pourra toutefois éventuellement en assurer le secrétariat.
Monsieur le président Cambon – mes propos s’adressent en priorité à vous, car vous avez formulé beaucoup d’observations au nom de la commission des affaires étrangères à ce sujet –, mesdames, messieurs les sénateurs, nous devions être présents à ce rendez-vous. Vous avez poussé en ce sens, et c’est pourquoi je voulais vous donner ces informations en avant-première.
Je partage vos préoccupations, et j’espère que toutes ces dispositions permettront à notre politique d’être beaucoup plus claire et cohérente. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées des groupes SOCR et RDSE, ainsi qu’au banc des commissions.)
aide publique au développement
M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Aide publique au développement », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Aide publique au développement |
7 299 207 550 |
3 268 358 324 |
Aide économique et financière au développement |
4 464 336 042 |
1 136 844 974 |
Solidarité à l’égard des pays en développement |
2 834 871 508 |
2 131 513 350 |
Dont titre 2 |
161 448 923 |
161 448 923 |
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° II-376, présenté par Mme Prunaud et M. P. Laurent, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Aide économique et financière au développement |
|
150 000 000 |
|
150 000 000 |
Solidarité à l’égard des pays en développement dont titre 2 |
150 000 000 |
|
150 000 000 |
|
TOTAL |
150 000 000 |
150 000 000 |
150 000 000 |
150 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Comme je l’ai dit lors de mon intervention précédente, mon groupe est très critique quant à la pratique visant à faire des prêts le levier principal de l’aide publique au développement : elle éloigne de la réelle APD les pays qui en ont le plus besoin.
Les principaux bénéficiaires sont la Colombie, le Maroc, l’Indonésie, la Côte d’Ivoire et le Cameroun. Ces pays ont certes besoin d’être accompagnés dans leur développement, mais ils ont comme point commun une économie suffisamment développée pour leur permettre d’être solvables. Leur endettement augmente, ce qui grève leur capacité d’investissement infrastructurelle.
Dans le même temps, dans les 76 pays les plus pauvres du globe, la dette a doublé en dix ans. Dans certains cas extrêmes, mes chers collègues, comme l’Éthiopie ou la Zambie, l’endettement a respectivement augmenté de 885 % et de 521 %. C’est incroyable !
Cette situation renforce la dépendance de ces États vis-à-vis de leurs créanciers, mais aussi de grands groupes industriels – ce dernier point est très important. Globalement, la part de la dette détenue par des groupes privés est passée de 17 % en 2008 à 41 % aujourd’hui.
Pour ces raisons, nous proposons le présent amendement.
M. le président. L’amendement n° II-445, présenté par Mme Lepage, M. Leconte, Mme Conway-Mouret, MM. Todeschini, Kanner, Boutant et Devinaz, Mme G. Jourda, M. Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Temal, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Aide économique et financière au développement |
100 000 000 |
100 000 000 |
||
Solidarité à l’égard des pays en développement dont titre 2 |
100 000 000 |
100 000 000 |
|
|
TOTAL |
100 000 000 |
100 000 000 |
100 000 000 |
100 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Le budget consacré à l’aide publique au développement a augmenté de plus de 3 milliards d’euros par rapport à la loi de finances pour 2019 ; on ne peut que s’en réjouir.
Pour autant, il privilégie l’aide économique et financière – donc une logique de prêts et non de dons –, et les aides multilatérales, ainsi que les grands bailleurs internationaux au détriment d’une aide bilatérale classique fondée sur la solidarité et l’aide-projet.
Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit d’ailleurs une baisse de 520 millions d’euros des autorisations d’engagement du don-projet par rapport à 2019.
Le présent amendement vise à flécher 100 millions d’euros de crédits de paiement supplémentaires vers l’action n° 02, Coopération bilatérale, au sein du programme « Solidarité à l’égard des pays en développement », et à réduire de 100 millions d’euros les crédits de paiement de l’action n° 01, Aide économique et financière multilatérale, au sein du même programme.
Il a donc pour objet d’augmenter les crédits de l’action Coopération bilatérale de 100 millions d’euros destinés à alimenter une aide publique au développement fondée sur la solidarité, et non sur la rentabilité des investissements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. Nous avons bien compris que l’amendement n° II-376 a pour objet de rééquilibrer l’aide publique au développement vers les pays les moins favorisés. Votre intention est tout à fait louable, madame Prunaud, mais la commission des finances vous demande de bien vouloir le retirer, faute de quoi elle y sera défavorable. Nous restons ainsi cohérents avec notre décision de rejeter les crédits de la mission.
De la même manière, la commission demande le retrait de l’amendement n° II-445, qui vise à affecter 100 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement aux aides-projets mises en œuvre par l’AFD. À défaut, elle y sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je ferai remarquer aux auteurs de ces deux amendements que le Gouvernement inverse totalement sa politique en faveur du développement en privilégiant les dons par rapport aux prêts. Il me semblait avoir été suffisamment clair. J’ajoute que les chiffres en attestent.
Cette orientation est d’ailleurs tout à fait logique : nous voulons rendre nos actions plus cohérentes avec les priorités fixées par le Cicid, notamment en direction des dix-neuf pays que celui-ci a définis comme prioritaires. En outre, nous voulons développer l’aide bilatérale.
Cela étant, il ne faut pas non plus tout mettre sur le dos de notre tendance à recourir aux prêts. Certains de ces prêts servent en effet à financer des projets d’infrastructures importants, qui ne pourraient pas être réalisés grâce aux seuls dons. Un certain nombre de prêts sont également accordés dans le cadre de financements multilatéraux dans lesquels nous sommes impliqués.
Il faut faire preuve d’une certaine pondération, même si la volonté que nous affichons et traduisons concrètement dans ce projet de loi de finances, comme vous pouvez le constater, est de renforcer l’aide bilatérale et les dons.
Le Gouvernement est donc défavorable aux deux amendements.
Je profite de l’occasion pour préciser quelques points en réponse à M. Mouiller. En effet, je veux lever toute ambiguïté entre nous et m’assurer que l’on parle de la même chose.
Certains prêts dépendent du programme 110 : il s’agit de prêts concessionnels qui dépendent d’une contribution budgétaire de l’État, du contribuable donc, puisque le taux d’intérêt est accordé à des conditions préférentielles.
Dans votre intervention, monsieur le sénateur, vous avez parlé de prêts consentis par l’AFD à la Chine et à la Turquie. Or ces prêts ne coûtent rien au contribuable français. C’est parce que l’AFD est notée AAA au niveau international qu’elle est en mesure d’octroyer des prêts à un certain nombre de pays : ces opérations n’entrent ni dans la comptabilité du programme 110 ni dans celle du programme 209. Ce n’est donc pas la même chose.
Pour autant, cet aspect de l’action de l’AFD, qui est un peu extérieure à notre discussion budgétaire, implique une grande vigilance : il faut que ses prêts ciblent uniquement des projets contribuant réellement à la lutte contre le réchauffement climatique, à la lutte contre les inégalités et au développement. Voilà quel doit être le critère d’évaluation. Mais, je le redis, ces aides sont consenties indépendamment de toute participation du contribuable français et sont extérieures au programme 110.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je profite du débat sur ces deux amendements, que je ne voterai pas, pour parler de l’AFD.
Monsieur le ministre, le moins que l’on puisse dire, c’est que je ne suis pas admiratif de la politique menée par l’Agence. Et quand je dis que je ne suis pas admiratif, je veux dire que nous sommes extraordinairement critiques : l’AFD dérape, l’AFD dérive ! On constate une absence totale de pilotage politique. Vous nous annoncez que vous allez bientôt y remédier : tant mieux, mais attendons déjà de voir comment ce pilotage renforcé se concrétisera. Jusqu’ici, l’AFD se prend pour un État dans l’État : elle décide seule de ce qu’elle fait.
Pardonnez-moi de vous le dire, vous avez certes raison de préciser que les prêts accordés à la Chine ne le sont pas sur le budget de l’État, mais l’aide au développement dont parlait M. Jeansannetas, quand il a rappelé les propos de François Mitterrand, correspond à cette époque mythique où l’on allait aider les pays africains, pour l’essentiel, à se développer.
Aujourd’hui, l’aide au développement englobe l’octroi de prêts à la Chine : même si ce n’est pas l’argent des contribuables, est-ce vraiment à notre pays de prêter de l’argent à la Chine pour l’aider à résoudre ses problèmes climatiques ? Aidons-nous déjà nous-mêmes dans ce domaine !
Est-ce que le fait de prêter plusieurs milliards d’euros à Erdogan pour que la Turquie garde les migrants sur son territoire constitue encore de l’aide au développement ? N’est-ce pas plutôt un enjeu de sécurité et de défense, un enjeu de politique internationale ? Surtout que, à y réfléchir, M. Erdogan nous fait maintenant subir un chantage en nous menaçant de nous les renvoyer, en plus de nous renvoyer les djihadistes.
Tout cela est insensé ! Ce système a explosé et dérivé. Si vous ne reprenez pas la main politiquement, monsieur le ministre, afin que les choix du Gouvernement, et non ceux de l’AFD, soient bien les choix faits par l’AFD, nous n’en sortirons pas ! Aujourd’hui, cela pose de vrais problèmes. Pardonnez-moi, mais l’aide au développement ne doit pas servir à cela. Nous attendons plutôt un meilleur soutien de la France à l’Afrique et à la francophonie.
Monsieur le ministre, il se trouve que je m’intéresse à l’audiovisuel public extérieur en tant que rapporteur spécial de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Or je vous ai entendu dire ce matin que l’AFD refusait de financer France Médias Monde. Comment se fait-il que certaines chaînes de France Médias Monde, dans l’ensemble de l’Afrique, ne soient plus en mesure d’émettre faute de crédits et que l’AFD refuse de bouger ? Cette situation est absurde !
Comme je suis de ceux – malheureusement ou heureusement – qui ont contribué à inverser la position de la commission des finances pour qu’elle émette un avis défavorable sur les crédits de la mission, je solliciterai une suspension de séance de deux minutes, monsieur le président, pour consulter l’ensemble des élus de mon groupe à la fin de la discussion sur les amendements. Cela nous permettra de déterminer s’il nous faut modifier notre vote. Selon que nous estimerons ou non que votre engagement à mettre en œuvre un pilotage politique est crédible, monsieur le ministre, nous pourrions nous abstenir. (M. Christian Cambon applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, pour explication de vote.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. L’intervention de Roger Karoutchi semble attester que nous allons au-delà de simples explications de vote sur les amendements.
Pour mon groupe, l’AFD est un formidable outil : cette banque fait son travail, mais ne peut remplacer la ligne politique qui doit être mise en œuvre par le Gouvernement. C’est la raison pour laquelle, tout en saluant le travail de l’AFD, je vous répète que nous attendons avec beaucoup d’impatience le projet de loi d’orientation et de programmation dans lequel, nous le savons, monsieur le ministre, car nous vous connaissons, vous reprendrez la main. Il y a urgence ! Ce texte doit être adopté avant la fin de la mandature. Il a été annoncé, et cela fait plus d’un an qu’on l’attend.
J’en reviens aux deux amendements.
Ils vont dans le même sens puisque, sans entrer dans le détail, ils visent à affirmer une certaine conception de l’aide publique au développement, en rééquilibrant l’affectation des crédits entre les programmes 110 et 209.
La différence porte simplement sur le montant des transferts. L’amendement de Mme Prunaud a pour objet de redéployer 150 millions d’euros, contre 100 millions d’euros dans l’amendement de mon groupe. En tout état de cause, je souscris à la logique qui les sous-tend.
Nous aurions pu voter l’amendement de nos collègues communistes, mais il nous semble que le nôtre est plus approprié. C’est la raison pour laquelle nous voterons sans états d’âme l’amendement n° II-445, tout en remerciant le groupe communiste d’avoir déposé un amendement qui nous conforte dans notre position.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Mon intervention s’inscrit dans la suite des propos de Roger Karoutchi.
J’ai été extrêmement dur en commission des finances au sujet des dysfonctionnements constatés dans la gouvernance de l’AFD. Nous sommes tous d’accord pour dire – c’est le sens de ces amendements – que l’AFD doit mener davantage de projets. Il s’agit d’un formidable outil de financement et de soutien aux projets un peu partout dans le monde, pour les pays vraiment en développement.
Cependant, monsieur le ministre, vous êtes le membre du Gouvernement qui vient défendre les crédits de l’aide au développement devant le Parlement. Vous ne pouvez pas avoir une espèce de sous-ministre, qui n’est pas même nommé membre du Gouvernement par le Président de la République, qui dise partout que c’est lui qui distribue l’argent !
Tous les parlementaires qui se déplacent à l’étranger dressent le même bilan : ce n’est plus acceptable ! J’ai le plus grand respect pour les hauts fonctionnaires – je suis mal placé pour dire le contraire –, mais, pour moi, la République a un sens. Nous vous demandons d’agir pour pouvoir vous redonner notre confiance, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour explication de vote.
M. Alain Joyandet. Je voudrais apporter un rapide témoignage sur les relations problématiques entre l’AFD et le Gouvernement, qui semblent être au cœur de nos discussions actuelles, et qui risquent d’orienter le vote de la commission des finances.
En réalité, ces rapports ont toujours été compliqués. L’AFD a toujours voulu voler de ses propres ailes, mais à chaque fois que le Gouvernement a été en mesure de faire respecter ses orientations politiques, cela n’a posé aucun problème. Je me souviens d’une période où l’AFD déployait très peu de crédits et attendait le feu vert du Gouvernement pour agir. Lorsque le Gouvernement lui a dit de le faire, l’AFD a considérablement augmenté le volume de ses prêts.
S’il y avait une vraie volonté politique de la part de ce gouvernement de reprendre en main les grandes décisions qui doivent être appliquées par l’AFD, il me semble que les choses devraient fonctionner. Organiquement, cela ne devrait poser aucun problème.
Il y a peut-être aussi un manque de disponibilité du Gouvernement : on ne peut pas reprocher à l’AFD d’agir toute seule si elle ne reçoit pas d’instructions régulières et a le sentiment qu’il n’y a aucun ministre pour s’occuper de ces questions. Dans ce cas, l’AFD fait de son mieux.
Les responsabilités sont partagées : il y a une question de volonté politique et une question de disponibilité, car, monsieur le ministre, vous avez énormément de choses à faire de par le monde.
Dans toutes les instances françaises ou internationales, à chaque fois que le politique démissionne, l’administration a besoin de très peu de temps pour reprendre le pouvoir en main. C’est donc bien une question de volonté politique, et je suis persuadé que l’AFD n’attend qu’une chose, à savoir un vrai partenariat avec le Gouvernement et une grande disponibilité du ministre pour travailler d’un commun accord.
Je dirai un dernier mot à propos de la question des subventions et des prêts. À titre personnel, je pense que le prêt est un levier de développement souvent beaucoup plus efficace que la subvention, parce qu’il permet d’engager beaucoup plus de projets et d’obtenir un meilleur retour sur investissement. Il faut donc à la fois des dons – il en faut toujours un peu évidemment – et des prêts, souverains ou pas, parce qu’ils sont très intéressants.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.
Mme Hélène Conway-Mouret. Je me réjouis que l’une des propositions que notre ancien collègue Henri de Raincourt et moi-même avions faites il y a trois ou quatre ans dans un rapport soit entendue. En effet, nous demandions qu’un ministre à part entière soit chargé du développement. J’ai l’impression, monsieur le ministre, que vous allez agir dans ce sens. C’est aussi le rôle du Sénat de faire des propositions, même si la mise en œuvre de celles-ci prend parfois du temps.
Je veux également revenir sur la proposition d’un pilotage local sous la responsabilité des ambassadeurs. Il s’agit d’une excellente initiative, parce que l’ambassadeur est aujourd’hui chargé de l’équipe France, et que l’aide publique au développement doit figurer en bonne place dans cette équipe.
Enfin, au-delà des grands projets d’infrastructures qui peuvent être mis en œuvre, bon nombre de petits projets, absolument nécessaires dans certains pays, permettraient de rendre l’engagement de la France plus visible et de le faire apprécier tel qu’il le mérite.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Je voudrais faire entendre un autre son de cloche. Quand je me rends à l’étranger, en particulier en Afrique, je visite toujours le bureau de l’AFD. Dans les quarante ou cinquante pays où je suis allé, j’ai toujours eu des remontées positives sur l’action de l’AFD de la part des autorités du pays et des entrepreneurs.
L’AFD fait bien sûr l’objet d’un certain nombre de critiques, en particulier le fait que les projets sont trop lents à aboutir, qu’elle s’occupe davantage des grandes entreprises que des petites, etc. Ces critiques que j’entends régulièrement diffèrent de celles que vous formulez cet après-midi.
Si je comprends bien, mes chers collègues, vous évoquez le problème de la double tutelle : celle du ministère des finances et celle du ministère des affaires étrangères. On connaît bien ce problème, puisqu’on a le même pour l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, par exemple. Et ce n’est pas maintenant et ici que l’on va le résoudre !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je me réjouis de ce débat. Au moment où nous renforçons de manière très sensible les moyens de l’AFD et où, par ailleurs, se manifeste une véritable attente vis-à-vis de la France en matière d’aide au développement, il fallait que l’on puisse se dire les choses. Cette discussion est donc tout à fait utile.
J’ai pris un certain nombre d’engagements devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Ce ne sont pas des engagements d’opportunité, puisque les axes majeurs que j’ai développés, un peu brièvement tout à l’heure, correspondent aux priorités que j’ai fixées lors du comité interministériel qui s’est réuni en vue de préparer le projet de loi d’orientation et de programmation sur la coopération.
Le projet de loi sera déposé en début d’année prochaine, et une partie des engagements que j’ai pris aujourd’hui figureront dans le texte. Je pense en particulier à l’évaluation, au conseil d’orientation stratégique de l’AFP, au rôle de l’ambassadeur sur place, et à la méthodologie que j’ai décrite tout à l’heure.
Ensuite, on peut se demander, comme l’a fait M. Joyandet, si c’est le rôle du ministre des affaires étrangères de se charger de la politique d’aide au développement. Je pense que oui, même si je ne manque pas d’activités. (Sourires.) En effet, selon moi, l’aide au développement est en lien permanent avec la diplomatie, et si cette action n’est pas incarnée, cela ne peut pas fonctionner.
Par ailleurs, vu les enjeux politiques autour de l’AFD, si ce n’est pas le ministre de tutelle qui assure cette responsabilité politique, alors rien ne se fera. Dans ce cas, la double tutelle équivaudra à pas de tutelle du tout.
À chacun de mes déplacements diplomatiques à l’étranger – cela peut aussi être de la diplomatie économique –, je fais en sorte de rencontrer les acteurs de l’AFD sur le terrain et demande à chaque fois à voir des réalisations concrètes et physiques.
M. Alain Joyandet. Nous l’avons tous fait !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il faut continuer, monsieur le sénateur, notamment pour essayer de réduire les délais nécessaires à la réalisation des projets et d’améliorer notre réactivité. C’est tout à fait essentiel, et ça l’est encore davantage au Sahel, compte tenu des événements dramatiques qui se sont déroulés ces derniers jours. L’Alliance Sahel sera sans doute le laboratoire de cette nouvelle donne.
Je demande à être jugé sur pièces, sur mes actes. Ma détermination est tout à fait inébranlable en la matière.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° II-377, présenté par Mme Prunaud et M. P. Laurent, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Aide économique et financière au développement |
|
15 000 000 |
|
15 000 000 |
Solidarité à l’égard des pays en développement dont titre 2 |
15 000 000 |
|
15 000 000 |
|
TOTAL |
15 000 000 |
15 000 000 |
15 000 000 |
15 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. La société civile française, tout comme nous tous, est très mobilisée dans le cadre de l’aide publique au développement. Au sein de l’OCDE, la société civile, notamment les ONG, représente en moyenne 15 % de l’aide publique au développement ; en France, cette proportion est tout de même cinq fois moindre. Nous sommes encore loin de l’objectif annoncé par le Président de la République de 10 % de crédits affectés à l’aide publique au développement transitant par la société civile.
La France fait en quelque sorte l’inverse de l’Allemagne, qui a choisi de faire prioritairement reposer sur les ONG l’aide publique au développement transitant par la société civile. Dans cette configuration, les entreprises n’interviennent qu’en appui.
Cela explique sûrement la raison pour laquelle le volume de l’aide publique au développement passant par les ONG stagne en France, alors que les financements accordés par l’AFD au secteur privé ont progressé de 14 % à 19 % en trois ans. Ce choix nous paraît contestable tant l’expertise des ONG dans l’aide au développement n’est plus à démontrer. La pratique consistant à s’appuyer prioritairement sur les entreprises ne peut qu’alimenter le recours aux contrats, ce qui transforme l’aide publique au développement en outil de prospection de nouveaux marchés pour les entreprises.
M. le président. L’amendement n° II-444, présenté par Mme Lepage, M. Leconte, Mme Conway-Mouret, MM. Todeschini, Kanner, Boutant et Devinaz, Mme G. Jourda, M. Mazuir, Mme Perol-Dumont, MM. Roger, Temal, Vallini, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Aide économique et financière au développement |
|
10 000 000 |
|
10 000 000 |
Solidarité à l’égard des pays en développement dont titre 2 |
10 000 000 |
|
10 000 000 |
|
TOTAL |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Cet amendement va dans le même sens.
Le Président de la République a fixé des objectifs ambitieux pour l’aide publique au développement. Il a également souhaité que cette politique soit plus efficace et plus utile pour celles et ceux à qui elle est destinée. Le renforcement de la coopération au service du développement économique et du progrès humain exige une très forte mobilisation de la communauté internationale, qui associe, au-delà des États, tous les acteurs du développement, en particulier les ONG.
Ces dernières sont devenues au fil des années de véritables acteurs au cœur des enjeux du développement, nécessaires à la mise en œuvre de notre politique. Pour autant, la part de l’aide publique au développement qui transite par les ONG reste bien faible – 6,7 % – dans notre pays par rapport aux autres pays de l’OCDE où elle représente 16 % en moyenne en 2019.
Cet amendement a pour objet d’augmenter de 10 millions d’euros les crédits de l’aide publique au développement qui transitent par la société civile en les fléchant vers l’action n° 02, Coopération bilatérale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. L’amendement n° II-377 vise à accroître de 15 millions d’euros les crédits de l’aide publique bilatérale transitant par les ONG, au détriment du programme 110. Par cohérence avec la position de la commission des finances, qui a rejeté les crédits de la mission, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, madame Prunaud, faute de quoi j’y serai défavorable.
L’amendement n° II-444 est similaire, si ce n’est que le mouvement de crédits concerne 10 millions d’euros. La commission émet le même avis : demande de retrait ou avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Les auteurs de ces amendements savent que je suis déterminé à accroître les crédits qui transitent par les ONG. Je l’ai dit à plusieurs reprises. J’ai même annoncé dans cette enceinte que je voulais doubler le montant de ces crédits d’ici à la fin de ce quinquennat. Je suis dans une logique haussière incontestable, puisque le présent projet de loi de finances consacre une hausse du montant des crédits du programme 209, ainsi qu’un accès amélioré aux financements pour les ONG qui travaillent dans l’humanitaire ou au niveau des centres de crise.
La trajectoire budgétaire est positive. Nous parviendrons au résultat escompté en suivant ce rythme, sans accélérer, mais en faisant preuve d’une grande résolution.
Le Gouvernement est défavorable aux amendements, parce qu’il a déjà réalisé des efforts significatifs et qu’il continuera à en faire dans les années qui viennent.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, pour explication de vote.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Sans surprise, les amendements présentés par Mme Prunaud et par Mme Lepage vont encore une fois dans le même sens, puisqu’ils tendent à accorder une part plus importante à la société civile et aux ONG.
Nos collègues sénateurs des Français de l’étranger, Hélène Conway-Mouret à mes côtés et ceux qui siègent sur toutes les travées, ont très fréquemment l’occasion d’observer les réalisations soutenues par l’AFD sur le terrain.
Pour reparler de la mission conjointe du Sénat et de l’Assemblée nationale à Madagascar, qui est toute récente, puisque nous sommes rentrés en France en début de semaine, nous avons pu constater de visu, que ce soit dans des secteurs très urbanisés comme à Antananarivo ou sur les hauts plateaux, le travail de l’AFD avec les ONG et la société civile sur des projets très importants comme sur des micro-projets. L’ambassadeur à Madagascar nous ayant beaucoup accompagnés au cours de cette mission, nous avons également pu mesurer le rôle que peuvent tenir ces ambassadeurs.
D’ailleurs, nous avons eu un dîner très intéressant à l’ambassade au cours duquel l’ambassadeur a convié toutes les associations et toute la société civile. Nous avons pu observer comment l’AFD, les ONG, la société civile et l’ambassade pouvaient travailler main dans la main avec le nouveau gouvernement pour lutter contre la corruption dans un pays, Madagascar, où il s’agit d’un réel fléau.
Monsieur le ministre, nous allons maintenir notre amendement. Vous avez fait des efforts, mais nous estimons qu’il faut aller encore plus loin pour véritablement intégrer les ONG et la société civile à ce travail. La part qu’elles prennent est extrêmement importante, et je crois qu’il conviendrait de l’accroître plus rapidement encore.
Une fois de plus, nous nous abstiendrons sur l’amendement de nos camarades communistes et voterons le nôtre.
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud, pour explication de vote.
Mme Christine Prunaud. J’avoue ne pas savoir si je dois retirer mon amendement. Je ne sais pas si l’on peut se fier à vos annonces, monsieur le ministre.
Mme Christine Prunaud. Vous avez parlé d’un doublement du montant des crédits transitant par les ONG, d’un comité de pilotage de l’AFD, de revoir les critères d’attribution des prêts. J’en profite pour vous demander si vous comptez réviser les critères du prêt à la Turquie, compte tenu de son attitude vis-à-vis des migrants. C’est un sujet essentiel pour nous, et même un point de crispation.
Cela dit, je vais vous faire confiance, monsieur le ministre, et je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° II-377 est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° II-444.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Monsieur Karoutchi, vous m’aviez demandé de suspendre la séance. Le souhaitez-vous toujours ?
M. Roger Karoutchi. Ce n’est plus nécessaire, monsieur le président.
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Aide publique au développement », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission des finances est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 47 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 201 |
Pour l’adoption | 183 |
Contre | 18 |
Le Sénat a adopté les crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – M. Yvon Collin, rapporteur spécial, applaudit également.)
J’appelle en discussion l’article 73 D, qui est rattaché pour son examen aux crédits de la mission « Aide publique au développement ».
Aide publique au développement
Article 73 D (nouveau)
Le Gouvernement remet chaque année au Parlement, au plus tard le 30 juin, un rapport présentant :
1° L’activité du Fonds monétaire international au cours de son dernier exercice budgétaire, notamment les actions entreprises par le Fonds monétaire international pour améliorer la situation économique des États qui font appel à son concours ;
2° L’activité de la Banque mondiale au cours de son dernier exercice budgétaire, notamment les actions entreprises par la Banque mondiale pour améliorer la situation économique des États qui font appel à son concours et un suivi des projets qui ont bénéficié de ses financements ;
3° Les décisions adoptées par les instances dirigeantes du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ;
4° Les positions défendues par la France au sein de ces instances dirigeantes ;
5° L’ensemble des opérations financières réalisées entre, d’une part, la France et le Fonds monétaire international et, d’autre part, la France et la Banque mondiale.
M. le président. L’amendement n° II-4, présenté par MM. Requier et Collin, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Claude Requier, rapporteur spécial. L’article 73 D tend à prévoir la remise au Parlement d’un rapport annuel sur l’activité du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, notamment sur les actions entreprises pour améliorer la situation économique des États faisant appel à leurs concours, ainsi que sur la position de la France au sein de ces organisations et sur l’ensemble des opérations financières réalisées entre la France et ces organisations.
La commission des finances estime que la plupart de ces informations sont déjà partiellement accessibles dans les rapports d’activité annuels du FMI et de la Banque mondiale.
En outre, plutôt qu’une nouvelle demande de rapport annuel, la commission des finances considère qu’il revient au Gouvernement de remettre au Parlement, chaque année et en temps utile, le rapport de synthèse de la politique de développement et de solidarité, tel que le prévoit déjà la loi d’orientation et de programmation de 2014.
Enfin, un doute subsiste quant à l’appartenance de cet article au domaine des lois de finances, tel qu’il est défini par l’article 34 de la LOLF.
Pour ces raisons, la commission propose de supprimer l’article rattaché à la mission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l’article 73 D est supprimé.
compte de concours financiers : prêts à des états étrangers
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », figurant à l’état D.
ÉTAT D
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Prêts à des États étrangers |
1 250 296 650 |
1 041 669 980 |
Prêts du Trésor à des États étrangers en vue de faciliter la vente de biens et de services concourant au développement du commerce extérieur de la France |
1 000 000 000 |
367 073 330 |
Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France |
250 296 650 |
250 296 650 |
Prêts à l’Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers |
0 |
424 300 000 |
Prêts aux États membres de l’Union européenne dont la monnaie est l’euro |
0 |
0 |
M. le président. Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt.)
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Santé » (et articles 78 duodecies à 78 sexdecies).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à la lecture du projet de loi de finances pour 2020, nous nous interrogeons : peut-on encore parler de budget « Santé » ?
En effet, la mission « Santé » tend aujourd’hui à se résumer au programme 183, « Protection maladie », principalement consacré au financement de l’aide médicale de l’État, laquelle concentre 82 % des crédits.
La faiblesse des moyens accordés au programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », qui représentait 46 % des crédits de la mission « Santé », est principalement due à des mesures de périmètre, accompagnées de coups de rabot sur les dépenses d’intervention. L’effort de maîtrise des dépenses sur la mission « Santé » repose d’ailleurs uniquement sur le programme 204, dont les crédits ont diminué de 69 % depuis 2013, tandis que le programme 183 a vu ses crédits progresser de 27 % sur la même période.
Dans ces conditions, en raison d’importantes mesures de périmètre, représentant une baisse de 266,1 millions d’euros et sur lesquelles je vais revenir, les crédits de paiement demandés au titre de la mission « Santé » pour 2020 s’élèvent à 1 143,5 millions d’euros. À périmètre constant, ce montant correspond à une baisse de 1 % par rapport à 2019.
S’agissant des mesures de périmètre, je m’interroge sur leur bien-fondé. Elles consistent en effet en des transferts de crédits destinés à des opérateurs du budget de l’État vers la sécurité sociale.
Ces mouvements ne m’apparaissent pas suffisamment justifiés et ne peuvent uniquement être motivés par une clarification de la répartition des compétences entre l’État et la sécurité sociale, sauf à conduire à la disparition de la mission « Santé » du budget de l’État.
Les missions assignées à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et à l’Agence nationale de santé publique (ANSP) ne relèvent pas, de prime abord, d’une logique contributive que suppose, pourtant, leur rattachement au budget de la sécurité sociale.
Au-delà des questions de périmètre, je m’interroge sur l’efficacité même du programme consacré, je vous le rappelle, à la prévention. Les indicateurs de performance visant la lutte contre le tabagisme, la vaccination contre la grippe ou le dépistage du cancer colorectal suscitent des interrogations sur l’efficacité de la dépense publique en matière de prévention, tant les résultats ne sont pas au rendez-vous. Je m’inquiète, en outre, de l’écart entre les ambitions annoncées par le Gouvernement en matière de santé et leur trajectoire budgétaire.
Concernant le programme 204, je relève un effort de sincérité budgétaire dans deux dossiers – la Dépakine et Wallis-et-Futuna – qui vient répondre directement aux remarques formulées par le Sénat à l’occasion de l’examen du projet de loi de règlement pour 2018.
Venons-en désormais à ce programme 183, consacré quasi intégralement à l’aide médicale de l’État, la fameuse AME.
Le maintien au niveau de 2019 des crédits consacrés à l’AME, soit 934,4 millions d’euros, n’apparaît pas soutenable au regard de la progression de la dépense constatée en 2018 – la progression est de 52 millions d’euros – et des premiers retours de terrain. Ceux-ci traduisent une augmentation régulière du recours à l’AME de droit commun : elle s’accroît de 46 % en montant et de 25 % en nombre de bénéficiaires depuis 2012.
Les crédits prévus pour 2020 traduisent, de fait, une nouvelle sous-budgétisation de l’AME pour soins urgents : 30 millions d’euros entre l’exécution de 2018 et la prévision pour 2019 et 2020. Cela aboutira inévitablement à une progression de la dette à l’égard de la Caisse nationale d’assurance maladie, déjà établie à 35 millions d’euros.
La part croissante des dépenses d’AME dans le budget de la mission « Santé » tend à réduire celui-ci à une enveloppe de financement de ce dispositif. Son dynamisme, conjugué à une sous-budgétisation récurrente, incite à l’adoption de mesures structurelles, visant les modalités d’accès aux soins et le panier de soins, afin de limiter sa progression, de répondre à l’impératif de sincérité budgétaire et de garantir la soutenabilité de la mission.
C’est d’ailleurs le sens des amendements que je vous proposerai, mes chers collègues.
Madame la secrétaire d’État, nous avons pu constater que, pour la première fois, le Premier ministre et l’ensemble de l’exécutif étaient prêts à engager un débat sur l’AME. La situation évolue ! L’Assemblée nationale, elle aussi, a fait quelques mouvements… De ce fait, nous avons le sentiment, cette année, d’être un peu plus entendus que les années précédentes.
Le sujet suscite des débats y compris dans notre assemblée, que ce soit au sein de la commission des affaires sociales ou au sein de la commission des finances.
Il faut continuer à alerter sur la situation dans laquelle cette AME, que nous considérons presque « sans limite », place nos hôpitaux. Mais j’espère aussi que la réflexion et les échanges qui s’engagent avec l’exécutif, avec l’Assemblée nationale, nous permettront de trouver des solutions pour faire avancer le dossier, de trouver l’équilibre entre la rigueur budgétaire et l’humanisme dont nous devons tous faire preuve dès lors qu’il s’agit de soigner, et ce que le patient soit français ou immigré.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Alain Joyandet, rapporteur pour avis. Sous réserve de l’adoption des amendements qu’elle vous proposera, mes chers collègues, la commission des finances donnera un avis favorable aux crédits de la mission « Santé ». (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Santé » se trouve désormais confrontée à une véritable crise existentielle.
Le basculement vers l’assurance maladie du financement de la plupart des agences responsables de notre politique sanitaire pose la question de la pertinence d’un programme 204 qui ne comprend plus, comme opérateur à part entière, que l’Institut national du cancer (INCa). Or ce dernier a lui-même vocation à voir ses moyens reportés à terme sur le budget de l’assurance maladie. Faut-il comprendre, madame la secrétaire d’État, que le programme 204 disparaîtra bientôt ?
J’en viens aux crédits du programme 183, « Protection maladie ».
Pour 2020, il est prévu de consacrer un peu plus de 919 millions d’euros au financement de l’AME, un montant en diminution de 15 millions d’euros par rapport à 2019. Cette baisse, résultant d’un amendement du Gouvernement adopté par l’Assemblée nationale, tire les conséquences des mesures de restriction des conditions d’accès à certains soins pour les bénéficiaires de l’aide médicale de l’État.
Sur le plan de la sincérité budgétaire, la dépense d’AME semble désormais mieux maîtrisée. Les projections du Gouvernement se fondent sur une hypothèse globale de stabilisation du nombre de bénéficiaires en 2019 et 2020. Compte tenu du renforcement de la lutte contre l’immigration illégale, l’hypothèse d’un reflux du nombre de bénéficiaires à moyen terme n’est d’ailleurs plus à exclure.
La commission des affaires sociales a réaffirmé néanmoins son opposition à la réinstauration d’un droit de timbre. Déjà expérimentée par le passé, cette mesure est inefficace : faute d’accès aux soins de prévention, les personnes en situation irrégulière se présentent effectivement aux urgences, avec une prise en charge dont le coût sera aggravé par leur état de santé dégradé. Le résultat, c’est un transfert de la charge sur le budget des hôpitaux.
De même, notre commission s’inquiète des tentations de réduction du panier de soins de l’AME.
Sur l’initiative du Gouvernement, les députés ont institué un délai d’ancienneté dans le dispositif de l’AME pour bénéficier de certains soins. Il serait utile, madame la secrétaire d’État, que vous nous précisiez le fonctionnement des mécanismes d’entente préalable entre l’assurance maladie et l’équipe médicale qui garantiront, je l’espère, l’accès aux soins lorsque l’examen clinique le justifie, même si la condition d’ancienneté n’est pas remplie. N’oublions pas, en effet, que seuls les soignants sont en capacité de définir le parcours de soins le plus pertinent compte tenu de l’état de santé du patient.
Sous réserve de ces observations, la commission des affaires sociales a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Santé ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous aurions pu adopter sereinement un budget stabilisé et sincère si le Gouvernement n’avait délibérément lancé et alimenté une séquence détestable sur l’aide médicale de l’État.
Au lieu de cela, l’examen de la mission « Santé », cette année, est entaché par une polémique qui n’honore pas le parti présidentiel, à rebours des engagements pris par le Président de la République et du soutien apporté jusque-là par la ministre de la santé, pour qui – elle nous le déclarait l’an dernier – une restriction de l’AME ne pouvait aboutir qu’à « engorger les urgences, augmenter le coût des soins et favoriser l’émergence de maladies contagieuses ».
Ce mauvais feuilleton a démarré avec la dénonciation de la fraude, à grand renfort de fausses informations, la plus scandaleuse ayant été celle de femmes étrangères qui viendraient en France pour se faire poser des prothèses mammaires aux frais de l’aide médicale de l’État.
Il a donc fallu attendre le rapport des corps d’inspection pour démentir, point par point, ces allégations.
Non, le panier de soins de l’AME ne comporte pas de soins dit « de confort ». Il est plus réduit que celui des assurés sociaux et exclut les médicaments à faible service médical rendu, les médicaments princeps pour lesquels un générique existe, la PMA ou encore les cures thermales. Il ne comporte d’ailleurs pas de programme de prévention, comme des dépistages bucco-dentaires pour les enfants, alors même que davantage de soins préventifs reviendraient à mieux contenir les dépenses.
Non, hormis quelques filières organisées contre lesquelles il faut bien entendu lutter, la fraude à l’aide médicale de l’État n’est pas massive. Elle est même marginale, trois fois inférieure, en ordre de grandeur, à la fraude à l’assurance maladie.
Non, le problème de l’aide médicale de l’État n’est pas d’ordre financier. Il vient plutôt du fait que cette aide ne remplit pas entièrement son objectif humanitaire. On enregistre, effectivement, un taux extrêmement élevé de non-recours à l’AME – 80 % des ayants droit, selon certaines études ; 50 % selon celle, récente, qui vient d’être publiée par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) et l’université de Bordeaux.
Cette séquence fut donc lamentable et, malgré les démentis, le mal est fait. Ces polémiques alimentent préjugés et divisions. Que le Gouvernement le veuille ou non, il a nourri une nouvelle fois la remise en cause de l’ensemble du dispositif.
Quand on sait que l’aide médicale de l’État est l’une des prestations sociales les plus contrôlées, si ce n’est pas la plus contrôlée, y compris individuellement, à tous les stades de la procédure d’attribution, et, à côté de cela, que l’entreprise Amazon – nous sommes le vendredi dit Black Friday – dissimule au fisc 57 % de son chiffre d’affaires réalisé en France, on se dit que l’égalité devant la répression des fraudes n’est pas au rendez-vous.
Concernant le programme 204 – enfin ce qu’il en reste –, après les transferts à l’assurance maladie, l’an passé, des financements de la Haute Autorité de santé (HAS), de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), des fonds d’intervention régionaux (FIR), de l’Agence de la biomédecine et de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), le périmètre de ce programme est de nouveau notablement réduit avec le transfert des financements de deux agences clés : l’Agence nationale de santé publique et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Cette trajectoire confirme les interrogations et inquiétudes que nous avions déjà exprimées l’année dernière. Quel avenir pour un programme 204 en pleine « crise existentielle », dans un contexte d’affaiblissement du pilotage et des outils de notre politique de santé publique par le ministère, au profit d’une concentration croissante au profit de l’assurance maladie ?
Concernant des sujets aussi majeurs que le médicament, d’une part, et l’expertise et la prévention en santé publique, d’autre part, ces transferts doivent s’inscrire dans une stratégie claire et partagée avec la représentation nationale.
Cela s’avère d’autant plus impératif que le lien de confiance s’est distendu entre nos concitoyens et la politique sanitaire. Oui, je rappelle que le chef de l’État n’avait pas cru utile d’inscrire la santé dans les thèmes du grand débat, mais les Français l’ont placée en tête de leurs préoccupations, et les professionnels, actuellement, ne cessent de sonner l’alarme dans les hôpitaux, dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) – et dans des territoires trop peu considérés.
Les attentes sont fortes en matière de gouvernance et de transparence, et le Gouvernement nous propose un désengagement de l’État de notre Agence nationale de santé publique, déjà bien peu dotée !
Affaiblissement du pilotage politique du ministère ou « étatisation » de l’assurance maladie… Difficile, en tout cas, de saisir les tenants et aboutissants de cette orientation, s’agissant de politiques publiques qui appellent pourtant à une détermination sans précédent.
Je m’en tiendrai à trois exemples.
Le premier exemple concerne la santé environnementale, dont les crédits sont rehaussés à hauteur de 40 % cette année. C’est très bien ! Rappelons toutefois que l’effet de cette hausse, en prévision du plan « Mon environnement, ma santé » annoncé pour avril prochain, est limité par la baisse de 20 % à laquelle il avait été procédé l’an passé. Or, comme l’a très justement mis en avant un rapport inter-inspections d’évaluation du dernier plan de santé environnementale, le caractère inopérant de ce dernier tenait notamment à l’absence de financements suffisants. Il va falloir revoir nos priorités et notre gouvernance en la matière !
Le deuxième exemple porte sur la politique de prévention des addictions, notamment l’alcoolisme. La puissance publique, en matière de volontarisme politique et de financements, n’est malheureusement pas à la hauteur des enjeux. À cet égard, comment expliquer qu’en 2019 un président de la République puisse céder aux lobbies et décider, de lui-même, d’annuler une campagne de santé publique programmée par l’Agence nationale de santé publique, avec l’accord du ministère et des différentes fédérations de santé concernées ?
Le troisième exemple, enfin, a trait à la lutte contre le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), fondue dans la politique de prévention en santé sexuelle, financée à hauteur de 4,85 millions d’euros pour 2020. Les résultats encourageants publiés récemment par Santé publique France en matière de baisse des nouvelles contaminations appellent à redoubler d’efforts sur la prévention et le dépistage. Nous y reviendrons au Parlement.
Madame la secrétaire d’État, la mission « Santé » ne résume ni ne porte à elle seule notre politique de santé. Heureusement ! Mais le Parlement ne devrait pas seulement être amené à constater quelques évolutions ; il devrait être pleinement associé au nécessaire travail de redéfinition du périmètre et du rôle du programme 204. Je ne peux que vous inviter à le faire. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Yves Daudigny. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette mission « Santé » du projet de loi de finances a fait couler beaucoup d’encre au cours des dernières semaines, prise au cœur d’un débat sur l’immigration et l’accueil des demandeurs d’asile.
Cette mission contient effectivement deux programmes. Celui qui est consacré à l’aide médicale de l’État reste au cœur des préoccupations, puisqu’il représente désormais 82 % des crédits de la mission. Néanmoins, attachée aux questions de prévention, je commenterai d’abord les ressources allouées au programme 204.
Ce programme est remanié dans son périmètre, passant de 7 opérateurs en 2015 à 2 opérateurs en 2020. Cette année, ce sont les dotations de l’ANSM et de Santé publique France qui sont transférées à l’assurance maladie.
Au regard des objectifs, nous espérons que ces transferts successifs, sous couvert de simplification, ne dégraderont pas la lisibilité des actions et de leur budget.
Ne subsistent donc dans le programme 204 que quelques crédits épars, dont le financement de l’INCa, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), et du fonds d’indemnisation des victimes de la Dépakine pour un peu plus de 200 millions d’euros. Cela nous interroge sur la volonté du Gouvernement de pérenniser ce programme, pratiquement vidé de son contenu.
La prévention est présentée comme une « priorité » du Gouvernement, et elle doit l’être !
Avec une baisse globale de 3 % à budget constant, nous notons une stagnation des crédits consacrés à l’action n° 12, Santé des populations, et à l’action n° 14, Prévention des maladies chroniques et qualité de vie des malades, à laquelle vient s’ajouter la baisse du budget de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), examiné hier en séance et réduit de 4 millions d’euros par rapport à 2014.
Sur ces sujets majeurs, nous espérions – et espérons encore – un engagement fort de l’État.
Je vais déjà saluer les trois mesures positives : la lutte contre le tabac, dont on a vu les effets ; l’accroissement du fonds en faveur de la santé environnementale et la politique de vaccination obligatoire, qui portera probablement des fruits en termes de couverture vaccinale de la population.
Mais j’insisterai aussi sur deux autres sujets.
D’une part, le taux de vaccination contre la grippe, qui tue encore 10 000 personnes chaque hiver, stagne chez les plus de 65 ans. Les mesures de simplification de l’accès à la vaccination décidées dans le plan « Ma santé 2022 » devraient, je l’espère, corriger cette situation. Quant à la vaccination des professionnels de santé, je continue à penser que l’obligation vaccinale reste souhaitable.
D’autre part, un indicateur sur la qualité microbiologique de l’eau a attiré mon attention – sujet dont on parle peu, mais qui est éminemment important. Il stagne, après une amélioration avant 2015. Encore plus de 12 % des prélèvements d’eau potable ne sont pas microbiologiquement conformes, et c’est sur les petits réseaux, de moins de 500 habitants, que cette non-conformité est significativement plus élevée. Cela peut nous interroger.
Avec la disparition annoncée de ce programme, madame la secrétaire d’État, aurons-nous encore une visibilité sur ces sujets, et un moment pour en discuter ?
J’évoquerai, enfin, les comités de protection des personnes (CPP), qui jouent un rôle important dans l’accès précoce aux médicaments innovants. Nous saluons l’augmentation pérenne de leur budget à hauteur de 700 000 euros, qui permettra le financement de 14 équivalents temps plein supplémentaires. C’est une avancée, qui reste toutefois insuffisante pour permettre aux 39 CPP de fonctionner de manière continue. Mais nous ne manquerons pas de revenir plus en détail sur le sujet, lors de l’examen de la proposition de loi que je défendrai avec mes collègues Catherine Deroche et Yves Daudigny.
J’en viens maintenant au programme 183, consacré presque exclusivement au financement de l’aide médicale de l’État, à hauteur de 934 millions d’euros, ce qui en fait, d’après le rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF) « le milliard le plus scruté de la dépense publique ».
À titre personnel, ce n’est pas celui qui m’inspire le plus ! Face à de tels sujets, complexes et sensibles, j’aime à me rappeler les grands principes guidant ma réflexion : l’humanisme et le respect de la personne ; la protection de la santé publique ; la bonne gestion des deniers publics. Il y a donc un équilibre à trouver : ni trop, ni trop peu…
La commission des finances a déposé plusieurs amendements, afin de transformer l’AME en aide médicale d’urgence (AMU), de réduire le panier de soins et de créer un droit de timbre.
L’AME est trop souvent considérée comme un élément de politique migratoire, alors qu’elle est un dispositif de santé publique. En accord avec la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales, mon groupe, dans sa grande majorité, ne soutiendra pas ces amendements.
S’agissant des modifications introduites à l’Assemblée nationale, nous prenons note des mesures visant à lutter contre la surconsommation et la fraude. Je partage la nécessité de combattre ces dernières, quand elles existent ! Les moyens de contrôle seront-ils toutefois suffisants ?
Revenons-en à des termes budgétaires.
Les dépenses au titre de l’AME, bien qu’en augmentation, ne représentent que 0,5 % des dépenses de l’assurance maladie. L’impact des dernières annonces sur le budget de la mission – soit 15 millions d’euros d’économies prévues – va dans le sens d’une maîtrise budgétaire, que nous saluons.
Toutefois, veillons à ce que certaines de ces mesures, notamment l’allongement du délai d’accès, ne soient pas contre-productives, car des pathologies prises en charge avec retard nécessitent des traitements plus longs, plus lourds et plus coûteux. Une évaluation stricte et rapide de la mesure sera nécessaire. On peut effectivement regretter le peu de chiffres, de statistiques à même de nous éclairer dans notre réflexion, ce qui, souvent, est propre à ouvrir la voie aux fantasmes.
Je terminerai en rappelant que les médecins continueront à exercer leur profession et à soigner les malades, tous les malades ! Faisons leur confiance pour apprécier, au cas par cas, les besoins de chaque patient ; il est indispensable de préserver cette marge d’appréciation des soignants, qui sont en première ligne.
Voilà deux ans, à la même tribune, j’ai conclu en disant qu’il fallait se pencher sur le sujet avec pragmatisme et sans posture. C’est dans ce même état d’esprit, dans l’attente de quelques réponses sur le volet concernant la prévention et avec les quelques réserves émises que mon groupe, dans sa grande majorité, votera en faveur des crédits de la mission « Santé ». (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le montant global des crédits de la mission « Santé » ouverts pour 2020 s’élève à un peu plus de 1 milliard d’euros en crédits de paiement.
Ce montant enregistre une baisse de 19 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2019, celle-ci affichant un montant légèrement supérieur à 1,4 milliard d’euros. Cette baisse ne révèle toutefois pas un manque d’ambition sur une mission aussi importante que celle-ci.
Ce différentiel s’explique principalement par le transfert, de l’État à l’assurance maladie, du financement de l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé et de l’Agence nationale de santé publique.
Cette baisse s’explique également par les efforts financiers demandés aux opérateurs de santé dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
C’est un budget cohérent et concret, qui porte haut les engagements de la stratégie nationale de santé 2018-2022 et du plan Ma santé 2022. Il doit permettre de développer la politique de prévention, d’assurer la sécurité sanitaire et d’organiser une offre de soins de qualité pour nos concitoyens de l’Hexagone et des outre-mer.
La mission « Santé » comprend deux programmes, que je détaillerai brièvement.
Le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », doit permettre d’améliorer l’état de santé général de la population. Son ambition est de réduire les inégalités sociales et territoriales de santé, mais également de prévenir et de maîtriser les risques sanitaires.
Nous pouvons nous réjouir qu’un effort particulier soit apporté à la recherche sur le cancer : les chiffres de cette maladie demeurent préoccupants, et les progrès encore limités. Un peu plus de 41 millions d’euros en crédits de paiement sont ainsi consacrés pour 2020 au financement de l’Institut national du cancer, chargé de la stratégie décennale de lutte contre le cancer.
Les crédits ouverts pour la prévention des risques liés à l’environnement et à l’alimentation connaissent, quant à eux, une forte augmentation. Ils s’élèvent pour 2020 à 25 millions d’euros contre un peu plus de 18 millions d’euros en 2019. Ces crédits permettront de renforcer le rôle et l’action de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) ou de l’Anses.
Les dépenses d’indemnisation des victimes de la Dépakine vont, par ailleurs, faire l’objet d’ajustements structurants afin d’accélérer le traitement, jusque-là complexe, des dossiers. Le dispositif d’indemnisation, dont la gestion est assurée par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam), a effectivement connu une montée en charge progressive au cours des dernières années. Les crédits seront ainsi portés à 53,6 millions d’euros pour l’année 2020.
Le programme 183, « Protection maladie », agit en faveur de l’accès aux soins des publics les plus défavorisés et de l’indemnisation des victimes de l’amiante. Avec un budget global supérieur à 942 millions d’euros, il est inchangé par rapport à la loi de finances initiale pour 2019.
Le programme 183 est consacré, pour l’essentiel, à l’aide médical de l’État, dont la gestion est confiée à la Caisse nationale de l’assurance maladie. Permettez-moi, mes chers collègues, de m’attarder un instant sur ce dispositif.
Autant le rappeler d’emblée, il n’est pas question, à mon avis, de supprimer l’aide médicale de l’État !
M. Yves Daudigny. Heureusement !
M. Dominique Théophile. Il n’est pas non plus question de supprimer le droit à l’assurance maladie pour les demandeurs d’asile, de revenir sur le panier de soins ou d’exiger une participation financière aux bénéficiaires à l’AME.
Selon nous, rien dans ce budget ne vient remettre en cause les grands principes humanitaires, auxquels nous sommes tous attachés.
Au cours des dernières années, le nombre de bénéficiaires de l’AME a augmenté de manière importante. Près de 300 000 personnes bénéficient du dispositif aujourd’hui. Cette hausse a entraîné un accroissement des dépenses de l’État : en 2018, celles-ci s’élevaient à 848 millions d’euros, soit une hausse de 6 % par rapport à 2017.
Ce constat a conduit le Gouvernement à s’interroger sur l’efficience du système, et sur ses éventuels abus.
Un rapport de l’IGAS a proposé certaines améliorations. Nombre d’entre elles ont été intégrées au texte lors de son examen à l’Assemblée nationale, afin d’améliorer la gestion des demandes et de mieux réguler les dépenses de l’AME et des soins urgents.
Ces améliorations concernent notamment la lutte contre les abus, qui se voit ici renforcée. Il est envisagé de conditionner la prise en charge de certaines prestations programmées et non urgentes, pour les bénéficiaires majeurs de l’AME, à un délai d’ancienneté. Les demandeurs devront désormais se présenter en personne à la caisse primaire d’assurance maladie pour déposer leur demande d’aide.
