M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Excellent collègue !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. … ici présent, a joué un rôle majeur.
Je n’ignore pas que la relation entre l’Union européenne et la Turquie recouvre des enjeux variés, y compris migratoires, mais nous devons marquer notre solidarité envers Chypre et, sans nourrir l’escalade dans un contexte tendu, veiller à ce que ces violations du droit international ne restent pas sans conséquence. Madame la secrétaire d’État, quelles mesures pouvons-nous attendre de l’Union en ce sens ?
J’ai bien conscience de ne pas avoir pu évoquer, dans cette intervention liminaire, tous les sujets abordés lors du dernier Conseil européen. J’ai en effet focalisé mon attention sur les points qui me semblent les plus décisifs au regard de l’identité et de l’intégrité de l’Union européenne. Je sais pouvoir compter sur mes collègues pour compléter utilement notre débat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État, qui souhaite répondre aux trois présidents de commission.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Merci, madame la présidente.
J’ai été interrogée par M. le président Cambon sur le portefeuille du prochain commissaire français. Nous cherchons à nous assurer que l’industrie, le numérique, la défense soient bien, au cœur de cette nouvelle Commission, portés par le candidat que le Président de la République proposera à Ursula von der Leyen dans les prochains jours. Sur son profil type, son portrait-robot, si je peux m’exprimer ainsi, il faut qu’il s’agisse de quelqu’un susceptible de gagner la confiance du Parlement européen et travailler avec lui à obtenir des résultats. Au fond, la question est la suivante : comment créons-nous concrètement des emplois en Europe dans les domaines industriels, numériques, et dans le secteur de la défense ? Nous cherchons non pas une figure, mais un candidat qui aura la capacité de porter devant le Parlement le projet ambitieux du Président de la République, qui, parfois, fait grincer un peu les dents.
Vous m’avez aussi interrogée sur la nomination d’un commissaire britannique. Je rappelle que c’est bien pour cette raison que le Président de la République avait fixé la date du 31 octobre. J’étais même venue m’en expliquer ici. Il fallait s’assurer qu’à l’entrée en fonction de la nouvelle Commission nous puissions être opérationnels dans sa configuration de plein exercice, c’est-à-dire sans les Britanniques. Je suis d’accord avec vous, la relation future sur l’économie, la défense, la politique extérieure, la sécurité, la culture, l’éducation, la recherche aura à être reconstruite. Néanmoins, je le répète, l’échéance du 31 octobre nous permettait d’avoir une position cohérente.
Nous le savons, si le Royaume-Uni est encore membre de l’Union européenne après l’entrée en fonction de la nouvelle commission, dorénavant fixée au 1er décembre, la question va se poser. C’est donc pour cela que nous travaillons à des échéances les plus claires et les plus rapprochées possible. Si un commissaire doit être nommé, il faut une décision à l’unanimité de tous les chefs d’État et de gouvernement, puisqu’il faudra changer des textes qui requièrent une telle unanimité. C’est beaucoup de travail et de procédures. C’est surtout nous retrouver dans une situation que nous ne voulions pas, c’est-à-dire que le Brexit perturbe notre capacité à nous donner des objectifs et des priorités pour les citoyens de l’Union.
Je répondrai bien entendu ensuite aux questions que les sénatrices et les sénateurs m’auront posées, mais je veux m’attarder un instant sur l’élargissement. Pourquoi avons-nous refusé de découpler ? Le Président de la République a pensé qu’il s’agissait d’une stratégie funeste pour la stabilité de la région. C’était aussi l’avis de très nombreux chefs d’État et de gouvernement. Si, d’un côté, nous disons « oui » à la Macédoine du Nord, mais que nous laissons l’Albanie au milieu du gué, sans perspective, sans trajectoire, tous les efforts que nous faisons pour stabiliser le Kosovo, sachant qu’il y a des minorités albanaises dans l’intégralité des pays de la région, seront réduits à néant.
En outre, nous avons constaté que des réformes demandées en juin 2018 et en juin 2019 n’étaient pas arrivées à leur terme en Macédoine du Nord, et que d’autres réformes demandées en Albanie n’étaient pas non plus mises en œuvre complètement. Il était alors difficile de dire qu’avec la même méthode nous arrivions à des conclusions différentes.