Enfin, un délai de carence de trois mois est également évoqué pour les demandeurs d’asile souhaitant bénéficier de la protection universelle maladie.
L’enjeu n’est pas ici de restreindre les droits des personnes migrantes, mais de réprimer les abus constatés dans le cadre de l’AME, et de permettre à ceux qui y sont éligibles d’en bénéficier pleinement.
Lors de l’examen de ce texte en commission des finances, plusieurs amendements du rapporteur spécial ont été adoptés. Ils limitent, voire suppriment l’AME, en lui substituant une aide médicale d’urgence.
Ce débat n’est pas nouveau. De telles propositions sont contraires à l’esprit de solidarité et d’humanisme qui anime notre groupe. Les raisons en sont nombreuses et elles ont été énoncées à de multiples reprises.
La commission des affaires sociales, saisie pour avis, a d’ailleurs proposé d’adopter les crédits de la mission « Santé » sans modification. Pour ces différentes raisons, notre groupe votera les crédits tels qu’ils ont été proposés par le Gouvernement. Dans le cas contraire, il votera contre. (Mme Élisabeth Doineau applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en raison du temps qui m’est imparti, mon propos se concentrera sur quatre points.
Premièrement, j’évoquerai le périmètre plus que réduit de la mission « Santé ». Comme cela a été dit par mes prédécesseurs, notamment par la rapporteure Corinne Imbert, que je tiens à remercier pour la qualité de son rapport, nous examinons les crédits d’une mission « Santé » très restreinte, ce que je déplore fortement.
Le transfert de l’ANSM et de l’ANSP vers l’assurance maladie est non seulement un non-sens sur le fond, mais entraîne, pour la mission « Santé », et plus précisément pour le programme 204, une réduction à la portion congrue. La mission devient quasi fantomatique. Nous avons d’ailleurs déposé, pour la nouvelle lecture du PLFSS, demain, un amendement pour arrêter ce transfert.
Deuxièmement, je souhaite m’intéresser à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam) et à la responsabilité de Sanofi dans le scandale de la Dépakine. L’État verse une dotation à l’Oniam pour indemniser les victimes de scandales sanitaires, se substituant ainsi à certains exploitants. Une nouvelle fois, comment ne pas être profondément choqué par l’attitude du laboratoire Sanofi, qui refuse de prendre ses responsabilités et d’indemniser les victimes de la Dépakine ? Pour notre part, nous sommes favorables à certaines pistes évoquées par la rapporteure.
Comme souvent, madame la secrétaire d’État, vous allez répondre qu’une réflexion est en cours, mais, en tant que parlementaire, je suis preneuse d’informations, et je pense ne pas être la seule dans cet hémicycle.
Le troisième point que je souhaiterais aborder porte sur les crédits liés à plusieurs actions, à savoir celle sur les traumatismes et les violences, celle sur la prévention des addictions, ainsi que celle en faveur de la santé mentale : autant d’actions essentielles qui auraient besoin d’un soutien particulier de l’État. Je dois donc vous faire part de l’étonnement de notre groupe, quand il a constaté que ces actions ne bénéficient d’aucune augmentation de crédits par rapport à l’an dernier.
Comment expliquer une telle stagnation des crédits, au moment même où le Gouvernement a organisé un Grenelle contre les violences conjugales et a fait des annonces ambitieuses le 25 novembre dernier, journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes ? Comment ne pas regretter qu’il n’y ait pas de crédits supplémentaires pour créer de nouvelles unités de prise en charge globale du psycho-traumatisme ?
Comment comprendre cette stagnation, après la formidable mobilisation du 23 novembre, qui a vu défiler plusieurs milliers de personnes dans toute la France, réclamant un milliard d’euros ? Quel décalage entre les annonces du Premier ministre et la réalité budgétaire ! Personne, aucune association d’aide aux victimes, d’accompagnement des femmes victimes de violences, n’est dupe. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Dans le domaine des addictions, là aussi, nous nous étonnons que, malgré le lancement du plan gouvernemental en fin d’année 2018, nous retrouvions cette année exactement les mêmes montants.
Enfin, nous faisons la même critique quant aux crédits consacrés à la santé mentale, car, là encore, pas un euro de plus n’est consacré à cette action, malgré la situation dramatique vécue par les établissements psychiatriques et les structures extrahospitalières.
Enfin, j’en viens à mon quatrième point, l’AME. Depuis plusieurs mois, le Président de la République franchit des limites très dangereuses sur la politique migratoire.
Madame la secrétaire d’État, vous êtes chargée de la santé : comment le Gouvernement a-t-il pu déposer un amendement au dernier moment à l’Assemblée nationale pour réduire de 15 millions d’euros les crédits liés à l’AME ?
Pourquoi alimenter de nombreux fantasmes autour de l’AME, quand seuls 38 cas de fraude ont été constatés l’année dernière, pour un préjudice d’à peine 500 000 euros, soit 0,06 % du montant total de l’AME ? Bien sûr, la loi doit punir les fraudeurs, mais avouez que c’est infinitésimal. Pourquoi ne pas montrer la même diligence à l’égard de la fraude patronale, qui s’élève à plusieurs milliards ?
Madame la secrétaire d’État, au-delà de la baisse de crédits, c’est bien le fond de votre réforme qui est profondément choquant, puisque vous prévoyez non seulement de restreindre les conditions d’accès à l’AME, en créant un délai de carence pour accéder à la protection universelle maladie (PUMa), mais également de réduire la durée de l’AME de moitié pour les déboutés d’asile et les personnes sans-papiers. Tous les médecins que nous avons auditionnés s’opposent à ce genre de mesures restrictives, qui risquent de favoriser des épidémies et sont contraires au serment d’Hippocrate.
Madame la secrétaire d’État, avec votre réforme, vous remettez purement et simplement en cause l’accès universel aux soins, en stigmatisant les personnes étrangères.
Je vous rappelle que l’AME ne représente que 0,4 % des quelque 204 milliards d’euros de dépenses de soins. C’est un dispositif de santé publique, de prévention des maladies et des infections qui profite à toute la société, et ne relève en aucun cas du tourisme médical.
Par son attitude, le Gouvernement, qui chasse sur les terres de la droite extrême, encourage une remise en cause toujours plus profonde de l’AME, notamment au moment de l’examen du PLF.
Je souhaite m’adresser à notre collègue M. Joyandet et à une partie de la commission des finances ; je leur demande de renoncer à la suppression de près d’un tiers des crédits liés à l’AME, au droit de timbre et à la limitation du panier de soins, pour les raisons que je viens d’évoquer. Si ces amendements étaient maintenus, nous ne pourrions les voter, comme, je pense, bon nombre de mes collègues de la commission des affaires sociales, toutes sensibilités politiques confondues. Pour conclure, nous ne voterons pas les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons à présent les crédits de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2020, consacrée aux dépenses de santé non couvertes par le budget de la sécurité sociale. Cette mission regroupe deux programmes. Le programme 183 concentre 82 % des crédits ; il est essentiellement consacré au financement de l’aide médicale de l’État pour un montant stable de 934,4 millions d’euros, et au fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante. Le programme 204 rassemble un peu moins de 18 % des crédits de la mission ; il finance les actions de prévention, de sécurité sanitaire et d’amélioration de l’offre et de la qualité des soins pris en charge par l’État.
L’enveloppe globale pour 2020 s’élève à 1,144 milliard d’euros en crédits de paiement, contre 1,422 milliard en 2019, soit une diminution de presque 20 %, très inégalement répartie entre les deux programmes. En effet, l’effort de maîtrise budgétaire repose essentiellement sur la révision du périmètre du programme 204, désormais réduit à peau de chagrin, après le transfert vers l’assurance maladie des crédits de financement de l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé et de l’Agence nationale de santé publique. Les actions de ce programme ont connu une baisse de 69 % de leurs crédits depuis 2013, tandis que les dépenses finançant l’AME connaissent une hausse de 27 % sur la même période.
Nous partageons les interrogations émises par le rapporteur spécial de la commission des finances, M. Joyandet, sur la place de ce programme au sein du budget de l’État et sur l’efficacité de la dépense au regard de ses objectifs de performance. En définitive, quelle est la priorité du Gouvernement en matière de prévention ? Les indicateurs proposés ont-ils démontré leur pertinence et l’efficacité des dépenses de prévention ?
Le seul opérateur restant intégralement financé par cette mission est l’Institut national du cancer (INCa), dont les missions ont été élargies par l’adoption de la loi du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques.
Aussi, la mission « Santé » du PLF pour 2020 tend à se résumer au financement de l’AME, sans doute le milliard le plus polémique de la dépense publique. Cette somme ne représente que 0,6 % de la dépense publique de santé en France, mais notre pays est l’un des plus généreux en termes d’accès au soin pour les étrangers en situation irrégulière. Le récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF) sur l’AME confirme l’existence d’un « tourisme sanitaire » : un quart des migrations irrégulières aurait une motivation d’ordre médical, telle que l’insuffisance rénale.
Nous partageons l’avis du rapporteur spécial, qui dénonce une sous-budgétisation des crédits de l’AME consacrés aux soins urgents. Afin de maîtriser la hausse tendancielle des prestations, le Gouvernement propose notamment d’instaurer un délai d’ancienneté, de réguler l’accès aux soins non urgents et de renforcer les contrôles au stade de l’instruction des demandes. Il s’agit de vérifier la durée minimale de présence sur le territoire ouvrant droit à l’AME, fixée à trois mois, et d’effectuer des contrôles ciblés sur les soins les plus onéreux.
La commission des finances souhaite aller plus loin. Elle propose d’instaurer un droit de timbre de 30 euros, de remplacer le dispositif par une aide médicale d’urgence et de restreindre le panier de soins, afin d’harmoniser la couverture de soins offerte aux étrangers en situation irrégulière présents en France avec celle de nos partenaires européens, tels que l’Espagne, le Danemark ou encore l’Allemagne.
Si nous soutenons la proposition du Gouvernement, nous ne sommes pas favorables à une transformation aussi radicale de l’AME ; seulement un migrant éligible sur deux y a recours, faute de connaissance du dispositif. Durcir les conditions d’accès et la couverture santé des migrants risque d’aggraver l’état de santé de cette population déjà précaire et de reporter la charge des soins sur les hôpitaux.
Ainsi, selon l’issue des discussions, soit nous voterons en faveur de la mission, soit nous nous abstiendrons. (M. Jean-Louis Lagourgue applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, année après année, la mission « Santé », composée des programmes 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », et 183, « Protection maladie », se résume toujours davantage à un débat centré sur l’aide médicale de l’État. Cette attention exacerbée portée à l’action n° 02 du programme 183 s’explique sans doute par le fait que l’AME absorbe progressivement la quasi-totalité de l’enveloppe dévolue à la mission « Santé », soit 82 % de celle-ci pour 2020, contre près de 45 % en 2010.
Cela s’explique par un double phénomène. Premièrement, l’État a des difficultés à contenir, jusqu’à récemment, les dépenses liées à l’AME – elles ont quasiment doublé entre 2004 et 2017 – et tous les gouvernements précédents ont fait preuve d’un manque de sincérité, puisque jamais cette mission n’a été abondée à hauteur des besoins.
Deuxièmement, la plupart des agences responsables de la politique sanitaire ont basculé vers l’assurance maladie. En effet, le programme 204 ne comprend plus, comme opérateur à part entière, que l’INCa. Or, ce dernier a lui-même vocation à voir ses moyens reportés à terme sur le budget de l’assurance maladie.
Pour 2020, les modifications de périmètre du programme 204 le conduisent à enregistrer une baisse de ses crédits de 58 %, alors que le budget de l’AME restera lui sensiblement inchangé par rapport à 2019.
Cet automne, sur fond de débat sur la politique migratoire, l’aide médicale de l’État est la cible de nombreuses critiques et d’une réforme gouvernementale, alors même que le rapport de l’IGAS et de l’IGF d’octobre note que l’AME « n’est pas un outil de politique migratoire ».
Concernant la gestion du dispositif, je souligne plusieurs évolutions intéressantes. Grâce notamment à une stabilisation du nombre de bénéficiaires, l’AME jouit d’une plus grande sincérité budgétaire. Le recours au fichier Visabio et la centralisation de la gestion de l’AME par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) de Paris, de Bobigny et de Marseille vont permettre un renforcement du pilotage du dispositif et du contrôle des dossiers, tout en homogénéisant leurs traitements. Aussi, comme l’année dernière, je salue la position responsable et mesurée de notre rapporteure pour avis, Corinne Imbert.
L’AME est une nécessité humanitaire, sanitaire et économique. À sa manière, elle participe à la politique publique de prévention sanitaire. Un droit de timbre et l’accès aux seuls soins d’urgence, comme le propose le rapporteur pour avis de la commission des finances, seraient tout bonnement contre-productifs. Les gains visés à court terme seraient dépassés par les coûts induits, notamment le recours aux urgences. Selon les référentiels des groupes politiques, l’AME incarne soit un mal nécessaire, soit le salut de notre nation. Cependant, en définitive, dans une vision purement pragmatique, l’AME est et restera une aide indispensable, avec un rapport bénéfices-risques avantageux.
Est-il nécessaire de remettre en perspective le montant de l’AME face à celui de la consommation de soins et de biens médicaux en France ?
J’en viens à la réforme proposée par le Gouvernement. Nous déplorons une nouvelle fois le mauvais signal envoyé au Parlement par le Gouvernement, qui introduit sa réforme par voie d’amendements, la nuit même précédant l’examen de la mission « Santé » par l’Assemblée nationale. Certes, madame la secrétaire d’État, vous attendiez la remise du rapport de l’IGAS et de l’IGF pour agir. Mais celui-ci peine, en définitive, à trancher le débat et à apporter des éléments objectivables et chiffrés face aux nombreuses rumeurs et fantasmes. La mission évoque des « suspicions de migrations pour soins » et rejette l’idée d’une réduction du panier de soins. Elle propose plutôt de conditionner la dispensation de certains soins à un délai d’ancienneté.
À mon sens, les pistes les plus pertinentes de réforme de l’AME sont à chercher du côté de la simplification des échanges d’informations et des procédures entre les CPAM et les hôpitaux. Enfin, je rappelle le point de vigilance évoqué par Mme Imbert. Le conditionnement de l’accès à certains soins pour les bénéficiaires de l’AME devra pleinement laisser aux soignants une marge d’appréciation suffisante dans l’évaluation des besoins de chaque patient.
Sinon, quel est le risque ? Décourager un recours aux soins, entraînant in fine une explosion des dépenses de santé et des maladies infectieuses.
Pour conclure, je m’interroge sur le devenir de la mission « Santé », hors aide médicale de l’État. Ne faudrait-il pas la refonder, en s’appuyant sur quelques programmes forts ? C’est le sens de l’amendement que je défendrai avec mon collègue Jean-François Longeot. La maladie de Lyme est l’une des dix maladies infectieuses les plus fréquentes en France. Le diagnostic, la prise en charge et le traitement de cette maladie divisent la communauté scientifique, laissant les malades dans une errance thérapeutique et dans un désert d’incertitude.
La recherche est un acteur majeur de la prévention. Nous proposons donc de créer un programme spécifique « Recherche contre les maladies vectorielles à tiques », abondé à hauteur de 5 millions d’euros. Cette somme est minime, mais elle constitue une première étape. C’est bien moins que les 15 millions d’euros d’économies demandées à l’AME. Je vous invite à répondre à cet appel des parlementaires, madame la secrétaire d’État.
Le groupe Union Centriste votera les crédits de la mission « Santé », tels qu’ils ont été présentés à la commission des affaires sociales. (M. Philippe Bonnecarrère applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à la veille de la nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il est utile de rappeler que l’ensemble des crédits de la mission « Santé » ne représentent qu’une partie infime des moyens de notre politique publique en matière de santé.
La dotation globale de cette mission s’élève, ainsi, à un peu plus d’un milliard d’euros en 2020, bien loin des 205 milliards de crédits consacrés aux dépenses de la seule branche de l’assurance maladie.
Comme l’ont parfaitement expliqué nos collègues rapporteurs, Corinne Imbert et Alain Joyandet, dont je salue les travaux, les crédits de cette mission sont concentrés dans le programme 183, « Protection maladie », principalement consacré au financement de l’AME, qui représente 82 % des crédits de la mission.
Par ailleurs, le financement des deux principaux opérateurs rattachés au programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », que sont l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et Santé publique France, est transféré à partir de 2020 à l’assurance maladie. Certes, la simplification des circuits de financement des agences sanitaires est nécessaire. Toutefois, la succession des transferts a entraîné une diminution de 70 % des crédits versés à ce programme depuis 2012.
Comme l’a fort justement souligné notre collègue Corinne Imbert, cette constante diminution des crédits dudit programme pose la question de la taille critique nécessaire au meilleur pilotage par l’État de la politique de santé publique. Plus largement, nous devons nous interroger sur le devenir de ce programme, et même sur celui de la mission « Santé ».
J’en viens au programme 183, qui provoque, chaque année, des débats passionnés au sein de notre assemblée. Ce sujet mérite que nous l’abordions de manière sereine. Des mesures sur l’AME ont été présentées le 6 novembre dernier, à l’issue du comité interministériel sur l’immigration. Ces annonces ont conduit le Gouvernement à déposer des amendements, lors de l’examen en séance publique par les députés, de la mission « Santé », le 7 novembre dernier.
Plusieurs mesures ont été adoptées visant à clarifier la condition de résidence et l’obligation de comparution physique devant les services. Pour les soins non vitaux, un délai d’ancienneté et un accord préalable ont été mis en place. Ces mesures ont conduit à une baisse de 15 millions d’euros de l’AME, ramenant son budget à 919 millions d’euros.
Tout le monde dans cet hémicycle reconnaît qu’un dispositif d’accès aux soins d’urgence pour les étrangers, y compris en situation irrégulière, est tout à fait nécessaire, pour des raisons humanitaires et des raisons sanitaires évidentes.
Toutefois, pour qu’un dispositif aussi indispensable puisse être défendu devant nos concitoyens, il faut qu’il soit mieux encadré. Quand le coût de l’AME augmente de 46 % entre 2011 et 2020, il est légitime de s’interroger sur les causes de cette évolution.
Le Gouvernement estime que le renforcement de la lutte contre la fraude à l’AME permettra de limiter l’inflation de cette dépense en 2020. Si nous considérons qu’une telle démarche va dans le bon sens, nous pensons que ces effets seront insuffisants. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains, dans sa grande majorité, soutiendra la position du rapporteur spécial, M. Joyandet. (MM. Jérôme Bascher et Antoine Lefèvre applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le rapporteur spécial, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, vous étudiez aujourd’hui le budget de la mission « Santé » de la loi de finances pour 2020.
Ce budget est marqué par une évolution importante de son périmètre, du fait du transfert à l’assurance maladie du financement de l’ANSM et de l’ANSP, d’où une baisse de 20 % des crédits de la mission. Ces crédits ne représentent toutefois qu’une petite partie des financements que les pouvoirs publics consacrent à la politique de santé. Ils sont, pour l’essentiel, discutés dans le cadre du PLFSS.
Le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », sera doté en 2020 d’un peu plus de 200 millions d’euros, dont un tiers sera consacré au financement de l’INCa et de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Cette dernière verra par ailleurs sa subvention augmenter de 8 millions d’euros, correspondant à la compensation de la suppression de la taxe sur le vapotage.
Comme la ministre vous l’avait annoncé l’année dernière, nous avons poursuivi notre réflexion sur un financement intégral par l’assurance maladie de l’ANSM et de l’ANSP, ce qui nous amène à transférer le financement de ces deux opérateurs dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020.
L’activité de ces deux agences a en effet trait à des produits, les médicaments, ainsi qu’à une activité, la prévention, dont l’essentiel du financement dépend déjà de l’assurance maladie. Ce transfert renforce donc la cohérence des leviers d’action du ministère et n’altère en rien la possibilité pour l’État d’assumer ses responsabilités : la fonction de tutelle stratégique et de tutelle financière de ces deux agences reste inchangée.
Les crédits de prévention au sein du programme 204 s’élèvent à 53 millions d’euros, après transfert de l’ANSP. Ce montant ne représente toutefois, je le rappelle, qu’une part très modeste du financement de la prévention.
La création, cette année, d’un document de politique transversale permet ainsi de préciser que ces crédits représentent à peine plus de 1 % des presque 3 milliards d’euros qui seront consacrés en 2020 à la prévention sanitaire par le budget de l’État. Par ailleurs, la prévention dépasse très largement le champ de ce budget de l’État. Il faut en effet considérer l’ensemble des financements disponibles, quel qu’en soit le support, pour apprécier l’évolution des moyens consacrés à la prévention.
Pour ne parler que de la prévention institutionnelle, elle est passée de 5,79 milliards d’euros en 2008 à 6,24 milliards d’euros en 2018, soit une augmentation de 7,8 %. Ces montants sont retracés dans l’annexe 7 au PLFSS. Pour autant, cette évolution n’est pas homogène sur les dix dernières années ; elle augmente de 0,3 % en moyenne par an entre 2008 et 2016, et de 2,7 % en moyenne par an entre 2016 et 2018.
Cette tendance s’est accélérée en 2019, avec notamment l’élargissement des missions du fonds de lutte contre le tabac à la lutte contre les addictions, qui voit ainsi ses dépenses prévisionnelles s’élever à 119,7 millions d’euros en 2019, contre 100 millions en 2018 et 30 millions en 2017.
Toutes les décisions qui ont été prises vont ainsi dans le sens d’une augmentation des crédits consacrés à la prévention. Les résultats sont probants. Grâce aux mesures phares relatives à la lutte contre le tabagisme du plan Priorité prévention, nous comptons 1,6 million de fumeurs quotidiens en moins entre 2016 et 2018.
L’élargissement du document de politique transversale, pour le transformer en « jaune » budgétaire, me semble un apport intéressant des députés. Il faudra à l’avenir se poser la question de son articulation avec l’annexe 7 du PLFSS, pour éviter les doublons.
Le programme 204 inclut également les dépenses d’indemnisation des victimes de la Dépakine. La gestion de ce dispositif d’indemnisation est, comme vous le savez, assurée par l’Oniam. Ce dispositif a connu une montée en charge progressive du fait de la complexité des questions juridiques et médicales soulevées lors de l’examen des dossiers. Elle va faire l’objet d’ajustements structurels visant à accélérer le traitement des dossiers.
Le Gouvernement a déposé, lors de l’examen en première lecture à l’Assemblée nationale, un amendement visant à simplifier le dispositif. À cet effet, les deux instances qui le composent, le collège d’experts et le comité d’indemnisation, vont être fusionnées.
Par ailleurs, afin d’assurer une indemnisation plus facile des victimes, il est proposé de fixer dans la loi des dates à partir desquelles le lien entre le préjudice et le défaut d’information sera présumé : 1982 pour les malformations congénitales et 1984 pour les troubles du développement comportemental et cognitif. Les victimes pourraient ainsi être indemnisées plus aisément, sans voir leur dossier déclaré irrecevable.
Enfin, à propos des crédits du programme 204, je veux signaler l’augmentation des moyens de l’agence de santé de Wallis-et-Futuna, sur laquelle repose exclusivement le système de santé pour l’ensemble de la population de ces deux territoires, et sa gratuité, au titre de la solidarité nationale. Sa dotation sera majorée en 2020 de 7 millions d’euros, pour la porter à 42,5 millions d’euros, afin également de développer en priorité la santé publique et la prévention, et de renforcer l’offre de soins, notamment grâce au déploiement de la télémédecine.
Le deuxième programme de la mission, le programme 183, est consacré pour l’essentiel à l’AME. Le Gouvernement est attaché aux grands principes qui guident aujourd’hui notre politique d’accès aux soins et aux droits des personnes migrantes. Il n’est pas envisageable de les remettre en cause. Ce droit à la protection de la santé est un principe constitutionnel qui s’inscrit dans les engagements internationaux auxquels la France est partie.
Ces dispositifs sont indispensables, non seulement pour des raisons humanitaires et de santé publique, mais aussi pour des raisons de maîtrise budgétaire. Nous savons que la prise en charge tardive d’une maladie est systématiquement plus coûteuse qu’une prise en charge précoce par la médecine de ville. Cependant, nous savons aussi que la dépense d’AME est dynamique : son montant est non négligeable, même s’il ne représente que 0,5 % des dépenses d’assurance maladie.
La dépense d’AME alimente parfois une défiance, voire des fantasmes qu’il est difficile de déconstruire. Aussi, nous devons être responsables pour lutter contre les fraudes et les abus. C’est le sens des amendements adoptés, lors de l’examen à l’Assemblée nationale, sur l’initiative du Gouvernement.
S’interroger sur l’efficience du dispositif, et l’amender en conséquence, c’est en garantir la pérennité. Mais nous devons aussi nous adapter aux problématiques particulières des migrants. Nous avons le devoir de bien prendre en charge les soins de ces personnes particulièrement vulnérables. Pour cela, nous devons poursuivre les démarches pour « aller vers » ces populations et les faire accéder aux soins ou aux droits.
Dans le texte qui vous est aujourd’hui soumis, nous prévoyons ainsi de clarifier le droit applicable, en indiquant qu’il est nécessaire d’être depuis trois mois en situation irrégulière pour bénéficier de l’AME. Cela ne changera rien pour les personnes entrées en France de façon irrégulière, mais aura une incidence pour les détenteurs d’un visa de tourisme, car le délai de trois mois, qui leur est déjà applicable, commencera désormais à l’expiration de leur visa.
Nous prévoyons aussi de renforcer le contrôle de la résidence en France. Les demandes d’AME devront être déposées par les intéressés, en personne, dans une CPAM ou, par dérogation, par l’intermédiaire de l’hôpital ou d’une permanence d’accès aux soins de santé. L’objectif est d’éviter les demandes frauduleuses, transmises par courrier, de personnes qui ne se trouvent pas sur le territoire français.
De plus, nous prévoyons de mettre en place une procédure d’accord préalable, pour certains soins programmés et non urgents.
Nous prévoyons enfin d’introduire un délai de carence de trois mois pour l’accès à la PUMa des demandeurs d’asile.
Actuellement, les demandeurs d’asile bénéficient de règles dérogatoires, plus favorables que les dispositions appliquées aux autres assurés.
Les demandeurs d’asile auront accès aux soins urgents pendant ce délai de trois mois. Seront notamment concernés les soins hospitaliers vitaux, le traitement des maladies infectieuses et les soins délivrés aux femmes enceintes et aux nouveau-nés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les principaux axes de la mission « Santé » !
M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Santé », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Santé |
1 124 975 111 |
1 128 275 111 |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins |
197 624 173 |
200 924 173 |
Dont titre 2 |
1 442 239 |
1 442 239 |
Protection maladie |
927 350 938 |
927 350 938 |
M. le président. L’amendement n° II-36, présenté par M. Joyandet, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins dont titre 2 |
|
|
|
|
Protection maladie |
|
285 000 000 |
|
285 000 000 |
TOTAL |
|
285 000 000 |
|
285 000 000 |
SOLDE |
- 285 000 000 |
- 285 000 000 |
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Monsieur le président, avec votre autorisation, j’évoquerai par la même occasion les amendements nos II-37 et II-38, qui forment un tout cohérent avec l’amendement n° II-36.
En effet, la proposition de la commission des finances ne se limite pas à une réduction de crédits : nous défendons une nouvelle politique pour l’AME. En ce sens, la réduction de crédits n’est que la conséquence de la mise en place d’un nouveau panier de soins et d’un ticket modérateur de 30 euros par bénéficiaire de l’AME. Ces explications nous permettront donc de gagner du temps dans la suite de la discussion.
Nos propositions ne présentent rien de nouveau par rapport à l’année dernière. En revanche, l’ambiance a un peu changé. Le Gouvernement ne nous renvoie plus tout à fait dans nos cordes : avec la majorité de l’Assemblée nationale, il a même accepté de discuter du problème de l’AME. Mme la secrétaire d’État vient de le rappeler, il a engagé une légère refonte de l’accès à cette aide et décidé une légère diminution des crédits. Or – on le sait très bien –, l’année dernière, les crédits inscrits n’ont pas suffi à couvrir l’ensemble de l’année. Ainsi, le Gouvernement fait un pas en avant.
Cela étant, sur les travées de la majorité sénatoriale, je constate que la proposition de la commission des finances suscite des avis assez contrastés : au cours de la discussion générale, j’ai pu percevoir un certain nombre de réserves, voire d’oppositions.
Avant d’aller plus loin, je souhaite donc entendre l’avis du Gouvernement sur le sujet, bien spécifique, de l’AME. Le Gouvernement accepterait-il d’aller un peu plus loin que les mesures adoptées par l’Assemblée nationale ? Après avoir pris connaissance de cette réponse, je me permettrai, en tant que rapporteur spécial, de donner la position définitive de la commission des finances.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur spécial, restreindre l’AME aux seuls soins d’urgence et conditionner son bénéfice au paiement d’un droit de timbre ne seront jamais des mesures efficaces de maîtrise des dépenses.
Je l’ai déjà rappelé : lorsqu’elle est traitée tardivement, une maladie est systématiquement plus coûteuse que lorsqu’elle est prise en charge à temps par la médecine de ville.
De plus, contrairement à ce que vous affirmez, les mesures que vous présentez se traduiraient par une dégradation de la santé des personnes concernées, par un engorgement des services d’urgences et par une augmentation du coût total des soins dispensés. On en a eu la démonstration en 2011 : l’introduction éphémère d’un droit de timbre de 30 euros n’a dégagé aucune économie, bien au contraire !
Pour notre part, nous avons choisi une voie différente. Il est impératif de préserver ces dispositifs, qui sont nécessaires pour soigner les personnes concernées, sans coût excessif. Il est également de notre devoir de limiter au maximum les abus et les détournements possibles.
Les propositions du Gouvernement reposent sur cet équilibre. À l’inverse, les dispositions que vous défendez n’apporteraient, selon nous, aucune réponse satisfaisante ou efficace, qu’il s’agisse de la protection des personnes ou de la régulation de la dépense.
En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable sur votre amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Monsieur le président, je sollicite quelques minutes de suspension de séance.
M. Philippe Mouiller. Je m’apprêtais à en faire autant !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures trente.)
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est inutile de vous dire que les trois amendements de la commission des finances provoquent un certain embarras…
M. Yves Daudigny. En effet !
M. Julien Bargeton. Nous avions compris ! Mais nous sommes bienveillants… (Sourires sur les travées du groupe LaREM.)
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. En tant que rapporteur spécial, je vais maintenir ces trois amendements.
Je me permettrai simplement un commentaire personnel : si j’ai demandé une suspension de séance, c’est parce que, pour être rapporteur de la commission des finances, je n’en suis pas moins libre ! Étant chargé de ce dossier depuis plusieurs années, j’ai pu constater qu’un certain nombre de lignes bougent. Mais, pour l’instant, la commission des finances ne bougera pas.
M. Antoine Lefèvre. C’est un bon résumé !
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Monsieur le rapporteur spécial, pour notre part, nous avons toujours voulu engager le débat sur cette question, et nous avons toujours voulu le mener dans la sérénité, en le centrant sur ce qu’est l’AME, à savoir une mesure de santé, et en analysant cette mesure.
Non, la dépense d’AME n’a pas explosé ces dernières années…
M. Jérôme Bascher. Ah bon ? Un doublement, ce n’est pas une explosion ?
M. Bernard Jomier. On a remédié, à juste titre, à une sous-dotation chronique.
Je l’ai dit lors de la discussion générale : ce budget est sincère. Il est important de reconnaître sa sincérité. J’y insiste : les coûts de l’AME n’ont pas explosé, pas plus que le nombre de ses bénéficiaires, lequel est assez stable depuis 2016. J’ajoute que la dépense en santé par titulaire de l’AME est inférieure à la dépense moyenne d’un assuré social. Certes, cette dépense a progressé. Mais, d’après la direction de la sécurité sociale, cette augmentation est plus due à une accélération de la liquidation des factures hospitalières qu’à un phénomène de détournement.
Je salue le rapport remis sur ce sujet par l’IGAS et l’Inspection générale des finances. Ce document présente les choses clairement, telles qu’elles sont et, pour ma part, je le répéterai autant qu’il le faudra. Bien sûr, il faut lutter contre la fraude ! Mais lutter contre la fraude, ce n’est pas pénaliser des personnes qui, honnêtement, ont recours à un dispositif destiné à la protection de leur santé. Viser les fraudeurs, ce n’est pas cibler tout le monde !
Or le recours à l’AME reste rare : c’est bien la preuve qu’il n’y a pas de détournement massif. La moitié seulement des personnes éligibles font valoir ce droit. Quelques filières de fraude organisée existent, et il faut bien entendu les démanteler. Mais les personnes n’arrivent pas par contingents pour se faire soigner, pour profiter de ce système : ce n’est pas la réalité !
Nous avons toujours souhaité mener ce débat tranquillement. J’observe que cette volonté est de plus en plus largement partagée, et je m’en félicite. Enfin, je salue le fait que les crédits de l’AME soient grosso modo maintenus et validés par le Gouvernement !
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour explication de vote.
M. Dominique Théophile. Comme la protection universelle, l’aide médicale de l’État répond à des objectifs humanitaires et de santé publique, en permettant la prise en charge de mesures de prévention et de lutte contre les maladies transmissibles.
Conformément aux engagements de maîtrise des dépenses publiques et de lutte contre les fraudes, nous souhaitons renforcer les contrôles. Ces derniers porteront sur les conditions d’éligibilité à l’AME, comme la durée du séjour et les ressources effectives des demandeurs. Ils pourront également avoir lieu a posteriori, en particulier pour les bénéficiaires qui ont le plus recours aux soins. Par ailleurs, le regroupement des demandes d’AME dans trois caisses primaires d’assurance maladie permettra un meilleur contrôle.
Toutefois, loin de suivre un raisonnement purement budgétaire, nous avons refusé de remettre en cause le panier de soins. Nous ne souhaitons pas non plus réintroduire la participation financière des personnes admises. En effet, dans leur rapport de 2010, l’IGAS et l’IGF préconisaient déjà de ne pas conditionner le droit à l’AME au paiement d’un droit d’accès, pour deux raisons principales.
La première raison, c’est le probable accroissement des dépenses, les personnes risquant de retarder leur demande d’AME et donc leurs soins. En résulterait un transfert de la médecine de ville vers l’hôpital. On aboutirait donc, mécaniquement, à une majoration nette des dépenses totales de l’AME.
La deuxième raison, c’est l’aggravation du risque sanitaire auquel nous exposeraient les retards de prise en charge, certaines maladies transmissibles étant surreprésentées au sein de la population concernée.
Cette participation financière a tout de même été introduite en 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy ; et, dès 2011, le coût moyen d’un bénéficiaire de l’AME a mécaniquement augmenté. Comme le rapport des deux inspections le laissait pressentir, l’instauration du droit de timbre a entraîné, sinon des renoncements, du moins des reports de soins de la part de personnes dont l’état de santé était souvent dégradé. Il en est résulté un déport vers des soins hospitaliers plus coûteux, notamment du fait d’une prise en charge tardive.
Monsieur le rapporteur spécial, la mesure que vous proposez aujourd’hui a déjà été mise en place hier, et nous avons pu évaluer tous ses effets négatifs. Il s’agit, en somme, d’une fausse bonne idée.
Les élus du groupe La République En Marche voteront contre ces amendements, qui ne sont d’ailleurs pas soutenus par la commission des affaires sociales : ces mesures purement budgétaires sont contre-productives.
M. Julien Bargeton. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. Sans paraphraser mes collègues, je tiens à dire que cette suppression de 285 millions d’euros serait contraire à ce qui se passe dans la réalité : plus les années passent, plus la sincérité de ce budget s’accroît. Il n’est pas souhaitable de revenir aux pratiques antérieures en le sous-dotant.
Il n’est pas judicieux de réduire les crédits de l’AME : il faudrait même faire tout le contraire ! C’est ce qu’ont souligné, à différents moments de l’histoire, et l’IGAS et l’IGF – d’autres rapports ont précédé celui qui vient d’être cité. C’est également ce qu’a dit le Défenseur des droits : baisser ces crédits, c’est mettre en cause la sincérité du budget ; c’est nier les besoins réels des migrants.
Avec l’AME, l’on dispose d’un moyen de préserver la santé des personnes qui viennent dans notre pays et surtout de prévenir, de manière pragmatique, divers problèmes de santé de nos concitoyens en contact avec ces personnes. On assiste aujourd’hui à une montée de la tuberculose dans notre pays : il s’agit typiquement d’une maladie qu’il convient de soigner le plus tôt possible !
Pour ces raisons, je m’opposerai moi aussi à l’amendement de la commission des finances.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Avant de présider la commission des affaires sociales, j’ai été rapporteur de cette mission, et j’ai toujours été favorable à la mise en place d’une aide médicale de l’État, sachant que les soignants sont obligés de soigner : les soignants se font un devoir de soigner et ils soigneront toujours, quel que soit le patient qu’ils ont en face d’eux.
Madame la secrétaire d’État, le problème n’est pas l’AME. Le problème n’est pas le soin. Le problème, c’est la lutte contre l’immigration. Les actions que vous mettez en œuvre, notamment pour lutter contre la fraude, sont des mesures excellentes. Elles prouvent que le Gouvernement a pris conscience non pas de la nécessité de l’AME, mais du fait que l’AME posait un problème pour la population française. À l’évidence, nos concitoyens ne comprennent pas bien pourquoi la France dépense 1 milliard d’euros par an pour soigner des étrangers en situation irrégulière.
Il est donc nécessaire de dire, d’une part, que nous ne pouvons faire autrement que de soigner, et ce, la plupart du temps, de manière préventive ; et, d’autre part, que nous devons lutter contre la fraude tout en contrôlant l’immigration.
Je salue l’attitude courageuse d’Alain Joyandet, mais, sur le fond, je n’approuve pas cet amendement : voilà pourquoi, une fois n’est pas coutume, je m’abstiendrai.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Il s’agit effectivement d’un débat récurrent, et plusieurs orateurs l’ont dit avec raison : en l’occurrence, nous parlons de soins, et tout médecin doit soigner.
Madame la secrétaire d’État, d’une certaine manière, vous entrouvrez la fenêtre en disant : « Nous allons lutter contre la fraude. »
Les élus de notre groupe sont d’accord pour lutter contre la fraude. Mais je vous ai donné les chiffres : au titre de 2018, les cas de fraude avérée se sont élevés à 38, pour une somme de 500 000 euros, soit 0,06 % de l’ensemble. On est quand même loin des milliards d’euros dont on parle !
Selon M. le rapporteur spécial, le Gouvernement suit une évolution positive ; mais, à ses yeux, vous n’en ferez jamais assez. Il faudra toujours aller plus loin pour attaquer des dispositifs qui relèvent du droit aux soins.
Pour les raisons que j’ai détaillées au cours de la discussion générale, les dispositions proposées nous semblent dangereuses. Nous voterons contre l’amendement n° II-36.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. En débattant de l’AME, nous parlons d’une population particulièrement fragile, particulièrement précaire. Nous devrions avant tout nous demander comment l’aider, comment l’accompagner sur notre territoire. Il y va non seulement de la santé des individus concernés, mais aussi de la santé publique.
À l’heure actuelle, le taux de non-recours dépasse les 50 % et – je le souligne à mon tour – le taux de fraude est particulièrement bas : il s’établit à 0,06 %.
Ainsi, nous ne devons pas nous demander comment empêcher l’accès à un droit qui est déjà peu utilisé et peu accessible ; nous devons nous demander que faire pour que les personnes concernées y aient recours. J’y insiste : c’est, tout à la fois, une question de santé individuelle et de santé publique.
Or on nous propose de semer encore plus d’embûches sur le chemin de l’accès aux soins. Dans le meilleur des cas, ces personnes ont besoin de l’AME pour rester en bonne santé ; la plupart du temps, il s’agit tout simplement pour elles d’obtenir des soins urgents.
M. Joyandet l’a dit : le Gouvernement évolue sur ces sujets. Je le note moi aussi, et je le regrette. M. Macron a été élu au nom d’un certain humanisme, notamment en matière d’immigration, mais, depuis lors, son discours a radicalement changé. Désormais, il ouvre la porte à une restriction de ces droits, qui sont pourtant absolument essentiels dans notre démocratie.
Bien entendu, nous nous opposons résolument à cet amendement : une fois de plus, on veut entraver l’accès à un droit déjà en péril !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Mes chers collègues, si l’amendement de la commission des finances est voté, l’amendement de conciliation que j’ai moi-même déposé, et qui doit être examiné un peu plus tard, deviendra sans objet. Il me semble donc pertinent de vous apporter, à ce stade, quelques explications.
L’amendement n° II-364 rectifié vise à insérer, à l’article L. 251-2 du code de l’action sociale et des familles, alinéa 5, après le mot « concerne », les mots « au titre des soins urgents, des risques sanitaires et épidémiologiques ». J’abonde dans le sens de Mme Doineau : ma logique n’est ni celle du mal nécessaire ni celle du salut national. Je suis à la recherche d’un équilibre et d’une clarification : il faut trouver les moyens les plus efficaces d’assurer une qualité de soins globale pour notre nation.
Parallèlement, il me paraît normal de mener cette discussion, d’examiner à quoi correspond cette notion et de savoir comment sont employés ces crédits, dont l’ampleur n’est pas négligeable.
Tout d’abord, nous devons rester fidèles à nos principes et respecter nos obligations constitutionnelles. En l’occurrence, il s’agit – nous le savons – d’assurer les soins urgents.
Ensuite, l’ensemble de la société française doit se préserver des risques sanitaires, notamment épidémiologiques : Mme Doineau a évoqué, à juste titre, le cas de la tuberculose.
Il s’agit là de questions subtiles. Mme la secrétaire d’État et l’administration souhaitent avoir le contrôle de ces opérations, et je le conçois : je ne suis donc pas choqué de l’intervention du pouvoir réglementaire. D’ailleurs, mon amendement vise à préserver les dispositions de l’article L. 251-3, lequel précise que les modalités d’application de l’ensemble du chapitre sont déterminées par décret en Conseil d’État.
En résumé, oui aux soins urgents, oui à la prise en charge des risques sanitaires et épidémiologiques. Le tout doit être à la main du Gouvernement, sous le contrôle du Conseil d’État. Il me semble qu’une conciliation est possible.
M. le président. Mon cher collègue, rassurez-vous, l’amendement que vous évoquez est rattaché à l’article 78 duodecies, l’éventuelle adoption de l’amendement de la commission des finances, qui porte sur les crédits de la mission, sera donc sans effet sur lui.
La parole est à M. Jérôme Bascher, pour explication de vote.
M. Jérôme Bascher. Je ne voudrais pas que l’on oppose la méchante commission des finances à la gentille commission des affaires sociales !
M. Julien Bargeton. C’est un peu ça !
M. Jérôme Bascher. Il faut aussi dire la réalité : toute personne présente sur le territoire national doit être soignée, personne n’oserait penser le contraire, et personne ne le dit.
Si, depuis de nombreuses années, la commission des finances avec son rapporteur spécial, Alain Joyandet, a lancé l’alerte sur ce sujet, c’était, d’une part, pour que l’on connaisse la vérité des prix, nous l’avons toujours réclamée, et, d’autre part, pour envisager la possibilité de fraudes.
Or celles-ci ont été niées par certains de nos collègues, qui affirmaient qu’il n’existait que la vilaine fraude fiscale et sociale commise par les grands patrons (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.),…
M. Bernard Jomier. Qui a dit cela ?
M. Jérôme Bascher. … mais aucune fraude sur l’aide médicale de l’État, aucune fraude sur les prestations sociales, jamais !
M. Fabien Gay. L’une se compte en milliards d’euros, l’autre à peine en millions !
M. le président. Mes chers collègues, l’orateur a seul la parole.
M. Jérôme Bascher. Non ! Il faut lutter contre toutes les fraudes. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.) C’est cela que nous voulons faire.
À la suite de nos nombreux appels du pied, le Gouvernement vient de prendre conscience de la situation et a demandé un rapport à l’IGF et à l’IGAS. Nous en sommes satisfaits, car il faut continuer à lutter contre l’immigration clandestine.
Comment voulez-vous que des Français, dont les médicaments sont de moins en moins remboursés, ne soient pas gênés quand ils ont le sentiment que, dans le même temps, on en donne plus pour des gens qui sont entrés hier, irrégulièrement, sur le territoire national ? Je peux les comprendre, c’est très insatisfaisant !
Remettons donc les choses au clair et soutenons l’amendement d’Alain Joyandet, afin de lancer un appel plus fort encore à la lutte contre toutes les fraudes.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.
Mme Colette Mélot. Je voudrais saluer les mesures prises par le Gouvernement concernant l’AME. Nous avons assisté à une prise de conscience à ce sujet, au Gouvernement, mais aussi, de façon transversale, au sein des différents groupes politiques.
Il est bien évident qu’il faut soigner tous ceux qui se trouvent sur le sol français ; on ne peut laisser personne sans soins, même en situation irrégulière, car cela serait contre-productif et alourdirait encore les charges des hôpitaux et des urgences.
Cependant, il faut aller plus loin et réfléchir, afin d’être plus efficace. En amont, à mon sens, il faut maîtriser l’immigration pour faire diminuer ces dépenses.
La majorité du groupe Les Indépendants votera contre l’amendement de la commission des finances, mais quelques-uns de nos collègues s’abstiendront.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.
M. Julien Bargeton. Je serai bref, mais je ne peux pas laisser passer ce que j’ai entendu : il ne s’agit pas d’une division entre la commission des finances et la commission des affaires sociales – beaucoup de membres de la première ne se reconnaissent d’ailleurs pas dans cet amendement –, mais d’une division au sein de la majorité sénatoriale. C’est autre chose !
Nous assistons en fait à l’opposition de deux tendances : l’une est satisfaite que le Gouvernement maintienne l’AME en décidant de lutter contre les fraudes et l’autre considère qu’il faut aller plus loin et limiter le principe même de l’aide médicale de l’État.
Telle est la réalité de ce débat, il faut au moins avoir l’honnêteté de l’assumer.
Je profite de l’occasion pour rappeler que nous ne voterons pas ces amendements, parce que nous estimons, évidemment, que l’aide médicale de l’État, pour des raisons humanitaires comme médicales, est un principe intangible de la République, qui fait l’honneur de la France. Nous partageons l’idée qu’il faut, le cas échéant, traiter les abus, mais ce n’est pas sous cet angle qu’il faut aborder la question.
Assumez l’existence de contradictions au sein de la majorité sénatoriale sur ces sujets !
M. Stéphane Piednoir. Il n’y a pas de contradictions, c’est vous qui faites un contresens.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Les différents rapports rendus récemment montrent que la fraude n’est pas vraiment un sujet. Il est par ailleurs frappant de constater que moins de la moitié des personnes éligibles à l’AME en bénéficient effectivement. C’est cela, le problème.
Lorsque j’ai mené des auditions en préparation de l’examen du projet de loi Asile et immigration, j’ai été stupéfait d’apprendre que la moitié des personnes souffrant du VIH en France sont des étrangers. Pour plus de la moitié d’entre eux, la pathologie a été diagnostiquée en France. Cela montre à quel point cette population est précaire et mérite d’être soignée, pour son propre bien-être, mais aussi au bénéfice de la santé publique.
Maintenir l’AME dans les conditions actuelles relève donc bien d’un acte de santé publique, c’est pourquoi je suis inquiet d’entendre le rapporteur spécial saluer les mouvements du Gouvernement, qui vont dans le sens opposé, en restreignant cette aide, alors que moins de la moitié des personnes éligibles en bénéficient et que des besoins se font jour, qui ne concernent pas seulement les assurés, mais l’ensemble de la collectivité.
Ces soins correspondent à de la prévention pour l’ensemble de la société, il ne me semble donc pas raisonnable d’aller vers une restriction d’un dispositif déjà particulièrement contrôlé. À ce titre les évolutions engagées par le Gouvernement ne vont pas dans le bon sens.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Ce débat n’oppose pas des méchants à des gentils, non plus que des parlementaires soucieux des équilibres budgétaires à d’autres, qui s’en moqueraient.
Notre position, qui a été exprimée par d’autres collègues de notre groupe, a un fondement humaniste, selon lequel les médecins sont là pour soigner, et une dimension de santé publique. En soignant celles et ceux qui sont en danger chez nous, c’est nous-mêmes, c’est l’ensemble des citoyens français, que nous protégeons.
S’il existe des filières de fraude, il faut les rechercher, les détecter, les combattre et les condamner, nous n’avons aucune divergence sur ce point.
Comme mon collègue Bernard Jomier, je regrette donc que, par son attitude, le Gouvernement ait contribué à alimenter cette détestable polémique.
Vous l’avez compris, notre groupe votera contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Je voudrais préciser quelques points. La position du Sénat consiste à lancer un appel au Gouvernement afin que ce sujet soit abordé différemment, de manière que nous réfléchissions aux moyens d’améliorer les choses.
Ceux qui connaissent les hôpitaux, notamment ceux qui sont particulièrement concernés par l’aide médicale de l’État, savent que dans ces établissements, plus encore que dans les autres, les personnels vivent une situation intenable.
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas l’AME qui en est responsable !
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Il faut en tenir compte.
Ensuite, il n’y a pas de barrière entre ceux qui voudraient soigner et ceux qui ne le voudraient pas. Je défends ces amendements depuis plusieurs années, avec l’idée, non pas de ne pas soigner les gens qui sont là, mais d’envoyer un signal pour que, à l’étranger, on sache qu’il n’est plus tout à fait aussi facile de venir en France, par l’intermédiaire de filières, pour se faire soigner tout en étant en situation irrégulière. (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Le rapport de l’IGAS indique qu’au moins un quart de l’immigration clandestine regrouperait des gens dont la motivation pour venir en France en situation irrégulière est uniquement de se faire soigner, car ils savent que la France est le seul pays dans lequel on peut faire cela et que c’est impossible partout ailleurs en Europe. L’immigration clandestine recule de 22 % en Europe, mais elle augmente de 10 % en France. Voilà la réalité, mes chers collègues.
Il s’agit donc, dans le cadre d’une réponse humaniste (Exclamations sur les travées du groupe CRCE et SOCR.),…
M. Jean-Yves Leconte. Humaniste, vraiment ?
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. … de faire en sorte que notre système de soins puisse répondre aux besoins de santé des populations, y compris en situation irrégulière. (Vives exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Je vois qu’il est impossible de s’exprimer, et je vais céder, en renonçant à argumenter davantage, mais ma position, en tant que rapporteur spécial, était de chercher, entre les « anti », les « pour » et le Gouvernement, une solution qui satisfasse tout le monde, à travers un amendement d’appel.
Il ne s’agissait pas d’aboutir aujourd’hui, mais d’avancer dans une voie qui permette de conserver la tradition humaniste de la France, laquelle, comme quelqu’un le disait il y a bien longtemps, « ne peut pas accueillir toute la misère du monde » et ne peut pas être le seul pays en Europe à soigner les immigrés en situation irrégulière, ce que l’on ne fait nulle part ailleurs.
M. Jean-Yves Leconte. C’est faux !
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Je voulais essayer d’arriver à un discours un peu plus unanime que ces positions très tranchées ; je m’aperçois que c’est impossible et j’en prends acte, parce que le débat est beaucoup trop passionné.
Je voudrais répondre à l’un de nos collègues qui affirmait que nous en parlions depuis des années, mais qu’il était impossible de faire mieux, parce que l’on ne peut pas réduire la demande.
Ce que vous propose le Sénat aujourd’hui a pourtant déjà été fait par le passé et la consommation de crédits au titre de l’aide médicale de l’État – pardon de m’exprimer comme un membre de la commission des finances – était alors inférieure à 600 millions d’euros. Revoyez les statistiques, elles sont dans mon rapport : nous avions fait baisser le coût de l’AME, nous avions inversé la courbe, en instaurant ce que le Sénat vous propose de remettre en place, c’est-à-dire en soignant les gens qui sont là tout en responsabilisant l’ensemble du système.
Notre démarche ne consistait donc pas à dire que l’on ne devait plus soigner les immigrés en situation irrégulière, mais à rechercher une position raisonnable. Celle-ci est traduite dans des amendements que je maintiens.
Je le répète, cela a déjà été fait, avec de bons résultats. Il s’agit de casser les filières qui nous apportent des immigrés en situation irrégulière qui, pour une partie d’entre eux, viennent dans le seul but de se faire soigner, parce qu’il n’y a qu’en France que l’on peut le faire.
Je regrette que ce débat soit aussi animé, même si c’est le cas chaque année. Je voulais saluer le mouvement du Gouvernement en recherchant un petit consensus, mais je n’irai pas plus loin. (Protestations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Laurence Cohen. Si le Gouvernement a bougé, vous pouvez retirer votre amendement !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Je voudrais apporter en effet quelques précisions.
Les dépenses par bénéficiaire augmentent en moyenne de 0,5 % par an depuis dix ans, soit bien moins que la dépense globale de santé.
Cette augmentation de la moyenne est liée, notamment, à l’évolution du nombre de bénéficiaires et au fait que le Gouvernement a engagé un mouvement de sincérisation des budgets consacrés à l’AME, lesquels étaient auparavant sous-dotés. C’est la raison pour laquelle on évoque des moyennes : les chiffres d’il y a trois ou quatre ans sont différents des chiffres d’aujourd’hui.
Nous ne remettons pas en cause les principes, mais nous luttons résolument contre les fraudes. En effet, si nous ne faisions rien, nous fragiliserions le système. Or nous voulons le maintenir, parce qu’il soigne bien.
En revanche, nous devons en limiter l’accès à ceux qui en abusent. Nous visons en particulier les personnes qui bénéficient actuellement de l’AME sans y avoir droit. J’ai évoqué le « aller vers », qui consiste à aller vers ceux qui ont droit à l’AME, mais ne la demandent pas. Actuellement, 24 % des personnes éligibles sont dans ce cas, d’autres n’y ont recours que la première année et le chiffre augmente ensuite : il est de près de 50 % pour la deuxième année.
Les personnes éligibles ne connaissent pas les droits, il faut donc engager le « aller vers ». En revanche, il faut lutter contre la fraude et les abus de personnes qui demandent l’AME alors qu’elles n’ont pas de droits ouverts.
Enfin, réduire l’AME aux soins d’urgence augmenterait la pression sur les hôpitaux ; ce n’est pas ce que nous souhaitons.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-36.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe socialiste et républicain, et, l’autre, du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater les résultats du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 48 :
Nombre de votants | 316 |
Nombre de suffrages exprimés | 295 |
Pour l’adoption | 147 |
Contre | 148 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mme Laurence Cohen. Ouf !
M. le président. L’amendement n° II-474, présenté par M. Savary et Mme Imbert, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins dont titre 2 |
5 000 000 |
|
5 000 000 |
|
Protection maladie |
|
|
|
|
TOTAL |
5 000 000 |
|
5 000 000 |
|
SOLDE |
+ 5 000 000 |
+ 5 000 000 |
La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Je vais défendre cet amendement et le suivant, si vous le permettez, monsieur le président.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° II-475 présenté par M. Savary et Mme Imbert et ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins dont titre 2 |
5 000 000 |
|
5 000 000 |
|
Protection maladie |
|
|
|
|
TOTAL |
5 000 000 |
|
5 000 000 |
|
SOLDE |
+ 5 000 000 |
+ 5 000 000 |
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. René-Paul Savary. La position de l’Assemblée nationale se rapproche de celle de M. le rapporteur spécial : elle a voté une moindre dépense de 15 millions d’euros au titre de ce programme, ce qui, dans le domaine de la santé, représente une somme significative. Cela n’a pas échappé à votre rapporteure pour avis, Mme Corinne Imbert, qui m’a proposé d’utiliser ces crédits pour des programmes de prévention et de recherche.
Je trouve cela tout à fait intéressant et il me semble que la commission des finances partage cette approche, puisqu’elle a émis un avis favorable. En effet, il ne s’agit pas de ponctionner des fonds consacrés à d’autres sujets, mais de faire en sorte que cette moindre dépense soit consacrée aux programmes de santé.
Nous proposons ainsi de consacrer 5 millions d’euros à la recherche et à la prévention du sida et 5 millions d’euros à la recherche et à la prévention de la mucoviscidose.
S’agissant de cette dernière affection, il existe plus de quarante-sept centres de ressources et de compétences financés par l’Association de lutte contre la mucoviscidose, faute de moyens alloués dans ce domaine.
Alors que nous sommes soumis à des standards européens, la France ne consacre pas les moyens correspondants dans ces centres de recherche, c’est la raison pour laquelle il me semble nécessaire de faire un effort supplémentaire.
Dans le domaine de l’innovation, nous avons reçu, avec Catherine Deroche, certaines entreprises de biotechnologies. Il existe de nouvelles molécules qui doivent être mises à disposition des patients pour améliorer leurs conditions de vie. C’est tout à fait essentiel.
C’est la raison pour laquelle consacrer 5 millions d’euros à ce programme représenterait une avancée significative pour ces malades. Je souhaite donc que le Gouvernement se montre favorable à cette proposition.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. M. Savary a le don d’ubiquité et siège manifestement dans deux commissions, ce qui lui a permis d’annoncer par avance notre position. Je ne peux que la confirmer : l’avis de la commission des finances est favorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Le déploiement des programmes d’éducation thérapeutique est assuré par les agences régionales de santé (ARS) et son financement relève de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) et non des crédits de l’État.
En outre, le financement de telles études et recherches relève, pour l’essentiel, du ministère chargé de la recherche, dont vous débattrez des crédits au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » après ceux de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Le ministère de la santé y contribue aussi, dans le cadre du programme 204, par le financement de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) à hauteur de 500 000 euros, dans le cadre du soutien récurrent à cet opérateur pour son programme d’études et de recherches dans le champ de la santé publique. Cette explication concerne l’amendement n° II-474, mais l’avis est défavorable sur les deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Je suis tout à fait conscient de l’importance des programmes de santé publique au bénéfice desquels notre collègue René-Paul Savary défend ces deux amendements. Il est incontestable que ces programmes manquent de financements, mais on ne peut pas opposer ainsi des crédits que nous souhaitons voir maintenus, en pleine sincérité budgétaire, au bénéfice de l’AME, à des programmes de santé publique qui s’adressent à l’ensemble de la population.
Pour cette seule raison, nous ne voterons pas ces amendements, toutefois, la thématique est juste et ces crédits devraient, effectivement, être abondés de façon plus satisfaisante.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour explication de vote.
M. Alain Milon. Je vais revenir sur ce qu’a dit M. Bernard Jomier, qui veut que l’ensemble des crédits soit porté sur l’AME. Le problème, mon cher collègue, c’est que c’est l’Assemblée nationale qui a voté le retrait de ces 15 millions d’euros, avec un avis favorable du Gouvernement. Or vous savez que, très probablement, à la fin de tous ces débats, c’est elle qui aura le dernier mot.
Il n’est donc pas inintéressant de consacrer 5 millions d’euros à la mucoviscidose et la même somme à la recherche contre le sida. Je suis très favorable à ces deux amendements.
Madame la secrétaire d’État, vous indiquez que ces fonds relèvent du ministère de la santé, alors que les programmes auxquels nous entendons les consacrer sont du ressort du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Pourtant, lorsque l’on tient ce genre de raisonnement face à M. Darmanin, il nous répond que, de toute façon, on prend les fonds dans la même poche. Puisqu’il en est ainsi, essayons de redistribuer cet argent au bénéfice de la recherche.
René-Paul Savary l’a dit, des recherches actuelles en biotechnologies et en génétique, en particulier, sont très importantes et permettent de proposer des traitements pour certains types de mucoviscidoses. Il n’est pas inintéressant de les aider.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour avis. Je soutiens évidemment les deux amendements de mon collègue René-Paul Savary. J’ajoute, madame la secrétaire d’État, qu’avec le programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », la volonté du Gouvernement est d’éradiquer l’épidémie de sida à l’horizon de 2030. Je partage cet objectif.
J’ai présenté un rapport en commission des affaires sociales, à la suite d’un travail de la Cour des comptes, intitulé Pour un avenir sans sida. Le président Milon et moi-même avons ensuite déposé une proposition de loi.
Nous partageons donc l’objectif d’éradiquer l’épidémie de sida, il faut juste s’en donner les moyens. Vous avez fait voter par voie d’amendement une réduction des crédits de l’AME de 15 millions d’euros, je soutiens, quant à moi, l’idée de profiter de cette somme pour accorder 5 millions à la prévention du sida et des affections sexuellement transmissibles et 5 millions d’euros à la lutte contre la mucoviscidose.
M. le président. L’amendement n° II-135 rectifié, présenté par Mme Doineau, MM. Longeot et Détraigne, Mmes Billon, Férat, Guidez, Loisier et de la Provôté, MM. Gabouty, Joyandet et D. Laurent, Mmes Kauffmann, N. Delattre et Goy-Chavent, M. Guerriau, Mme Bruguière, MM. Le Nay, Laugier, Bazin et Grand, Mme Troendlé, MM. Chaize, Janssens, Menonville, Corbisez, Kern, Perrin, Lefèvre, Lafon et Bonnecarrère, Mmes Lopez, Gruny et L. Darcos, MM. Chasseing, P. Joly, Calvet, Regnard, de Nicolaÿ, Fouché et Houpert, Mme Puissat, MM. Danesi, Meurant, Genest, Delcros, Wattebled, Mandelli, Longuet, Luche, Bouchet et Pierre, Mme Saint-Pé, MM. Gremillet, Vaspart et Canevet, Mmes Thomas et Chain-Larché, MM. Capo-Canellas et Vanlerenberghe, Mme Perrot, M. Adnot, Mme Garriaud-Maylam, MM. B. Fournier, Sol, Bonhomme et Huré, Mmes A.M. Bertrand et Micouleau, MM. Mayet et H. Leroy, Mmes Sollogoub, Renaud-Garabedian et Dumas, MM. Médevielle, Moga, Mizzon et Cadic, Mme Vermeillet, MM. Gold, Morisset, Chevrollier et Mouiller, Mme Benbassa, M. Vogel, Mme Canayer, MM. Leleux, Vallini et Priou, Mmes Richer, Mélot, Chauvin et Procaccia, MM. Dantec, Vall, Lagourgue, Bignon, Mazuir, Guérini, Henno et Louault, Mmes Vérien et Vullien, MM. Poadja et Cuypers, Mme Rauscent et M. Laménie, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Recherche contre les maladies vectorielles à tiques
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins dont titre 2 |
5 000 000 |
5 000 000 |
||
Protection maladie |
||||
Recherche contre les maladies vectorielles à tiques |
5 000 000 |
5 000 000 |
||
TOTAL |
5 000 000 |
5 000 000 |
5 000 000 |
5 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. L’incidence de la maladie de Lyme a fortement augmenté ces dernières années : de 26 000 nouveaux cas par an entre 2009 et 2014, à 45 000 en 2017 puis à 67 000 nouveaux cas dénombrés par Santé publique France en 2018. C’est considérable : la maladie de Lyme fait désormais partie des dix maladies infectieuses les plus fréquentes en France. Nous avons tous été contactés pour différents cas.
En l’absence de système de déclaration obligatoire organisé à grande échelle et compte tenu de l’insuffisante sensibilisation des médecins traitants au dépistage de cette maladie complexe, le recensement du nombre de cas avérés reste incomplet, sujet à extrapolation et, probablement, sous-évalué.
Le diagnostic, la prise en charge et le traitement de cette maladie divisent la communauté scientifique, laissant les malades dans une errance thérapeutique. Or, en l’absence de diagnostic rapide, les complications peuvent être lourdes et mener à des dommages irréversibles, chez les adultes, mais aussi, on le constate de plus en plus, chez les enfants.
Sans nous prononcer sur ce que devrait être le diagnostic ou la prise en charge de la borréliose de Lyme, nous ne pouvons rester indifférents aux dizaines de témoignages de patients que nous recevons chaque année et qui font état de leur souffrance face à la maladie et à un parcours de soins particulièrement chaotique.
Si le Gouvernement reconnaît le sérieux de la situation, il se refuse à augmenter l’effort indispensable de recherche sur ce thème.
En apportant des crédits importants à la recherche fondamentale et appliquée sur cette maladie, cet amendement vise à améliorer durablement la vie des patients.
Il est donc proposé de créer un programme spécifique « Recherche contre les maladies vectorielles à tiques », abondé à hauteur de 5 millions d’euros prélevés sur l’action n° 11, Pilotage de la politique de santé publique, du programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ».
Madame la secrétaire d’État, cet amendement a été cosigné par plus de 106 sénateurs de tous bords, il concerne un sujet de santé publique majeur, qui nécessite des moyens humains et financiers immédiats.
Il s’agit sans doute d’un amendement d’amorçage. Comme il y a beaucoup d’autres maladies rares, je n’ai pas souhaité inscrire un montant très élevé, mais je forme le vœu que cet amendement soit celui de la recherche et de la confiance retrouvée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Sur le fond, la commission des finances ne voit que des avantages à consacrer plus de moyens à la lutte contre la maladie de Lyme.
Toutefois, pour une raison technique, elle souhaite que cet amendement soit retiré. En effet, vous proposez de créer un programme spécifique dans le cadre de la mission, alors que la commission des finances trouverait plus opportun d’opérer un redéploiement interne au programme 204, de l’action n° 11, Pilotage de la politique de santé publique, vers l’action n° 14, Prévention des maladies chroniques et qualité de vie des malades, laquelle couvre l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Cet amendement vise à apporter des moyens supplémentaires à la recherche contre les maladies vectorielles à tiques, qui constitue, nous le savons, un enjeu majeur de santé publique.
Les actions du ministère vont plus loin que la recherche. Nous travaillons sur ce dossier. Nous avons ainsi labellisé des centres pour éviter l’errance et permettre un diagnostic de plus en plus précoce de telles maladies. Nous œuvrons à une prise en charge globale de la maladie avec l’ensemble des professionnels. Le ministère a également structuré le parcours de soins et renforcé les mesures de prévention contre les maladies vectorielles à tiques. L’objectif est aussi de mobiliser la recherche.
Vous le voyez, nous combinons la prévention, les mesures pour éviter l’errance, une prise en charge globale, un diagnostic plus précoce et la recherche, afin d’avoir une vision plus large.
Le ministère apporte un soutien financier aux actions de recherche à l’échelon national. Néanmoins, le travail doit être interdisciplinaire, transversal et s’inscrire dans une démarche globale.
Il en va de même s’agissant du pilotage et du financement. Le ministère de la santé travaille en lien étroit avec le ministère de la recherche, avec les agences sanitaires et d’autres organismes de recherche qui vont augmenter leur contribution aux projets consacrés aux maladies vectorielles.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement, pour les raisons que je viens d’évoquer : évitons l’errance, faisons de la prévention, ayons une prise en charge globale et favorisons la recherche.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. Je propose de rectifier mon amendement dans le sens suggéré par la commission des finances, afin qu’il puisse être adopté.
Madame la secrétaire d’État, je vous entends lorsque vous évoquez les efforts qui sont faits. Mais je vous renvoie à ce qui se dit sur les réseaux sociaux, aux appels que nous recevons ou aux propos que nous entendons lors de nos rendez-vous sur le terrain. Il y a aujourd’hui un véritable malaise autour de la borréliose de Lyme. Il faut y apporter des réponses fortes.
Au début de l’année, nous avons organisé quatre tables rondes, sur l’initiative de M. le président de la commission des affaires sociales. À cette occasion, nous avons pu nous rendre compte de la réalité du malaise. Les préconisations de la Haute Autorité de santé avaient dans un premier temps été acceptées par les associations de malades, puis elles ont été refoulées sur les instances de sociétés savantes.
Aujourd’hui, l’attente est très forte. Les personnes qui souffrent au quotidien et depuis longtemps n’en peuvent plus. Nous n’avons pas pu obtenir les chiffres que nous demandions sur la recherche ; il nous a été répondu que c’était compliqué… Nous devons adresser un signal fort aux associations et, surtout, aux malades.
M. le président. Ma chère collègue, il n’est pas possible de rectifier votre amendement dans le sens suggéré par la commission des finances. En effet, M. le rapporteur spécial évoquait la possibilité d’utiliser les crédits d’un même programme, et non de procéder à des mouvements entre programmes. Or cela relève de la compétence du Gouvernement. Nous sommes donc tenus d’en rester à la rédaction actuelle de votre amendement.
La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour explication de vote.
M. Antoine Lefèvre. Comme l’a très bien expliqué notre collègue Élisabeth Doineau, cet amendement, qui a été cosigné par plus d’une centaine de nos collègues, vise à donner les moyens nécessaires à la recherche contre les maladies vectorielles à tiques.
De nombreuses personnes atteintes de la borréliose de Lyme se retrouvent en errance thérapeutique et désespèrent d’obtenir des réponses à leurs nombreuses interrogations. En plus, ainsi que cela a été rappelé, le nombre de cas recensés est en hausse. Il y a ainsi eu 67 000 nouveaux cas cette année.
Nous devons répondre aux patients en errance médicale. J’ai à cet instant une pensée particulière pour un ami que M. Daudigny et moi avons en commun et qui est concerné.
Certaines personnes sont confrontées à des médecins insuffisamment formés, qui leur expliquent que tout cela est psychosomatique… Le diagnostic est très difficile à établir. Cette maladie représente un véritable coût pour notre société. Il est indispensable d’encourager la recherche en lui allouant des fonds spécifiques.
L’adoption du présent amendement aurait un effet significatif sur le moral de personnes qui sont en grande souffrance.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Je n’ai pas cosigné cet amendement, mais je le voterai, afin d’exprimer mon soutien à l’initiative de Mme Doineau.
J’imagine que nous avons tous dans notre entourage – M. Antoine Lefèvre vient d’y faire référence – des personnes victimes de la maladie de Lyme. Nous pouvons constater leurs souffrances, ainsi que leurs difficultés dans la relation avec les médecins selon les appréciations que ceux-ci portent sur cette pathologie et ses symptômes. Il importe donc – c’est une bonne démarche – d’encourager à la fois la recherche fondamentale et la recherche appliquée.
C’est pourquoi nous voterons cet amendement.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je n’ai pas cosigné cet amendement, parce qu’on nous propose de financer un programme de recherche en prélevant sur d’autres actions.
Dans quelques instants, nous serons saisis d’un amendement tendant à consacrer 5 millions d’euros à la drépanocytose, une maladie également importante, pour laquelle il y a véritablement des process d’innovation qui ne sont pas suffisamment reconnus.
Nous savons que notre système ne reconnaît pas suffisamment les innovations, lorsqu’il n’y a pas de « comparateurs ». Dans le cadre des demandes de prix émises concernant les nouvelles molécules, via le Comité économique des produits de santé (CEPS), entre toujours en ligne de compte cet élément comparatif, en plus du bénéfice par rapport aux risques. Des traitements nouveaux coûtent particulièrement cher et ne sont pas pris en compte, que ce soit dans les listes en sus ou dans d’autres programmes.
Nous le voyons, il y a des difficultés dans le domaine de la recherche et de l’innovation. N’allons pas déshabiller les uns pour habiller les autres.
Tout à l’heure, sur le sida ou la mucoviscidose, nous avons proposé une prise en charge par le budget général de l’État. Il s’agirait ainsi d’un effort global, et non d’une ponction au détriment d’autres actions.
Je ne voterai pas cet amendement, quelle que soit l’importance de la maladie de Lyme, qui touche de nombreuses personnes. Je ne voterai pas non plus le prochain amendement dont nous serons saisis.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. J’aimerais simplement rappeler un élément. Cette semaine, la majorité sénatoriale a adopté le projet de loi de finances rectificative, qui prévoit la suppression de 20 millions d’euros de crédits consacrés la recherche. Nous avions eu la même discussion l’an dernier, et nous avions considéré qu’il était essentiel de maintenir des crédits pour la recherche.
Nous aurions donc pu faire preuve d’un peu plus de cohérence. Nous aurions aussi pu mobiliser dès 2019 les 20 millions d’euros que vous avez supprimés au service de la recherche, qui est effectivement indispensable, car la maladie de Lyme est un véritable fléau.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, pour explication de vote.
M. Jean-François Rapin. Je souscris pleinement aux propos de René-Paul Savary.
Madame la secrétaire d’État, vous avez parlé de transversalité. Le Sénat examinera ce soir les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », dont je suis rapporteur spécial. Nous serons saisis d’amendements portant également sur les maladies vectorielles, en particulier sur la borréliose transmise par les tiques. C’est bien la preuve que le sujet est transversal.
En l’occurrence, il nous est proposé de prendre des crédits au sein d’un programme existant de la mission « Santé » pour abonder un nouveau programme qui serait ainsi créé. Et le cas se représentera ce soir lors de l’examen des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». C’est bien la preuve qu’il y a un vrai sujet. D’ailleurs, en tant que professionnel de santé, j’ai moi-même eu à soigner des personnes atteintes de la maladie de Lyme. C’est assez pénible.
Ce matin, j’ai eu des contacts avec l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et j’ai fait le point sur toute la presse médicale, en consultant les derniers articles consacrés à la recherche. La question est encore assez peu consensuelle, qu’il s’agisse des traitements ou des diagnostics. Je me suis entretenu avec le directeur d’un programme de recherche à l’Inserm. Pour lui, des crédits supplémentaires ou un programme spécifique ne sont pas nécessaires. À ses yeux, il faut surtout répertorier tous les projets, y compris les micro-projets, qui existent dans les laboratoires et les CHU sur la maladie de Lyme. Il y a un gros travail à effectuer en la matière. Ensuite, il faudra peut-être évoluer vers des appels à projets plus concentrés.
Mais, en allant piocher des crédits dans tous les programmes qui existent, nous risquons surtout de rendre impossible l’inventaire des pratiques existantes.
Chère Élisabeth Doineau, je pense que votre amendement est intéressant, mais que nous pourrions peut-être procéder différemment, sans prélever de crédits ailleurs. Pour ma part, je ne souhaite pas que l’on en prenne dans les programmes de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Je souhaite faire une remarque d’ordre général.
Depuis que les règles budgétaires actuelles existent, nous raisonnons dans des enveloppes. Il n’est donc pas possible d’améliorer certaines politiques publiques en les dotant de crédits supplémentaires sans opérer de prélèvement ailleurs alors que le budget est, nous le savons bien, contraint et austère. Dès lors, chaque fois que nous retirons des crédits dans un programme pour compenser des dépenses supplémentaires dans un autre, nous risquons de créer des frustrations et d’être confrontés à des difficultés.
Mais, en réalité, si nous ne faisons rien, si nous ne proposons rien, nous ne servons à rien ! Dans le cadre du projet de loi de finances, la seule prérogative du Sénat est d’indiquer les domaines dans lesquels il souhaiterait que des efforts soient réalisés. Il est très rare que des membres de la Haute Assemblée recommandent de réduire les crédits d’une action publique, sauf s’agissant de l’AME, qui a fait l’objet d’une longue discussion voilà quelques instants.
En l’occurrence, il s’agit de lancer un appel. En montrant qu’il s’agit pour nous d’une priorité, l’adoption d’un tel amendement obligera le Gouvernement à examiner le sujet avec plus d’attention. Et comme lui-même a choisi d’autres priorités – elles ne sont d’ailleurs pas contestées –, il devra trouver des solutions pour que nos demandes soient aussi satisfaites.
M. le président. Mes chers collègues, il nous reste une heure et demie avant la suspension du soir, et nous avons encore deux autres missions à examiner aujourd’hui. Je vous rappelle que nous sommes très contraints par le temps.
L’amendement n° II-451 rectifié, présenté par M. Antiste, Mmes Conconne, Jasmin et G. Jourda, MM. Cabanel, Duran et Raynal, Mme Conway-Mouret et M. Tourenne, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Recherche contre la drépanocytose
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
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Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins dont titre 2 |
5 000 000 |
5 000 000 |
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Protection maladie |
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Recherche contre la drépanocytose |
5 000 000 |
5 000 000 |
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TOTAL |
5 000 000 |
5 000 000 |
5 000 000 |
5 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. La drépanocytose est une maladie héréditaire qui touche l’hémoglobine. Cette protéine est essentielle à la fonction respiratoire. C’est elle qui permet le transport de l’oxygène dans notre organisme. Elle participe aussi à l’élimination du dioxyde de carbone.
Une telle maladie génétique est très répandue dans le monde. Apparue indépendamment en Afrique et en Inde, elle touche tout particulièrement les populations de ces régions. Mais les mouvements de populations l’ont rendue très présente en Amérique, tout particulièrement aux Antilles et au Brésil, et en Europe de l’Ouest.
Cette pathologie touche plus de 20 000 malades en France et plus de 150 000 porteurs sains avérés. En France, 441 enfants drépanocytaires ont vu le jour en 2013, soit une prévalence d’un enfant atteint pour 1 900 naissances. Cela en fait la maladie génétique la plus fréquente en France. Toutefois, la prévalence est beaucoup plus importante dans les départements d’outre-mer et en région parisienne, où se concentrent les populations à risque.
Aujourd’hui, personne ne connaît exactement le coût de la drépanocytose en France. On sait tout juste que le professeur Frédéric Galacteros, spécialiste de la drépanocytose, a présenté une étude américaine chiffrant à 1 million de dollars le coût d’un patient drépanocytaire – dans leur système de santé, c’est le coût total d’une vie de malade. Ce coût, assurément élevé, plaide en faveur d’une vraie politique de prévention et d’investissements dans la recherche de traitements moins onéreux.
Beaucoup d’efforts sont à faire pour que le combat contre la drépanocytose rejoigne le niveau de ce qui existe pour les autres maladies génétiques. Cela suppose d’abord une information large auprès du corps médical, des paramédicaux, des laboratoires d’analyses – chacun peut contribuer à son échelle à la formation à ces problèmes –, des communautés concernées et du public en général, par l’intermédiaire de l’école et des médias. Mais rien ne pourra se faire sans recherche à tous les niveaux.
Cet amendement vise donc à créer un programme spécifique intitulé « Recherche contre la drépanocytose » qui serait abondé à hauteur de 5 millions d’euros, prélevés sur l’action n° 11, Pilotage de la politique de santé publique, du programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Pour des raisons similaires à celles que j’ai exposées tout à l’heure, la commission sollicite le retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Je le rappelle, il existe en France des centres de référence experts labellisés pour la prise en charge des patients atteints de maladies rares, dont la drépanocytose.
Dans le domaine des maladies rares, le lien entre soins et recherche doit être particulièrement étroit. C’est pourquoi des efforts financiers importants sont réalisés pour soutenir des actions pour la recherche. Ainsi, le troisième plan national Maladies rares, lancé voilà un an, est doté d’un budget de près de 780 millions d’euros.
Pour la filière de santé relative à la drépanocytose, la coordination des acteurs nationaux du programme européen de recherche sur les maladies rares est un enjeu majeur. Elle s’inscrit dans le programme prioritaire de recherche sur les maladies rares coordonné par l’Inserm.
Ce travail déjà entamé cette année a défini les contours d’appels à projets destinés à la recherche sur les maladies rares, dont les patients atteints de drépanocytose pourront bénéficier. Des financements spécifiques de plus de 40 millions d’euros sont déjà prévus jusqu’en 2022. Ainsi, pour soutenir concrètement la recherche sur la drépanocytose, nous devons encourager et organiser les équipes pluridisciplinaires dans ces centres de référence et leurs partenaires, afin que des appels à projets de recherche portant sur cette thématique soient soumis.
Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement.
M. le président. Monsieur Antiste, l’amendement n° II-451 est-il maintenu ?
M. Maurice Antiste. Oui, je le maintiens, monsieur le président, et je me permets de formuler deux observations.
Premièrement, il faut parfois savoir déshabiller un peu Paul pour habiller Pierre, surtout si Pierre est buste nu pendant l’hiver !
Deuxièmement, aujourd’hui, des enfants meurent en France, faute d’avoir été dépistés suffisamment tôt. La maladie n’est donc pas si rare que cela. Nous sollicitons donc un dépistage systématique.
Même si mon amendement n’est pas adopté, j’aurais au moins essayé d’entrer par la porte ; je reviendrai bientôt par la fenêtre. (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Je souhaite apporter mon soutien à l’amendement de notre collègue Maurice Antiste. La drépanocytose est effectivement un véritable fléau aux Antilles, en particulier en Guadeloupe.
Le centre de référence en Guadeloupe peine aujourd’hui à exister, par manque de financements. Les professionnels qui ont lancé des appels au secours par le passé n’ont pas le sentiment d’avoir été entendus.
Nous avons donc l’occasion de nous faire entendre. Je comprends les explications qui nous sont apportées, mais il est important d’envoyer un signal aux populations concernées. Je le rappelle, cette maladie touche quasi exclusivement la race noire. De ce point de vue aussi, il faut un équilibre entre les moyens mobilisés en faveur du traitement de maladies rares comme la mucoviscidose ou d’autres, afin qu’ils bénéficient aussi aux populations souffrant de la drépanocytose.
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile, pour explication de vote.
M. Dominique Théophile. Je soutiens sincèrement l’amendement de notre collègue.
En Guadeloupe, le centre de recherche sur la drépanocytose Guy-Mérault a connu de grosses difficultés pendant des années. Vous le savez, la Guadeloupe est malheureusement la plus concernée par la drépanocytose. Je pense qu’une véritable aide s’impose. D’ailleurs, le CHU de Pointe-à-Pitre a intégré voilà environ trois ans ce centre en tant que service déconcentré, grâce à des financements de la région, afin de pouvoir maintenir de tels soins.
Partout dans le monde, on sait que cette maladie fait des ravages. Il serait de bon ton d’adopter cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Comme cela a été souligné, les amendements dont nous sommes saisis présentent l’inconvénient de retirer des crédits à certains programmes pour financer des actions que nous voulons mettre en avant.
Mais il n’y a pas de raison de moins soutenir cet amendement que le précédent. Encore une fois, il s’agit d’adresser un signal.
Nous voterons donc cet amendement.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° II-452 est présenté par M. Tissot, Mme Bonnefoy, MM. Montaugé et M. Bourquin, Mmes Artigalas et Conconne et MM. Courteau, Daunis et Duran.
L’amendement n° II-469 rectifié est présenté par M. Duplomb, Mme Férat, MM. J.M. Boyer, Gremillet, Cuypers, Pierre, Babary, D. Laurent et Piednoir, Mme A.M. Bertrand, MM. Pellevat et Paccaud, Mme Gruny, MM. Laménie et Morisset, Mmes Chauvin, Morhet-Richaud, Deroche et L. Darcos, MM. B. Fournier, Saury, Charon et Pointereau, Mme Thomas, MM. Savary, Bonne et Mayet, Mmes Bruguière et Lassarade, MM. Danesi, Reichardt, Kennel, Houpert, Panunzi et Priou, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Détraigne, Longeot et Maurey, Mme Guidez, M. P. Martin, Mme Perrot et MM. Janssens, Bazin et Milon.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Créer le programme :
Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
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Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins dont titre 2 |
5 000 000 |
5 000 000 |
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Protection maladie |
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Fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques |
5 000 000 |
5 000 000 |
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TOTAL |
5 000 000 |
5 000 000 |
5 000 000 |
5 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
L’amendement n° II-452 n’est pas soutenu.
La parole est à M. René-Paul Savary, pour présenter l’amendement n° II-469 rectifié.
M. René-Paul Savary. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 crée un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques et prévoit des dispositions pour l’abonder. Nous considérons que l’État a un rôle à jouer en la matière. Or aucune participation de l’État n’est envisagée dans le texte.
Nous proposons donc une mesure en loi de finances pour que l’État s’engage également à abonder le fonds. C’est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. La commission souhaite connaître l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Comme cela vient d’être rappelé, le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides fait l’objet d’un article dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Dans le dispositif prévu par le Gouvernement, le financement reposera sur les employeurs, via les cotisations versées pour abonder la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), et sur les fabricants de produits phytopharmaceutiques, via la taxe sur la vente de ces produits.
Le financement complémentaire de l’État au nom des arguments qui sont avancés ne paraît donc pas justifié. Les procédures de mise sur le marché des pesticides sont strictement encadrées. Un dispositif de pharmacovigilance piloté par l’Anses a été mis en place dès 2014 pour surveiller les éventuels effets indésirables. Le Gouvernement a aussi engagé des actions pour réduire l’utilisation des pesticides de 25 % d’ici à 2020 et de 50 % d’ici à 2025. Des mesures de protection des publics sensibles ont été adoptées.
Les sources de financements prévues par le Gouvernement apparaissent suffisantes pour couvrir les besoins du fonds. L’avis est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Depuis que nous avons retenu le principe de créer un fonds d’indemnisation des victimes des pesticides, nous aurons tout entendu de la part de l’État !
Ainsi que vous l’avez vous-même souligné, madame la secrétaire d’État, c’est l’État qui autorise la mise sur le marché des substances concernées. D’ailleurs, le rapport de vos trois inspections préconise un financement tripartite, donc avec une part relevant de l’État. Cela n’a au demeurant rien d’extraordinaire, puisque c’est ce qui existe pour les autres fonds.
Ce qui serait en revanche exorbitant du droit commun, voire de la morale publique, ce serait que l’État s’exonère de toute participation et fasse reposer le financement du fonds uniquement sur les autres parties.
Vous dites que les ressources sont suffisantes. Certes, compte tenu des limitations que vous avez posées dans le texte que vous avez fait adopter à l’Assemblée nationale – nous en débattrons demain lors de l’examen du PLFSS –, les recettes sont susceptibles d’être suffisantes… Mais vous ne maîtrisez pas ce que seront les réparations !
Aussi, pour des raisons tant principielles que pratiques – assurer le financement du fonds –, il semble nécessaire que l’État apporte une contribution. En plus, celle qui est proposée est symbolique. Nous voterons cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Corinne Imbert, rapporteure pour avis. Je le rappelle, la commission des affaires sociales s’est prononcée en faveur d’un amendement de son rapporteur général sur l’article 46 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, que le Sénat examinera demain en nouvelle lecture, allant dans le même sens que l’amendement dont nous discutons actuellement.
Nous partageons évidemment le souhait de consacrer le principe d’une indemnisation des victimes des pesticides, et nous pensons qu’il faut une participation de l’État.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. C’est la preuve que les grands esprits se rencontrent !
Le fait qu’il y ait des cosignataires en provenance de toutes les travées de l’hémicycle et de toutes les commissions montre bien qu’il y a un vrai problème, madame la secrétaire d’État. En plus, l’abondement envisagé est modeste. Mais, que ce soit sur cette ligne ou sur une autre, il est vraiment important qu’il y ait une prise de conscience.
Car l’État a aussi des responsabilités. Le service d’entretien des routes n’a-t-il pas utilisé certains produits phytosanitaires avec des conséquences qui se sont révélés dramatiques pour l’environnement ? Et la SNCF a largement fait de même. Si des agents sont aujourd’hui victimes des effets secondaires de ces produits, il faut qu’ils soient pris en charge.
Une solidarité nationale s’impose. Le fonds ne doit pas concerner seulement les agriculteurs ou les entreprises qui fabriquent des produits phytopharmaceutiques. Au demeurant, le terme « pesticides » a une connotation péjorative dans l’esprit des gens. C’est malvenu, car cela contribue à l’agri-bashing. Des efforts sont donc nécessaires s’agissant à la fois de la sémantique et du financement.
Comme j’aime mieux tenir que courir, je maintiens cet amendement. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Je précise que le fonds dont nous discutons est effectivement différent des autres fonds, à plusieurs titres.
Si le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante fait l’objet d’un financement par l’État, c’est parce qu’il s’agit de victimes environnementales. Dans le cas du fonds portant sur les pesticides et les produits phytopharmaceutiques, les victimes, par exemple des agriculteurs, sont des professionnels…
Mme Sophie Taillé-Polian. Les victimes de l’amiante aussi !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. C’est pour cette raison que nous passons par la branche AT-MP. D’ailleurs, cela fait aussi partie de la solidarité nationale. (M. René-Paul Savary s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. La commission avait interrogé le Gouvernement pour savoir s’il comptait cofinancer le fonds. Visiblement, ce n’est pas le cas.
Compte tenu des arguments du docteur Savary, la commission des finances ne m’en voudra pas, je le crois, de soutenir cet amendement. D’ailleurs, ce serait peut-être l’occasion pour elle d’être associée cet après-midi à une victoire programmée. (Sourires.)
M. Bernard Jomier. Bien dit !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Il convient, me semble-t-il, de saluer le travail des auteurs de l’amendement qui nous est proposé. Nous partageons vraiment leurs préoccupations. Le fonds doit être abondé, et l’État doit prendre ses responsabilités.
Je ne comprends pas du tout les arguments de Mme la secrétaire d’État. Les maladies liées à l’amiante ont majoritairement été contractées dans un cadre professionnel. Et, en l’occurrence, les cadres professionnels étaient multiples.
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Santé », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. J’appelle en discussion les articles 78 duodecies, 78 terdecies, 78 quaterdecies, 78 quindecies et 78 sexdecies qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Santé ».
Santé
Article 78 duodecies (nouveau)
Le titre V du livre II du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article L. 251-1 est ainsi modifié :
a) Les mots : « depuis plus de trois mois, » sont supprimés ;
b) Après le mot : « sociale », sont insérés les mots : « depuis plus de trois mois, » ;
c) La référence : « au 1° de l’article L. 861-1 de ce » est remplacée par la référence : « à l’article L. 861-1 du même » ;
2° Après le septième alinéa de l’article L. 251-2, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À l’exclusion des cas où ces frais concernent des bénéficiaires mineurs, la prise en charge mentionnée au premier alinéa du présent article peut être subordonnée pour certains frais relatifs à des prestations programmées et ne revêtant pas un caractère d’urgence à un délai d’ancienneté de bénéfice de l’aide médicale de l’État qui ne peut excéder neuf mois. Par dérogation, lorsque l’absence de réalisation de ces prestations avant l’expiration de ce délai est susceptible d’avoir des conséquences vitales ou graves et durables sur l’état de santé de la personne, leur prise en charge est accordée après accord préalable du service du contrôle médical mentionné à l’article L. 315-1 du code de la sécurité sociale. Un décret en Conseil d’État définit les frais concernés, le délai d’ancienneté et les conditions de mise en œuvre de ces dispositions. » ;
3° L’article L. 252-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 252-1. – La première demande d’aide médicale de l’État est déposée auprès d’un organisme d’assurance maladie qui en assure l’instruction pour le compte de l’État.
« Toutefois, elle peut être déposée auprès d’un établissement de santé dans lequel le demandeur est pris en charge. Dans ce cas, l’établissement transmet le dossier de demande, dans un délai de huit jours, à l’organisme d’assurance maladie.
« Toute demande de renouvellement de l’aide médicale de l’État peut être déposée auprès d’un organisme d’assurance maladie qui en assure l’instruction par délégation de l’État, d’un établissement de santé dans lesquels le demandeur est pris en charge, d’un centre communal ou intercommunal d’action sociale du lieu de résidence de l’intéressé, des services sanitaires et sociaux du département de résidence ou des associations ou organismes à but non lucratif agréés à cet effet par décision du représentant de l’État dans le département.
« Dans tous ces cas, l’organisme transmet le dossier de demande pour instruction à l’organisme d’assurance maladie.
« Les services sociaux et les associations ou organismes à but non lucratif agréés à cet effet par le représentant de l’État dans le département apportent leur concours aux intéressés dans leur demande d’aide médicale de l’État.
« Par dérogation au premier alinéa du présent article, les demandes présentées par les personnes pouvant bénéficier de l’aide médicale en application des deux derniers alinéas de l’article L. 251-1 sont instruites par les services de l’État. »
M. le président. L’amendement n° II-419, présenté par MM. Jomier, Leconte, Daudigny et Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais, Jasmin, Lubin, Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Carcenac et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Nous n’allons pas reprendre le débat sur l’AME que nous venons d’avoir. Je veux le souligner, le Gouvernement prévoit des restrictions à l’accès à l’AME qu’il mêle à des restrictions à l’accès à la protection universelle maladie (PUMa), ce qui, selon nous, est inopérant et envoie un mauvais message. Je rappelle que les personnes qui ont accès à la PUMa, les demandeurs d’asile, sont en situation régulière sur le territoire.
Je veux ajouter un point au débat relatif à l’instauration d’un délai de carence : si l’on comprend la logique d’une telle mesure, elle ne correspond pas à la situation réelle. Le droit formel prévoit un délai de carence de trois mois de résidence sur le territoire pour les demandeurs d’AME, mais pas pour les demandeurs de la PUMa.
En raison de la longueur des démarches et de leur complexité administrative – je vous invite, mes chers collègues, à regarder ce qu’est un dossier de demande d’AME ou de PUMa –, il faut plutôt six à neuf mois pour exercer réellement ce droit, qui de plus doit être renouvelé annuellement. Cela explique les ruptures de prise en charge très fréquentes et le faible taux de recours.
Toutes les mesures qui visent à accroître encore dans le droit formel les délais conduiront à retarder l’exercice du droit dans la réalité de six, voire neuf mois. Pour ce qui est des demandeurs d’asile, les fraudeurs qui passent par des filières savent très bien contourner les obstacles et réduire ces délais, mais la personne isolée, qui s’adresse simplement à une association, sera victime d’un délai encore allongé, et donc d’un moindre accès aux soins de santé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Le pas en avant du Gouvernement dont je parlais précédemment n’est certes qu’un petit pas, mais il va dans le même sens que celui proposé par la commission des finances.
Nous ne pouvons donc que soutenir la démarche du Gouvernement et être défavorables à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Je ne vais pas non plus revenir sur le débat sur l’AME, mais je veux répondre à votre question relative aux demandeurs d’asile, monsieur le sénateur. Vous parlez des délais. Je vous précise que le droit sera ouvert à la date de la demande et que la date prise en compte pour le calcul des trois mois est celle de l’arrivée sur le territoire.
Ensuite se déroule l’instruction, et nous savons combien il est long et difficile pour certaines personnes de constituer leur dossier. J’y insiste, le droit est ouvert à la date de la demande, et non à la date d’acceptation du dossier, et le délai de trois mois est calculé à partir de la date d’arrivée sur le territoire. En effet, l’étude du dossier prend parfois plus de six mois, et le droit est déjà ouvert pour la personne qui est sur le territoire.
Vous évoquez les demandeurs d’asile, qui sont sur le territoire de façon régulière, tout comme le sont les assurés français qui reviennent de l’étranger : on applique aux deux catégories le même principe, qui était déjà dérogatoire, et donc le même délai de trois mois.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Nous sommes là au cœur de la réforme de l’aide médicale de l’État qui est un non-sens sanitaire – je l’ai déjà souligné –, car les personnes étrangères continueront d’être malades, un non-sens économique, car elles retarderont leurs soins et les symptômes s’aggraveront et nécessiteront des interventions plus complexes et plus longues, et enfin un non-sens humanitaire, car vous cédez aux fantasmes de la droite la plus extrême : plutôt que de maintenir des conditions d’accueil dignes de notre pays, vous les restreignez.
Le professeur Frédéric Adnet, chef des urgences de l’hôpital Avicenne de Bobigny, qui est un établissement de l’AP-HP, est confronté dans sa pratique quotidienne à des patients bénéficiaires de l’AME. À la question de l’existence d’un tourisme médical en lien avec l’AME – un sujet qui fait suite à notre débat précédent –, il répondait au Quotidien du médecin le 28 octobre dernier : « Non. C’est un fantasme complet ! Je n’ai jamais observé et on ne m’a jamais rapporté de patients qui présenteraient leur carte d’AME pour faire soigner leur cancer. Je mets quiconque au défi de prouver l’existence d’un tel tourisme médical. Il n’existe aucun chiffre, seulement des bruits de couloir. Les patients bénéficiaires de l’AME n’ont pas calculé de venir en France pour soigner des pathologies chroniques. Pourtant, je travaille dans l’hôpital le plus proche de l’aéroport de Roissy, donc si le tourisme médical existait, on le verrait chez nous. »
Il conclut par ces mots : « L’AME a donc un effet de médecine préventive et permet d’éviter la dissémination des pathologies contagieuses. […] On a tout intérêt, au contraire, à maintenir ce dispositif et même à l’étendre aux personnes qui résident depuis moins de trois mois sur le sol français. »
Tout est dit, mes chers collègues. C’est pour cette raison que nous soutenons totalement l’amendement de nos collègues socialistes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je ferai quelques réflexions non pas directement sur l’AME, mais sur les propos de Mme la secrétaire d’État relatifs aux Français qui reviennent dans notre pays, ainsi que sur la liberté de circulation dans l’Union européenne, qui a malheureusement conduit à prévoir dans la loi ce délai de trois mois.
Monsieur Joyandet, même si nous ne sommes pas le seul pays de l’Union européenne qui soigne les gens quand ils en ont besoin, nous ne pouvons pas non plus ouvrir ce droit à toute personne en situation régulière depuis un jour. Nous avons donc institué un délai de trois mois pour tenir compte de la liberté de circulation dans l’Union européenne. La carte européenne d’assurance maladie devait normalement conduire à réduire le risque auquel nous sommes en réalité confrontés.
Je voudrais poser deux questions.
D’abord, s’agissant des demandeurs d’asile qui, compte tenu de nos engagements conventionnels, bénéficiaient jusqu’à présent d’une dérogation pour avoir droit à la PUMa dès leur enregistrement : comment organiser leur retour dans le droit commun, alors que ces engagements nous enjoignent d’assurer des soins aux demandeurs d’asile ?
Vous avez abordé le sujet, madame la secrétaire d’État, et Mme la ministre de la santé et des solidarités a répondu à une question sur ce point de notre collègue Gilbert-Luc Devinaz il y a quelques semaines : un panel de soins pris en charge a été prévu. Mais sur quel budget ? Si cela ne relève plus de la PUMa, qui va payer ? Quel est ce nouveau système ? Pouvez-vous nous apporter des précisions ?
Ensuite, pour ce qui concerne les Français qui reviennent en France, votre gouvernement a, l’année dernière et cette année, pris deux dispositions qui vont dans le même sens : la première, en supprimant la possibilité pour un pensionné français qui rentre dans notre pays pour une courte période d’avoir droit à l’assurance maladie et à sa carte Vitale, s’il n’a pas cotisé quinze ans – c’est votre gouvernement qui a pris cette disposition l’année dernière ; la seconde mesure, du même ordre, prise cette année : le conjoint, qui ne touche pas de retraite, d’un pensionné français ne pourra plus avoir de carte Vitale à partir du 1er janvier 2020. Ce que vous faites pour les étrangers, vous le faites aussi pour les Français !
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. Cette dernière disposition est profondément sexiste dans la mesure où, souvent, les conjoints de pensionnés sont des femmes,…
M. le président. Concluez, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. … compte tenu des classes d’âge visées. Cela posera énormément de difficultés à partir du 1er janvier 2020. Madame la secrétaire d’État,…
M. le président. Vous exagérez, monsieur Leconte ! (Sourires.)
M. Jean-Yves Leconte. … quel sera le budget sollicité ?
M. le président. L’amendement n° II-37, présenté par M. Joyandet, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Après le V de la section II du chapitre II du titre IV de la première partie du code général des impôts, est insérée une division ainsi rédigée :
« V bis : Aide médicale d’urgence
« Art. 962 ter. – Le droit aux prestations mentionnées à l’article L. 251-2 du code de l’action sociale et des familles est conditionné par le paiement d’un droit annuel par bénéficiaire majeur, d’un montant de 30 euros ».
II. – Le titre V du livre II du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Le chapitre Ier est ainsi rédigé :
« Chapitre Ier
« Aide médicale d’urgence
« Art. L. 251-1. – Tout étranger résidant en France sans remplir la condition de régularité mentionnée à l’article L. 160-1 du code de la sécurité sociale depuis plus de trois mois, et dont les ressources ne dépassent pas le plafond mentionné à l’article L. 861-1 du même code a droit, pour lui-même et les personnes à sa charge, à l’aide médicale d’urgence, sous réserve, s’il est majeur, de s’être acquitté, à son propre titre et au titre des personnes majeures à sa charge, telles que définies ci-dessus, du droit annuel mentionné à l’article 962 ter du code général des impôts.
« En outre, toute personne qui, ne résidant pas en France, est présente sur le territoire français, et dont l’état de santé le justifie, peut, par décision individuelle prise par le ministre chargé de l’action sociale, bénéficier de l’aide médicale d’urgence dans les conditions prévues par l’article L. 251-2.
« De même, toute personne gardée à vue sur le territoire français, qu’elle réside ou non en France, peut, si son état de santé le justifie, bénéficier de l’aide médicale d’urgence, dans des conditions définies par décret.
« Art. L. 251-2. – La prise en charge, assortie de la dispense d’avance des frais, concerne :
« 1° La prophylaxie et le traitement des maladies graves et des douleurs aiguës ;
« 2° Les soins liés à la grossesse et ses suites ;
« 3° Les vaccinations réglementaires ;
« 4° Les examens de médecine préventive.
« La prise en charge est subordonnée, lors de la délivrance de médicaments appartenant à un groupe générique tel que défini à l’article L. 5121-1 du code de la santé publique, à l’acceptation par les personnes mentionnées à l’article L. 251-1 du présent code d’un médicament générique, sauf :
« 1° Dans les groupes génériques soumis au tarif forfaitaire de responsabilité défini à l’article L. 162-16 du code de la sécurité sociale ;
« 2° Lorsqu’il existe des médicaments génériques commercialisés dans le groupe dont le prix est supérieur ou égal à celui du princeps ;
« 3° Dans le cas prévu au troisième alinéa de l’article L. 5125-23 du code de la santé publique.
« À l’exclusion des cas où ces frais concernent des bénéficiaires mineurs, la prise en charge mentionnée au premier alinéa du présent article peut être subordonnée pour certains frais relatifs à des prestations programmées et ne revêtant pas un caractère d’urgence à un délai d’ancienneté de bénéfice de l’aide médicale de l’État. Ce délai ne peut excéder neuf mois. Par dérogation, lorsque l’absence de réalisation de ces prestations avant l’expiration de ce délai est susceptible d’avoir des conséquences vitales ou graves et durables sur l’état de santé de la personne, leur prise en charge est accordée après accord préalable du service du contrôle médical mentionné à l’article L. 3151 du code de la sécurité sociale. »
« Art. L. 251-3. – Les modalités d’application du présent chapitre sont déterminées par décret en Conseil d’État. » ;
2° L’article L. 252-1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 252-1. – La demande d’aide médicale de l’État est déposée auprès d’un organisme d’assurance maladie qui en assure l’instruction pour le compte de l’État.
« Toutefois, elle peut être déposée auprès d’un établissement de santé dans lequel le demandeur est pris en charge. Dans ce cas, l’établissement transmet le dossier de demande, dans un délai de huit jours, à l’organisme d’assurance maladie. »
III. – Le I entre en vigueur à compter du 1er janvier 2021.
IV. – Le II entre en vigueur à compter du 1er janvier 2020.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. On peut considérer que l’amendement a été défendu, et que le débat a eu lieu.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-37.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRCE.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 49 :
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 288 |
Pour l’adoption | 146 |
Contre | 142 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, l’article 78 duodecies est ainsi rédigé et l’amendement n° II-364 rectifié n’a plus d’objet.
Article 78 terdecies (nouveau)
La première phrase de l’article L. 254-1 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifiée :
1° Les mots : « à ceux des » sont remplacés par le mot : « aux » ;
2° Après la référence : « L. 251-1 », sont insérés les mots : « ainsi qu’aux demandeurs d’asile majeurs qui ne relèvent pas du régime général d’assurance maladie ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° II-38 est présenté par M. Joyandet, au nom de la commission des finances.
L’amendement n° II-420 est présenté par MM. Jomier, Leconte, Daudigny et Kanner, Mmes Féret, Grelet-Certenais, Jasmin, Lubin, Meunier et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Carcenac et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour présenter l’amendement n° II-38.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Cet amendement tend à supprimer l’article 78 terdecies.
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour présenter l’amendement n° II-420.
M. Bernard Jomier. Mon amendement est effectivement le même que celui du rapporteur : il s’agit de supprimer l’article, mais – vous vous en doutez bien ! – pas tout à fait pour les mêmes raisons.
Je ne serai pas long, mais cette confusion entre les étrangers en situation irrégulière et les personnes en situation régulière n’est ni bonne ni souhaitable. C’est la raison de fond pour laquelle je propose la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Les amendements tendent à supprimer l’accès des demandeurs d’asile majeurs aux soins urgents.
L’article 72 terdecies permet l’éligibilité des demandeurs d’asile aux soins d’urgence pendant les trois premiers mois de résidence. Cette mesure a été prise en compte dans les crédits. L’adoption de ces amendements conduirait à supprimer l’accès à ces soins pendant cette période.
L’avis est défavorable.
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Madame la secrétaire d’État, je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous n’avez pas compris que notre amendement doit se lire en cohérence avec les précédents !
Nous ne souhaitons pas l’instauration de délai de carence : il n’y a donc pas de raison de dispenser de ce délai qui que ce soit. Donnez-nous acte de la cohérence de notre position, qui aboutit à cet amendement, lequel ne traduit aucunement une volonté d’attenter au droit aux soins de ces personnes !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Il faut garder raison dans ce débat. Je voudrais donner quelques chiffres : seulement 51 % des migrants sans papiers éligibles à l’aide médicale de l’État la demandent. Parce que, on l’a dit, les démarches sont trop compliquées et que l’ignorance de l’existence même de ce dispositif pèse sur ces personnes.
Tel est le résultat d’une étude réalisée par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé et l’université de Bordeaux, qui permet pour la première fois de mieux dessiner le profil des bénéficiaires de l’AME.
En réalité, seul un migrant en situation irrégulière sur deux, pourtant éligible à l’aide médicale de l’État, y a recours. Même après cinq années ou plus de résidence en France, 35 % d’entre eux n’ont pas l’AME, comme le relève l’étude.
Dans l’ensemble, si le non-recours à l’AME reste fréquent, c’est que 33 % déclarent n’avoir jamais entendu parler de ce dispositif, et 41 % ont abandonné les démarches qui sont trop compliquées. Cela a déjà dit dans nos débats, mais je m’appuie là sur une étude. Je sais que plusieurs de mes collègues sont friands de statistiques : eh bien, en voilà !
Finalement, toutes les complexités administratives qui ont été mises en place par les gouvernements successifs conduisent de nombreuses personnes à ne plus pouvoir se soigner.
Pour notre part, nous ne pouvons approuver ce genre de mesures. Il me paraît donc extrêmement important de faire en sorte que nous votions ensemble cet amendement de suppression.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos II-38 et II-420.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 78 terdecies est supprimé.