Le point clé de notre démarche, monsieur le président Bizet, c’est non pas de proposer une solution alternative, mais de travailler avec ces pays pour qu’ils puissent rejoindre l’Union européenne en ayant franchi les étapes initiales que nous leur avons fixées. C’est un processus par étapes, et nous ferons des propositions à la Commission, propositions que nous avons partagées, depuis déjà quelques mois, avec nos partenaires. Je ne parlerai pas de statut intermédiaire. À mon sens, ce n’est pas forcément le statut qui compte, mais il faut que nous puissions apporter à ces pays la possibilité d’avoir un accès graduel, séquentiel aux politiques, en commençant, peut-être, par la politique agricole, la politique de cohésion, la politique d’innovation, pour, in fine, accéder au marché intérieur et au Conseil européen.
Aujourd’hui, c’est un processus purement juridique. Seule la Commission met de la pression, mais les populations n’en voient pas les résultats. Pour un gouvernement, c’est plus difficile de faire des réformes si la pression vient seulement de l’extérieur. Si nous arrivons à apporter aux populations des bénéfices concrets, ces peuples accorderont beaucoup de crédit à l’Europe.
M. Jean-Yves Leconte. Plus personne n’y croit dans ces pays !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Je ne vois pas non plus d’incohérence avec le discours des ambassadeurs.
Le Président de la République a déclaré que nous devions nous réinvestir dans les Balkans pour que ce ne soit pas la Chine, la Russie, la Turquie et d’autres qui viennent investir, construire des infrastructures, conclure des partenariats universitaires.
M. Jean-Yves Leconte. C’est ce qui se passe !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Nous avons relancé le plan d’engagement de l’Agence française de développement, l’AFD, pour les Balkans. Il s’agit d’engagements concrets, réaffirmés par le Président de la République.
M. Didier Marie. Ce n’est pas crédible !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Messieurs les sénateurs, ce qui n’est pas crédible, c’est de considérer que le seul outil de politique étrangère et de partenariat à notre disposition, c’est un épais formulaire de 6 000 questions envoyé à des gouvernements, qui nous permettrait de dire : « Nous avons rempli notre rôle ! » Il y a là beaucoup d’hypocrisie. Si nous voulons que ces pays s’arriment à l’Europe, nous devons leur proposer des politiques concrètes pour qu’ils ne fassent pas affaire avec d’autres puissances.
Je tiens à vous dire qu’il est dangereux et, au fond, assez dérangeant d’entendre que l’élargissement est notre seul levier de politique de partenariat.
M. Simon Sutour. C’est un engagement qui avait été pris après la guerre en ex-Yougoslavie !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Quand nous travaillons avec l’Ukraine, la Moldavie, les pays d’Afrique du Nord, nous avons d’autres leviers. Pourquoi, avec ceux-là, en serions-nous réduits à parler, en termes juridiques, d’organisation des marchés publics et de recrutement des fonctionnaires ? Je pense que nous devons muscler nos dispositifs et allier le concret au juridique. À entendre vos réactions, je pense que vous y reviendrez.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Il faut fixer la jeunesse dans ces pays.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Enfin, je terminerai par le CFP. Vous avez raison, monsieur le président Éblé, il nous faut avancer, mais aujourd’hui la proposition prétendument de consensus que la présidence finlandaise a mise sur la table a abouti à un autre consensus : aucun pays n’est d’accord !
Nous devons donc reprendre la discussion, avec une méthode différente, selon nous. Le point de départ ne peut pas être de savoir combien chacun met, à la décimale près. Peu importe que ce soit 1,065, 1,066 ou 1,067 ou 1,00, comme certains nous le disent. Vous serez d’accord avec moi, je ne connais pas de budget qui soit construit à partir d’un chiffre arbitraire décidé dans un bureau. Un budget, c’est un outil politique. Quelles priorités fixons-nous ? Quelles politiques voulons-nous reconduire ? Que voulons-nous faire de nouveau ? Sur quelles ressources nous appuyons-nous ? Je sais bien qu’il ne faut pas inventer des impôts tous les matins, mais je vous rappelle que l’Europe n’a pas de ressources propres. Tout dépend des contributions nationales, et donc des contribuables que sont les entreprises et les ménages. Tant que nous n’aurons pas eu cette discussion, qui inclut la fin des rabais et notre capacité à être cohérents, tout d’abord sur le climat, la France n’entrera pas dans des discussions de boutiquiers. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et LaREM, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, je concentrerai mon intervention sur la priorité du Brexit. Est-il permis d’être original à ce propos ? Je ne m’y autoriserai pas. Je me limiterai à trois suggestions et à une réserve, ou plutôt une manifestation de scepticisme.