Article 78 quaterdecies (nouveau)
I. – La section 4 ter du chapitre II du titre IV du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est ainsi modifiée :
1° Les articles L. 1142-24-11 à L. 1142-24-13 sont ainsi rédigés :
« Art. L. 1142-24-11. – Un collège d’experts placé auprès de l’office procède à toute investigation utile à l’instruction de la demande, dans le respect du principe du contradictoire. Il diligente, le cas échéant, une expertise, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel ou industriel.
« Le collège est présidé par un membre du Conseil d’État, un magistrat de l’ordre administratif ou un magistrat de l’ordre judiciaire, en activité ou honoraire, et comprend notamment une personne compétente dans le domaine de la réparation du dommage corporel, une personne compétente en droit de la responsabilité médicale ainsi que des médecins proposés par le Conseil national de l’ordre des médecins, par des associations de personnes malades et d’usagers du système de santé ayant fait l’objet d’un agrément au niveau national dans les conditions prévues à l’article L. 1114-1, par les producteurs, exploitants et fournisseurs concernés ou leurs assureurs, par les assureurs des professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code et des établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, et par l’État.
« La composition du collège d’experts et ses règles de fonctionnement, propres à garantir son indépendance, son impartialité et le respect du principe du contradictoire, ainsi que la procédure suivie devant lui et les modalités d’information des organismes de sécurité sociale auxquels la victime est affiliée sont déterminées par décret en Conseil d’État.
« Les membres du collège et les personnes qui ont à connaître des documents et informations détenus par celui-ci sont tenus au secret professionnel, dans les conditions et sous les peines prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
« Art. L. 1142-24-12. – S’il constate un ou plusieurs dommages mentionnés à l’article L. 1142-24-10 qu’il impute à la prescription, avant le 31 décembre 2015, de valproate de sodium ou de l’un de ses dérivés pendant une grossesse, le collège d’experts émet un avis sur les circonstances, les causes, la nature et l’étendue de ces dommages ainsi que sur la responsabilité de l’une ou de plusieurs des personnes mentionnées au premier alinéa de l’article L. 1142-5 ou de l’État, au titre de ses pouvoirs de sécurité sanitaire.
« Les malformations congénitales sont présumées imputables à un manque d’information de la mère sur les effets indésirables du valproate de sodium ou de l’un de ses dérivés lorsqu’il a été prescrit à compter du 1er janvier 1982.
« Les troubles du développement comportemental et cognitif sont présumés imputables à un manque d’information de la mère sur les effets indésirables du valproate de sodium ou de l’un de ses dérivés lorsqu’il a été prescrit à compter du 1er janvier 1984.
« L’avis du collège d’experts est émis dans un délai de six mois à compter de la saisine de l’office. Il est transmis à la personne qui l’a saisi et à toutes les personnes intéressées par le litige, notamment les organismes de sécurité sociale auxquels est affiliée la victime. Il s’impose à l’office.
« Cet avis ne peut être contesté qu’à l’occasion de l’action en indemnisation introduite devant la juridiction compétente par la victime ou des actions subrogatoires prévues aux articles L. 1142-14 et L. 1142-24-17.
« Sous réserve que le premier avis de rejet n’ait pas donné lieu à une décision juridictionnelle irrévocable dans le cadre de la procédure mentionnée au cinquième alinéa du présent article, un nouvel avis peut être rendu par le collège d’experts dans les cas suivants :
« 1° Si des éléments nouveaux sont susceptibles de justifier une modification du précédent avis ;
« 2° Si les dommages constatés sont susceptibles, au regard de l’évolution des connaissances scientifiques, d’être imputés au valproate de sodium ou à l’un de ses dérivés.
« Art. L. 1142-24-13. – L’article L. 1142-24-3 est applicable à l’indemnisation des préjudices régis par la présente section. » ;
2° Les articles L. 1142-24-14 et L. 1142-24-15 sont abrogés ;
3° L’article L. 1142-24-16 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa du I, les mots : « comité d’indemnisation » sont remplacés, deux fois, par les mots : « collège d’experts » ;
b) À la première phrase du premier alinéa du II, les mots : « comité d’indemnisation » sont remplacés, deux fois, par les mots : « collège d’experts » et les mots : « au regard des obligations légales et réglementaires s’imposant au produit » sont supprimés ;
4° À la première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 1142-24-17, les mots : « de trois » sont remplacés par les mots : « d’un ».
II. – Les dossiers en cours de rapport ou d’avis à la date de l’installation du nouveau collège d’experts sont repris par ce dernier, qui peut également être saisi d’une demande de réexamen d’un dossier ayant fait l’objet d’un avis du comité d’indemnisation, sous réserve que cet avis n’ait pas donné lieu au paiement transactionnel d’une indemnité.
III. – Les deuxième et troisième alinéas de l’article L. 1142-24-12 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant du I, sont applicables aux demandes introduites devant l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux avant comme après l’entrée en vigueur de la présente loi. – (Adopté.)
Article 78 quindecies (nouveau)
Le Gouvernement présente, en annexe générale au projet de loi de finances de l’année, un rapport sur la politique de prévention et de promotion de la santé.
Cette annexe rassemble l’ensemble des moyens dédiés à la politique de prévention et de promotion de la santé de l’État, de la sécurité sociale et des collectivités territoriales.
M. le président. L’amendement n° II-39, présenté par M. Joyandet, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. La commission des finances n’est, de tradition, pas très favorable aux demandes de rapport. Il est donc proposé de supprimer le rapport prévu dans cet article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Les « jaunes » et les « oranges » budgétaires, aussi appelés documents de politique transversale, ont tous deux vocation à retracer l’effort financier global dédié à une politique interministérielle.
Concernant la politique de prévention en matière de santé, l’Assemblée nationale comme le Sénat demandent régulièrement à disposer d’une meilleure visibilité du financement – les débats précédents l’ont bien prouvé.
L’Assemblée nationale a estimé, et je partage son avis, qu’un « jaune » budgétaire permettrait une meilleure consolidation et une meilleure lecture des informations budgétaires relevant de sources de financement très différentes, à savoir le budget de l’État, celui de l’assurance maladie et celui des collectivités territoriales.
Cela étant, je partage votre analyse, monsieur le rapporteur, concernant la redondance qui résulterait de la production d’un document supplémentaire sur une même politique publique. En revanche, il me semblerait préférable de privilégier le format du « jaune ».
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 78 quindecies.
(L’article 78 quindecies est adopté.)
Article 78 sexdecies (nouveau)
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur le financement et l’évolution du financement des centres de référence maladies rares.
M. le président. L’amendement n° II-40, présenté par M. Joyandet, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Il s’agit là aussi d’un rapport que la commission des finances avait souhaité, dans son élan, supprimer.
Néanmoins, ce rapport porte sur les maladies rares, et tant la communauté médicale que les familles concernées se sont émues de notre position. Elles nous ont expliqué que ce document était nécessaire pour faire avancer leur cause. J’ai donc proposé, ce matin, à la commission des finances de revoir notre position.
Je propose donc, pour ne pas allonger les débats, de retirer purement et simplement l’amendement pour permettre le maintien de ce rapport. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et LaREM.)
M. Martin Lévrier. Bravo !
M. Alain Joyandet, rapporteur spécial. Mes chers collègues, je vous remercie pour vos applaudissements : l’après-midi se termine bien ! (Rires.)
M. le président. L’amendement n° II-40 est retiré.
Je mets aux voix l’article 78 sexdecies.
(L’article 78 sexdecies est adopté.)
M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Santé ».
Organisation des travaux
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. J’informe les membres de la commission des affaires sociales que nous nous réunirons, à la suspension, pour examiner les amendements sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont nous débattrons demain en séance.
M. le président. Mes chers collègues, je vous indique que je suspendrai la séance à vingt heures.
Solidarités, insertion et égalité des chances
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » (et articles 78 octodecies à 78 vicies).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui porte les politiques publiques de solidarité et de cohésion sociale de l’État en faveur des personnes les plus fragiles, est dotée de 25,5 milliards d’euros de crédits de paiement en 2020. Ces crédits progressent ainsi de 6,7 % par rapport à 2018, soit une augmentation de près de 1,6 milliard d’euros.
Cette hausse significative est principalement due au dynamisme structurel et aux revalorisations de la prime d’activité et de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), dont les dépenses sont estimées à 20 milliards d’euros pour 2020.
Malgré cette hausse des crédits et les revalorisations que nous saluons, ce budget n’est pourtant pas pleinement satisfaisant, madame la secrétaire d’État.
D’abord, ce budget intègre, comme les années précédentes, de discrets « coups de rabots » touchant les plus fragiles : revalorisation à 0,3 % en 2020 de la prime d’activité et de l’AAH ; baisse de l’abattement portant sur les revenus d’activité pris en compte dans le calcul de la prime d’activité ; suppression du complément de ressources pour les bénéficiaires de l’AAH notamment.
Ensuite, ce budget est entouré d’un certain nombre d’incertitudes, qui nous inquiètent.
En premier lieu, la montée en charge extrêmement dynamique des dépenses de prime d’activité qui a occasionné des difficultés de gestion dans les caisses d’allocations familiales (CAF), comme nous avons pu le constater lors de nos déplacements dans les CAF du Nord et du Val-d’Oise. Les CAF ont reçu, du 1er janvier au 30 avril 2019, plus de 1,4 million de demandes, contre 276 000 à la même période en 2018. Le nombre de foyers allocataires de la prime d’activité a ainsi augmenté de 47 % entre septembre 2018 et mars 2019, pour atteindre aujourd’hui 4,1 millions de foyers bénéficiaires.
Outre le nombre de bénéficiaires, l’évolution de leur profil nous amène à nous interroger. D’après un rapport du Gouvernement remis au Parlement, ce sont les tranches de revenus les plus élevés qui progressent parmi les bénéficiaires. De même, cette revalorisation de la prime d’activité fait – il est vrai – baisser le taux de pauvreté de 0,5 point, tout en s’accompagnant d’une hausse de 0,5 point de l’intensité de la pauvreté, ce qui nous pose question.
Deuxième sujet d’incertitude et d’inquiétude, la mise en œuvre du revenu universel d’activité (RUA) est entourée de plusieurs flous, et non des moindres.
D’abord, le périmètre du RUA est imprécis, avec notamment la question de l’intégration de l’AAH. Le Gouvernement semble avoir fixé deux lignes rouges, sur lesquelles je serai extrêmement vigilant : premièrement, aucune conditionnalité en termes d’activité ne sera exigée pour le versement du revenu minimum s’agissant du handicap ; deuxièmement, les moyens mobilisés aujourd’hui pour le handicap devront lui rester affectés. Par ailleurs, outre son périmètre, des incertitudes entourent le financement du RUA. Sur ce sujet, madame la secrétaire d’État, je vous interroge : comment seront financées les modalités de reprise du revenu de solidarité active (RSA) aux départements ? Cette question est extrêmement sensible pour l’Assemblée des départements de France (ADF).
Dernier sujet d’inquiétude que je souhaitais aborder et qui concerne d’ailleurs également les départements : le financement de l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA), dont l’enveloppe prévue n’est toujours pas à la hauteur des enjeux. L’ADF estime aujourd’hui à 2 milliards d’euros le coût induit par l’évaluation et la prise en charge de ces mineurs, quand le budget de l’État atteint péniblement les 162 millions d’euros. Pourquoi, madame la secrétaire d’État, l’État, qui s’y était d’ailleurs engagé, ne reprend-il pas à sa charge une partie du dispositif, qui devrait légitimement lui revenir au titre de ses missions régaliennes ? M. le Premier ministre l’avait d’ailleurs annoncé quand il a rencontré en 2017 les départements de France lors de leur congrès annuel.
Malgré ces insuffisances que je regrette vivement et au vu de la hausse des crédits, la commission des finances a décidé d’adopter ceux-ci, tels qu’ils auront été modifiés par l’adoption un amendement que mon collègue Éric Bocquet vous présentera. Nous serons néanmoins attentifs aux réponses apportées par Mme la secrétaire d’État aux sujets d’inquiétude que nous avons pointés.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Arnaud Bazin a parfaitement souligné les insuffisances et incohérences budgétaires dont souffre cette mission, mais il ne s’agit malheureusement pas des seules.
Je souhaitais à cet égard pointer trois autres sujets d’inquiétudes, à commencer par la stratégie de prévention et de protection de l’enfance, lancée par le Gouvernement en octobre dernier. Si l’ambition de ce plan est louable, nous nous interrogeons sur son financement et ses modalités de mise en œuvre. Une enveloppe de 30 millions d’euros a été ouverte, à laquelle devraient s’ajouter 20 millions d’euros « par redéploiement ». Madame la secrétaire d’État, comment se fera ce redéploiement, et pensez-vous que ce montant soit suffisant au vu des enjeux en la matière ?
Autre sujet d’inquiétude, le financement de l’aide alimentaire, qui fut l’objet de notre précédent rapport de contrôle. Le système d’aide alimentaire français, qui bénéficie aujourd’hui à près de 5,5 millions de personnes, apparaît plus que jamais fragilisé par les difficultés de gestion liées au Fonds européen d’aide aux plus démunis. Ces difficultés font peser de vrais risques budgétaires pour la France : au bas mot, 70 millions d’euros dus à des non-remboursements de la part de la Commission européenne devraient être compensés sur le budget de l’État. C’est assez dramatique, d’autant que la prochaine programmation se profile.
Madame la secrétaire d’État, je sais que vous suivez ce dossier de près, mais il est impératif que l’État tire les conséquences de ces défaillances, pour que, in fine, les bénéficiaires, les plus fragiles de nos concitoyens, ne soient pas encore les victimes collatérales de sa mauvaise gestion.
Par ailleurs, sur ce sujet de l’aide alimentaire, je souhaitais vous interroger, madame la secrétaire d’État, sur l’incohérence de la réforme du mécénat que vous mettez en œuvre. Les associations d’aide alimentaire dites « loi Coluche » ont été exclues du champ d’application du dispositif. Néanmoins, cette dérogation s’applique seulement aux structures « qui procèdent à la fourniture gratuite de repas », et tend donc à exclure les épiceries solidaires, dont le modèle reposant sur la participation symbolique des bénéficiaires pourrait être remis en cause, ce qui serait très regrettable.
Le dernier sujet que je souhaitais aborder concerne les crédits consacrés aux politiques de lutte contre les violences faites aux femmes, qui figurent en partie dans le programme 137 de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Là encore, la réponse gouvernementale n’est pas à la hauteur des enjeux.
Plus que jamais, cette priorité politique, déclarée comme telle par le Gouvernement, doit faire l’objet d’un passage des paroles aux actes. Habitué à s’attribuer la création de mesures déjà existantes ou à faire fi des politiques passées, le Gouvernement semble, sur ce sujet, se heurter à l’épineuse question budgétaire.
Nous souhaitons ainsi faire trois séries d’observations pour rétablir la réalité des chiffres.
Tout d’abord, nous sommes très loin du milliard d’euros annoncé pour l’égalité et la lutte contre les violences faites aux femmes, comme nous avons pu le démontrer dans notre rapport. Nous constatons même la diminution des crédits consacrés à la lutte contre les violences, au sein du programme 137, entre 2019 et 2020.
Par ailleurs, aucune mesure budgétaire concrète n’a été annoncée pour financer les mesures du Grenelle contre les violences conjugales. Interrogé, le cabinet de Mme Schiappa n’a, semble-t-il, pas jugé utile de nous répondre. Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous peut-être nous éclairer sur la budgétisation de ces mesures annoncées ?
Enfin, les associations ont dû affronter une hausse sans précédent de demandes depuis le mouvement #MeToo, sans bénéficier parallèlement, pour certaines d’entre elles, de hausse de crédits. Par ailleurs, le peu de considération du ministère pour les associations nous laisse quelque peu perplexes : certaines structures n’ont pas encore reçu leur subvention au titre de 2019 ni d’informations quant au renouvellement de leur convention pluriannuelle débutant en 2020.
Dans ces conditions, mon collègue Arnaud Bazin et moi-même présenterons un amendement tendant à augmenter les crédits consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes d’un million d’euros.
Pour les différentes raisons évoquées précédemment, j’avais émis un avis défavorable à l’adoption des crédits de cette mission. Néanmoins, la commission des finances a finalement décidé de les adopter. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens d’abord à saluer l’effort budgétaire important qui a été consenti en faveur de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) depuis 2018, bien que celle-ci reste inférieure au seuil de pauvreté. Toutefois, l’augmentation de 0,3 % proposée pour 2020 afin de freiner la hausse des dépenses aura pour effet de dégrader dès l’an prochain le pouvoir d’achat des allocataires. Nous devrons veiller à ce que cette sous-revalorisation n’amorce pas un nouveau décrochage.
L’AAH, parce qu’elle s’adresse à des personnes confrontées aux plus grandes difficultés, voire à l’impossibilité de s’insérer ou de se maintenir dans l’emploi, ne devrait pas être considérée comme un minimum social de droit commun. À cet égard, la baisse du plafond de ressources applicable aux allocataires en couple entre 2018 et 2019 a sans doute été trop brutale et a contribué, avec la suppression du complément de ressources, à la perception mitigée de leur situation par les bénéficiaires de l’AAH.
Pour les mêmes raisons, je suis profondément réservé à l’égard d’une absorption de l’AAH dans un revenu universel d’activité. L’exercice d’harmonisation des bases de ressources a ses limites, s’agissant d’une allocation conçue au fil du temps pour répondre aux besoins d’un public bien particulier.
En revanche, l’idée d’un rapprochement avec l’allocation supplémentaire d’invalidité est intéressante et permettra de simplifier le parcours des allocataires. La commission propose de préciser par coordination son mode de calcul.
S’agissant de la prime d’activité, la revalorisation exceptionnelle du « bonus » individuel au 1er janvier 2019 semble avoir réconcilié ses objectifs de soutien du pouvoir d’achat des familles aux revenus modestes et d’incitation à l’exercice d’une activité professionnelle, au prix d’un effort financier considérable, et assurément sous-estimé pour 2020. Toutefois, après quatre ans d’existence de la prime, son impact réel sur l’emploi reste impossible à quantifier. Sur ce point, il semble que le Gouvernement continue de considérer le taux de recours et l’augmentation des dépenses comme des objectifs en soi, sans s’interroger plus avant sur les effets complexes de cette prestation. Elle aura du moins le mérite de réduire, en 2019, un taux de pauvreté qui a bondi en 2018 de 14,1 % à 14,7 %, selon les données provisoires publiées par l’Insee.
Quant à la stratégie Pauvreté, la volonté d’établir un rapport de confiance avec les acteurs territoriaux doit être relevée. Toutefois, plusieurs départements ont vu leurs relations avec l’État se durcir depuis le début du processus de contractualisation, et les collectivités s’inquiètent de voir cette méthode se traduire par une nouvelle forme de tutelle de l’État.
Au sein du budget de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui reste stable à l’euro près en dépit des ambitions affichées, la commission estime que le financement de la lutte contre la prostitution devrait être maintenu à son niveau de 2019.
Enfin, la commission propose, cette année encore, un amendement symbolique, mais ô combien important, qui vise à créer au sein de la mission un nouveau programme budgétaire consacré à l’évaluation et à l’hébergement d’urgence des mineurs non accompagnés, afin que soit officiellement reconnue la compétence de l’État en cette matière.
Sous ces réserves, la commission a donné un avis favorable aux crédits de la mission. (Mme Christine Lavarde et M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial, applaudissent.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette mission porte un magnifique titre, « Solidarité, insertion et égalité des chances », qui laisse miroiter des ambitions d’harmonie, de cohésion sociale et d’attention aux personnes les plus fragiles. Il y a de quoi faire !
Le nombre de pauvres a augmenté et la pauvreté touche désormais plus de 9 millions de personnes, dont 3 millions d’enfants – on peut hélas ! deviner le destin qui leur est promis. Sept cents enfants à la rue sont recensés à Paris.
Les 10 % les plus pauvres voient leur pouvoir d’achat régresser.
Une famille sur deux déclare ne pouvoir financer le logement étudiant de son enfant.
Les inégalités se creusent. Quant aux revenus et aux fortunes des plus riches, ils s’envolent à une hauteur « sans précédent », selon la formule que vous employez à l’envi pour la moindre petite chose.
Cent trente-huit femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou de leur ex-conjoint et 22 000 femmes subissent des violences physiques ou sexuelles.
La France est championne du monde du déterminisme social. Ainsi, les enfants pauvres d’aujourd’hui seront les adultes pauvres et révoltés de demain, et la violence ne cessera d’augmenter.
« Vaste programme », aurait dit, sur un autre sujet le général de Gaulle. Vaste programme, qui justifiait, en matière de solidarité et d’égalité des chances, une forte détermination. Hélas !
Le montant de cette mission, supérieur à 25 milliards d’euros, pourrait apparaître assez important. Toutefois, déduction faite de la prime d’activité, de l’AAH et de la rémunération des personnels d’administration, seuls 1,2 milliard d’euros sont consacrés à des actions de raccommodage d’un tissu social qui part en lambeaux.
En réalité, votre politique sur cette mission se situe dans le droit fil de toutes les autres, marquée par les déclarations triomphalistes que la maigreur des efforts et des effets est loin de justifier, et par des présentations en trompe-l’œil qui n’abusent plus personne, tant la parole du Gouvernement est décrédibilisée.
Ainsi en est-il de l’affirmation d’un gain de pouvoir d’achat de 100 euros par la prime d’activité. La vérité exige de déduire l’augmentation normale du SMIC et la perte liée à l’inflation.
Il en est ainsi, encore, du milliard d’euros annoncé par Mme la ministre, une annonce qui relève pour le moins d’une présentation largement enjolivée de la réalité.
Ce gouvernement manifeste une affection singulière pour les primes, au détriment des augmentations de salaire : prime d’activité quand une augmentation de salaire était attendue, prime pour les agents hospitaliers qui ne s’en satisfont pas… Il est vrai que la prime engage beaucoup moins. Ainsi pouvez-vous pratiquer sur les allocations diverses et les primes une désindexation qui réduira le pouvoir d’achat de celles-ci de près de 1 %.
Pourquoi cet acharnement à faire payer les plus fragiles ?
Il est vrai qu’ils ont moins de moyens pour manifester leur mécontentement, sauf par la violence accrue ou l’espoir vain et dangereux du recours aux extrêmes. Ils sont les malheureuses victimes de vos politiques.
Près de 1,2 million de chômeurs et leur famille vont progressivement sombrer dans le dénuement le plus tragique. Ils viendront augmenter la cohorte croissante des personnes pauvres.
La baisse des aides personnalisées au logement (APL), dont le Président de la République fait repentance, continue de s’appliquer et impacte leur pouvoir d’achat.
Aucune mesure de réduction de la fiscalité, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu ou de la suppression de la taxe d’habitation, ne concernera les plus démunis. En 2020, 21 millions de personnes pauvres verront leurs ressources affectées.
Les salariés aux revenus inférieurs à la moitié du SMIC sont écartés du bénéfice de la prime d’activité, de même que les étudiants qui, de surcroît, pour certains, subiront douloureusement les nouvelles références en matière d’APL.
Certes, les bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés apprécieront l’augmentation, même atténuée par la désindexation, de 860 à 900 euros de leur allocation. Mais n’est-il pas mesquin de l’assortir de la suppression du complément de ressources, qui pouvait atteindre 170 euros et garantissait un minimum de revenus à ceux que le handicap empêche de disposer d’un salaire ? N’est-ce pas petit et injuste de plafonner l’AAH d’un couple en l’affectant d’un coefficient de 1,81, alors qu’il était de 2, soit une perte de 10 % des revenus ? Cette mesure pénalisera 67 500 couples.
Riche et bien portant, on est l’objet de beaucoup de sollicitude. Pour les autres, ça va être dur…
Pourtant, un PLF devrait être un moment de créativité, d’enthousiasme, d’innovation pour améliorer sans cesse les conditions du vivre ensemble. Comment tirer quelque enthousiasme d’une proposition inodore et sans saveur ?
L’examen de quelques aspects de votre politique est édifiant.
En matière de lutte contre la pauvreté, on passe certes de 150 millions à 215 millions d’euros, mais pour plus de 9 millions de pauvres… Dérisoire ! Totalement dérisoire ! Il est vrai que l’essentiel sera apporté par les départements, qui auraient mauvaise presse auprès de leurs habitants s’ils refusaient de s’y engager.
Pour l’égalité entre les femmes et les hommes, il n’y a pas 1 milliard d’euros, contrairement aux grandiloquentes déclarations, mais seulement 557 millions d’euros, dont une bonne partie pour des actions internationales. La seule prise en charge des femmes victimes de violences conjugales nécessiterait entre 500 millions et 1 milliard d’euros, selon le Haut Conseil à l’égalité, dont vous déciderez peut-être la disparition, comme vous avez décidé celle de l’Observatoire de la pauvreté. Plus de thermomètre, plus de malade… Pour l’heure, l’inscription budgétaire est limitée à 280 millions d’euros. Le reste est littérature !
Pourtant, les annonces furent solennelles et les mots forts. Les termes « électrochoc », « changement de paradigme » cherchent à masquer, mais cachent mal les insuffisances. Il n’y a pas un sou supplémentaire. Les actions de prévention propres à éviter de nouvelles victimes ne sont que des reprises. Les Françaises et les Français qui manifestaient en grand nombre à l’appel des « Nous Toutes » samedi dernier attendaient autre chose que ces quelques mesurettes qui n’auront guère d’effet.
De plus, le Gouvernement renonce à présenter un projet de loi sur les violences faites aux femmes. Il chargera un député de porter une proposition. Ce nouveau monde marche sur la tête !
M. Julien Bargeton. C’est à peine caricatural !
M. Jean-Louis Tourenne. L’aide à la réinsertion sociale des anciens migrants et les moyens affectés à l’accompagnement des femmes en sortie de prostitution sont en nouvelle décroissance, loin des déclarations sur la volonté de les aider à sortir de l’enfer.
M. le président. Il faut vraiment conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Louis Tourenne. En cinq ans, les revenus du capital pour les actionnaires de Renault ont augmenté de 106 % quand les salaires des employés progressaient seulement de 3 %. Chez Faurecia, c’est 316,7 % d’augmentation pour les actionnaires et 2 % de diminution pour les salariés !
Pour Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie…
M. le président. Je suis désolé, votre temps de parole est écoulé !
M. Jean-Louis Tourenne. Je pensais sincèrement disposer d’une minute supplémentaire, veuillez m’en excuser… (Sourires. - Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 9 juillet 1849, Victor Hugo déclarait : « Détruire la misère ! Oui, cela est possible. Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse, car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli. »
Aussi, je me félicite que le budget pour 2020 de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » augmente de 6,7 % par rapport à 2019. Cela représente en effet près de 1,6 milliard d’euros de crédits supplémentaires et un total de 25,5 milliards d’euros en faveur des plus vulnérables et des plus démunis.
Cette hausse est essentiellement due à l’augmentation exponentielle des dépenses de prime d’activité et d’allocation aux adultes handicapés, qui figurent parmi les trois principales dépenses sociales financées par la mission, avec les mesures de protection juridique des majeurs. Elles représentent à elles seules plus de 80 % des crédits de la mission en 2020, soit 20,7 milliards d’euros.
La prime d’activité et l’AAH constituent des acquis sociaux à pérenniser. Aussi, je ne peux que saluer l’augmentation du budget qui leur est alloué. Pour autant, à l’instar des rapporteurs spéciaux, je regrette que cette hausse s’accompagne « de discrets coups de rabot touchant les plus fragiles ».
Enfin, la protection juridique des majeurs est en hausse. Les crédits alloués à cette action s’élèvent à 688,4 millions d’euros, soit une augmentation d’environ 3 % par rapport à 2019 due à l’augmentation continue du nombre de mesures.
Ces crédits financent près de 497 000 mesures de protection – tutelles, curatelles ou sauvegardes de justice –, contre 484 656 en 2019, confiées à des mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Ils financent également l’information et le soutien aux tuteurs familiaux.
On compte aujourd’hui 730 000 majeurs protégés, et ce nombre est voué à augmenter chaque année, car il existe de nombreux territoires – je pense particulièrement à Saint-Martin – où toutes les familles n’ont pas pris l’habitude de saisir le juge des tutelles.
Il est donc indispensable de flécher des crédits sur l’information aux familles, tout en ayant conscience que cela augmentera mécaniquement le nombre de majeurs protégés et donc le volume de crédits engagés par l’État.
En dehors de ces trois grandes dépenses sociales, la mission en intègre d’autres, tout aussi importantes.
Je pense bien sûr à la nouvelle stratégie interministérielle de lutte contre la pauvreté. Récemment, l’Insee fixait le taux de pauvreté pour 2018 à 14,7 % de la population, soit une hausse de 0,6 point par rapport à 2017. Cela porte à 9,3 millions le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté.
Aussi, je salue la montée en charge de cette mission, qui s’appuie sur une approche contractuelle avec les départements, véritables chefs de file en matière d’action sociale dans les territoires.
Par ailleurs, des mesures d’investissement social – petits-déjeuners gratuits à l’école, tarification sociale pour l’accès à la cantine, déploiement des points-conseil budget, etc. – continuent à être financées à hauteur de 44 millions d’euros.
Autre dispositif vital, l’aide alimentaire, qui a bénéficié à 5,5 millions de personnes en 2017. Alors que s’est ouverte, il y a trois jours, la trente-cinquième campagne d’hiver des Restos du cœur, je souhaiterais rendre hommage à l’ensemble des associations et des bénévoles qui œuvrent quotidiennement auprès des plus démunis. L’aide alimentaire offre une aide d’urgence, mais représente surtout le point de contact privilégié pour permettre un accompagnement vers l’autonomie.
Les crédits de l’action sociale s’élèvent à 74,5 millions d’euros, dont plus de la moitié – 40 millions d’euros – sont consacrés à la contribution de la France au Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD), en complément de la contribution de l’Union européenne, qui s’élève à 75,6 millions d’euros.
Je souscris toutefois aux inquiétudes exprimées par les rapporteurs spéciaux sur la fragilisation du système d’aide alimentaire français en raison des difficultés de gestion liées au FEAD, qui font peser des risques de pertes budgétaires importantes sur la France.
Pour le reste, je relève, comme les rapporteurs, plusieurs points d’incertitude : la montée en charge particulièrement dynamique des dépenses de prime d’activité, qui a occasionné des difficultés de gestion dans les CAF, la mise en œuvre du revenu universel d’activité, dont le périmètre et le financement sont l’objet d’inquiétudes, ou encore la diminution des crédits affectés à la prévention des violences faites aux femmes.
S’agissant de ce dernier point, je m’interroge sur cette baisse, alors que 131 femmes ont été tuées en France depuis le début de l’année par leurs compagnons ou ex-compagnons. Ces chiffres sont terrifiants. Derrière ces statistiques, il y a des prénoms, des histoires, et surtout des vies anéanties.
Lundi dernier, en clôture du Grenelle contre les violences conjugales, le Premier ministre a annoncé 30 nouvelles mesures et la mobilisation de 361 millions d’euros dédiés exclusivement à la lutte contre les violences faites aux femmes. Je forme le vœu que ces mesures permettent une prise de conscience collective et provoquent un « électrochoc », pour reprendre le terme employé par le Premier ministre.
En conclusion, malgré les quelques réserves exprimées, le groupe du RDSE salue l’augmentation des crédits de cette mission et les approuvera.
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les crédits présentés dans cette mission pour 2020 sont en hausse de plus de 6 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2019, soit près de 1,8 milliard d’euros de crédits supplémentaires, même s’il faut tenir compte, entre-temps, des crédits ouverts dans le projet de loi de finances rectificative pour 2019, à hauteur de 839 millions d’euros.
Cette augmentation importante intervient après plusieurs hausses successives, qui ont vu les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » augmenter de 30 % depuis le début du quinquennat.
Notons que les quatre programmes qui composent la mission sont en augmentation, pour s’établir à 11,9 milliards d’euros pour le programme 304, « Inclusion sociale et protection des personnes », 12,2 milliards d’euros pour le programme 157, « Handicap et dépendance », 30 millions d’euros pour le programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes », et 1,3 milliard d’euros pour le programme 124, « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative ».
Ce budget traduit la poursuite de plusieurs engagements forts du Gouvernement, notamment le soutien au pouvoir d’achat des travailleurs, grâce à une augmentation sans précédent de la prime d’activité, mais également la montée en puissance de la stratégie interministérielle de lutte contre la pauvreté, dont une partie des actions relève du programme 304, notamment la lutte contre les sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou les maraudes mixtes entre les pouvoirs publics et les acteurs associatifs.
Attardons-nous dans un premier temps sur la prime d’activité. Comme chacun le sait, celle-ci a été sensiblement revalorisée en décembre dernier pour répondre à la mobilisation des « gilets jaunes », à hauteur de 90 euros au niveau du SMIC. En 2020, les dépenses consacrées à la prime d’activité s’élèveront à 9,5 milliards d’euros, en hausse de 700 millions d’euros, le Gouvernement tenant compte des efforts que font les Françaises et les Français qui touchent un faible salaire.
En un an, le nombre d’allocataires a ainsi augmenté de 47 %, soit près de 1,25 million de nouveaux bénéficiaires de la prime de septembre 2018 à mars 2019. La réforme a permis d’augmenter les montants moyens de prime d’activité versés, et en même temps d’ouvrir le bénéfice de la prime d’activité à de nombreux foyers nouvellement éligibles.
En fin de compte, pour que le travail paye, l’augmentation peut aller jusqu’à 100 euros pour un salarié au SMIC, si l’on intègre la réévaluation du salaire minimum.
De même, la revalorisation de 40 euros par mois de l’allocation aux adultes handicapés, juste et nécessaire, permet à cette allocation de s’élever à 900 euros par mois depuis le 1er novembre.
La mission inclut aussi les crédits du programme 137, « Égalité entre les femmes et les hommes », érigée « grande cause du quinquennat » par le Président de la République. L’égalité entre les femmes et les hommes est appuyée dans ce programme, entre autres, par des actions d’accompagnement et de prise en charge des victimes de violences physiques et sexuelles, de prévention et de lutte contre la prostitution et la traite humaine ou encore de soutien à l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. En raison de l’importance de ces sujets, nous ne pouvons que nous réjouir de la « sanctuarisation » de ces crédits.
Avant de conclure, en s’appuyant sur le rapport de leur collègue Patricia Schillinger, rendu au Gouvernement le mois dernier, les sénateurs du groupe La République En Marche, souhaitent attirer votre attention, madame la secrétaire d’État, sur la précarité menstruelle, autrement dit les difficultés que les femmes en situation de précarité et de pauvreté éprouvent à se fournir en protections périodiques. Notre collègue a déjà soulevé le sujet l’an passé, tant pour l’Hexagone que pour les outre-mer, mais a finalement accepté de retirer son amendement à la suite de la proposition de mission que la ministre Agnès Buzyn lui avait faite ici même.
Cette mission ayant été réalisée avec pugnacité, nous proposons en toute logique de traduire ses propositions dans le présent projet de loi de finances, à travers l’amendement n° II-463, que nous présenterons bientôt.
Enfin, malgré toutes les augmentations précédemment citées, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » fait l’effort de participer à la baisse du déficit public, grâce à la réduction de 11,75 % des dépenses de fonctionnement du programme 124 par rapport à 2019.
Le groupe La République en Marche votera bien évidemment les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous discutons ce soir des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », dans le cadre du projet de loi de finances.
La solidarité, « la grande chose de la démocratie », pour reprendre le mot de Victor Hugo, occupe chaque année une place singulière dans les discussions budgétaires. C’est moins à cause des crédits qui lui sont consacrés, même s’ils sont importants, avec près de 25 milliards d’euros pour 2020, que parce qu’elle se trouve au fondement du modèle social français et règle les modalités du vivre ensemble.
Rien d’étonnant, donc, à ce que les crédits excèdent finalement ceux qui avaient été fixés initialement, car la solidarité se laisse mal encadrer par des prévisions trop rigides.
Ainsi, à périmètre constant, les crédits de la mission ont progressé de 6,7 % entre 2019 et 2020, soit une augmentation de 1,6 milliard d’euros. Ces crédits ont largement dépassé le plafond de dépense triennal fixé par la loi de programmation 2018-2022 à 22 milliards d’euros.
Le budget consacré à cette mission est aussi porté par des dépenses fiscales dynamiques, qui ont augmenté de 20 % au cours des dix dernières années. Je pense notamment à l’abattement sur les pensions et au crédit d’impôt sur le revenu pour frais de garde. Ces dépenses fiscales poursuivent des objectifs louables. Elles soutiennent des politiques qui sont appréciées par nos concitoyens, car elles sont utiles pour la société.
Mais les dépenses fiscales ne sont pas les seules dépenses dynamiques de la mission. Certaines dépenses se caractérisent même par un dynamisme structurel : elles sont donc amenées à augmenter « par construction », et ce serait en écorner le principe que de chercher à en diminuer le montant.
C’est tout particulièrement le cas de l’allocation aux adultes handicapés, qui représente environ 40 % des crédits et plus de 10 milliards d’euros. Le vieillissement de la population et le recul de l’âge de départ à la retraite, d’une part, et le faible taux de sortie des allocataires de cette allocation, d’autre part, constituent deux facteurs qui orientent le montant de cette allocation à la hausse. Je salue la décision du Gouvernement d’en revaloriser le montant à taux plein à hauteur de 900 euros. Cette dépense de solidarité fait honneur à notre société et son augmentation nous oblige.
Cependant, toutes les dépenses intégrées dans la mission ne sont pas structurelles. D’autres sont plus conjoncturelles, mais non moins importantes en termes de montants. C’est le cas de la prime d’activité, qui devrait représenter, en 2020, près de 10 milliards d’euros et concerner un actif sur quatre. Les mesures annoncées par le Président de la République il y a un an y ont largement contribué. Le Sénat les a acceptées comme des mesures d’urgence, en faisant preuve de responsabilité, mais nous pouvons désormais nous interroger sur leur cohérence à long terme avec le projet politique du Gouvernement.
La hausse de la prime d’activité est emblématique de l’incertitude qui plane sans cesse au-dessus de cette mission : c’est sur elle que sont imputées les mesures onéreuses destinées à endiguer les colères populaires. Pour ainsi dire, l’instabilité y fait figure de constante… Pourtant, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des sommes engagées.
Cette incertitude pèse avant tout sur le budget de l’État. On l’a vu avec les mesures votées au cœur de la crise, en décembre 2018. On le pressent avec le futur revenu universel d’activité annoncé pour 2020 par le Président de la République. En effet, on ignore pour le moment la mécanique de ce dispositif, si bien qu’il semble impossible d’évaluer aujourd’hui le coût de cette mesure qui devrait pourtant voir le jour demain.
Je partage les deux interrogations soulevées par les rapporteurs spéciaux : l’AAH sera-t-elle absorbée par le dispositif ? Quel rôle pour les départements dans ce futur pilier des politiques de solidarité ?
L’incertitude pèse également sur les collectivités territoriales, madame la secrétaire d’État, singulièrement sur les départements qui traduisent notre modèle social sur le terrain.
Si la mise en place du revenu universel d’activité pose des questions quant au rôle des départements dans le futur, le sujet très sensible du financement des mineurs non accompagnés les préoccupe déjà grandement, et à raison. En effet, la hausse de 20 % des crédits qui y sont consacrés apparaît en décalage avec la réalité du terrain. Selon l’Assemblée des départements de France (ADF), il faudrait mobiliser au moins 2 milliards d’euros pour accueillir les quelque 32 000 individus concernés.
Les départements sont en première ligne et ils craignent que l’État ne se décharge sur eux. Nous espérons, madame la secrétaire d’État, que vous pourrez les rassurer à ce sujet, et nous avec.
Enfin, le groupe Les Indépendants se réjouit que le Gouvernement ait prévu de faire participer le ministère des solidarités et de la santé aux efforts de réduction de la dépense publique, notamment pour ce qui concerne la rationalisation des effectifs et de l’immobilier.
Vous l’aurez compris, notre groupe partage l’esprit d’une politique de solidarité davantage portée sur le travail. Cependant, certains points retiennent notre vigilance et nous veillerons à ce que les choix qui seront opérés l’année prochaine restent sur la ligne du sérieux budgétaire.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le discours qu’il a prononcé le 13 septembre 2018 pour lancer la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, le Président de la République a annoncé son intention de rénover en profondeur le système des minima sociaux afin de permettre une égalité des chances réelles pour nos concitoyens.
Cette priorité se traduit cette année par la progression de 6,7 % des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Cette augmentation est portée par l’évolution de l’AAH, mais surtout par l’accélération de la revalorisation de la prime d’activité.
À l’issue de la concertation auprès du grand public relative au revenu universel d’activité, l’analyse parlementaire de cette mission budgétaire revêt un rôle plus que jamais central.
Le programme 157 « Handicap et dépendance » regroupe les crédits consacrés à l’AAH. Ils sont en hausse de 2,5 % par rapport à 2019, ce qui porte l’enveloppe à 12,2 milliards d’euros. Toutefois, le projet de loi de finances pour 2020 ne prévoit qu’une « augmentation maîtrisée » de 0,3 % de cette allocation. Il convient donc de rester vigilant sur ce point. En effet, il ne faudrait pas que cette sous-revalorisation devienne la norme et déclenche un décrochage du pouvoir d’achat de ces allocataires pour les années à venir.
Par nature, l’AAH emporte de nombreuses spécificités. Ainsi, nous sommes très réservés à l’égard de son absorption dans le futur revenu universel d’activité.
Concernant le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes », il permet de mettre en œuvre la politique de lutte contre la pauvreté. Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit d’affecter 9,5 milliards d’euros à la prime d’activité, soit une hausse de 10 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2019 et de 70 % par rapport à 2018.
Comme l’a souligné fort justement notre rapporteur pour avis, la prime d’activité est ainsi devenue une dépense majeure de soutien du pouvoir d’achat des travailleurs les plus modestes. De plus, l’augmentation de 52 % de son taux de recours est une très bonne nouvelle. Si nous souscrivons aux objectifs de simplification, le passage au revenu universel d’activité est censé se faire à enveloppe constante. Dès lors, cette hypothèse peut-elle être crédible, si elle s’accompagne d’une augmentation du taux de recours ?
Par ailleurs, cette ligne budgétaire traduit également votre ambition pour la mise en œuvre du plan de lutte contre la pauvreté. Cette stratégie inclut la création d’un service public pour l’insertion et vous lancez actuellement une expérimentation territoriale. Je salue cette initiative qui permet de tester en grandeur nature – et de corriger – un futur déploiement national. Cependant, les départements qui s’y engageront demandent à être rassurés sur un point : ces nouvelles dépenses doivent sortir des « accords de Cahors » qui limitent l’évolution des dépenses de fonctionnement à 1,2 % par an – un grand nombre de départements ont signé un tel contrat avec l’État. La dynamique des dépenses des départements n’a pas faibli et une expérimentation signifie de nouvelles charges qu’il faut exclure de ce contrat de maîtrise des dépenses.
S’agissant de la situation des mineurs non accompagnés, je réitère aujourd’hui ma demande d’une vraie prise en charge de cette compétence par l’État en raison des difficultés des départements à y répondre. En dépit de l’augmentation des crédits consacrés à l’accueil des mineurs, le problème réside plutôt dans le fait que les départements n’arrivent pas, d’une part, à proposer des solutions d’hébergement satisfaisantes pour ces jeunes et, d’autre part, à accompagner les psychotraumatismes subis par ces jeunes.
Sur ce dernier point, il me semble urgent de multiplier les centres ressources permettant des prises en charge thérapeutiques, individuelles et collectives, ayant notamment recours à des compétences de psychocliniciens.
En réalité, les crédits proposés ne sont qu’une aide ponctuelle et ne répondent pas aux problèmes de fond.
Enfin, je regrette que le programme 137 relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes soit reconduit en 2020 avec un montant similaire à celui de 2019. C’est pourquoi je soutiendrai l’amendement présenté par notre rapporteur pour avis, Philippe Mouiller, tendant à rétablir les crédits de ce programme à un niveau légèrement supérieur à celui de 2019.
Pour conclure, tout en espérant que le Gouvernement entendra ces points de vigilance, le groupe Union Centriste votera les crédits de cette mission.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, près de 15 % de la population française vit en dessous du seuil de pauvreté et ce chiffre est en augmentation. Un enfant sur cinq est victime de la pauvreté. La France, pourtant sixième puissance économique mondiale, est un pays, où les inégalités se creusent et où les pires injustices côtoient les fortunes les plus insolentes.
J’ai souhaité commencer ainsi mon propos, parce que le budget dont nous débattons aujourd’hui doit nécessairement s’apprécier au regard de ces chiffres qui sont autant de parcours de vie faits d’angoisses, de difficultés, de privations, de projets et d’ambitions refoulés, de peur de l’avenir…
C’est au regard de l’ampleur des urgences sociales et du chantier immense de l’égalité que nous pouvons faire la différence entre ce qui relève de l’aumône ou de la justice sociale, de la charité ou du respect de la dignité.
Manifestement, votre budget, au-delà des apparences, n’est pas à la hauteur de la situation et de ces exigences. Je prendrai trois exemples.
Vous vous félicitez d’abord de la revalorisation de la prime d’activité, alors que celle-ci n’est qu’un cache-misère social. Les « gilets jaunes », auxquels vous avez notamment répondu par cette prime, et plus globalement toutes les travailleuses et tous les travailleurs de ce pays ne demandent pas la charité, ils veulent simplement pouvoir vivre dignement de leur travail. Or des millions de travailleurs ne le peuvent pas du fait du niveau de leur salaire.
La vraie question est celle de l’augmentation du SMIC et des salaires. À l’inverse de ce qu’il faudrait faire, vous maintenez le SMIC à un niveau trop bas et vous soutenez les entreprises dans leur politique de régression salariale, en leur accordant des exonérations et allégements de cotisations sociales sur les bas salaires.
La prime d’activité, même revalorisée, est insuffisante pour augmenter significativement le pouvoir d’achat. Contrairement aux augmentations de salaire, elle ne concerne pas tout le monde, mais surtout, elle est financée par les salariés eux-mêmes ! C’est bien à ce tour de passe-passe que nous assistons, quand vous ne compensez pas le coût des exonérations de cotisations sociales pour la sécurité sociale.
Deuxième exemple : la revalorisation de l’AAH. Je souligne tout d’abord que la revalorisation à 900 euros par mois, montant qui reste en dessous du seuil de pauvreté, n’est pas une mesure exceptionnelle et qu’elle aurait dû être prise il y a déjà plusieurs années pour compenser l’augmentation du coût de la vie. Surtout, elle est en partie annulée par le durcissement des règles de calcul pour les personnes vivant en couple : 67 000 allocataires sont concernés. Nous tenons à réaffirmer notre opposition à la prise en compte des revenus du conjoint pour le calcul de l’AAH, comme nous l’avions signifié dans notre proposition de loi qui, malheureusement, n’a pas été adoptée.
L’AAH est un droit individuel censé garantir l’autonomie de la personne en situation de handicap, quelle que soit sa situation familiale. La règle actuelle est non seulement pénalisante financièrement, mais très discutable sur le plan moral et humain. Elle est aussi parfois vécue de façon infamante par des personnes placées ainsi en situation de dépendance économique vis-à-vis de leur conjoint.
Sur la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est mon troisième point, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » n’est pas au niveau.
La grande cause du quinquennat qu’est l’égalité entre les femmes et les hommes, en particulier la lutte contre les violences faites aux femmes, ne se traduit toujours pas budgétairement. Pis, les crédits pour le programme 137 sont en baisse, contrairement à ce que vous laissez entendre dans vos déclarations publiques. Votre gouvernement est loin d’être à la hauteur de la mobilisation exceptionnelle de nos concitoyennes et de nos concitoyens sur la question des violences faites aux femmes. Les associations sont extrêmement déçues à l’issue du Grenelle : beaucoup de bonnes intentions, certes, mais quels moyens humains et financiers pour les mettre en œuvre ?
C’est pourtant le cœur du sujet. Ce Grenelle ne doit pas être à l’image du mode opératoire de ce gouvernement : beaucoup de communication, mais très peu d’engagements et encore moins de résultats. Des résultats qui, ici, ne sont ni plus ni moins que des vies humaines à sauver, des femmes en danger auxquelles il faut porter assistance et qu’il faut protéger. Il est bon de se le rappeler en permanence.
Nos concitoyennes et nos concitoyens attendent beaucoup plus que des demi-mesures. Ils sauront le rappeler utilement dès le 5 décembre à l’occasion des grèves et manifestations contre la réforme des retraites.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRCE ne votera pas les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il y a un domaine, où l’effort de la Nation ne doit pas faiblir, c’est bien celui de la solidarité.
Les crédits de cette mission augmentent de 6,7 %, augmentation qu’il faut ramener à 3,3 % pour tenir compte des crédits supplémentaires accordés par le projet de loi de finances rectificative. Cela reste néanmoins un bon chiffre qui permet d’accompagner le nombre croissant de bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés et surtout de la prime d’activité – ces deux dispositifs ont été revalorisés l’année dernière conformément aux engagements présidentiels.
Le Gouvernement peut donc s’adresser un satisfecit, mais je relève que les rapporteurs spéciaux de la commission des finances et le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales ont noté parallèlement des coups de rabot et de nombreuses incertitudes.
Leur analyse rejoint d’ailleurs les conclusions du portrait social de la France publié par l’Insee le 19 novembre dernier, selon lequel les augmentations de prestations sociales ont fait des gagnants, mais aussi des perdants. C’est toute l’ambiguïté de ce budget, où des mesures populaires voisinent avec des restrictions plus discrètes.
Tout d’abord, concernant l’AAH, je souscris bien évidemment à l’effort budgétaire consenti pour augmenter cette aide sur les deux années 2018 et 2019. Je rappellerai d’ailleurs que notre majorité avait fortement revalorisé l’AAH sur la période 2008-2012 – l’augmentation avait été de 25 %.
Cependant, comme je le disais, plusieurs mesures viennent neutraliser la portée de ces revalorisations.
Il s’agit en premier lieu de l’abaissement du plafond de ressources pour les couples percevant l’AAH ; cette mesure est justifiée par la volonté d’aligner leur régime sur celui des couples qui perçoivent le RSA. Un quart des allocataires de l’AAH vit en couple ; 40 % d’entre eux y perdront, soit environ 100 000 personnes. À l’image du rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, je déplore la brutalité de cet alignement par le bas de l’AAH.
Deuxième coup de rabot, le complément de ressource en cas d’incapacité supérieure à 80 % disparaît pour les nouveaux allocataires. Les calculs montrent une perte pouvant s’élever à près de 180 euros pour les publics les plus précaires, soit entre 7 000 et 10 000 personnes.
Enfin, l’AAH n’est pas indexée sur l’inflation pour la seconde année consécutive. En 2020, elle ne sera revalorisée que de 0,3 %. Souhaitons que cette pratique de désindexation qui permet à l’État de faire des économies ne devienne pas systématique ! Je rappelle que, si l’AAH est de 900 euros depuis le 1er novembre 2019, le seuil de pauvreté est de 1 026 euros par mois. L’AAH se situe donc toujours sous ce seuil.
Au-delà de ce constat se pose la question de la place de l’AAH dans le futur dispositif du revenu universel d’activité. L’AAH a été créée spécifiquement par la loi de 2005 pour compenser le handicap et l’incapacité d’exercer une activité professionnelle, souvent de façon irréversible. Ce n’est donc pas un minimum social comme un autre.
Certes, le dispositif pourrait gagner en simplification, mais l’absence de visibilité de la réforme inquiète à juste titre les associations. Il vous appartiendra donc, madame la secrétaire d’État, de rassurer les personnes handicapées et leurs familles, comme vous avez pu le faire en partie en audition, en garantissant le maintien des moyens actuels et l’absence de condition d’activité.
De même que pour l’AAH, je relèverai quelques déséquilibres dans la répartition de la prime d’activité. Remplaçant l’ancienne prime pour l’emploi et le RSA activité, elle bénéficie largement de l’augmentation des crédits de la mission en raison d’une montée en charge rapide.
La revalorisation exceptionnelle de 90 euros est progressive, et non forfaitaire : les ménages travaillant le moins ou ayant les salaires les plus faibles n’en bénéficient pas. La part de foyers bénéficiaires, dont les revenus sont inférieurs à 1 000 euros, diminue également, elle passe de 41 % à 30 %. Globalement, le public éligible a été élargi au niveau des rémunérations les plus élevées parmi les bénéficiaires et majoritairement à des personnes seules.
Enfin, la prime d’activité connaît la même sous-revalorisation que l’AAH – 0,3 % – et n’est plus indexée sur l’inflation.
Si un effort est réellement fait en direction de l’AAH et de la prime d’activité, je pense que ces ajustements sont regrettables. Ils créent chez les publics concernés un sentiment d’injustice et d’engagements non tenus.
Concernant les autres programmes de la mission, je souhaiterais évoquer les crédits consacrés à l’égalité entre les femmes et les hommes. Ils sont simplement reconduits à l’identique cette année, alors qu’il faudrait mobiliser des financements pour suivre les orientations de cette grande cause nationale du quinquennat.
Cette semaine s’est achevé le Grenelle contre les violences conjugales. Cependant, les mesures envisagées – formation, création de postes d’intervenants sociaux, etc. – ne sont pas financées dans le présent projet de loi de finances. Par conséquent, pourriez-vous nous préciser, madame la secrétaire d’État, les modalités de financement qui sont prévues ?
Au sein du même programme, nos rapporteurs ont souligné que les crédits prévus pour l’aide financière à l’insertion sociale et professionnelle qui est versée dans le cadre de la sortie de la prostitution diminuent pour la deuxième année consécutive. Cette baisse importante – elle est de 40 % – est contradictoire avec l’ambition de départ de la loi du 13 avril 2016 et succède à une série de retards dans la mise en œuvre du dispositif.
Je soutiendrai donc l’amendement proposé par le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Philippe Mouiller, dont je salue la qualité du travail. J’espère, madame la secrétaire d’État, que vous y serez favorable.
Pour conclure, hormis ces réserves, le groupe Les Républicains constate l’évolution positive des crédits de la mission et sera donc favorable à leur adoption dans un souci de protection des populations les plus fragiles. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs spéciaux, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » contient quatre programmes qui relèvent de plusieurs ministères.
La budgétisation proposée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020 sur ces programmes traduit les engagements présidentiels en matière d’inclusion, de protection des personnes vulnérables et de lutte contre les inégalités pris dans le cadre de l’acte II du quinquennat. L’action du Gouvernement vise ainsi à apporter des réponses concrètes aux attentes de nos concitoyens.
Dans cette optique, les crédits présentés dans ce projet de loi s’inscrivent en hausse de 8 % par rapport à ceux ouverts en loi de finances initiale pour 2019, soit près de 1,8 milliard d’euros de crédits supplémentaires pour mettre en œuvre les politiques en faveur des travailleurs pauvres, des familles vulnérables, des personnes dépendantes et de celles en situation de handicap, ainsi que pour lutter contre les inégalités et violences faites aux femmes.
Les principales réformes portées et financées dans le cadre du présent projet de loi de finances concernent cinq priorités.
Première priorité, la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée par le Président de la République le 13 septembre 2018 est assortie d’un budget de 8,5 milliards d’euros sur le quinquennat. Cette stratégie est mise en œuvre depuis 2019 et s’appuie sur de nouvelles modalités de conduite de l’action publique : la contractualisation entre l’État et les départements et la participation des personnes concernées.
Le programme 304 porte l’essentiel des crédits destinés à mettre en œuvre les engagements de cette stratégie. Des mesures importantes, emblématiques et concrètes en matière de prévention ont été lancées en 2019 : le déploiement de cent cinquante points conseil budget ; la tarification sociale des cantines permettant d’offrir des repas équilibrés à moins d’un euro ; la mise en place de petits-déjeuners à l’école pour 37 000 élèves, puis 100 000, voire 200 000, afin de soutenir l’accès à un petit-déjeuner pour les élèves issus de familles défavorisées des quartiers prioritaires de la ville.
Par ailleurs, la première étape de la contractualisation entre l’État et les départements en 2019 montre l’intérêt de ceux-ci pour la démarche, puisque la quasi-totalité d’entre eux – 99 exactement – se sont engagés, ainsi que deux métropoles, Toulouse et Nantes.
Les actions inscrites dans les conventions d’appui à la lutte contre la pauvreté et d’accès à l’emploi portent essentiellement sur le soutien à la parentalité, la protection maternelle et infantile, la levée des freins périphériques à l’emploi, l’inclusion numérique, l’accès à l’alimentation, la participation des personnes et la réussite éducative.
Ainsi, un an après son démarrage, la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présente des réalisations concrètes dans nos territoires.
En 2020, 219 millions d’euros de crédits du programme 304 seront consacrés à la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, dont une enveloppe de 175 millions, en hausse de 40 millions par rapport à 2019, sera consacrée à la deuxième année de contractualisation avec les départements.
Deuxième priorité, depuis le 1er janvier 2019, la prime d’activité est revalorisée de 90 euros au niveau du SMIC dans le cadre des mesures d’urgence économiques et sociales. Cette réforme permet d’augmenter les montants moyens de prime d’activité versés, mais également d’ouvrir le bénéfice de la prime d’activité à de nombreux foyers qui y deviennent éligibles.
En un an, le nombre d’allocataires a ainsi crû de 52 %, soit 1,25 million de nouveaux bénéficiaires de la prime en 2019. Couplée à la hausse du SMIC, elle permet désormais d’offrir un gain mensuel de pouvoir d’achat atteignant jusqu’à 100 euros pour un travailleur rémunéré au SMIC.
Les crédits de la prime d’activité inscrits au projet de loi de finances pour 2020 s’élèvent ainsi à 9,5 milliards d’euros en hausse de 0,7 milliard.
Troisième priorité, la recentralisation du RSA en Guyane et à Mayotte, opérée depuis le 1er janvier 2019, sera étendue à compter du 1er janvier 2020 au département de La Réunion, soit 0,7 milliard d’euros de crédits supplémentaires inscrits au programme 304. Au total, la recentralisation du RSA dans ces trois territoires ultramarins concerne 127 000 personnes.
La quatrième priorité porte sur les politiques visant à l’autonomie des personnes en situation de handicap, dont le programme 157 est l’un des leviers au-delà de l’inclusion dans le milieu ordinaire de vie, notamment de vie professionnelle.
Sur ce programme, la revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) destinée à lutter contre la pauvreté subie des personnes qui se trouvent plus éloignées du marché du travail constitue un engagement présidentiel majeur. Le montant de la prestation a ainsi été porté à 860 euros par mois à compter au 1er novembre 2018 et il a été de nouveau revalorisé en novembre 2019 pour atteindre un montant de 900 euros mensuel pour une AAH à taux plein. Cette allocation bénéficie à 1,2 million de foyers.
Cette mesure représente un engagement sans précédent en faveur du pouvoir d’achat des personnes éloignées du marché du travail du fait de leur handicap : plus de 2 milliards d’euros sur le quinquennat. Pour 2020, les crédits consacrés à l’AAH s’élèvent à 10,6 milliards d’euros, ils progressent de 0,3 milliard.
Enfin, la cinquième priorité concerne la politique en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, érigée au rang de grande cause nationale du quinquennat. Ses actions s’inscrivent dans le cadre des conclusions du comité interministériel de l’égalité entre les femmes et les hommes de 2018. Par ailleurs, 2020 sera l’année de concrétisation des mesures élaborées dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales lancé le 3 septembre dernier par le Premier ministre et dont les annonces ont été dévoilées lundi 25 novembre.
Alors que près d’une femme meurt tous les trois jours des violences qu’elle subit, ce Grenelle sonne la mobilisation générale avec la présence d’acteurs de terrain, de professionnels, d’associations et de familles de victimes, mais également de l’ensemble du Gouvernement, notamment la garde des sceaux, Nicole Belloubet, le ministre chargé de la ville et du logement, Julien Denormandie, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, et le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, Jean-Michel Blanquer.
Au-delà des moyens financiers qui viendront en appui des actions qui seront mises en œuvre, cette mobilisation générale vise une transformation ambitieuse des pratiques professionnelles et la mise à la disposition des acteurs d’une palette d’outils opérationnels et adaptés à la protection des victimes et de leurs enfants.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les principaux axes de ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Solidarité, insertion et égalité des chances |
25 560 422 288 |
25 532 147 051 |
Inclusion sociale et protection des personnes |
11 960 046 537 |
11 960 046 537 |
Dont titre 2 |
1 947 603 |
1 947 603 |
Handicap et dépendance |
12 236 826 918 |
12 236 826 918 |
Égalité entre les femmes et les hommes |
29 871 581 |
29 871 581 |
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative |
1 333 677 252 |
1 305 402 015 |
Dont titre 2 |
575 790 349 |
575 790 349 |
M. le président. L’amendement n° II-465 rectifié ter, présenté par M. Tourenne, Mme Taillé-Polian, MM. Kanner et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier, Rossignol et Van Heghe, M. Antiste et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
|
|
|
Handicap et dépendance |
360 000 000 |
|
360 000 000 |
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
|
|
|
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
|
360 000 000 |
|
360 000 000 |
TOTAL |
360 000 000 |
360 000 000 |
360 000 000 |
360 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Cet amendement vise à affirmer le principe que chaque handicapé doit pouvoir percevoir les allocations auxquelles il a droit, sans qu’elles soient diminuées du fait qu’il vit en couple. Il s’agit de reconnaître l’autonomie de chacun.
L’AAH est un revenu qui vient se substituer à un salaire, dans la mesure où la personne handicapée ne peut pas travailler. Pourrions-nous imaginer que notre salaire soit diminué, simplement parce que notre conjoint en perçoit également un et que nous serions frappés par un plafond ? Il n’est donc pas acceptable que le versement de l’AAH devienne dégressif à partir de 19 505 euros. Un tel système rend la personne handicapée très dépendante de son conjoint – c’est plus particulièrement le cas des femmes.
La situation des femmes en situation de handicap est particulièrement préoccupante, puisqu’elles se retrouvent dans un état de totale dépendance face à leur conjoint en cas de violences conjugales. En 2014, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne estimait à 34 % la proportion des femmes en situation de handicap qui avaient subi des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire.
Si 60 % des personnes voient le montant de leur allocation augmenter, tel ne sera pas le cas pour 40 % d’entre elles. La mesure que nous défendons permettra aux 250 000 bénéficiaires de l’AAH qui vivent en couple de recouvrer leur autonomie financière et de bénéficier pleinement de l’augmentation de l’AAH.
Je trouve que c’est un principe que nous devons affirmer clairement et de façon solennelle par le vote d’un amendement qui rétablit les droits à l’autonomie de chacune des personnes handicapées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Cet amendement vise à abonder le programme « Handicap et dépendance » de 360 millions d’euros, afin de financer la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint pour la détermination du montant de l’allocation aux adultes handicapés. Cet amendement de crédit tire les conséquences d’une mesure qui n’a pas été votée, la proposition de loi tendant à l’instaurer n’ayant pas été adoptée par notre assemblée.
Le prélèvement de 360 millions d’euros sur un autre programme n’est pas réaliste : il faudrait aggraver le déficit d’autant, alors qu’il est déjà considérable, encore cette année. C’est pourquoi la commission des finances n’est pas favorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. Je me permets d’intervenir, puisque nous sommes en tandem sur cette mission.
Pour ma part, je suis favorable à cet amendement, considérant qu’il s’agit d’un amendement d’appel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur Tourenne, j’entends vos inquiétudes et celles des personnes concernées.
L’AAH est une prestation sociale destinée à assurer des conditions de vie dignes aux personnes dont les ressources sont les plus faibles du fait de leur situation de handicap. Le choix qui est fait est de concentrer la solidarité nationale sur ceux qui en ont le plus besoin. C’est pourquoi le calcul de l’AAH, comme celui des autres minima sociaux, tient compte de l’ensemble des ressources du foyer, en cohérence avec l’objectif de lutter contre la pauvreté. Pour autant, les modalités de prise en compte des ressources du conjoint, concubin ou partenaire d’un bénéficiaire de l’AAH sont plus favorables que pour les autres minima sociaux, ce qui en fait une prestation quasi individualisée. Les règles de calcul de l’AAH tiennent totalement compte des besoins spécifiques de ses bénéficiaires.
Je ne voudrais pas que ce débat masque l’engagement du Président de la République en faveur du pouvoir d’achat des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés, laquelle est l’objet d’une revalorisation exceptionnelle. C’est un geste fort, qui représente plus de 2 milliards d’euros sur le quinquennat, pour lutter contre la précarité des personnes en situation de handicap.
L’avis est défavorable sur votre amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Je voudrais nuancer ce que vous venez de dire, madame la secrétaire d’État. Qu’il y ait une augmentation générale des moyens alloués aux personnes handicapées, cela n’est pas contestable. On est ainsi passé de 860 euros à 900 euros. Il n’en reste pas moins que, parmi elles, un certain nombre ne verront pas d’augmentation. Pis, certaines constateront une baisse, puisque l’on diminuera de 10 % leurs ressources lorsqu’elles sont en couple.
Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec la façon dont vous définissez la vocation de cette allocation. Vous nous dites que c’est un minima social. Je considère pour ma part qu’il s’agit d’un revenu de remplacement pour des personnes qui n’ont pas la possibilité de travailler et, par conséquent, d’obtenir un salaire.
M. le rapporteur spécial nous reproche de prendre sur d’autres crédits, dont nous avons aussi besoin. Malheureusement, nous n’avons pas d’autre moyen d’agir. Dans une enveloppe fermée, si l’on considère qu’il y a des priorités, des justices à faire respecter – ce n’est que justice de reconnaître aux personnes handicapées le droit à l’autonomie en percevant des ressources personnelles et en ne dépendant pas de leur conjoint –, on est obligé d’aller chercher ailleurs, puisqu’il nous est impossible d’augmenter l’enveloppe.
Madame la secrétaire d’État, c’est une façon de vous dire qu’il y a des priorités qu’il faut respecter, des idéaux qu’il nous faut atteindre, et que nous devons nous en donner les moyens. Je sais bien que le gage ne résistera pas, mais il vous appartient, en tant que membre du Gouvernement, d’aller chercher ailleurs les crédits nécessaires, voire d’augmenter éventuellement les recettes.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-465 rectifié ter.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° II-82, présenté par M. Mouiller, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Évaluation et hébergement d’urgence des mineurs non accompagnés
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
162 000 000 |
|
162 000 000 |
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
|
|
|
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
|
|
|
|
Évaluation et hébergement d’urgence des mineurs non accompagnés |
162 000 000 |
|
162 000 000 |
|
TOTAL |
162 000 000 |
162 000 000 |
162 000 000 |
162 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à créer un nouveau programme budgétaire exclusivement dédié à l’évaluation et à l’hébergement d’urgence des mineurs non accompagnés, l’idée étant d’avoir un outil transparent susceptible de mettre en avant les moyens engagés par l’État dans ce domaine, qui coûte très cher, notamment aux départements.
Vous l’aurez compris, nous voulons mettre l’État face à ses responsabilités. Rappelons, bien entendu, que cette disposition n’a pas d’incidence financière. Il s’agit simplement de mettre en place un véhicule de suivi spécifique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. La prise en charge des mineurs non accompagnés, qui a connu une très forte hausse ces cinq dernières années pour les raisons que vous connaissez tous, coûte 2 milliards d’euros aux départements. L’aide apportée par l’État aux départements pour faire face à la mission d’accueil et d’évaluation de ces mêmes mineurs, ou prétendus mineurs, est de 162 millions d’euros.
L’intérêt de cet amendement est d’identifier précisément les crédits que l’État consacre à cette aide aux départements pour l’accueil des MNA. Nous y sommes extrêmement favorables, car cela apportera de la lisibilité et mettra bien en rapport l’aide de l’État et les dépenses considérables que consentent les départements en la matière.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Le budget consacré à la participation de l’État aux dépenses engagées par les départements au titre des MNA est bien inscrit dans le programme 304. Il est précisément identifié et justifié en prévisionnel dans le projet annuel de performance et en exécution dans le rapport annuel de performance. Ainsi, l’effort financier de l’État à l’appui de l’exercice par les départements de leurs compétences est bien inscrit en loi de finances. Le Parlement est ainsi pleinement informé du montant inscrit en PLF, puis du montant effectivement exécuté.
Il ne serait pas de bonne gestion de fragmenter le budget de l’État en autant de programmes qu’il existe de dispositifs. Je pense que les membres de la commission des finances seront sensibles à cet argument.
Je vous propose ce soir, comme je l’ai déjà fait à l’Assemblée nationale, de créer une action budgétaire dédiée. Au bénéfice de cette contre-proposition, je sollicite le retrait de cet amendement ; faute de quoi, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Monsieur le rapporteur pour avis, l’amendement n° II 82 est-il maintenu ?
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. Oui, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° II-462, présenté par M. Leconte, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
1 700 000 |
|
1 700 000 |
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
|
|
|
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
1 700 000 |
|
1 700 000 |
|
TOTAL |
1 700 000 |
1 700 000 |
1 700 000 |
1 700 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Désormais, les carrières sont souvent internationales. On a d’ailleurs beaucoup parlé de mobilité depuis le début de ce PLF. La santé, en particulier la politique du médicament, doit aussi être internationale et faire l’objet d’une coopération entre les sécurités sociales des différents pays.
On constate aussi que, pour les personnes ayant réalisé une partie de leur carrière en France et vivant à l’étranger, la question des certificats de vie pour percevoir leur retraite est très complexe. Dans beaucoup de pays qui ont des conventions de sécurité sociale avec la France, celles-ci ne sont pas respectées, parce que nous n’avons personne dans les ambassades pour suivre cette coopération entre la France et les pays en question.
Pour toutes ces raisons, il semble indispensable de renforcer le réseau de nos attachés de sécurité sociale dans les principaux postes diplomatiques et consulaires à l’étranger. Je ne suis pas sûr d’avoir bien mesuré le besoin de financement lié à cette action, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle, avec de moins en moins d’attachés sociaux et, partant, des coopérations de moins en moins suivies.
Prenez l’exemple du Brésil, où j’ai rencontré des dizaines de personnes, qui, après deux ou trois ans de démarches auprès de l’institut brésilien auquel ils doivent faire leur demande de retraite, même pour la partie française, n’avaient aucune réponse. La coopération est bloquée, car les Brésiliens ne savent pas comment nous fonctionnons. Pour remédier à cela, nous avons besoin d’un attaché social au Brésil. Je pourrais allonger la liste des pays où le problème se pose.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. Cet amendement vise à abonder les crédits du programme « Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative » de 1,7 million d’euros pour créer dix postes de conseillers sociaux auprès des ambassades de France à l’étranger, afin de soutenir l’application des conventions de sécurité sociale signées avec un certain nombre d’États partenaires.
Je rends compte ici de l’avis de la commission des finances, qui est défavorable à l’amendement, et ce pour deux raisons : d’une part, l’augmentation de masse salariale se fait sans le plafond d’emplois correspondant ; d’autre part, le suivi des conventions de sécurité sociale n’entre pas dans le champ d’attribution des conseillers sociaux, d’après les informations communiquées par le Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je comprends les arguments de M. le rapporteur spécial. Je retire donc mon amendement. Reste qu’il s’agit d’un sujet important : des dizaines de personnes ne perçoivent pas leur retraite, faute de coopération.
Madame la secrétaire d’État, nous avons besoin que le ministère des solidarités et de la santé s’occupe de ce problème. Les choses ne peuvent pas rester en l’état. J’aurais d’ailleurs préféré une réponse plus argumentée qu’un simple « défavorable ».
M. le président. L’amendement n° II-462 est retiré.
L’amendement n° II-406 rectifié, présenté par M. Gay, Mmes Primas, Cohen, Apourceau-Poly, Gréaume, Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mme Brulin, M. Collombat, Mme Cukierman, M. Gontard, Mme Lienemann, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, M. Savoldelli, Mme Loisier, MM. Daunis, Raison, Perrin et Duplomb, Mme Procaccia, M. Tissot, Mme Férat, MM. Labbé, Cabanel, M. Bourquin et Montaugé, Mme A.M. Bertrand, MM. Moga et Gremillet, Mmes Morhet-Richaud et Guillemot, M. Duran et Mmes Renaud-Garabedian et Artigalas, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
1 000 000 |
|
1 000 000 |
|
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
|
|
|
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
|
1 000 000 |
|
1 000 000 |
TOTAL |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. C’est un amendement transpartisan de la commission des affaires économiques, soutenu par l’ensemble de mon groupe.
Le 7 juin 2019, la presse révélait l’affaire dite des faux steaks. En effet, dans le cadre du Fonds européen d’aide aux plus démunis, quatre associations, à savoir Les Restos du cœur, la Banque alimentaire, le Secours populaire et la Croix-Rouge, ont reçu plus de 1 000 tonnes de steaks frauduleux.
Je tiens à souligner leur professionnalisme et leur exemplarité. Elles ont d’elles-mêmes retiré les faux steaks. Ce faisant, elles ont eu à subir des frais importants, notamment pour faire des tests. Beaucoup d’argent a aussi été dépensé dans le stockage, ainsi que, pour un certain nombre d’entre elles, dans le rachat de produits.
Dans le rapport fait par la commission des affaires économiques, nous avons recommandé de ne pas faire payer aux associations le prix de cette crise. J’ai revu les représentants des quatre associations, qui estiment le coût entre 1 million et 2 millions d’euros.
Madame la secrétaire d’État, en toute honnêteté, je tiens à vous remercier de votre écoute. Je sais que vous avez beaucoup œuvré auprès des associations et que vous vous êtes engagée, comme vous nous l’aviez promis lors de notre rencontre, à prendre en charge les coûts de stockage. Néanmoins, il reste les six mois passés, dont le coût, je le répète, est estimé entre 1 million et 2 millions d’euros.
Mes chers collègues, nous vous proposons, pour faire suite à notre rapport et à l’une de nos dix-huit recommandations, d’adopter cet amendement pour débloquer 1 million d’euros en faveur des quatre associations, afin qu’elles soient remboursées de leurs frais. Cet argent, vous le savez, sera bien utilisé dans l’année qui vient, car, la pauvreté augmentant, ces associations en ont besoin pour répondre à l’urgence sociale.
Madame la secrétaire d’État, je tiens à le redire ici, publiquement, je vous remercie de votre écoute et de nos échanges. J’espère que nous allons les poursuivre dans les semaines qui viennent. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. C’est un sujet que nous connaissons bien avec Éric Bocquet, puisque nous avons commis un rapport, l’année dernière, sur l’aide alimentaire. Ce rapport avait mis en évidence la fragilité des associations, notamment après la baisse du nombre de contrats aidés, ainsi qu’une gestion délicate, difficile, par l’administration nationale des crédits européens. Nous avons ainsi identifié un risque de perte de plusieurs dizaines de millions d’euros – 70 millions d’euros en hypothèse basse – en fin de gestion du programme européen, pour des questions purement administratives. Vous trouverez les chiffres précis dans notre rapport sur ce projet de loi de finances.
Le sujet est particulièrement important, bien évidemment pour les personnes qui bénéficient de l’aide alimentaire, mais aussi en raison de ses implications financières.
Nous sommes favorables à cet amendement,…
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. … puisque l’État s’était engagé à compenser les coûts de stockage, comme cela a été parfaitement rappelé.
La réponse que nous avons reçue à la suite du courrier conjoint que nous avons adressé, avec nos collègues Fabien Gay et Sophie Primas, à Gérald Darmanin et à vous-même, madame la secrétaire d’État, ne nous paraît pas suffisamment précise. Vous nous dites : « L’État a mobilisé 2 millions d’euros en autorisations d’engagement sur le programme 304, avec 500 000 euros de crédits de paiement en 2019 et 1,5 million d’euros de crédits de paiement en 2020. » Cependant, aucun de ces crédits n’est fléché dans le projet de loi de finances.
Nous pouvons appeler, le cas échéant, au retrait de cet amendement, si vous nous apportez des garanties de financement en fléchant précisément ces crédits et si vous nous assurez qu’ils ne manqueront pas au reste de l’aide alimentaire. Il doit vraiment s’agit d’un plus, et non pas d’un virement de crédits.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. À mon tour, je vous remercie, monsieur Gay, du rapport que vous avez fait avec vos collègues sénateurs. Ce rapport a mis en lumière les difficultés rencontrées par les associations, avec qui nous avons pu longuement échanger, séparément, mais finalement ensemble.
Je vais vous indiquer très brièvement où en est la procédure.
Les agissements du titulaire du marché des fournitures de steaks hachés au profit du fonds européen font l’objet désormais d’une enquête pénale à la suite des procès-verbaux établis par la DGCCRF. Cette instruction pénale permettra de déterminer les responsabilités. L’État, FranceAgriMer et les associations qui distribuent l’aide alimentaire se sont portés parties civiles afin de voir réparés les préjudices subis. De plus, une déclaration à l’Office européen de lutte antifraude a été faite.
L’État, comme vous l’avez rappelé, a pris à bras-le-corps cette affaire. En effet, je me suis engagée auprès des associations à prendre en charge le stockage des steaks livrés, notamment pour leur permettre de recevoir d’autres marchandises pour 2019.
Si la mise en œuvre s’est avérée plus complexe que prévu sur les plans juridique, financier et opérationnel, le dispositif est désormais prêt et sera pris en charge, in fine, par l’État. Il nécessitera de mobiliser 2 millions d’euros de crédits budgétaires, y compris pour le stockage et la destruction des 890 tonnes de steaks hachés.
Nous le savons, pour avoir été présents auprès d’elles, les associations ont été très pénalisées et ont subi un préjudice important, mais c’est l’État qui, sur les crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », prendra en charge les conséquences de cette fraude.
De ce fait, je demande le retrait de l’amendement.
M. le président. Monsieur Gay, l’amendement n° II-406 rectifié est-il maintenu ?
M. Fabien Gay. On a une toute petite différence d’appréciation, madame la secrétaire d’État. J’ai encore rencontré les associations voilà quinze jours. Je le sais, vous vous êtes engagée, et la procédure va être très longue, à prendre à votre charge les frais de stockage le plus rapidement possible, sans donner de date précise.
Cependant, je suis un peu surpris de cet échange, car je ne crois pas que nous parlions de la même chose. Ces associations ont dû faire face depuis le mois d’avril à des frais importants, notamment pour faire des tests qui auraient dû être réalisés par la DGCCRF, et qui ont pris du temps, ainsi que par FranceAgriMer, qui a failli, il faut le dire. En outre, deux associations sur quatre ont dû racheter des steaks pour distribuer l’aide alimentaire. C’est ce million-là que nous proposons de leur donner pour les rembourser de ces frais. Ce n’est pas pareil.
Vous vous engagez – nous vous croyons –, à partir d’une date qui reste à déterminer, à prendre en charge le stockage pour la suite de l’affaire, mais, ces huit derniers mois, je le répète, les associations ont engagé beaucoup de frais, que l’on estime à 1,8 million d’euros. Nous proposons donc d’allouer 1 million d’euros en urgence, parce qu’elles l’ont décaissé et qu’elles se retrouvent parfois en difficulté. Dans la situation politique et sociale que nous vivons, il serait plus utile qu’il soit disponible pour l’aide alimentaire.
Je maintiens donc mon amendement. Comme nous l’avons cosigné de façon transpartisane à la commission des affaires économiques, et que mon groupe le soutient, je vous propose, mes chers collègues, que nous le votions ensemble.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Je veux apporter deux précisions.
Tout d’abord, les 700 000 euros de frais de stockage antérieurs à la procédure seront pris en charge.
Ensuite, une convention vient d’être passée avec FranceAgriMer, pour la prise en charge du stockage et de la destruction.
Ce sont donc 1,5 million d’euros qui ont d’ores et déjà été engagés.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. J’ai dit que notre avis était favorable sur cet amendement, sauf s’il était précisé par Mme la secrétaire d’État que les 2 millions d’euros en autorisations d’engagement cités dans le courrier qui nous a été adressé servaient à dédommager les associations. Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai entendu. Nous maintenons donc l’avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-406 rectifié.
(L’amendement est adopté.) – (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
M. le président. L’amendement n° II-466 rectifié ter, présenté par Mme Taillé-Polian, MM. Tourenne, Antiste, Kanner et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lubin, Meunier, Rossignol, Van Heghe, Conconne et G. Jourda, MM. Montaugé, Duran, Marie et Raynal, Mme Conway-Mouret et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Protection des enfants dans des situations de violence conjugale
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
1 000 000 |
|
1 000 000 |
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
|
|
|
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
|
|
|
|
Protection des enfants dans des situations de violence conjugale |
1 000 000 |
|
1 000 000 |
|
TOTAL |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Quelque 143 000 enfants vivent dans un foyer où une femme a déclaré être victime de violences commises par son conjoint ou son ex-conjoint ; 42 % de ces enfants ont moins de six ans. J’ai le regret d’ajouter que, dans 68 % des cas, l’enfant est présent lorsque sa maman est victime de ces violences.
En 2018, vingt et un enfants sont morts dans le cadre de ces violences conjugales et quatre-vingt-deux sont devenus orphelins. Ces chiffres sont terribles ! La réalité est glaçante ! La prise en charge de ces enfants postérieurement à ces violences est extrêmement préoccupante. Cela doit être une priorité de notre politique sociale.
C’est vrai, lors du Grenelle, le Premier ministre a parlé des enfants. Il a annoncé un certain nombre de mesures, mais, comme pour beaucoup de ces annonces, les financements manquent. Elles restent donc uniquement de l’ordre de la parole. Or il nous faut des actes.
Cet amendement vise à pourvoir une ligne de crédits afin que des dispositifs d’accompagnement puissent être mis en place. En effet, près de 60 % des enfants témoins de violence conjugale souffrent de stress post-traumatique. Quand on est témoin d’un tel drame, comment ne pas être victime soi-même ? Nous avons besoin de mettre en place des dispositifs particuliers pour systématiser la prise en charge de ces enfants. Je voudrais d’ailleurs rendre hommage au conseil départemental de Seine-Saint-Denis, département où les enfants témoins du meurtre de leur mère sont pris en charge à l’hôpital, avec un dispositif très particulier d’écoute.
Il y a d’autres expériences terribles, à la suite desquelles les enfants bénéficient d’un dispositif systématique. Je pense notamment aux violences routières. Pourquoi ne pourrions-nous pas, forts de cette prise de conscience majeure dans la société, procéder ainsi pour les enfants témoins de violence conjugale ? Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. Cet amendement vise à transférer 1 million d’euros du programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » vers un nouveau programme intitulé « Protection des enfants dans des situations de violence conjugale ».
La commission s’en remet à la sagesse du Sénat. Ce sujet est essentiel, mais il nous semble que les crédits fléchés vers ce nouveau programme ne correspondent pas à des crédits dédiés à la protection de l’enfance. Pour ma part, j’émets un avis de sagesse bienveillante.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. C’est un sujet très sensible, je le reconnais.
Je ne vais pas revenir sur les mesures annoncées à la suite du Grenelle, le 25 novembre ; je veux vous rappeler nos pistes de travail et quelques éléments sur lesquels nous apportons des financements bien particuliers pour améliorer le repérage et la prise en charge des enfants victimes de violence conjugale.
Nous prévoyons de renforcer les moyens du 119 dès 2020, à hauteur de 200 000 euros. Nous généralisons des unités d’accueil et d’écoute spécialisées à l’horizon de 2022 pour recueillir la parole de l’enfant dans de bonnes conditions et lui permettre de bénéficier d’une première prise en charge. Nous souhaitons garantir à chaque enfant victime une évaluation de ses besoins et l’accès à un parcours de soins, notamment psychologiques.
La prise en compte globale de la situation de ces enfants implique la mobilisation de l’ensemble des ministères et de plusieurs missions budgétaires : cohésion sociale, santé, justice, éducation nationale. Aussi, réduire la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes à un programme doté de 1 million d’euros pour des actions relevant du seul champ de la cohésion sociale ne nous permettrait pas, me semble-t-il, d’atteindre les objectifs ambitieux que s’est fixés le Gouvernement. Je demande donc le retrait de l’amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je trouve que l’exercice auquel nous nous livrons est terrible : les enveloppes étant contraintes, nous sommes obligés d’opérer des transferts d’une ligne budgétaire à une autre, alors que toutes ces politiques sont essentielles.
La situation que vient de décrire notre collègue Sophie Taillé-Polian est éminemment urgente à régler. Madame la secrétaire d’État, vous devriez être attentive à ce qui se passe en Seine-Saint-Denis. À notre connaissance, c’est le seul département à prendre en charge de cette façon, avec un bilan complet sur une période allant de trois à huit jours, les enfants témoins de violences. Cette expérience devrait être généralisée, les traumatismes de ces enfants étant énormes.
Vous nous dites que c’est une grande cause dont vous allez vous occuper. Je vous crois sincère, mais, en tant que vice-présidente de la commission des affaires sociales, je vois bien que les crédits sont totalement insuffisants. Pour les centres de prise en charge des psychotraumatismes, y compris pour les femmes victimes de violences, tels qu’ils avaient été promis par Mme Buzyn, le compte n’y est pas. Il y a donc de quoi être méfiant.
Le Gouvernement prend beaucoup d’engagements sur une cause éminemment prioritaire, mais les actes ne suivent pas les paroles. Nous avons besoin de concret. Arrêtez cette espèce de jeu de bonneteau ! Ne jouez pas avec les urgences sociales, économiques et de santé ! Apportez des réponses !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Madame la secrétaire d’État, dans les réponses que vous avez faites, peu concernaient le sujet dont Mme Taillé-Polian vous a entretenue en présentant son amendement. L’ouverture du 119 au-delà des heures habituelles ne va pas répondre à la question de la prise en charge des enfants orphelins de mère et dont le père est condamné pour crime. Le Premier ministre a annoncé qu’en cas de féminicide le père perdrait l’autorité parentale. Il s’agit donc d’enfants qui deviendront des pupilles, très probablement. Ces enfants-là ont besoin d’un suivi particulier. Or vous n’avez rien prévu de tel.
Quand bien même vous me répondriez que vous avez prévu quelques rares mesures, je sais pertinemment qu’il n’y a pas 1 euro supplémentaire pour tenir ne serait-ce que la moitié des engagements que vous avez pris. La situation est donc tout à fait déroutante pour nous, parlementaires.
Nous avons entendu en début de semaine les annonces du Grenelle : certaines recyclaient des choses déjà faites auparavant ; d’autres prévoyaient des engagements nouveaux, mais nous savons que vous vous payez de mots. C’est pourquoi, avec cet amendement, nous demandons au Gouvernement de mettre en place les moyens nécessaires à la lutte contre les violences faites aux femmes. Soyez généreuse avec nous ; ne nous faites pas le coup du milliard ! Ce serait d’ailleurs plus grave pour vous que pour nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. Comme cela a été fort bien dit par mes collègues Laurence Cohen et Laurence Rossignol, le déficit de moyens est généralisé. Vous parlez, madame la secrétaire d’État, d’une mobilisation générale du Gouvernement, mais nous n’en trouvons pas trace dans les éléments budgétaires, alors que c’est précisément là qu’on peut mesurer votre engagement réel.
Un certain nombre d’annonces ont été faites. Vous avez notamment évoqué les unités d’accueil médico-judiciaires. Or vous nous dites vous-même que c’est pour 2022 ! Combien d’enfances brisées en attendant ? On en compte 58 dans notre pays aujourd’hui. Il y a des territoires entiers sans de telles unités. Rendez-vous compte que répondre « 2022 » n’est pas acceptable !
Il faut davantage de moyens pour ces victimes, qu’il s’agisse des enfants ou des femmes qui subissent des violences conjugales. Sur ce dernier point, les rapporteurs spéciaux ont déposé un amendement qui sera examiné juste après celui-ci. C’est un engagement réel, ample, profond et sincère que le pays attend. Les dizaines de milliers de femmes mobilisées la semaine dernière devraient vous faire entendre raison.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Nous avons pris l’engagement, que vous avez rappelé, madame la sénatrice, de décharger les enfants de l’obligation alimentaire envers le parent condamné pour homicide de l’autre parent.
Mme Laurence Rossignol. Ce ne seront plus des enfants, mais des adultes !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Nous demandons systématiquement une évaluation de la situation de la famille sous l’angle de la protection de l’enfance. Les crédits correspondants ne figurent pas dans le projet de loi de finances, mais dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, que vous examinerez demain en nouvelle lecture, au sein des crédits alloués à la protection de l’enfance.
Mme Laurence Rossignol. Là où il manque 20 millions d’euros !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Quand nous vous parlons de l’horizon 2022, c’est parce que nous avançons progressivement, et non pour vous dire que nous ferons tout en 2022. Tout se fait progressivement. En outre, il existe toute une série d’acteurs qu’il faut accompagner et avec lesquels il faut travailler. Nous avons une abondance de mesures que nous déployons sur le territoire : toutes les mesures qui seront nécessaires pour répondre à cette problématique.
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.
Mme Laure Darcos. Je regrette de ne pas avoir eu connaissance plus tôt de cet amendement, parce que je l’aurais bien évidemment cosigné ; je le voterai en tout cas des deux mains !
Même si nous débattrons demain du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il s’agit déjà d’un symbole très fort : rien n’est fait aujourd’hui pour ces enfants. Outre les meurtrissures qu’ils ont eux-mêmes subies, outre le fait qu’ils sont souvent, comme l’a rappelé Mme Rossignol, orphelins et pupilles de la Nation, ils doivent repenser l’ensemble de leur modèle familial et ont besoin pour ce faire d’un suivi psychologique énorme, qui n’est absolument pas prévu dans le plan issu du Grenelle contre les violences conjugales.
Je confirme donc qu’à titre personnel je voterai en faveur de cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. Je peux vous annoncer au nom du groupe Union Centriste que nous voterons également en faveur de cet amendement. Cette somme nous paraît nécessaire et dérisoire à la fois. Ce pourrait être l’amorce d’une politique réelle en faveur de ces enfants, qui ont été trop longtemps oubliés.
Je reconnais que le Gouvernement, à travers le Grenelle contre les violences conjugales, a mis l’accent sur ces problématiques, mais l’enfant reste un spectateur impuissant de cette violence et en ressort avec de nombreux traumatismes. On peut bien réserver 1 million d’euros pour eux ; c’est même trop peu pour les prendre en charge et les accompagner.
M. le président. L’amendement n° II-657, présenté par MM. Bazin et Bocquet, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
|
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|
Handicap et dépendance |
|
|
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|
Égalité entre les femmes et les hommes |
1 000 000 |
|
1 000 000 |
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
|
1 000 000 |
|
1 000 000 |
TOTAL |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Cet amendement vise à augmenter de 1 million d’euros les crédits dédiés à la lutte contre les violences faites aux femmes, portés par le programme 137.
Alors que ces crédits sont en baisse d’un demi-million d’euros entre la loi de finances pour 2019 et le projet de loi de finances pour 2020 et que les associations connaissent un afflux sans précédent de demandes à la suite du mouvement #MeToo, cet amendement tend à dégager des crédits supplémentaires pour financer les subventions aux associations, les dispositifs de prise en charge des femmes victimes de violence, c’est-à-dire des places d’accueil, les référents départementaux, ou encore la plateforme téléphonique 3919.
Cet amendement a pour objet de conduire le Gouvernement à apporter des moyens nouveaux pour ces actions et, plus largement, hors du périmètre de cette mission, pour financer les mesures annoncées dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales. En effet, à ce jour, aucune mesure n’est clairement financée. On est loin, très loin, du milliard d’euros annoncé par le Gouvernement, comme nous l’avons démontré dans notre rapport budgétaire.
L’augmentation de 1 million d’euros que nous proposons est certes largement symbolique, mais elle sera utile. Elle porte sur l’action n° 21 du programme 137 et est compensée par une diminution des crédits de l’action n° 10 du programme 124. Elle permettra d’envoyer un message clair et fort.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Le Gouvernement s’est engagé à pérenniser le montant des crédits du programme 137 sur le quinquennat, afin d’apporter un soutien constant, à même hauteur, aux associations qui interviennent dans le domaine de l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est pourquoi il a souhaité que le montant des crédits affectés au programme 137 soit le même en 2020 qu’en 2019.
Le montant des crédits figurant au document de politique transversale Politique de l’égalité entre les femmes et les hommes est quant à lui en hausse : en 2020, plus de 1 milliard d’euros seront mobilisés par les différents ministères qui concourent à l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans ce cadre, plus de 360 millions d’euros seront affectés aux actions de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, ainsi qu’aux actions de protection de l’enfance.
L’avis du Gouvernement sur cet amendement est donc défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mes chers collègues, s’il était possible d’être concis, ce serait une bonne chose. Il reste encore beaucoup à faire ce soir et cette nuit. J’espère que nous serons aussi nombreux après minuit…
Mme Laurence Rossignol. Nous, nous serons là demain !
Madame la secrétaire d’État, je vous avais suggéré d’éviter de nous faire le coup du milliard, dans votre intérêt davantage que dans le nôtre. Qu’entends-je par là ?
De fait, 75 % du milliard sur lequel vos collègues pérorent depuis un mois va à l’aide au développement. Ces crédits sont identifiés comme contribuant à l’égalité entre les femmes et les hommes, parce que, d’un certain point de vue, quelle que soit la nature des opérations qu’ils financent, on y voit un progrès pour cette égalité. Ainsi, si l’on crée un puits dans un village où les femmes vont chercher l’eau à pied, ce puits plus proche contribue à faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes…
Par ailleurs, dans ce même milliard, vos collègues, sans vous le dire – du moins je l’espère –, ont additionné des crédits pluriannuels : ils y ont compté non seulement les sommes qui devront être dépensées cette année, mais encore celles de l’année prochaine, de l’année d’après, et ainsi de suite. Or on vient annoncer 1 milliard pour une seule année ! Tout cela est une formidable arnaque de communication !
Comment pouvez-vous affirmer que vous vous êtes engagés à pérenniser ces crédits sur tout le quinquennat ? Nous savons tous que l’activité des associations, des tribunaux et des commissariats s’est énormément accrue depuis le mouvement #MeToo et la campagne que nous menons tous actuellement contre ces violences. Pérenniser les crédits, en réalité, c’est les réduire ! C’est être incapable de répondre à la demande, moins efficace, moins proche des femmes. Le mot de « pérennisation » est aujourd’hui devenu synonyme de « réduction ».
Voilà, madame la secrétaire d’État, ce que nous essayons de vous dire au travers de cet amendement. Une somme de 1 million d’euros, c’est modeste, c’est ce que le Sénat peut faire, mais c’est un appel au Gouvernement pour qu’il fasse ce qu’il peut et qu’il doit faire ! (Mme Laure Darcos applaudit.)
M. Julien Bargeton. Vous avez la mémoire courte !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote. (Marques d’impatience sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Taillé-Polian. Le sujet est important, mes chers collègues. Il a mobilisé énormément de Françaises et de Français, la semaine dernière, dans la rue. Il mobilise aussi depuis de très longues semaines, de très longs mois, de très longues années des efforts pour qu’on s’approche de l’égalité entre femmes et hommes, dont on est encore très loin.
Beaucoup d’annonces ont été faites, mais elles ne sont pas financées. Je ne reviendrai pas sur tout ce qu’a exposé Mme Rossignol, sur le fait que les annonces budgétaires du Gouvernement s’avèrent être un enfumage caractérisé. Je veux simplement réaffirmer que, là où les moyens que nous demandons ont été déployés, en Espagne ou dans certains pays scandinaves, quand de réelles politiques sont mises en place, quand toutes les politiques sont passées au crible de la question de l’égalité entre femmes et hommes, ça marche et ça progresse !
Nous ne demandons pas des moyens parce que cela ferait joli sur un tableau, mais parce que cela permet d’avancer concrètement. Comme cela a déjà été dit, il faut arrêter de se payer de mots : il faut agir et, pour agir, il faut des moyens !
M. Emmanuel Capus. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Pour que les choses soient claires pour tout le monde concernant ce milliard, il faut savoir que 1,116 milliard d’euros sont inscrits dans le projet de loi de finances en autorisations d’engagement. En crédits de paiement, ce n’est plus que 557 millions d’euros, c’est-à-dire la moitié.
La moitié de cette moitié est constituée de crédits internationaux. Sur le quart restant, la moitié encore correspond au salaire des enseignants d’histoire-géographie, qui sont chargés d’assurer les cours consacrés à l’égalité entre filles et garçons dans le primaire et le secondaire.
M. Max Brisson. Exactement !
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Voilà la réalité des chiffres !
Mme Laurence Rossignol. Eh oui !
M. Max Brisson. Très bien !
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Dès lors, face à ce milliard virtuel, nous vous proposons 1 million concret, et nous vous engageons à le voter, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, Les Indépendants, SOCR et CRCE.)
M. le président. L’amendement n° II-463, présenté par Mme Schillinger, MM. Amiel, Lévrier, Bargeton, Patient, Rambaud et Buis, Mme Cartron, M. Cazeau, Mme Constant, MM. de Belenet, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Iacovelli, Karam, Marchand, Mohamed Soilihi et Patriat, Mme Rauscent, MM. Richard, Théophile, Yung et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
700 000 |
|
700 000 |
|
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
300 000 |
|
300 000 |
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
|
1 000 000 |
|
1 000 000 |
TOTAL |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
1 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Je présente cet amendement au nom de ma collègue Patricia Schillinger.
La précarité liée aux règles était jusque récemment un sujet assez peu connu et peu abordé en France. Faute de moyens, beaucoup de femmes dans notre pays se retrouvent dans l’impossibilité de se procurer des protections périodiques. Tel est le cas, d’après l’IFOP, de 40 % des femmes fréquentant les associations caritatives.
Cet amendement vise à traduire dans le projet de loi de finances pour 2020 les propositions du rapport Précarité menstruelle : changeons les règles, demandé par M. le Premier ministre à notre collègue Patricia Schillinger dans le but de définir les objectifs et les modalités d’une expérimentation de distribution gratuite de protections périodiques. Nous proposons de cibler les lieux accueillant les plus vulnérables, comme les centres d’hébergement d’urgence, ou encore les CCAS, ainsi que les établissements d’enseignement, puisque certaines jeunes filles et jeunes femmes scolarisées ne se rendent pas en cours à l’école ou à l’université pendant leurs règles faute d’accès suffisant à des protections périodiques.
Ce rapport a été bien accueilli par les acteurs de la solidarité, de même que par l’Assemblée des départements de France, puisque certaines collectivités s’engagent également dans ce chantier face à un fléau tant social que sanitaire.
Plus techniquement, le dispositif allège de 1 million d’euros les crédits alloués à l’action n° 14, Communication, du programme 124 : deux tiers des fonds iraient vers le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes », un tiers vers le programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. Cet amendement vise à abonder les crédits du programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes », à hauteur de 700 000 euros, et ceux du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes », de 300 000 euros, afin de mener une expérimentation de libre distribution de protections périodiques dans différents lieux accueillant du public, notamment les plus vulnérables, comme les centres d’hébergement d’urgence, les associations caritatives et les lieux d’enfermement.
La commission a émis un avis défavorable. Quoique tout à fait favorables à ce genre d’expérimentation, nous estimons que ce dispositif devrait être porté par le Gouvernement. Nous sommes donc défavorables, à ce stade, à cet amendement, à moins que le Gouvernement ne décide de s’engager devant nous à préserver les crédits du programme support.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Le sujet est majeur. Il est temps de faire tomber les tabous. Les règles ne sont ni une maladie ni une honte. En revanche, la précarité menstruelle a de lourdes conséquences sur la santé des femmes concernées et sur le bien-être global, comme le souligne le rapport de Mme Schillinger, qui dresse des constats accablants et fera référence.
Ce rapport propose une expérimentation. Le Gouvernement est sensible à cette proposition, qui est à l’étude sur la base des chiffrages que Mme Schillinger a établis. En parallèle, la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale s’est mobilisée pour produire un rapport complémentaire sur les problématiques multidimensionnelles qui entourent les règles et les produits d’hygiène.
Les moyens de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » sont déjà mobilisés sur ce sujet important. En effet, nous étudions, à partir des rapports que j’ai mentionnés, la possibilité du financement d’une expérimentation qui a déjà commencé sur l’accès aux protections hygiéniques pour les femmes vivant dans la rue et dans des centres d’hébergement. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons à l’expérimentation proposée par Mme Schillinger, et nous déterminerons comment l’intégrer dans les crédits de cette mission.
Nous avons comme boussole la mise en place d’expérimentations importantes et déployées sur tout le territoire. Le Gouvernement souhaite donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Monsieur Bargeton, l’amendement n° II-463 est-il maintenu ?
M. Julien Bargeton. Oui, monsieur le président, je le maintiens.
M. le président. Quel est maintenant l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Défavorable. (Exclamations sur des travées du groupe SOCR.)
M. Pascal Savoldelli. Oh là là !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. Je soutiens cet amendement. Je vous rappelle, madame la secrétaire d’État, que, l’année dernière, lors de la discussion budgétaire, nous avions déjà abordé ce sujet. Le Gouvernement nous avait alors rassurés : il allait travailler sur cette question et mettre en place une expérimentation. Mme Schillinger, qui avait alors défendu un amendement similaire, devait d’ailleurs porter cette démarche. C’est ce qui a conduit à la rédaction de son rapport.
En fin de compte, il n’y a aucune avancée sur ce sujet fondamental. Aujourd’hui, on se retrouve dans la même situation : le Gouvernement demande le retrait de l’amendement, en promettant qu’il s’y intéressera plus tard. À mes yeux, il est fondamental de marquer dès à présent le soutien du Sénat à cette proposition. (Mmes Laurence Cohen et Michelle Meunier applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je soutiens totalement ce qui vient d’être dit. J’ai en mémoire le débat que nous avions eu, à je ne sais quelle heure de la nuit, sur l’instauration d’un taux réduit de TVA sur les protections hygiéniques. Certaines et certains d’entre nous s’en souviennent sans doute aussi bien que moi. On avait été loin dans le débat, mais le Gouvernement nous avait répondu : « Ne vous faites pas de souci ! On ne réglera pas ce problème par le biais de la TVA ; on fera une expérimentation. »
Évidemment, il y a l’aspect financier à prendre en considération, mais pas seulement. Je veux attirer l’attention de Mme la secrétaire d’État sur ce point : c’est aussi une question de dignité, une question d’humanité !
Quand j’étais jeune militant, je me suis battu pour le préservatif gratuit et pour bien d’autres choses encore. Ce n’était pas seulement la gratuité qui nous motivait : il fallait se battre pour éveiller les consciences quant aux dangers qui existaient pour des hommes et des femmes qui, pour x raisons, mais notamment pour des raisons sociales, ne se permettaient plus d’avoir le minimum de droits devant la vie.
Madame la secrétaire d’État, appelez les entreprises de la grande distribution ! D’ailleurs, sur certains sujets, ce sont plutôt vos amis ! Appelez Leclerc, appelez Carrefour, appelez Auchan ! Demandez-leur quels produits font l’objet du plus de vols à l’étalage dans les grandes surfaces.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Les lames de rasoir !
M. Pascal Savoldelli. Vous serez étonnée : ce ne sont pas les bijoux, ce ne sont pas les CD, ce n’est pas je ne sais quelle nouvelle technologie, ce sont les biens de première nécessité, parmi lesquels on compte les protections hygiéniques. Cela devrait nous faire réfléchir.
Je peux donc vous assurer que nous voterons cet amendement, même s’il est issu de la majorité gouvernementale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. Julien Bargeton. De Mme Schillinger !
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. Madame la secrétaire d’État, où est la cohérence du Gouvernement ? Vous venez de nous dire que c’est un sujet majeur. Nos collègues hommes, eux aussi, reconnaissent qu’il faut le prendre en compte pour des raisons de dignité, voire de santé. Alors, je ne comprends pas ce qui motive votre rejet de cette proposition que notre collègue Patricia Schillinger porte depuis des années. Notre groupe votera cet amendement.
M. le président. L’amendement n° II-83, présenté par M. Mouiller, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Inclusion sociale et protection des personnes dont titre 2 |
|
800 000 |
|
800 000 |
Handicap et dépendance |
|
|
|
|
Égalité entre les femmes et les hommes |
800 000 |
|
800 000 |
|
Conduite et soutien des politiques sanitaires, sociales, du sport, de la jeunesse et de la vie associative dont titre 2 |
|
|
|
|
TOTAL |
800 000 |
800 000 |
800 000 |
800 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. Cet amendement vise à augmenter de 800 000 euros l’enveloppe dédiée à l’aide financière à l’insertion sociale et professionnelle des personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution, qui est passée de près de 2 millions d’euros en 2019 à 1,2 million d’euros en 2020.
Alors que 40 000 personnes seraient victimes d’exploitation sexuelle en France, l’effort en faveur de cette politique mérite d’être soutenu. La forte réduction de l’enveloppe qui lui est consacrée constitue un très mauvais signal. Il appartient au Gouvernement de lever les freins à sa montée en charge : je pense notamment à la nécessaire mise en place des commissions départementales de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle.
L’augmentation de crédits que nous proposons est gagée sur une diminution des crédits dédiés au RSA jeune actif au sein de l’action n° 11, Prime d’activité et autres dispositifs, du programme 304. En effet, alors que le nombre de bénéficiaires de cette prestation ne cesse de diminuer du fait de conditions très restrictives, les crédits demandés s’élèvent à 4,5 millions d’euros pour 2020, contre 1,7 million d’euros en loi de finances initiale pour 2019. Même réduits de 800 000 euros, les crédits du RSA jeune actif pour 2020 resteraient plus de deux fois supérieurs à ceux qui avaient été ouverts en 2019.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. L’avis est favorable.
Les montants dédiés à cette aide sont passés de 2 millions d’euros en 2019 à 1,2 million d’euros en 2020. Il y a deux ans, Éric Bocquet et moi-même nous étonnions déjà de la sous-consommation de ces crédits. On nous avait alors expliqué qu’il fallait un certain temps pour mettre en place les commissions départementales qui décident de les attribuer dans le cadre des programmes de sortie de la prostitution.
Deux ans se sont écoulés : c’est beaucoup de temps pour mettre en œuvre de tels dispositifs. Nous estimons donc nécessaire de se donner comme objectif de dépenser ces 2 millions d’euros. C’est pourquoi nous sommes en accord avec cette proposition d’augmenter ces crédits de 800 000 euros.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. La réduction, entre 2019 et 2020, des crédits de l’AFIS inscrits en loi de finances résulte d’une montée en charge plus modérée qu’initialement prévu du nombre de bénéficiaires de cette prestation réglementaire. Depuis sa mise en place en 2017, 228 personnes ont bénéficié de l’AFIS, dont 154 en août 2019.