La première suggestion concerne la position des Vingt-Sept sur la demande de report ou d’extension de l’article 50. Ce qui sera retenu n’est pas l’exégèse des positions des uns et des autres sur la longueur du délai, mais la capacité des Vingt-Sept à rester unis pour la suite. Si je devais résumer : peu importe le délai si nous avons l’unanimité !
M. Olivier Cadic. Bravo !
M. Philippe Bonnecarrère. Ma deuxième suggestion concerne la période de transition pendant laquelle le Royaume-Uni continuera à appliquer les règles de l’Union européenne, à savoir jusqu’au 31 décembre 2020, avec possibilité de prolongation, comme chacun sait, jusqu’à fin 2022. Si le Brexit se déclenche, par exemple, le 31 octobre, et que, le 3, le 4 ou le 5 novembre, peu importe, il ne s’est rien produit, j’entends déjà l’ironie des extrêmes sur le thème : ils vous ont menti ! Vous voyez bien que ce n’était pas si grave ! Et nous retomberons alors dans la perte de confiance à l’égard de la parole publique, ce qui n’est pas un petit problème aujourd’hui. Selon moi, il faudrait que le Gouvernement fasse la pédagogie de cette période de transition pour que chacun comprenne bien que les problèmes sont à venir.
Ma troisième suggestion concerne l’hypothèse d’un report, même modeste. Le Brexit étant entouré d’un halo d’incrédulité, je ne crois pas que nos PME soient prêtes. Tout délai doit signifier de mieux se préparer, et non de procrastiner.
La réserve que je vous ai annoncée concerne le contenu du nouvel accord dit « hybride ». Pour les uns, l’Irlande du Nord est dedans, et pour les autres elle est dehors. Quand dans un contrat, une partie comprend A et l’autre partie comprend B, il n’est pas nécessaire d’être un grand juriste pour prévoir des problèmes qui vont impacter d’une manière ou d’une autre le marché unique.
M. Olivier Cadic. Absolument !
M. Philippe Bonnecarrère. Pour ce qui concerne les vocations à venir d’un accord de libre-échange, je suis assez sceptique bien que, vous le savez, très européen, quant à la solidité des digues face au risque d’une concurrence déloyale.
Est-ce un bon accord ? J’ai entendu, madame la secrétaire d’État, votre réponse affirmative et ne demande qu’à vous croire. Je comprends, sans difficulté, qu’un accord est préférable à un no deal. Mais il sera à l’évidence nécessaire d’approfondir la compréhension de sa teneur, de ses détails et de ses mécanismes avant d’énoncer qu’il s’agit d’un bon accord.
La démarche actuellement entamée par le Parlement britannique, consistant à examiner le détail de l’accord, est, je crois, un modèle à ne pas négliger pour le Parlement européen. Je regrette que le Parlement français – mais telles sont nos règles institutionnelles – ne puisse faire le même exercice. Nous en mourons pourtant d’envie ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions.)
M. Olivier Cadic. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois encore, le Conseil européen s’est penché sur l’inévitable Brexit. Alors que la date butoir du 31 octobre approche, le feuilleton continue… Le 19 octobre dernier, journée prématurément qualifiée de « super samedi », n’a pas permis de clarifier la situation malgré un accord remanié. Le débat d’hier à la Chambre des communes a encore une fois souligné la confusion.
Dans ces conditions, la question d’un report se pose à nouveau. Berlin vient d’ouvrir la porte à un éventuel report technique. Quelle est la position française sur le principe d’un nouveau délai jusqu’au début de l’année 2020 ?