La somme de 1,2 million d’euros retenue dans le projet de loi de finances correspond à l’estimation ajustée du nombre de bénéficiaires attendus en 2020. L’avis du Gouvernement sur cet amendement est donc défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Il est tout de même extrêmement important pour un gouvernement, madame la secrétaire d’État, d’afficher une volonté politique. Or ce gouvernement ne fait montre d’aucune détermination à faire en sorte que la loi de 2016 s’applique. La faire adopter a été une bataille. Nous sommes nombreuses et nombreux sur ces travées à avoir travaillé en ce sens.
Maintenant, il faut accompagner ces parcours de sortie de la prostitution, mais le Gouvernement ne montre aucune réelle volonté politique de le faire. Évidemment, quand on ne crée pas les conditions nécessaires, quand on n’accompagne pas les personnes, on peut constater que ça ne marche pas ! De fait, si l’on dresse tout le temps des obstacles, ça ne peut pas marcher !
On se trouve tout de même dans une situation où on ne peut procéder qu’à des transferts d’enveloppes entre budgets tout aussi importants les uns que les autres. Les enveloppes sont fermées : il faut retirer 1 million d’un endroit pour le mettre à un autre, parce que c’est plus urgent. C’est, comme disent les enfants, moins pire que le pire !
Mes chers collègues, le Gouvernement porte une grande responsabilité dans cette situation : le budget de l’État et celui de la sécurité sociale sont largement insuffisants, parce qu’il faut constamment restreindre la dépense publique, parce qu’il ne faut pas de déficit. Mais, en fin de compte, qui vote contre ces budgets dans notre hémicycle ? Qui se bat pour qu’il y ait plus de moyens pour la dépense publique ? Nous ne sommes pas majoritaires ici dans cette orientation. Alors, je ne voudrais pas que ce que nous faisons à présent, qui peut donner bonne conscience à certains de nos collègues, soit perdu de vue au moment des votes qui engageraient la dépense publique dans le sens d’un mieux-être pour nos concitoyens et nos concitoyennes.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Vous avez beau jeu, madame la secrétaire d’État, de constater que les crédits de l’année précédente n’ont pas été totalement consommés. Vous l’aviez déjà sans doute constaté l’année dernière, et vous espérez probablement avoir encore à le faire l’année prochaine.
Ce gouvernement a fait le choix de l’extinction de la loi de 2016. Vous ne prenez aucun engagement en faveur de l’application de ce texte et du parcours de sortie de la prostitution. J’en veux pour preuve que vous n’en parlez jamais. Quand vous parlez des violences faites aux femmes, faites aux personnes, jamais vous ne citez la prostitution parmi ces violences. Jamais vous ne parlez de la traite des êtres humains : cela n’existe pas dans le vocabulaire et le paysage mental de ce gouvernement. Jamais vous ne faites campagne auprès des préfectures, auprès des policiers, auprès des parquets, pour que cette loi soit appliquée.
Vous le savez comme moi, les seules lois qui sont appliquées automatiquement, ce sont les lois de finances, ou plutôt leurs premières parties. Quand on vote l’impôt, en général, il est appliqué immédiatement. Quant aux autres lois, il faut prendre son bâton de pèlerin pour aller en faire la promotion, y compris auprès des fonctionnaires. Or vous avez décidé de ne pas vous occuper de cette loi ; vous avez décidé, d’ici à la fin du quinquennat, de réduire à rien le budget du fonds de lutte contre la prostitution, parce que ce n’est pas pour vous une priorité.
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits, modifiés.
(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. J’appelle en discussion les articles 78 octodecies, 78 novodecies et 78 vicies, qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Solidarité, insertion et égalité des chances
Article 78 octodecies (nouveau)
I. – L’article L. 117-3 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° À la première phrase du premier alinéa, le mot : « réinsertion » est remplacé par le mot : « vie » ;
2° Au début du septième alinéa, il est ajouté le mot : « ou » ;
3° Le huitième alinéa est supprimé ;
4° La seconde phrase du neuvième alinéa est ainsi rédigée : « Elle est versée mensuellement. » ;
5° Après le mot : « moment », la fin de la première phrase du onzième alinéa est supprimée ;
6° À la première phrase du dernier alinéa, les mots : « de durée des séjours dans le pays d’origine » sont remplacés par les mots : « d’existence de liens avec un conjoint, un concubin, un ou plusieurs enfants ou un ou plusieurs ascendants résidant dans un autre pays ».
II. – Le présent article entre en vigueur le 1er juillet 2020.
M. le président. L’amendement n° II-583, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… Au sixième alinéa, après les mots : « au moment de la », est inséré le mot : « première » ;
II. – Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Au début du septième alinéa, il est ajouté le mot : « et » ;
III. – Alinéa 5
Après le mot :
mensuellement
insérer les mots :
et revalorisée le 1er octobre de chaque année par application du coefficient mentionné à l’article L. 161-25 du code de la sécurité sociale
IV. – Alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
6° À la première phrase du dernier alinéa, les mots : « et de durée des séjours dans le pays d’origine » sont supprimés.
V. – Après l’alinéa 7
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Les références à : « l’aide à la réinsertion familiale et sociale » dans le code de l’action sociale et des familles sont remplacées par les références à : « l’aide à la vie familiale et sociale ».
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Cet amendement de clarification vise à renforcer l’effectivité des droits que nous avons créés, notamment en faveur des chibanis.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Bocquet, rapporteur spécial. Le présent amendement porte sur l’article 78 octodecies, qui réforme l’aide à la réinsertion familiale et sociale. Il vise à clarifier les conditions d’éligibilité au dispositif.
L’avis de la commission est favorable, car cet amendement clarifie utilement certaines dispositions de cet article relatives à cette nouvelle aide à la vie familiale et sociale, en supprimant la condition d’hébergement dans un foyer de travailleurs migrants ou dans une résidence sociale pour le maintien de l’aide et en réintroduisant les dispositions prévoyant une revalorisation annuelle de l’aide.
M. le président. Je mets aux voix l’article 78 octodecies, modifié.
(L’article 78 octodecies est adopté.)
Article 78 novodecies (nouveau)
I. – Le titre Ier du livre VIII du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’article L. 815-24 est ainsi modifié :
a) À la fin du premier alinéa, les mots : « fixé par décret » sont remplacés par les mots : « déterminé pour garantir l’atteinte d’un niveau de ressources minimal, fixé par décret, correspondant aux plafonds fixés par décret en application de l’article L. 815-24-1 » ;
b) Le dernier alinéa est supprimé ;
2° L’article L. 815-28 est abrogé ;
3° À l’article L. 816-3, les mots : « de l’allocation mentionnée à l’article L. 815-24 et » sont supprimés et les mots : « son attribution » sont remplacés par les mots : « l’attribution de l’allocation mentionnée à l’article L. 815-24 ».
II. – À l’article L. 153 du livre des procédures fiscales, les mots : « , au troisième alinéa de l’article L. 815-28 » sont supprimés.
III. – A. – Les 1° et 3° du I s’appliquent aux allocations versées à compter d’avril 2020.
B. – Le 2° du I entre en vigueur le 1er janvier 2020 et s’applique également au titre des prestations versées antérieurement au 1er janvier 2020.
M. le président. L’amendement n° II-84 rectifié, présenté par M. Mouiller, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 4
Insérer six alinéas ainsi rédigés :
1° bis L’article L. 815-24-1 est ainsi modifié :
a) La première phrase est ainsi modifiée :
– les mots : « de cette allocation et » sont supprimés ;
– après les mots : « l’intéressé et », sont insérés les mots : « , s’il y a lieu, de celles » ;
b) La seconde phrase est ainsi rédigée : « Le montant de la ou des allocations est égal à la différence entre le plafond applicable à la situation du ou des allocataires et le total des ressources de l’intéressé ou des époux, concubins ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »
II. – Alinéa 8
Après la référence :
1°
insérer la référence :
1° bis
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Mouiller, rapporteur pour avis. L’Assemblée nationale a introduit, sur l’initiative du Gouvernement, une réforme bienvenue de l’allocation supplémentaire d’invalidité. Cet amendement vise à préciser les règles de calcul de l’ASI, par coordination avec la réforme proposée, de telle sorte qu’elle devienne une allocation strictement différentielle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Arnaud Bazin, rapporteur spécial. Favorable à cet amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État., J’espère que vous saurez gré au Gouvernement, mesdames, messieurs les sénateurs, de l’avis favorable qu’il émet sur le dernier amendement de cette mission.
M. le président. Je mets aux voix l’article 78 novodecies, modifié.
(L’article 78 novodecies est adopté.)
Article 78 vicies (nouveau)
I. – Le II de l’article 89 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, l’article 43 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique et l’article L. 263-2-1 du code de l’action sociale et des familles sont abrogés.
II. – Les conventions d’appui aux politiques d’insertion conclues entre les départements et les représentants de l’État dans les départements depuis le 1er janvier 2017 en application de l’article L. 263-2-1 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, expirent au 1er janvier 2020.
III. – Des reversements au budget général de l’État peuvent être effectués jusqu’au 31 décembre 2020 quand il est constaté le non-respect des obligations qui découlent de la conclusion d’une convention d’appui aux politiques d’insertion. – (Adopté)
M. le président. Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Recherche et enseignement supérieur
M. le président. Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » (et articles 76 sexdecies et 76 septdecies).
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget de l’enseignement supérieur pour 2020 s’inscrit dans la trajectoire dessinée par la loi de finances pour 2019, avec une nouvelle hausse des crédits, de l’ordre de 242 millions d’euros, ce qui représente une augmentation de 1,5 % par rapport à 2019. Étant donné le contexte budgétaire actuel, il s’agit donc d’un budget satisfaisant, d’autant que ces crédits budgétaires sont complétés à hauteur de 435 millions d’euros, soit le double de l’année dernière, par des crédits en provenance des programmes d’investissements d’avenir.
Dans le détail, le budget pour 2020 affiche une hausse de 159 millions d’euros des crédits dédiés aux formations supérieures et à la recherche. Bien évidemment, madame la ministre, je ne peux que saluer cet effort budgétaire manifeste en faveur du plan Étudiants, de la réforme des études de santé et de l’expérimentation du dialogue stratégique et de gestion. Je voudrais néanmoins vous faire part de quelques réserves quant à la présentation que vous nous faites de ces augmentations de crédits.
J’ai pu constater au cours de mes travaux qu’une grande partie des moyens présentés comme nouveaux correspondaient en réalité au financement de dépenses obligatoires ou à la prolongation, en année pleine, de mesures décidées en 2019. Ainsi, près du quart de cette enveloppe de 159 millions d’euros a vocation à compenser le coût du dispositif « Parcours professionnels, carrières et rémunérations ».
Par ailleurs, alors que vous avez annoncé la fin de la compensation systématique du GVT, une partie des 50 millions d’euros dédiés au dialogue stratégique et de gestion devrait être mobilisée pour octroyer à certains établissements, au cas par cas, une compensation partielle ou totale. Pourriez-vous me dire quel montant sera finalement dédié à la compensation du GVT ?
Si je soutiens pleinement l’expérimentation de ce dialogue stratégique, je remarque que, in fine, seuls 15 millions d’euros seront consacrés au financement des projets stratégiques de 80 établissements, contre 5 millions d’euros pour 10 établissements l’année dernière. Dans ces conditions, vous comprendrez que l’on s’interroge sur la force de ces mesures. Le compte n’y est pas !
Le restant des crédits dédiés au dialogue stratégique et de gestion complétera les financements alloués au plan Étudiants et à la réforme des études de santé. Au total, les crédits dédiés à la mise en œuvre du plan Étudiants devraient augmenter de 43 millions d’euros en 2020, dont 30 millions d’euros au titre de l’extension en année pleine des mesures attribuées pour la rentrée de 2019.
J’adhère pleinement aux mesures de ce plan, qui accorde une grande importance à l’orientation des élèves, afin notamment de réduire l’échec en licence. Une meilleure orientation me semble en effet être la clé pour répondre aux défis auxquels est actuellement confronté l’enseignement supérieur. Il s’agit en premier lieu de relever un défi démographique, le nombre d’étudiants inscrits à l’université étant en hausse constante. Cette année, l’université compte 16 500 nouveaux inscrits, après 30 000 en 2018.
À cet égard, je m’arrêterai un instant sur le rôle crucial que joue l’enseignement privé pour absorber ces hausses d’effectifs, sans pour autant bénéficier d’un accompagnement financier adéquat de l’État.
En 2019, les établissements privés ont accueilli 9 500 étudiants de plus que l’année dernière, ce qui correspond à une hausse de 9 % de leurs effectifs. Pourtant, tandis que l’université voit sa dotation progresser de plusieurs dizaines de millions d’euros en 2020, les Eespig, c’est-à-dire les établissements qui ont contractualisé avec votre ministère, ne bénéficieront que de 3 millions d’euros supplémentaires pour accompagner cette hausse d’effectifs.
En 2020, les Eespig représenteront 4 % des étudiants de l’enseignement supérieur, mais ne percevront que 0,6 % des crédits du programme 150. Mécaniquement, le montant moyen de la subvention de l’État par étudiant, qui a diminué de 46 % entre 2009 et 2019, va continuer de chuter.
Dans ce contexte, je m’étonne que vous persistiez à appliquer un taux de réserve de 7 % aux Eespig. Certes, vos services m’ont indiqué que cette réserve serait en partie dégelée en fin d’exercice, à hauteur de 3,5 millions d’euros en 2019. Néanmoins, les informations que j’ai obtenues à ce sujet sont contradictoires : pourriez-vous me garantir que ces 3,5 millions d’euros seront bel et bien versés aux Eespig et non à la formation des maîtres ? En fonction de votre réponse, je déciderai de maintenir ou de retirer mon amendement visant à porter ces crédits à un niveau convenable, niveau qu’ils n’atteignent pas actuellement.
L’enseignement supérieur est confronté à un deuxième défi, à savoir la diversification de ses ressources. Je suis extrêmement inquiet des conséquences que pourrait avoir la réforme du mécénat sur le financement de l’enseignement supérieur, des grandes écoles comme des universités. Il me semble pour le moins paradoxal que l’État ne cesse d’inciter les établissements à développer et à diversifier leurs ressources propres et que, en parallèle, il diminue sans vergogne les dispositifs encourageant les entreprises à financer l’enseignement supérieur. Que comptez-vous faire pour que la réforme envisagée ne porte pas un coup d’arrêt brutal à la dynamique naissante du mécénat dans l’enseignement supérieur ?
Enfin, l’enseignement supérieur doit relever un dernier défi : la précarité étudiante.
En 2020, les crédits du programme 231 augmenteront de 66,4 millions d’euros par rapport à 2019, ce qui rompt avec la stabilité observée jusqu’à présent. Je note ainsi que le montant inscrit au titre des bourses sur critères sociaux progresse de 46 millions d’euros, en raison, d’une part, de la revalorisation de ces bourses et, d’autre part, de l’augmentation prévisionnelle du nombre de bénéficiaires. Cette hausse constitue bien évidemment un signal positif, mais elle ne saurait constituer une réponse à la crise étudiante actuelle.
J’identifie pour ma part deux sujets majeurs : le taux élevé de non-recours à ces aides étudiantes et le retard considérable pris dans la construction de logements étudiants.
Chaque année, près de 15 millions d’euros d’aides destinées aux étudiants ne sont pas consommés. Comment envisagez-vous de remédier à ce dysfonctionnement manifeste du système d’attribution des aides ?
Par ailleurs,…
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. … comme sous chaque gouvernement, seuls 50 % des logements seront livrés dans le cadre du plan quinquennal, ce qui représente 30 000 logements. Quelles mesures allez-vous prendre pour que les engagements soient tenus ? Pour ma part, je pense que cette responsabilité devrait relever non pas de votre ministère, mais des collectivités locales. Alors que ces dernières…
M. le président. Merci, cher collègue !
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. … réclament des universités sur leurs territoires, elles doivent prendre des mesures pour que les étudiants puissent y être logés convenablement.
M. le président. Il faut conclure ! Nous avons une heure quarante-cinq de débat !
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. En conclusion, j’indique que la commission des finances propose au Sénat d’adopter les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », qui connaissent une hausse importante. (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je souligne que 2020 sera une année charnière pour le monde de la recherche. Vous le savez, le Gouvernement travaille actuellement à l’élaboration d’un projet de loi de programmation pluriannuelle, qui devrait nous être présenté au cours de l’année prochaine. Il va sans dire que ce texte est attendu : les travaux préparatoires à son élaboration ont suscité de grands espoirs chez nos chercheurs, qui demeurent suspendus aux annonces qui pourraient être faites dans les mois à venir.
La recherche étant une dépense d’avenir par excellence, s’inscrivant plus que toute autre dans le temps long, je me félicite que le Gouvernement s’attelle à l’élaboration d’une loi pluriannuelle. Néanmoins, madame la ministre, vous le savez, la tâche est immense et les défis ne manquent pas : attractivité des carrières scientifiques, soutien à la recherche publique, amélioration des performances à l’échelle européenne… J’espère vivement que le texte que vous nous présenterez sera à la hauteur de ces enjeux et portera une véritable ambition pour la France.
Dans ce contexte, le projet de budget pour 2020 est un budget d’attente et de transition : les crédits demandés pour 2020 sont conformes à la programmation pluriannuelle et ne rompent pas avec les grands équilibres budgétaires définis jusqu’à présent. Ainsi, la somme des budgets des sept programmes consacrés à la recherche de la mission « Recherche et enseignement supérieur » devrait atteindre 12,17 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 12,15 milliards d’euros en crédits de paiement, ce qui représente une hausse substantielle de 428 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 292 millions d’euros en crédits de paiement. En dépit d’un contexte budgétaire contraint, ces hausses de crédits traduisent concrètement la priorité accordée par le Gouvernement à la recherche et méritent donc d’être saluées.
Permettez-moi maintenant de relever plusieurs points saillants concernant ces augmentations de crédits.
Premier point : le projet de budget pour 2020 se caractérise par la forte hausse des crédits dédiés à notre recherche spatiale, qui progressent de 214 millions d’euros et franchissent cette année le cap des 2 milliards d’euros. Depuis 2018, les crédits alloués à ce domaine d’excellence de la recherche française ont progressé de plus d’un demi-milliard d’euros, preuve s’il en est de l’importance stratégique de ce secteur, nous en convenons.
Cet important effort budgétaire devrait garantir, en 2020, l’apurement définitif de la dette française auprès de l’Agence spatiale européenne, ce qui mettra fin à une situation difficilement compatible avec nos ambitions. En parallèle, ces hausses de crédits permettront de financer nos engagements en faveur du programme Ariane 6. Ils nous ont par ailleurs permis de souscrire, lors du conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne, qui s’est déroulé à Séville, un montant de l’ordre de 2,5 milliards d’euros sur la période 2020-2022, soit 400 millions d’euros de plus que ce qui était initialement envisagé.
Deuxième point : le relèvement des moyens de l’Agence nationale de la recherche se poursuit, ses capacités d’engagement étant augmentées de 30 millions d’euros en 2020. Ces efforts sont encourageants et devraient enfin permettre à l’ANR de renouer avec un taux de succès acceptable lors des appels à projets, de nature à moins décourager nos chercheurs de candidater.
Par ailleurs, la mise en œuvre du plan d’action national pour renforcer la participation française au programme-cadre de recherche et d’innovation européen bénéficiera d’une enveloppe de 3 millions d’euros. En effet, et c’est un paradoxe, alors que les équipes françaises présentent le taux de succès le plus élevé des pays de l’Union européenne, lequel s’établit à 16,3 %, leur participation aux appels à projets européens ne cesse de diminuer. Cette situation ne peut durer, comme je le disais déjà l’année dernière. Aider nos chercheurs à candidater auprès de l’Europe doit être une priorité.
Troisième point : les crédits alloués aux infrastructures de recherche et aux organisations internationales continuent d’être en hausse. Il s’agit notamment de financer le réacteur thermonucléaire expérimental international ITER à Cadarache et le renouvellement de la flotte océanographique de l’Ifremer.
J’ai déjà eu l’occasion de le souligner à plusieurs reprises, le financement de ces installations demeure particulièrement opaque et illisible, alors même que l’ampleur des investissements consentis, souvent sur plusieurs années, nécessiterait un suivi étroit. Madame la ministre, j’attends de pied ferme les pistes d’amélioration qui seront proposées à cet égard dans le projet de loi de programmation.
De manière générale, je regrette que le financement de la recherche soit de plus en plus éclaté. Le plan Intelligence artificielle, qui doit bénéficier de 1,5 milliard d’euros sur cinq ans, me semble particulièrement emblématique de cette dispersion des crédits. La mission « Recherche et enseignement supérieur » participera à hauteur de 358 millions d’euros sur cinq ans, mais les circuits de financement retenus sont extrêmement complexes et font intervenir une multitude de structures : les programmes d’investissements d’avenir, le Fonds pour l’innovation et l’industrie, les missions budgétaires. Vous en conviendrez, madame la ministre, cette situation entrave considérablement le suivi et le contrôle parlementaire. Nous l’avons dit à plusieurs reprises.
Quatrième et dernier point : la situation des organismes de recherche.
Vous le savez, au cours des trois dernières années, la masse salariale de ces organismes n’a cessé d’augmenter, en raison de la relance de la politique salariale, dont le coût n’est que partiellement compensé par l’État. Pour absorber cette hausse, la plupart des opérateurs en sont réduits à rogner sur leurs effectifs, ce qui entraîne une sous-exécution inquiétante des plafonds d’emplois. Dans ce contexte, je regrette vivement qu’il soit question d’un taux de mise en réserve de 4 %. Madame la ministre, pouvez-vous me confirmer l’application d’un tel taux en 2020 ? Le cas échéant, vous le savez, les attentes à l’égard du projet de loi de programmation n’en seront que plus grandes.
Je me félicite cependant que la plupart des impasses budgétaires identifiées en 2019 aient été résolues. Je pense notamment au financement de la construction du réacteur de recherche Jules Horowitz, qui a été clarifié en cours d’année.
Avant de conclure, j’évoquerai rapidement le crédit d’impôt recherche. Les travaux les plus récents sur le sujet, menés en 2019 par la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation, ont conclu à un effet multiplicateur supérieur à 1 du CIR sur les dépenses de recherche des entreprises. Ces résultats me confortent dans ma conviction profonde, à savoir que le CIR constitue une aide à l’innovation absolument déterminante et qu’il doit être préservé pour soutenir l’effort de recherche dans notre pays.
En conclusion, j’indique que la commission des finances propose au Sénat d’adopter les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », qui connaissent une hausse importante. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, autant le dire tout de suite : notre commission a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission. En effet, ce projet de budget marque un nouvel effort en faveur de la recherche. Cet effort porte en particulier sur la politique spatiale et les lanceurs, sur lesquels notre commission a récemment publié un rapport, conjointement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapport que je vous invite à consulter, madame la ministre, si vous ne l’avez pas déjà fait… (Sourires.)
Mais – il y a toujours un mais – force est également de reconnaître que ce projet de budget est dépourvu d’ambition, dans l’attente, certainement, du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
L’enjeu est de taille : notre effort en matière de recherche stagne depuis les années 1990 autour de 2,2 % du PIB. Nous dépensons deux fois moins que l’Allemagne en valeur dans la R&D. Nos politiques de recherche et d’innovation sont de plus en plus illisibles. Nous multiplions les instances et les circuits financiers. Nous ne sommes pas à la hauteur ! Il faut cependant saluer la pugnacité de nos chercheurs, qui parviennent à maintenir la France au meilleur niveau malgré ce manque de moyens.
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la cohérence entre le discours et les actes du Gouvernement. C’est par exemple le cas s’agissant des aides individuelles à l’innovation octroyées par Bpifrance. Nous y reviendrons lors de l’examen de l’amendement présenté par notre commission, par ailleurs également défendu, sous une autre forme, par certains de nos collègues. C’est aussi le cas s’agissant des pôles de compétitivité, qui restent au milieu du gué, ballottés entre l’État et les régions, alors que le financement des projets de recherche partenariale qu’ils labellisent diminue et devient moins lisible pour les parlementaires. Madame la ministre, ces sujets relèvent du ministère de l’économie, mais je compte sur vous pour faire passer le message.
Enfin, nous sommes inquiets s’agissant des moyens des organismes de recherche et de l’Agence nationale de la recherche. Le taux de mise en réserve des crédits n’est toujours pas arrêté ; or il détermine l’ampleur des moyens véritablement mis à leur disposition et la crédibilité des informations transmises au Parlement – je pense notamment aux 30 millions d’euros de hausse des crédits d’intervention de l’ANR. Pour les organismes de recherche, le glissement vieillesse-technicité fait du personnel la variable d’ajustement : il faut mettre fin à cette dynamique mortifère !
En somme, le Parlement attend un projet de loi de programmation ambitieux, à la hauteur des enjeux, afin de redonner du souffle à notre écosystème de recherche et d’innovation. Il s’agit de faire en sorte que notre pays puisse garder sa place dans le concert des grandes nations. Dans cette attente, la commission a émis un avis favorable sur les crédits de la mission. Nous voterons ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme les années précédentes, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable s’est saisie pour avis des crédits du programme 190 de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». En 2020, les crédits de ce programme représenteront 1,79 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,77 milliard en crédits de paiement, soit une légère augmentation par rapport à 2019.
Lors de l’examen des crédits de la mission en commission, nous nous sommes félicités de cette augmentation, même si elle reste modeste, au regard des défis à relever. À l’heure de l’accélération de la transition écologique, et alors que le Parlement vient d’examiner ou d’adopter des textes aux objectifs ambitieux comme la loi d’orientation des mobilités, la loi relative à l’énergie et au climat et, plus récemment, le projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, le soutien à la recherche en matière de développement durable est déterminant et contribue au rayonnement de notre pays à l’échelon international.
Nous avons toutefois regretté certaines évolutions contrastées : tandis que les crédits destinés à la recherche sur l’énergie nucléaire augmentent sensiblement, les crédits destinés à la recherche dans les nouvelles technologies de l’énergie baisseront une nouvelle fois, de 2 millions d’euros. À cet égard, j’appelle votre attention, madame la ministre, sur la situation de l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles, qui, comme vous le savez, contribue de manière décisive à la recherche au service de la transition énergétique. Pourtant, depuis dix ans désormais, l’IFPEN connaît une baisse quasi constante de sa dotation. Même si cette baisse est partiellement compensée par ses ressources propres, le Gouvernement n’envoie-t-il pas un signal négatif à l’heure où il présente la transition énergétique comme l’une de ses priorités ?
Je saluerai maintenant plusieurs des réalisations des autres opérateurs.
J’évoquerai tout d’abord le CEA, qui, outre ses activités historiques sur l’énergie nucléaire, travaille au développement des nouvelles technologies de l’énergie. À ce propos, on ne peut que se féliciter de son projet de plateformes régionales de transfert de technologie, implantées dans six régions, qui constituent des outils utiles pour nos territoires.
Je salue également la création, au 1er janvier prochain, de l’université Gustave-Eiffel, un nouvel établissement d’enseignement supérieur et de recherche sur la ville durable, issu de la fusion de plusieurs opérateurs. Cet établissement va constituer un pôle pluridisciplinaire de rang international.
Enfin, je souligne les actions de recherche de l’Ineris dans le domaine des risques industriels. Ces programmes consolident son expertise déjà reconnue et dont l’utilité a été récemment démontrée lors de la gestion de l’incendie de l’usine Lubrizol. C’est pourquoi il nous semble plus que justifié de sauvegarder durablement ses ressources.
Madame la ministre, notre commission a émis un avis favorable à l’adoption des crédits du programme. Nous émettons toutefois des réserves sur l’inadéquation entre les ambitions du Gouvernement en matière de transition écologique et les moyens de la recherche dans les domaines associés.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Laure Darcos, rapporteure pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne serai pas très originale en vous disant que 2020 sera une année charnière pour la recherche. Ce projet de budget en est l’expression. Il ne contient pas de mesure structurelle, n’entame pas un virage financier : il s’inscrit dans la continuité de la trajectoire budgétaire tracée en 2018 et 2019.
Les dotations des sept programmes de la mission « Recherche et enseignement supérieur » consacrés à la recherche connaissent, l’année prochaine, une augmentation de près de 2,5 % et atteignent la somme globale de 12,1 milliards d’euros en crédits de paiement. Cet effort budgétaire, principalement porté sur la recherche spatiale, est bien sûr positif et louable. Toutefois, il n’est pas de nature à enclencher une véritable dynamique permettant de rassurer les esprits. Les attentes envers le futur projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche n’en seront que plus fortes.
La stabilisation de la dotation du programme 172, qui finance les principaux opérateurs de recherche, est particulièrement révélatrice de ce contexte attentiste, générateur d’inquiétudes, voire de colère. Les organismes de recherche sont confrontés depuis plusieurs années à de graves problématiques financières, auxquelles le projet de loi de programmation devra répondre. J’en citerai trois principales.
J’évoquerai tout d’abord le taux de réserve de précaution. Actuellement de 3 %, il serait porté à 4 % l’année prochaine. La confirmation de ce relèvement serait un très mauvais signal envoyé aux acteurs de la recherche, qui dénoncent les conséquences délétères de cette réserve en termes de marge de manœuvre et de visibilité financières.
J’évoquerai ensuite le glissement vieillesse-technicité. Son financement n’est plus pris en compte depuis plusieurs années dans la subvention pour charges de service public des opérateurs de recherche, qui doivent donc l’autofinancer. Cette situation les oblige à réduire régulièrement leurs effectifs afin de contenir leur masse salariale.
J’évoquerai enfin les modalités de financement. Le développement du financement sur projets, qui présente de nombreux atouts, ne doit pas conduire à un effet d’éviction sur le financement à travers les dotations « de base », lesquelles ne peuvent plus continuer à être absorbées par une masse salariale grandissante.
La marche financière est donc haute, et le projet de budget pour 2020 ne permettra pas véritablement de l’abaisser.
Je rappelle que la part de notre PIB consacré aujourd’hui à la recherche publique s’élève à seulement 0,79 %. Pour atteindre l’objectif de 1 %, qui est le niveau communément admis pour permettre à la recherche publique française de rester compétitive en Europe, il faudrait consentir un effort supplémentaire compris, selon les projections, entre 5 milliards et 8,5 milliards d’euros.
Je ne peux que souscrire aux propos tenus par le Président de la République, qui, à l’occasion des quatre-vingts ans du CNRS mardi soir dernier, a rappelé « la nécessité d’un investissement dans la recherche publique, car c’est un choix de souveraineté ».
Un autre dossier majeur est, lui aussi, toujours en attente de réponses : la valorisation du statut des chercheurs. Le constat est connu et partagé : une rémunération en décrochage par rapport aux standards internationaux et au sein même de la fonction publique française ; un recrutement particulièrement tardif ; une perte d’attractivité du métier et de la carrière ; une progression de l’emploi contractuel et une systématisation du recours aux vacataires. Le sujet ne se résume pas à une question financière, c’est aussi un devoir moral : il est urgent de renouer le pacte de la Nation avec ses chercheurs !
Vous l’aurez compris, les attentes sont si fortes que le projet de loi de programmation devra être à la hauteur, au risque sinon d’une rupture encore plus profonde, et peut-être même irrémédiable, avec le monde de la recherche, mais je crois comprendre, madame la ministre, que telle est l’ambition du Gouvernement.
Sous les réserves que je viens d’émettre, et en raison de l’augmentation globale du budget, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » pour 2020. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget de l’enseignement supérieur proposé pour 2020 poursuit la trajectoire ascendante dessinée par la loi de finances pour 2019 : les crédits des programmes 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » et 231 « Vie étudiante » connaissent une augmentation de 1,5 %, ce qui représente 242 millions d’euros supplémentaires. Cet effort budgétaire, que je salue, doit cependant être mis en regard d’un contexte bien plus complexe que ne le laisse penser la présentation du Gouvernement, l’enseignement supérieur étant confronté à de nombreux défis.
Il fait d’abord face à un défi démographique. Sous l’effet d’une croissance soutenue des effectifs, la dépense publique moyenne par étudiant suit une tendance à la baisse depuis 2010.
Il doit ensuite relever le défi de la masse salariale. Madame la ministre, vous avez récemment annoncé aux établissements que le financement systématique du glissement vieillesse-technicité ne sera plus assuré. Vous jugez que cette mesure, qui est nécessairement perçue comme un désengagement de l’État, aura pour conséquence de susciter une véritable réflexion sur la politique des établissements en matière de ressources humaines.
L’enseignement supérieur fait par ailleurs face à de nombreuses réformes. Depuis 2018, elles se succèdent et se cumulent, sans que les moyens dédiés soient nécessairement au rendez-vous. Ainsi, les 16 millions d’euros annoncés ne seront vraisemblablement pas suffisants pour mettre en œuvre dans des conditions favorables la réforme des études de santé à la rentrée de 2020.
Enfin, il fait face à un défi patrimonial. De nombreuses universités sont confrontées à la vétusté de leurs installations et doivent envisager des projets de rénovation importants. Or elles manquent toujours de leviers financiers pour réaliser des travaux que l’on sait très coûteux.
Aussi, sans un changement d’échelle dans l’investissement public consacré à l’enseignement supérieur, ces défis ne pourront être relevés.
Le secteur se trouve d’autant plus déstabilisé que la récente décision du Conseil constitutionnel sur les droits d’inscription ouvre une inquiétante période d’insécurité juridique pour les établissements, en particulier les grandes écoles. L’emploi de l’adjectif « modique » laisse en effet la place à toute une gamme d’interprétations, dans l’attente de l’analyse du Conseil d’État. J’estime, pour ma part, que les droits d’inscription sont un réel levier de financement qui mérite d’être activé, dès lors qu’il est tenu compte, bien évidemment, des capacités financières des étudiants.
Un autre mode de financement propre me paraît devoir être encouragé : le mécénat, qui a déjà été évoqué. Encore insuffisamment développé en France, en comparaison d’autres pays, il est néanmoins en plein essor. Les trois quarts de nos universités se sont dotées d’une fondation, chacune percevant, en moyenne, 630 000 euros annuels. Les fonds récoltés proviennent à 87 % d’entreprises généralement implantées sur le même territoire.
Je m’inquiète donc des conséquences de l’article 50 du projet de loi de finances, qui modifie les règles de défiscalisation des dons. Je m’étonne que le ministère – je ne vise pas forcément le vôtre, madame la ministre – n’ait pas précisément évalué les conséquences d’une telle mesure sur l’enseignement supérieur et la recherche. C’est pourquoi je me réjouis que le Sénat, sur l’initiative de sa commission des finances et de sa commission de la culture, propose de revenir sur cette disposition, dont les effets délétères sont assurés.
Sous ces réserves, et en raison de l’augmentation globale du budget, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » pour 2020. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Laurent Lafon applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous évoquons ce jour les crédits alloués à la mission « Recherche et enseignement supérieur », qui sont en progression d’un demi-milliard d’euros, ce qui est significatif, reconnaissons-le. Les crédits, en augmentation de 2,4 % en 2019 et de 2,6 % en 2020, doivent toutefois être rapportés au montant global de l’investissement français dans la recherche et le développement ramené au PIB. Cette année encore, l’objectif fixé lors du conseil européen de Lisbonne de porter les investissements en R&D à 3 % du PIB ne sera pas atteint. Un léger recul sera même constaté, ce taux s’établissant à 2,21 %, au lieu des 2,25 % prévus initialement pour cette année.
L’ambition pour la recherche française reste en deçà de nos espérances. Souhaitons que l’année 2020 constitue un tournant pour notre recherche publique, compte tenu du vote du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui permettra, selon les mots du Président de la République mardi soir lors des quatre-vingts ans du CNRS, de s’orienter vers « un investissement, par choix de souveraineté, et de profondes réformes ! »
L’effort budgétaire consenti dans le volet « Enseignement supérieur », de l’ordre de 242 millions d’euros, servira à la revalorisation des carrières de professeurs, à l’expérimentation du dialogue stratégique et de gestion avec les universités, à la poursuite de la mise en œuvre du plan Étudiants, ainsi qu’à la réforme des études de santé.
Les 50 millions d’euros alloués cette année à l’expérimentation du dialogue stratégique et de gestion permettront de renforcer utilement le pilotage des dotations des universités, afin de parvenir à un pilotage plus fin des ressources des opérateurs. Nous appuyons totalement cette démarche visant à aboutir à une budgétisation plus sincère.
Par ailleurs, 50 millions d’euros sont prévus pour la revalorisation catégorielle des professeurs d’université, ainsi que la valorisation de l’investissement pédagogique via un congé et une prime spécifiques, que nous considérons comme stratégiques pour la qualité de notre enseignement universitaire.
La progression des crédits permettra également d’accompagner les universités qui devront préparer la réforme des études de santé au premier semestre prochain, pour une mise en œuvre effective prévue à la rentrée de 2020 : 6 millions d’euros sont ainsi prévus pour la réforme, auxquels s’ajouteront 11 millions d’euros débloqués en fonction des projets présentés par les établissements.
Quelques interrogations restent en suspens, touchant notamment à l’accompagnement stratégique et budgétaire de la réforme. Ainsi, la variation des contenus de la « mineure santé » d’une université à l’autre doit pouvoir être maîtrisée, afin de prévenir toute inégalité dans la qualité de l’enseignement. De même, la visibilité des universités sur la répartition de l’enveloppe de 11 millions d’euros doit être améliorée, pour qu’elles aient connaissance des moyens exacts dont elles disposeront pour mettre en œuvre la réforme à la rentrée prochaine.
Par ailleurs, il faut saluer l’augmentation des financements des missions universitaires des CHU par la revalorisation des missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Récemment annoncée par le Premier ministre et la ministre de la santé, cette mesure redonne aux CHU une place centrale. De fait, la conférence des doyens d’université attendait plus de moyens, condition de son appui nécessaire à la mise en œuvre de la réforme des études de santé.
Notre appréciation des crédits consacrés à la vie étudiante peut difficilement être détachée de la question de la précarité des étudiants.
L’augmentation de 66,4 millions d’euros de ces crédits rompt avec la stabilité observée jusqu’ici. Ainsi, les bourses étudiantes seront revalorisées de 1,1 %. Si l’effort financier est réel, son effet sur la précarité est à relativiser, en raison du saupoudrage des aides. Selon l’Observatoire de la vie étudiante, 66 % des étudiants non pauvres bénéficient d’aides publiques, contre seulement 49 % des étudiants pauvres. L’ajustement des soutiens aux besoins réels est peut-être le véritable enjeu pour lutter contre la précarité étudiante en restreignant le nombre des bénéficiaires pour augmenter le montant des aides.
Au total, ce budget pour l’enseignement supérieur nous paraît satisfaisant, même si, gardons-le à l’esprit, il constitue, comme celui de la recherche, un investissement de long terme aux puissants effets de levier. Nous pouvons et devons aller plus loin pour garder notre rang dans la compétition internationale.
Si ce budget ne marque pas réellement de rupture majeure par rapport aux années précédentes, nous sommes surtout dans l’attente de la présentation du projet de loi de programmation pluriannuelle pour la recherche. Attendu dans le courant de l’année prochaine, ce texte devrait amorcer de plus profondes évolutions.
Cette année encore, le budget de la recherche est difficilement lisible, en raison de l’éclatement du financement de la recherche dans les différents programmes d’investissements d’avenir, mais aussi dans le Fonds pour l’innovation et l’industrie.
Sur le volet recherche, une hausse substantielle, de 428 millions d’euros, soutiendra les politiques d’attractivité des carrières scientifiques, le renforcement du plan Intelligence artificielle, le développement de la politique spatiale et le soutien à la création de l’Inrae au 1er janvier prochain.
Je salue en particulier l’augmentation très importante des crédits destinés à la recherche spatiale, domaine d’excellence de la recherche française et instrument de diplomatie. Les trois quarts de la progression des crédits de paiement de la mission « Recherche et enseignement supérieur » bénéficieront au budget de la recherche spatiale. Nous soutenons cette haute priorité du Gouvernement pour une année cruciale, au cours de laquelle Ariane 6 accomplira son premier vol.
La grande majorité des membres du groupe du RDSE voteront les crédits de cette mission, estimant que sa progression est encourageante. Nous espérons que le Gouvernement présentera le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche à la mi-février, ce qui nous permettra, selon le vœu du président du CNRS, « de lutter à armes égales avec nos concurrents internationaux ». (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, l’examen du projet de loi de finances est un grand moment de « vérité des prix » : vérité sur les dépenses que l’État engage par rapport aux ressources dont il se dote, vérité sur ce qui est réellement investi au regard des engagements politiques pris devant les électeurs et la représentation nationale.
En réalité, nous savons, à l’aune de l’expérience des deux précédents quinquennats, que les projets de loi de finances ont été largement détournés de cette fonction de grand moment de vérité des politiques publiques, tant nos prédécesseurs ont usé et abusé de projets de loi de finances rectificative monstrueux, véritables « lois de finances bis » qui n’osaient dire leur nom ; abusé, aussi, de niveaux surréels de mises en réserve, associés à un usage systématisé des décrets d’avance en cours d’exercice. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Au fil du temps, le vrai moment de vérité des prix des politiques publiques est devenu la loi de règlement, et non le projet de loi de finances de l’année, certes âprement discuté par le Parlement, mais sournoisement révisé et reformaté en cours de route par les gouvernements qui nous ont précédés. (Mme Sylvie Robert s’exclame.)
Mes chers collègues, vous vous demanderez pourquoi je m’autorise cette longue tirade sur les faux-semblants et le décalage entre le déclaré et le réalisé à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». La raison en est simple : cette mission est l’une de celles qui, jusqu’en 2017, ont été le plus systématiquement rognées en cours d’exercice par des avalanches de décrets d’avance et de gels de crédits. Entre les grands discours ambitieux tenus pendant plus d’une décennie et la mise en œuvre effective des moyens, rarement le décalage n’aura été si grand.
Le caractère erratique, souvent aussi très malthusien, de la dépense publique dans des domaines d’investissement stratégiques comme l’enseignement supérieur et la recherche aura eu, sur la durée, plus encore qu’ailleurs, des effets dramatiques sur le dynamisme et l’avenir de notre économie. Dans le domaine de la recherche, en particulier, la sous-budgétisation et l’absence de prévisibilité à moyen et long terme des engagements de l’État ont souvent conduit à déstabiliser un secteur hautement concurrencé et largement contribué à alimenter la crise de confiance de la communauté scientifique à l’égard de l’État.
Car il ne suffit pas de se doter de moyens budgétaires substantiels chaque année. Encore faut-il définir une véritable trajectoire pluriannuelle dans ce domaine et s’y tenir, en dépit des aléas qui peuvent frapper la ressource publique. Telles sont la philosophie et la praxis, tant politiques que budgétaires, de ce gouvernement. Elles sont parfaitement illustrées par la mission dont nous débattons ce soir.
En effet, le projet de loi de finances pour 2020 conforte le budget du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont les crédits connaissent une nouvelle augmentation, qui poursuit la trajectoire initiée par le budget pour 2018.
Au total, les crédits de la mission s’élèvent à 28,6 milliards d’euros, en progression de 6 % depuis 2017. Il est bon de rappeler que le budget du ministère était resté tristement stable de 2012 à 2016, malgré de beaux discours d’intention, des discours jamais mis en œuvre…
Bien sûr, tout cela peut être jugé encore insuffisant, notamment au regard de l’état de délabrement de l’université et de la recherche universitaire dont nous héritons. Mais les moyens insufflés sont tout sauf de la monnaie de singe, car nous nous faisons un honneur, depuis deux ans, de ne pas recourir aux sempiternels décrets d’avance ou aux massifs gels de crédits.
Au reste, nos ambitions ne s’arrêtent évidemment pas là. Le budget pour 2020 doit faire la jointure avec le futur projet de loi de programmation de la recherche, que nous examinerons au printemps prochain. Récemment rappelé par le Premier ministre à l’occasion de la commémoration des quatre-vingts ans du CNRS, l’objectif de ce texte est clair : porter l’effort national en faveur de la recherche à 3 % du PIB à l’horizon de 2027.
L’autre objectif de la loi de programmation sera de jouer un rôle moteur dans la recherche européenne, en pleine intelligence avec l’Union européenne, qui s’apprête à décider d’un effort exceptionnel dans ce domaine à travers son programme Horizon Europe, le plus important programme de recherche publique au monde, doté d’environ 100 milliards d’euros pour la période 2021-2027.
Cet investissement massif et cette synergie entre budget national et budget européen sont absolument nécessaires si nous ne voulons pas que notre pays et notre continent soient définitivement dépassés dans la rude compétition qui nous oppose aux États-Unis, à la Chine et aux autres puissances émergentes.
Si nous voulons tirer pleinement profit des opportunités de financement que nous offre l’Union européenne, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui encore, nous devons mieux jouer la complémentarité et la subsidiarité entre les moyens mobilisés au niveau national et à l’échelle européenne.
En particulier, régler notre future loi de programmation sur le même cadre temporel que le programme Horizon Europe, soit la période 2021-2027, est indispensable. Il en va de même pour nos objectifs dans les grands secteurs de la recherche ; c’est bien ce à quoi s’attelle aujourd’hui le ministère.
Pour cela, il ne suffit pas que nos chercheurs et nos centres de recherche scientifique soient crédibles au niveau européen – ils le sont, assurément. Il faut aussi que, comme État, nous soyons budgétairement crédibles et fiables vis-à-vis de l’Union européenne et de nos partenaires – ce qui, en revanche, n’a pas été le cas jusqu’à présent.
En matière de politique spatiale, par exemple, nos prédécesseurs nous ont légué une dette auprès de l’Agence spatiale européenne de plus de 700 millions d’euros ! Simplement, ils ont pendant plusieurs années omis de s’acquitter de la contribution de la France… Avec l’augmentation de 213 millions d’euros des crédits du programme 193, notre pays aura presque achevé d’apurer la dette contractée. Ainsi, comme dans bien des domaines, le Gouvernement, loin de la démagogie et des faux-semblants de ses prédécesseurs, s’honore de respecter les engagements pris par d’autres, qui ne les avaient pas tenus.
Lors de la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne, qui s’est achevée hier à Séville, le respect par la France de ses engagements a été salué, et, dans la foulée, les vingt-deux États membres de l’Agence ont confirmé leur soutien à une politique spatiale européenne aux ambitions fortement réévaluées.
Pour toutes ces raisons, le groupe La République En Marche votera les crédits de la mission.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à cette même tribune, l’an passé, j’avais appelé votre vigilance sur les prodromes flagrants d’un décrochage de l’enseignement supérieur et de la science français.
Les groupes de travail chargés de la réflexion préparatoire à l’élaboration de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche viennent de confirmer ces inquiétudes et dressent un bilan partagé de cet état préoccupant. Notre collègue député Cédric Villani, président de l’Opecst (Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques), résume ce diagnostic pessimiste en deux formules : « la France n’investit pas assez dans sa recherche » ; elle a « perdu du terrain ».
De fait, depuis bientôt dix ans, les dépenses de recherche croissent moins vite que le produit intérieur brut. Elles représentaient encore 2,28 % du PIB en 2014 ; aujourd’hui, elles n’en représentent plus que 2,19 %.
L’effort budgétaire de l’État dans ce domaine est médiocre et bien inférieur à celui de nos voisins européens. Quant aux sommes investies par les entreprises privées pour la recherche, elles représentent 1,4 % du PIB en France, contre 2 % en Allemagne. Ce différentiel ne cesse de se creuser, car, en 2017, ces investissements n’ont augmenté en France que de 1,7 %, contre 7,8 % en Allemagne et 8,7 % en Suède.
Or la faiblesse chronique des investissements a des conséquences funestes pour l’emploi scientifique et l’attrait des étudiants pour les carrières scientifiques. La France est ainsi l’un des rares pays d’Europe dont le nombre de doctorants est en baisse constante.
Cette régression doit être rapportée à la chute drastique des recrutements par les opérateurs publics : pour le seul CNRS, les postes ouverts pour les chercheurs, au nombre de 412 en 2010, ne seront plus que de 240 en 2020, soit une baisse de plus de 40 % en dix ans.
Dans ces conditions, c’est la validité scientifique même des concours qui est fragilisée. En effet, par découragement, de nombreux jeunes chercheurs quittent notre pays. Cette fuite des cerveaux est un symptôme de plus du déclin de la science française.
Je pourrais malheureusement poursuivre longtemps la description de ces affaiblissements successifs.
Madame la ministre, votre projet de budget n’ambitionne pas d’y mettre fin. Au contraire, il s’inscrit dans un cadre qui a imposé à l’enseignement supérieur et à la recherche une progression budgétaire inférieure à la moyenne des crédits de l’État.
Au-delà des effets d’annonce et de la promotion de mesures nouvelles, plusieurs déficits structurels vont nécessairement continuer, en 2020, d’affaiblir la situation économique des opérateurs de la mission.
Ainsi, l’absence de compensation du glissement vieillesse-technicité oblige les opérateurs à réduire leur masse salariale. Pour les universités, cette perte conduit au gel de plus de 1 200 emplois. Je regrette vivement, avec nos rapporteurs, que le Gouvernement demande au Parlement de se prononcer sur des objectifs qu’il sait inaccessibles.
De la même façon, dans un contexte de hausse de la démographie estudiantine, la quasi-stabilité des moyens alloués aux universités aboutit à une baisse du budget moyen par étudiant. Ce ratio est en diminution de près de 1 point tous les ans depuis 2010. Pour 2018, il a été estimé à 11 470 euros per capita, son plus bas niveau depuis 2008.
Cette décimation de l’emploi scientifique a touché plus durement encore les opérateurs de recherche. Ainsi, le CNRS a perdu, en dix ans, 3 000 emplois, soit près de 11 % de ses effectifs.
Sans doute la non-compensation du GVT est-elle considérée comme une saignée indolore, puisque le Gouvernement veut aller plus vite : il a décidé d’augmenter le niveau de la réserve de précaution de 3 % à 4 %. Le précédent de la loi de finances rectificative, adoptée cette semaine, révèle que, pour l’enseignement supérieur et la recherche, les crédits gelés en début de gestion budgétaire sont intégralement annulés à la fin de l’année. Mes chers collègues, nous débattons donc d’un budget qui sera encore plus diminué l’année prochaine par ces annulations.
À tout cela, il faut ajouter le refus du Gouvernement d’anticiper les conclusions de la récente et inédite décision du Conseil constitutionnel. Grâce à votre décret sur les droits d’inscription différenciés, madame la ministre, les Sages ont considéré que l’enseignement supérieur était constitutif du service public de l’éducation nationale et que le principe de gratuité s’y appliquait.
Le Conseil constitutionnel admet toutefois qu’il est loisible aux établissements de percevoir des droits d’inscription, à la condition expresse qu’ils restent modiques par rapport aux capacités contributives des étudiants. Il n’est point besoin d’attendre l’interprétation que donnera le Conseil d’État de cette décision pour supposer que celle-ci ouvre des voies de recours à tous les étudiants qui considèrent leurs frais d’inscription comme disproportionnés. Ces possibles contentieux risquent de priver de nombreux établissements de ressources importantes.
En théorie, votre projet de budget paraît quasi stable ; en pratique, il risque de s’avérer encore plus déficient que l’an passé. À tout le moins, il n’est pas la manifestation budgétaire d’une priorité politique en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Au reste, vous en avez parfaitement conscience, puisqu’il nous est demandé d’attendre le début de l’année prochaine pour connaître des ambitions du Président de la République en ces matières.
Mes chers collègues, nous débattons donc d’un projet de budget des affaires courantes, les annonces décisives étant réservées à un autre auditoire. Il en va du budget de la recherche comme de celui de la sécurité sociale : l’essentiel n’est pas destiné à cet hémicycle… Nous voterons contre ces crédits ! (Mme Sophie Taillé-Polian applaudit.)
M. Pascal Savoldelli. Excellente argumentation !
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Recherche et enseignement supérieur » comprend neuf programmes consacrés au financement de la formation supérieure, de la vie étudiante et de la recherche dans l’ensemble des domaines couverts par l’État. Contrairement à l’orateur précédent, mon groupe salue l’engagement du Gouvernement en faveur de cette mission stratégique pour l’avenir de notre économie.
En effet, chercheurs et étudiants bénéficieront l’année prochaine de 534 millions d’euros de crédits supplémentaires, le budget atteignant 28,68 milliards d’euros, soit 10 % des dépenses pilotables.
Il faut admettre que la France demeure bien en deçà de l’objectif de Lisbonne – 3 % du PIB investi dans la R&D –, contrairement à l’Allemagne et aux pays scandinaves. Or notre compétitivité par rapport aux puissances étrangères et aux grandes entreprises technologiques dépend directement de l’excellence de nos formations, de l’engagement de la France dans les recherches de pointe et de notre capacité à attirer et garder les jeunes talents.
La France dispose de nombreux atouts, mais les opportunités ouvertes par les innovations technologiques des vingt dernières années sont immenses. Nous ne pouvons pas nous résigner à être seulement utilisateurs de ces technologies. Le financement de cette mission est une question de souveraineté nationale.
À travers le financement de la recherche et l’excellence de nos formations, il s’agit de nous positionner en acteurs du changement et de réunir aujourd’hui les conditions nécessaires à l’émergence des solutions de demain pour répondre aux défis du siècle.
Bien sûr, il s’agit là d’un budget de transition, dans l’attente de l’examen par le Parlement du projet de loi de programmation de la recherche. Cette réforme, très attendue par la communauté scientifique, devrait permettre de donner davantage de visibilité aux laboratoires et de renforcer l’attractivité des carrières.
Le premier programme de cette mission, doté de 13,6 milliards d’euros, est consacré aux formations supérieures et à la recherche universitaire. Ses crédits permettront notamment la poursuite du plan Étudiants et la réforme des études de santé pour favoriser les passerelles entre formations et diversifier les profils.
Le programme « Vie étudiante » bénéficiera l’année prochaine de 175 millions d’euros supplémentaires, pour atteindre un montant de 2,7 milliards d’euros. Le Gouvernement a fait le choix de renforcer les moyens consacrés aux bourses sur critères sociaux, à hauteur de 46 millions d’euros, sans revaloriser l’aide au mérite, dont le montant a été divisé par deux en 2015.
Le manque de places en résidences universitaires cause un véritable problème de précarité pour les étudiants, qui dépensent en moyenne 70 % de leur budget dans leur loyer. Nous devons réagir pour garantir à chaque étudiant des conditions de vie décentes et faciliter la mobilisation des aides d’urgence.
En matière de recherche, les financements permettront de développer le plan Intelligence artificielle au sein du programme 172, d’accompagner la création du nouvel Inrae, consacré à l’agronomie et aux sciences de l’environnement, et d’améliorer l’attractivité des carrières scientifiques au sein du CNRS et de l’Institut national de recherche en sciences du numérique.
Comme l’a fait le président Claude Malhuret en commission, j’appelle l’attention du Gouvernement sur la question de la souveraineté numérique de la France, ou plutôt sur notre état de forte dépendance à l’égard de Google en matière d’agrégation de données. Je pourrais parler aussi de Palantir et de son actionnaire, la CIA, la DGSI y ayant eu recours pour gérer ses bases de données. L’expérience a démontré que l’échelle nationale ne permettra pas de résoudre ce problème et qu’il nous faut impérativement bâtir une stratégie d’indépendance informationnelle avec nos partenaires européens.
Nous saluons la hausse des moyens consacrés à la mise en œuvre de notre politique spatiale à l’échelle européenne. La recherche spatiale représentera en 2020 plus de 2 milliards d’euros. Ces crédits contribueront à apurer la dette de la France auprès de l’Agence spatiale européenne. Après le succès de la mission de Thomas Pesquet à bord de la station spatiale internationale et celui du GPS européen, Galileo, qui a dépassé le seuil du milliard d’utilisateurs cette année, nous assisterons, en juillet prochain, au vol inaugural du lanceur Ariane 6.
La compétition mondiale s’accélère, s’exerçant au niveau tant des puissances étatiques que des acteurs privés. La Cour des comptes estime que notre politique spatiale manque encore d’ambition pour garder le cap face aux investissements massifs de la Chine et des États-Unis. Elle s’associe au Sénat pour appeler l’Europe à développer son propre lanceur réutilisable, à l’image de celui développé par SpaceX.
Il serait illusoire de penser rivaliser avec les 21 milliards de dollars de budget annuel de la NASA, mais nous pouvons développer des points d’excellence dans des domaines précis, comme l’exploration des ondes gravitationnelles. Lors de la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne réunie à Séville cette semaine, les vingt-deux pays membres ont voté une contribution globale de 14,3 milliards d’euros sur une période de trois à cinq ans pour intégrer la nouvelle donne internationale. Nous invitons le Gouvernement à positionner la France à la hauteur des enjeux auxquels l’Europe doit faire face.
Madame la ministre, nous voterons les crédits de cette mission. (M. Jean-Marc Gabouty applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Laurent Lafon. Nous examinons ce soir le budget de la mission « Recherche et enseignement supérieur », le troisième que vous nous présentez, madame la ministre, depuis votre prise de fonction. Il est donc à considérer au regard des projets que vous avez menés depuis votre arrivée, à travers la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, mais aussi la réforme des études de santé et le plan Bienvenue en France, destiné à favoriser l’accueil des étudiants étrangers.
Permettez-moi de commencer par une remarque sur le contexte général dans lequel intervient ce budget.
L’enseignement supérieur fait face depuis plusieurs années à une montée des effectifs liée au boom démographique de l’an 2000, dont on sait qu’il entraîne un accroissement automatique du nombre d’étudiants. Le budget que vous présentez tient compte pour partie, pour partie seulement, de cette augmentation des effectifs. Il est certes en augmentation, ce que nous saluons, mais insuffisamment pour maintenir un budget par étudiant équivalent à celui de l’année dernière.
Ce constat appelle de notre part deux commentaires.
D’abord, les établissements d’enseignement supérieur, singulièrement les universités, sont confrontés à des tensions budgétaires d’autant plus fortes que la montée des effectifs et l’impact des réformes sont importants. J’y reviendrai dans quelques instants.
Ensuite, l’accroissement des effectifs sera suivi, on le sait, d’une diminution, normalement à partir de 2025. Espérons – ce n’est pas interdit… – que, si l’État n’augmente pas mécaniquement le budget des universités quand les effectifs augmentent, il saura également ne pas le diminuer automatiquement quand les effectifs diminueront.
Les universités connaissent des tensions budgétaires d’autant plus fortes que l’accroissement des effectifs se cumule avec l’effet des réformes à mettre en place. Vous entamerez dans quelques jours une phase de dialogue avec les présidents d’université pour déterminer le montant de l’aide financière qui leur sera allouée. Nous avons compris que vous abordez cette phase avec une enveloppe de 50 millions d’euros à répartir et que la prise en compte du GVT ne sera pas automatique.
Si, en soi, il n’est pas choquant – je dirais : au contraire – que le ministère entretienne un dialogue de gestion particulier avec chaque université et que la reconduction des crédits ne soit pas mécanique, vous comprendrez que l’exercice soit un peu frustrant pour nous, parlementaires, invités à voter à l’aveugle une enveloppe de 50 millions d’euros sans en connaître précisément la répartition. C’est pourquoi je formule d’ores et déjà la demande qu’un retour nous soit fait sur la répartition de cette enveloppe, une fois le dialogue de gestion terminé. C’est aussi pour nous un moyen de comprendre les objectifs assignés par le ministère aux universités en matière de recrutement et d’accompagnement de leurs projets, pédagogiques ou de développement. De manière plus large, cela nous permettra également d’apprécier la pertinence et l’efficacité de cette phase de dialogue comme outil de pilotage.
Les tensions budgétaires ont une autre conséquence, qui nous préoccupe tout particulièrement : je veux parler de l’état des bâtiments. Le parc universitaire est pour partie, s’agissant notamment des bâtiments construits dans les années 1970, vétuste et inadapté aux exigences environnementales. Il nécessite un effort financier de remise en état, sans même parler d’extension, un effort que les universités elles-mêmes ne peuvent fournir et que l’État, compte tenu de sa situation financière, ne peut supporter.
Je n’ose rêver d’une grande mobilisation de l’ensemble des acteurs, notamment des collectivités territoriales, comme le plan Université 2000 l’avait permis au début du siècle. Néanmoins, je souhaite savoir quelle est l’enveloppe envisagée par l’État pour l’enseignement supérieur dans le cadre des contrats de plan en cours de discussion et quelles orientations ont été données aux préfets et recteurs sur ce sujet.
Par ailleurs, nous le savons, la réponse à la question immobilière repose en partie sur la dévolution aux universités elles-mêmes de leur patrimoine. Nous souhaitons connaître de manière précise le calendrier de ces dévolutions. C’est l’objet d’un amendement que j’ai déposé et qui sera examiné dans le cadre de la mission « Gestion du patrimoine immobilier de l’État ».
Dans cette phase de tension budgétaire, nous ne pouvons qu’être inquiets de la décision du Conseil constitutionnel, prise il y a quelques jours, sur les droits d’inscription. Elle pourrait inutilement mettre en difficulté les universités. Espérons que le Conseil d’État apportera une réponse rassurante sur ce sujet.
Le budget pour 2020 est caractérisé aussi par la diminution du crédit d’impôt dont peuvent bénéficier les donateurs aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Nous sommes évidemment opposés à cette mesure, prise, au surplus, sans aucune étude d’impact et sans même qu’on sache, ce qui peut paraître invraisemblable, combien d’établissements sont concernés, et pour quel montant.
Cette situation reflète la difficulté à disposer de données statistiques sur l’enseignement supérieur. De fait, l’outil statistique n’est malheureusement pas la hauteur de ce qu’il devrait être. Comparativement à d’autres ministères, par exemple celui de l’éducation nationale, nous sommes surpris de la faiblesse des données statistiques fournies sur l’enseignement supérieur. Résultat : il ne nous est pas possible d’apprécier les effets de certaines réformes que nous avons votées. Je pense en particulier au taux de réussite en première année de licence des étudiants, dont l’amélioration était pourtant l’un des objectifs majeurs de la loi Orientation et réussite des étudiants.
Ces données nous sont essentielles pour savoir si les dispositifs d’accompagnement, les fameux « oui si », sont efficaces. Alors que nous sommes en période de discussion budgétaire, ces données éclaireraient fort utilement nos choix.
Il nous serait également utile de savoir si l’effort indispensable d’augmentation des places en IUT et en BTS est mis en œuvre et de connaître la part des bacheliers technologiques et professionnels en première année de ces filières.
De même, et c’est une remarque plus personnelle, il serait intéressant de connaître l’impact de la mesure de régionalisation mise en œuvre en Île-de-France cette année.
Je voudrais maintenant aborder la question de la vie étudiante.
L’événement dramatique de Lyon a placé dans le débat public la question du niveau des aides pour permettre la réussite des étudiants, mais aussi celle de la pertinence et de l’efficacité des dispositifs existants. Si nous sommes tous émus par ce geste dramatique, la réponse à ces questions ne saurait se limiter à la seule augmentation de lignes budgétaires. Elle suppose une analyse approfondie des dispositifs et des structures. Nous souhaitons vivement que cette analyse soit effectuée rapidement et sérieusement et que, à l’issue, des mesures soient prises pour aider les étudiants qui en ont besoin.
Enfin, je terminerai en évoquant les crédits de la recherche.
Comme l’a expliqué notre rapporteure Laure Darcos, le budget pour 2020 est un budget d’attente avant la loi de programmation annoncée pour l’année prochaine. Les maux sont connus et le diagnostic établi : revalorisation indispensable de la fonction de chercheur par une rémunération tout simplement correcte, diversification nécessaire des financements, amélioration du lien entre recherche et développement industriel. Nous attendons les réponses du Gouvernement pour y faire face et leur transcription budgétaire. Il nous faudra pour cela attendre le projet de loi de finances pour 2021.
Nous regrettons d’autant plus, dans ce contexte, la mesure d’augmentation du taux de réserve de précaution, qui nous paraît inappropriée au moment où la recherche devrait au contraire être aidée. Nous espérons, madame la ministre, que vous aurez gain de cause auprès de Bercy pour ne pas affaiblir inutilement nos outils en matière de recherche par un tour de passe-passe budgétaire dont le ministère des finances a l’habitude.
Le groupe Union Centriste votera les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Emmanuel Capus et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la ministre, l’augmentation de près de 1,7 % des crédits de la mission dont vous avez la charge a été saluée par tous les rapporteurs et presque tous les orateurs, cher Pierre Ouzoulias… (Sourires.)
L’an dernier, vous avez fait voter la loi Orientation et réussite des étudiants. Votre collègue Jean-Michel Blanquer avait lancé après vous, commettant une erreur manifeste de calendrier, la réforme du baccalauréat, dont je souhaite par ailleurs qu’il redevienne un tremplin pour la réussite des élèves dans l’enseignement supérieur.
Assurément, votre volonté d’agir, comme celle de votre collègue de l’éducation nationale, demeure sincère et constante. Elle a été saluée.
Reste la question des moyens. Ils sont en hausse, cela a été dit, et il faut vous en donner acte. Sont-ils pour autant suffisants compte tenu de l’impact des mesures déjà prises ? Sont-ils à la hauteur des défis de la recherche ? On sait que non, et les nuages menacent. C’est le cas, par exemple, du financement du glissement vieillesse-technicité, que vous semblez vouloir utiliser pour serrer la vis de certains. En 2018, il avait été intégralement compensé. En 2019, nous vous alertions sur l’utilisation d’une partie des crédits du plan Étudiants pour le financer. Pour 2020, vous avez annoncé que son financement ne sera pas systématique. Or la hausse globale peut masquer des situations très opposées, inscrites dans le temps long. Ainsi, le manque de moyens contraint certaines universités à ne pas remplacer les départs à la retraite, alors que nous devons répondre au défi que constitue l’arrivée de 30 000 étudiants supplémentaires chaque année.
Autre motif d’alerte : depuis dix ans, sur le temps long, la dépense moyenne de l’État par étudiant stagne, voire diminue, masquant parfois des situations dramatiques.
On le sait aussi, la vétusté des locaux s’aggrave, et la question de la précarité étudiante ne peut être passée sous silence. Certes, ce manque de financement de l’université ne date malheureusement pas d’hier, et on ne peut qu’acter l’effort réalisé cette année dans le cadre du projet de loi de finances.
En revanche, l’abaissement du taux de défiscalisation des dons d’entreprises supérieurs à 2 millions d’euros marque un tournant. Limiter l’effet incitatif de ces dons risque de priver l’université de financements supplémentaires. On comprend mal pourquoi, dans ce contexte budgétaire difficile, vous affaiblissez le processus de diversification des sources de financement. Je partage donc pleinement l’alerte de notre rapporteur pour avis, Stéphane Piednoir, qui a pointé les conséquences de cette décision.
Concernant les crédits de la recherche, je voudrais insister sur un point : la rémunération des chercheurs et enseignants-chercheurs – j’ai d’ailleurs également alerté sur la rémunération des professeurs du second degré lors de l’examen des crédits de la mission « Enseignement scolaire ». Comme l’a souligné notre rapporteure pour avis Laure Darcos, les chercheurs et enseignants-chercheurs éprouvent eux aussi un sentiment de déclassement social.
Malgré la mise en œuvre du protocole PPCR, qui représente dans ce budget une dépense de 28 millions d’euros, une refonte de la grille indemnitaire des chercheurs est nécessaire. C’est une question d’attractivité et de dignité. La baisse du nombre de doctorants doit faire l’effet d’un électrochoc.
Permettez-moi, enfin, de vous interroger sur un point précis, majeur pour notre pays : la formation des professeurs du second degré, dont vous avez également la responsabilité en partage avec le ministre de l’éducation nationale dans le cadre des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation. Ces instituts nationaux ont été maintenus au sein des universités, alors qu’ils auraient pu redevenir des écoles professionnelles intégrées au sein du ministère employeur. Je souhaite donc vous poser quatre questions.
Comment les Inspé draineront-ils mieux que ne le faisaient les ÉSPÉ les ressources scientifiques de haut niveau que les élèves professeurs attendent et qui justifient l’ancrage des instituts de formation au sein de l’université ?
Comment les maquettes de formation ne seraient-elles pas contraintes dès leur origine, comme le furent celles des ÉSPÉ, par les spécialités des enseignants qui y sont affectés ? Ce fut le point faible des défuntes écoles. Comment comptez-vous y remédier ?
Comment les Inspé articuleront-ils mieux que ne le faisaient les ÉSPÉ la formation théorique et la formation pratique ?
Comment s’établira la collaboration avec les corps d’inspection et les professeurs formateurs du second degré, sans que soit remise en cause l’autonomie des universités, mais de telle manière que les parcours des élèves professeurs soient rétablis en cohérence et en efficience ? C’était un point faible de la formation des ÉSPÉ.
En conclusion, je voudrais réaffirmer que l’enseignement supérieur et la recherche ne pourront se passer d’une réforme profonde qui réponde durablement au défi de la démocratisation, de la compétition internationale et de la revalorisation du statut des chercheurs et des enseignants-chercheurs, au risque de voir notre pays poursuivre son recul. Tel sera en particulier l’enjeu de la prochaine loi de programmation de la recherche.
Dans cette attente, et au vu des efforts déjà déployés, comme les collègues de mon groupe, je voterai les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant d’entamer l’examen proprement dit du budget, j’aimerais souligner le contexte très incertain qui l’entoure. En effet, par sa décision du 11 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a tiré du treizième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 l’exigence constitutionnelle selon laquelle « la gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public ».
Si des frais d’inscription « modiques » peuvent être perçus en tenant compte des « capacités financières des étudiants », il revient désormais au Conseil d’État de préciser la portée de ladite décision. Sur ce point, il convient de rappeler que la Cour des comptes, dans son rapport de novembre 2018, avait déjà alerté sur le développement de frais différenciés dans l’enseignement supérieur public, constatant un « écart croissant entre les modèles économiques des établissements » et soulignant le manque de cohérence du système.
Quoi qu’il en soit, de la décision émanant des Sages, il paraît naturellement découler qu’un coût éloigné de l’exigence de gratuité représente une rupture réelle dans l’égal accès à l’instruction et ne saurait donc être constitutionnel.
Ce contexte est d’autant plus source d’inquiétude pour les établissements du supérieur que leurs financements s’érodent, malgré les efforts que vous consentez, madame la ministre, puisque les crédits du programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » augmentent d’un peu plus de 1 %. Néanmoins, cette hausse se révèle trop limitée, comme a alerté la conférence des présidents d’université après le vote à l’Assemblée nationale. Non seulement elle n’est pas de nature à couvrir la croissance démographique estudiantine – près de 33 000 étudiants supplémentaires se sont inscrits à la rentrée de 2019 et près de 15 000 nouveaux étudiants sont attendus en 2020 –, mais elle ne permet pas non plus de mettre en œuvre correctement les multiples réformes engagées : la loi ORE, la loi pour une école de la confiance, qui pose la question essentielle du continuum entre le lycée et l’enseignement supérieur, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et, bien sûr, la réforme des études de santé.
Au final, les universités ont chiffré à 250 millions d’euros les moyens financiers complémentaires nécessaires. Or, en valeur réelle, le budget qui leur est alloué ne croît « que » de 160 millions d’euros, soit un écart de 90 millions d’euros forcément préjudiciable.
Ce problème de financement chronique se double aujourd’hui d’une pression accrue sur les ressources propres des établissements, créant ainsi un véritable effet ciseau qui risque d’avoir des conséquences désastreuses sur leurs investissements en faveur des étudiants ou de la rénovation énergétique des bâtiments. Je citerai deux exemples.
Premier exemple : la réforme du mécénat, qui est prévue à l’article 50 du projet de loi de finances. Alors que la France amorce son rattrapage – trois quarts des universités ont une fondation, pour une collecte moyenne de 623 000 euros –, notamment par rapport aux pays anglo-saxons, la mesure prévue dans ce PLF envoie un très mauvais signal, qui, sans aucun doute, aboutira à un effet d’éviction. En outre, elle portera un coup à l’intensification des partenariats entre les établissements du supérieur et les acteurs économiques, qui participent pourtant de la structuration territoriale. C’est pourquoi notre commission proposera de maintenir le régime prévalant pour le mécénat. Nous attendons du Gouvernement qu’il fasse preuve de raison sur ce sujet.
Deuxième exemple : le GVT. Aux termes du courrier que vous avez adressé le 8 octobre dernier aux directeurs et présidents d’établissement, son financement « ne sera plus systématiquement assuré ». En d’autres termes, la croissance de la masse salariale pourrait impacter d’autant l’investissement des universités.
À travers ces différentes difficultés est profondément posée la problématique du financement de l’enseignement supérieur. Outre la solidité et la soutenabilité financières des universités, l’enjeu sous-jacent est bel et bien celui de la réussite des étudiants au sein de formations qualifiantes et, par là même, de la capacité de la France à innover et à rayonner.
Nous ne pouvons nous résoudre à ce que le financement par étudiant inscrit à l’université ait atteint son plus bas niveau depuis dix ans, plafonnant à un peu plus de 10 000 euros et, surtout, accusant une baisse de plus de 1 000 euros en quelques années seulement. Nous avons collectivement un devoir envers la jeunesse : lui assurer un avenir malgré les défis colossaux qui l’attendent. Cet avenir passe obligatoirement par une formation de qualité tout au long de la vie, car, dans un monde en perpétuelle transition et déséquilibre, l’adaptabilité, la polyvalence et la faculté à anticiper, à inventer seront précieuses.
Évoquer l’avenir des étudiants impose également de parler de leurs conditions d’études présentes. Le constat est connu de tous : inflation générale du coût de la vie, qui oblige certains à subir un emploi à temps partiel, renoncement aux soins, loyer onéreux, etc.
Si nous ne pouvons que saluer l’accroissement de 46 millions d’euros du montant alloué aux bourses sur critères sociaux ainsi que la récente décision de geler les loyers des résidences universitaires, l’effort budgétaire ne nous paraît pas à la hauteur de la situation. Nous présenterons un amendement visant à réinjecter les 35 millions d’euros que le Gouvernement a gelés sur le programme « Vie étudiante » en 2019.
En outre, nous appelons à accélérer les réflexions en cours pour créer une allocation d’autonomie à destination de tous les étudiants en situation de précarité. Sans remettre en cause l’absolue nécessité des bourses sur critères sociaux, il paraît fondamental de gommer l’effet de seuil excluant des jeunes qui devraient légitimement bénéficier d’une aide financière de l’État. Autrement dit, nous ne souhaitons pas uniquement une revalorisation des bourses : nous voulons un changement systémique et d’échelle, une vraie réforme. Madame la ministre, y êtes-vous prête ? Les discussions actuelles vont-elles dans ce sens ?
En ce qui concerne le budget affecté à la recherche, le contexte est quelque peu particulier, puisque, mes collègues l’ont dit, la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche est annoncée pour le début de l’année prochaine et que beaucoup de réponses à nos interrogations sembleraient devoir s’y trouver. Par conséquent, nous espérons qu’elle sera à la hauteur des nombreuses attentes et ambitions affichées.
Pour l’instant, force est de constater que les moyens dévolus dans le cadre de ce PLF n’enthousiasment pas le monde de la recherche. En cause, singulièrement, la stagnation du crédit du programme 172 relatif à la recherche pluridisciplinaire, qui concentre les principaux opérateurs nationaux.
En parallèle, le taux de réserve appliqué aux instituts demeure assez élevé, tout particulièrement pour l’ANR. En 2019, celui-ci s’est élevé à 8 %, freinant la progression du taux de sélection des projets, thème pourtant majeur pour l’Agence. Le taux de réserve est actuellement autour de 15 %. Or l’objectif est d’arriver à un taux de 25 %, conforme à la moyenne européenne. Afin d’éviter toute contradiction et permettre ainsi à l’ANR de sélectionner davantage de projets, pouvez-vous nous préciser le taux de réserve que vous entendez appliquer en 2020 ?
S’agissant de l’intelligence artificielle, thématique d’avenir par excellence, nous nous réjouissons que le plan national lancé en 2018, trouve sa traduction budgétaire au sein du projet de loi de finances. Érigé au rang de priorité par la Commission européenne, l’investissement en la matière doit favoriser le rattrapage de l’Europe sur les États-Unis et la Chine. Si le retard accumulé depuis vingt ans est important, je ne pense pas qu’il soit insurmontable à une double condition : avoir un environnement économique et scientifique favorable à l’innovation et coordonner les actions des États membres pour ne pas tomber dans l’écueil d’une compétition intra-européenne qui ne peut conduire qu’à un résultat perdant-perdant.
L’accent mis sur l’IA doit impérativement aller de pair avec l’affirmation d’un État de droit numérique. L’accélération des progrès technologiques ne peut se faire en dehors de tout cadre démocratique, comme si, finalement, les avantages tirés des nouvelles applications pouvaient justifier des atteintes croissantes et disproportionnées aux libertés publiques. Tout ne peut être permis. L’Europe doit faire émerger encore plus rapidement son modèle pour mieux protéger ses citoyens. En cela, le RGPD constitue une première pierre vraiment importante de l’édifice, qui doit être encore consolidé, car, comme il a été démontré dans un récent rapport sénatorial, en filigrane se jouent à la fois notre souveraineté et la souveraineté numérique de l’Europe, ainsi que la création et la captation de richesses par le truchement des données personnelles notamment.
J’aimerais conclure mon propos en insistant sur un état de fait bien connu, qui revient comme une antienne chaque année : la rémunération des chercheurs et enseignants-chercheurs.
Les standards actuels de rémunération des chercheurs sont incompatibles avec l’ambition de parvenir à un taux de 3 % du PIB de dépenses en R&D, dont 1 % de dépenses publiques, et celle d’inverser la tendance en vertu de laquelle la France décroche au niveau mondial. Songeons que le salaire d’entrée moyen annuel correspond, à parité du pouvoir d’achat, à 63 % de celui perçu par les chercheurs dans l’OCDE. En France, leur précarisation, en particulier en début de carrière, est réelle. Il s’ensuit mécaniquement une perte d’attractivité, comme le prouve la diminution du nombre de doctorants.
Dans la perspective de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, nous espérons vraiment que le Gouvernement s’attachera à améliorer le traitement des chercheurs. Nous y serons extrêmement vigilants.
Madame la ministre, mes chers collègues, au regard de toutes les inquiétudes et de toutes les réserves exprimées, et en l’état, il s’avère impossible pour nous de voter les crédits de cette mission, mais nous espérons que la future loi de programmation lèvera demain nos réticences d’aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Procaccia. Pour la troisième année, j’interviens au nom du groupe Les Républicains. Pour la troisième année, je vous félicite, madame la ministre, de tenir vos engagements concernant la progression des crédits alloués à la recherche, malgré les réserves émises par nos rapporteurs, sur lesquelles je ne reviendrai pas.
Comme il faut choisir ses thèmes, je commencerai par la première priorité en volume financier : notre politique spatiale, qui relève d’une compétence partagée entre l’Union européenne et les États membres depuis l’adoption du traité de Lisbonne.
Les 214 millions d’euros supplémentaires sont destinés à apurer la dette française à l’égard de l’Agence spatiale européenne, ce qui permet à la France de crédibiliser son engagement dans les programmes spatiaux européens. Plus qu’une obligation, c’était une nécessité !
Vous le savez, le Parlement s’est beaucoup investi dans la préparation des enjeux de la conférence de Séville, dont vous revenez. L’Opecst travaille depuis longtemps sur ces sujets. Depuis peu, le groupe Espace du Sénat s’y penche également. Nous nous réjouissons donc des 14,4 milliards d’euros de crédits obtenus à Séville. J’espère que vous aurez l’occasion de nous en dire un peu plus.
L’année 2020 nous permettra de savoir si les choix technologiques et budgétaires pour le futur lanceur Ariane 6 ont été les bons. Mais, nous le savons tous, son succès commercial dépend aussi de l’engagement des pays contributeurs à lui confier leurs lancements institutionnels. Malheureusement, je n’ai pas vraiment l’impression que cela progresse.
La recherche spatiale, ce ne sont pas que les lanceurs, ce sont aussi les satellites. Sans eux, les prouesses de nos fusées ne seraient qu’une réussite scientifique coûteuse. À ce sujet, j’ai cru comprendre que la baisse de 34,9 % de notre contribution au fonctionnement de l’organisation d’Eumestat correspondait à une correction technique. Pourriez-vous nous le confirmer ?
J’en terminerai avec ce thème en disant toute ma satisfaction de lire que le nombre d’utilisateurs de Galileo vient de dépasser le milliard. L’inquiétude qui fut longtemps la mienne et qui s’était exprimée par des questions à vos prédécesseurs s’éloigne donc. Mais qu’en est-il des services payants qui devaient rentabiliser Galileo ?
Cette année, je passerai brièvement sur l’ANR. Grâce aux moyens financiers supplémentaires qui lui sont alloués en 2020, elle pourrait sélectionner 800 projets supplémentaires par rapport à 2018, où ils furent près de 1 500. Mais, avec un taux de sélection de 16,2 %, nous sommes encore loin de la moyenne des pays européens, qui est de 25 %, ni surtout de la simplicité pour concourir. Avec un taux d’échec de 85 % des projets présentés, la démotivation des équipes est légitime eu égard à l’effort administratif et à la complexité que demande le dépôt d’un dossier.
J’espère, madame la ministre, que vous n’allez pas donner un poids démesuré à l’ANR dans votre prochaine loi de programmation, car vous risqueriez de décourager les chercheurs. Il faut les écouter quand ils demandent une amélioration du fonctionnement de l’Agence en matière de transparence et une meilleure adaptation à chacune des disciplines scientifiques.
En matière de recherche sur l’énergie nucléaire, nous sommes nombreux, en tout cas au sein de l’Opecst, à être soulagés concernant le réacteur expérimental Jules Horowitz, que j’appellerai RJH.
À une période où l’on s’interroge sur la durée de vie de nos centrales actuelles, sur la fiabilité des équipements et où l’on espère enfin voir fonctionner l’EPR retardé par la fiabilité de soudures et de tuyauteries, l’utilité de ce réacteur expérimental est encore plus évidente. Rappelons qu’il fournira des données scientifiques sur le comportement des composants et des combustibles nucléaires. L’impasse financière devant laquelle se trouvait le CEA pour finir la construction du RJH n’était pas acceptable. En revanche, il ne produira pas d’énergie, contrairement aux réacteurs de quatrième génération.
L’abandon du réacteur à neutrons rapides Astrid, qui aurait permis de recycler à l’infini le combustible nucléaire, est à mes yeux une erreur scientifique. Ce n’est pas une décision politique qui en est l’origine, mais une raison économique, selon l’administrateur du CEA, qui a déclaré devant la commission des affaires économiques que l’uranium n’était plus assez cher pour justifier des dépenses pour le recycler, même en produisant de l’électricité.
Je rappelle que l’arrêt de Superphénix – que je ne suis pas la seule à qualifier de stupide – a été un désastre sur le plan de la recherche. Il a fallu reconstituer vingt ans après ce capital humain et scientifique perdu pour travailler sur Astrid, et on recommence la même erreur. Décidément, l’histoire bégaie en matière de recherche nucléaire sur les réacteurs de nouvelle génération, et je le regrette.
Pour terminer mon propos, j’évoquerai le CIR, qui est un outil indispensable au développement de la recherche. L’État se doit d’encourager les entreprises à investir en R&D, source d’innovation et d’attractivité.
Si certains s’interrogent sur l’efficacité du CIR et sur les fraudes possibles, l’étude de France Stratégie indique que le CIR a bien profité à la recherche, les entreprises ayant dépensé entre 0,9 et 1,50 euro supplémentaire pour chaque euro d’argent public reçu. Le CIR a permis de redresser l’effort de la France en R&D.
Dans notre pays, où la fiscalité des entreprises est au plus haut, évitons que celles-ci ne partent ailleurs en Europe. À ce sujet, je salue l’initiative du rapporteur général de l’Assemblée nationale, qui est revenu sur l’obligation documentaire instaurée l’an dernier par les députés.
Il faudra veiller, dans votre future loi de programmation, à ne pas déshabiller Paul pour habiller Pierre. La recherche publique et la recherche privée ne doivent pas se concurrencer, mais se compléter.
Permettez-moi d’évoquer brièvement ce que souhaitait indiquer Christine Lavarde s’agissant de l’attractivité du métier de chercheur.
Les mesures et les moyens du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations », dont le champ couvre l’ensemble des fonctionnaires de l’État, ne sont pas complètement adaptés à la situation des chercheurs, particulièrement à la situation des chercheurs ayant effectué un post-doctorat à l’étranger. Ils ont beaucoup de difficultés à retrouver un poste en France. Une étude portant sur 400 jeunes chercheurs français partis après leur doctorat entre 2003 et 2008 a montré que 57 % d’entre eux résidaient encore à l’étranger trois ans après leur départ. J’ai pu le constater à travers différentes missions sur la recherche à l’étranger.
Le groupe Les Républicains votera ce budget malgré ses limites. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Véronique Guillotin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs spéciaux, madame, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » est, comme chaque année, un rendez-vous qui doit nous permettre d’évoquer l’ensemble des sujets qui relient l’enseignement supérieur, la recherche et la vie étudiante. C’est un temps important pour le Parlement, tout particulièrement pour le Sénat, mais c’est également un moment très attendu par l’ensemble de la communauté de l’enseignement supérieur.
D’emblée, au nom du Gouvernement, je tiens à rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui, dans nos universités, nos écoles, nos laboratoires de recherche et dans les centres régionaux des œuvres universitaires, font vivre au quotidien cette exigence qui est au cœur de la mission qui sera soumise à vos suffrages dans quelques instants.
Si ce rendez-vous est chaque année si important pour la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche, il revêt aujourd’hui un caractère particulier, chacun a pu le mesurer dans cet hémicycle. Le drame survenu le 8 novembre dernier à Lyon a jeté une lumière sans fard sur les conditions de vie de certains étudiants confrontés à des situations de précarité sans avoir connaissance des dispositifs qui peuvent les aider au quotidien. Améliorer les conditions de vie des étudiants est une priorité de mon ministère. Plusieurs réponses sont d’ores et déjà apportées par le projet de budget pour 2020. J’y reviendrai.
Si la jeunesse est au cœur des politiques conduites par mon ministère, c’est que le champ de la Mires est intégralement dédié à préparer l’avenir de notre nation. Former notre jeunesse, construire un agenda de la connaissance scientifique au service du rayonnement de la France constituent autant d’enjeux clés pour garantir notre souveraineté.
Le Président de la République l’a rappelé mardi dernier à l’occasion de la célébration du quatre-vingtième anniversaire du CNR, c’est à sa force scientifique que se mesure la puissance d’une nation.
C’est parce que le Gouvernement a pleinement conscience de cet enjeu pour notre avenir que la Mires fait partie des missions prioritaires du prochain budget triennal.
S’agissant de l’année 2020, le budget du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, tel qu’il a été présenté par le Gouvernement, est composé de 25,35 milliards d’euros en crédits de paiement. Avec une hausse de 500 millions d’euros par rapport à 2019, la Mires a fait l’objet d’un effort considérable de la part du Gouvernement, un effort qui représente à lui seul 10 % des crédits nouveaux de l’État.
Naturellement, ces sommes déjà considérables ne représentent pas à elles seules l’effort général de la Nation envers notre jeunesse et notre recherche. À ces 25,35 milliards d’euros s’ajouteront les 140 millions d’euros de recettes de la contribution de vie étudiante et de campus versées directement aux établissements d’enseignement supérieur et aux Crous. Le programme d’investissements d’avenir joue par ailleurs, comme vous le savez, depuis plus d’une dizaine d’années, un rôle majeur dans la recomposition du paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Enfin, les collectivités territoriales jouent un rôle chaque jour plus important en matière de financement de l’enseignement supérieur et de la recherche. Certains d’entre vous ont joué un rôle pionnier en la matière. Je songe naturellement au travail considérable que vous avez réalisé, monsieur le sénateur Adnot, pour la création de l’université technologique de Troyes.
Cet engagement des collectivités n’est à mon sens pas encore assez reconnu. Je gage que votre rapport, monsieur le sénateur Rapin, permettra de mieux faire connaître cet effort significatif et important.
Comme cela a été évoqué par plusieurs intervenants, l’année 2020 sera avant tout consacrée à la préparation et à l’examen du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, annoncé en février dernier par le Premier ministre et confirmé cette semaine par le Président de la République. Ce projet de loi sera présenté en conseil des ministres au cours de la deuxième quinzaine de février. Le Gouvernement attend beaucoup de la mobilisation et de la contribution du Sénat à ce débat, qui s’ouvrira dans quelques mois.
Une loi de programmation pluriannuelle pour la recherche est un événement rare. Le Président de la République comme le Premier ministre ont exprimé le souhait que cette programmation pluriannuelle puisse débuter dès le début de l’année 2021, c’est-à-dire dans le cadre d’un calendrier harmonisé et mis en cohérence avec celui de la prochaine vague de contrats de plan État-région – nous attendons le montant définitif de l’enveloppe de ce prochain CPER, qui devrait être du même ordre de grandeur que le précédent –, mais également avec celui du programme Horizon Europe, qui, comme vous l’avez rappelé, sera le programme de recherche le plus ambitieux jamais élaboré.
Vous l’aurez compris, l’un des enjeux de la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche sera de mieux articuler les politiques régionales, les politiques territoriales et nationales de l’État et la capacité de nos chercheurs à faire valoir l’originalité de leurs travaux à l’échelon européen. À cette fin, le budget pour 2020, dernier budget avant cette loi de programmation, permettra de soutenir et d’amplifier toutes les initiatives d’ores et déjà lancées par mon ministère depuis le mois de mai 2017.
Comme vous le savez, et c’est une conviction que je rappelle chaque année, il ne faut pas opposer le soutien non thématisé à la recherche et le soutien à des sujets spécifiques. Ce projet de loi de finances permettra d’augmenter de 32,7 millions d’euros par rapport à l’an dernier les moyens d’engagements de l’ANR. Le plan Intelligence artificielle montera en puissance, passant de 17 millions à 38 millions d’euros dès 2020, soit une augmentation de plus de 100 %.
Dans le même élan, le soutien de près de 25 millions d’euros aux crédits de base des laboratoires sera reconduit pour la troisième année consécutive. Par ailleurs, à la suite des débats budgétaires de l’année dernière, j’ai décidé de renouveler en 2020 la mesure de soutien à la coordination en matière de recherche fondamentale dédiée à la lutte contre les cancers pédiatriques. Ce sont 5 millions d’euros qui seront dédiés à ce dispositif en complément des programmes d’ores et déjà pilotés et financés par l’INCa et l’Inserm.
Le climat et le développement durable sont également des priorités affirmées par mon ministère et ont fait l’objet de deux programmes prioritaires de recherche. Je songe évidemment au programme Mopga et à celui consacré à l’agriculture.
Au-delà, l’investissement dans les programmes spatiaux, notamment les programmes d’observation de la Terre, ainsi que le succès de la conférence ministérielle de l’ESA nous permettent d’affirmer que le climat et la surveillance du climat font partie des priorités, non seulement de la France, mais aussi de l’Europe. Le succès de cette conférence ministérielle doit d’ailleurs beaucoup à l’unité dont ont fait preuve le Gouvernement et les parlementaires, notamment les sénateurs, pour soutenir l’excellence de la recherche et de l’industrie françaises.
Dans le cadre de la fusion entre l’INRA et l’Irstea, mon ministère accompagnera la création de l’Inrae, grâce à une dotation de 2,5 millions d’euros supplémentaires. Ce nouvel organisme organisera et coordonnera tous les travaux de recherche scientifique et technologique dans les domaines de l’agriculture, de l’alimentation, de la forêt, de l’environnement, de l’eau, de la biodiversité, de la bioéconomie, de l’économie circulaire, de la gestion durable des territoires et de la prévention des risques.
Tous les chercheurs ont en commun une vocation chevillée au corps et dédiée à l’exploration de la connaissance. Cette vocation, que je partage avec certains d’entre vous, rend d’autant plus criante la question de la rémunération des chercheurs et des enseignants-chercheurs.
En attendant les mesures qui seront prises en ce sens dans la loi de programmation, nous portons une attention particulière à l’emploi et à l’attractivité des carrières scientifiques dans ce budget, notamment au sein des organismes de recherche. Près de 28 millions d’euros seront consacrés aux PPCR dans les organismes de recherche. Ce budget permettra ainsi de soutenir la politique de ressources humaines des organismes de recherche.
Près de 12 millions d’euros supplémentaires seront en outre consacrés au CNRS, qui, par ailleurs, déploiera dès 2020 un pack d’accueil d’un montant moyen de 10 000 euros pour ses nouveaux chargés de recherche dans le cadre d’une enveloppe budgétaire de 2,5 millions d’euros.
Le soutien à l’équipement et aux infrastructures est également fondamental pour l’année à venir. Dans le domaine spatial, 226 millions d’euros supplémentaires serviront à tenir nos engagements auprès de l’ESA et près de 15 millions d’euros de plus contribueront à soutenir les activités du CNES.
À l’occasion de la conférence ministérielle de Séville, j’ai eu à cœur de défendre le leadership européen de notre pays en matière spatiale. Des engagements forts ont été pris par la France en la matière. En tant que ministre chargée de l’espace, j’aurai l’occasion d’en rendre compte devant la commission des affaires étrangères et de la défense ainsi que devant la commission des affaires économiques, qui ont souhaité, dans un récent rapport d’information, s’emparer de la question des lanceurs.
Le budget pour 2020 consacrera 21 millions d’euros supplémentaires aux grandes infrastructures de recherche, dont 7 millions d’euros destinés à l’entretien de notre flotte océanique. Enfin, plus de 7,5 millions d’euros seront affectés au développement des plateformes de recherche et des data center.
Les universités, c’est l’une de leurs principales missions, jouent un rôle à part entière d’opérateurs territoriaux de la recherche en lien avec leurs missions de formation et d’insertion professionnelles au service de notre jeunesse. Je souhaite naturellement que cette vocation historique des universités sorte renforcée de la loi de programmation et que chaque université puisse y trouver les outils pour affermir sa signature.
Dans l’immédiat, le budget pour 2020 permettra de poursuivre le déploiement du plan Étudiants et de financer toutes les missions des universités. Le programme 150 verra ainsi ses crédits augmenter de 176 millions d’euros. La trajectoire fixée dans le projet de loi de finances pour 2018 sera belle et bien respectée.
Depuis 2017, ce sont 542 millions d’euros supplémentaires qui sont venus consolider le budget du programme 150, sans compter la contribution du programme d’investissements d’avenir à hauteur de 350 millions d’euros, qui sont alloués à la réforme du premier cycle. Près de 142,5 millions d’euros seront consacrés au plan Étudiants, soit 43 millions d’euros de plus que l’an passé. Ces moyens permettront à nos universités d’ouvrir des places supplémentaires et d’approfondir les dispositifs de remédiation mis en place par la loi Orientation et réussite des étudiants.
Derrière les chiffres et les statistiques, ce qui se joue actuellement dans les universités, c’est la confirmation d’un changement qui est à l’œuvre depuis l’année dernière grâce à Parcoursup, à la nouvelle politique d’orientation, pour laquelle je tiens à remercier l’ensemble des enseignants du secondaire et l’ensemble des services responsables de l’orientation qui y contribuent, ainsi qu’au phénomène de remédiation.
Pour ne prendre qu’un seul exemple, en Staps, le taux de réussite a progressé de 11,7 points en un an. Des évaluations sont en cours, et j’aurai à cœur de rendre compte devant vous des effets du plan Étudiants sur la réussite des étudiants en licence lors d’une audition prévue en début d’année prochaine.
Outre la mise en œuvre du plan Étudiants, deux autres transformations structurelles sont à l’œuvre dans l’enseignement supérieur. Tout d’abord, nous généralisons en 2020 le dialogue stratégique et de gestion avec les établissements, qui doit nous permettre de rénover en profondeur les modalités d’allocation des moyens versés aux universités. Ce dialogue permettra de répartir une enveloppe de 50 millions d’euros. Une autre enveloppe de 50 millions d’euros sera directement affectée au financement du PPCR pour 2020, ainsi qu’à la reconnaissance de l’investissement pédagogique.
Naturellement, j’entends vos analyses, monsieur le rapporteur spécial Adnot. Après l’expérimentation conduite l’année dernière sur treize établissements, nous franchissons une deuxième étape en généralisant la démarche sur l’ensemble du territoire. Une fois que le dialogue stratégique sera effectivement lancé et appliqué, viendra le temps de son approfondissement.
L’enjeu pour l’année à venir est de fournir à l’État un levier pour ouvrir une discussion globale avec les établissements sur leur gestion annuelle, leurs charges, leurs ressources, mais surtout sur leurs projets et leurs réels besoins d’accompagnement. C’est bel et bien à ce niveau que se situe l’originalité du dialogue stratégique et de gestion.
Autre transformation majeure : la réforme des études de santé. Sur le plan budgétaire, plus de 16 millions d’euros supplémentaires seront versés pour soutenir les initiatives pédagogiques et innovantes dans les établissements.
S’agissant de la vie étudiante, sujet au cœur des préoccupations du Gouvernement, comme je l’ai rappelé au début de mon intervention, et dans le contexte tragique que chacun connaît ici, je tiens à rappeler que près de 5,7 milliards d’euros sont annuellement consacrés, via la Mires, les aides au logement ou la protection sociale, à l’effort de solidarité de la Nation envers nos étudiants. Je ne crois pas me tromper en affirmant que peu de pays dans le monde sont capables d’afficher un tel effort continu et croissant depuis plusieurs décennies.
Cette année, les moyens budgétaires du programme 231 sont en hausse de 67 millions d’euros. Pour la première fois depuis de nombreuses années, nous avons revalorisé les bourses sur critères sociaux. Naturellement, le Gouvernement reste à l’écoute des revendications qui s’expriment, afin de faire face aux situations de grande précarité traversées par de nombreux étudiants.
Pour y remédier, j’ai d’ores et déjà pris plusieurs mesures d’urgence. Dès le 20 novembre dernier, j’ai demandé au réseau des œuvres universitaires et scolaires d’appliquer la trêve hivernale au bénéfice de tous les étudiants en difficulté qui résident dans une résidence du Crous. Pour tous, il a été décidé de geler les loyers, ce qui représente un effort financier de 6 millions d’euros environ, qui sera réalisé en gestion.
Pour les situations les plus difficiles, il existe des dispositifs qui sont d’ores et déjà financés, mais souvent trop peu et trop mal utilisés. Je songe notamment aux aides d’urgence, qui peuvent aider à tout moment de l’année les étudiants les plus en difficulté à sortir d’une situation de grande précarité. Nous savons que de nombreux étudiants subissent au quotidien des problèmes importants sans savoir où s’adresser ou sans oser faire appel au réseau des œuvres. Chaque année, ce sont plus de 15 millions d’euros d’aides qui ne sont pas consommés.
Nous avons l’obligation de faire mieux. Aussi, je souhaite qu’un véritable fonds consacré aux aides d’urgence soit instauré et que tous les moyens soient mis en œuvre pour le faire connaître, via les Crous, les établissements d’enseignement supérieur et les associations étudiantes. Un numéro vert sera aussi mis en place à cette fin.
Ces mesures s’inscrivent dans le prolongement du travail réalisé par le ministère pour améliorer les conditions de vie des étudiants et des boursiers. Je pense évidemment à la suppression de l’affiliation au régime de la sécurité sociale des étudiants, généralisée à l’ensemble des étudiants depuis la rentrée de septembre. Près de 200 millions d’euros sont dorénavant pris en charge par la sécurité sociale au profit de la santé de nos étudiants.
Je songe également à la mise en œuvre de la contribution de vie étudiante et de campus, qui devrait générer cette année et l’an prochain près de 140 millions d’euros, notamment consacrés au financement d’actions de prévention sanitaire et d’action culturelle. À cet égard, il a été décidé, conjointement avec la CPU, que la santé physique et psychologique des étudiants serait la priorité principale de l’emploi de la CVEC en 2020.
Naturellement, madame la sénatrice Robert, le régime même des bourses sur critères sociaux doit être substantiellement révisé. C’est un débat que le Sénat a souhaité ouvrir à l’occasion de la loi Orientation et réussite des étudiants en évoquant la question de l’assiduité des étudiants, dans le prolongement de vos travaux, monsieur Adnot.
Plus largement, une concertation avec les organisations étudiantes a été lancée il y a plusieurs mois autour du revenu universel d’activité. Dans ce cadre, nous travaillons sur la question des bourses sur critères sociaux, afin de lisser les effets de seuil et de palier qui, souvent, évincent de trop nombreux étudiants.
Voilà en quelques mots et en quelques minutes les principales lignes de force de ce budget pour 2020. J’aurai l’occasion d’apporter d’autres précisions lors de l’examen des amendements. Il s’agit d’un budget sincère, d’un budget prioritaire, construit en responsabilité, et c’est ce budget que le Gouvernement vous propose d’adopter. (M. Philippe Adnot, rapporteur spécial, M. André Gattolin et Mme Véronique Guillotin applaudissent.)
M. le président. Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », figurant à l’état B.
ÉTAT B
(En euros) |
||
Mission |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
Recherche et enseignement supérieur |
28 651 778 964 |
28 663 541 075 |
Formations supérieures et recherche universitaire |
13 738 048 126 |
13 768 935 826 |
Dont titre 2 |
526 779 083 |
526 779 083 |
Vie étudiante |
2 765 936 902 |
2 767 386 902 |
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
6 959 998 397 |
6 941 119 469 |
Recherche spatiale |
2 021 625 716 |
2 021 625 716 |
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
1 786 320 726 |
1 761 730 045 |
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle |
759 624 883 |
782 350 680 |
Dont titre 2 |
93 936 004 |
93 936 004 |
Recherche duale (civile et militaire) |
154 019 167 |
154 019 167 |
Recherche culturelle et culture scientifique |
110 331 608 |
109 637 110 |
Enseignement supérieur et recherche agricoles |
355 873 439 |
356 736 160 |
Dont titre 2 |
225 046 837 |
225 046 837 |
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° II-380, présenté par M. Ouzoulias, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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|
+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
666 360 378 |
|
638 045 512 |
|
Vie étudiante |
|
|
|
|
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
|
666 360 378 |
|
638 045 512 |
Recherche spatiale |
|
|
|
|
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
|
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|
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
|
|
|
|
Recherche duale (civile et militaire) |
|
|
|
|
Recherche culturelle et culture scientifique |
|
|
|
|
Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
|
|
|
|
TOTAL |
666 360 378 |
666 360 378 |
638 045 512 |
638 045 512 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. L’ensemble de la communauté scientifique s’accorde sur le fait qu’une agence de moyens est utile à la science quand son taux d’approbation des dossiers est d’au moins 30 %. Ce taux a atteint son plus bas niveau en 2015, avec moins de 11 % d’acceptation des dossiers. Mon cher collègue Gattolin, à cette époque, vous votiez ces budgets, je me permets de vous le rappeler…
M. André Gattolin. C’est inexact ! Vous devriez vérifier vos sources !
M. Pierre Ouzoulias. Ce taux a ensuite légèrement progressé pour s’établir à environ 16 %. Avec le rythme de progression actuelle, le taux de 25 % ne sera pas atteint avant 2035. On peut se demander s’il est encore intéressant politiquement de maintenir un dispositif dont on sait qu’il est déficient quand il présente un taux aussi bas.
Notre rapporteur spécial estime, et je partage complètement son avis, qu’il serait nécessaire de doter l’ANR d’un budget d’environ 1 milliard d’euros, ce qui me semble être une estimation tout à fait valable. Ce budget lui permettrait de rehausser son taux d’acceptation des demandes à un niveau acceptable.
En 2019, on a observé une hausse des crédits dédiés à l’ANR, mais celle-ci a été obtenue, vous le savez, grâce à une diminution de son taux de réserve de 8 % à 3 %. Tous mes collègues vous ont demandé, madame la ministre, quel serait le taux de réserve pour l’année prochaine, parce qu’il s’agit évidemment d’un élément absolument fondamental.
Je suis désolé de l’aspect un peu radical de cet amendement, qui tend à supprimer l’ANR. Malheureusement, la LOLF ne permet pas d’augmenter aisément les crédits d’un programme. J’aurais bien aimé relever le budget de l’Agence à hauteur de 1 milliard d’euros, mais cela m’aurait obligé à effectuer des coupes ailleurs, ce que je m’interdis de faire. Considérez cette demande de suppression comme un amendement d’appel.
M. le président. L’amendement n° II-379, présenté par M. Ouzoulias, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
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Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
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40 000 000 |
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40 000 000 |
Vie étudiante |
300 000 000 |
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300 000 000 |
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Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
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260 000 000 |
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260 000 000 |
Recherche spatiale |
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Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
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Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
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Recherche duale (civile et militaire) |
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Recherche culturelle et culture scientifique |
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Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
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TOTAL |
300 000 000 |
300 000 000 |
300 000 000 |
300 000 000 |
SOLDE |
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0 |
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. On l’a dit, la précarité étudiante est un problème majeur. On le répète chaque année : il y a des problèmes de santé, de dépression, d’addiction. J’ajoute les problèmes de prostitution des étudiantes, dont on ne parle pas suffisamment et qu’il faudrait évoquer, parce qu’ils sont absolument dramatiques.
Vous le savez aussi, la moitié des étudiants travaillent à mi-temps pour payer leurs études. Pour avoir enseigné à l’université, je peux vous assurer que l’on ne peut pas faire de bonnes études quand on livre des pizzas une partie de la nuit.
Il est évident qu’il faut revaloriser le montant des bourses. Le Gouvernement prévoit une hausse, mais celle-ci est modeste : entre 11 et 61 euros par an. Pour les bourses les plus importantes, l’augmentation sera donc de 6 euros par mois pendant dix mois.
J’insiste sur ce point, les bourses ne sont pas payées sur les douze mois de l’année sauf quelques cas particuliers. Or un étudiant loue son appartement non pas dix mois mais douze mois. Cela signifie qu’un sixième du loyer est intégralement supporté par l’étudiant, ce qui est un problème majeur, notamment dans les métropoles, où les prix de l’immobilier s’envolent et où il devient de plus en plus difficile pour les étudiants de se loger.
L’Observatoire national de la vie étudiante devrait rendre un rapport sur ce thème en 2020 – nous l’espérons tous. Je pense que, à l’occasion de sa parution, il serait très utile que nous organisions ici un débat d’évaluation, afin de discuter ensemble de la précarité étudiante et des moyens que nous pourrions mettre en œuvre pour y remédier.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° II-380 ?
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. Mon cher Pierre, j’espère que l’avis que je m’apprête à rendre ne viendra pas entraver nos cordiales relations. Votre proposition est plus que radicale : vous prévoyez de faire une injection létale à un patient qui va un peu mieux ! (Sourires.)
Plus sérieusement, il est indéniable que l’ANR reprend des couleurs, même si les crédits dédiés à l’Agence ne sont peut-être pas à la hauteur de ce que vous pourriez espérer. Je l’entends et en profite pour relayer le message auprès de Mme la ministre. En tout cas, l’ANR reste incontestablement un opérateur de financement essentiel pour la recherche.