Madame la secrétaire d’État, comme vous avez eu l’occasion de le souligner devant notre commission des affaires européennes il y a quelques jours, nos intérêts frontaliers directs avec la Grande-Bretagne nous obligent à favoriser les conditions d’un retrait négocié. Toutefois, le Brexit étant l’otage de la politique intérieure britannique, l’Union européenne doit aussi en appeler à la responsabilité de Londres.
Nous devons désormais avancer, en refermant le plus rapidement possible ce chapitre du Brexit, car l’Union européenne a de nombreux autres chantiers à poursuivre.
Parmi ceux-ci, je reviendrai sur les négociations autour du cadre financier pluriannuel 2021-2027. Les conclusions du Conseil invitent à la présentation d’un cadre assorti de chiffres d’ici à la fin de l’année. Mon groupe y sera attentif. En attendant, nous connaissons les grandes priorités retenues, sur lesquelles on ne peut que s’accorder, qu’il s’agisse du soutien à la recherche et l’innovation, à l’investissement, à la politique de migration, de gestion des frontières et de défense… Tout cela va dans le bon sens puisqu’il s’agit d’encourager la mutualisation des moyens pour affronter des défis qui se posent à nous au niveau mondial ; et ils sont nombreux.
Pour autant, j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler ici, mon groupe est attaché à la préservation des moyens des politiques traditionnelles, compte tenu des enjeux qui se jouent aussi à l’échelle de nos territoires. Je pense bien sûr à la PAC ainsi qu’à la politique de cohésion qui sont, hélas, touchées par des réductions budgétaires décidées par la précédente Commission.
J’ai entendu que l’évolution de la part de l’enveloppe dédiée à la PAC n’était pas le point le plus important, mais qu’il fallait plutôt se pencher sur ce que l’on faisait des crédits. Certes, nous sommes tous conscients, je pense, de la nécessité d’inciter l’agriculture à se transformer et à accélérer sa transition écologique. Mais cet objectif d’une agriculture plus vertueuse a un coût, en particulier dans un monde plus ouvert et compte tenu des accords de libre-échange que l’Union européenne met en place et qui ne sont pas sans impact sur le secteur agricole.
À cet égard, les agriculteurs se sont encore mobilisés ce matin même, inquiets du traité avec le Mercosur qui ouvrirait la porte à des distorsions de concurrence. Le RDSE a déjà alerté le Gouvernement sur cet accord par un texte devenu le 27 avril 2018 une résolution européenne du Sénat.
Nous renouvelons le vœu d’une vigilance particulière sur ce dossier afin que les filières, en particulier celles du sucre et de l’élevage bovin, ne soient pas fragilisées plus qu’elles ne le sont déjà.
S’agissant de la politique de cohésion, si les négociations budgétaires de la précédente programmation ont retardé la mise en œuvre des projets, on sait très bien que la sous-consommation des crédits est due à une gestion interne aux États membres, pas toujours très efficace. C’est le cas dans notre pays.
Notre collègue Colette Mélot soulève très justement, dans son rapport sur le sujet, les difficultés liées au pilotage des fonds européens en France. Il est urgent de revoir le fonctionnement de l’autorité de gestion de ces fonds pour, d’une part, multiplier les projets dont nos territoires ont besoin, et, d’autre part, ne pas voir l’Union européenne restreindre la politique de cohésion au prétexte de la sous-consommation de ses crédits.
Le Conseil européen a également échangé sur le suivi des priorités de l’Union européenne énoncées dans le programme stratégique 2019-2024. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des orientations générales, mais j’émettrai quelques souhaits portés par mon groupe.
S’agissant du volet économique, le programme stratégique évoque la nécessité d’avoir une approche plus intégrée, en matière industrielle notamment, ainsi qu’un environnement avec des règles du jeu plus équitables. Aussi faudrait-il s’y atteler plus rapidement et plus concrètement.
Je prendrai un exemple dans le domaine de l’intelligence artificielle, dont nous avons débattu récemment au Sénat et qui est un élément de la stratégie pour le marché unique numérique. C’est un domaine dans lequel nous devons absolument fabriquer un champion européen afin de ne pas laisser les États-Unis et la Chine gagner définitivement la bataille de l’intelligence artificielle, compte tenu de ses enjeux non seulement économiques mais aussi stratégiques, et j’ajouterai éthiques.
Cependant, pour y parvenir, il faudrait assouplir quelques-unes des règles du marché unique. Je pense à certains blocages de la politique européenne de la concurrence, qui interdit la constitution de leaders européens pour éviter un monopole au sein de l’Union. C’est un principe louable pour le marché intérieur, mais qui s’avère être un frein pour affronter la concurrence mondiale dans des secteurs technologiques essentiels. Il me semble que la Commission doit approfondir cette question, les projets importants d’intérêt européen commun, les PIIEC, mentionnés à l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’étant peut-être pas suffisants dans le contexte d’une guerre commerciale aujourd’hui difficile.
Enfin, je souhaitais évoquer brièvement la question de l’élargissement. La position de mon groupe a été rappelée la semaine dernière à l’occasion du débat sur l’accession de la Macédoine à l’OTAN.
Nous partageons, madame la secrétaire d’État, la position du Chef de l’État. L’élargissement ne peut pas être poursuivi sans une amélioration de la capacité d’agir en commun. En outre, nous avons besoin d’une Europe qui œuvre à une convergence sur le plan économique, fiscal et social, objectif qu’un élargissement sans bornes risquerait de compromettre.
En somme, tirons les leçons de notre passé récent pour faire de l’Union européenne une véritable zone de prospérité. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on vilipende souvent la qualité médiocre et le peu de succès à l’international des productions audiovisuelles européennes. C’est en effet vrai sur la décennie écoulée, mais les choses sont en train de changer assez rapidement.
Une série espagnole, coproduite et diffusée par un géant américain du streaming, connaît actuellement un énorme succès dans toute l’Europe et bien au-delà. La troisième saison de La Casa de Papel – c’est le nom de la série en question – vient de s’achever et, déjà, plusieurs dizaines de millions d’Européens abonnés à Netflix attendent avec impatience la sortie de la quatrième et dernière saison, prévue pour le début de l’année prochaine.
Initialement programmée pour la fin de cette année, sa diffusion a subi – c’est étrange ! – un report d’au moins quelques semaines. De quoi alimenter encore un peu plus l’incertitude quant à l’issue de cette saga mettant en scène des braqueurs issus de toute l’Europe, qui ont l’audace d’investir l’hôtel de la Monnaie espagnol, de prendre de nombreux otages, de faire durer l’opération non seulement pour s’emparer des liquidités disponibles dans la banque mais aussi pour imprimer près d’1 milliard d’euros supplémentaire en billets. À la fin de la troisième saison, le suspense est à son comble : ces Robin des Bois anti-système qui étaient parvenus à se rendre populaires auprès de l’opinion font pour la première fois couler le sang. Chacun doute qu’ils parviennent, malgré leur génie maléfique, à sortir indemnes de l’affaire…
Rien à voir, bien sûr, avec cette autre grande série – britannique cette fois et au succès d’audience paneuropéen – intitulée Brexit qui a, elle, déjà bien entamé sa quatrième saison et qui reste toujours aussi palpitante tant les rebondissements se multiplient et parviennent à nous faire encore douter de l’issue finale. (Sourires.)
Madame la secrétaire d’État, vous n’êtes sans doute pas très informée de ce que contiendra la prochaine saison de La Casa de Papel. Mais, compte tenu de votre position, peut-être en savez-vous plus sur l’issue de la série Brexit ? Que va-t-il se passer d’ici au 31 octobre ? Y aura-t-il une suite ? S’oriente-t-on vers une cinquième saison ? Retrouverons-nous les mêmes acteurs que lors de la saison précédente ? (Nouveaux sourires.)
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie bien évidemment d’excuser mon ton un peu farceur, malicieux et primesautier. Mais comme certains de mes collègues, notamment ceux qui siègent à la commission des affaires européennes, j’en suis à plus d’une douzaine d’interventions – quand on aime, on ne compte plus ! – dans l’hémicycle sur ce sujet depuis 2015… Mon imagination en matière de série à répétition n’est malheureusement pas aussi développée que celle de nos chers collègues britanniques !
Pourtant, je me soigne et j’essaie de comprendre ce qui se passe dans ce royaume britannique que j’aime tant.
Pour ce faire, j’ai la chance d’échanger fréquemment avec Denis MacShane, ancien ministre des affaires européennes de Tony Blair, europhile convaincu et « inventeur » du terme « Brexit » en 2012, qui vient de faire paraître en fin de semaine passée un nouveau livre dont le titre, Brexeternity – un Brexit sans fin – résume à lui seul son sentiment : le Royaume-Uni, et accessoirement l’Union européenne, est loin d’en avoir fini avec le Brexit. MacShane considère qu’au-delà d’une mise en œuvre officielle du Brexit à court terme, son pays en aura encore au moins pour dix à quinze ans de débats passionnés sur le sujet. On appelle aussi cela un cancer de longue durée…
Comme lui, je note cependant une évolution récente assez intéressante, presque rassurante, avec l’accord trouvé entre l’Union européenne et le Premier ministre Boris Johnson la semaine passée. Dans les discours de ce dernier, qui accompagnent ses tentatives de faire approuver l’accord par son parlement, on note un début de reconnaissance, sinon à l’endroit de l’Union européenne, tout au moins à celui de l’idée européenne. C’est un premier pas, certes timide, mais cela sonne un peu comme la fin de certains discours surréels et haineux à l’endroit de l’Europe qui ont été développés ces cinq dernières années par les « Brexiters », dont Boris Johnson était un des fiers hérauts.
Car il est bien difficile aujourd’hui d’imaginer comment le Royaume-Uni pourrait s’inventer un destin national en dehors de l’Europe. Les « réalités alternatives », chères à Donald Trump et propagées à la sauce anglaise, ont à présent sérieusement du plomb dans l’aile.
Première hypothèse, au début du Brexit : la création d’une association européenne alternative à l’Union européenne, sur le modèle de l’Association européenne de libre-échange, l’AELE, des années soixante.
Le problème, c’est que le référendum sur le Brexit n’a pas du tout entraîné un effet domino sur les autres États européens, y compris ceux gouvernés par des forces eurosceptiques.
Deuxième hypothèse, évoquée par le président Cambon : le « modèle Singapour », porté par plusieurs dirigeants conservateurs, ferait du Royaume-Uni un paradis de la déréglementation fiscale et sociale par l’adoption rapide de lois fiscales très attractives pour les investisseurs étrangers.
Ce scénario est jugé totalement irréaliste, même par le Premier ministre de Singapour. Ce qui est possible pour un petit État qui n’a pas trop de charges, compte 66 millions d’habitants et affiche une dette sociale, tout en étant capable d’investir dans la défense, ne peut être appliqué dans un pays qui a déjà beaucoup dérégulé.
Le troisième scénario est le « Commonwealth revisité ».
On peut en rire ! Le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont d’ores et déjà signé des traités de libre-échange avec l’Union européenne. Seule l’Inde pouvait encore complaire à la mère patrie… Mais, lors des dernières rencontres entre Mme May et le Premier ministre Narendra Modi, celui-ci a dit à son interlocutrice : ouvrez d’abord vos frontières à nos 1,2 ou 1,3 milliard d’Indiens, et nous verrons ensuite…
Il ne reste plus que l’accord « phénoménal », selon le terme employé par Donald Trump, proposé par les États-Unis. Mais la réciprocité des flux commerciaux serait défavorable au Royaume-Uni, lequel, ne l’oublions pas, est le deuxième pays en Europe, après l’Allemagne, à avoir une balance commerciale positive avec les États-Unis. Le Trésor britannique estime qu’un tel accord ne ferait monter le PIB du Royaume-Uni que de 0,2 %, et recommande ardemment de passer de nouveaux accords avec l’Union européenne.
À défaut d’un Brexit « post-réalité », la réalité post-Brexit est aujourd’hui amère et sera sans doute cruelle demain, tant pour le peuple britannique que pour le futur de ses nations.
« There is no alternative ! », scandait régulièrement Mme Thatcher, à partir de 1979, pour justifier sa politique. Aujourd’hui, le Royaume-Uni est nu face à un destin qu’il ne maîtrise plus et qu’il semble incapable de reformuler.
En tant qu’Européens, nous avons, et nous aurons toujours, la gentillesse de discuter avec eux, et de les accueillir en cas de retour dans l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.