Surtout, le problème que pose votre amendement, c’est qu’il ne précise pas à qui l’on pourrait transférer toutes les missions exercées jusqu’ici par l’Agence, ce qui constitue une vraie difficulté, parce que, aujourd’hui, je ne sais pas qui est capable d’assumer ces missions complémentaires.
M. Pierre Ouzoulias. On peut vous faire des propositions !
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. La commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° II-379 ?
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. La commission est également défavorable à cet amendement.
Tous les amendements déposés sur ce sujet sont extrêmement sympathiques et généreux. Là où ça se gâte, c’est quand on regarde où l’argent est pris. Si on les adoptait, il n’y n’aurait même plus besoin d’enseignants ni de chercheurs, parce que tout aurait été donné pour améliorer la vie étudiante.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. Monsieur le sénateur Ouzoulias, nous partageons le constat selon lequel il faudrait effectivement abonder le budget de l’ANR pour que cet outil reprenne tout son sens. C’est ce qui est fait, projet de loi de finances après projet de loi de finances, et c’est évidemment un sujet qui sera abordé dans la loi de programmation pour la recherche. Cela étant, j’ai bien compris que l’amendement n° II-380 était un amendement d’appel ; j’y suis donc défavorable.
Le Gouvernement est également défavorable à l’amendement n° II-379, qui a pour objet de prélever 300 millions d’euros de crédits au profit des bourses sur critères sociaux. Je pense que l’on peut tomber d’accord sur le fait qu’il ne serait pas raisonnable de diminuer de 40 millions d’euros les crédits du programme 150, qui finance les universités, ou de baisser de 260 millions d’euros le budget du programme 172, qui regroupe les crédits à destination de la recherche.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je vous sais gré d’avoir reconnu que, dans l’aspect provocateur de mon amendement, il y avait une forme de forgerie qui m’a permis de m’exprimer dans le cadre de ce débat.
Pour revenir sur la question de l’ANR, vous le savez peut-être, je suis chercheur en sciences humaines. Ce qui peine mes collègues, c’est que le nombre de projets en sciences humaines et sociales a malheureusement été divisé par deux aujourd’hui. Au-delà de la hausse des crédits de l’ANR, il faut trouver des formes de valorisation qui permettent aux chercheurs en sciences humaines de concourir.
Personnellement, j’ai déposé trois dossiers à l’ANR. J’ai essuyé trois échecs, alors qu’il m’a été beaucoup plus facile de déposer ma demande à l’ERC. Cette situation est anormale. Actuellement, mes collègues préfèrent concourir ailleurs, notamment auprès des régions, parce qu’ils considèrent que, pour un chercheur en sciences humaines, l’ANR est devenu un guichet trop difficile d’accès.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° II-405, présenté par Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
|
|
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Vie étudiante |
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|
|
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
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Recherche spatiale |
40 000 000 |
40 000 000 |
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Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
|
|
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|
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
40 000 000 |
40 000 000 |
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Recherche duale (civile et militaire) |
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Recherche culturelle et culture scientifique |
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Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
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TOTAL |
40 000 000 |
40 000 000 |
40 000 000 |
40 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. À la suite d’une seconde délibération, le Gouvernement a fait supprimer la hausse de 20 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement du programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle », pourtant votée par les députés lors de leur première délibération.
Le Gouvernement a avancé l’argument selon lequel il fallait prendre en compte l’ensemble des moyens budgétaires et extrabudgétaires consacrés à l’innovation. Certes, d’autres dispositifs en faveur de l’innovation existent. Cependant, les aides de ce programme sont particulières et indispensables pour aider les start-up, les TPE et les PME dans les phases les plus risquées de leur développement, lorsqu’elles ne bénéficient pas encore de la solidité suffisante pour obtenir un soutien bancaire privé.
La France connaît depuis le début des années 2010 un vrai développement économique via l’innovation. Le nombre de nos start-up ne cesse de croître, notamment grâce à l’impulsion d’acteurs publics en faveur de l’innovation des entreprises. C’est le cas de Bpifrance, qui finance des projets innovants, principalement sous la forme d’aides individuelles directes aux entreprises, et notamment les PME innovantes. Ces aides sont majoritairement financées par l’État sur le programme 192, qui joue un rôle bien plus important que le Fonds pour l’innovation et l’industrie, dont personne ne comprend véritablement la vocation.
J’ajoute que ces crédits ont la particularité d’accompagner de nombreux projets au cœur de nos territoires, dans toutes les régions, et pas seulement dans des zones denses des métropoles. Ils ont donc un intérêt particulier en termes d’aménagement du territoire.
Après un abondement de 250 millions d’euros en 2011, les moyens de l’État gérés par Bpifrance ont progressivement décru pour atteindre 120 millions d’euros en 2019 et 100 millions d’euros dans le présent projet de loi de finances. Sans compter que le taux de gel des crédits ne fait que s’accroître au fil du temps, alors même que le rapport sur les aides à l’innovation, élaboré par Jacques Lewiner, Ronan Stephan, Stéphane Distinguin et Julien Dubertret, et remis au Gouvernement en mars 2018, préconise de maintenir les aides à l’innovation de Bpifrance inscrites dans le programme 192 à un niveau de 140 millions d’euros minimum. Cet amendement va dans ce sens, puisqu’il vise à augmenter de 40 millions d’euros les crédits alloués au programme 192.
Nous avons bien conscience, mais ce sont malheureusement les règles du jeu qui nous sont imposées, que le fait de prélever des crédits sur un autre programme constitue un problème de fond. Cependant, nous serions ravis que le Gouvernement propose de sous-amender notre amendement, ce qui nous permettrait de ne pas porter préjudice aux autres programmes de la mission.
M. le président. Merci, chère collègue !
Mme Sophie Taillé-Polian. Il y a tout de même une vraie difficulté à lever à cet égard.
M. le président. L’amendement n° II-476 rectifié, présenté par MM. Canevet et Delahaye, Mme Loisier, MM. Le Nay, Henno, Kern et P. Martin et Mme Guidez, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
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Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
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Vie étudiante |
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Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
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Recherche spatiale |
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20 000 000 |
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20 000 000 |
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
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Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
20 000 000 |
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20 000 000 |
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Recherche duale (civile et militaire) |
|
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Recherche culturelle et culture scientifique |
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Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
|
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TOTAL |
20 000 000 |
20 000 000 |
20 000 000 |
20 000 000 |
SOLDE |
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La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. Mon amendement est de même nature, puisqu’il vise à soutenir le développement des start-up dans notre pays. La différence entre cet amendement et le précédent, c’est que le montant du transfert de crédits s’élève à 20 millions d’euros.
J’ai conscience que le fait de soustraire des crédits à la recherche spatiale n’est pas forcément la meilleure solution – le rapporteur spécial Adnot fera peut-être une observation à ce sujet –, mais il faut bien trouver des crédits quelque part !
M. le président. L’amendement n° II-460, présenté par M. Moga, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros) |
||||
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
|
|
|
|
Vie étudiante |
|
|
|
|
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
|
10 000 000 |
|
10 000 000 |
Recherche spatiale |
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10 000 000 |
|
10 000 000 |
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
|
|
|
|
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
20 000 000 |
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20 000 000 |
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Recherche duale (civile et militaire) |
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Recherche culturelle et culture scientifique |
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Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
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TOTAL |
20 000 000 |
20 000 000 |
20 000 000 |
20 000 000 |
SOLDE |
0 |
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La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Avec cet amendement, la commission des affaires économiques souhaite interpeller le Gouvernement sur la cohérence de sa politique en faveur de l’innovation.
Nous sommes bien conscients de l’effort financier réalisé en faveur de la recherche et de l’innovation, mais l’enveloppe des aides à l’innovation, qui reste modeste, devrait être sanctuarisée. L’effort demandé au Gouvernement est limité.
Notre commission avait alerté l’année dernière sur la nécessité de ne pas descendre en dessous de 120 millions d’euros de dotations finançant les aides à l’innovation de Bpifrance. Nous étions déjà indulgents, car le rapport sur les aides à l’innovation plaidait pour ne pas descendre en deçà de 140 millions d’euros.
Aujourd’hui, le Gouvernement propose de nouveau de diminuer cette dotation, qui chuterait à 100 millions d’euros. Les politiques d’innovation doivent être claires et stables, sans quoi elles s’apparentent à de véritables coups d’épée dans l’eau.
Madame la ministre, vous nous direz probablement que le Fonds pour l’innovation et l’industrie compense cette baisse des crédits. Mais, d’une part, nous n’apprécions pas ce fonds, car il nous prive de notre droit de regard annuel sur 250 millions d’euros et, d’autre part, vous savez que la cible du plan Deep Tech n’est pas la même que celle des aides à l’innovation. Dans un cas, il s’agit de financer l’innovation à la sortie du laboratoire ; dans l’autre, il s’agit de financer toutes les entreprises innovantes de notre territoire.
Pourquoi se priver d’un tel instrument dont l’effet de levier est majeur ? Il irrigue toutes les entreprises de notre territoire, et il a prouvé son efficacité, tant au regard de la croissance des entreprises concernées que du taux élevé de remboursement des aides. Madame la ministre, pouvez-vous faire cet effort supplémentaire de 20 millions d’euros ?
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. La commission demande à leurs auteurs de bien vouloir retirer leurs amendements, faute de quoi elle y sera défavorable.
En effet, nous avons bien expertisé ce point. Dans le cadre du programme 192 – c’est plus ou moins l’argument avancé par chacun –, on a le sentiment que les crédits de Bpifrance baissent. Or, sur le front de l’innovation, Bpifrance a récupéré 70 millions d’euros en 2019, ainsi que 26 millions d’euros en exonération de charges dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale. On devrait faire preuve de davantage de modération quand on parle de baisse, surtout pour un organisme bancaire qui a fait 1 milliard d’euros de bénéfices l’année dernière.
Il faut faire attention à ce que l’on fait, surtout sur des crédits que l’on prélève sur la recherche spatiale. On en a parlé tout à l’heure : on a une dette de plusieurs années à l’égard de l’ESA qu’il faut assumer. Il faut régulariser la situation avant de pouvoir réenclencher une politique spatiale digne de ce nom, même si elle reste satisfaisante.
Sachez que l’on s’est bien penché sur la question et qu’on l’a retournée dans tous les sens. D’ailleurs, vous avez certainement vu cette valse-hésitation à l’Assemblée nationale sur des crédits qui ont d’abord été prélevés sur le budget de l’université, ce qui était une erreur magistrale eu égard aux événements que l’on a connus, avant que l’Assemblée nationale ne recule sur le sujet. Ce n’est pas pour autant que le Sénat doit faire pareil.
En tout cas, je suis très réticent face à ce type d’amendement. Je ne souhaite pas augmenter de nouveau les crédits de Bpifrance, surtout sur des postes budgétaires pour lesquels on a besoin de crédits. Même si l’un des amendements émane de votre commission, madame la présidente Primas, je reste très dubitatif.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. Je n’aurais pas pu mieux répondre. Je vous remercie, monsieur le rapporteur spécial. Tout a été dit !
En réalité, le budget consacré à Bpifrance a augmenté : aux 100 millions d’euros de crédits budgétaires, il faut ajouter 70 millions d’euros dans le budget du Fonds pour l’innovation et l’industrie et 26 millions d’euros votés dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le Gouvernement est défavorable à ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Un milliard d’euros de bénéfices… Dommage que je n’ai pas travaillé avec notre rapporteur spécial sur ce sujet, parce que je les aurais affectés directement à l’ANR ! J’ai manqué de jugeote. (Sourires.)
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. Filou ! (Nouveaux sourires.)
M. Pierre Ouzoulias. Plus sérieusement, c’est une somme considérable !
Je tiens à appeler votre attention sur le fait que mes collègues scientifiques travaillent souvent avec des bouts de ficelle. Il y a une exigence morale d’absolue transparence de l’argent public investi dans la recherche, y compris les crédits du CIR. Mais c’est un débat futur que j’amorce là…
Pour ma part, je soutiendrai la position du rapporteur spécial.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour explication de vote.
Mme Sophie Taillé-Polian. On peut aussi se poser la question de la légitimité d’inscrire les crédits dont nous parlons dans cette mission. Ne s’agit-il pas là plutôt de problématiques de développement économique ? On parle, non pas de projets qui naissent dans des laboratoires, mais vraiment d’entrepreneurs et de fonds intervenant au cœur des territoires.
Il faut également savoir que Bpifrance, pour faire face à la réduction de ses crédits, utilise ses fonds propres, notamment pour apporter sa garantie auprès d’organismes bancaires. Ne pensons pas que sa situation est florissante et que tout va bien !
On demande actuellement beaucoup à l’innovation. Il serait donc intéressant de conserver une ligne dans le budget de l’État, afin que la représentation nationale garde la main sur ce sujet.
Cela étant, je retire mon amendement à 40 millions d’euros, au profit des amendements présentés par mes collègues. En simplifiant le débat, cela permettra d’insister sur l’importance de maintenir des montants significatifs sur cette ligne budgétaire.
M. le président. L’amendement n° II-405 est retiré.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Je suis très sensible aux arguments du rapporteur spécial. Je pense que notre commission, par la voix de Jean-Pierre Moga, peut envisager de faire évoluer sa position et retirer l’amendement – en tout cas, c’est une suggestion.
Comme Jean-Pierre Moga l’a fait observer, madame la ministre, le Fonds pour l’innovation et l’industrie pose un vrai problème de transparence. On ne sait pas combien d’argent a été déboursé, ni où ni de quelle façon il a été affecté. On est un peu dans le flou. Le fait est que le Parlement – je sais bien que mes propos font assez ancien monde – aimerait bien connaître l’utilisation de ces fonds.
Par ailleurs, je rejoins Mme Taillé-Polian lorsqu’elle forme le vœu que Bpifrance conserve une place dans le budget de l’État. Cela nous permet de voir ce qui s’y passe exactement.
M. le président. Monsieur le rapporteur pour avis, l’amendement n° II-460 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Moga, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Après avoir entendu le rapporteur spécial, je retire l’amendement. Reste que je suis d’accord avec la présidente de notre commission, Sophie Primas. Il est absolument anormal que les 250 millions d’euros du Fonds pour l’innovation et l’industrie échappent complètement à notre regard de parlementaire et que nous n’ayons pas notre mot à dire sur leur répartition.
M. le président. L’amendement n° II-460 est retiré.
Monsieur Canevet, l’amendement n° II-476 rectifié est-il maintenu ?
M. Michel Canevet. Non, je le retire, monsieur le président.
L’amendement n° II-476 rectifié est retiré.
L’amendement n° II-381, présenté par M. Ouzoulias, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
|
40 000 000 |
|
40 000 000 |
Vie étudiante |
40 000 000 |
|
40 000 000 |
|
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
|
|
|
|
Recherche spatiale |
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Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
|
|
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Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
|
|
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Recherche duale (civile et militaire) |
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Recherche culturelle et culture scientifique |
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|
Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
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TOTAL |
40 000 000 |
40 000 000 |
40 000 000 |
40 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Notre rapporteur spécial Philippe Adnot a rappelé, très justement, que le Gouvernement s’était engagé en 2017 à construire 60 000 logements et qu’il y a peu d’espoir que la moitié de ces logements soient réellement livrés avant la fin de la mandature.
M. Marc Prévot, qui était chargé de ce plan, estime lui aussi, dans un journal du soir daté de ce jour, que les objectifs fixés sont absolument inatteignables.
En revanche, vous venez d’annoncer, madame la ministre, le gel des loyers pour la totalité du parc des résidents du Crous. Bien évidemment, on ne peut être que très favorable à cette mesure, qui sera prise en charge intégralement par votre ministère, à hauteur de 6 millions d’euros. Néanmoins, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2019, le Gouvernement a proposé, et obtenu, la suppression de près de 35 millions d’euros de crédits destinés à la vie étudiante. Je vous rappelle que ce montant correspond à des crédits entièrement gelés en début d’exercice et, ensuite, totalement annulés.
La loi de finances rectificative a été définitivement adoptée par le Parlement le 26 novembre. Trois jours après, vous nous informez de la mobilisation supplémentaire de 6 millions d’euros… Où les prenez-vous et pourquoi avoir annulé 35 millions d’euros sur le budget de 2019 juste avant ?
Notre amendement tente donc de rétablir un peu de sincérité budgétaire : aux 35 millions d’euros annulés, que nous restituons, nous avons ajouté les 6 millions d’euros annoncés, puis nous avons arrondi à la dizaine de millions inférieure.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. Mon collègue Pierre Ouzoulias ne sera pas surpris que la commission soit défavorable à son amendement, qui vise à prendre 40 millions d’euros sur les crédits finançant l’enseignement supérieur privé. La dépense moyenne, qui avoisine aujourd’hui 500 euros par élève, tomberait à 250 euros. Si on rapproche ce montant du coût d’un étudiant à l’université – à peu près 10 000 euros –, une telle proposition ne semble pas raisonnable.
En outre, je l’ai dit précédemment, ce n’est pas avec 40 millions d’euros supplémentaires qu’on pourra rattraper les 30 000 logements manquants. Il faut un investissement beaucoup plus important de la part des collectivités pour libérer des espaces, engager les programmes de construction et faire en sorte que l’ensemble composé de la formation et du logement soit opérationnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. L’enquête annuelle du 31 mars 2019 a recensé 30 373 places livrées ou prévues d’être livrées d’ici à 2022. Ce chiffre doit être mis en perspective, car, en réalité, de nombreux projets sont actuellement bloqués en raison, non pas des financements, mais de la disponibilité du foncier. Un certain nombre de maires, avec lesquels pourtant nous essayons de travailler en bonne intelligence sur cette question extrêmement importante du logement étudiant, soit indiquent qu’ils n’ont pas de foncier disponible, soit nous le refusent ou nous le proposent à un tel coût que, évidemment, toute opération est inenvisageable.
Beaucoup a été fait pour améliorer le logement étudiant. Vous avez rappelé, monsieur Ouzoulias, le gel des loyers. On pourrait aussi citer la trêve hivernale dans les Crous, la garantie Visale, qui a été très largement utilisée cette année par les étudiants – plus de 55 000 cautions délivrées –, ou le bail mobilité pour favoriser la colocation. Songez également à la mise en place des observatoires territoriaux du logement des étudiants et à la signature prochaine d’une convention entre l’Union sociale pour l’habitat, la conférence des présidents d’université, le Cnous et des associations d’élus, pour faciliter la mise en synergie de tous les acteurs et apporter une réponse adaptée aux besoins.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. L’amendement n° II-567, présenté par Mme S. Robert, MM. Kanner, Antiste et Assouline, Mmes Blondin, Ghali et Lepage, MM. Lozach, Magner et Manable, Mme Monier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
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+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
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|
|
|
Vie étudiante |
35 000 000 |
|
35 000 000 |
|
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
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|
|
|
Recherche spatiale |
|
35 000 000 |
|
35 000 000 |
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
|
|
|
|
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
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Recherche duale (civile et militaire) |
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Recherche culturelle et culture scientifique |
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|
Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
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|
|
TOTAL |
35 000 000 |
35 000 000 |
35 000 000 |
35 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Claudine Lepage.
Mme Claudine Lepage. Le 18 novembre dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2019, les sénateurs socialistes ont fait adopter un amendement rétablissant un montant de 35 millions d’euros destiné aux aides directes aux étudiants, que le Gouvernement supprimait. Malheureusement, le rétablissement de ces crédits n’a pas survécu à l’examen en CMP du PLFR pour 2019.
Le présent amendement tend donc à injecter dans le budget pour 2020 ces 35 millions d’euros qui auront manqué en 2019 aux aides directes aux étudiants. Ces 35 millions d’euros supplémentaires ne seront pas superflus pour renflouer les bourses, dont seul le taux sera réévalué de 1,1 % en 2020, après quatre exercices de stagnation et, donc, de baisse en valeur constante, pour accroître les aides au mérite, qui accusent en 2020 une chute pour la deuxième année consécutive, pour amplifier les aides à la mobilité internationale et aux mobilités Parcoursup ou master.
Alors que la précarité étudiante grandissante a été révélée à l’occasion du geste dramatique d’un jeune, il n’est pas responsable de poursuivre les coupes budgétaires dans les crédits de l’année en cours, crédits destinés à contribuer à remédier à ces conditions de vie et d’études déplorables.
Ce que nous proposons, ce sont 35 millions d’euros pour aider les étudiants à étudier, à se loger, à se déplacer ; bref, à réussir dans des conditions décentes !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. D’une part, ces 35 millions d’euros, pris sur la recherche spatiale, représentent une coupe non négligeable. D’autre part, comme je l’ai dit précédemment, 15 millions d’euros n’ont pas été consommés dans les crédits actuels. Ce n’est pas nécessairement la disponibilité budgétaire qui pose problème.
Comme Mme la ministre doit annoncer dans les semaines à venir, je crois, des changements dans les modalités d’attribution des bourses, je propose que nous entendions déjà ce qu’elle pourrait nous dire sur le sujet.
Vous l’avez bien compris, mes chers collègues, la commission des finances n’est pas favorable à ce qu’on retire 35 millions d’euros du budget de la recherche spatiale.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. La précarité étudiante est un sujet qui appelle de notre part à tous une très grande responsabilité. Nous sommes tous extrêmement touchés par ce qui s’est passé.
Je ne peux pas vous laisser dire, madame la sénatrice Lepage, que nous avons décidé de supprimer 35 millions d’euros. Vous savez comment fonctionnent les budgets, probablement depuis beaucoup plus longtemps que moi. Les bourses sont un programme de guichet : tant qu’il y a des demandes, nous y répondons.
En outre, voulez-vous vraiment que l’on parle des aides au mérite ? La baisse des financements correspondants est due à la baisse du montant de ces aides, laquelle a été décidée par le précédent gouvernement.
Je le répète, les bourses sont des aides de guichet. C’est pour cette raison que nous avons dégelé 41 millions d’euros sur les 76 millions d’euros mis en réserve, soit 54 % du montant global.
Évidemment, nous souhaitons tous que l’attribution des bourses sur critères sociaux corresponde à la réalité de la vie des étudiants. Je prendrai un exemple : un étudiant peut habiter à 50 mètres de son ancien domicile familial et être en rupture avec ses parents ; il peut habiter à 800 kilomètres et être hébergé dans sa famille… La distance de 250 kilomètres pour fixer le montant des bourses est-elle encore un critère que nous devons conserver ? Je travaille sur cette question avec les associations étudiantes, tout comme sur celle des seuils. Lorsque le revenu d’une famille augmente de 50 euros, doit-on priver l’étudiant d’une bourse de plusieurs milliers d’euros ?
Tels sont les sujets que nous devons traiter. C’est ensemble, je crois, que nous devons y travailler, parce que la précarité étudiante est un sujet extrêmement sérieux.
L’avis est défavorable.
M. le président. L’amendement n° II-382, présenté par M. Ouzoulias, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
|
|
|
|
Vie étudiante |
27 344 000 |
|
27 344 000 |
|
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
|
27 344 000 |
|
27 344 000 |
Recherche spatiale |
|
|
|
|
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
|
|
|
|
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
|
|
|
|
Recherche duale (civile et militaire) |
|
|
|
|
Recherche culturelle et culture scientifique |
|
|
|
|
Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
|
|
|
|
TOTAL |
27 344 000 |
27 344 000 |
27 344 000 |
27 344 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Puisque nous ouvrons le dossier des bourses, j’aimerais appeler l’attention sur le cas des étudiants de l’outre-mer poursuivant leurs études dans les universités de ces territoires, et pas en métropole.
Je rappelle que la précarité étudiante en outre-mer est supérieure de 7 points à celle des étudiants de l’Hexagone et que, par ailleurs, la vie y est plus chère, de l’ordre de 7 % à 13 %. Il serait nécessaire de prendre en compte ces deux valeurs pour apporter aux étudiants de l’outre-mer un complément de bourse, afin de leur permettre d’étudier dans de bonnes conditions.
J’évoquais précédemment le cas des étudiants qui reçoivent, de façon exceptionnelle, une bourse sur douze mois. Figurent parmi ceux-ci les étudiants d’outre-mer qui poursuivent leurs études en métropole. Leur statut privilégié est légitime au regard des surcoûts engendrés par la distance, mais il ne serait pas scandaleux que nous accordions aussi une forme de valorisation aux étudiants d’outre-mer choisissant d’effectuer leur cursus sur place.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. Vous m’en voyez désolé, mais, comme cette proposition donnerait lieu à une diminution des crédits de la recherche, ce qui n’est pas opportun, l’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. Même avis.
Je précise que les dispositifs d’attribution des bourses doivent répondre à un principe d’égalité. On ne peut pas fixer un montant de bourse sur critères sociaux en fonction du lieu de résidence de l’étudiant. Si l’on procédait ainsi, il faudrait, outre modifier la législation, se pencher sur d’autres questions, comme celle des étudiants qui étudient à Paris par rapport à ceux qui étudient dans d’autres villes de France.
L’avis est donc défavorable, mais la question sera examinée dans le cadre du revenu universel d’activité, car, là encore, c’est un vrai sujet.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote. Si vous pouviez être bref…
M. Pierre Ouzoulias. Je vais être bref, monsieur le président.
Dans le dispositif actuel, il existe déjà une différence de traitement entre les étudiants qui perçoivent une bourse pendant dix mois et ceux qui la perçoivent pendant douze mois, à savoir les étudiants en provenance de l’outre-mer, les pupilles de la Nation et les orphelins. On pourrait parfaitement utiliser le même système pour les jeunes qui étudient en outre-mer.
M. le président. L’amendement n° II-418 rectifié, présenté par MM. Raison, Milon et Perrin, Mme M. Mercier, M. Longuet, Mme A.M. Bertrand, M. Mouiller, Mme Bruguière, MM. Pierre et Mayet, Mme F. Gerbaud, MM. Savary, Calvet, Kennel et Huré, Mme Malet, M. Meurant, Mme Bonfanti-Dossat, M. Cuypers, Mme Morhet-Richaud, MM. Morisset, Bonne et Vaspart, Mme Ramond, MM. Bouchet et Bazin, Mmes Imbert, Procaccia et Gruny, M. Brisson, Mme Chauvin, MM. Genest, Sol, D. Laurent, H. Leroy, Sido et Gremillet, Mme Deroche et M. Laménie, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Recherche appliquée et innovations agroalimentaires
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
+ |
- |
+ |
- |
|
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
||||
Vie étudiante |
||||
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
20 000 000 |
20 000 000 |
||
Recherche spatiale |
||||
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
||||
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
||||
Recherche duale (civile et militaire) |
||||
Recherche culturelle et culture scientifique |
||||
Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
||||
Recherche appliquée et innovation agroalimentaires |
20 000 000 |
20 000 000 |
||
TOTAL |
20 000 000 |
20 000 000 |
20 000 000 |
20 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Voici un amendement qui a été déposé sur l’initiative de notre collègue Michel Raison, et que j’ai cosigné sans me faire beaucoup d’illusions, malgré sa grande qualité ! (Sourires.)
Il s’agit de créer un nouveau programme doté de 20 millions d’euros intitulé « Recherche appliquée et innovations agroalimentaires », afin de soutenir l’innovation dans le secteur agroalimentaire. Ainsi, nous pourrons favoriser le développement d’une capacité nationale d’innovation, dont les résultats seront utilisables par l’ensemble des acteurs du secteur, et, in fine, garantir aux consommateurs une alimentation saine, sûre et accessible à tous.
Cette proposition consacre une préconisation formulée dans le cadre des États généraux de l’alimentation, qui suggérait la mise en place d’un dispositif de soutien des instituts techniques agro-industriels.
L’amendement tend donc à diminuer les crédits des actions nos 11 et 12 du programme « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » pour les transférer vers ce nouveau programme.
Cela risque de ne pas plaire à nos chers rapporteurs spéciaux. C’est pourquoi, s’ils me le demandent, j’accepterai de retirer cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. Effectivement, la commission souhaite le retrait de cet amendement.
Ce sujet, je le sais, est un « dada » de Michel Raison, qui avait déjà déposé un amendement identique l’année dernière ou l’année d’avant. Je lui avais alors répondu que, au moment où l’INRA et l’Irstea allaient fusionner pour donner l’Inrae, – la fusion sera effective au 1er janvier 2020 – et dans la perspective de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, cette proposition me semblait un peu ambitieuse et délicate.
Je réitère : même si l’initiative est intéressante, je propose d’attendre pour la mettre en place.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Brisson, l’amendement n° II-418 rectifié est-il maintenu ?
M. Max Brisson. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° II-418 rectifié est retiré.
Les amendements nos II-427 rectifié et II-368 ne sont pas soutenus.
L’amendement n° II-378, présenté par M. Ouzoulias, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
|
|
|
|
Vie étudiante |
|
|
|
|
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
|
18 067 613 |
|
18 067 613 |
Recherche spatiale |
10 000 000 |
|
10 000 000 |
|
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
5 200 000 |
|
5 200 000 |
|
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
2 179 314 |
|
2 179 314 |
|
Recherche duale (civile et militaire) |
|
|
|
|
Recherche culturelle et culture scientifique |
246 718 |
|
246 718 |
|
Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
441 761 |
|
441 761 |
|
TOTAL |
18 067 613 |
18 067 613 |
18 067 613 |
18 067 613 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Notre rapporteur spécial a précédemment indiqué que le vote d’un amendement à l’Assemblée nationale avait conduit à retirer 20 millions d’euros au budget de la recherche. Ce montant a été restitué à la suite d’une demande de seconde délibération, mais avec un petit coup de rabot qui n’était pas prévu : 441 000 euros ont été déduits du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche agricoles.
Dans le contexte actuel, où il est nécessaire d’engager des recherches fortes pour permettre une mutation de l’agriculture, ce coup de rabot est vraiment très malvenu.
Dans cet hémicycle, nous sommes extrêmement attachés à l’enseignement agricole, qu’il soit du premier cycle, du second cycle ou du cycle supérieur. Cet amendement tend donc à restituer à l’enseignement agricole les moyens qui lui ont été enlevés à l’Assemblée nationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. Nous sommes là dans la technique budgétaire : il y a toujours un coup de rabot en seconde délibération, et l’adoption de cette mesure se heurterait à la LOLF. Je ne vais pas prétendre que cet amendement est irrecevable, mais la ponction des crédits, dans ce contexte-là, est impossible. L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. J’émets également un avis défavorable. Je crois, monsieur le sénateur Ouzoulias, qu’il y a une petite confusion dans l’objet de votre amendement.
Le transfert de 20 millions d’euros du budget des universités vers Bpifrance, du fait d’un amendement adopté à l’Assemblée nationale, y compris d’ailleurs par vos collègues communistes, n’a rien à voir avec la décision interministérielle ultérieure de répartir 18 millions d’euros sur l’ensemble des programmes. Ce sont deux choses complètement différentes !
Je pense avoir expliqué pourquoi le Gouvernement était opposé au transfert des 20 millions d’euros du programme 150 à Bpifrance. La quasi-totalité des députés présents ne l’ont pas suivi et ont adopté l’amendement, puis les fonds ont été rétablis. La décision interministérielle portant sur les 18 millions d’euros a été prise ensuite.
M. le président. L’amendement n° II-404 rectifié, présenté par Mme Berthet, MM. Pellevat et H. Leroy, Mme Morhet-Richaud, MM. D. Laurent, Meurant, Chaize et Morisset, Mmes Deromedi et Imbert, M. Milon, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Laménie, Kennel, Savary et Danesi, Mme F. Gerbaud et MM. Mayet, Cuypers et Genest, est ainsi libellé :
I. – Créer un programme :
Recherche scientifique et technologique pour la santé personnalisée
II. – En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
|
|
|
|
Vie étudiante |
|
|
|
|
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
|
|
|
|
Recherche spatiale |
|
|
|
|
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
|
|
|
|
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
|
|
|
|
Recherche duale (civile et militaire) |
|
|
|
|
Recherche culturelle et culture scientifique |
|
10 000 000 |
|
10 000 000 |
Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
|
|
|
|
Recherche scientifique et technologique pour la santé personnalisée |
10 000 000 |
|
10 000 000 |
|
TOTAL |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
10 000 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. Le concept de la « santé personnalisée » est introduit comme objectif prioritaire de la politique nationale de santé et de la politique publique de recherche et d’innovation.
Afin d’en accompagner le développement, il est proposé de flécher les financements de la recherche vers les établissements publics à caractère scientifique et technologique, les établissements publics à caractère industriel et commercial et d’autres opérateurs publics intervenant dans la recherche et développement ou l’innovation en matière de santé personnalisée.
Pour cela, cet amendement proposé par Mme Berthet tend à créer un nouveau programme au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur », intitulé « Recherche scientifique et technologique pour la santé personnalisée », en retirant 10 millions d’euros à l’action n° 03, Recherche culturelle et culture scientifique. Si toutefois il y avait une demande de retrait, je retirerai cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. Je demande le retrait de cet amendement. L’intention est louable, mais, comme pour l’amendement précédent, l’échange de crédits pose problème au regard des règles techniques de la LOLF.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Mme Laure Darcos, rapporteure pour avis de la commission de la culture. On ne peut pas retirer des crédits à Universcience, qui est déjà complètement étranglé. Je précise que ce budget dépend aussi du ministère de la culture.
Je m’oppose à une telle mesure, qui serait suicidaire pour cet établissement, qui est à l’origine de la plupart des fêtes de la science et initie tous nos jeunes aux sciences et aux technologies.
M. le président. Madame Imbert, l’amendement n° II-404 rectifié est-il maintenu ?
Mme Corinne Imbert. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° II-404 rectifié est retiré.
L’amendement n° II-105 rectifié, présenté par MM. Leleux, D. Laurent, Morisset, Lefèvre, Piednoir et Brisson, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Charon, Pellevat et Karoutchi, Mmes Bruguière et Lassarade et MM. Longuet, H. Leroy, Mandelli, Sido, Gremillet, Schmitz et Bonhomme, est ainsi libellé :
I. – Créer le programme :
Tiers secteur de la Recherche
II. –En conséquence, modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
|
|
|
|
Vie étudiante |
|
|
|
|
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
|
8 500 000 |
|
8 500 000 |
Recherche spatiale |
|
|
|
|
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
|
|
||
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
|
|
|
|
Recherche duale (civile et militaire) |
|
|
|
|
Recherche culturelle et culture scientifique |
|
|
|
|
Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
|
|
|
|
Tiers secteur de la Recherche |
8 500 000 |
|
8 500 000 |
|
TOTAL |
8 500 000 |
8 500 000 |
8 500 000 |
8 500 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Cet amendement a été déposé sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Leleux et porte sur un sujet qui lui tient à cœur, celui du tiers secteur de la recherche, un nom aux racines historiques pour le distinguer de la recherche publique et de la recherche privée, comme on distinguait le tiers état de la noblesse et du clergé. (Sourires.)
Depuis les années 1970, en écho à l’émergence dans la sphère publique de diverses controverses sanitaires, environnementales ou sociétales, plusieurs secteurs de la société civile se sont mobilisés, afin de développer leur propre capacité d’analyse, de réflexion et d’action, constituant ainsi une expertise citoyenne en contrepoint de l’expertise scientifique officielle, souvent suspectée de ne pas éclaircir correctement les enjeux d’un certain nombre de décisions publiques.
Quarante ans plus tard, la mobilisation de cette expertise citoyenne s’est considérablement développée dans les territoires, au cœur d’un secteur dénommé « tiers secteur de la recherche », qui regroupe des acteurs divers – entreprises, associations, élus locaux – associés dans des formules en réseau très variées.
Ce secteur présente aujourd’hui une réelle capacité à faire émerger des champs et des thématiques de recherche innovants et des solutions adaptées à des sujets peu pris en compte par la recherche publique ou privée, sujets que l’on peut qualifier d’orphelins. Il tend à donner un souffle nouveau à l’innovation, notamment dans le champ du numérique et de l’écologie. Il produit des segments de recherche et développement partant du terrain et des expertises associatives et entrepreneuriales en plein développement.
L’objet du présent amendement est de faire reconnaître officiellement cette approche et que ces tiers lieux puissent bénéficier, pour partie, de prérogatives comparables à celles des laboratoires de recherche traditionnelle, en termes de recours aux dispositifs financiers ou de soutien à la recherche. Il vous est donc proposé, mes chers collègues, et c’est là que le bât blesse, de financer un programme « Tiers secteur de la recherche » par un abondement de 8,5 millions d’euros prélevés sur les actions nos 11 et 12 du programme 172.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. Je demande le retrait de cet amendement. On anticipe, d’après moi, les dispositions de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Je ne sais pas si le tiers secteur sera abordé dans ce cadre, mais, de nouveau, il apparaît un peu ambitieux de créer pour lui un programme spécifique, en outre en prenant des crédits sur une ligne relativement tendue.
M. le président. Monsieur Brisson, l’amendement n° II-105 rectifié est-il maintenu ?
M. Max Brisson. Et l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Certes, mais si l’on pouvait avancer un peu plus vite, ce ne serait pas plus mal…
M. Max Brisson. M’étant entretenu avec M. Leleux, je m’attendais à cette demande de retrait, mais j’aurais bien voulu entendre Mme la ministre, en particulier pour savoir si la future loi de programmation allait aborder ce secteur intéressant et innovant.
Mme Frédérique Vidal, ministre. Je demande également le retrait de l’amendement ; à défaut, j’exprimerai un avis défavorable.
J’ai eu l’occasion d’échanger avec le sénateur Leleux sur ce sujet. Un nombre croissant de programmes de recherche, notamment dans le secteur de la santé, font participer le tiers secteur de la recherche. Dans le programme agriculture, les agriculteurs sont à bord ; dans le programme de recherche en cancérologie, les patients sont à bord !
Oui, cette participation est importante, mais nous la mettons déjà en œuvre. De là à prévoir un programme spécifique… Je pense effectivement que c’est inenvisageable, voire contraire à la recommandation de la Cour des comptes.
M. Max Brisson. Je retire l’amendement !
M. le président. L’amendement n° II-105 rectifié est retiré.
L’amendement n° II-383, présenté par M. Ouzoulias, Mme Brulin et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
8 400 000 |
|
8 400 000 |
|
Vie étudiante |
|
|
|
|
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
|
8 400 000 |
|
8 400 000 |
Recherche spatiale |
|
|
|
|
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
|
|
|
|
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
|
|
|
|
Recherche duale (civile et militaire) |
|
|
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|
Recherche culturelle et culture scientifique |
|
|
|
|
Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
|
|
|
|
TOTAL |
8 400 000 |
8 400 000 |
8 400 000 |
8 400 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Par cet amendement, nous souhaitons évoquer la situation des doctorants, qui, on l’a dit, est dramatique.
En dix ans, le nombre de doctorants a diminué de 15 %, alors que, nous en sommes tous d’accord, ils participent à la vie scientifique de leur laboratoire, portent un projet de recherche qui viendra aider leur équipe et, à ce titre, devraient avoir un statut particulier.
Aujourd’hui, de nombreux doctorants disposent d’un contrat doctoral, prévoyant, malheureusement, une rémunération de 1 700 euros bruts mensuels, soit à peine plus que le SMIC brut. D’autres sont embauchés via le dispositif des contrats Cifre, proposant un salaire nettement supérieur. Mais, dans les sciences humaines et sociales, encore 60 % des doctorants ne touchent aucune rémunération ; ils travaillent de façon tout à fait bénévole !
On parle beaucoup du taux d’abandon des études en licence. Le taux d’abandon en doctorat est aussi important : 10 % à 30 % des doctorants pour les sciences dures et 60 % en sciences humaines. C’est un gâchis incroyable ! Nous peinons déjà à emmener les étudiants au bout de leur cursus ; ne pas leur permettre, ensuite, d’aller au bout de leur thèse, c’est vraiment regrettable !
Nous aurons l’occasion d’en reparler dans le cadre de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, car, vous l’avez bien compris, madame la ministre, une bonne partie des amendements que nous présentons ici constituent une sorte de « liste de courses » : ce sont les demandes du Sénat en prévision de la discussion du texte. Le Sénat a beaucoup d’ambitions pour cette loi, qui, personne n’en doute, sera nécessairement ambitieuse.
Au sujet de la place des docteurs dans la société, il est absolument anormal que leur taux d’emploi dans la haute fonction publique soit le plus bas du monde. Il s’élève à environ 1 %, et est également très faible au sein des entreprises. Ce taux constitue l’une des difficultés majeures de la science française, qui ne peut soutenir des projets qui seront ensuite développés par les entreprises.
M. le président. Merci pour tous ces chiffres, monsieur Ouzoulias ! C’est très gentil de votre part…
M. Pierre Ouzoulias. Je suis toujours très gentil, monsieur le président. (Sourires.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. C’est bien vrai !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. Le sujet est important. Je pense qu’il sera évoqué prochainement, madame la ministre. La question est toujours la même : où prendre les fonds ? La situation des chercheurs mérite d’être améliorée. Pour autant, faut-il diminuer les crédits destinés aux projets de recherche ? L’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. Je considère cet amendement comme un amendement d’appel. Sachez que l’appel a été entendu. Nous en reparlerons dans la loi de programmation pluriannuelle de la recherche. En attendant, l’avis est défavorable.
M. le président. L’amendement n° II-26, présenté par M. Adnot, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
3 500 000 |
|
3 500 000 |
|
Vie étudiante |
|
|
|
|
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
|
|
|
|
Recherche spatiale |
|
3 500 000 |
|
3 500 000 |
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
|
|
|
|
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
|
|
|
|
Recherche duale (civile et militaire) |
|
|
|
|
Recherche culturelle et culture scientifique |
|
|
|
|
Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
|
|
|
|
TOTAL |
3 500 000 |
3 500 000 |
3 500 000 |
3 500 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. L’enseignement privé est budgétairement maltraité : les fonds ont diminué de 46 % en très peu de temps. Ce n’est pas acceptable ! Si tous ces étudiants devaient être formés dans le secteur public, le coût s’élèverait à 110 000 fois 10 000 euros. La charge serait très élevée. Aujourd’hui, le coût est minime. Il serait raisonnable de pouvoir doter les Eespig de manière convenable.
Madame la ministre, vous me direz qu’une réserve de 3,5 millions d’euros sera débloquée. Cependant, cette somme sera affectée, non pas aux Eespig, mais à la formation professionnelle ; ce financement était déjà prévu par une convention. Votre argument ne tient pas. Je maintiens donc mon amendement, qui vise à réattribuer 3,5 millions d’euros aux Eespig.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. Effectivement, 3,5 millions d’euros seront dégelés en fin d’année. Les Eespig ont bénéficié de 81,7 millions d’euros, et 99,7 % des crédits ouverts du programme ont été affectés. L’avis est donc défavorable.
M. le président. L’amendement n° II-289 rectifié bis, présenté par MM. Poadja, Kern, Laugier, Gremillet, Détraigne et Janssens, Mme Joissains, MM. Henno et Longeot, Mme Loisier, MM. Moga, Capo-Canellas et Canevet, Mmes Doineau et Billon et M. Delcros, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
(En euros)
Programmes |
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||
|
+ |
- |
+ |
- |
Formations supérieures et recherche universitaire dont titre 2 |
|
2 600 000 |
|
2 600 000 |
Vie étudiante |
2 600 000 |
|
2 600 000 |
|
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires |
|
|
|
|
Recherche spatiale |
|
|
|
|
Recherche dans les domaines de l’énergie, du développement et de la mobilité durables |
|
|
|
|
Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle dont titre 2 |
|
|
|
|
Recherche duale (civile et militaire) |
|
|
|
|
Recherche culturelle et culture scientifique |
|
|
|
|
Enseignement supérieur et recherche agricoles dont titre 2 |
|
|
|
|
TOTAL |
2 600 000 |
2 600 000 |
2 600 000 |
2 600 000 |
SOLDE |
0 |
0 |
La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. Le présent amendement, déposé par mon collègue Gérard Poadja, vise à transférer 2,6 millions d’euros de crédits de l’action n° 14, Immobilier, du programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire », vers l’action n° 01, Aides directes, du programme 231 « Vie étudiante ». Cette somme correspond au montant que coûterait l’octroi de bourses aux étudiants calédoniens qui ont vu leur demande refusée, en raison de l’inadaptation des plafonds d’éligibilité « métropolitains » à la vie particulièrement chère en Nouvelle-Calédonie.
En 2015, l’écart de prix moyen entre la Nouvelle-Calédonie et la métropole était de 33 %. Il atteignait même 73,4 % pour les produits alimentaires, 63,6 % pour les communications et 37,1 % pour le logement. Ces caractéristiques propres à la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie appellent donc une modulation spécifique des critères d’éligibilité aux bourses. Aujourd’hui, seulement 27 % des étudiants calédoniens remplissent les critères d’éligibilité pour les bourses, contre 38 % des étudiants en métropole et 63 % dans le reste des outre-mer.
En abondant les crédits des bourses sur critères sociaux, l’État rend possible la proposition d’une modulation des critères d’éligibilité pour les territoires spécifiques de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie, afin que les enfants issus des familles modestes ne soient pas privés de la chance de poursuivre un cursus dans l’enseignement supérieur. En effet, les jeunes Calédoniens doivent pouvoir bénéficier des mêmes chances que ceux de la métropole. La vie est bien plus chère en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Les plafonds doivent être en adéquation avec le coût de la vie dans ces territoires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. Un grand nombre de dispositifs existent déjà pour les étudiants de Nouvelle-Calédonie. La commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-289 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisi d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
(Les crédits sont adoptés.)
M. le président. J’appelle en discussion les articles 76 sexdecies et 76 septdecies, ainsi que les amendements portant article additionnel, qui sont rattachés pour leur examen aux crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
Recherche et enseignement supérieur
Article additionnel avant l’article 76 sexdecies
M. le président. L’amendement n° II-389 rectifié, présenté par MM. Bocquet et Savoldelli, Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Avant l’article 76 sexdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conséquences pour les finances publiques d’une gratuité des inscriptions dans les établissements d’enseignement supérieur public et d’une compensation de l’État en direction des établissements de la perte de ces ressources propres.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Je remercie vivement la séance et la commission de leur mansuétude, qui me permet d’évoquer le problème des droits d’inscription à la suite de la récente décision du Conseil constitutionnel. La séance m’a proposé de déposer un rapport, dont je connais le funeste destin. Je peux néanmoins lancer le débat.
Les droits d’inscription à l’université sont fixés par arrêté, à la suite d’une disposition introduite dans la loi budgétaire de 1951, à l’époque où les étudiants étaient très peu nombreux et où l’État fixait aussi les prix d’entrée pour le musée du Louvre. Aujourd’hui, le nombre d’étudiants est nettement supérieur. Les sommes que représentent ces droits d’inscription sont beaucoup plus importantes. Je demande donc à la Haute Assemblée s’il ne serait pas temps de faire passer la fixation des droits d’inscription du cadre réglementaire au cadre législatif, pour que chaque année, lors de la discussion budgétaire, nous puissions mener une réflexion commune sur leur montant.
Cette réflexion est d’autant plus nécessaire que certaines disparités sont incompréhensibles. Est-il légitime de faire payer des droits d’inscription aux doctorants ? Ils s’élèvent à 243 euros pour les dentistes, 502 euros pour les médecins et 159 euros pour les vétérinaires. Pourquoi de telles disparités ?
M. Laurent Lafon. Ce n’est pas l’objet de l’amendement !
M. le président. Il s’agit d’une demande de rapport.
M. Pierre Ouzoulias. Tel est l’objet de l’amendement. Je m’en tiendrai là.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. Nous sommes nombreux à avoir été surpris par la décision du Conseil constitutionnel. La France serait donc prête à former gratuitement tous les étudiants du monde… Voilà qui serait un peu particulier. En attendant les éclaircissements du Conseil d’État, l’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Ma question était simple : est-il légitime que le Gouvernement fixe par arrêté le montant des droits d’inscription ? Ne serait-il pas plus logique de le faire dans le cadre d’une discussion budgétaire ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° II-389 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 76 sexdecies (nouveau)
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport sur les moyens d’améliorer la pertinence de l’indicateur « Qualité de la gestion immobilière » du programme « Formations supérieures et recherche universitaire ».
Ce rapport veille notamment à proposer des sous-indicateurs ou des agrégats susceptibles d’appréhender le coût de l’occupation des biens immobiliers rapporté aux publics accueillis et l’importance des dépenses d’entretien au regard des surfaces afin que les pouvoirs publics puissent s’assurer du bon emploi du patrimoine mis à la disposition des universités et, le cas échéant, ajuster la dotation de fonctionnement qui leur est allouée.
M. le président. L’amendement n° II-24, présenté par M. Adnot, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. La commission des finances a une doctrine : limiter autant que faire se peut les demandes de rapport.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l’article 76 sexdecies est supprimé.
Article additionnel après l’article 76 sexdecies
M. le président. L’amendement n° II-470 rectifié bis, présenté par M. Kern, Mme Troendlé et MM. Kennel, Reichardt, Danesi, Jacques Bigot, Le Nay, P. Martin, Delcros et Canevet, est ainsi libellé :
Après l’article 76 sexdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – À compter de l’entrée en vigueur du II de l’article 43 de la loi de finances pour 2000 (n° 99-1172 du 30 décembre 1999), les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel sont exonérés de la taxe sur les installations nucléaires de base.
II. – À compter de l’entrée en vigueur de l’article 96 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel sont exonérés de la contribution annuelle au profit de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire due par les exploitants des installations nucléaires de base.
III. - Les I et II entrent en vigueur au 1er janvier 2021.
IV. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Michel Canevet.
M. Michel Canevet. L’université de Strasbourg a exploité un réacteur nucléaire pendant un certain temps. Elle était redevable, à ce titre, de la taxe sur les installations nucléaires de base et d’une contribution supplémentaire au profit de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
Le réacteur universitaire de Strasbourg n’est plus exploité depuis 1997, à la suite de décisions ministérielles. L’université de Strasbourg est cependant toujours redevable de cette taxe, ce qui est tout à fait anormal, d’autant plus que ce réacteur avait pour but non de produire de l’énergie exploitable, mais d’étudier les questions d’irradiation et de production de radioisotopes. Il avait un caractère pédagogique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. Nous sommes évidemment très favorables à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame la ministre, acceptez-vous de lever le gage ?
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° II-470 rectifié ter.
Je le mets aux voix.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 76 sexdecies.
Article 76 septdecies (nouveau)
Avant le 1er juillet 2020, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l’application de la stratégie d’attractivité « Bienvenue en France ». Ce rapport veille notamment à présenter de manière exhaustive les données et statistiques afférentes à la mise en place des droits d’inscription différenciés pour les étudiants en mobilité internationale.
M. le président. L’amendement n° II-25, présenté par M. Adnot, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Philippe Adnot, rapporteur spécial. Comme précédemment, il s’agit de supprimer un article prévoyant un rapport.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l’article 76 septdecies est supprimé.
Article additionnel après l’article 76 septdecies
M. le président. L’amendement n° II-391 rectifié, présenté par Mme Berthet, MM. Pellevat et H. Leroy, Mme Morhet-Richaud, MM. D. Laurent, Meurant, Chaize et Morisset, Mmes Deromedi, Imbert et Bonfanti-Dossat, MM. Laménie, Milon, Kennel, Savary et Danesi, Mme F. Gerbaud et MM. Mayet, Cuypers et Genest, est ainsi libellé :
Après l’article 76 septdecies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 113-2 du code de la recherche est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, le mot : « quatre » est remplacé par le mot : « cinq » ;
2° Le d est ainsi rédigé :
« d) La recherche, l’innovation et le transfert de technologies dans les domaines identifiés pour la santé personnalisée ; »
3° Après le même d, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …) Des programmes mobilisateurs pluriannuels qui font appel à ces différentes catégories d’action. Ces programmes mobilisent autour des grands objectifs d’intérêt national retenus par le Gouvernement tant des crédits budgétaires que d’autres moyens apportés par les organismes publics de recherche, les laboratoires universitaires, les entreprises nationales, les centres de recherche et les entreprises privés. Ces crédits peuvent être révisés lors des examens annuels des projets de loi de finances. »
La parole est à Mme Corinne Imbert.
Mme Corinne Imbert. À l’occasion du huitième conseil stratégique des industries de santé des 9 et 10 juillet 2018, le Gouvernement a présenté plusieurs mesures visant à améliorer la compétitivité et l’attractivité de la France dans le domaine de la santé, notamment dans la recherche et le développement des biomédicaments et des thérapies innovantes. Ces mesures visent notamment à permettre le développement d’une filière de médicaments de thérapie innovante.
Pour encourager et accompagner la structuration de cette filière d’excellence, il est proposé de lui assurer une prévisibilité et une stabilité financières nécessaires à son développement, en instaurant une programmation pluriannuelle des crédits alloués.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-François Rapin, rapporteur spécial. Je considère qu’il s’agit d’un amendement d’appel. Le développement à venir du concept de santé personnalisée peut être très intéressant. Des filières sont d’ailleurs déjà mises en place. Cependant, mettre la question en lumière en insérant un nouvel article au sein du projet de budget ne me paraît pas nécessaire. J’en demande donc le retrait.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Imbert, l’amendement n° II-391 rectifié est-il maintenu ?
Mme Corinne Imbert. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° II-391 rectifié est retiré.
Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».
3
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, samedi 30 novembre 2019 :
À dix heures trente, l’après-midi et le soir :
Nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 151, 2019-2020) ?
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le samedi 30 novembre 2019, à une heure trente.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication