Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet, Mme Jacky Deromedi.
2. Engagement dans la vie locale et proximité de l’action publique. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Explications de vote sur l’ensemble
Ouverture du scrutin public solennel
Proclamation du résultat du scrutin public solennel
Adoption, par scrutin public n° 14, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
3. Offensive militaire turque au nord-est de la Syrie. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
Clôture de la discussion générale.
Adoption de la proposition de résolution.
4. Mise au point au sujet d’un vote
5. Renforcement de l’encadrement des rave-parties. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Pascale Bories, auteure de la proposition de loi
M. Henri Leroy, rapporteur de la commission des lois
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 5 rectifié de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 2 de M. Jean Louis Masson. – Rejet.
Amendement n° 11 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Rejet.
Amendement n° 14 de Mme Nicole Duranton. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 1er
Amendement n° 1 de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Amendement n° 6 rectifié de M. Jérôme Durain. – Adoption.
Amendement n° 9 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 7 rectifié de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 3 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Amendement n° 13 de Mme Nicole Duranton. – Retrait.
Amendement n° 4 de M. Jean Louis Masson. – Non soutenu.
Amendement n° 12 de Mme Nicole Duranton. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 8 rectifié de M. Jérôme Durain. – Rejet.
Amendement n° 10 rectifié de Mme Nathalie Delattre. – Rejet.
Adoption de l’article.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
7. Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État
Mme Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires européennes
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
Mme Jacky Deromedi.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 17 octobre 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Engagement dans la vie locale et proximité de l’action publique
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur le projet de loi, modifié par lettre rectificative, relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (projet n° 677 rectifié [2018-2019], texte de la commission n° 13, rapport n° 12).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote : une grande aventure commence ! (Exclamations amusées.)
Je vous invite donc, mes chers collègues, à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement (Sourires.) en l’insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers en cas de difficulté, mais je suis convaincu qu’il n’y en aura aucune !
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote. Le temps de parole imparti est de sept minutes pour chaque groupe et de trois minutes pour un sénateur n’appartenant à aucun groupe.
Explications de vote sur l’ensemble
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte, tel qu’il a été modifié par le Sénat, présente quelques petites améliorations et, manifestement, il convient de le voter, ce que je ferai, mais du bout des lèvres, parce que je considère qu’il s’agit d’une occasion manquée.
Ce projet de loi a été placé sous le signe de la proximité, mais rien n’y a trait à la proximité, si ce n’est son intitulé. Si l’on veut promouvoir la proximité, il faut dire « non » au gigantisme des intercommunalités ou des grandes régions.
Les intercommunalités comptant plus de 100 communes sont de plus en plus nombreuses. Plusieurs centaines de communes sont situées à plus d’une heure de route du siège de leur intercommunalité ! Est-ce cela que l’on appelle la proximité ? Nous avions la possibilité de régler simplement le problème, en abaissant le seuil minimal de 15 000 habitants pour les intercommunalités institué par la sinistre loi NOTRe, contre laquelle nous n’avons été que quarante-neuf à voter dans cette enceinte.
Nous avions déposé des amendements, qui n’ont pas été adoptés…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Beaucoup n’ont pas été défendus !
M. Jean Louis Masson. … parce que l’on n’a pas voulu prendre de mesures. On permet à des communes de sortir d’une intercommunalité, mais cela ne règlera rien ! Ce qu’il faut, c’est abaisser le seuil de population des intercommunalités.
Pour les grandes régions, c’est encore pire ! Je rappelle que la fusion autoritaire des régions s’est opérée sur la base d’un énorme mensonge du gouvernement Valls, qui avait dit que cela permettrait 10 milliards d’euros d’économies. Or le rapport de la Cour des comptes montre que non seulement il n’y a pas d’économies, mais qu’en fait les grandes régions coûtent cher !
Mme Nathalie Goulet. Bien sûr !
M. Jean Louis Masson. C’est une véritable aberration !
Je prendrai l’exemple du Grand Est, une région deux fois plus grande que la Belgique. Il faut vraiment être tombé sur la tête pour vouloir faire une telle région ! Une conseillère régionale de l’ex-région Champagne-Ardenne m’a écrit en ces termes : « Étant élue régionale du trop grand Grand Est et habitant dans la Marne, pour aller au chef-lieu, à Strasbourg, c’est 332 kilomètres, soit 664 kilomètres aller-retour ! » Est-ce cela, la proximité ?
En guise d’économies, le Grand Est a augmenté de 51 % les frais de réception et de déplacement. (Exclamations.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean Louis Masson. La Cour des comptes vient d’établir que le Grand Est détient le record de France pour l’augmentation du régime indemnitaire,…
Mme Catherine Troendlé. Cela n’a rien à voir !
M. Jean Louis Masson. … avec plus de 28 % de hausse ! Il est dommage que je ne dispose pas de plus de temps, car j’aurais pu en dire davantage…
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc, après quinze jours de débats, parvenus au moment du vote dit « solennel » sur le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, déposé en juillet dernier.
Au-delà de nos débats dans cet hémicycle ou en commission, nous avons effectué, les uns et les autres, de nombreux déplacements sur le terrain et rencontré beaucoup d’élus locaux, en vue d’améliorer, parfois de transformer, certaines parties du texte pour le rendre plus efficace et plus pertinent. Nous avions tous pour objectif d’apporter aux élus locaux des réponses à un certain nombre de problématiques –vous avez régulièrement utilisé, monsieur le ministre, le terme « irritants » – et de difficultés rencontrées dans l’exercice d’un mandat local depuis que se sont empilés un certain nombre de textes de loi.
Je l’avais souligné dès la discussion générale, ce projet de loi marque sinon un coup d’arrêt, en tout cas une pause, dans la démarche volontariste mise en œuvre au cours de la dernière décennie, visant à faire grossir de façon autoritaire et parfois même arbitraire les intercommunalités et à imposer le transfert à celles-ci d’un certain nombre de compétences.
Ce projet de loi s’inscrit bien évidemment dans un contexte politique et législatif. Ainsi, nous aurons à débattre très prochainement du projet de loi de finances, qui, force est de le constater, ne répondra pas aux besoins de financement des collectivités territoriales. A également été annoncé un projet de loi « 3D » –pour décentralisation, différenciation, déconcentration – aux contours encore flous, même s’ils tendent à se préciser.
Votre postulat de départ était qu’il fallait exclure les métropoles du champ du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique. Nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, il est regrettable de ne pas avoir traité de l’ensemble de l’intercommunalité dans ce texte et d’avoir disjoint communautés de communes et communautés d’agglomération, d’une part, et communautés urbaines et métropoles, d’autre part. Mais, rassurez-vous, nous serons présents pour débattre du prochain texte et nous défendrons un certain nombre de positions inspirées par les remontées du terrain.
Une crise de l’engagement et une inquiétude profonde, dont la presse s’émeut depuis de nombreux mois, se manifestent. Il se peut en effet que, dans de nombreuses communes, les listes électorales soient incomplètes, voire inexistantes.
Vous avez dit, monsieur le ministre, qu’avec ce texte il ne s’agissait ni d’un big-bang ni du grand soir. Je le confirme, il en est bien ainsi ! À l’issue de ces quinze jours de débat, il apparaît que le projet de loi apporte un certain nombre de réponses aux problématiques soulevées. Il faut s’en féliciter et savoir le souligner. Des dispositions permettront de faciliter au quotidien l’exercice des mandats locaux, et plus particulièrement de celui de maire. Il subsiste cependant des déceptions et des manques, notamment quant à la place que nous entendons donner à l’intercommunalité dans notre pays.
La crise de l’engagement n’est pas seulement liée à la problématique de l’intercommunalité, aux pouvoirs de police ou à la question du statut de l’élu : nous ne nous faisons pas d’illusions sur ce point. Elle s’explique aussi par les difficultés auxquelles sont confrontés les élus, notamment les maires, en termes de présence des services publics dans leur territoire. Ils doivent ainsi se mobiliser régulièrement pour obtenir le maintien qui d’un bureau de poste, qui d’une classe ou d’une école, qui d’une gare ou d’une halte ferroviaire, qui d’une trésorerie… Cela nous ramène au débat sur la présence de l’État, d’un État qui n’impose pas mais qui accompagne, aide à la prise de décision et sécurise l’exercice du mandat d’élu local au quotidien.
Notre groupe a toujours soutenu le renforcement de la place de la commune au sein de l’intercommunalité : le travail sénatorial a abouti à des évolutions du texte en ce sens. Il n’est pas question d’opposer l’une à l’autre, mais il n’y aura d’intercommunalité répondant réellement aux besoins des populations que lorsque toutes les communes qui la composent auront leur place en son sein et pourront jouer pleinement leur rôle.
La tarification sociale de l’eau devra faire l’objet d’un débat à l’avenir. Nous devrons réfléchir à cette question, qui sera sans doute soulevée lors de la prochaine campagne électorale.
La quatrième partie du texte concerne le statut de l’élu : même si cette expression n’y figure pas, elle a été employée par la presse, dans toute sa diversité. J’ignore s’il faut ou pas la consacrer par la loi, mais élaborer un tel statut est nécessaire pour améliorer et sécuriser à la fois l’exercice et la sortie du mandat d’élu local. Un certain nombre de mesures ont été adoptées à cette fin, visant par exemple à la prise en compte des frais de garde ou à la réévaluation des indemnités des élus des plus petites communes. Par ailleurs, une réflexion est en cours sur la formation ; nous devrons continuer à travailler sur ce sujet.
Notre groupe votera ce projet de loi. Nous serons attentifs, monsieur le ministre, aux propos et aux préconisations que vous adresserez à la majorité de l’Assemblée nationale. Nous serons également attentifs, chers collègues de la majorité sénatoriale, au débat qui se tiendra au sein de la commission mixte paritaire et au maintien, dans le texte qui en résultera, des avancées introduites ces derniers jours par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’il est difficile, en France, d’échapper à la tentation de concentrer, de centraliser et d’uniformiser tout ce qui relève du politique et de l’administration !
Cette obsession, qui remonte au moins à Philippe le Bel, a été partagée par tous ses successeurs et, contrairement à ce que l’on croit parfois, elle s’est encore renforcée sous la Révolution, comme l’a magistralement démontré Tocqueville.
En 1800, Chaptal expliquait à l’Assemblée nationale : « Le préfet transmet les ordres au sous-préfet, celui-ci aux maires des villes, bourgs et villages, de manière que la chaîne d’exécution descend sans interruption du ministre à l’administré, et transmet la loi et les ordres du Gouvernement jusqu’aux dernières ramifications de l’ordre social avec la rapidité du fluide électrique. »
Cette description nous fait sourire aujourd’hui, quarante ans après les premières lois de décentralisation. Mais, si l’on remplace dans ce texte le politique par l’administratif, et les ministres, préfets et sous-préfets par les experts, technocrates et bureaucrates, sommes-nous encore certains que les choses ont autant changé que cela ?
Un sénateur du groupe Les Indépendants. Non !
M. Claude Malhuret. C’est bien l’un des sujets qui nous réunit aujourd’hui et cette loi NOTRe et sa rigidité éloignée des spécificités locales, véritable lit de Procuste dont nous cherchons à scier les barreaux, sont emblématiques à cet égard.
Un de nos collègues me disait que ce projet de loi était celui des frustrés de la loi NOTRe. Vous nous dites, monsieur le ministre, qu’il vise à gommer les irritants de cette loi, que l’on pourrait résumer d’une formule : « Chérie, j’ai rétréci les maires ! » (Rires et applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDSE. – M. Éric Bocquet applaudit également.) Nous ne pouvons qu’être d’accord avec votre intention.
Ce projet de loi répond selon moi à un deuxième objectif, mais je ne suis pas certain que vous l’admettriez publiquement. Il s’agit d’obtenir que les maires vous pardonnent. Oh, pas à vous, Sébastien Lecornu, en particulier, ni même au présent gouvernement, même si les élus ont parfois été traités un peu rudement au début du quinquennat,…
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
M. Claude Malhuret. … mais à tous les gouvernements et à toutes les assemblées responsables des multiples lois de décentralisation et de déconcentration mises en œuvre depuis des années, qui n’ont souvent apporté que des réponses cosmétiques aux besoins des collectivités, quand elles n’ont pas elles-mêmes aggravé les problèmes. Il en est résulté des territoires en grande difficulté, auxquels on demande pourtant de réduire leurs budgets, des élus qui ne savent plus quoi faire pour ne pas laisser dépérir leurs villages, des communes rurales sans moyens humains et financiers pour soutenir le lien social et économique. La liste des difficultés est impressionnante : classes fermées, centres-bourgs qui perdent leurs commerces, services publics menacés, finances locales asphyxiées, déserts médicaux, fracture numérique… Chacun d’entre nous sait cela.
Comme dans les romans ou les films qui se terminent bien, vous vous présentez devant nous, monsieur le ministre, dans le rôle du rédempteur. (Sourires.) Je ne sais si cette rédemption mènera au salut (Nouveaux sourires.), mais, comme vous l’avez constaté tout au long de ces débats, le Sénat non seulement ne s’y est pas opposé, mais a souhaité y participer activement. Je voudrais, à cet instant, féliciter nos deux rapporteurs, Françoise Gatel et Mathieu Darnaud, ainsi que le président Philippe Bas, qui n’ont pas ménagé leur peine.
Vous souhaitez tout d’abord renforcer le rôle des maires au sein des intercommunalités. Le Sénat a voulu consolider la place des communes et des maires dans le fonctionnement des EPCI, assouplir la répartition des compétences entre les échelons territoriaux et faciliter le fonctionnement des conseils municipaux dans les petites communes.
Vous souhaitez renforcer les pouvoirs de police du maire. Le Sénat y a ajouté les mesures de nature législative de son plan d’action pour la sécurité des maires.
Vous souhaitez simplifier l’exercice quotidien des compétences de la commune par les maires. Le Sénat a voulu étendre leurs pouvoirs et leur information.
Enfin, vous souhaitez renforcer les droits des élus locaux. Le Sénat vous accompagne, en insistant plus particulièrement sur les possibilités de formation et les conditions d’exercice de leur mandat.
Cette loi constituera-t-elle une révolution ? Non, et d’ailleurs personne ne le demandait. Car si les maires sont très critiques des lois qui régissent aujourd’hui leurs compétences et leur statut, il y a une chose qu’ils craignent plus que tout – ils ne cessent de nous le dire –, c’est un énième bouleversement qui ajouterait à ces défauts celui de l’instabilité législative, véritable plaie de notre pays.
Ce projet de loi constitue une étape. Le Gouvernement nous annonce qu’il sera suivi l’an prochain d’un texte portant sur la décentralisation, la déconcentration et la différenciation. Le Sénat, chambre des territoires, l’examinera et l’enrichira avec la même rigueur et le même sérieux que pour le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.
Le travail sera-t-il alors abouti ? Pas tout à fait, car il restera un immense chantier qu’aucun gouvernement n’a osé pour l’heure mener à bien, ce qui est pourtant l’une des conditions sine qua non pour une bonne administration des collectivités : je veux parler de la réforme courageuse de la fonction publique et de la définition d’un vrai statut de l’élu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur des travées du groupe UC.)
Il nous reste donc beaucoup de chemin à parcourir ; nous n’en sommes qu’au début, mais Aristote disait que « le commencement est la moitié du tout ». Soyons optimistes, et considérons donc que nous avons ensemble fait un pas en avant significatif. Notre groupe votera ce projet de loi tel qu’amendé par nos travaux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, dont nous venons de terminer l’examen après quarante-cinq heures de séance publique, porte l’ambition de favoriser l’engagement dans la vie locale et la proximité dans l’action publique : tout un programme ! Mais, ne l’oublions pas, ce texte est le fruit d’un contexte.
En effet, si le mouvement des « gilets jaunes » eut un mérite, ce fut celui de permettre à notre pays de redécouvrir ce que représentent vraiment les maires et les communes. Quand les uns sont les sentinelles de la démocratie, les autres sont les citadelles de la République, et, dans un pays où les corps intermédiaires sont affaiblis, le pouvoir exécutif s’est naturellement tourné vers les représentants les plus proches du terrain pour recoudre le tissu social. En loyaux soldats du bien commun, les maires ont répondu « présents », comme toujours.
La commune s’est retrouvée être une fois de plus, pour reprendre une formule chère au président Gérard Larcher, « une petite République dans la grande », une petite République au service, voire au secours, de la grande. C’est pour cela, mes chers collègues, que, dans cette situation, le Sénat n’a pas voulu, ne veut pas d’un rendez-vous manqué – d’un nouveau rendez-vous manqué, allais-je dire.
Avec la méthode et la constance qu’on lui connaît, la Haute Assemblée a donc voulu enrichir le texte en se fondant sur les travaux menés ces derniers mois notamment par la commission des lois et la délégation aux collectivités territoriales, qui ont été souvent soumis au vote du Sénat et si peu souvent repris à l’Assemblée nationale…
Je veux à cet instant féliciter nos rapporteurs, Françoise Gatel et Mathieu Darnaud, qui se sont imprégnés du texte du Gouvernement, en ont partagé les finalités et ont su nous en proposer une mouture fiable et enrichie.
Ils l’ont fait en tentant d’éviter trois écueils : la proximité des élections municipales, qui auront lieu dans cinq mois ; la diversité des sujets abordés, tant il est nécessaire, pour le législateur, d’intervenir en urgence dans des domaines où les collectivités sont en souffrance ; l’articulation avec un texte futur dont les contours restent incertains et dont on attend un nouveau souffle pour la décentralisation, une décentralisation de « nouvelle génération ».
Notre groupe, fidèle à ce qu’il est, décentralisateur et girondin, a pris toute sa part à ce travail. À de nombreuses reprises, nous avons été suivis par des collègues siégeant sur d’autres travées, qu’il s’agisse de mesures techniques de bon sens ou attendues, ou encore de vrais progrès pour nos communes et nos intercommunalités.
J’en rends grâce aux nombreux collègues du groupe présents tout au long de l’examen du projet de loi, et en particulier à mes collègues désignés chefs de file avec moi sur ce texte, Laurent Lafon et Jean-Marie Mizzon. Par exemple, sur l’initiative de ce dernier, nous avons proposé et fait adopter l’obligation de mettre en place une conférence des maires au sein de chaque EPCI et sa réunion au moins une fois par trimestre.
Je veux, à cet instant, évoquer la situation de nos collègues élus handicapés, qui souffrent d’une injustice très préjudiciable à leur engagement. Je salue les efforts annoncés ici au Sénat par vous-même, monsieur le ministre, et votre collègue du Gouvernement Sophie Cluzel à la suite de la mobilisation très forte de plusieurs membres de différents groupes, relayés en séance par le président Philippe Bas alors que leurs amendements n’avaient pas passé les fourches caudines de l’article 40.
Je ne peux pas ne pas relayer auprès de vous, monsieur le ministre, les inquiétudes de nos collègues polynésiens, très attachés au principe d’égalité, sur l’applicabilité du titre IV à la Polynésie française.
D’autres sujets brûlants mériteront d’être retravaillés : je pense notamment à la question de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les fonctions électives exécutives. Nos débats ont montré l’existence d’attentes fortes et légitimes. J’ai le ferme espoir que des réponses pourront être apportées d’ici aux élections locales de 2026.
Enfin, je le dis sans fausse pudeur à quelques semaines de l’examen dans cette enceinte du projet de loi de finances pour 2020, le sujet financier a été évité sciemment dans ce texte. Or vous n’êtes pas sans savoir, monsieur le ministre, que la meilleure des pommades pour guérir les irritants de la loi NOTRe est de nature sonnante et trébuchante… Je le dis avec humour, mais avec aussi avec gravité, car c’est un sujet sur lequel les élus locaux nous interpellent constamment, surtout lorsqu’ils découvrent que l’intercommunalité pourra rendre des compétences à ses communes membres et que les conséquences en seront financièrement non négligeables si l’on ne corrige pas le mécanisme de l’intégration fiscale.
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission des lois. Très bien !
M. Loïc Hervé. Mais les maires prennent aussi conscience du fait que c’est le budget communal, et lui seul, qui financera l’éventuelle augmentation de leurs indemnités. Vous savez très bien ce qu’est, monsieur le ministre, le budget d’une commune de moins de 3 500 habitants !
Ce sont là deux exemples, très différents, qui démontrent, s’il le fallait, que l’accompagnement financier de l’État est le corolaire indispensable de nombreuses mesures figurant dans ce texte et qui risquent, sans cet accompagnement, de n’être que des annonces.
Avant de conclure, je voudrais ajouter, dans la droite ligne des propos de Claude Malhuret, que nous aurons beau voter toutes les lois possibles et imaginables, rien ne changera vraiment si la relation de l’État avec les collectivités locales n’est pas repensée fondamentalement et si les services de l’État dans les territoires ne font pas, eux aussi, leur aggiornamento.
Hier encore, monsieur le ministre, je m’arrachais les derniers cheveux qui me restent (Rires.)…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Cela demande une certaine habileté !
M. Loïc Hervé. … en lisant une lettre adressée à un maire de mon département, tant sa teneur était éloignée des objectifs que vous professez ici avec sincérité. Il est nécessaire que les notions de liberté, de souplesse, de différenciation infusent, irradient toute l’administration territoriale de l’État.
Autant dire que nous comptons sur vous pour préserver les avancées du Sénat dans la suite de l’examen parlementaire de ce texte. Nous espérons que vous pourrez trouver, d’ici à la réunion de la commission mixte paritaire, des réponses aux nombreuses interrogations légitimement soulevées lors des débats.
En signe de cohérence avec l’ambition affichée du projet de loi et de confiance dans l’esprit qui a présidé à sa rédaction et dans les nombreux engagements que vous avez pris, les sénatrices et les sénateurs du groupe Union Centriste voteront ce texte pour favoriser l’engagement dans la vie locale et la proximité de l’action publique. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE, Les Indépendants et LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. Mathieu Darnaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, permettez-moi, à cet instant, d’ôter ma casquette de rapporteur et de retrouver une certaine liberté de ton.
Au fond, lors de l’examen de ce texte qui, en soi, ne constitue pas une révolution, nous avons avant tout voulu délivrer un message : nous entendons défendre la commune, non pas en tant qu’échelon administratif, mais comme patrie du quotidien de nos concitoyens, lesquels ont plus que jamais envie de retrouver le lien de proximité qui les unit à leur maire, à leurs élus locaux.
Depuis la plus petite, située dans la Drôme et ne comptant qu’un habitant, jusqu’à Paris, la commune a un sens profond. Nous l’avons dit et redit, elle est avant tout le creuset des solidarités, le lieu de création du lien social, une part de notre identité, cher Raymond Vall.
Mais, pour que vivent cette commune et la France communale, encore fallait-il faire œuvre utile au travers du présent texte, en faisant en sorte qu’il leur redonne du souffle et, surtout, qu’il pose un nouvel acte en matière de libertés locales. Pour ce faire, nous avons voulu remettre le maire et les élus locaux au cœur du débat, leur redonner la possibilité d’accéder à la prise de décision et permettre que la relation entre intercommunalité et communes soit fondée sur le dialogue, la cohérence dans l’action publique et, surtout, l’efficacité au service de nos concitoyens. Telle est la ligne directrice qui nous a guidés tout au long de ces cinquante heures de débat.
Afin de promouvoir la proximité, nous avons institué la conférence des maires : que chacun des maires des 35 000 communes de France puisse avoir voix au chapitre au sein de son intercommunalité est une absolue nécessité. Nous avons prévu la possibilité de redéfinir le périmètre des intercommunalités « XXL » lorsque son étendue éloigne inexorablement le pouvoir de décision du citoyen.
Pour construire l’intercommunalité de demain, le maire doit être en première ligne. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité lui redonner une place d’importance dans les commissions départementales de coopération intercommunale.
Nous avons aussi souhaité défendre le maire, sentinelle de la démocratie qui, au quotidien, peut-être malmenée. Comme M. le président de la commission des lois peut en témoigner, la consultation menée par le Sénat a permis de mettre en évidence les difficultés que rencontrent les maires et les élus locaux. Dans ce contexte, il convient de leur donner les outils qui leur permettront de mieux se défendre.
Enfin, avec l’audace du Sénat, nous avons essayé de mettre en œuvre la souplesse tant attendue, au travers des différentes délégations et des transferts de compétences à la carte. Nous espérons, monsieur le ministre, que nous serons entendus sur la neutralité financière du retour des compétences communautaires aux communes que nous appelons de nos vœux et que ce sujet pourra être débattu lors de l’examen du projet de loi de finances.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Très bien !
M. Mathieu Darnaud. Nous avons voulu faire en sorte que ce projet de loi ne soit pas simplement un texte de plus, qu’il soit utile. Nous avons cherché à en faire une boîte à outils, grâce à une série de mesures qui permettront aux élus de répondre aux attentes de la population de la façon la plus pragmatique, d’exercer les compétences à l’échelon adéquat, au plus près de nos concitoyens quand cela est judicieux, dans l’esprit de la subsidiarité, sur la base bien entendu d’une volonté partagée entre l’intercommunalité et la commune.
Cher Claude Malhuret, j’ignore si ce texte permettra de faire pardonner l’ensemble des gouvernements qui, les uns après les autres, ont peu à peu éloigné la prise de décision du citoyen. Ce qui est sûr, c’est que, à travers nos travaux, nous avons voulu délivrer un message clair : à nos yeux, la commune est la seule collectivité qui vaille dans le bloc communal, parce qu’elle représente tout pour nos concitoyens, l’intercommunalité n’en étant que le complément particulièrement utile, le lieu où se construit la mutualisation et où se développent les projets, dans le respect de l’esprit communal.
Enfin, je tiens à vous remercier, mes chers collègues, car, tout au long des débats, nous avons su nous élever au-delà de nos diverses sensibilités pour parler de la démocratie locale comme d’un trésor, affirmer l’absolue nécessité du lien entre les élus et nos concitoyens pour répondre, en partie, à la crise que traverse notre pays. Pour cela, il faut être exemplaires ; nous avons su parler de l’avenir de nos territoires de la façon la plus pragmatique possible, en démontrant notre attachement à la vitalité de notre démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC, RDSE, Les Indépendants et LaREM.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, les membres du groupe socialiste et républicain se félicitent que le Gouvernement se soit saisi des enjeux liés à la démocratie locale.
À gauche comme à droite, nous avions été étonnés par la tonalité du discours que M. Macron tenait au début de son mandat : il disait regretter le nombre trop important d’élus locaux. Depuis, la start-up nation a découvert le principe de réalité, la démocratie locale et l’importance des maires, des conseillers municipaux, communautaires, départementaux ou régionaux : à la bonne heure !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Enfin !
M. Jérôme Durain. Votre texte, monsieur Lecornu, était très ambitieux à en croire les déclarations d’intention. Au reste, je remercie nos rapporteurs du travail qu’ils ont effectué.
Oui, nous devons reconnaître quelque vertu à ce projet de loi. Il s’agit d’un texte d’amélioration des conditions d’exercice du mandat local, d’un texte correctif, à défaut d’être structurant. Il ne créera pas des vocations d’élu par milliers, mais il mettra fin à de nombreux tracas du quotidien pour les élus de la République.
Les sénatrices et sénateurs socialistes ont contribué à son amélioration, sous l’égide du président de notre groupe, Patrick Kanner, et de nos collègues chefs de file, Éric Kerrouche et Didier Marie.
Je pense au caractère obligatoire de l’institution de la conférence des maires, qui contribuera au dialogue local. Je pense aussi à l’introduction de la parité dans les fonctions exécutives pour les communes de plus de 1 000 habitants et aux progrès introduits en matière de représentation des femmes dans l’exécutif du conseil communautaire.
Nous sommes très fiers d’avoir généralisé la tarification sociale de l’eau. Pour 2 millions de Français, le montant de la facture d’eau représente plus de 3 % des revenus. Toute mesure qui permet de réduire cette proportion est utile. Nous attendons du Gouvernement qu’il pérennise le financement.
Concernant les pouvoirs de police du maire, nous sommes entrés dans le débat sans préjugés. Nous doutons qu’il faille donner toujours plus de responsabilités aux maires sans que les moyens soient au rendez-vous. Prenons garde à ne pas créer de confusion ni de frustration en matière de compétences. Cela dit, nous avons noté, comme vous tous, qu’une attente forte existe chez les élus communaux. À cet égard, le compte rendu de l’action de la police et de la gendarmerie une fois par an devant le conseil municipal sera utile. Nous avons rassuré les acteurs associatifs en excluant les personnes sans domicile fixe du champ des amendes pour occupation illégale de la voie ou du domaine public.
Si le texte a provoqué de nombreuses discussions sur les petites communes et les territoires ruraux, je tiens à signaler l’introduction d’une mesure qui pourra profiter à beaucoup de grandes villes. Elle résulte de l’adoption d’un amendement défendu notamment par ma collègue Marie-Pierre de la Gontrie, en lien avec l’adjoint communiste au logement de la ville de Paris, et soutenu par M. Karoutchi (Exclamations amusées sur des travées du groupe Les Républicains.) : c’est là un amendement typiquement sénatorial ! Pour le bien commun, il s’agit de donner la possibilité aux communes de fixer entre 60 et 120 le plafond en matière de nuitées proposées à la location pour les meublés de tourisme de type Airbnb.
S’agissant des territoires plus ruraux, nous avons donné aux élus locaux un pouvoir d’initiative en matière de révision du schéma départemental de coopération intercommunale par le biais de la commission départementale de la coopération intercommunale, la CDCI.
En ce qui concerne les droits des élus et la démocratie locale, nous avons obtenu que tous les adjoints puissent bénéficier des dispositions du code du travail pour ce qui est du droit à la suspension de leur contrat de travail et du droit à réintégration à l’issue de leur mandat. Nous avons obtenu que les conseillers communautaires en situation de handicap puissent se faire rembourser les frais spécifiques de déplacement, d’accompagnement et d’aide technique engagés pour l’exercice de leur mandat.
Toutes ces avancées, résultant de l’adoption d’amendements de notre groupe, nous ont convaincus d’apporter notre appui au projet de loi ainsi modifié par le Sénat.
Nous conservons cependant quelques regrets.
Ainsi en est-il de la fin de la participation citoyenne dans les territoires. Certes, les dispositifs existants n’avaient pas empêché la crise des « gilets jaunes », mais leur suppression n’améliorera sans doute pas la situation.
Des progrès supplémentaires auraient également pu être faits en matière de parité, avec le soutien de nombreuses associations d’élus et du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Le débat sur ce sujet reprendra sans doute à l’Assemblée nationale.
Je veux aussi signaler que certains allers-retours en matière de dates ou de transferts de compétences pourraient créer quelques difficultés à l’avenir. Nous sommes trop nombreux, à droite comme à gauche, à regretter régulièrement l’instabilité de la loi pour nous satisfaire de changements de pied incessants.
La si décriée loi NOTRe n’était certes pas parfaite (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), mais elle avait finalement été votée par presque tout le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.) Elle n’avait été repoussée que par quelques-uns !
Mme Éliane Assassi. Nous !
M. Jérôme Durain. Il ne faudrait pas que les pommades inventées aujourd’hui pour soulager quelques irritations provoquent de nouvelles démangeaisons dans nos territoires… (M. Jean-Pierre Sueur applaudit. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Certains changements de philosophie, par exemple en matière de transferts de compétences, nous laissent sceptiques. L’intégration communautaire risque d’en souffrir. L’article 17 permettra à des intercommunalités de transférer au département ou à la région des compétences qui leur ont été transférées par les communes. Alors que nos débats ont largement tourné autour du rôle central de la commune, vous avouerez, mes chers collègues, que la possibilité de transférer des compétences du bloc communal au département ou à la région sans l’aval des communes semble pour le moins discutable… (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
Les bonnes intentions concernant la rémunération des élus méritaient d’être étayées par des preuves d’amour supplémentaires. Nous sommes heureux pour les élus locaux que le Sénat se soit accordé sur une revalorisation du barème mieux adaptée aux capacités financières des communes de moins de 1 000 habitants, en l’étendant jusqu’aux communes de 3 500 habitants. Cependant, la question des villes moyennes n’est pas réglée. C’est un autre regret de taille.
Vous l’aurez compris, les sénatrices et sénateurs socialistes se satisfont des débats sur notre démocratie locale qu’a permis la discussion de ce projet de loi. Toutefois, ces débats n’épuisent pas les champs d’amélioration pour notre pays en la matière. Nous les poursuivrons à l’occasion de l’examen, l’an prochain, du projet de loi « 3D » relatif à la décentralisation.
En attendant, afin d’apporter aux élus de nos territoires un soutien à la hauteur de l’investissement qu’ils consacrent à nos concitoyens et à leurs mandats, nous suivrons avec attention la discussion du présent texte à l’Assemblée nationale, notamment s’agissant de la bientraitance fiscale.
En matière de moyens donnés aux collectivités locales, nous attendons que le Gouvernement donne des preuves d’amour lors de notre prochain grand rendez-vous, à savoir l’examen du projet de loi de finances.
Pour l’heure, notre groupe, pragmatique, mais vigilant et exigeant, votera le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est sage !
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, pour le groupe du Rassemblement Démocratique Social et Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec plus de 1 900 conseillers régionaux, 4 000 conseillers départementaux et plus de 500 000 conseillers municipaux, la France est riche de 600 000 élus locaux, qui incarnent tous ses territoires.
Les plus cyniques préfèrent mettre en avant le coût de ces élus pour les contribuables, sans mentionner le temps et le dévouement nécessaires pour assurer une fonction qui devient de plus en plus difficile. Je sais que je m’adresse, dans cette enceinte, à des convaincus, mais il fallait rappeler cette réalité, trop souvent occultée, caricaturée ou ignorée des grands médias.
Certes, le présent projet de loi ne résoudra pas tout. Néanmoins, ne cachons pas la satisfaction que nous inspirent quelques avancées qui viendront faciliter le quotidien de nos élus. Je tiens, à ce titre, à saluer chaleureusement le travail de nos rapporteurs, Françoise Gatel et Mathieu Darnaud.
Oui, les charges pesant sur les élus locaux n’ont cessé de s’alourdir ces dernières années, quelle que soit la majorité en place : baisse des dotations, transferts de charges, judiciarisation accrue… Mais c’est sans doute la loi NOTRe qui cristallise le plus les mécontentements, en particulier s’agissant de la création forcée d’intercommunalités de taille disproportionnée. (Mme Sophie Joissains applaudit.)
Certes, les maires ont su s’adapter aux regroupements et à la nouvelle répartition des compétences. Toutefois, ils ont avant tout besoin qu’on leur fasse confiance. Le maire doit retrouver sa place, au cœur de sa commune, naturellement, mais aussi, à l’avenir, au cœur de l’intercommunalité, quel que soit le poids de sa commune au sein de celle-ci. À cet égard, la conférence des maires, dont notre groupe défend l’instauration depuis longtemps, est, selon nous, le meilleur outil pour enrayer le sentiment légitime de dépossession éprouvé par de trop nombreux élus. En rendant sa création obligatoire, nous permettons à ces derniers d’être davantage informés sur les questions qui concernent leur territoire.
Toutefois, nous le savons, pour que les plus petites communes renouent des liens de confiance avec l’intercommunalité, il est indispensable qu’elles y soient mieux représentées. À cet égard, si le barème issu de la proposition de loi relative à la représentation des petites communes au sein des EPCI n’a pas été retenu, l’intégration de l’accord local est, quant à elle, bienvenue.
Par ailleurs, il est heureux que nos débats aient montré qu’une intercommunalité apaisée est une intercommunalité qui n’agit que lorsqu’elle représente l’échelon le plus efficace. Cette logique de subsidiarité avait été oubliée, tout comme la réalité des territoires et de chaque commune. De ce point de vue, l’article 17, qui autorise le transfert de compétences entre collectivités, constitue, à nos yeux, une réponse adaptée.
Par exemple, pour avoir sa propre géographie, l’eau implique une gestion qui ne correspond pas du tout aux frontières administratives. La suppression du transfert obligatoire de la compétence en matière d’eau et assainissement aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération, que notre groupe a soutenue, s’insère dans cette réalité d’une gestion différenciée des territoires qui va, finalement, dans le sens de l’histoire.
Il en est de même des plans locaux d’urbanisme intercommunaux, les PLUI. En commission, grâce à la sagesse des rapporteurs, nous avions voté un abaissement du seuil minimal de population des EPCI « XXL » afin de permettre à un plus grand nombre d’entre eux de créer des PLUI différenciés. Je me félicite que, en séance plénière, le Sénat soit allé plus loin, en accordant davantage de latitude aux maires en matière d’urbanisme, que ce soit en instaurant à leur profit la possibilité de prendre l’initiative d’une modification simplifiée du PLUI si cette modification concerne uniquement le territoire de leur commune ou en ouvrant la faculté de redonner à celle-ci la compétence en termes de droit de préemption urbain.
Cependant, l’intercommunalité n’est pas la source de tous les problèmes de nos élus, loin de là ! Dans l’exercice même de leurs fonctions, trop de contraintes les empêchent encore parfois d’accomplir leur mandat.
La question est ancienne, soulevée à chaque réforme ou lors de l’examen de chaque PLF : deux catégories d’élus locaux coexistent, avec, d’un côté, des élus urbains, issus de communes largement dotées pouvant prendre en charge des dépenses comme celles de formation ou de déplacements et indemniser correctement leurs élus, et, de l’autre, des élus de communes rurales, faiblement dotées, qui, par souci de ne pas peser sur un budget limité, préfèrent ne pas demander la prise en charge de ces dépenses par leur commune. Telle est la réalité dans beaucoup de nos régions, ainsi que nos débats l’ont bien montré.
Tout ne sera sans doute pas résolu dès le prochain renouvellement des conseils municipaux – ce n’est d’ailleurs pas la prétention des promoteurs de ce projet de loi –, mais des avancées notables ont vu le jour.
Concernant les conditions indemnitaires des élus, je me réjouis que nous ayons permis une revalorisation à la fois adaptée, progressive et soutenable pour les plus petites communes.
Je tiens également à remercier M. le ministre d’avoir permis à une personne en situation de handicap de conserver tout ou partie de son allocation aux adultes handicapés, même s’il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à une véritable équité, dont le champ ne se limite pas aux seuls élus.
Recueillent encore l’approbation des membres de mon groupe toutes les mesures visant à permettre aux élus de mieux concilier l’exercice de leur mandat avec leur vie familiale et professionnelle. Je pense, par exemple, à l’ouverture à leur profit du système de l’équivalence universitaire, que nous avons défendue.
Nos débats sur la parité hommes-femmes ont également permis d’aboutir à des compromis qui viendront assurer une meilleure représentativité de nos conseils, en particulier en garantissant la parité pour les adjoints dans les communes de plus de 1 000 habitants.
Enfin, quand les maires, jusqu’à présent à portée d’engueulade, deviennent à portée de bousculade, nous devons agir pour garantir leur protection. Aussi était-il d’important d’intégrer à ce projet de loi les dispositions législatives du plan d’action pour une plus grande sécurité des maires proposé par le président de la commission des lois.
Les membres du groupe RDSE ont pris une part active à ces débats, en particulier nos chefs de file Nathalie Delattre et Henri Cabanel, que nous remercions. Nous nous félicitons de l’adoption de nombre de leurs amendements.
À l’Assemblée nationale, désormais, de prendre ses responsabilités ! Pour l’heure, notre groupe votera ce texte, à une abstention près. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais le Sénat n’a été davantage le Sénat ! Deux semaines durant, dans cette enceinte, notre République décentralisée a subi un véritable contrôle technique. Deux semaines durant, nous avons évoqué la « sécabilité » des compétences déléguées, la problématique des périmètres intercommunaux ou encore la définition de l’intérêt communautaire : autant de questions dont l’examen est la raison d’être de notre assemblée, mais qui restent d’une affolante complexité pour le commun des mortels, d’autant que le texte que nous nous apprêtons tous à voter, si j’ai bien compris,…
M. Pierre-Yves Collombat. Pas moi !
M. François Patriat. … n’a pas gagné en clarté ce qu’il a gagné en volume. Le nombre de ses articles est passé de 36 à 123 ! J’ose le dire : nous frôlons parfois la surchauffe. En commission, puis en séance publique, on a croisé le fer à coups de termes juridiques plus tarabiscotés les uns que les autres. Certains ont fait du galimatias, d’autres, du salmigondis. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) De ce tohu-bohu législatif, que reteindront nos concitoyens, mes chers collègues ? Après tout, l’intercommunalité n’est pas leur langage, non plus que le coefficient d’intégration fiscale ou la compétence relative à la promotion du tourisme… Leur vie est taillée dans un autre bois. Leur quotidien est fait de montagne, de mer, de forêts, de villes, de villages, de plaines ou de banlieue.
M. François Grosdidier. Expliquez cela aux technocrates !
M. François Patriat. Ils se moquent bien de savoir qui trace leurs itinéraires de promenade ou collecte leurs ordures ménagères. Le citoyen n’a que faire du transfert des compétences en matière d’eau et d’assainissement ; ce qui lui importe, c’est l’eau qui coule du robinet, c’est le car qui emmène ses enfants à l’école, ce sont les nids-de-poule sur la voie communale. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mes chers collègues, comprennent-ils que nous ayons débattu durant cinq heures des modalités de désignation des vice-présidents d’EPCI au scrutin de liste ?
Mme Sophie Primas. Il aurait fallu légiférer par ordonnance ?
M. François Patriat. La vérité m’oblige à vous le dire : ils ne le comprennent pas.
Soyons animés par une seule conviction et tendus vers un seul but : le service à nos concitoyens. À charge pour nous de corriger les défectuosités, les complications et les mésaventures de la décentralisation, mais le fond de notre affaire doit rester les Français. (Huées sur des travées du groupe Les Républicains.)
Monsieur le ministre, vous avez remis l’ouvrage sur le métier. Vous nous invitez même à légiférer sur le montant des indemnités de fonction. C’est dire si vous aimez vivre dangereusement !
Avec ce texte, vous souhaitez assurer le service après-vente de la loi NOTRe, mais pas de n’importe quelle manière. Des règles du jeu ont été fixées : oui à des assouplissements correctifs, non à un nouveau big-bang territorial aux accents wagnériens.
Au fond, je déduis de votre projet de loi trois impératifs : libérer, protéger, simplifier.
D’abord, ce texte vise à libérer, mais pas au nom de n’importe quelle liberté, de celle qui tient lieu de paravent à la responsabilité. De fait, c’est une habitude bien française que de confier de la liberté à des élus et de leur contester, dès le lendemain, le droit d’en user. D’ailleurs, j’ai pu remarquer que, parmi les auteurs du millier d’amendements déposés, il n’y avait pas que des amis de la liberté. Nous ne décentralisons pas aujourd’hui qu’avec des décentralisateurs ! J’en veux pour preuve quelques opérations clandestines – je pense à l’amendement relatif à la police municipale à Paris –, voire folkloriques, allant de l’abrogation de la loi NOTRe à l’abaissement du droit de vote à 16 ans, qui, sur un malentendu, n’étaient pas loin de « glyphosater » le texte. La liberté, c’est davantage l’assouplissement des conditions de délégation de compétences entre collectivités ou encore la faculté, pour les départements, d’attribuer des aides aux entreprises.
Ensuite, ce texte vise à protéger. L’élu local exerce une profession risquée. Nous devons lui prêter main-forte et le remercier. À ce titre, les pouvoirs de police du maire ont été renforcés. L’autorité du maire, officier de police judiciaire, a été restaurée. L’engagement des élus a été mieux reconnu. La conciliation entre le mandat local et la vie professionnelle a été favorisée. Nous protégeons davantage l’élu, notamment en couvrant les coûts liés à la protection fonctionnelle que les communes doivent garantir aux maires. Nos petites communes n’ont pas été oubliées, puisque des compensations financières de l’État ont été prévues et le plafond indemnitaire a été rehaussé pour les maires et les adjoints.
Enfin et surtout, ce texte vise à simplifier les modes de gouvernance, à fluidifier la synergie avec l’échelon communal, afin que celui-ci devienne, en bout de course, la « petite République » dans la grande, à assouplir les conditions d’exercice des compétences. Bref, il s’agit d’administrer un choc de simplification pour desserrer le garrot normatif qui polytraumatise nos élus. De grâce, cessons d’appeler « vides juridiques » leurs espaces de liberté ! Comme l’a dit Paul Valéry, « un État est d’autant plus fort qu’il peut conserver en lui ce qui vit et agit contre lui ».
Madame, monsieur les rapporteurs, je tiens à vous remercier pour la masse de travail que vous avez abattue.
Mme Sophie Primas. Quand même !
M. François Patriat. Même si j’ai retenu de votre texte une conception généreuse de la subsidiarité territoriale – je pense aux EPCI à la carte, à la délégation ascendante des compétences des EPCI au département ou à la région, à la suppression des compétences optionnelles –, c’est fort heureusement que la discussion en séance a permis de revenir sur la mise à mort de l’intercommunalité en supprimant le dispositif de neutralisation du coefficient d’intégration fiscale. En toute logique, la disparition d’une charge éteint le droit à sa compensation. En appliquant la logique inverse, vous nous préparez des lendemains budgétaires quelque peu difficiles… (Mme le rapporteur le conteste.)
Mme Sophie Primas. Il ne faut pas voter la loi, alors…
M. François Patriat. Lorsque l’on fait le pari du grand chambardement, le maître mot doit être « responsabilité » !
Tout mandat électif se mesure en trois temps : à l’entrée dans le mandat, au cours du mandat et à la sortie du mandat. La réflexion sur la troisième étape mérite d’être approfondie lors de la navette. Nous voterons donc ce texte avec l’espoir que le savoir-faire accumulé par nos élus sera valorisé.
Mes chers collègues, la période des vendanges est désormais terminée. Je veux dire aux maires que je veillerai à ce que ce texte prépare, avec un peu de réussite, la République de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Ouverture du scrutin public solennel
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, il va donc être procédé, dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement, au scrutin public solennel sur l’ensemble du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.
La pédagogie étant l’art de la répétition, je vous rappelle que, si vous disposez d’une délégation de vote, le nom du sénateur pour lequel vous devez voter s’affiche automatiquement sur le terminal de vote au-dessous de votre nom. Vous pouvez alors voter pour vous-même et pour le délégant en sélectionnant le nom correspondant, puis en choisissant une position de vote.
Si vous avez donné une délégation et que vous êtes finalement présent, vous pouvez voter directement en insérant votre carte dans votre terminal de vote. La position de vote alors exprimée primera sur un vote exprimé par délégation.
Le scrutin sera ouvert dans quelques instants.
Je vous invite à insérer votre carte de vote dans le terminal.
Le scrutin est ouvert. J’invite les secrétaires, dès qu’ils auront voté, à monter au plateau pour superviser le déroulement du vote.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Plus personne ne demande à voter ?
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater les résultats du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent les résultats du scrutin.)
Proclamation du résultat du scrutin public solennel
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 14 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 338 |
Contre | 2 |
Le Sénat a adopté, dans le texte de la commission, modifié, le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et SOCR.)
La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier à mon tour, quelles que soient vos sensibilités politiques, pour la qualité de nos débats – je le dis devant vous, monsieur le président du Sénat, puisque nous avions initialement coproduit ce texte en grande partie.
Nous avons travaillé durant près de cinquante heures sur un texte qui aurait pu ne pas être consensuel du tout : bien souvent, les lois territoriales renvoient à des particularités locales, à des expériences locales qui transcendent les clivages politiques.
Nous nous étions fixé deux objectifs majeurs au titre de l’examen des quelque 1 000 amendements.
Premièrement, il convenait d’éviter de reproduire les errements de la loi NOTRe en créant des sources de déstabilisation majeure pour le prochain mandat municipal. Une génération d’élus, entre 2014 et 2020, aura déjà connu beaucoup de modifications institutionnelles. Il ne s’agissait pas de réserver à la génération 2020-2026 la même instabilité et les mêmes écueils.
Deuxièmement, il importait de connecter les questions institutionnelles et juridiques aux questions financières. Si cela avait été fait davantage lors de l’élaboration de la loi NOTRe, peut-être aurions-nous pu éviter certaines mauvaises surprises…
M. François Bonhomme. C’est sûr !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous n’avons jamais manqué de le faire, en lien avec la commission des finances. Certaines dispositions ne peuvent en effet méconnaître le travail effectué par celle-ci dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.
Monsieur le président, je remercie le Sénat de ce vote. J’y vois un encouragement à poursuivre la collaboration entre le Gouvernement et la Haute Assemblée sur les questions territoriales.
L’histoire montre que le peuple français et ses représentants sont amoureux de la liberté. Bien souvent, l’esprit de Tocqueville a soufflé dans cet hémicycle, lorsque nous avons tenté de trouver des chemins menant à davantage de liberté pour les élus locaux et les territoires. Mais nous savons aussi que, dans l’histoire politique de notre pays, le goût de l’égalité a parfois tout autant compté. On a bien vu, au cours de nos discussions, que le clivage ne se situait pas entre la gauche et la droite ni entre un ancien monde et un nouveau, mais entre ces deux valeurs de liberté et d’égalité.
Certains d’entre vous, de bonne foi, au nom de ce dernier principe, ont parfois souhaité créer des dispositifs obligatoires, non pour introduire une contrainte, mais pour s’assurer que l’égalité républicaine s’appliquerait bien, quand d’autres demandaient que l’on fasse confiance aux acteurs des territoires et s’opposaient à l’instauration de nouvelles obligations, au nom de la liberté.
La thèse exposée par Tocqueville dans De la démocratie en Amérique sera encore à l’honneur, monsieur le président Retailleau, lors de l’examen du texte à venir sur la décentralisation, la déconcentration et la différenciation. Ce beau nœud de doctrine, au sens noble du terme, dans notre esprit français, entre ces deux valeurs de liberté et d’égalité doit nous inciter collectivement à beaucoup d’humilité. La liberté, y compris locale, est un combat permanent. Je ne doute pas que nous parviendrons à mener ensemble ce combat pour les 500 000 élus locaux de notre pays. Je vous remercie encore de la qualité du travail accompli. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Républicains, UC, Les Indépendants et RDSE. – MM. David Assouline et Jean-Michel Houllegatte applaudissent également.)
M. le président. Je vous remercie, monsieur le ministre, ainsi que nos deux rapporteurs et le président de la commission des lois.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à quinze heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Offensive militaire turque au nord-est de la Syrie
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de résolution tendant à l’engagement résolu de la France en faveur de toute initiative concertée au niveau européen ou international visant à mettre un terme à l’offensive militaire menée par la Turquie au nord-est de la Syrie, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Christian Cambon et Rémi Féraud (proposition n° 53).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais associer à la présentation de cette proposition de résolution le président Christian Cambon, le président Patrick Kanner, M. Rémi Féraud et de nombreux autres collègues.
Nous ne savons pas ce qu’il va advenir de l’accord de cessez-le-feu conclu voilà quelques jours, mais s’il va à son terme, il signifiera l’éradication de la présence kurde au nord-est de la Syrie, au contact de la frontière turque. Sur ce point, les choses sont très claires.
De nombreux exemples tirés de l’histoire enseignent que les trahisons profitent rarement à leurs auteurs.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. C’est vrai !
M. Bruno Retailleau. Daech est né du chaos suscité par l’intervention américaine en Irak. Permettez-moi de saluer, à cet instant, la mémoire de Jacques Chirac, qui a su préserver la France de cette aventure hasardeuse.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Bruno Retailleau. J’évoquerai aussi le retrait précipité des troupes américaines, décidé par M. Obama, qui a conforté l’enracinement de l’État islamique.
Rappelons-nous enfin, mes chers collègues, que c’est la Turquie qui a favorisé le financement de l’État islamique en laissant pénétrer sur son territoire des camions chargés de fûts de pétrole. C’est encore la Turquie qui a laissé passer, pendant des mois, des djihadistes en provenance d’Europe, venus renforcer l’État islamique.
Aujourd’hui, les Américains, et nous aussi, sommes tentés d’abandonner nos alliés kurdes dont nous avons eu besoin hier. C’est intolérable !
Avant que je ne mette les pieds sur le sol du Kurdistan irakien, le peuple kurde était pour moi un peuple de combattants, une nation sans État. Puis il y eut Erbil, Kobané, Raqqa.
Erbil, en août 2014, je l’ai vu de mes yeux, c’était une main tendue des Kurdes à toutes les minorités que Daech tentait d’éradiquer, notamment dans la plaine de Ninive.
Ce fut ensuite Kobané et la formidable résistance des Kurdes, notamment des femmes kurdes, nouvelles Antigone de la résistance, de la dissidence. (Mme Sylvie Goy-Chavent approuve.)
Enfin il y eut Raqqa. Si les forces démocratiques syriennes à majorité kurde n’avaient pas été sur le terrain, nous n’aurions pas repris Raqqa. Nous devons la vérité à l’histoire : pendant des mois, la pointe avancée du combat entre la civilisation et la barbarie islamiste a été incarnée non par la coalition internationale, mais bien par nos amis Kurdes !
M. Christian Cambon. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. Nous devons nous en souvenir. La France et ses alliés se sont tournés vers les Kurdes pour combattre Daech. Aujourd’hui, ce sont les Kurdes qui se tournent vers nous : qu’allons-nous leur dire ?
Mes chers collègues, les choses sont très simples : l’offensive turque est à la fois moralement injustifiable et politiquement irresponsable.
Elle est moralement injustifiable, parce qu’il s’agit, ni plus ni moins, d’un nettoyage ethnique, avec son cortège d’horreurs, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vrai !
M. Bruno Retailleau. Elle est politiquement irresponsable, parce qu’elle encourage la résurgence de Daech, que nous constatons déjà. Toutes les semaines surviennent de nouveaux attentats. Et que vont devenir les 10 000 djihadistes – dont 500 Français – qui étaient placés sous la surveillance de nos alliés kurdes ? Nous courons le risque de les voir se disperser.
Mes chers collègues, cette proposition de résolution vise à affirmer solennellement que nous n’oublions pas les Kurdes qui ont payé le prix du sang pour nous, Européens et Français.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Nous voulons aussi rappeler au Gouvernement un certain nombre d’orientations – libre à lui de les suivre ou non.
Tout d’abord, monsieur le secrétaire d’État, j’estime que la France se serait honorée en rappelant son ambassadeur à Ankara.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Certes, une telle mesure n’aurait eu qu’un caractère symbolique, mais, en politique comme en diplomatie, les symboles comptent ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SOCR. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
Ensuite, nous sommes un certain nombre à penser que poursuivre le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne n’a tout simplement aucun sens. Il aurait dû être mis fin aux pourparlers. Je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, de vous faire notre porte-parole auprès des instances de l’Union européenne. Qui peut penser aujourd’hui que l’avenir de la Turquie est en Europe ?
En ce qui concerne l’action à court terme, il faut que notre diplomatie travaille à obtenir l’arrêt de cette offensive et le retrait des troupes turques, pour que nos frères kurdes puissent se réinstaller. Nous devons aussi garantir un acheminement sans entrave de l’aide humanitaire à toutes les populations, sans aucune distinction.
Pour l’avenir, je fais trois propositions.
La première concerne la coalition : le moment est venu pour elle d’actualiser sa stratégie. Où voulons-nous aller ? Par quels moyens voulons-nous poursuivre l’éradication de Daech, qui n’est toujours pas réalisée ?
La deuxième proposition concerne la France. Depuis le précédent quinquennat, notre pays s’est totalement aligné sur la stratégie américaine. Nous devons retrouver notre chemin de crête gaullien, afin que la France puisse parler à tout le monde, redevenir une puissance d’équilibre, une puissance de dialogue au service de la paix.
Il nous faut bien évidemment parler avec la Russie et M. Poutine. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire ici, nous avons commis une erreur grave en cessant tout contact avec la Syrie. Personne ici ne justifie les menées du régime syrien, évidemment, mais nous voyons bien que la marginalisation de la France dans cette région est le produit de nos erreurs diplomatiques. Nous avons abandonné notre diplomatie traditionnelle et nous nous sommes fourvoyés. Il est temps pour la France de retrouver une diplomatie conforme à ce qu’elle est.
Enfin, si elle ne veut pas quitter la scène de l’histoire, l’Union européenne doit comprendre qu’il lui faut rompre de manière très volontariste avec sa culture de l’impuissance, de l’alignement. Nous savons que les États-Unis regardent vers le Pacifique depuis la présidence de M. Obama et que le président Trump, qui pourrait être réélu dans quelque temps, n’est pas un partenaire fiable.
Au-delà, nos intérêts sont devenus divergents de ceux des États-Unis : nous devons en prendre acte. L’Amérique que nous avons aimée, qui a libéré la France en 1944 n’est plus le partenaire fiable sur lequel nous pouvons fonder notre avenir. Elle n’est plus la réassurance pour l’Europe ni même pour l’Occident. Nous devons en tirer les conclusions ; c’est ce que je vous invite à faire, monsieur le secrétaire d’État. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE et SOCR)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution qui nous est soumise invite à l’engagement résolu de la France en faveur de toute initiative concertée au niveau européen et international de nature à faire cesser l’offensive menée par la Turquie au nord-est de la Syrie.
Nous ne pouvons bien évidemment que souscrire à cette pétition de principe et renouveler, à cette occasion, la condamnation la plus totale de l’agression criminelle de la Turquie, rendue possible par le « feu vert » américain de Donald Trump.
Mais, nous l’avons dit dès le premier jour, les pétitions de principe, les condamnations verbales ne suffiront pas à arrêter le pouvoir de Recep Tayyip Erdogan. À quelques heures maintenant de la fin d’un cessez-le-feu précaire qui peut signifier la reprise d’un massacre à grande échelle des Kurdes et des populations et des réfugiés du nord-est de la Syrie, notre inquiétude est à son comble. Erdogan vient, semble-t-il, de rejeter la proposition de prolongation du cessez-le-feu faite par le Président de la République Emmanuel Macron à Vladimir Poutine. La pression ne doit donc pas se relâcher, mais s’amplifier encore pour éviter le pire.
Plus que jamais, tout doit être fait pour sauver nos amis Kurdes et les populations installées ou réfugiées dans le nord-est de la Syrie. Si les mots ont un sens, « l’engagement résolu de la France » réclamé au travers de cette proposition de résolution doit se manifester par un changement d’attitude, par une mobilisation internationale beaucoup plus forte qui place les Kurdes sous protection. La France doit de nouveau exiger une réunion d’urgence du Conseil de sécurité à cette fin.
La France n’est pas à la hauteur du péril. Tout se passe en effet comme si, derrière les mots de condamnation, nous étions en train de lâchement abandonner les Kurdes et les forces démocratiques syriennes. Ces forces combattantes et les populations civiles sont à la merci du feu de l’armée et des bombardiers turcs.
Erdogan veut liquider physiquement l’expérience du Rojava démocratique – dont le compte twitter est actuellement bizarrement bloqué –, seule expérience politique de nature laïque dans la région, source d’espoir pour toute tentative de reconstruction de la paix. L’ensemble des protagonistes semblent, pour l’heure, prendre acte de cette disparition dont seul Erdogan tirera profit.
Où sont les sanctions économiques et politiques fortes contre le régime d’Ankara que nous réclamons depuis le premier jour ? Erdogan a aussi redoublé, ces derniers jours, la répression contre les Kurdes en territoire turc. Devant ces nouvelles alarmantes et concordantes, qu’a annoncé Emmanuel Macron au Conseil européen ? Une possible rencontre à Londres entre Boris Johnson, Angela Merkel, lui-même et Erdogan, mais pour quoi faire ? Pour colmater les brèches et reconstituer une coalition avec celui-là même qui massacre les Kurdes et les forces démocratiques syriennes ? Ces hypocrisies doivent cesser ! Nous restons enlisés dans l’OTAN, avec des alliés qui nous ont tourné le dos, et nous perdons un temps précieux pour parler à nouveau d’une voix indépendante dans le monde, pour mobiliser l’ONU et retrouver une crédibilité mise à mal par ce qui vient de se passer !
L’« engagement résolu de la France », ce devrait être aussi un soutien sans faille aux acteurs humanitaires et aux principes que quinze ONG ont rendus publics la semaine dernière, notamment pour garantir l’accès sans entrave des secours humanitaires à toutes les zones du conflit. Les bombardements turcs occasionnent de nouveaux dégâts insupportables. L’utilisation d’armes explosives dans les zones peuplées continue ; nous ne pouvons l’accepter. En avançant, les forces turques risquent de priver de toute aide humanitaire des centaines de milliers de personnes supplémentaires, mettant leur vie en péril, ou de les conduire à prendre de nouveau la route de l’exil. Mais vers où ? Vers quel nouvel enfer ? La France doit agir sans tarder aux côtés de ces ONG pour obtenir ce qu’elles demandent.
Enfin, j’aborderai une question que je sais plus difficile encore. Puisque les auteurs de la proposition de résolution s’inquiètent du sort des 10 000 djihadistes, dont 2 000 étrangers, prisonniers des camps jusque-là gardés par les forces kurdes et les forces démocratiques syriennes, je veux dire ici mon incompréhension, pour ne pas dire plus, devant la démarche entreprise par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en Irak. Sous prétexte de les maintenir en sécurité, nous tentons, semble-t-il, de sous-traiter le gardiennage de ces djihadistes aux Irakiens. Les conditions de ce marchandage semblent peu reluisantes. Est-ce responsable, est-ce digne de la France ? Je pose la question.
Le coordonnateur des juges antiterroristes, David de Pas, vient, tout à fait exceptionnellement, de s’en inquiéter publiquement et plaide pour le rapatriement des djihadistes français. Selon lui, « la question du rapatriement est un enjeu de sécurité et de justice à long terme ». Il estime que nous étions judiciairement armés pour faire face. Qu’attendons-nous pour prendre nos responsabilités ?
Au cœur de ce drame, se noue aussi une tragédie humanitaire, celle du sort des enfants de ces djihadistes français, dont le nombre est estimé à 300, la plupart étant âgés de moins de 5 ans. Ces enfants sont eux-mêmes des victimes. Pourquoi s’obstiner à refuser leur rapatriement alors que celui est demandé par l’ONU, par la Commission nationale consultative des droits de l’homme et par les ONG travaillant sur cette question, au nom de toutes les conventions internationales protégeant les droits de l’enfant dont nous sommes signataires ? Qu’attendons-nous ? Leur mort lente ou leur retour dans les griffes de Daech ? Ce sont des questions difficiles, mais il faut avoir le courage de les poser !
Mes chers collègues, nous voterons cette proposition de résolution le cœur serré, car l’heure n’est pas aux mots ; elle est à l’action, à la mobilisation, aux paroles qui se traduisent en actes. La France ne peut pas assister passivement au massacre que le pouvoir d’Erdogan veut perpétrer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
(M. Vincent Delahaye remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la Turquie a lancé, le 9 octobre dernier, l’opération « Source de paix » – c’est un paradoxe ! – dans le Kurdistan syrien. Ankara dit vouloir protéger sa frontière contre les terroristes.
Pourquoi un pays ami, membre de la coalition internationale contre Daech, également membre de l’OTAN, engage-t-il un conflit armé de manière unilatérale, sans le moindre accord officiel avec ses alliés ? Les motifs de l’opération ne sont peut-être pas encore totalement connus.
Ces dernières années, nous avons vu le comportement d’Ankara changer. Alors que le pays est membre de l’OTAN et candidat à l’adhésion à l’Union européenne, son dirigeant a tenu hier les propos suivants à l’occasion d’un discours : « Tout l’Occident s’est rangé aux côtés des terroristes et ils nous ont attaqués tous ensemble. Parmi eux les pays de l’OTAN, les pays de l’Union européenne. Tous. » Ce n’est pas parce qu’un djihadiste est français que tous les Français sont des terroristes : il en est de même pour les Kurdes !
Cette incursion dans une région kurde de Syrie risque de tourner au massacre. Une enquête de l’Office pour l’interdiction des armes chimiques a été ouverte vendredi dernier : du phosphore blanc aurait été utilisé contre les Kurdes.
Cette offensive est injustifiable parce qu’elle a lieu contre des alliés dans la lutte contre Daech. Les Occidentaux ont déployé des forces aériennes et des unités des forces spéciales, dont nous saluons l’engagement et le courage. Les Kurdes, soutenus par nos soldats, se sont courageusement battus contre Daech et ont largement contribué à sa défaite territoriale.
Bien sûr, les Kurdes se sont battus pour leur survie, comme l’a cyniquement rappelé le président Trump. Ils se sont battus aussi pour la survie de ceux qu’ils auraient pu abandonner, comme d’autres l’ont fait. Lorsque, en 2014, 50 000 Yézidis se sont trouvés piégés sur le mont Sinjar –plusieurs milliers d’entre eux furent massacrés ou convertis de force et réduits à l’esclavage par les djihadistes –, ce sont les forces kurdes qui ont permis leur évacuation. Les Kurdes se sont battus pour leur survie, certes, mais nous savons aussi ce que la sécurité de notre pays doit à leur engagement.
Cette offensive est injustifiable parce qu’elle vise ceux que la Turquie a déjà abandonnés sous les coups des djihadistes. Il faut se rappeler que, à la fin de l’année 2014, Daech assiégeait la ville kurde de Kobané, qui se trouve à la frontière entre la Syrie et la Turquie. Durant le premier mois, la Turquie, pourtant membre de la coalition internationale engagée dans la lutte contre Daech, n’avait pas réagi. Pis, elle avait fermé sa frontière et empêché les forces kurdes de recevoir des secours, des renforts et des armes. À cette époque déjà, la Turquie avait tenté d’obtenir, en échange de l’ouverture de sa frontière, la création d’une zone tampon large de vingt kilomètres le long de sa frontière syrienne. L’offensive actuelle vise le même objectif, la largeur de la zone tampon étant portée à trente kilomètres.
La situation du Kurdistan syrien est complexe ; de nombreux acteurs y sont présents. La solution ne pourra être que politique. Le principe de l’intangibilité des frontières n’est pas absurde, mais celui de l’autodétermination des peuples non plus. Le Kurdistan, c’est de 40 millions à 50 millions de personnes réparties entre quatre pays. Pour rappel, la Syrie compte 20 millions d’habitants et l’Irak 40 millions.
Contre le régime de Saddam Hussein en 2003, contre Daech au Levant et, n’en déplaise aux propagateurs de fake news, y compris durant la Seconde Guerre mondiale, les Kurdes ont maintes fois prouvé qu’ils étaient des alliés efficaces, fiables et loyaux.
Nous ne souhaitons pas voir la Turquie s’éloigner de ses alliés. De même, nous ne souhaitons pas voir les États-Unis s’éloigner des leurs. La volte-face américaine est très surprenante. C’est un déchirement pour les militaires de lâcher les troupes kurdes aux côtés desquelles elles ont combattu. Le retrait américain entraîne celui des Occidentaux, faute de moyens. Voilà encore la preuve qu’il est urgent, pour l’Europe, d’atteindre l’autonomie stratégique.
L’Union européenne prend conscience qu’elle doit affronter cette situation sans l’appui des États-Unis, puisque Donald Trump poursuit la stratégie, engagée sous Barack Obama, de désengagement américain du Moyen-Orient.
L’Union européenne est aujourd’hui confrontée aux conséquences de ses erreurs, au premier rang desquelles la sous-traitance. Faute de trouver une solution pour ses ressortissants djihadistes, elle a sous-traité leur traitement judiciaire, devenant ainsi l’otage de ceux qui les détiennent et qui peuvent faire du chantage à leur libération ou à leur expulsion. C’est une erreur que ni les Russes ni les Américains n’ont commise, puisqu’ils ont, eux, rapatrié leurs ressortissants djihadistes.
Pour ne pas avoir à gérer elle-même ses frontières, l’Union européenne a sous-traité le contrôle des réfugiés à la Turquie. Ankara fait logiquement du chantage pour obtenir ce qu’elle veut de l’Europe. L’Europe, par absence de courage et de volonté politique, se retrouve maintenant otage d’acteurs qui ont assumé pour elle une part de ses responsabilités.
Ce n’est pas la première fois que les Européens se condamnent à l’impuissance. Lors de la crise géorgienne, de celle de l’Ukraine, des attaques chimiques en Syrie, à propos de l’accord sur le nucléaire iranien, l’Europe n’a pas su montrer sa puissance. La cause en est toujours la même : la désunion. La crise actuelle ne fait pas exception, les Européens sont profondément divisés, la Hongrie ayant ainsi apporté son soutien à Erdogan. Ce n’est pas la première fois non plus que les Kurdes sont abandonnés à leur sort.
La revue stratégique avait mis en évidence l’instabilité et l’insécurité qui caractérisent notre XXIe siècle. Nous y sommes, et ce dans bien des domaines !
Le président Erdogan a annoncé aujourd’hui que l’offensive reprendra « avec une plus grande détermination » faute d’un retrait kurde. Ce chantage est totalement inadmissible. Si l’Europe n’assume pas ses responsabilités, elle finira par tourner le dos à l’histoire de l’humanité, qui s’écrira sans elle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – MM. Yves Détraigne et Christian Cambon ainsi que Mme Marie-Thérèse Bruguière applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Cazabonne. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Alain Cazabonne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré nos alertes et celles de nos alliés, des militaires turcs et leurs supplétifs syriens ont pénétré, mercredi 9 octobre dernier, dans le nord-est de la Syrie dans le cadre d’une offensive lancée par Ankara pour, officiellement, se protéger des « terroristes » kurdes.
Dimanche, soit trois jours avant l’offensive, le président Trump avait annoncé, sans nous en avertir au préalable, le retrait immédiat de ses troupes de Syrie, alors que les Américains sont les alliés, sur place, des forces démocratiques syriennes, composées majoritairement de Kurdes, mais également d’Arabes et de chrétiens, dans la lutte contre Daech. C’est bien leur départ qui a permis l’offensive turque, avec les conséquences humanitaires, politiques et stratégiques que l’on connaît.
Cet acte est une faute morale à l’égard de nos alliés des forces démocratiques syriennes, qui ont payé le prix fort de la lutte contre Daech sur le terrain. Sans eux, l’État islamique n’aurait pu être vaincu militairement comme il l’a été.
C’est également une faute politique et stratégique. Comme l’avait dit Churchill aux négociateurs des accords de Munich : « Vous aviez le choix entre le déshonneur et la guerre ; vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre. » (M. Christian Cambon approuve.) Les situations sont différentes, mais nous voyons encore aujourd’hui qu’il est difficile, pour les démocraties, de faire face aux dictateurs ou aux dirigeants sans contrepouvoir.
L’Union européenne a exigé l’arrêt de l’offensive et le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni en urgence, le 10 octobre, mais sans résultat concret.
Cette intervention militaire est pour nous source des plus vives inquiétudes, pour deux grandes raisons rappelées par les précédents orateurs.
Notre principale crainte concerne les 10 000 combattants de Daech et leurs familles, actuellement toujours détenus dans des camps contrôlés par les Kurdes. Que se passerait-il si ces terroristes potentiels étaient libérés et se dispersaient, sachant que nombre de leurs pays d’origine refusent de les récupérer ?
Une autre inquiétude tient aux mouvements de populations et à l’exode que cette offensive pourrait entraîner. De plus, le président Erdogan laisse planer la menace d’ouvrir les portes de l’Europe aux millions de réfugiés qu’il avait accepté de maintenir sur son territoire, contre monnaie sonnante et trébuchante, au titre d’un accord passé avec l’Union européenne en 2016.
Ce nouvel épisode du conflit syrien est en outre lourd de conséquences pour l’équilibre global des puissances. En effet, l’attaque par la Turquie de forces alliées aux Américains et soutenues par une coalition occidentale n’a pas manqué de jeter le trouble dans l’Alliance atlantique, dont sont membres à la fois Washington, Ankara et nous autres européens. Elle met donc dangereusement en évidence les failles du camp occidental. Que valent aujourd’hui la garantie et la protection américaine, le parapluie nucléaire y compris ? Que valent les engagements pris, depuis qu’en 2013 le président Obama n’a pas mis ses menaces à exécution en dépit de l’utilisation d’armes chimiques ? Ce fut le premier signe, très fort, du désengagement américain. La décision de Donald Trump en constitue un autre.
Dans ce conflit, le seul acteur dont la position se trouve renforcée est le président Poutine, qui apparaît comme le grand bénéficiaire de cette déstabilisation massive. En effet, les forces kurdes, lâchées par leurs alliés américains et auxquelles le soutien de la coalition ne peut suffire, ont été contraintes de conclure un accord avec leurs ennemies d’hier, les forces du régime de Bachar el-Assad, soutenues par Moscou depuis cinq ans. L’armée de Damas a ainsi d’ores et déjà commencé à investir des villes tenues jusque-là par les combattants kurdes, regagnant plus de territoire en quelques jours qu’en plusieurs années de conflit.
Le retrait américain permet donc à la Russie de demeurer la seule puissance en mesure d’influer sur le cours des événements. Si les médias ont fait état des négociations entre les Américains et la Turquie en vue d’un cessez-le-feu, c’est bien en réalité le président Poutine qui est à la manœuvre. J’en veux pour preuve l’invitation, ou plutôt la convocation, à Sotchi qu’il a adressée au président Erdogan.
Devant une telle situation, personne ne peut être contre la proposition de résolution qui nous est présentée aujourd’hui. Elle va dans le bon sens, mais il ne s’agit que de mots. Force est de constater que l’engagement de l’Europe n’est toujours pas à la hauteur des enjeux. La capacité d’intervention d’un pays ne tient pas qu’aux mots. Les Américains avaient aligné 2 000 soldats en première ligne, mais ce n’est pas leur présence sur le terrain qui assurait la sécurité : c’est la crainte d’affronter une puissance militaire très forte, capable de frapper à distance. Lorsque nous sommes forts, les mots parlent pour nous ; lorsque nous sommes faibles, nos mots sont de faible poids !
Espérons que les développements tragiques de ce conflit achèveront de convaincre ceux qui, en Europe, doutent de l’urgence de mettre en place une défense et une diplomatie européennes. C’est au creux de la vague, lorsque les sécurités se dissolvent, qu’il importe de dire ce que l’on veut faire, et avec qui. La seule réponse au doute est une nouvelle affirmation de soi-même.
Que fera l’Europe ? Faut-il instituer une défense et une diplomatie européennes à quatre, à cinq ou à six ? Faut-il essayer d’obtenir l’accord des vingt-sept ou des vingt-huit ? Ce qui est sûr, c’est que la tâche est ardue. Qui déciderait de l’éventuelle utilisation de l’arme nucléaire ? Comment le commandement serait-il exercé ? Mais ce n’est pas parce qu’un travail est difficile qu’il ne faut pas l’entreprendre ! Monsieur le secrétaire d’État, un proverbe chinois dit qu’un voyage de mille lieues commence par un premier pas. Je souhaite que la France, reconnue à la fois sur le plan militaire et sur celui de la morale, soit à l’origine de ce premier pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’invasion par la Turquie du nord-est de la Syrie, sur une bande de 450 kilomètres, marque un tournant pour la région, pour l’Europe, pour la France.
Les présidents turc et américain ont sans doute agi essentiellement en fonction de considérations de politique intérieure lorsqu’ils ont pris, pour le premier, et cautionné, pour le second, cette décision catastrophique. Pourtant, les conséquences en seront internationales et géopolitiques. Elles s’étendront sur le court, le moyen et le long terme.
Les conséquences de court terme sont connues, elles ont été largement présentées, avec émotion, par le président Retailleau. Il s’agit, bien sûr, de la trahison par les États-Unis de nos alliés kurdes, dont les efforts ont été si précieux pour réduire le califat territorial de Daech. Il s’agit aussi de la remise en selle de Daech, qui n’en espérait sûrement pas tant des Occidentaux…
Sur le moyen terme, ces événements marquent un tournant majeur pour trois raisons.
Ils marquent tout d’abord la victoire du régime de Bachar el-Assad et de ses soutiens iranien et russe. C’est la fin du processus de Genève et de l’espoir d’une solution politique à la guerre civile syrienne.
Ils symbolisent ensuite le désengagement américain du Moyen-Orient et leur refus d’assumer la responsabilité de la sécurité collective dans cette région ô combien stratégique du monde. Les Américains abandonnent ce rôle à la Russie, ce qui n’a échappé à personne dans la région. Pour dire les choses simplement, les Américains ont livré le Moyen-Orient sur un plateau aux présidents Poutine et Rohani. La portée de l’onde de choc de ce séisme est encore difficile à mesurer, mais elle sera à coup sûr considérable.
Mme Marie-Pierre Richer. C’est sûr !
M. Christian Cambon. Ils marquent enfin l’éloignement de la Turquie de l’Europe. En faisant le jeu russe, en attaquant nos alliés kurdes, en permettant la résurgence de Daech et en nous menaçant d’un chantage aux réfugiés, la Turquie est entrée dans l’isolement. Après la remise en cause des libertés publiques, après l’achat des systèmes de défense antiaérienne S400 à la Russie, après les forages illégaux au large de Chypre, la Turquie achève de tourner le dos à l’Europe. Là encore, les conséquences seront très lourdes !
Enfin, il y a les conséquences de long terme. Cette crise est le fruit du « pivot stratégique » vers l’Asie organisé par les Américains, annoncé par Barack Obama et accéléré par Donald Trump : l’Europe et le Moyen-Orient ne sont plus des priorités stratégiques pour les États-Unis. Ce retrait américain laisse apparaître l’Europe dans toute sa faiblesse stratégique et pose une forte question à l’OTAN. Aujourd’hui, l’OTAN n’a aucune autonomie par rapport aux États-Unis, comme l’a illustré l’indigence des réponses que son secrétaire général, M. Stoltenberg, avait à présenter lorsque je l’ai moi-même interpellé à Londres sur ce sujet il y a une semaine. Pourtant, à part les États-Unis et la Turquie, l’ensemble des alliés condamnaient cette attaque.
Pouvons-nous agir sans les Américains ? Je souhaite que ces événements, qui inquiètent tous les pays européens, accélèrent la prise de conscience de ceux de nos partenaires qui avaient du mal à imaginer qu’un jour l’Europe doive, et donc puisse, se défendre par elle-même.
L’enjeu, pour les Européens, est de construire ensemble leur sécurité. Nous commençons à peine à partager l’analyse des menaces. Pendant longtemps, on opposait deux Europe : une Europe de l’Ouest, préoccupée surtout de la menace au Sud, et une Europe de l’Est, préoccupée surtout par l’action déstabilisatrice de la Russie. Nous constatons tous que cette opposition n’a plus lieu d’être. L’acteur principal aujourd’hui en Syrie, celui devant qui les États-Unis ont choisi de s’effacer, c’est la Russie. Ce qui se passe en Syrie a des conséquences pour l’Europe, tout comme ce qui se passe en Irak, au Sahel, en Ukraine ou en Géorgie. C’est d’ailleurs pour cela qu’il convient de parler à la Russie !
Aujourd’hui, nous sommes encore très loin de pouvoir imaginer des opérations militaires européennes d’envergure, mais je ne doute pas que le drame kurde va accélérer le réveil stratégique de beaucoup d’Européens. Dans un monde où l’égoïsme et le court-termisme électoraliste deviennent les seuls axes de la politique étrangère, dans un monde où le jeu des puissances broie sans états d’âme le droit international, mais aussi, hélas, les populations civiles, ceux qui ne seront pas capables de se défendre par eux-mêmes s’exposeront à être délaissés, abandonnés, trahis et enfin soumis. Nous le disons solennellement : il s’agit, pour l’Europe, de ne pas sortir de l’histoire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit également.)
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Christian Cambon. Oui, mes chers collègues, les auteurs de la proposition de résolution ont raison d’affirmer que la France doit s’engager résolument pour les Kurdes. Tout l’y conduit : l’honneur, d’abord, qui fait que l’on n’abandonne pas ses frères d’armes ; notre sécurité à court terme, ensuite, puisqu’il s’agit de freiner, voire d’empêcher, si c’est possible, le retour de Daech ; notre sécurité sur le long terme, enfin, car il faut sans plus attendre travailler d’arrache-pied avec nos amis Européens pour redéfinir notre architecture de sécurité collective. Quel rôle pour l’OTAN, qui a pour l’instant surtout montré ses limites ? Quelles capacités militaires pour les Européens ? Quelle autonomie stratégique, à un moment où nous voyons qu’il faut d’abord compter sur nous-mêmes ? Ce sont toutes ces questions que pose la tragédie des Kurdes. La proposition de résolution qui nous est présentée est un jalon sur une route qui sera longue.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera naturellement la proposition de résolution et travaillera, dans les mois qui viennent, avec tous ceux qui, au Sénat, partagent le sentiment de l’urgence du réveil stratégique. Je salue le consensus politique très large que cette proposition de résolution a fait naître au Sénat. Aujourd’hui, mes chers collègues, nous parlons d’une voix forte, unie, parce que défendre les Kurdes, c’est défendre notre honneur, parce que défendre les intérêts de la France, c’est aussi agir pour la sécurité des Français ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, Les Indépendants, UC et RDSE.)
M. Bruno Sido. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a peu de moments, dans l’histoire d’un pays, où son honneur est en jeu. Il existe des événements glorieux, et d’autres qui parfois le sont moins. Il existe des moments sur lesquels les nations se retournent avec regret, trop longtemps après. Mais les moments où un simple choix peut faire basculer dans l’honneur ou le déshonneur sont rares.
Notre pays est aujourd’hui devant l’un de ces moments, au regard de l’offensive turque dans le nord-est syrien, qui expose en première ligne le peuple kurde.
Depuis 2011, la Syrie est en guerre civile. Dans l’intervalle, notre pays, comme d’autres, a été durement touché par le terrorisme de Daech. Dès 2013, avant Trump, les volte-face américaines avaient empêché la communauté internationale de se prémunir contre les crimes d’Assad et le développement de l’État islamique. Nous connaissons tous cette histoire.
Aujourd’hui, plus personne ne peut ignorer les conséquences de l’inaction dans cette région du monde. Fermer les yeux est désormais trois fois irresponsable, pour rejoindre les propos du président Retailleau : fermer les yeux, c’est laisser déstabiliser la région, c’est permettre aux cellules toujours actives de Daech de se restructurer, c’est mettre à mal la sécurité de nos concitoyens ; fermer les yeux, c’est abandonner les Kurdes, c’est trahir un allié alors qu’on a déjà vu le sort réservé aux Kurdes à Afrin, il y a un an et demi ; fermer les yeux, c’est redonner la main à Assad, c’est lui pardonner ses crimes contre son propre peuple !
Si les États-Unis ont une responsabilité évidente, ne rien faire serait, pour la France, particulièrement déshonorant. Je dis bien : ne rien faire, ne pas agir, car, pour le moment, monsieur le secrétaire d’État, l’action de notre pays n’est pas à la hauteur des enjeux, ni sur le plan international ni sur le plan européen. La fin des licences de ventes d’armes à la Turquie n’est qu’une position d’affichage, sans presque aucune conséquence sur le terrain.
Pourtant, notre pays aurait les moyens d’agir. Nous avons des alliés pourraient agir avec nous. Il est possible de prendre des initiatives de paix à l’ONU et devant l’Union européenne. Notre pays l’a déjà fait et a alors eu les honneurs de la communauté internationale, comme en 2004, avec le refus de Jacques Chirac d’engager la France dans une guerre dangereuse et sans fondement.
Il est temps que notre pays agisse ! C’est ce que propose cette résolution. Le Gouvernement de la France doit tenir compte de cette résolution et agir enfin, même si c’est avec retard. J’irai même plus loin, monsieur le secrétaire d’État. Notre pays peut remercier – je dis bien remercier – le peuple kurde pour le combat courageux qu’il a mené au sol contre Daech, pour la liberté, pour notre liberté et notre sécurité, au-delà de la seule défense de son territoire ! Notre pays, comme beaucoup d’autres, a une dette envers les Kurdes. Ils ont sacrifié des milliers de vies et nous ne les remercierions qu’en les abandonnant ? Le Sénat s’y refuse !
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Patrick Kanner. Je veux donc aller plus loin.
Notre pays doit demander à l’Union européenne des sanctions fortes à l’encontre de la Turquie, à l’image de ce qui avait été fait contre la Russie.
Notre pays doit promouvoir une initiative devant l’ONU pour que la zone tampon soit rétablie et contrôlée par des forces internationales.
Notre pays doit agir auprès de l’OTAN face à cette attaque de la Turquie contre un de nos alliés dans la guerre contre Daech.
L’urgence est réelle. Les combats ont déjà fait des centaines de morts et déplacé 300 000 personnes, qui s’ajoutent aux 3,6 millions de réfugiés syriens que la Turquie a accueillis sur son territoire. La situation sera bientôt inextricable si nous n’agissons pas rapidement.
Mes chers collègues, je conclurai par un mot sur la situation internationale, bien au-delà de celle du peuple kurde, qui nous préoccupe grandement.
À force d’intérioriser une certaine forme d’impuissance, la France, l’Europe, nos alliés, plus personne n’agit lorsqu’un conflit s’ouvre quelque part dans le monde. La communauté internationale est devenue passive, traumatisée, peut-être, par la guerre en Irak, terrorisée, sans doute, par ceux qui avancent coûte que coûte.
Nous devons réagir. Ce mutisme croissant devant les violations du droit international, cette lente agonie de résolutions inappliquées face aux conflits locaux n’apportent rien de bon pour la paix et l’équilibre mondial. Le conflit syrien, la guerre de Crimée, la situation au Sahel, où nous avons souvent été seuls, et j’en passe, tout cela doit nous faire réagir. Dans ce contexte, monsieur le secrétaire d’État, la France a un rôle primordial à jouer en Europe.
Il y va aujourd’hui de notre crédibilité et de notre honneur, et il en ira sûrement, demain, de la paix mondiale ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)
M. Jean-Noël Guérini. Chaos, impuissance et colère : monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le 9 octobre, nous convoquons sans cesse ces trois mots pour commenter l’offensive turque en Syrie – je dis bien « commenter », hélas. Ce verbe, monsieur le secrétaire d’État, je le prononce avec regret. Mais est-il possible, aujourd’hui, d’en employer un autre, alors que la France et l’Union européenne en sont réduites au rôle de spectateurs passifs d’un nouveau drame dans un territoire ensanglanté par la guerre civile depuis 2011 ?
L’intervention de l’armée turque dans le nord-est de la Syrie, facilitée par le feu vert du président des États-Unis, permet à Vladimir Poutine d’apparaître désormais comme le maître du jeu dans un conflit ô combien complexe, dont chacun mesure les effets dévastateurs.
Sur le plan humanitaire, tout d’abord : une fois de plus, nous voyons des populations civiles ballotées, déplacées, menacées. La progression rapide des forces turques aurait déjà conduit au déplacement de 130 000 personnes, et je préfère ne pas compter le nombre des morts…
Il ne s’agit que d’un bilan provisoire, compte tenu de l’implication, aux côtés des forces loyalistes, de milices supplétives animées par une soif sanguinaire de vengeance.
Nous gardons tous à l’esprit les massacres de civils, de Yézidis ou de membres de tribus sunnites hostiles à Daech notamment, le commerce des femmes, les pillages, les déplacements forcés de populations, et autres violences commises au nom d’un obscurantisme mortifère que Daech a porté à son paroxysme.
En nommant cette organisation, qui mène contre l’Occident et ses valeurs une guerre sans merci, aveugle et sauvage, j’aborde un deuxième effet de l’inconséquence de Trump et d’Erdogan.
Certes, ce dernier s’est dit « prêt à écraser les têtes des terroristes », mais sa déclaration, mes chers collègues, vise principalement les Kurdes, nos alliés, avec lesquels nous avons gagné une bataille contre l’État islamique…
Quoi de plus logique ? Comme vous le savez, mes chers collègues, le traité de Lausanne de 1923 et la naissance de la Turquie moderne kémaliste ont enterré la promesse d’un Kurdistan autonome.
En visant l’administration autonome installée dans le nord-est de la Syrie, qu’il considère comme une base arrière du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, le président turc, fragilisé par la situation économique de son pays et par les résultats des récentes élections municipales, a choisi la fuite en avant.
Or nous avons un devoir moral envers nos frères d’armes kurdes. Les combattants et les combattantes des forces démocratiques syriennes ont permis, avec les forces de la coalition internationale, de détruire la tentative d’organisation territoriale des fanatiques islamistes de Daech.
Cette calamiteuse opération turque soulève également des enjeux sécuritaires ; ses effets sont substantiels pour le Proche-Orient et le Moyen-Orient, mais aussi du point de vue de nos propres intérêts.
Le Premier ministre l’a rappelé ici même, mercredi dernier, en évoquant clairement le risque d’une résurgence des effectifs et des forces de Daech. Nous savons que dans cette zone se trouvent 10 000 djihadistes et près de 2 000 prisonniers contrôlés par les forces démocratiques syriennes. Nous avons laissé dans la région de bien encombrants détenus djihadistes français que nous souhaiterions voir juger en Irak. Telle est la position de la France, monsieur le secrétaire d’État, et le RDSE la partage. Il nous faut des garanties, d’une part, quant à la capacité de l’Irak à juger sur place les crimes commis par les détenus français, et, d’autre part, sur les conditions de leur confinement, afin d’éviter leur évasion, rendue possible dans le contexte actuel.
Il semblerait que des familles de djihadistes aient pu s’échapper, notamment du camp d’Ayn Issa. Combien de combattants ont, à ce jour, pu profiter du désordre créé par l’offensive turque ?
J’évoquerai par ailleurs le sort des 3,5 millions de réfugiés. Cet enjeu ne concerne pas seulement la Turquie : le président Erdogan nous le rappelle assez souvent, menaçant de nourrir davantage la crise migratoire européenne s’il n’obtenait pas plus de soutien sur ce volet. L’aide financière apportée par l’Union européenne ne semble pas suffire à calmer Ankara, qui voit dans son opération en Syrie le moyen de relocaliser ces réfugiés.
Dois-je ici revenir sur les palinodies d’une Union européenne qui, une fois de plus, n’est pas parvenue à un accord sur la suspension des contrats d’armement avec la Turquie ? Une telle mesure serait pourtant, à ce stade, ô combien symbolique !
Quant aux sanctions économiques, évoquées par certains, elles affecteraient en premier lieu l’Allemagne et la France.
Je me répète donc, mes chers collègues : chaos, impuissance, colère. Cela dit, devons-nous baisser les bras, nous lamenter et laisser la fragmentation, les menaces et la brutalité l’emporter sur la diplomatie et la raison ? Évidemment non !
La coalition anti-État islamique a bien fonctionné sur le plan militaire ; nous pouvons nous en féliciter, mais les efforts diplomatiques du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’Union européenne, quoique convergents, ne parviennent pas à stabiliser clairement la région. Nous avons très certainement péché de n’avoir pas porté avec suffisamment de courage et d’audace les propositions politiques indispensables à la sortie des conflits.
À l’évidence, jusqu’aux élections de novembre 2020, les Américains se retireront des zones d’intervention pour mieux se recroqueviller sur leurs problèmes intérieurs.
Nous sommes nombreux, ici au Sénat, à avoir régulièrement rappelé, au cours de nos débats, que Bachar el-Assad…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Noël Guérini. … resterait, hélas, la solution au conflit dont son pays est le théâtre, même si – je l’accorde – notre attachement au respect des droits de l’homme nous impose des contraintes bien légitimes.
Aux maux de l’asservissement et de la tyrannie, opposons démocratie, courage, responsabilité et, malgré tout, espoir.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe RDSE partage les préoccupations ayant inspiré cette proposition de résolution ; nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux de ce débat sur un dossier tragique. Il nous permet de nous prononcer sur l’offensive massive et sanglante menée par la Turquie et ses supplétifs dans le nord-est de la Syrie contre les combattants kurdes.
Notre émotion est vive, car l’accord de trêve négocié entre Washington et Ankara prendra fin dans près de six heures, et l’issue est incertaine.
Notre groupe condamne avec fermeté et gravité cette opération militaire lancée par la Turquie depuis quatorze jours ; cette violation flagrante du droit international doit cesser.
La décision d’Ankara, qui a été rendue possible par le retrait des forces américaines, constitue, comme l’ont dit les collègues qui m’ont précédé, une faute politique, morale et stratégique.
Il s’agit d’une faute politique aux conséquences humanitaires dramatiques, d’abord, car elle exacerbe les souffrances des Syriens, déjà éprouvés par une guerre civile qui n’a que trop perduré, depuis 2011. Dès les premiers jours, le nombre des déplacés a été alarmant. Parmi les 166 000 personnes déplacées, l’Unicef, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, a compté 70 000 enfants.
Il s’agit d’une trahison, ensuite, parce que cette offensive a été lancée contre des femmes et des hommes qui sont nos alliés dans la lutte contre le terrorisme, au sein de la coalition internationale mise en place par les États- Unis en 2014 et dont la Turquie fait partie.
L’engagement des combattants kurdes dans ce combat commun a été remarquable, comme à l’habitude. Sans leur aide décisive et sans leur sacrifice ultime, nous n’aurions pu aboutir aussi vite à la fin de la bataille territoriale contre Daech en Syrie et à la libération de l’Irak. Avec la gravité qu’il se doit, nous leur témoignons notre entière solidarité. À cet égard, quelle confiance et quelle crédibilité peut-on accorder à une alliance militaire si elle débouche inopinément sur une telle trahison ?
Il s’agit, enfin, d’une faute stratégique, parce que cette décision sape cinq années de combats intensifs pour la stabilisation de la région, sans parler de la sécurité des camps de détenus djihadistes et des prisons situés à proximité de la frontière irakienne. Le risque de résurgence de Daech sur les cendres de ce chaos est élevé, et la Turquie porte désormais une forte responsabilité.
Comment parler de « grand jour pour la civilisation », comme l’a fait le président des États-Unis, au sujet d’une trêve négociée en l’absence des principaux acteurs concernés et entérinant une capitulation devant les revendications turques ?
Avec l’inconstance du président Trump, qui s’est brusquement ravisé pour imposer un accord précaire, c’est la crédibilité occidentale, celle de l’Alliance atlantique et du monde libre face au totalitarisme, qui se trouve affaiblie. La Russie et l’Iran, eux, sortent revigorés de ce chaos, qui redore leur blason, et ils apparaissent représenter une alternative crédible en vue d’une sortie de crise en Syrie.
Cette situation doit pousser à un réveil des consciences en Europe. Nous ne pouvons plus laisser l’histoire se faire sans nous. Nous ne pouvons plus faire l’économie d’une autonomie stratégique européenne, telle que défendue par le Président de la République via son agenda de renforcement de la souveraineté européenne.
Notre groupe sait déjà pouvoir compter sur la détermination résolue du Gouvernement à s’engager « en faveur de toute initiative concertée au niveau européen ou international visant à mettre un terme à l’offensive militaire » turque. C’est pourquoi il soutiendra cette proposition de résolution.
Nous devons multiplier les efforts diplomatiques, en étroite coordination avec nos partenaires de la coalition anti-Daech, dans le cadre de l’Union européenne, de l’OTAN et du Conseil de sécurité. La voie diplomatique est la seule qui doive être empruntée pour régler ce conflit.
Le Président de la République a dernièrement annoncé une initiative commune avec la Chancelière allemande et le Premier ministre britannique en vue de rencontrer le président turc en marge du sommet de l’OTAN de décembre. Nous nous en félicitons et espérons qu’une démarche forte permettra d’avancer vers la résolution de ce conflit. (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous sommes devant une situation absolument inextricable au Moyen-Orient, ce n’est pas seulement la faute des pays concernés. C’est aussi et surtout la faute des pays occidentaux.
Pourquoi l’État islamique est-il apparu et s’est-il développé ? Tout simplement parce que les États-Unis ont engagé une guerre d’agression contre Saddam Hussein. Je ne dis pas que Saddam Hussein était parfait et je ne le défends pas, mais il faut tout de même reconnaître qu’avec lui nous étions plus tranquilles que nous ne le sommes aujourd’hui.
M. Bruno Sido. C’est vrai.
M. Jean Louis Masson. S’il n’avait pas été renversé, des centaines et des centaines de milliers de morts auraient été évitées ! (Murmures sur diverses travées.)
C’est la vérité, mes chers collègues ! Il faut avoir le courage de dire que la chienlit actuelle en Irak est la faute de ceux qui sont allés y faire la guerre !
M. Jean Louis Masson. De la même façon, si la chienlit règne aujourd’hui en Libye, c’est parce que M. Sarkozy a fait tout ce qu’il a pu pour renverser Kadhafi ! Je ne sais pas quels étaient les mobiles profonds et réels de M. Sarkozy.
M. Stéphane Piednoir. Ça, c’est sûr !
M. Jean Louis Masson. Je préfère d’ailleurs ne pas les connaître, mais il faut bien reconnaître en tout cas que si la Libye de Kadhafi était une dictature, où l’on torturait et commettait des actes inadmissibles, ce n’était rien par rapport à ce qui se passe actuellement dans ce pays !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Parlez du sujet !
M. Jean Louis Masson. Si l’État islamique s’est développé en Syrie, si 300 000 ou 400 000 personnes y ont perdu la vie, si l’État a été complètement miné par des guérillas et des milices, c’est parce que certains pays occidentaux ont voulu par tous les moyens, avec le soutien de la Turquie, déstabiliser le régime d’el-Assad. Ce régime n’est pas non plus parfait et je ne le défends pas, mais il n’a pas causé le nombre colossal de morts et les destructions massives que nous constatons actuellement.
M. Jean Louis Masson. Après avoir dit merci aux Américains pour l’Irak et à M. Sarkozy pour la Libye, on peut dire merci à M. Hollande d’avoir fait des pieds et des mains pour torpiller le régime de Bachar el-Assad ! (M. Jean-Marc Todeschini proteste.) Ne vous en déplaise, c’est la vérité ! Je vous renvoie aux positions prises par la France sous Hollande ! (Manifestations d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean Louis Masson. Le gouvernement actuel s’inscrit dans la même logique : les deux pays qui jouent un rôle désastreux au Moyen-Orient et se trouvent aujourd’hui à l’origine de tous les problèmes sont la Turquie et l’Arabie saoudite ; or nous leur vendons des armes, ce qui est inadmissible !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le retrait brutal des forces américaines du nord de la Syrie, suivi du déclenchement des hostilités par la Turquie, est un nouveau tournant dans ce conflit vieux de plus de huit ans.
La décision de retrait des Américains n’est pas une réelle surprise, puisqu’elle prolonge une volonté de désengagement déjà annoncée par le président Obama, que son successeur aura mise en œuvre à sa façon, avec brutalité et précipitation, mettant fin, par la même occasion, à une politique néoconservatrice américaine de plus de quinze ans au Moyen-Orient.
Rarement une escalade politico-militaire aura provoqué autant d’effets collatéraux et fait surgir autant d’interrogations.
C’est d’abord l’OTAN qui voit se confronter les positions de deux de ses principales composantes. Les interrogations sur cette institution, dont l’objet même est d’être une instance politico-militaire de sécurité collective, ne datent pas d’aujourd’hui, même si les critiques se devaient jusqu’à présent d’être discrètes. Mais, aujourd’hui, ces interrogations ne peuvent plus être écartées, des voix autorisées ne manquant pas de poser la question de l’avenir de l’organisation. En tout état de cause, l’OTAN ne pourra pas rester silencieuse face aux événements qui viennent de débuter et aux interrogations qui en résultent.
Une deuxième question a trait bien évidemment à l’unité, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’État syrien.
Les conflits de Syrie et d’Irak auront montré l’importance cruciale de l’unité et de l’intégrité territoriale de ces pays. Mais, concernant le nord de la Syrie, la frontière est marquée, plus qu’ailleurs, par le poids de l’histoire, depuis les accords Sykes-Picot jusqu’à la Cilicie, en passant par le sandjak d’Alexandrette et le traité de Lausanne. Il est primordial que tout soit fait pour que le déclenchement des opérations turques visant à installer une zone de sécurité ne soit pas le prétexte à une remise en cause de l’intégrité territoriale de la Syrie.
Une question connexe est bien évidemment celle de la sécurité des Kurdes et des populations du nord de la Syrie, dans toutes leurs composantes ethniques et religieuses. Si le PKK est revenu au cœur de l’actualité avec l’offensive turque, il a toujours été en toile de fond des événements de ces quatre dernières années. Les discussions d’Oslo avaient laissé entrevoir une ouverture possible ; les événements de Kobané auront brutalement rappelé que, pour les Turcs, le PKK est le premier adversaire, bien avant Daech. L’opération « Bouclier de l’Euphrate », durant l’été 2016, ne fit que confirmer cette priorité ; plus récemment, l’opération d’Afrine a prolongé et conforté la volonté de la Turquie de contrôler ce territoire frontalier, au prétexte d’y réinstaller des réfugiés.
L’offensive engagée le 9 octobre dernier procède de la même logique : reprendre possession d’une bande frontalière pour y installer des réfugiés. Mais la réalité du terrain, selon les retours que nous en avons, donne peu de crédit à une telle affirmation.
Quand on sait le prix de l’engagement et du sang versé par les combattants kurdes dans la lutte contre Daech, la sécurité est la moindre des marques de reconnaissance qui leur sont dues. Les circonstances de la guerre, qui ne sont pas à l’honneur des Occidentaux, Français compris, auront conduit les Kurdes à trouver un accord avec les autorités syriennes. Cet accord ne leur offre pas pour autant les garanties nécessaires face aux opérations turques. Il est donc important que tout soit fait pour mettre un terme à l’engagement militaire turc sur le sol syrien, seule garantie pour l’avenir des populations, quelles que soient leurs composantes ethniques et religieuses.
On ne saurait évoquer le nord de la Syrie sans parler des prisonniers, qui sont quelques dizaines de milliers, dont un nombre important d’Occidentaux et de Français.
Les accords conclus entre les forces kurdes et les autorités syriennes prévoient de sécuriser les camps de prisonniers, dont on pourrait craindre la dispersion, avec toutes les conséquences que cela impliquerait sur le plan sécuritaire.
M. le ministre Le Drian a toujours dit que les djihadistes devaient relever de la justice des lieux du conflit. Est-ce aussi simple ? Une question tout aussi sensible, quoique moins évoquée, a trait à la situation des enfants de djihadistes et des femmes non combattantes. Il faudra choisir entre ce que nous pourrions qualifier de « syndrome de Guantanamo » et le retour dans les pays d’origine, réclamé par plusieurs institutions internationales et magistrats spécialisés au regard tant de considérations humanitaires que du risque de voir se développer une génération d’enfants soldats. C’est une question sensible, mais l’enjeu sécuritaire, au-delà de l’aspect humanitaire, impose la prise de décisions politiques courageuses.
Dans ce conflit qui n’est pas encore terminé, et au sein duquel le combat contre Daech reste total, même s’il prend une forme nouvelle, l’Union européenne aura été, une fois de plus, la grande absente, hors la mise en place d’un embargo qui fait cruellement souffrir la population syrienne, comme le soulignait récemment le représentant du Comité international de la Croix-Rouge, le CICR, auditionné par notre commission. Une levée, même partielle, de cet embargo serait un premier soulagement pour la population syrienne, une première contribution en sa faveur, en même temps qu’une réponse sécuritaire.
Paradoxalement, cette nouvelle escalade du conflit pose question pour demain.
Entre le processus de Genève et celui d’Astana, c’est de toute évidence ce dernier qui a prévalu. Pourtant, le conflit exige que l’Europe puisse revenir dans le jeu au Moyen-Orient, qui se trouve à sa porte. La France, plus que tout autre pays, doit y prendre sa part, pour elle-même et pour l’Europe.
Lors de son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron avait défini une ligne très gaullienne pour la politique internationale de la France, entre la Russie et les États-Unis. Une telle ligne semblait constituer la toile de fond du discours prononcé lors de la conférence des ambassadeurs, il y a quelques semaines.
M. Jean-Pierre Vial. Ce soir, MM. Poutine et Erdogan se rencontreront, pour écrire une nouvelle page de ce conflit. Malgré les choix faits par la France depuis le début, le moment est venu, une nouvelle étape dans le conflit syrien ayant été franchie sous l’impulsion de la Turquie, de tout faire pour que s’ouvre un nouveau chapitre. L’action de la France, vous le savez, est attendue, et même souhaitée, par beaucoup.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Vial. Il y a un temps pour la parole et un temps pour les actes. Monsieur le secrétaire d’État, ce second temps est venu. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Rémi Féraud. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Rémi Féraud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la semaine dernière, nous sommes nombreux à avoir interpellé le Gouvernement sur la réponse que la France doit apporter à l’agression militaire turque.
Le 9 octobre, en effet, les troupes d’Erdogan ont envahi le nord de la Syrie, en complète violation du droit international et à la suite d’une nouvelle volte-face du président Trump, qui confine à la trahison.
En visant les Kurdes du Rojava, qui ont combattu si courageusement et si efficacement à nos côtés, le président turc a mis à mal une situation déjà très fragile et menace notre propre sécurité, car son action ouvre la voie à la résurgence du terrorisme islamiste jusque sur notre sol. N’oublions pas les crimes de guerre qui sont commis depuis quelques jours dans le nord de la Syrie ; n’oublions pas non plus que les supplétifs de l’armée turque sont des milices islamistes.
Je veux remercier le président Retailleau d’avoir pris l’initiative de cette proposition de résolution, que j’ai cosignée avec Patrick Kanner et Christian Cambon. Elle vise à engager la France dans la recherche d’une sortie de cette situation dramatique, une situation profondément injuste quand on connaît l’engagement des Kurdes aux côtés de la coalition internationale contre Daech et particulièrement dangereuse pour l’avenir, tant elle nous affaiblit face au terrorisme islamiste.
Certes, la situation géopolitique est complexe, et le nord-est syrien est aujourd’hui au carrefour de toutes les influences qui s’exercent au Moyen-Orient.
Certes, les présidents américain et turc ont pris des décisions très néfastes, chacun pour des raisons de politique intérieure.
Certes, l’Iran constitue sans faiblir un axe chiite, porteur, d’ailleurs, de graves conflits à venir.
Certes, la Russie, quant à elle, poursuit avec détermination une politique cynique et brutale de soutien au régime syrien, en cohérence avec ses ambitions régionales, tandis que l’Europe reste faible de ses divisions et de son manque d’ambition.
Leur lâchage contraint aujourd’hui les Kurdes à passer, sous l’égide de la Russie, un marché de dupes avec le régime syrien. Ils n’ont malheureusement pas d’autre choix.
Le message que nous adressons ici, c’est celui du refus du fatalisme, car l’Europe n’est faible que de son manque de volonté. Aujourd’hui, seule la France peut, avec l’Allemagne, l’entraîner à affirmer la défense de ses valeurs, de ses alliés et de ses intérêts.
Sanctions économiques contre un pays, la Turquie, largement dépendant de ses échanges avec l’Europe, sanctions contre les dirigeants turcs détenant des avoirs à l’étranger, demande de suspension de la participation de la Turquie à l’OTAN, arrêt des négociations d’adhésion à l’Union européenne, saisine du Conseil de sécurité : les leviers d’action ne manquent pas, mais nous n’en utilisons aucun ou presque. Si elle était, bien sûr, nécessaire, la demande d’une réunion de la coalition internationale contre l’État islamique formulée par le Gouvernement n’en est pas moins très insuffisante.
Je rappellerai la résolution 688 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée en avril 1991, qui permit l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne dans le nord de l’Irak. Âprement négociée par François Mitterrand, elle visait déjà à protéger les populations kurdes du nord de l’Irak, et elle l’a effectivement permis.
Aujourd’hui, en 2019, il manque jusqu’aux symboles. Bruno Retailleau l’a souligné, le Gouvernement n’a même pas rappelé notre ambassadeur en Turquie, alors qu’il avait rappelé, il y a peu, notre ambassadeur à Rome. Or en attaquant les Kurdes, la Turquie nous a attaqués nous-mêmes, d’autant que nous leur sous-traitons la prise en charge des prisonniers djihadistes.
Erdogan comprend très bien le langage de faiblesse. Nous devons sortir de la posture défensive et de l’impasse dans lesquelles nous nous sommes nous-mêmes placés. Cette proposition de résolution vise à encourager la France à reprendre l’initiative et à ne pas renoncer à faire entendre la voix de l’Europe. Nous sommes convaincus qu’il est encore temps d’éviter d’avoir et la guerre, et le déshonneur. Notre groupe votera donc cette proposition de résolution avec conviction. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le secrétaire d’État, la commission des affaires étrangères a de longue date prévu d’examiner les crédits de votre ministère à partir de 17 heures 15. Si un certain nombre de membres de cette commission quittent l’hémicycle dans quelques minutes, n’y voyez donc pas une marque d’indifférence au grave sujet qui nous occupe. M. Le Drian est lui aussi soumis à de fortes contraintes horaires.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi de remercier d’ores et déjà la Haute Assemblée pour la prise de position qui se dessine à quelques instants du vote de la proposition de résolution.
Nous appelons comme vous au respect de la résolution 2254 de l’ONU, à une solution politique au conflit syrien, à une vigilance absolue à l’égard de la menace que constitue la résurgence du groupe État islamique, à un engagement résolu de la France dans toutes les enceintes et à une action humanitaire.
Depuis le 9 octobre, nous sommes confrontés à deux actes unilatéraux et concomitants : l’offensive lancée par la Turquie et le retrait des forces américaines, qui conduisent à une situation très grave. En effet, cette offensive est de nature à remettre en cause cinq années d’efforts contre Daech et à entraîner un relèvement considérablement du niveau de la menace terroriste en Europe et en France.
Aujourd’hui, 22 octobre, la trêve expirera dans quelques heures. Les forces pro-turques contrôlent un quadrilatère de 120 kilomètres de large et de 30 kilomètres de profondeur en territoire syrien. Les milices ont atteint la route M4, qui relie l’est à l’ouest du pays. Située à une trentaine de kilomètres de la frontière, elle est à présent coupée. Un certain nombre d’accrochages ont lieu dans d’autres secteurs.
La trêve est donc très fragile. Surtout, les États-Unis l’ont négociée sans réellement tracer de perspectives de désescalade pour la suite. Une conséquence de cette crise est que le régime syrien a repris pied dans un certain nombre d’endroits, avec l’appui des Russes. Les présidents turc et russe se rencontrent aujourd’hui à Sotchi.
On compte au moins 176 000 personnes déplacées. Des réfugiés risquent d’affluer au Kurdistan irakien et l’on ne peut que s’inquiéter pour la sécurité des camps et des prisons. Les forces démocratiques syriennes ont cherché à rassurer sur leur mobilisation pour garantir celle-ci, mais les plus grandes incertitudes demeurent pour l’avenir, et l’accélération du mouvement de retrait américain n’est pas rassurante de ce point de vue ! Le général Mazloum, s’exprimant au nom des forces démocratiques syriennes, a d’ailleurs annoncé qu’il se tiendrait désormais dans une posture uniquement défensive. Un coup a été porté à l’engagement de ces forces, qui avaient joué un rôle particulièrement important et offensif dans la traque des membres de Daech.
Je voudrais maintenant évoquer les conséquences stratégiques du retrait américain, qui conduit de facto à placer la Syrie sous l’influence complète de trois pays réunis dans le format dit d’Astana : la Russie, la Turquie et l’Iran. Certes, leurs visions de l’avenir de la Syrie sont très différentes, mais ils ont en commun l’ambition d’écarter les « Occidentaux » de la table des négociations. Comme le disait le président Cambon, cela constitue naturellement un tournant majeur dans le conflit syrien, mais pas seulement. Il conviendra d’en apprécier toutes les conséquences, y compris sur le plan politique.
J’évoquerai d’abord les enjeux sécuritaires. Daech a choisi de se reconstruire, après sa défaite territoriale, selon une organisation plus diffuse, plus clandestine, et va maintenant chercher à tirer parti du chaos. La fin du califat, obtenue après un combat très dur où les FDS se sont illustrées par leur bravoure et leur détermination aux côtés de la coalition, n’a pas permis d’éradiquer totalement Daech, dont des éléments sont entrés en clandestinité ou sont prisonniers dans les camps. La résurgence de Daech paraît tout à fait probable : un attentat a d’ailleurs eu lieu à Raqqa le 9 octobre dernier. Souvenez-vous, c’est de cette ville que sont venus les ordres de commettre les attentats qui ont meurtri notre pays en 2015. Voilà deux jours, une autre attaque s’est produite à Qamichli, où le drapeau de Daech a recommencé à flotter, même si ce ne fut que pour quelques heures.
Le président Retailleau a évoqué à juste titre l’impérieuse nécessité d’actualiser la stratégie avec la coalition. C’est la raison pour laquelle, comme vient de le rappeler Rémi Féraud, la France, par la voix de Jean-Yves Le Drian, a appelé à une réunion de la coalition le plus rapidement possible, dans les jours ou les semaines à venir.
On constate par ailleurs une dégradation de la situation humanitaire, avec 176 000 personnes jetées sur les routes de l’exode, dans un pays qui compte déjà 6,6 millions de déplacés internes et 5 millions de réfugiés. En Syrie, plus de 50 % de la population est déjà réfugiée ou déplacée…
Les hôpitaux sont saturés et la situation pourrait également aboutir à la déstabilisation de la région autonome du Kurdistan irakien, qui se relève lui aussi de l’emprise de Daech. Concernant l’emploi du phosphore blanc évoqué par Joël Guerriau, je veux souligner que la lutte contre l’impunité concerne tout le monde : personne ne doit pouvoir en jouir ! Les forces qui ont conduit ce type d’actions doivent en répondre si elles sont avérées.
Les ONG présentes dans l’extrême nord-est de la Syrie sont obligées de suspendre leurs opérations. Nous avons réuni les ONG françaises le 14 octobre, avec notre centre de crise et de soutien. Nous nous retrouverons à nouveau demain, à 17 heures, pour envisager les voies et moyens en vue d’apporter une réponse humanitaire d’urgence, au titre de laquelle nous avons immédiatement débloqué 10 millions d’euros. Nous avions déjà mobilisé des aides pour contribuer à l’achat de tentes, de nourriture et d’eau. Le gouvernement de la région du Kurdistan irakien nous a fait part de ses inquiétudes face à la perspective de l’afflux de réfugiés, dont le nombre pourrait atteindre 250 000 personnes selon les prévisions maximales.
On voit la Turquie tenter d’exercer une sorte de chantage. J’ai évoqué les conséquences migratoires que pourraient avoir les prises de position européennes. Cette manière d’instrumentaliser le malheur des gens est pour nous inacceptable. Je le dis très clairement, nous ne céderons pas à ce chantage.
J’évoquerai enfin l’enjeu de la stabilité régionale. Cette offensive nous éloigne, hélas, d’une solution politique à la crise syrienne, dont dépendent pourtant à la fois notre sécurité, l’avenir du pays et la sécurité de ses voisins.
Le condominium que cherchent à établir les trois pays du format d’Astana ne permettra pas de stabiliser le pays et il continuera d’alimenter le ressentiment des Syriens envers son propre régime, dont un certain nombre de crimes sont tout à fait documentés. Le fameux César a transmis à cet égard des éléments très précis. La lutte contre l’impunité doit être menée. Cela explique l’impossibilité d’un rétablissement ou d’une normalisation des relations avec le régime en l’absence d’un processus politique viable.
Ce régime continue aujourd’hui la mise en œuvre de la solution militaire dans un certain nombre d’endroits, dont le Nord-Ouest, et poursuit la répression contre son propre peuple : ce n’est pas acceptable. C’est pourquoi le Président de la République a dit clairement, en janvier 2018, que « la perspective de normalisation ou de banalisation de la situation ne serait pas responsable ».
Devant cette situation, qu’a-t-on fait, que peut-on faire ? a demandé M. Cazeau. Nous sommes naturellement animés par une complète détermination. La France se montre parmi les pays les plus actifs sur le plan de la diplomatie. La séquence européenne de la semaine passée a permis de mobiliser rapidement et efficacement nos partenaires européens, ce qui n’était pas gagné au départ, car un certain nombre de divergences s’expriment quant à la relation avec la Turquie. Néanmoins, les conclusions du Conseil européen ont endossé et renforcé celles du conseil Affaires étrangères du 14 octobre. Au sujet des nécessaires sanctions évoquées par M. Kanner, il y a encore un gros travail de persuasion à faire auprès de certains États membres pour parvenir à la prise de ce type de mesures, mais la France est résolument à l’initiative.
Monsieur le président Retailleau, vous avez parlé de gestes symboliques. Nous avons convoqué l’ambassadeur turc et annulé toutes les réunions ministérielles bilatérales qui étaient programmées.
S’agissant de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, le Président de la République a clairement exclu, dès 2018, toute avancée en la matière. D’ailleurs, lors du Conseil européen qui vient de se tenir, c’est bien la France qui, sur le sujet de l’élargissement, a mis les pieds dans le plat ! En effet, un certain nombre d’États voulaient que le processus d’élargissement se poursuive comme auparavant, dans une sorte de routine. Or il est impératif que nous réformions l’Union européenne avant de pouvoir engager cette étape.
Je note que de nombreux orateurs ont évoqué la nécessité de mettre en place une autonomie stratégique et de défense européenne. La France s’y est attelée. Le discours de la Sorbonne du Président de la République a montré la voie. Peut-être moquait-on, il y a quelques mois encore, l’absence de résultats, mais je constate que, en matière de défense européenne et de culture stratégique commune, énormément a été fait en dix-huit mois. Le premier pas auquel nous appelait le sénateur Cazabonne pour commencer ce voyage de mille lieues a bien été fait par la France. Espérons que, après la pose des fondations, les murs vont pouvoir se monter et que l’autonomie stratégique de l’Union européenne prendra corps.
Dans ce contexte mondial difficile et incertain, la France et l’Union européenne doivent être des puissances d’équilibre. Nous ne pouvons nous satisfaire d’être les vassaux des États-Unis ou de la Chine. Finalement, nous ne sommes pas des alignés. Il est important de pouvoir continuer à parler à tout le monde. La France, puissance d’équilibre, entend bien le faire. C’est ainsi que, dès le mois d’août, nous avons rehaussé notre dialogue avec la Russie, qui est désormais constant. D’ailleurs, le Président de la République s’est entretenu hier avec le président Poutine de la situation tant en Syrie qu’en Ukraine. Nous allons continuer à nous mobiliser dans toutes les enceintes internationales. Le Conseil de sécurité, évoqué par MM. Féraud et Laurent, continuera d’être saisi. Il l’a été le 10 octobre dernier. Chaque semaine, nous demanderons que la situation en Syrie y soit évoquée.
Voilà, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les éléments de réponse que je souhaitais apporter à vos contributions. Les événements qui se déroulent actuellement dans le nord-est de la Syrie ne nous laisseront pas indemnes. J’espère qu’ils dessilleront les yeux d’un certain nombre de nos partenaires européens, un peu frileux en matière de défense européenne et d’affirmation de notre autonomie stratégique. Il ne fait nul doute que le témoignage apporté par tous les groupes de la Haute Assemblée sera entendu bien au-delà de cet hémicycle et atteindra le nord-est de la Syrie et ses populations martyrisées. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE et Les Indépendants.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution tendant à l’engagement résolu de la france en faveur de toute initiative concertée au niveau européen ou international visant à mettre un terme à l’offensive militaire menée par la turquie au nord-est de la syrie
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945,
Vu le Communiqué de Genève du 30 juin 2012, approuvé dans la résolution 2118 (2013) du Conseil de sécurité des Nations unies,
Vu la résolution 2254 (2015) du Conseil de sécurité des Nations unies,
Vu la déclaration de la Haute représentante, au nom de l’Union européenne, sur les développements récents intervenus dans le nord-est de la Syrie, du 9 octobre 2019,
Vu la déclaration de la Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU sur la Syrie,
Vu la déclaration du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés sur la situation des réfugiés et des déplacés dans le nord-est de la Syrie, du 10 octobre 2019,
Vu la décision de la France et de l’Allemagne d’interrompre les exportations d’armes vers la Turquie en date du 12 octobre 2019,
Considérant le rôle essentiel des combattants des Forces Démocratiques Syriennes dans la lutte contre le terrorisme islamiste et leur contribution décisive à la défaite territoriale de Daech en Syrie, avec le soutien de la coalition internationale et en particulier de la France ;
Considérant la reconnaissance exprimée par la France pour le courage des combattants et des combattantes des Forces Démocratiques Syriennes et les sacrifices consentis dans la lutte contre le groupe État islamique ;
Considérant que le combat contre Daech ne s’est pas achevé avec la fin de l’emprise territoriale de ce groupe terroriste en Irak et en Syrie, du fait de la persistance de cellules dormantes ou actives de terroristes ;
Considérant la situation politique et militaire en Syrie et la nécessité de préserver les Forces Démocratiques Syriennes pour éviter la résurgence du groupe État islamique, en particulier dans le nord-est de la Syrie, où sont détenus de nombreux membres de groupes terroristes, qui représentent une menace pour la sécurité régionale, internationale et européenne ;
Considérant qu’il ne saurait y avoir de solution durable au conflit syrien par des moyens militaires et que l’action militaire unilatérale de la Turquie dans le nord-est de la Syrie compromet la recherche d’une solution politique négociée menée sous l’égide des Nations unies ;
Considérant que toute opération militaire doit respecter la Charte des Nations unies et le droit international humanitaire ;
Appelle au respect des termes de la résolution 2254 (2015) du Conseil de sécurité des Nations unies et du processus de Genève qui tendent à privilégier la recherche d’une solution politique au conflit syrien, plutôt qu’une action militaire ;
Appelle à une vigilance absolue sur la menace que constitue pour la sécurité régionale, internationale et européenne, la surveillance affaiblie des lieux de détention des djihadistes au nord-est de la Syrie et sur la nécessité absolue de mettre tout en œuvre pour prévenir la résurgence du groupe État islamique ;
Invite en conséquence à l’engagement résolu de la France en faveur de toute initiative concertée au niveau européen ou international de nature à faire cesser l’offensive menée par la Turquie au nord-est de la Syrie, à favoriser le respect des engagements de la communauté internationale en Syrie, à maintenir l’unité, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’État syrien, à défendre le respect de toutes ses composantes ethniques et religieuses, à protéger les populations civiles et à assurer de manière durable un accès humanitaire sans entrave sur tout le territoire syrien.
Vote sur l’ensemble
M. le président. La conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explications de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
(La proposition de résolution est adoptée.) – (Applaudissements.)
M. le président. Je constate que la proposition de résolution a été adoptée à l’unanimité des présents.
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Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, tout à l’heure, lors du vote sur l’ensemble du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, Mme Nelly Tocqueville, qui avait donné une délégation à une collègue, a été enregistrée comme ne prenant pas part au vote, alors qu’elle souhaitait voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de votre mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
5
Renforcement de l’encadrement des rave-parties
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi tendant à renforcer l’encadrement des rave-parties et les sanctions à l’encontre de leurs organisateurs, présentée par Mme Pascale Bories et plusieurs de ses collègues (proposition n° 711 [2017-2018], texte de la commission n° 71, rapport n° 70).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Pascale Bories, auteure de la proposition de loi. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
Mme Pascale Bories, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai souhaité présenter cette proposition de loi visant à renforcer l’encadrement des rave-parties, car ces dernières se multiplient dans mon département et en France depuis plusieurs années maintenant, suscitant un sentiment impuissance chez les maires des communes concernées, qui m’ont sollicitée.
Je voudrais entamer ce propos introductif en évoquant un exemple emblématique : en mars de cette année, une rave-party illégale a rassemblé près de 700 personnes à Lédenon, dans le Gard. Ce sont les habitants des villages des alentours, dérangés par les nuisances sonores à 2 heures du matin, qui ont alerté les gendarmes. La rave-party s’est tenue sur un terrain privé, sans autorisation préalable du propriétaire. Les gendarmes sont donc intervenus pour y mettre fin. Les participants avaient emprunté des voies de défense des forêts contre l’incendie, exclusivement réservées aux sapeurs-pompiers, ce qui a engendré la détérioration de ces voies : 160 conducteurs participant à cette fête y ont été verbalisés par les gendarmes. Sept infractions liées aux stupéfiants ont été relevées et trois pour des alcoolémies élevées. Surtout, la dégradation des lieux constatée le lendemain était éloquente : un terrain dévasté, des déchets partout et des résidus de drogues jonchant le sol.
Devant la recrudescence de ces rave-parties, l’encadrement de leur pratique avait déjà été remanié en 2001, puis en 2002, par des textes venant modifier la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité. L’objectif était déjà d’optimiser la sécurité de ces rassemblements, dont je rappelle la définition : festifs, à caractère musical, organisés par des personnes privées dans des lieux qui ne sont pas au préalable aménagés à cette fin, et répondant à certaines caractéristiques fixées par décret.
Les modifications prévoyaient notamment une déclaration officielle en préfecture pour les manifestations dont l’effectif prévisible dépasse 500 personnes, devant être faite un mois avant la date prévue et assortie d’engagements pour garantir la sécurité, la salubrité, l’hygiène et la tranquillité publique. Des démarches sont à effectuer auprès des services de sécurité et de santé, des garanties devant être apportées sur le lieu choisi.
Ces déclarations nécessaires et préalables ne sont pas effectuées la plupart du temps. Les maires des communes concernées m’alertent régulièrement sur l’existence d’une réelle problématique liée aux dégâts engendrés, selon la nature du site et l’importance de la manifestation.
À l’heure où nous évoquons systématiquement et à juste titre les sujets environnementaux, dont celui des décharges sauvages, lors de la discussion de tous les projets de loi et de nos travaux spécifiques en commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, j’attire votre attention sur le fait que ces rassemblements produisent des déchets, parfois sur des sites remarquables et protégés, menacent la biodiversité et entraînent des risques d’incendie, dans un contexte de sécheresse extrême.
Rappelons que mon département, le Gard, figure parmi les départements les plus concernés à la fois par ces free-parties et par le risque de sécheresse. À l’heure où je vous parle, des mesures de restriction renforcées sont toujours en vigueur pour les usages de l’eau, malgré les premières précipitations importantes de l’automne. Même si les rave-parties ont généralement plutôt lieu au printemps et sont soumises aux interdictions au même titre que toutes les autres manifestations en période estivale, la problématique de la sécheresse s’étend bien en amont et bien au-delà des mois d’été ces dernières années. Je vous renvoie à ce qui est survenu le 2 septembre dernier à Saint-Pargoire, dans l’Hérault.
Au-delà de ces nuisances environnementales, n’oublions pas la problématique des nuisances sonores pour les riverains. La question du bien-vivre ensemble, à laquelle je suis particulièrement attachée, doit également être évoquée, car, on le sait, la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres.
Je le rappelle, l’objectif de cette proposition de loi n’est pas d’interdire une quelconque free-party ou de désigner des coupables, mais, au contraire, de susciter un débat apaisé et de mettre toutes les parties prenantes autour d’une table : les préfets, les maires, les organisateurs de rave-parties, les gendarmes, les associations de protection de l’environnement, les syndicats et les riverains concernés.
Je souhaite que nous trouvions des solutions concertées pour mieux encadrer ces manifestations quand elles sont illégales et donner enfin les moyens aux communes, dont les maires apparaissent de plus en plus démunis face aux conséquences, d’exercer un pouvoir légitime sur le territoire dont ils ont la responsabilité et de préserver un environnement et une biodiversité de plus en plus menacés, comme l’actualité et les projets de loi que nous étudions nous le montrent chaque jour.
Même si l’objectif premier de cette proposition de loi n’est pas de sanctionner de façon dogmatique et automatique, il apparaît que certains organisateurs, devant la légèreté des sanctions encourues, font fi des obligations qui s’imposent à eux.
J’ai donc souhaité introduire le débat en proposant un durcissement des sanctions frappant les organisateurs, dans la foulée des préconisations de la proposition de loi n° 864 déposée le 11 avril 2018 à l’Assemblée nationale par M. Thibault Bazin, député de Meurthe-et-Moselle. Comment renforcer ces pénalités ou sanctions pour dissuader l’organisation illégale et non déclarée de ces événements et comment ajuster la peine à la hauteur de l’infraction ?
La question du mode de sanction, terme sans doute non approprié et à préciser lors des futurs débats, reste ouverte. Je me félicite des échanges constructifs que nous avons déjà eus avec le rapporteur à ce sujet à l’issue des différentes auditions.
Les peines actuelles n’étant pas assez dissuasives, les rave-parties illégales continuent à perturber certaines régions avec leurs lots de conséquences néfastes : pour la santé des participants, avec la déconnexion des responsabilités pour l’organisateur, pour les riverains, pour les élus enfin, chargés de la sécurité et de la protection de l’environnement et qui doivent assumer un coût considérable.
Mes chers collègues, il est nécessaire d’amorcer sur ce sujet un dialogue dépassionné et d’engager des mesures strictes pour encadrer l’organisation de ces événements quand ils sont illégaux. Il est également nécessaire de prévenir au mieux les nuisances et les conséquences sur l’environnement que les maires et leurs administrés doivent supporter.
J’ai approuvé les propositions d’amendements adoptées par la commission des lois qui sont venues enrichir le texte initial.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Merci !
Mme Pascale Bories, auteure de la proposition de loi. Je souhaite que ce débat aille dans le bon sens, celui de la concertation, dans le respect de chacune des parties prenantes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Leroy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par Mme Pascale Bories et plusieurs membres du groupe Les Républicains tend à résoudre un problème récurrent auquel les élus nationaux et les maires demandent, de longue date, une solution.
Il s’agit, la réponse de l’État étant insuffisante, de mieux encadrer l’organisation de rassemblements festifs, généralement connus sous le nom de rave-parties, hors des lieux spécialement aménagés à cet effet, voire sans autorisation. Ces rassemblements appellent de la part des pouvoirs publics une attention particulière, du fait des troubles qu’ils peuvent susciter pour le voisinage, l’environnement et des dangers qu’ils comportent pour les participants.
En l’état, le régime d’encadrement mis en place en 2002 ne fonctionne pas. Ce régime spécifique a transféré aux préfets les pouvoirs de police pour ce que les organisateurs appellent non plus des rave-parties mais des free-parties ou fêtes libres, qui sont qualifiées de « rassemblements exclusivement festifs à caractère musical » par l’article L. 211-5 de code de la sécurité intérieure.
Ce régime, juridiquement très particulier, se présente comme un régime de déclaration, mais s’apparente en fait à un régime d’autorisation. Le préfet peut refuser de délivrer un récépissé et même interdire le rassemblement sur le fondement de l’article L. 211-7 du code de la sécurité intérieure. À l’inverse, le préfet doit engager une concertation avec les organisateurs si leur projet n’offre pas de garanties suffisantes. Cela peut le conduire à trouver un lieu pour l’organisation du rassemblement et à devenir en pratique coorganisateur de l’événement.
Du fait de ce régime ambigu, il n’est pas étonnant que l’attitude de l’État ait oscillé entre des périodes d’appui aux organisateurs et des périodes de répression, pour se stabiliser aujourd’hui sur la base d’une tolérance de l’illégalité.
En effet, de nombreux événements soumis à déclaration se tiennent alors même qu’ils n’ont pas été déclarés aux préfets ou qu’ils n’ont pas reçu de récépissé. Les rassemblements devant regrouper moins de 500 participants se tiennent souvent sans autorisation du propriétaire privé ou public du site, qu’il s’agisse d’un terrain agricole ou d’une friche industrielle.
Au regard de cette situation, le nombre des condamnations est relativement faible, pour ne pas dire très faible… Certains l’expliquent par le fait que la majeure partie des fêtes libres se passent bien, sans mise en danger des personnes et de l’environnement. Incontestablement, il y a, chez certains organisateurs et participants, un sens des responsabilités tout à fait louable. Toutefois, ces rassemblements restent de fait – parfois involontairement, souvent volontairement – hors la loi ; cette situation n’est pas tenable pour la sécurité des personnes et pour les maires qui en ont la charge au niveau des communes.
En effet, paradoxalement, cet arsenal législatif et réglementaire comporte un angle mort. Pour concentrer les ressources des préfectures sur les rassemblements les plus importants, le régime d’encadrement actuel ne se déclenche qu’au-delà d’un seuil fixé par décret, qui est actuellement de 500 participants prévus. En deçà de ce seuil, c’est le maire seul qui doit gérer l’événement, mais comme aucune disposition spécifique n’est prévue, les fêtes libres de moins de 500 participants ne relèvent d’aucune police particulière et sont donc assimilées à de simples réunions. Il suffit donc de l’autorisation du propriétaire du terrain pour qu’elles puissent se tenir. Cela est d’autant plus paradoxal que, contrairement aux fêtes libres, le moindre spectacle amateur doit être déclaré au maire. Or plus de 3 200 fêtes libres se tiennent chaque année, principalement, mais pas uniquement, dans la France de l’Ouest, et très majoritairement en zone rurale.
Au regard de cette situation, la présente proposition de loi, dans sa version initiale, abaissait le seuil qui déclenche l’obligation de déclaration au préfet ; elle renforçait également les sanctions possibles, en doublant la durée de saisie administrative du matériel et en transformant l’infraction de non-déclaration ou d’organisation malgré l’interdiction –actuellement une contravention de cinquième classe – en un délit.
La commission des lois partage l’objectif des auteurs de la proposition de loi. Elle a cependant jugé qu’il n’était pas sûr, étant donné la réticence des services préfectoraux à mettre en œuvre le dispositif actuel, qu’augmenter le nombre d’événements leur incombant ait une efficacité quelconque pour les maires.
Elle a donc choisi de remédier à l’angle mort que constituent actuellement les rassemblements de moins de 500 participants, en prévoyant qu’ils devront obligatoirement faire l’objet d’une déclaration au maire. Cela lui permettra d’être informé et d’agir à temps, par la concertation ou, si nécessaire, par l’interdiction. En cas de non-déclaration ou d’interdiction, il sera possible de saisir le matériel ; ce n’est pas possible à l’heure actuelle pour les rassemblements de moins de 500 participants. Il s’agit là d’un régime de déclaration simple qui n’impose pas de nouvelles obligations aux maires. Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de la discussion des amendements.
S’agissant du renforcement des sanctions, la commission a considéré que la transformation de la contravention actuelle en un délit est une réponse adéquate et proportionnée au trouble que causent les rassemblements illégaux. La qualification en délit permettra désormais à la police judiciaire – gendarmerie ou police nationale – de conduire des enquêtes en flagrance, des interrogatoires, des perquisitions et des gardes à vue, ce qui n’est pas possible à l’heure actuelle.
L’intention des auteurs de la proposition de loi est claire. Il s’agit non pas d’interdire les fêtes libres de musique techno parce qu’elles auraient une mauvaise image ou que ce genre de musique serait déplaisant, mais d’inciter les organisateurs à respecter le cadre légal, pour la sécurité des participants et le respect de l’ordre public, des populations et de l’environnement.
Dès lors, plutôt qu’une peine de prison, qui ne serait de toute façon guère appliquée, la commission a prévu, comme c’est le cas pour les dégradations visées à l’article L. 322-1 du code pénal, que la peine encourue pour le nouveau délit soit une amende de 3 750 euros et des travaux d’intérêt général dont la durée maximale serait de 400 heures, soit 53 jours de travail effectif, contre 120 heures au plus à l’heure actuelle. La rédaction de l’article relatif à la requalification en délit a également été précisée par la commission afin d’être pleinement conforme au principe de légalité des délits et des peines et de permettre la confiscation des biens saisis.
Par ailleurs, la commission n’a pas retenu le doublement de la période de saisie administrative envisagé dans la version initiale de la proposition de loi, car cette mesure serait disproportionnée.
La commission a enfin souhaité que l’on puisse fournir un appui au maire dans son dialogue avec les organisateurs et, si possible, sortir de la situation actuelle de blocage au niveau de l’État, qui aboutit à la tolérance de l’illégalité. Afin de relancer le dialogue entre les pouvoirs publics et les organisateurs, qui disent vouloir entrer dans la légalité et démontrer leur sérieux, la commission souhaite qu’une charte de l’organisation de ces rassemblements soit définie par les pouvoirs publics après négociation avec les organisateurs. Ceux qui y adhéreront feront la preuve de leur engagement à respecter la loi, ce qui facilitera leur dialogue avec les maires et les préfets.
Le régime des fêtes libres a vocation à se fondre dans le régime général des spectacles, festivals et événements culturels, mais les organisateurs de ces rassemblements restent aux marges du droit. Il s’agit de permettre à ceux qui souhaitent rentrer dans la légalité de le faire, de sanctionner les autres et, surtout, de redonner aux maires les moyens d’agir pour la sécurité des personnes, la tranquillité et l’ordre publics et la protection de l’environnement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Évelyne Perrot et M. Alain Fouché applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi est sous-tendue par deux objectifs que le Gouvernement partage.
Le premier est de mieux encadrer certaines fêtes, les rave-parties, qui représentent plusieurs milliers d’événements chaque année : selon les données dont je dispose, on en compterait 2 500 ; selon le rapport de la commission, que j’ai lu avec beaucoup d’attention, il y en aurait plutôt 4 000, dont 3 200 rassemblant moins de 500 participants. Ces fêtes sont souvent l’occasion d’alcoolisations fortes et, parfois, de prises de stupéfiants. Elles peuvent provoquer des dangers tant pour les participants que pour l’ordre public. Elles peuvent également laisser derrière elles des terrains saccagés et des débris à l’air libre. Cet objectif, bien entendu, nous le partageons pleinement.
Le second objectif est de renforcer le pouvoir des maires. Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un point auquel le Gouvernement est attaché. Nous croyons que les maires sont l’un des maillons les plus essentiels de la République ; le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, que vous avez adopté au début de cette séance, reconnaît et promeut leur travail.
Toutefois, le texte qui vous est soumis à présent comporte plusieurs points qui retiennent notre attention en ce qu’ils ne nous semblent pas tout à fait répondre aux deux objectifs que je viens de mentionner, malgré l’adoption par la commission d’un amendement allant dans le bon sens.
La mesure principale du texte consiste à créer un régime de déclaration auprès du maire pour les rassemblements festifs à caractère musical devant compter moins de 500 participants.
Cette mesure pose un certain nombre de difficultés.
D’abord, elle crée un régime de police spéciale concurrent à celui du préfet pour les rave-parties, sans pour autant l’assortir de pouvoirs de police dédiés, comme ceux dont disposent les préfets en la matière. Ainsi, quand ils seront informés de l’organisation d’une rave-party, les maires ne disposeront que de leurs pouvoirs de police générale pour agir. C’est une difficulté. Encore une fois, j’ai bien noté qu’un amendement vise à créer un pouvoir de police spécial pour les maires.
Ainsi – je le dis comme membre du Gouvernement, mais aussi comme ancien préfet, et donc praticien –, cette mesure risquerait d’avoir des effets pervers dommageables. Pour éviter que le préfet fasse usage de ses pouvoirs de police spéciale, les organisateurs de rave-parties pourraient être tentés de volontairement sous-évaluer l’affluence à leurs événements et de profiter ainsi du nouveau régime, moins contraignant, de police par les maires. Par voie de conséquence, si les participants s’avèrent plus nombreux que prévu, les maires se retourneront vers les préfets pour maintenir l’ordre et assurer la sécurité de tous, ce qui occasionnera une perte de temps et d’efficacité.
Ensuite, je pense qu’il est important de rappeler que les rave-parties se tiennent souvent sur le territoire de petites communes, qui pourraient être dépassées par les demandes : elles n’auraient pas suffisamment de marges de manœuvre et de ressources pour préparer les rassemblements et en assurer efficacement la protection. Dépassées, ces petites communes pourraient également être amenées à solliciter l’appui du préfet ou sa substitution du fait de leur carence, pour des événements dont l’ampleur n’aurait potentiellement pas justifié un investissement lourd de la préfecture.
Parmi les amendements déposés, l’un vise à conférer aux maires les pouvoirs de police administrative spéciale dont dispose le préfet, pour les événements devant rassembler moins de 500 participants.
Une telle approche ne résout pourtant pas les difficultés que je viens d’évoquer, puisque les maires des petites communes rurales se verraient dans l’obligation de mettre en œuvre les dispositifs de préparation extrêmement lourds que prévoit la législation actuelle au-delà du seuil de 500 participants, ce qui excède leurs moyens, et ce pour tout rassemblement déclaré, y compris d’importance mineure, puisqu’aucun seuil n’est défini.
En outre, une telle mesure ferait cohabiter deux autorités de police administrative dotées des mêmes compétences, un organisateur pouvant solliciter l’une ou l’autre en fonction simplement de ses prévisions de participation, en deçà ou au-delà de 500 participants. Ce serait une situation inédite et peu souhaitable.
Par ailleurs, le texte que vous examinez vise à définir une charte d’organisation des rassemblements afin d’établir une base de dialogue entre pouvoirs publics et organisateurs.
Deux raisons me poussent à émettre certaines réserves sur ce point. D’abord, l’existence d’une telle charte relève non pas du pouvoir législatif, mais du pouvoir réglementaire. Ensuite, cette charte existe déjà : elle est prévue par l’article R. 211-8 du code de la sécurité intérieure et son contenu a été fixé dans un arrêté du 3 mai 2002.
Enfin, la dernière partie de ce texte crée un nouveau délit qui se substitue à la contravention de cinquième classe actuellement prévue en cas de non-respect des obligations de déclaration. Il serait puni d’une amende de 3 750 euros et de travaux d’intérêt général.
Si nous pourrions être favorables à la création d’un délit sanctionnant le non-respect d’une obligation de déclaration d’un grand rassemblement, afin de réprimer l’impossibilité faite aux autorités d’anticiper et de protéger, nous ne pouvons l’être quand il s’agit de sanctionner le non-respect d’une obligation portant sur des rassemblements de faible envergure, ce à quoi le texte de la proposition de loi aboutit. De même, pour assurer une répression efficace, un délit doit être puni d’une peine d’emprisonnement conforme à notre ordonnancement juridique actuel, permettant dans tous les cas que soit prononcée une peine de travail d’intérêt général, aux termes de l’article 131-8 du code pénal.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, si le Gouvernement partage sans ambiguïté les objectifs sous-tendant cette proposition de loi, ainsi que la volonté de Pascale Bories et de Henry Leroy de donner plus de pouvoirs aux maires, le texte examiné aujourd’hui nous oblige aux plus grandes réserves.
En effet, il est à craindre que ce texte, sans permettre d’obtenir les résultats désirés, engendre des effets pervers non négligeables pour les communes et s’avère finalement contre-productif. C’est pourquoi il est difficile pour le Gouvernement de soutenir en l’état cette proposition de loi.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Difficile, mais pas impossible ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. En revanche, le Gouvernement veillera à ce que les préfets et les forces de l’ordre assurent au moins une information systématique des maires dès qu’ils auront connaissance de l’organisation, déclarée ou non, d’une rave-party. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est au début des années quatre-vingt-dix que les boîtes de nuit « underground » de Chicago et de Detroit ont développé la musique électro. Accompagnant la révolution numérique et détrônant la culture du rock, cette musique a conquis l’Europe par le phénomène des rave-parties.
Souvent clandestines, ces soirées investissent des endroits isolés, comme des hangars, des carrières ou des champs, au grand dam des élus et des habitants de nos territoires ruraux qui voient leurs villages tranquilles envahis par des hordes de jeunes fêtards.
Ces manifestations, qui se déroulent indifféremment dans des propriétés publiques ou privées, ont été le théâtre de drames ; certains incidents graves ont émaillé ces rassemblements clandestins. Qu’il s’agisse d’alcool, de drogues dures ou douces, personne n’est dupe quant à l’usage de stupéfiants dans ces soirées, qui occasionne parfois des décès ou des incidents sanitaires graves. Lorsque, dans le meilleur des cas, aucune victime n’est à déplorer, c’est l’environnement même de la manifestation qui subit des dommages.
Devant ces rassemblements, les élus locaux se sentent démunis. Si, confrontés à l’annonce tardive d’une rave-party sur le territoire de leur commune, certains maires prennent des arrêtés d’interdiction, ils sont malheureusement incapables d’en assurer l’effectivité. Spectateurs désabusés, les maires attendent l’intervention des services de l’État.
Un dispositif spécifique a bien été mis en place en 2002 pour l’encadrement des rassemblements exclusivement festifs à caractère musical. Il a rapidement montré ses limites : en pratique, il ne permet pas de faire entrer les organisateurs dans la légalité. Par ailleurs, le maire est seul pour gérer les rassemblements de moins de 500 participants.
Enfin, ce dispositif est paradoxal, monsieur le secrétaire d’État. Actuellement, il est plus facile d’organiser une fête libre qu’une activité artistique amateur ! Organisées sur des terrains privés, ces fêtes libres, qui relèvent du régime des réunions, requièrent la seule autorisation du propriétaire. Au contraire, le moindre spectacle amateur doit faire l’objet d’une déclaration au maire…
Le texte de Mme Bories prévoit d’abaisser le seuil qui déclenche l’obligation de déclaration au préfet. Il double la durée de saisie administrative du matériel. L’infraction de non-déclaration ou d’organisation malgré l’interdiction, simple contravention de cinquième classe, devient un délit ; c’est important.
Au cours de ses travaux, la commission a toutefois préféré ne pas modifier le seuil qui détermine la compétence du préfet. Elle a renforcé les moyens dont disposent les maires pour faire face à ce type de rassemblements. Ceux de moins de 500 participants devront dorénavant obligatoirement être déclarés aux maires.
Afin de permettre aux organisateurs de faire la preuve de leur capacité à organiser un rassemblement respectant l’ordre public, la tranquillité publique et l’environnement, la commission a également prévu l’élaboration d’une charte, dont le contenu sera défini par arrêté du ministre de l’intérieur et du ministre chargé de la jeunesse après concertation avec les représentants des organisateurs.
Enfin, personnellement, je regrette un peu que la commission des lois – Dieu sait pourtant combien j’ai d’estime pour vous, monsieur le président Bas ! –, qui était pourtant favorable à la qualification délictuelle, ait remplacé la peine de prison prévue par une peine de travaux d’intérêt général. Pour avoir été maires, nous savons ce qu’il en est : il s’agit par exemple de faire quelques heures de jardinage pour le compte de la mairie… (Sourires.) Vous reconnaîtrez que c’est tout de même insignifiant !
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, approuvant l’excellente démarche de notre collègue Mme Bories, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ce texte à l’unanimité.
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et LaREM.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, Mme Pascale Bories nous soumet aujourd’hui une proposition de loi tendant à renforcer l’encadrement des rave-parties et les sanctions à l’encontre de leurs organisateurs.
Hasard du calendrier parlementaire, l’examen de ce texte intervient à la suite du vote du projet de loi Engagement et proximité, que nous venons d’adopter à la quasi-unanimité. D’ailleurs, à la première lecture de l’exposé des motifs et des différentes mesures proposées, une question m’est venue à l’esprit : pourquoi certaines de celles-ci n’ont-elles pas été intégrées dans ce texte d’origine gouvernementale, qui a sans doute plus de chances de prospérer que la présente proposition de loi ? Je regrette d’ailleurs qu’un certain nombre de nos propositions de loi ne soient pas reprises par nos collègues députés.
Nous relevons que ce texte renforce les instruments dont disposent les maires pour faire face à l’organisation de tels rassemblements sur le territoire de leur commune.
Le débat en commission, mercredi dernier, a été nourri ; il a permis de repenser le régime d’encadrement de ces rave-parties, appelées aussi free-parties, ou fêtes libres. Il s’agit d’un problème auquel les élus et, plus spécifiquement, les maires sont confrontés de manière récurrente, sans que de nouvelles solutions soient proposées. Ces rassemblements festifs se déroulent le plus souvent hors des lieux spécialement aménagés à cet effet, ce qui entraîne des dégradations.
Comme cela a été rappelé, le dispositif actuel repose sur la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, qui a connu au fil des ans quelques modifications : la compétence en matière de rave-parties s’est trouvée finalement transférée au préfet si et seulement si l’affluence prévisible dépasse 500 personnes.
Cependant, on ne peut que constater l’extrême ambiguïté de ce régime juridique. Présenté comme une simple obligation de déclaration par les organisateurs, il s’apparente en réalité à un régime d’autorisation, le préfet pouvant refuser de délivrer le récépissé, voire interdire le rassemblement.
À l’inverse, le préfet doit engager une discussion avec les organisateurs dans le cas où le projet n’offre pas les garanties suffisantes et « alors tenter d’adapter les mesures prévues et, le cas échéant, rechercher un local ou un terrain plus approprié ». Autrement dit, le préfet s’apparente à un co-organisateur de l’événement. Cette carence d’intervention du pouvoir de police du préfet est la principale difficulté que notre commission a souhaité pallier.
Je veux nourrir le débat de quelques chiffres, même si les statistiques sont peu nombreuses et anciennes. Il y aurait chaque année 4 000 fêtes libres, dont plus de 80 % rassembleraient moins de 500 participants. Notre rapporteur a rappelé que, en 2018, pour 800 rassemblements qui auraient dû être déclarés, seulement deux récépissés auraient été délivrés par les préfets. La plupart de ces fêtes se sont donc déroulées sans autorisation ni, évidemment, concertation préalable. Les sanctions encourues sont peu dissuasives – une contravention de cinquième classe et, éventuellement, la confiscation du matériel utilisé – et n’incitent pas les organisateurs à faire une déclaration en préfecture.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il apparaît que les maires se trouvent démunis pour gérer les rassemblements de moins de 500 participants ; les organisateurs doivent simplement demander l’autorisation du propriétaire du terrain où ils souhaitent tenir leur fête.
Cet après-midi, mes chers collègues, il s’agit de renforcer le pouvoir des maires en matière de rave-parties et de renforcer le cadre légal de ces manifestations. C’est l’objet de la principale modification qu’a apportée notre commission des lois à l’article 1er de cette proposition de loi, en prévoyant une obligation de déclaration préalable pour tous les cas où le préfet n’est pas compétent, d’une part, et en rendant plus dissuasives et applicables les sanctions encourues par les organisateurs en l’absence de déclaration – ils encourront une peine de travail d’intérêt général –, d’autre part.
En outre, sur l’initiative de notre rapporteur Henri Leroy, il est maintenant prévu qu’une charte d’organisation devra être établie entre les organisateurs et le maire, afin que celui-ci puisse s’assurer que les conditions de la bonne tenue de ces rassemblements sont satisfaites.
Je ne peux que saluer ces différentes initiatives, qui permettent de donner toute sa place au maire face à la tenue de ces manifestations. Dans le contexte actuel, il est apparu indispensable de redonner des moyens d’action efficaces au maire, qui est la première autorité compétente pour prendre et faire observer les mesures nécessaires au maintien de l’ordre, de la sécurité, de la tranquillité et de la salubrité publics sur le territoire de sa commune.
Espérons que, au-delà du renforcement du rôle du maire, l’ensemble des services de l’État, en particulier les forces de sécurité, seront effectivement mobilisés pour garantir que les rave-parties restent des rassemblements festifs et respectent les droits et libertés de tous, notamment des riverains !
Avec les membres de mon groupe, je vous invite, mes chers collègues, à soutenir cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de notre Mme Pascale Bories, en partie remaniée par le rapporteur, Henri Leroy, et visant à renforcer l’encadrement des rave-parties et les sanctions à l’encontre de leurs organisateurs.
L’article 1er remanié étend l’obligation de déclaration des organisateurs auprès des maires, au moins un mois avant la date prévue, aux rassemblements de moins de 500 personnes. La déclaration devra détailler les mesures envisagées pour garantir la sécurité, la salubrité, l’hygiène et la tranquillité publiques.
L’article 1er bis, introduit sur l’initiative du rapporteur, prévoit une charte de l’organisation de ces rassemblements.
L’article 2 étend aux maires la possibilité de saisie des matériels et substitue au prononcé d’une peine de prison la possibilité de décider d’un travail d’intérêt général.
Le rapport de M. Leroy établit une bonne synthèse des paradoxes que nous rencontrons souvent dans notre rôle de législateur. Chaque seuil introduit offre la possibilité d’un nouvel effet de seuil ; chaque dispositif visant à mieux encadrer tel ou tel événement décourage, par la lourdeur administrative des procédures, tel ou tel organisateur. Parfois, il arrive que le législateur appelle « encadrement » un dispositif qui permet en réalité d’empêcher la tenue d’un événement, mais je ne veux pas croire que ce soit ici la volonté de la majorité sénatoriale !
M. Leroy nous donne des chiffres intéressants sur le nombre de rave-parties organisées dans notre pays. J’ai, pour ma part, recherché dans la presse quotidienne régionale la trace d’événements problématiques, organisés dans ma région ou ailleurs. Je cite le rapport de M. Leroy : « Au regard de l’ampleur du phénomène des rassemblements illégaux, le nombre de condamnations paraît faible. D’après les éléments communiqués à votre rapporteur, il y aurait 70 condamnations par an à la contravention prévue par l’article R. 211-27 du code de la sécurité intérieure, pour un montant de 418 euros en moyenne. Ce montant apparaît relativement élevé par rapport au montant maximal encouru lorsqu’on le compare à celui des amendes prononcées pour d’autres contraventions, mais il demeure faible dans l’absolu. La peine complémentaire de confiscation du matériel n’est pour sa part prononcée qu’en moyenne deux fois par an. »
Vous en tirez pour conclusion, monsieur le rapporteur, que les mailles du filet sont trop larges. J’aimerais donc savoir quelle proportion des événements en cause mériterait selon vous d’être punie.
Soyons clairs, je ne suis jamais allé en teknival, en rave ou en free-party.
M. Stéphane Piednoir. C’est dommage !
M. Jérôme Durain. Je ne suis pas certain de constituer le bon public pour ces musiques, que je respecte par ailleurs. Je ne doute pas que certains rassemblements engendrent des débordements, en termes de nuisances sonores, voire de dégâts causés à l’environnement ou aux terrains utilisés. Je m’interroge néanmoins sur l’opportunité de cette proposition de loi : le péril est-il si immense que nous devions de nouveau durcir la loi ?
M. le rapporteur a tenté d’adoucir le texte par le biais de la charte prévue à l’article 1er bis. C’est un premier progrès, même si le dispositif manque à mon avis encore d’avantages pour les organisateurs.
Concernant l’information et l’implication des maires, je conserve ici le scepticisme qui a prévalu lors de l’examen du projet de loi Engagement et proximité. Il faut se méfier des nouveaux pouvoirs donnés aux maires quand les moyens de les mettre en œuvre ne suivent pas. De nombreux maires risquent de se retrouver tiraillés entre, d’un côté, des riverains opposés à des rave-parties perçues uniquement comme des nuisances, et, de l’autre, des organisateurs de bonne foi – il y en a aussi ! – fatigués de devoir toujours se justifier davantage.
M. le président de la commission a relevé nos divergences.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !
M. Jérôme Durain. J’ai peur que le changement de philosophie sous-tendant la réglementation sur les rave-parties ne pousse davantage d’organisateurs vers la clandestinité, mais je peux comprendre que les craintes d’un évitement de la loi ne suffisent pas à justifier un refus d’évolution de la législation. Je soulignerai cependant que le public des rave-parties, qui ne se caractérise pas toujours par son adhésion aux institutions (Sourires.),…
M. François Bonhomme. C’est une litote !
M. Jérôme Durain. … se révèle souvent particulièrement imaginatif en matière de contournement de la loi.
Par ailleurs, je ne voudrais pas que l’on considère les rave-parties comme néfastes par nature. Mon département connaît peu de rassemblements d’envergure. Aux dires des organisateurs que j’ai contactés, notre géographie décourage beaucoup de promoteurs d’événements : il est selon eux difficile de trouver des terrains suffisamment éloignés des habitations pour organiser des événements en toute tranquillité.
D’autres départements de ma région en accueillent davantage. Ainsi, une fête dénommée « Alice in Wonderland 4 » s’est récemment tenue dans le Doubs. Un accord avait été trouvé avec un propriétaire de terrain, qui a finalement changé d’avis après avoir reçu des menaces de mort d’opposants. L’événement a été délocalisé et s’est tenu dans des conditions qui n’étaient pas forcément des plus légales, mais je ne crois pas avoir relevé de dysfonctionnement majeur.
Plus récemment, dans une autre région, un événement a été organisé en hommage au jeune Steve Maia Caniço à Sainte-Luce-sur-Loire. Le maire est revenu sur l’événement dans une vidéo diffusée sur le compte YouTube de sa commune : s’il regrette les nuisances sonores, il souligne l’état de propreté du site après l’événement. Selon lui, les préfectures devraient mettre des terrains adaptés à disposition des « teufeurs ». Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous indiquer quels départements sont en mesure de fournir des listes de terrains adaptés à l’organisation de tels événements ?
Mes chers collègues, je ne voudrais pas donner l’impression de nier les problèmes que peuvent engendrer les rave-parties.
M. François Bonhomme. Un petit peu tout de même…
M. Jérôme Durain. Toutefois, je vous invite à mesurer le signal que constituerait l’adoption d’un texte perçu comme trop répressif par les fêtards, pas forcément demandé par les maires et pouvant être contourné.
Je peux me tromper, mais il y a sans doute peu d’amateurs de techno dans l’hémicycle (Sourires)…
M. François Bonhomme. Qui sait ?
M. Jérôme Durain. … et la techno que nous connaissons est à mon avis bien éloignée de la musique, à bien des égards avant-gardiste, diffusée dans les raves-parties ! Je vais donc évoquer des références musicales plus abordables aux sénateurs que nous sommes. (Nouveaux sourires.)
Laurent Garnier, originaire de Dijon, a débuté dans des free-parties. (M. Fabien Gay s’exclame.) Il est aujourd’hui un ambassadeur de la musique française dans le monde et a été fait chevalier de la Légion d’honneur. Nous devons trouver un équilibre pour ne pas réprimer les Laurent Garnier de demain, tout en nous assurant que les rave-parties ne gênent pas plus de monde qu’elles n’en satisfont.
Nous attachons de l’importance à toutes les formes de culture. On peut ne pas apprécier les rave-parties et trouver que la musique diffusée est un peu assourdissante, il n’empêche qu’il convient de respecter, sinon d’encourager, cette dimension de la culture actuelle. C’est tout l’objet des amendements que le groupe socialiste et républicain a déposés. Dans l’attente de leur discussion, j’exprimerai, au nom de mon groupe, un avis réservé sur cette proposition de loi, même si je comprends l’utilité qu’elle peut revêtir aux yeux de certains. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – MM. Julien Bargeton et Henri Cabanel applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre. (M. Henri Cabanel applaudit.)
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au moment où nous examinons la proposition de loi de nos collègues du groupe Les Républicains visant à mieux encadrer les rassemblements exclusivement festifs à caractère musical, je souhaite rappeler que l’attrait ancestral socioculturel et l’attrait plus contemporain économico-touristique de la fête dans notre société ne sont plus à démontrer. Il n’est pas question aujourd’hui d’interdire des manifestations festives, par définition transgressives ; il s’agit bien plutôt de réfléchir aux moyens de permettre leur déroulement en toute sécurité. C’est le cœur de la proposition de loi que nous discutons aujourd’hui.
Dans nos territoires, les festivals, les carnavals et plus particulièrement, dans ma région, les férias rythment l’année. Ces événements festifs, qui peuvent être perçus comme des rassemblements transgressifs à visée cathartique, sont en réalité des faits sociaux, normés et formalisés par la coutume.
Ce que l’on a appelé, à partir des années quatre-vingt-dix, les rave-parties, puis les free-parties, sont par définition des rassemblements exclusivement festifs à caractère musical qui rejettent les normes coutumières de la fête traditionnelle. Ils constituent une part de la scène musicale « underground », une offre culturelle en marge des événements musicaux organisés par des institutions culturelles reconnues et des établissements de fêtes nocturnes. Si elles échappent à toute logique commerciale et se définissent par leur accessibilité et leur spontanéité, les rave-parties se caractérisent aussi par leur organisation anarchique, leur localisation inattendue et, parfois, des commerces illicites.
Pour toute personne attachée comme moi au respect de l’ordre public et à la protection du droit de propriété, la première préoccupation, s’agissant des free-parties, est de s’assurer que leur tenue n’y porte pas atteinte, tout en exigeant qu’elles ne mettent en danger ni les participants ni les riverains.
Les considérations de sécurité, qu’il s’agisse de la consommation de stupéfiants, souvent mélangés à l’alcool, ou des risques d’agressions de tout type, sont donc à prendre en compte.
Ces considérations ont d’ailleurs été à l’origine de l’adoption du dispositif Vaillant, fixant en 2001 un premier régime d’encadrement des rave-parties. Les services de l’État ont la responsabilité de l’encadrement des rassemblements de plus de 500 personnes, seuil défini par décret, les préfets agissant en concertation avec les maires et les organisateurs. D’après le délégué ministériel à la jeunesse, sur 800 rave-parties de plus de 500 personnes organisées en 2018, seulement deux ont été interdites. En règle générale, ces événements ne sont pas interdits lorsqu’ils sont régulièrement déclarés en préfecture. Le dispositif Vaillant pourrait donc fonctionner, s’il était appliqué systématiquement.
Pour les rassemblements regroupant plus de 500 personnes, la préfecture tend à mobiliser les forces de l’ordre pour assurer l’encadrement a priori, avec une certaine tolérance. Toutefois, comme le pointent les auteurs de la proposition de loi, il en va différemment pour les rassemblements festifs de plus faible affluence, la responsabilité de l’encadrement sécuritaire reposant encore essentiellement, dans ce cas, sur les épaules des élus.
Le rapporteur nous a informés qu’il s’agissait d’un phénomène particulièrement présent dans le Sud-Ouest, où se déroulerait la majorité des 3 200 free-parties de moins de 500 personnes dénombrées sur le territoire. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas seulement de rassemblements en zones rurales : les zones semi-urbaines et urbaines sont également touchées. J’ai eu à tenter de gérer des free-parties dans les friches industrielles de la métropole bordelaise…
Pour les maires, chargés de prévenir tout trouble de voisinage sans toutefois endosser la responsabilité des risques liés à ces rassemblements, le régime actuel n’est pas satisfaisant, car il les place en première ligne pour la négociation avec les organisateurs, sans leur conférer de moyens de police suffisants pour empêcher, le cas échéant, la tenue de l’événement.
Si certains maires ne souhaitent pas avoir à gérer ces free-parties, nous devons entendre la position des maires qui, pour protéger les participants à ces fêtes, sont favorables à l’organisation de tels rassemblements festifs sur le territoire de leur commune. Lorsque ces rassemblements ne dérangent personne et ne portent pas atteinte à la propriété d’autrui, pourquoi les interdire ? Henri Cabanel a beaucoup travaillé sur cette problématique et sa contribution à la réflexion a été précieuse.
Free-party signifie fête à la fois libre et gratuite pour de nombreux jeunes ou moins jeunes, le phénomène touchant aujourd’hui toutes les strates d’âge. Pour des personnes souvent confrontées à des difficultés d’insertion ou à la fracture territoriale, vivant à l’écart des grandes métropoles et des institutions culturelles, les free-parties représentent des occasions de loisir et de décompression accessibles à la fois économiquement et géographiquement.
Au cours du travail préparatoire accompli par le groupe RDSE sur ce texte, je me suis efforcée de ne pas adopter de position morale sur l’organisation de ces rassemblements et de me concentrer sur la nécessité d’accompagner les maires, quelle que soit leur position à l’égard de ces événements.
C’est dans cet esprit que s’inscrivent les amendements que je défendrai tout à l’heure. Ils visent respectivement à associer les maires à la rédaction de la charte proposée par le rapporteur, à ne pas mettre à leur charge la confiscation du matériel et à instaurer une coresponsabilité entre les maires et les préfets pour garantir la sécurité autour des rassemblements de moins de 500 personnes. Il s’agit de permettre aux maires d’informer et de mobiliser les préfets lorsqu’ils constatent l’impossibilité pour eux de les encadrer.
Je ne doute pas que ces amendements pragmatiques seront adoptés, ce qui permettra au groupe RDSE de voter en faveur de l’adoption de la proposition de loi de notre collègue Pascale Bories, bonifiée par l’excellent travail du rapporteur, Henri Leroy. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
M. Arnaud de Belenet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je suis heureux de constater, à l’écoute des différents orateurs, que nous n’avons pas besoin d’être des spécialistes du mouvement acid house, de la new beat, de la trance Goa, du hardcore, du breakbeat ou d’autres formes de heavy bass music (M. François Bonhomme rit.) pour nous prononcer sur ce sujet qui intéresse l’ordre public et la sécurité.
M. Stéphane Piednoir. Quelle culture !
M. Arnaud de Belenet. Lors de ces événements, les morts ne sont pas rares, les abus en tout genre sont légion, la mise en danger d’autrui n’est pas une vue de l’esprit. Nous en sommes conscients, sans pour autant vouloir nous enfermer dans une rhétorique hostile à ces festivités ou à ces genres de musique qui recherchent la transcendance et expriment une forme de refus du mercantilisme.
Bien évidemment, comme le soulignait notamment Jérôme Durain, un point d’équilibre reste à trouver. Il faut protéger et encadrer, cela va de soi, sans oublier que ce sont les maires des communes rurales qui sont d’ordinaire en première ligne.
Nous partageons pleinement les trois grands objectifs sous-tendant ce texte, tels qu’ils ont été repris à son compte par la commission des lois, sur proposition du rapporteur. Oui, nous voulons permettre à ceux qui souhaitent entrer dans la légalité de le faire. Oui, nous voulons aussi sanctionner le plus intelligemment possible lorsque les circonstances de l’espèce le justifient. En revanche, accroître la charge du maire sans lui offrir une juste contrepartie en termes de moyens, nous ne pouvons y souscrire.
J’aborderai la problématique de la responsabilité du maire et celle de la coexistence de deux régimes de police spéciale.
Comment mettre en application ce pouvoir de police lorsque l’on est tributaire des possibilités d’intervention des forces locales de sécurité ? On sait que, en zones rurales, la capacité à intervenir des brigades de gendarmerie a fortement régressé.
Au-delà, dans l’hypothèse où le maire n’a pas les moyens d’appliquer la mesure dont la mise en œuvre lui est confiée, sa responsabilité sera pourtant engagée en cas de défaillance. De ce point de vue, nous saluons l’effort de compromis du rapporteur ; néanmoins, le texte proposé ne répond pas entièrement à la problématique.
De même, nous tenons à saluer avec force la volonté du rapporteur de résorber les paradoxes. Toutefois, en instituant un régime de déclaration auprès du maire pour tous les cas où le préfet n’est pas compétent, on aboutit, par suite logique, à deux régimes de police spéciale identiques, relevant pour l’un du maire, pour l’autre du préfet, avec pour seul critère discriminant le nombre prévisible de participants, apprécié par l’organisateur, et avec une obligation générale de déclaration, puisqu’il n’y aurait plus de seuil d’affluence minimale. Pour le dire rapidement : au maire les petites rave-parties, au préfet les grandes. Cette organisation mérite évidemment d’être affinée, surtout si elle doit conduire certains maires, notamment ceux des communes dépourvues de services de police municipale, à exercer sans moyens nouveaux ces nouvelles responsabilités.
Je m’interroge moi aussi sur l’opportunité d’intégrer les dispositions de cette proposition de loi dans le projet de loi Engagement et proximité ou, pourquoi pas, dans le projet de loi à venir sur la sécurité intérieure.
Le diagnostic, les objectifs sont partagés et nous sommes d’accord sur la mise en œuvre d’un certain nombre de moyens de sanction, mais nous mesurons aussi que le dispositif est merveilleusement imparfait. Nous sommes certains que le législateur a de quoi faire œuvre utile en cette matière, surtout si nous parvenons à dépasser quelques menues contrariétés juridiques. En conséquence, nous ne voterons pas contre ce texte, malgré quelques réserves de fond, pour que le travail puisse se poursuivre. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, ce texte n’est à mon avis pas suffisant. Il faut aller beaucoup plus loin. Qu’il s’agisse des rave-parties, du stationnement des nomades ou de toutes les démarches abusives entreprises par des personnes qui bafouent ouvertement la loi avec la bénédiction des pouvoirs publics, on doit être beaucoup plus restrictif et dissuasif.
Que ce soit pour les nomades ou les rave-parties, on cherche toujours à arranger les choses.
M. François Bonhomme. Ce n’est pas pareil !
M. Jean Louis Masson. Quand quelqu’un, en totale illégalité, occupe un terrain, on essaye de négocier, de temporiser, alors qu’il s’agit d’actes qu’une personne normalement respectueuse de la légalité ne se permettrait jamais.
C’est extrêmement grave, parce que l’on est dans un système où il y a deux poids, deux mesures : plus on est marginal, plus on est en dehors des clous, plus on peut faire ce que l’on veut sans se gêner !
M. François Bonhomme. Cela dépend !
M. Jean Louis Masson. Je crois que la dissuasion et la réaction des pouvoirs publics doivent être beaucoup plus fortes.
J’ai déposé quelques amendements qui ne seront bien entendu pas adoptés, mais je tiens à défendre mon point de vue. Si, dans notre société, on réagissait plus fermement face à ces dérives de tous ces gens à moitié marginaux qui font n’importe quoi avec, aujourd’hui, la bénédiction des pouvoirs publics, on arriverait peut-être à normaliser la situation.
Tout comme je n’avais pas voté le texte concernant les nomades, je ne voterai pas ce texte, car je le trouve insuffisant : il ne va pas assez loin et son dispositif n’est pas assez ferme. Je ne voterai peut-être pas contre, tout dépendra de la suite du débat. En tout état de cause, si l’on est ferme, on sera réellement dissuasif !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la lecture de cette proposition de loi a rappelé à mon souvenir un certain nombre de textes du même acabit : après la sécurité des manèges, la lutte contre les rodéos motorisés, les mini-motos ou les chiens dangereux, nous abordons aujourd’hui le sujet des rave-parties.
Ce catalogue à la Prévert de propositions de loi dictées par l’émotion pose d’emblée la question de l’opportunité à légiférer sur le tout-venant, en fonction de l’actualité. Quand bien même celle-ci peut être importante, les parlementaires doivent-ils retoucher la loi à chaque fait divers, nuisance ou accident de la vie, alors même que l’inflation législative fait débat ?
Aux termes du texte du député Thibault Bazin qui est à l’origine de cette proposition de loi, il est nécessaire d’agir en matière législative à la suite de « la recrudescence de rave-parties illégales, notamment lors de la Saint-Sylvestre de 2017 à Lunéville ou quelques jours plus tard dans les Vosges ».
Dans ce cadre, la proposition de loi déposée sur le bureau du Sénat avait pour objet d’abaisser à 300 le nombre de participants à un « rassemblement festif à caractère musical » à partir duquel une déclaration préalable doit être faite auprès du préfet de département, tout en conditionnant la tenue de l’événement au respect du voisinage et en ajoutant la notion d’« impacts possibles sur la biodiversité ».
La proposition de loi initiale tendait également à allonger de six mois à un an la durée maximale de saisie du matériel utilisé et à faire de l’infraction, qui est aujourd’hui une contravention de cinquième classe, un délit passible d’une peine d’emprisonnement de trois mois et d’une amende de 3 750 euros, la sanction étant quintuplée pour les personnes morales visées par le dernier article.
Concernant cette dernière disposition, je mesure la sagesse de la commission des lois, qui a substitué à la peine de prison une peine de travail d’intérêt général. Cela est heureux, car le texte de la proposition de loi initiale était symptomatique d’une dérive maintenant beaucoup trop fréquente, qui conduit à légiférer au moindre fait divers, en proposant des durcissements de notre code pénal, en considérant que dissuader passe nécessairement par la relecture de notre code pénal, en jugeant que la contravention, même de cinquième classe, n’est rien au regard des délits et des peines d’emprisonnement, alors que tous les observateurs et les professionnels dénoncent l’échec du tout-carcéral et que l’administration pénitentiaire est saturée.
À cette surenchère pénale, on pourrait préférer le dialogue. Comme l’indique le président de l’association Technopol, Tommy Vaudecrane, durcir les sanctions ne sert à rien : « il vaut mieux s’entretenir avec les responsables ». D’ailleurs, selon lui, lors de ces rassemblements, « il n’y a pas plus d’accidents que dans les férias, les sorties de boîte de nuit, les soirées étudiantes ou tout autre événement légal. […] On balance le tout-sécuritaire pour faire peur aux gens, alors que beaucoup d’événements sont autogérés et gèrent bien les incidents. »
En ce sens, je salue les modifications apportées au texte par la commission des lois. Au travers de l’article 1er bis, elle a introduit une charte de l’organisation des rassemblements destinée à définir les engagements des organisateurs et devant permettre aux pouvoirs publics d’obtenir des garanties sur le bon déroulement de ces événements festifs.
Il s’agit là, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, d’une mesure plutôt acceptable, bien qu’elle n’engage pas à grand-chose. Pour le reste, selon nous, l’encadrement législatif et réglementaire déjà existant rend tout nouveau dispositif législatif inutile.
En effet, les « rassemblements festifs à caractère musical » sont déjà largement encadrés. La loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité en a fait mention pour la première fois, avant que le dispositif soit précisé à la fois par l’article 53 de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne – c’est le célèbre « amendement Mariani » – et par un décret du 3 mai 2002 pris pour l’application de la loi de 1995.
Enfin, depuis l’ordonnance du 12 mars 2012, l’encadrement de ces rassemblements fait l’objet d’une section spécifique du code de la sécurité intérieure, regroupant les articles L. 211-5 à L. 211-8. Ainsi, l’article L. 211-6 permet déjà au préfet, « lorsque les moyens envisagés paraissent insuffisants pour garantir le bon déroulement du rassemblement », d’organiser une concertation avec les responsables pour adapter lesdites mesures d’encadrement ou rechercher un terrain ou un local plus approprié.
Pour nous, transférer ces pouvoirs au maire n’est pas la solution, comme nous avons eu l’occasion de le souligner lors de la discussion du projet de loi Engagement et proximité, que nous venons d’adopter.
En ce qui concerne les impacts de ces rassemblements festifs sur la biodiversité, nous ne pouvons bien sûr rester insensibles à cette question préoccupante, mais force est de constater que le texte ne l’évoque qu’à la marge.
En définitive, au regard de toutes ces remarques et en dépit des améliorations apportées au texte initial par la commission des lois, nous ne voterons pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parmi les vicissitudes de la vie d’un maire, toutes ne jouissent pas de la même considération. S’il en est qui échappent souvent aux radars de la pensée conforme et de ses apôtres, ce sont bien celles qui sont liées aux rave-parties clandestines ou sauvages.
Quelle que soit l’appellation de ce qui pourrait apparaître comme un avatar du « droit à la fête » – rave-party ou free-party –, la recrudescence de ce phénomène conduit à traiter des questions qui touchent à l’atteinte à des droits aussi essentiels que le droit de propriété, avec en contrepoint l’occupation sauvage de terrains publics ou privés, le droit à la préservation de l’environnement, avec en contrepoint des atteintes à la biodiversité lors des occupations sauvages, ou le droit à la santé, avec en contrepoint des trafics de substances incontrôlées et les risques inhérents ou des pertes d’acuité auditive irréversibles pour ceux qui se retrouvent exposés pendant des heures à des niveaux sonores excessifs et se voient, à 30 ou 40 ans, contraints de porter des appareils auditifs pour le reste de leur vie. Et que dire de la consommation d’alcool, qui conduit souvent à des comas éthyliques profonds ? Je pense encore au droit à la sécurité, avec en contrepoint des agressions sexuelles de jeunes filles, agressions facilitées dans ces grands rassemblements pas toujours pacifiques.
Ces diverses situations se présentent en majorité en milieu rural, où de nombreux maires subissent une recrudescence de ces manifestations, bien souvent organisées à leur insu comme à celui des pouvoirs publics, et sans aucune autorisation administrative. Monsieur Durain, je vous assure que le caractère avant-gardiste de ces rassemblements échappe à la plupart des maires ! (M. Stéphane Piednoir rit.) Tout le monde n’a pas la chance de vivre en Saône-et-Loire…
M. Jérôme Durain. C’est dommage !
M. François Bonhomme. Lorsque l’on sait que, aujourd’hui, l’absence de déclaration ou le non-respect de l’interdiction préfectorale ne sont passibles que d’une contravention de cinquième classe, éventuellement assortie d’une saisie du matériel utilisé pour une durée maximale de six mois, on mesure facilement les limites du dispositif de contrôle et l’inanité du système actuel.
On comprend aussi que nombre d’organisateurs de rave-parties ricanent devant la légèreté des sanctions encourues. Ces dernières n’étant pas assez dissuasives, les rave-parties illégales fleurissent à travers nos régions, avec leur lot de débordements. Malheureusement, il est courant que des incidents graves émaillent ces rassemblements clandestins.
Le milieu rural est touché en premier lieu, et je regrette que mon département, le Tarn-et-Garonne, ne fasse pas exception à la règle. Ainsi, au mois de juin 2018, à Montech, un champ de tir de l’armée était envahi illégalement par plus de 300 « teufeurs » déterminés à faire fi des barrages de gendarmerie destinés à leur interdire l’entrée du site. De nombreux riverains, à quasiment dix kilomètres à la ronde, ont été exaspérés par les décibels assourdissants de cette rave-party sauvage. Outre les nuisances sonores, il convient de souligner la violence déployée à cette occasion : deux mineurs de 17 ans ont été agressés à coups de bombe lacrymogène et de tessons de bouteille en marge de l’événement. En 2016, un jeune de 20 ans a trouvé la mort en marge d’une rave-party organisée à Saint-Antonin-Noble-Val.
Nuisances sonores assourdissantes, terrains dévastés, comas éthyliques et overdoses, atteintes sexuelles, dévastation des lieux : tel est le lot de bien des rave-parties organisées de façon illégale.
En pareil cas, les maires se trouvent dans l’incapacité de faire face. Les « teufeurs », en moins de deux heures, réseaux sociaux aidant, se rassemblent par centaines, voire par milliers, dans un champ ou une forêt.
Force est donc de constater que le régime juridique actuel se révèle peu efficace pour faire entrer l’organisation de ces rave-parties dans la légalité, pour garantir la sécurité de leurs participants, la protection de l’environnement et la tranquillité des riverains.
Cette proposition de loi répond donc à un besoin véritable en termes de conditions de sécurité et de préservation de l’environnement. La commission des lois a prévu la mise en place d’un régime de déclaration obligatoire auprès des maires, afin de permettre à ces derniers de prendre les mesures nécessaires lorsqu’une rave-party doit se tenir sur le territoire de leur commune. De même, la possibilité de saisie du matériel en cas de méconnaissance de leurs obligations par les organisateurs peut permettre une véritable efficacité opérationnelle, qui manque aujourd’hui. Enfin, nous avons conclu à la nécessité de renforcer les sanctions en prévoyant la création d’un délit assorti d’une peine de travail d’intérêt général. L’objectif est non pas d’interdire les « teufs », mais bien de mettre en place des mesures préventives et de favoriser un dialogue plus équilibré entre les pouvoirs publics et les organisateurs désireux d’entrer dans la légalité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chaque année, plus de 3 200 rave-parties sont organisées en France, majoritairement dans des zones rurales, presque toujours sur des terrains privés, sans qu’aucune autorisation ait été demandée par les organisateurs.
En 2015, lorsque j’étais directeur des études de l’Institut d’études judiciaires, j’avais demandé à la gendarmerie de venir faire de la prévention auprès de mes étudiants. Ainsi, une colonelle est venue présenter les modalités d’une organisation gigantesque, organisée et encadrée à Cambrai, pour le Teknival, sur l’ex-base aérienne 103. Elle avait montré l’importance des matériels nécessaires – poste de commandement de la gendarmerie sur les lieux, voitures avec groupe électrogène, caméras, patrouilles cynophiles… – pour garantir la sécurité des personnes et des biens aux alentours du site, limiter les nuisances pour les riverains et, aussi et surtout, lutter contre la délinquance spécifique à ce type de manifestations, en particulier les trafics de stupéfiants et les atteintes aux personnes.
La gendarmerie devait aussi garantir la fluidité de la circulation en périphérie de la zone, grâce à la présence d’unités de force mobile sur le terrain. La préfecture avait mis en place des supports logistiques pour l’eau, l’électricité, les sanitaires. Une zone de soins avait été installée, avec des lits d’appoint et des tentes. Une clôture avait même été dressée autour de l’emprise de la zone du Teknival pour délimiter la manifestation.
À l’issue de cette présentation, tous mes étudiants ont pris conscience que les fêtes en plein air, si elles devaient bien sûr continuer d’exister, nécessitaient un encadrement professionnel afin de se dérouler dans les meilleures conditions possible. Toutes les rave-parties ne prennent pas une telle ampleur, bien sûr, mais les étudiants ont compris le bien-fondé de la demande d’autorisation stricte et généralisée, compte tenu des risques qui existent à plus ou moins grande échelle.
Notre objectif n’est pas bien sûr d’interdire ces rassemblements. Nous devons simplement prendre les mesures nécessaires pour faire respecter les lois et l’ordre public. En effet, il n’est pas concevable de ruiner un terrain agricole, de saccager un site naturel ou de provoquer des troubles anormaux du voisinage, tels que ceux qu’ont évoqués mes collègues.
Dans un état de droit, où la liberté reste la règle, les organisateurs doivent simplement prendre leurs responsabilités en trouvant un lieu adéquat, en concertation avec les pouvoirs publics, afin d’occasionner le moins de gêne possible ; en facilitant la mission d’accompagnement, de sécurisation et de maintien de l’ordre public des gendarmes ; en remettant en état le site sur lequel s’est déroulé le rassemblement. Seul un dialogue constructif est en mesure d’apporter les garanties nécessaires.
Aujourd’hui, la loi prévoit que c’est au maire qu’il appartient de gérer ces événements lorsque les rassemblements n’excèdent pas 500 participants. Or, comme je l’ai dit plus tôt, ces rassemblements ayant généralement lieu dans des zones rurales peu habitées, les maires sont trop souvent démunis. Ils disposent de moyens trop faibles pour appréhender ces réunions. C’est donc au Sénat, en tant que représentant des territoires, qu’il revient de fournir aux élus les moyens d’y faire face.
Aussi, je me réjouis que cette proposition de loi prévoie d’abaisser le seuil déclenchant l’obligation de déclarer de telles fêtes au préfet. Il dispose, lui, de moyens plus importants que les maires des petites communes rurales.
L’article 2 accroît les sanctions contre les organisateurs de rave-parties illégales. La commission des lois a exploré la possibilité de mettre en place une charte de l’organisation des rassemblements, qui serait définie, après négociation avec les organisateurs, par les pouvoirs publics. Je salue cette initiative, qui me semble aller dans le bon sens.
Nous ne pouvons pas empêcher toutes les rave-parties de se tenir. Ce que nous pouvons faire, en revanche, c’est inciter les organisateurs à rester dans la légalité. C’est l’objectif de cette proposition de loi.
À cet égard, il convient d’ailleurs de préciser que nombre de ces rave-parties se déroulent dans une atmosphère bon enfant. Il est par exemple fréquent que les organisateurs des soirées prévoient, entre deux concerts, des pauses de quelques heures destinées à permettre le ramassage de tous les détritus et la remise en état du site.
La proposition de loi dont nous débattons me paraît équilibrée, car elle encourage les comportements vertueux et s’attaque aux comportements nuisibles, sans toutefois mettre tous les organisateurs dans le même panier. Je la voterai donc sans hésiter. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « les raves-parties à répétition exaspèrent », « on en a marre », « on n’en peut plus » : voilà ce que nous entendons trop souvent. En effet, les rave-parties provoquent de multiples nuisances publiques, à commencer par le bruit – un déluge de décibels ! –, mais pas seulement… Elles sont également l’occasion pour les participants de faire une consommation excessive d’alcool et de faire usage de stupéfiants. Enfin, les champs sont saccagés, jonchés de déchets divers.
Beaucoup de choses ont déjà été dites par mes collègues, permettez-moi néanmoins de faire un bref rappel historique.
Lorsque la Direction générale de la police nationale s’est saisie du sujet pour la première fois en 1995, elle ne l’a fait que sous l’angle des problèmes : une circulaire a alors mis l’accent sur la vente et la consommation de stupéfiants. Une autre, en 1998, a distingué, d’une part, les organisateurs effectuant une demande auprès des services administratifs, et, d’autre part, les organisateurs clandestins de ce qu’on nommera dès lors des « free-parties ».
La loi du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne entérine ce système. Pourtant, en 2002, seules sept raves ont été déclarées dans mon département de l’Eure, puis neuf en 2003. Or nous connaissons tous la réalité dans nos territoires : nous savons tous qu’il y en a bien plus, dans l’Eure comme ailleurs. Il est évident qu’une grande partie de ces événements échappait au cadre légal jusqu’alors proposé.
Compte tenu de l’ampleur que les rave-parties ont prise, nous devons adapter notre sémantique. Tel est aujourd’hui l’objet de ce texte, qui vient à point pour étendre le champ des déclarations préalables et donner le contrôle de celles-ci aux maires pour les événements rassemblant moins de 500 participants.
D’abord, il faut ouvrir les possibilités d’agrément pour les organisateurs, afin qu’ils ne soient plus tentés de passer outre la déclaration préalable et d’organiser des raves illégales. Ce texte y parvient avec brio.
Ensuite, il faut faire preuve de sévérité envers ceux qui continuent de contrevenir à la loi, en dépit de ce nouveau dispositif. Nos compatriotes dont le calme est troublé par ces raves, qui plus est très régulièrement dans certaines zones, sont en droit d’attendre de nous une telle sévérité, légitime. Toutefois, cette sévérité doit être proportionnelle à la gravité des faits. Les peines encourues ne peuvent être équivalentes à celles qui sont prévues pour des faits plus graves. Ainsi, mon premier amendement tend à prévoir de porter de 3 750 euros à 4 500 euros le montant de l’amende pour ceux qui organisent des raves non déclarées.
En outre, les rave-parties rassemblent des participants venus parfois de loin et prévenus longtemps en avance sur les réseaux sociaux. La communication s’organise en effet au mépris de la loi, le lieu de rendez-vous demeurant imprécis, quand il n’est pas modifié à la dernière minute. Il convient donc d’encadrer ce canal, en ne permettant pas la diffusion d’informations relatives à la tenue d’une rave avant l’obtention de l’agrément. Tel est l’objet d’un second amendement, qui tend à prévoir une contravention en cas de non-respect de cette interdiction.
Enfin, en vertu d’un décret du 7 août 2017 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés, le niveau sonore ne peut excéder 105 décibels en général, et 102 décibels sur quinze minutes. Le niveau sonore est une nuisance, pour ne pas dire « la » nuisance principale, tant pour les participants que pour le voisinage. Il est essentiel qu’il soit connu. Il faut donc inciter les organisateurs à installer des écrans affichant en direct le volume diffusé, de la même manière que dans les festivals.
Notre rôle sera désormais de rester attentifs à la mise en œuvre de cette proposition de loi, en particulier concernant le périmètre des éléments mentionnés par les organisateurs et la réponse des maires lorsqu’une rave se tient sur les territoires limitrophes de plusieurs communes.
Je voterai cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tant mieux !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi tendant à renforcer l’encadrement des rave-parties et les sanctions à l’encontre de leurs organisateurs
Article 1er
L’article L. 211-5 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les rassemblements répondant aux mêmes caractéristiques mais qui, compte tenu de leur importance, ne sont pas soumis à déclaration auprès du représentant de l’État dans le département ou, à Paris, du préfet de police, font l’objet au moins un mois avant la date prévue d’une déclaration auprès des maires des communes dans lesquelles ils doivent se tenir. » ;
2° La première phrase du deuxième alinéa est ainsi rédigée : « Dans tous les cas, la déclaration mentionne les mesures envisagées pour garantir la sécurité, la salubrité, l’hygiène et la tranquillité publiques, éviter les nuisances subies par le voisinage et limiter l’impact sur la biodiversité. »
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, sur l’article.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier notre collègue Pascale Bories d’avoir déposé cette proposition de loi, car elle soulève en effet un véritable problème.
Je reconnais aussi que donner des pouvoirs supplémentaires aux maires, comme le prévoit la proposition de loi, sans toutefois leur octroyer des moyens suffisants, pose problème, comme l’a d’ailleurs souligné M. le secrétaire d’État dans son intervention.
Vous avez évoqué, madame Bories, la petite commune rurale de Saint-Pargoire, dans l’Hérault. En général, ces manifestations ont lieu dans ce genre de petites communes. Or leurs maires n’ont absolument pas les moyens d’assumer les responsabilités que nous allons peut-être leur donner.
J’insisterai sur deux faits. Il faut bien évidemment trouver des solutions afin de préserver certains territoires et de limiter l’impact sur la biodiversité, cela a été évoqué. Une rave-party organisée dans l’Hérault présentait ainsi des risques pour l’eau potable de la commune, située sur le bassin versant.
Comme l’a dit notre collègue Pascale Bories lors de la discussion générale, nous ne parviendrons à trouver de solutions que dans le dialogue et la concertation, grâce à la volonté des parties prenantes.
Cela n’a pas été dit, ou alors je ne l’ai pas entendu, les rave-parties, qu’elles rassemblent plus ou moins de 500 participants, font très peu souvent l’objet d’une déclaration. Très peu sont autorisées, parce que les organisateurs ont toujours des difficultés pour trouver un endroit où les participants peuvent s’exprimer. Notre travail est donc d’abord et avant tout de leur permettre de trouver un endroit.
J’aurai l’occasion de m’exprimer sur divers amendements, mais j’y insiste : le maître mot de cette proposition de loi doit être « concertation ».
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Je l’ai déjà dit en commission : on ne peut tout de même pas continuer à tout réprimer ! Les sociétés ont besoin de catharsis. Les fêtes comme les rave-parties existent depuis l’Antiquité. Elles prennent ailleurs la forme de carnavals par exemple.
C’est vrai qu’il faut encadrer ce genre de festivités, qu’il faut trouver des solutions, mais on ne peut pas empêcher les débordements.
C’est la partie économiquement libérale du Sénat qui a élaboré ce texte. Le festival de Woodstock n’a pas empêché les États-Unis de demeurer le champion du libéralisme économique ! C’était pourtant le temple du sexe, de la drogue, de Jimi Hendrix, etc. M. Bas n’était pas encore né à cette époque !
Je persiste à dire que ces fêtes sont des soupapes de sécurité pour la société. M. Bas me dira que c’est de la philosophie, mais il faut bien un peu de philosophie pour gérer les sociétés, pas seulement de la police. La police est nécessaire, mais pas dans ce genre de fêtes, où l’encadrement doit être plus « light ».
Enfin, permettez-moi de rappeler le tragique événement de Nantes et la noyade de Steve Maia Caniço lors d’une intervention policière pendant une technofête. Il faut tirer les leçons de cet exemple. On ne peut pas tout le temps être dans le sécuritaire, parce que le tout-sécuritaire n’existe pas ; il ne correspond pas au genre humain. Il faut lâcher prise !
Il faut certes trouver des solutions, mais non pas voter une loi prévoyant des peines d’emprisonnement. Pourquoi ne pas aussi envisager un placement en hôpital psychiatrique ? J’ai du mal à comprendre ! Peut-être faudrait-il accompagner certains de nos collègues à des rave-parties pour qu’ils voient un peu ce qu’il s’y passe ?
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, sur l’article.
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis avec attention les débats sur cette proposition de loi – je félicite d’ailleurs son auteure –, auxquels je souhaite contribuer, en me fondant sur des événements qui se sont produits dans mon département.
Il est vrai que les dégâts provoqués par ces rassemblements constituent un réel problème, de même que les nuisances sonores pour les habitations à proximité.
Cela étant, il se trouve également, et c’est le point sur lequel je souhaite attirer l’attention du Gouvernement, que les organisateurs de tels événements font parfois face à des aléas, en raison du refus qui leur est opposé au dernier moment d’utiliser des sites qui étaient pourtant pressentis et qui avaient fait l’objet d’une contractualisation et d’un accord de la préfecture.
Dans un tel contexte, et alors que la manifestation est trop proche pour être annulée, les organisateurs trouvent une solution d’urgence, proche géographiquement, et dans des délais brefs, en raison, je le rappelle, d’une résiliation unilatérale et abusive du contrat, sans faute particulière des organisateurs.
Il faut donc, mes chers collègues, condamner les excès d’un côté, c’est une évidence, mais également reconnaître parfois des situations de désorganisation involontaires et fortuites d’un autre côté.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Leroy, rapporteur. Je tiens à préciser que l’article 1er ne crée ni ne transfère aucun pouvoir au maire. C’est faux, ou pour le moins inexact. En réalité, il institue un régime déclaratif, après concertation, et prévoit, à l’article 1er bis, l’établissement d’une charte par les pouvoirs publics. Tout est dans l’article 2.
Lorsqu’un maire constate un délit ou, lorsqu’une manifestation a lieu alors qu’elle n’avait pas été autorisée, le maire a le devoir non seulement d’informer la gendarmerie ou la police qui est territorialement compétente, mais également le sous-préfet les trois quarts du temps. Le maire n’agit pas avec ses propres moyens.
La présente proposition de loi ne crée ni ne transfère aucun pouvoir spécial au maire. L’idée n’est pas de lui donner un pouvoir nouveau sans lui octroyer les moyens de l’exercer, ce serait impossible. Je le répète, son rôle, lorsqu’il a connaissance d’un délit, est d’en informer les autorités compétentes, c’est-à-dire l’État, par l’intermédiaire des services de police et de gendarmerie.
Je ne vois donc pas pourquoi on parle du transfert d’un pouvoir, monsieur le secrétaire d’État, il n’y en a pas, bien au contraire. C’est à la gendarmerie qu’il revient de constater le délit et de prendre les mesures coercitives – gardes à vue, saisies – pour faire appliquer la loi, tout simplement. Ce n’est pas le maire qui agit. Il ne fait qu’informer les autorités de police judiciaire compétentes, y compris dans une commune qui ne compterait que dix habitants. Le maire n’a pas à mettre à exécution le constat d’un délit.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. L’article 1er prévoit l’information préalable des maires avant tout rassemblement, via un nouveau régime de déclaration, pour tous les cas où le préfet n’est pas compétent, notamment lorsque moins de 500 personnes sont attendues et en l’absence de publicité. Quelle que soit la taille du rassemblement, les organisateurs devront désormais présenter les documents permettant d’organiser précisément le rassemblement. De ce point de vue, le texte me semble être une avancée.
J’ajouterai juste à l’adresse de notre collègue Benbassa, avec qui nous avons souvent l’occasion de discuter de ces sujets, que j’ai apprécié sa culture politique, ses références à Woodstock, naturellement,…
Mme Esther Benbassa. Le « naturellement » est de trop !
M. François Bonhomme. … sa justification philosophique sur la catharsis, sa théorie selon laquelle la société aurait besoin de défouloirs qu’il ne faudrait pas trop organiser (Mme Esther Benbassa s’exclame.), mais je m’étonne qu’elle oublie, pour une raison qui m’échappe, les dérapages et les dérives auxquels ces rassemblements donnent parfois lieu. Elle a en outre fait un lien entre cette proposition de loi et le libéralisme. Je suis surpris de son interprétation.
Dans toutes ces manifestations règne précisément l’hyper-individualisme. L’individu y est roi, il ne supporte pas la moindre restriction qui viendrait limiter le droit à la fête qu’il revendique, toute restriction étant forcément qualifiée de liberticide. Ce vitalisme débridé ne supporte pas le moindre obstacle à son expression. Le droit à la fête, dans ce cas-là, est forcément une expression légitime de l’être, qui se répand dans ses droits. (Mme Esther Benbassa proteste.) Toute limite à ce droit serait forcément de nature autoritaire. Je pense qu’il faut resituer un peu les choses. Ces personnes ne supportent pas la moindre contrainte formaliste permettant d’organiser au mieux ces événements plutôt que de les subir.
Vos propos font toujours sourire. Toutes les conditions que nous posons nous valent systématiquement d’être disqualifiés : nous serions rétrogrades, sourds aux musiques actuelles, incapables de comprendre les musiques d’avant-garde. Je suis désolé, mais toutes les fêtes, chère madame Benbassa, ne donnent pas lieu aux dérives qui viennent d’être évoquées.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Durain, Sueur et Jacques Bigot, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour, Cabanel et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
au moins un mois avant la date prévue
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Les rave-parties sont régies par le code de la sécurité intérieure, dans sa partie législative, ainsi que dans sa partie réglementaire. Ces manifestations sont donc précisément encadrées. D’une part, il existe les dispositions générales qui relèvent de la loi. D’autre part, les formalités pratiques auxquelles doivent se soumettre les organisateurs de rave-parties sont renvoyées au domaine réglementaire.
En prévoyant une nouvelle déclaration auprès du maire pour tous les cas où le préfet n’est pas compétent, l’article 1er crée un nouveau régime déclaratif.
La volonté de donner aux maires la capacité d’anticiper pareille manifestation est légitime. L’esprit de dialogue et d’accompagnement qui a présidé à l’élaboration du cadre législatif en vigueur pour les rave-parties de taille importante serait ainsi appliqué aux rave-parties de moyenne importance.
Afin d’assurer la cohérence de l’ensemble des dispositions relatives aux rave-parties, l’amendement que nous présentons vise simplement à aligner le régime destiné aux « petites » raves sur le régime en vigueur.
En effet, la précision relative au délai d’un mois est de nature réglementaire. Il serait approprié de laisser le décret définir cette durée, au même titre que pour les grands rassemblements.
Je rappelle que lorsque nous avons porté en 2006 de 250 à 500 le nombre de participants à partir duquel une déclaration est rendue obligatoire afin de mieux cibler les gros événements qui préoccupaient alors les pouvoirs publics, cette précision étant de nature réglementaire, un simple décret du ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy a suffi. Il n’a nullement été besoin de légiférer.
Je signale au passage que nous aurions également pu demander la suppression de l’alinéa 4 de l’article 1er, qui impose de mentionner dans la déclaration les nuisances de toutes natures qui peuvent résulter d’une manifestation. Cette prescription figure déjà dans le décret. La déclaration comporte en particulier toutes précisions sur les modalités de stockage, d’enlèvement des déchets divers et de remise en état du lieu utilisé pour le rassemblement.
Cet amendement a un but pragmatique. Il s’agit de faire en sorte que le cadre législatif applicable aux rave-parties conserve une certaine souplesse.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
un mois
par les mots :
deux mois
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Le délai d’un mois est trop court. Il faut tout de même laisser à l’administration, une fois que la déclaration a été faite, le temps de réagir, ce qui sera extrêmement difficile, le temps que tout se mette en branle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. D’un côté, on veut supprimer le délai, de l’autre, l’allonger. Si la question est adéquate, elle reçoit des réponses variables dans le code de la sécurité intérieure. En l’état actuel de la proposition de loi, je pense que le bon délai est d’un mois. Quand le texte prospérera, peut-être ce délai sera-t-il modifié.
Pour l’heure, j’émets un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Je rappellerai tout d’abord la position globale du Gouvernement, dont découle son avis sur ces deux amendements.
Pour nous, l’instauration de l’obligation de déclarer les rave-parties dont les organisateurs estiment à moins de 500 le nombre de participants revient à confier au maire la gestion de l’événement dans le cadre de ses seuls pouvoirs de police générale. Or, in fine, et vous l’avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, le maire se retourne vers les services de l’État, vers le sous-préfet, et c’est aux gendarmes qu’il revient d’encadrer la rave-party. Ce régime ne nous paraît donc pas satisfaisant de ce point de vue. Par ailleurs, il offre la possibilité aux organisateurs de contourner le régime de police spéciale en déclarant moins de 500 participants quand ils en attendent plus.
Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, nous sommes défavorables à l’article 1er. Nous émettons donc un avis défavorable sur l’amendement n° 5 rectifié de M. Durain, même si la fixation du délai relève en effet du pouvoir réglementaire. De même, nous sommes défavorables à l’amendement de M. Masson.
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Gabouty, Gold et Jeansannetas, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le maire peut, soit en amont, soit au cours d’un tel rassemblement, en informer le représentant de l’État, afin qu’il puisse prendre les mesures prévues à l’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, sans mise en demeure préalable. » ;
La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Le dispositif Vaillant fixé en 2001 prévoit la responsabilisation des services de l’État uniquement pour les regroupements supérieurs à 500 personnes. Or, en Gironde par exemple, ce sont surtout de plus petits rassemblements qui sont organisés, sous forme de free-parties. Dans ces situations, nous l’avons tous évoqué ici, les maires des communes se sentent livrés à eux-mêmes. À cet égard, j’ai en mémoire les propos du maire de Salles, qui a été confronté à une telle situation.
Lorsqu’ils souhaitent empêcher de tels rassemblements, les maires manquent de moyens et se sentent seuls face à des groupes d’individus bien organisés. Lorsqu’ils souhaitent au contraire les permettre dans des conditions susceptibles de satisfaire les participants, les riverains et les conditions de sécurité, ils ne peuvent là aussi parfois compter que sur eux-mêmes pour mobiliser les forces de l’ordre et la préfecture.
Cet amendement tend donc à mettre en place un régime de responsabilité partagée entre les maires et l’État, les maires ayant la charge de la concertation et de l’information, les services de la préfecture celle de l’intervention, si nécessaire, afin de garantir la sécurité de ces manifestations.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. Le maire peut déjà informer le préfet, et on peut penser que c’est d’abord de l’appui des forces de l’ordre dont il a besoin.
Surtout, l’amendement fait référence à l’article L. 2215-1 du code général des collectivités locales, qui prévoit que le préfet peut se substituer aux maires défaillants pour assurer la salubrité, la sûreté, la tranquillité publique. Il est difficile d’écrire dans la loi que le maire peut invoquer sa propre carence pour faire intervenir le préfet.
Enfin, le régime de déclaration, tel qu’il est mis en place, ne crée pas de nouvelles responsabilités pour le maire. Il n’y a donc pas lieu de prévoir de responsabilité partagée.
Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles que vient d’invoquer M. le rapporteur. Cet amendement tend à inverser un principe fondamental, à savoir le pouvoir de substitution du préfet en matière de police en cas de carence du maire.
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par Mme Duranton, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Elle fait état du niveau de volume sonore envisagé, et de la possibilité pour les participants de le consulter en temps réel par un dispositif d’affichage adéquat.
La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Le niveau sonore des rave-parties, qui ne peut excéder le niveau envisagé par la loi, est un véritable problème tant pour les participants que pour le voisinage. Il est essentiel de le connaître.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. Mme Duranton a parfaitement raison, mais, comme c’est indiqué dans l’objet de son amendement, le niveau sonore du rassemblement doit respecter les prescriptions légales en la matière.
Quant au niveau sonore envisagé et à la mise en place d’un affichage en temps réel, ils me paraissent relever de la charte qui doit être élaborée en concertation avec les pouvoirs publics.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Je comprends la position de notre rapporteur, mais je souhaite dire à M. le secrétaire d’État, et surtout à Mme la ministre de la santé, que la question des décibels n’est pas une petite histoire.
Le nombre de décibels autorisé est limité dans les discothèques, à 102 ou 105 décibels, me semble-t-il, ou pour les appareils de type MP3.
Dans le cas des rave-parties, on prend le risque que des jeunes se retrouvent, malgré eux parfois, placés à deux ou trois mètres d’enceintes hors normes – il faut voir les machines, elles sont gigantesques ! Or il suffit qu’ils y soient exposés un quart d’heure pour subir des atteintes irréversibles de l’oreille. De plus en plus de jeunes sont handicapés à vie, simplement parce que, par instinct grégaire, ils ont suivi un groupe.
Je tenais à évoquer ce sujet, qui n’est malheureusement pas souvent abordé. J’aimerais que les pouvoirs publics ne restent pas sourds, si j’ose dire, à ce problème.
M. Fabien Gay. C’est un problème de santé publique !
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° À l’article L. 211-6, après les mots : « préfet de police, », sont insérés les mots : « ou, si la déclaration a été faite auprès de lui, le maire, » ;
2° L’article L. 211-7 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après les mots : « préfet de police, », sont insérés les mots : « ou, si la déclaration a été faite auprès de lui, le maire, » ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes physiques ou morales pour le compte desquelles sont mis en place par les forces de police ou de gendarmerie des services d’ordre qui ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de maintien de l’ordre sont tenues de rembourser à l’État les dépenses supplémentaires qu’il a supportées dans leur intérêt. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez déjà répondu aux deux premières questions que soulève mon amendement. J’évoquerai donc simplement sa dernière partie, qui concerne les rassemblements non déclarés en milieu rural.
Les forces de gendarmerie sont particulièrement mobilisées pour sécuriser les lieux. Il apparaît donc logique dans ce cas de mettre à la charge des organisateurs les frais liés aux services d’ordre effectués au-delà des obligations normales incombant à la puissance publique.
Dans une vie antérieure, monsieur le secrétaire d’État, j’ai été élu dans le Larzac. Je suis aujourd’hui élu du département de l’Hérault. Comme l’a indiqué tout à l’heure notre collègue Henri Cabanel en évoquant le cas de la commune de Saint-Pargoire, chère à notre collègue Agnès Constant, de nombreuses rave-parties sauvages sont organisées dans ce département.
Il me semblerait normal de demander aux organisateurs d’assumer un certain nombre de frais liés à la sécurité lorsqu’une rave-party n’est pas déclarée, ce qui n’est pas acceptable. Il faudrait tout de même leur adresser une petite facture !
Je le rappelle, la consommation de drogues et l’usage immodéré de boissons sont fréquents dans les rave-parties. La responsabilité des pouvoirs publics est donc engagée par les organisateurs. C’est pourquoi je pense que nous pourrions leur demander une participation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. Encore une fois, le texte de la commission des lois met en place un régime de déclaration simple qui permet l’information du maire un mois avant la tenue d’un rassemblement, mais il ne lui confère pas de nouveau pouvoir de police, donc pas d’obligation supplémentaire.
Modifier un tel équilibre aurait pour effet d’impliquer plus le maire en droit sans lui conférer plus de moyens en fait. Je ne peux pas y être favorable.
En outre, M. Grand propose d’imputer aux organisateurs des frais de sécurité liés à l’organisation du rassemblement. Une telle mesure peut sembler tout à fait logique – j’y serais même favorable si je n’étais pas rapporteur –, mais elle n’est pas applicable en pratique s’agissant d’une activité qui reste dans la sphère des spectacles amateurs. Cela serait source de tensions avec les organisateurs, et ne permettrait pas pour autant de récupérer les sommes exigées.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. L’avis est également défavorable.
Le dispositif visé dans la première partie de l’amendement impose aux communes des obligations dont elles n’auraient pas la possibilité de s’acquitter. Elles devraient ainsi discuter avec l’organisateur, valider son dispositif de sécurité, lui imposer des prescriptions, voire prononcer une interdiction… C’est exorbitant par rapport aux capacités de certaines petites communes, qui, dans les faits, se tournent généralement vers les services de l’État.
Par ailleurs, il n’est tout simplement pas possible de faire facturer les services des forces de l’ordre s’agissant de manifestations à but non lucratif. En l’occurrence, celles-ci interviennent pour des nécessités de sécurité publique, dans le cadre de leur mission générale de sécurité. Je précise d’ailleurs que cette mission est bien assurée. La rave-party qui s’est déroulée dans les environs de Nantes à laquelle M. Durain faisait référence tout à l’heure a tout de même mobilisé 120 gendarmes, et de nombreux contrôles et verbalisations ont été réalisés.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Si notre collègue Pascale Bories a déposé une telle proposition de loi, c’est bien qu’il y a un problème !
Certes, il ne s’agit pas de manifestations à but lucratif. Mais il y a tout de même bien un commerce sur place ; songeons à tous ces camions qui y distribuent de la bière ! Et encore, je ne parle que de la bière…
Ne soyons pas naïfs ! À qui fera-t-on croire que les organisateurs, qui font venir des professionnels, parfois sur plusieurs jours, n’auraient pas les moyens de payer 10 000 euros, 15 000 euros ou 20 000 euros pour les gendarmes ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Leroy, rapporteur. Je le précise, le nouveau délit ainsi créé permettrait de procéder à des confiscations ; or la valorisation des confiscations permettra de verser à qui de droit les sommes à récupérer.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Mme Assassi a déjà indiqué ce que nous pensons sur le fond de la présente proposition de loi.
Le risque d’un tel débat est de favoriser les surenchères et les propositions irréalistes. Ainsi, M. Grand souhaite faire payer les organisateurs. Mais, concrètement, s’il n’y a pas d’organisateur déclaré, à qui enverrez-vous la note ? (Sourires sur les travées des groupes CRCE et SOCR.) À personne !
Les décibels sont une vraie question. J’ai moi-même organisé un festival autorisé : la Fête de l’Humanité. (Exclamations amusées.)
M. Loïc Hervé. Ce n’est pas exactement une rave-party !
M. Fabien Gay. Avec 600 000 participants par an, c’est la plus grande fête populaire française, même si cela vous déplaît !
M. Jean-Pierre Grand. Pas du tout ! La Fête de l’Humanité est tout à fait respectable !
M. Fabien Gay. En plein air, il n’est techniquement pas possible d’afficher les décibels. Il est donc illusoire de penser que l’on pourrait y parvenir dans le cadre d’un rassemblement de quelques centaines, voire quelques milliers de personnes.
Les auteurs de la présente proposition de loi soulèvent de véritables questions, mais nous disposons d’ores et déjà de l’arsenal législatif adapté. Ce qui fait en revanche défaut, ce sont les moyens humains et financiers : il faut plus de gendarmes ! C’est le vrai sujet.
Mes chers collègues, vous aurez beau vous lancer chaque semaine dans toutes les surenchères que vous voudrez, avec des amendements tous plus répressifs les uns que les autres, histoire de signifier votre volonté d’aller au bout de la démarche, vous n’aboutirez à rien sans moyens ! Le Sénat va débattre pendant un mois du budget de la France ; le vrai sujet, c’est celui des moyens financiers et humains dont nous dotons nos services publics, en l’occurrence la gendarmerie.
Oui, il est problématique que des terrains privés soient envahis. Mais la loi apporte déjà des réponses. Simplement, vous ne parvenez pas à les mettre en œuvre, car ce ne sont pas deux ou trois gendarmes qui vont faire respecter la loi face à des centaines, voire à des milliers de personnes.
Continuez donc à alimenter un faux débat, à déposer des amendements tous plus répressifs et farfelus les uns que les autres : nous, nous voterons contre ! De toute manière, sitôt adoptée, cette loi sera inapplicable.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Notre collègue, que j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt, nous dit en substance, à l’instar de Mme Benbassa, qu’on ne peut pas échapper aux débordements,…
Mme Esther Benbassa. En effet ! On ne peut pas !
M. François Bonhomme. … lesquels seraient consubstantiels à ce type de manifestations. En d’autres termes, comme c’est difficile, il faudrait renoncer ; voilà un drôle de raisonnement ! Je ne vois rien aujourd’hui qui permette d’encadrer quelque peu ce phénomène, qui n’est pas du tout organisé aujourd’hui.
L’objet du texte est précisément de faire entrer les pratiques concernées dans la légalité.
Mme Esther Benbassa. Il y a déjà une charte !
M. François Bonhomme. Je suis tout de même un peu surpris. D’ordinaire, sur la partie gauche de cet hémicycle, l’on n’a de cesse d’invoquer la volonté politique. Or, en l’espèce, il n’y a plus aucune volonté politique qui tienne ; il faudrait entériner une situation donnée.
M. Fabien Gay. Personne n’a dit cela !
M. François Bonhomme. Dans quelques instants, nous examinerons un amendement portant sur le ministère de la culture, histoire sans doute de donner un vernis culturel à ces manifestations. Un tel mode de légitimation me semble extrêmement dangereux. Tenir un discours quelque peu démagogique, en disant qu’il s’agit simplement de fêtes comme les autres en refusant d’en mesurer les conséquences, c’est aggraver le phénomène !
Mme Esther Benbassa. Supprimons aussi les carnavals et toutes les fêtes, comme ça tout le monde passera ses journées devant Netflix !
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
M. Alain Fouché. Dans de telles manifestations, il est effectivement impossible de contrôler des décibels !
M. Jean-Pierre Grand. Je retire mon amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. L’amendement n° 1 est retiré.
Article 1er bis (nouveau)
Une charte de l’organisation des rassemblements mentionnés à l’article L. 211-5 du code de la sécurité intérieure est définie par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé de la jeunesse, après concertation avec les représentants des organisateurs.
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Durain, Sueur et Jacques Bigot, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour, Cabanel et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après les mots :
du ministre de l’intérieur
insérer les mots :
, du ministre chargé de la culture
La parole est à M. Hervé Gillé.
M. Hervé Gillé. Cet amendement a pour objet d’associer le ministère de la culture à l’élaboration de la charte. L’ajout que nous proposons pourrait sembler mineur. En réalité, sa portée n’est pas que symbolique. Il s’agit de développer des capacités de médiation et d’éviter les oppositions frontales.
On constate depuis l’origine que le problème des rave-parties a principalement été abordé sous l’angle sécuritaire, celles-ci n’étant pas considérées comme des événements culturels et artistiques.
Depuis 1981, le ministère de la culture a connu des évolutions importantes dans l’exercice de ses missions, et la notion de culture s’est considérablement élargie. Des formes d’expression jugées mineures ou réservées à certaines catégories sociales considérées comme plus ou moins marginales ont été reconnues comme légitimes.
La musique techno est aujourd’hui bien identifiée comme une expression musicale à part entière qui mérite l’attention des pouvoirs publics. La production de la musique électronique se réinvente au gré de l’évolution des nouvelles technologies. En matière économique, elles représentent 17 % des musiques actuelles. On aurait donc pu imaginer une implication importante du ministère de la culture sur la question des raves-parties.
Force est de constater une situation inverse. Depuis le début, nous avons bien assisté à un phénomène de captation de ce problème par le ministère de l’intérieur et la mise à l’écart du ministère de la culture. Ce désengagement quasi total du ministère de la culture est une anomalie. Un tel processus n’est pas sans effet sur la manière d’aborder le sujet qui nous intéresse aujourd’hui.
La remise en jeu du ministère de la culture n’est donc pas neutre. Dans certains cas, ce ministère a joué un rôle de médiation utile entre les groupes de musique électronique animant les raves et les autorités politiques. Nous pouvons citer en exemple ce qui se passe en Bretagne et dans la région limitrophe des Pays de la Loire. Bien avant la charte visée par l’article 1er de la proposition de loi, des livrets à l’usage des démarches de concertation ont été élaborés.
Dans ces territoires, qui sont les plus vivants en matière de rave-parties et qui ont été des terrains d’affrontements violents entre les forces de l’ordre et les « teufeurs », l’engagement du ministère de la culture et d’une multitude d’acteurs culturels publics et associatifs démontre qu’une autre voie est possible pour traiter la question des rave-parties.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. Certes, ce sont la délégation interministérielle à la jeunesse et le ministère de l’intérieur qui sont en pointe sur le sujet. Mais le ministère de la culture peut effectivement jouer un rôle. J’émets donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. L’avis est forcément défavorable, puisque nous sommes défavorables à la proposition de loi. Au demeurant, une telle précision relève du domaine réglementaire.
Cela étant, l’association du ministère de la culture à l’élaboration de la charte en vue d’avoir une triple signature peut s’étudier, y compris dans le cadre du domaine réglementaire. Notre but est de faire en sorte que les organisateurs respectent le principe de la déclaration et adhèrent à la charte. Certes, c’est compliqué. La mobilisation du ministère de la culture – je rejoins totalement M. le rapporteur – pourrait être un plus.
Par conséquent, si j’émets un avis défavorable sur cet amendement dans la mesure où le dispositif relève du domaine réglementaire, je prends bonne note, au nom du Gouvernement, de l’observation qui a été formulée.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour explication de vote.
M. François Bonhomme. Visiblement, certains font des circonvolutions, se contorsionnent pour ne pas être accusés d’hostilité envers la jeunesse, mais le sujet relève d’abord du ministère de l’intérieur ; c’est à lui qu’il appartient de fixer les conditions de sécurité en vue du bon déroulement de telles manifestations.
Inutile de se tortiller en expliquant qu’il s’agit d’un sujet culturel, lié à de la musique d’avant-garde. Ce qui est en cause, ce n’est pas la nature de la musique diffusée ; c’est le niveau sonore. On pourrait également convoquer le ministère de la santé ou celui de l’environnement, puisque des zones occupées illégalement sont dévastées.
La priorité est d’avoir un régime déclaratif strictement encadré pour que les rave-parties se passent dans de bonnes conditions. Car, voyez-vous, madame Benbassa, le discours de Greta Thunberg n’a visiblement pas encore produit tous ses effets, même s’il s’agit de jeunes, quand on voit ces champs dévastés ! (Protestations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Je voudrais remercier M. le rapporteur, qui a compris tout l’intérêt qu’il y avait à associer le ministère de la culture : plus il y aura de parties prenantes autour de la table et plus on arrivera à trouver des solutions.
La problématique du son est réelle, mais si notre collègue était un peu plus au courant de ce qui se passe dans les rave-parties, il saurait que les participants portent tout de même des protections. Au demeurant, il faudrait aussi évoquer les boîtes de nuit, les casques audio, voire les grands prix de Formule 1. L’argument relatif au son ne me paraît donc pas déterminant.
En revanche, il est essentiel que le ministère de la culture soit également autour de la table. Je voterai donc cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Leroy, rapporteur. Je salue le travail de M. Cabanel, qui s’est investi pendant de nombreux mois auprès des élus, des sous-préfets et de l’ensemble des acteurs concernés. Il n’a pas renoncé, mais les décisions à prendre ont été différées. Aujourd’hui, nous sommes dans l’illégalité totale. Le Gouvernement s’en accommode. C’est tout de même préoccupant.
S’il faut trois administrations pour élaborer une charte, celle-ci risque de ne jamais voir le jour…
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Gabouty, Gold et Jeansannetas, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Compléter cet article par les mots :
et des associations de représentants des communes
La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. À l’initiative de notre rapporteur, l’article 1er bis a été introduit en commission pour prévoir la rédaction d’une charte pour la bonne organisation des rave-parties.
Comme l’a souligné notre collègue Henri Cabanel, un guide de la médiation avait jadis été rédigé en interministériel, sous le pilotage du ministère de la jeunesse de l’époque, en dialogue avec un panel d’organisateurs. Il serait efficace que cette charte s’inspire de ces travaux antérieurs, ces derniers ayant permis quelques avancées sur le terrain.
L’amendement que nous vous proposons vise à associer les maires, qui sont en première ligne, à la rédaction de la charte, afin que leurs difficultés concrètes soient entendues et prises en compte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. Le Sénat est bien la chambre des communes. Je suis donc favorable au fait d’associer les maires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Avis défavorable, puisque nous sommes défavorables à l’article 1er bis. Je précise que la charte existe depuis 2002.
Mme Cécile Cukierman. Comme quoi, il ne suffit pas toujours de faire une charte !
M. Fabien Gay. Il faut des moyens !
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er bis, modifié.
(L’article 1er bis est adopté.)
Article 2
L’article L. 211-15 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Après les mots : « préfet de police, », sont insérés les mots : « ou, si la déclaration a été faite auprès de lui, par le maire, » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait d’organiser un rassemblement mentionné à l’article L. 211-5 sans déclaration préalable ou en violation d’une interdiction prononcée par le préfet du département ou, à Paris, par le préfet de police, ou, si la déclaration a été faite auprès de lui, par le maire, est puni de 3 750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général. Le tribunal peut prononcer la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit. »
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Durain, Sueur et Jacques Bigot, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour, Cabanel et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. La commission a réaménagé le volet répressif de l’article 2 de la proposition de loi. En étendant la possibilité de saisie du matériel de sonorisation et en créant un nouveau délit, elle envoie un message contradictoire.
En effet, il n’est pas très cohérent d’avancer que l’on souhaite coopérer en amont avec les organisateurs et, dans le même temps, les mettre sous répression pénale en transformant la contravention en vigueur en délit. Les organisateurs savent très bien que le régime de la déclaration est un régime d’autorisation déguisée. La pratique a suffisamment démontré cette réalité.
Pareille option, si elle venait à être retenue par le Sénat, risquerait de se retourner contre les élus locaux. Comme ils auront tendance à considérer que les conditions ne sont pas suffisamment réunies, ils pourront s’y opposer. Or notre rapporteur a rappelé à plusieurs reprises que le présent texte ne créait aucun pouvoir de police du maire. Ce texte n’instaure qu’un régime de déclaration simple sans possibilité de refuser le récépissé.
Tel Ulysse attaché au mât de son navire, le maire pourra écouter le chant des sirènes – certes, celui-ci n’est guère harmonieux aux oreilles de M. Bonhomme – sans pouvoir agir. Vous conviendrez qu’il s’agit d’une position très inconfortable pour répondre aux sollicitations de ses administrés.
Tant que les initiateurs de la manifestation éprouveront le sentiment qu’en jouant le jeu du régime déclaratoire ils risquent de se faire piéger davantage, ils ne pourront qu’être incités fortement à choisir la clandestinité.
La question porte essentiellement sur les petites raves. Nous ne disposons pas de statistiques précises pour connaître l’ampleur du phénomène. Notre rapporteur a rappelé que les enquêtes connues sont anciennes et les chiffres peu fiables. Nous légiférerons donc à l’aveugle alors qu’il existe déjà tout un arsenal juridique à disposition des maires et des préfets.
Rehausser au niveau législatif des mesures réglementaires existantes et renforcer les sanctions n’apporteraient aucune plus-value. Au contraire, ainsi que l’exprime le Conseil d’État, qui dénonce régulièrement les effets de l’intempérance normative, ce serait source d’instabilité et de complexité, et, sur le terrain, cela pourrait bien de se retourner contre les maires.
Face à leur sentiment d’isolement et l’incapacité d’agir, les maires demandent au contraire à être mieux entendus et mieux accompagnés dans leurs pouvoirs de police lorsque des rassemblements festifs à caractère musical sont organisés sur le territoire de leur commune.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas de pouvoir de police du maire ; j’ai dit qu’il n’y avait pas de pouvoir « spécial » de police du maire !
La situation actuelle, qui réprime l’interdiction des manifestations par une contravention de cinquième classe, a fait la démonstration de son incapacité à fonctionner. Le fait de le passer en délit donne des pouvoirs aux services de police et de gendarmerie pour faire respecter la règle. Aujourd’hui, tout est bloqué. Comme cela a été rappelé, 3 200 manifestations ne nécessitent pas de déclaration aux préfets, et il y a eu seulement 2 récépissés et 70 condamnations à 436 euros d’amende pour les 800 cas où la déclaration au préfet s’imposait : c’est d’une inefficacité absolue.
Le fait de passer à un délit donne des prérogatives aux forces de sécurité - gardes à vue, saisies, etc. - et permet de faire respecter la loi.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Comme M. le rapporteur le rappelait, il y a environ 70 condamnations par an dans le cadre contraventionnel.
Nous ne sommes pas favorables à la transformation en délit de l’actuelle contravention de cinquième classe, la peine d’emprisonnement, qui est la peine de référence de principe en matière délictuelle, n’étant pas prévue ici.
Par ailleurs, j’attire votre attention sur un point : transformer une contravention en délit n’emporte un certain nombre de prérogatives pour les policiers et les gendarmes, notamment en matière de garde à vue et de procédure accélérée, que dans la mesure où des peines de prison sont prévues, de surcroît avec un certain quantum. L’effet utile ne serait donc pas atteint.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement, dès lors que c’est un amendement de suppression.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 3 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 13, présenté par Mme Duranton, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Remplacer le montant :
3 750 euros
par le montant :
4 500 euros
La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. La lutte contre l’organisation de rave-parties sauvages doit passer par des prévisions de sanctions à même de dissuader effectivement les organisateurs potentiels de ces événements. Cet amendement vise donc à augmenter l’amende prévue sans pour autant la rendre équivalente aux peines encourues pour des faits plus graves.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. Le montant fixé actuellement est cohérent par rapport aux autres peines de même niveau dans le code pénal. Je demande le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Duranton, l’amendement n° 13 est-il maintenu ?
Mme Nicole Duranton. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 13 est retiré.
L’amendement n° 4 n’est pas soutenu.
L’amendement n° 12, présenté par Mme Duranton, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait de rendre publiques des informations relatives à l’organisation d’un rassemblement mentionné à l’article L. 211-5 sans avoir reçu l’agrément consécutif à la déclaration préalable effectuée auprès du représentant de l’État dans le département ou, le cas échéant, du maire, est puni de 1 000 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général. »
La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Les rave-parties réunissent des participants venant parfois de loin et prévenus longtemps en amont sur les réseaux sociaux. La communication sur celles-ci s’organise en effet au mépris de la loi par le maintien d’une imprécision sur le lieu de rendez-vous, souvent en le modifiant à la dernière minute. Il convient donc d’encadrer ce canal, en ne permettant pas la diffusion d’informations sur la tenue d’une rave avant l’agrément préfectoral ou municipal.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. La formulation du nouveau délit est beaucoup trop large et ne permet pas de le caractériser suffisamment au regard du principe de légalité des délits et des peines. En l’état, cela pourrait toucher non seulement les organisateurs, mais aussi la presse et des autorités publiques elles-mêmes. Cet amendement risque donc de ne pas atteindre sa cible.
De manière plus pratique, c’est aux pouvoirs publics quand ils prononcent une interdiction de rendre la décision publique. Il convient que les maires soient appuyés par les services de police et de gendarmerie pour assurer la prévention du rassemblement illégal.
Je demande le retrait de l’amendement, faute de quoi l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Avis défavorable, d’autant qu’il n’y a pas forcément d’agrément dans l’ensemble des régimes.
M. le président. Madame Duranton, l’amendement n° 12 est-il maintenu ?
Mme Nicole Duranton. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 12 est retiré.
Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
La sous-section 2 de la section 5 du chapitre Ier du titre Ier du livre II du code de la sécurité intérieure est complétée par un article L. 211-15-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 211-15-1. – Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues à l’article 121-2 du code pénal, de l’infraction prévue à l’article L. 211-15 du présent code, encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues à l’article 131-38 du code pénal, la peine de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit. »
M. le président. L’amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Durain, Sueur et Jacques Bigot, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour, Cabanel et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jérôme Durain.
M. Jérôme Durain. Cet amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. La mesure visée dans l’article, qui a été amendée par la commission des lois, paraît adéquate et proportionnée. L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié, présenté par Mme N. Delattre, MM. Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Gabouty, Gold et Jeansannetas, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Les frais de confiscation sont mis à leurs dépens.
La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. L’article 3, qui vise à renforcer le volet répressif pour les événements ne respectant pas la décision municipale d’interdire la rave-party, prévoit la confiscation pénale du matériel ayant permis de réaliser l’infraction ou en étant le produit.
Cette confiscation est réalisée par les services de la mairie. Les frais seraient donc à la charge non de la commune, mais de la personne morale déclarée responsable pénalement. Souvent, ce matériel est hors norme ; il demande la mobilisation de camions et beaucoup de bras pour les transvaser.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Henri Leroy, rapporteur. Je comprends parfaitement les motivations d’un tel amendement. Cependant, la valorisation des biens confisqués permet de récupérer les frais engagés. Il ne paraît donc pas nécessaire de prévoir une telle mesure. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jérôme Durain, pour explication de vote.
M. Jérôme Durain. Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. En l’occurrence, nous n’avons malheureusement pas trouvé l’utilité de cette proposition de loi.
Bien entendu, nous ne nions pas les difficultés qui sont liées à l’organisation des rave-parties. Comme cela a été rappelé, il y a des problèmes de conditions sanitaires, de sécurité, de coût pour les finances publiques, ainsi que des atteintes à la propriété et des dégradations.
En l’état actuel du droit, un tel texte ne nous paraît pas utile ; il ne modifie pas suffisamment, et pas dans le bon sens, la législation pour atteindre les objectifs visés. Il risque même de se révéler contre-productif.
Qui contacter en cas de rave-party ? Ce sont des mouvements spontanés, autonomes, toujours à la limite de la clandestinité. Comme cela a été souligné en commission, la législation sur les rave-parties a été progressive. Le sujet est délicat et extrêmement sensible ; certains n’ont visiblement pas envie d’attirer l’attention sur les manifestations qu’ils essayent de monter. Dès lors, le risque de voir les organisateurs préférer la clandestinité à la déclaration en cas d’aggravation des peines nous semble assez sérieux.
En plus, même si nous avons pris bonne note des intentions de la commission et du rapporteur, force est de constater que l’on charge encore la barque pour les maires.
Pour toutes ces raisons, un tel texte ne paraît vraiment pas opportun. Le sujet nécessite de la délicatesse et du contact. C’est pourquoi nous avons proposé la médiation du ministère de la culture. Le dialogue est parfois préférable à la répression.
Par conséquent, nous voterons contre la présente proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.
M. Henri Cabanel. Comme je le soulignais tout à l’heure, le sujet doit être débattu. Dans nos territoires, les maires subissent malheureusement de telles manifestations et les pollutions, notamment sonores, qui les accompagnent.
La concertation est selon moi essentielle ; il faut travailler en amont avec les collectifs. Dans mon département, grâce à la volonté du sous-préfet de Lodève, j’ai eu l’occasion de travailler avec des collectifs, des maires suffisamment courageux pour proposer des terrains où se déroulent souvent des manifestations illicites, comme celui d’Aniane, dans l’Hérault, que je tiens à citer, des professionnels de santé, des pompiers, des gendarmes… À la fin des discussions, ce qui a finalement manqué, c’est le courage pour chacun d’entre nous d’assumer la responsabilité de l’organisation d’une manifestation licite. Sur le terrain, il y avait toujours un point qui ne convenait pas : pour les pompiers, la manifestation était trop près des bois ; pour les gendarmes, les accès posaient des problèmes de sécurité, etc.
Au final, nous nous retrouvons avec des collectifs qui veulent organiser de telles manifestations, mais ne trouvent pas de terrain. La problématique n’est donc pas répressive ; elle réside dans le fait que nous sommes souvent dans l’incapacité de nous entendre en amont pour trouver des lieux permettant d’organiser ces manifestations sans gêner les uns ou les autres.
Il est difficile de trouver dans ce cadre des propositions qui conviennent à tout le monde, mais je le répète, c’est dans la concertation en amont avec les collectifs que nous trouverons des solutions. C’est pourquoi je m’abstiendrai sur cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Pascale Bories, pour explication de vote.
Mme Pascale Bories. Pour paraphraser Victor Hugo, tout un chacun, y compris un participant à une rave-party, a droit à la liberté, celle d’aimer un style de musique comme d’autres le classique ou le rock, mais personne n’a de droit sur la liberté. Or, monsieur le secrétaire d’État, lorsque cette liberté a un caractère licencieux, il est indispensable d’en définir les limites.
C’est tout l’objet de ce texte et des propositions formulées par le rapporteur. Nous voulons mieux définir ces limites, mais aussi assurer l’information du maire, sans pour autant lui conférer de nouveau pouvoir, afin qu’il puisse se tourner vers les forces de l’ordre. À cet égard, bien sûr, le manque de moyens des forces de l’ordre est un sujet important, dont nous aurons prochainement l’occasion de débattre. J’en profite pour souligner que nous n’avons pas le monopole des amendements incohérents, monsieur Gay…
Quoi qu’il en soit, les forces de l’ordre attirent notre attention sur le manque de moyens juridiques dont ils disposent pour intervenir. C’est l’objet des articles 2 et 3 de la proposition de loi.
C’est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d’État, je vous invite à reconsidérer cette proposition de loi et à veiller à ce qu’elle puisse aboutir.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. J’ai toujours plaisir à venir au Sénat, parce que nos débats nous permettent de constater qu’il existe encore une droite et une gauche dans ce pays ! (Sourires.)
Nous pensons que les rave-parties posent effectivement un problème, mais que c’est par la médiation et le dialogue que nous pourrons le résoudre. Les gens qui participent à ces soirées veulent faire la fête en toute liberté, mais aussi, pour la plus grande partie d’entre eux, en toute sécurité. Il nous faut donc travailler sur la prévention des conduites à risques, des agressions – je signale d’ailleurs que ces questions ne sont pas l’apanage des rave-parties et se posent aussi dans les férias, dont je fus un adepte à une époque. Dans les fêtes, quelles qu’elles soient, ces problèmes peuvent se poser et il est nécessaire de les encadrer, de les accompagner.
Une autre vision consiste à penser que c’est en réprimant toujours plus fortement que l’on résoudra les problèmes. Plusieurs amendements allaient en ce sens, comme celui portant l’amende de 3 750 à 4 500 euros. Ces amendements s’inscrivent dans une certaine cohérence, mais croyez-vous vraiment que ceux qui sont aujourd’hui à la limite de la légalité, parfois dans l’illégalité, vont se mettre d’un seul coup à respecter la loi, parce qu’elle aura été durcie ?
Nous touchons là un sujet quasi philosophique et politique qui anime la droite et la gauche depuis longtemps : résout-on un problème en durcissant la loi ? Je suis désolé de vous dire, mes chers collègues, que c’est tout l’inverse !
Nous voterons contre cette proposition de loi, inefficace parce qu’inapplicable. Elle ne pose pas la question fondamentale des moyens, et c’est là que vous êtes incohérents, mes chers collègues, puisque depuis des années vous votez des budgets d’austérité tant en matière de sécurité que de politiques culturelles ou de médiation. Nous verrons ce qu’il en est à l’occasion du prochain débat budgétaire.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent, pour explication de vote.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Je déplore depuis longtemps le fait que la loi s’adapte souvent à un état de fait. Des gens s’octroient des libertés et on essaye d’arranger les choses pour les faire entrer dans une sorte de cadre.
Je suis la première à défendre l’accès à la culture, mais ce n’est malheureusement pas la question. Lors d’une rave-party dans ma commune de Cerdon, dans l’Ain, cent dix voitures étaient garées en épi pour empêcher l’accès des forces de l’ordre et, de fait, des pompiers.
Mme Cécile Cukierman. La loi l’interdit déjà !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Les gendarmes étaient démunis, faute de texte. Que faire de ces gens ?
J’ai vu des jeunes émerger de fossés dans un état second, couverts de boue. Et la musique faisait boum, boum, boum…
Mme Cécile Cukierman. C’est la définition d’une rave-party !
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est peut-être de la culture, mais je n’avais jamais vu des gens dans un tel état. Je viens pourtant d’un village viticole ! Il y avait même des gamins de trois ou quatre ans…
Je ne sais pas comment les forces de l’ordre auraient pu intervenir en cas d’accident. Aujourd’hui, nous sommes obligés d’installer des barrières au bout des chemins forestiers pour éviter ces regroupements.
Cette proposition de loi a le mérite de mettre le doigt sur un véritable problème et d’essayer de faire avancer les choses. Nos maires en ont ras-le-bol de subir ces situations.
J’ai été professeur d’arts appliqués, je suis donc tout à fait favorable à la culture, mais là, il s’agit de gamins couverts de boue dans des situations d’une extrême dangerosité ! Je n’ose pas vous dire ce que les gendarmes ont dû faire. Tous ces gens, dans un état déplorable, se sont posés un peu plus loin et ont attendu de se sentir mieux. Heureusement, il n’y a pas eu d’accident !
Il faut vraiment faire avancer les choses et ce texte s’y essaye. Merci pour nos maires ! (Mme Marie-Thérèse Bruguière applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.
M. Arnaud de Belenet. Entre la droite et la gauche, le pôle central, qui n’est pas tout à fait dominant dans cet hémicycle, partage la mise en exergue d’une problématique par la droite comme les réserves émises par la gauche.
Ce pôle central s’efforce de trouver une synthèse et regrette de ne pouvoir voter ce texte, dont les objectifs sont bons, mais dont les moyens, hélas, ne prospéreront pas.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je souhaite réagir à ce qui vient d’être dit, parce que certains propos s’écartent du débat que nous avons eu depuis le début de l’examen de cette proposition de loi.
Il est vrai qu’un certain nombre de collègues maires se retrouvent en difficulté pour comprendre et gérer le phénomène des rave-parties. Ce texte vise finalement à augmenter la réponse pénale, alors qu’il existe déjà des réponses juridiques à nombre des questions soulevées, par exemple en cas de rassemblement non déclaré. Tout n’est pas possible dans notre pays !
Il y a donc bien une question de moyens, et faire croire aux maires que cette proposition de loi fera disparaître le problème n’est pas leur dire la vérité ! Le pire, c’est qu’on donne le sentiment que renforcer la sanction va réduire le nombre de personnes qui ne respectent pas la loi. Or les choses ne se passent pas ainsi. Déjà au Moyen Âge, c’est en place de Grève que l’on trouvait le plus de voleurs ! Croire que le renforcement de la sanction amène soudainement les gens à obéir est peut-être inhérent à la nature humaine…
Par ailleurs, nous n’avons ni condescendance ni bienveillance à avoir à l’égard de ce type de rassemblements. Ils existent, des gens « s’y éclatent », si vous me permettez cette expression, et nous n’avons pas à porter de jugement, que ce soit d’un point de vue politique ou moral. En revanche, nous devons être attentifs aux questions de prévention et de médiation qui doivent être réglées le plus en amont et le mieux possible.
Je terminerai sur un point. Le principe même des rave-parties est le non-respect de la loi. Or ce texte essaye de répondre avec des outils traditionnels à un événement qui ne l’est pas. Il faudrait pouvoir inventer autre chose pour mieux répondre à un problème qui est par ailleurs réel.
Vous l’aurez compris, je ne voterai pas non plus cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Leroy, rapporteur. Je souhaite simplement préciser que cette proposition de loi découle de la demande de nombreux maires de droite, de gauche, du centre et même de La République en Marche… Beaucoup de Français nous l’ont également réclamée. D’ailleurs, elle a été déposée, sans être débattue, à l’Assemblée nationale.
Nous répondons ainsi aux attentes de très nombreux élus qui veulent d’abord être informés de ce qui se passe sur leur territoire. Aujourd’hui, nous savons très bien que les maires ne sont souvent pas informés de la tenue d’une rave-party sur leur commune, alors que certains services de l’État sont au courant. Les maires demandent simplement à être replacés au centre, afin de pouvoir répondre aux questions de leurs administrés. C’est ce que nous faisons avec ce texte.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. L’objectif de la proposition de loi de Mme Bories est d’informer le maire. Or c’est ce que font aujourd’hui les forces de l’ordre dès qu’elles ont connaissance de telles manifestations. L’idée de ce texte est d’obliger l’organisateur à faire une telle déclaration, si tant est que cet organisateur soit connu… Il faut ramener les choses à leur juste proportion ! Je le répète, l’échange d’informations entre les forces de l’ordre et les maires existe déjà et les policiers et gendarmes continueront d’accompagner l’action du maire.
Ensuite, le texte augmente la répression en élevant l’infraction au niveau délictuel, mais il ne prévoit pas de peine d’emprisonnement, ce qui n’apporte rien d’opérationnel aux forces de l’ordre, notamment en termes de garde à vue ou de comparution immédiate.
Je voudrais rassurer le Sénat : les policiers et les gendarmes continueront d’encadrer efficacement ces rave-parties.
Mme Pascale Bories. Donnez-leur les moyens de le faire !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, dans le texte de la commission, modifié.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour un rappel au règlement.
M. Pierre Laurent. Mon rappel au règlement, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, se fonde sur l’article 36 régissant l’organisation de nos travaux.
Nous allons débuter notre débat sur le bilan du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019, lequel s’est montré bien terne au sujet de la dramatique situation qui se joue en ce moment même dans le nord-est de la Syrie.
Dans une demi-heure exactement, le cessez-le-feu va prendre fin. Erdogan a promis le massacre pour les Kurdes, il a recommencé son chantage cet après-midi à l’adresse de la France et de tous ceux qui essaieraient d’entraver la reprise des hostilités.
Nous avons débattu ici même, cet après-midi, de cette question. Notre union a été forte dans la condamnation, mais hormis cela c’était un débat sans grand résultat. Pourtant, les informations sont toutes extrêmement alarmantes, y compris celles que nous a données cet après-midi le secrétaire d’État.
Allons-nous continuer à débattre comme si de rien n’était, alors que tout le monde estime qu’il s’agit d’une situation tout à fait exceptionnelle, dramatique et pleine de dangers ? Le Gouvernement n’a-t-il rien de neuf à nous dire ? Et si le pire recommence ce soir, dans quelques minutes ou quelques heures, poursuivrons-nous nos débats sans prendre aucune initiative nouvelle ? L’ordre du jour restera-t-il inchangé ? Le sujet ne reviendra-t-il en débat que dans une semaine lors des questions d’actualité au Gouvernement ? Allons-nous enfin faire quelque chose qui empêche le pire de se produire ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Didier Marie applaudit également.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
7
Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la présidente, messieurs les présidents de commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de m’adresser à vous pour le traditionnel débat que nous tenons à l’issue des conseils européens. Lors du débat préalable à ce sommet, vous aviez exprimé vos attentes et posé des questions relatives aux différents points à l’ordre du jour : la présentation de l’agenda de la nouvelle Commission, le cadre financier pluriannuel, la demande d’ouverture de négociations d’adhésion à l’Union européenne de l’Albanie et de la Macédoine du Nord et enfin, bien sûr, le Brexit.
Le Conseil européen s’est donc réuni jeudi et vendredi derniers, des conclusions ont été adoptées et le Président de la République s’est exprimé en conférence de presse sur le déroulement des travaux et sur nos positions.
Ce Conseil européen était d’abord l’occasion pour la nouvelle présidente élue de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, de présenter son agenda. Nous nous reconnaissons très largement, vous le savez, dans ses priorités.
La première d’entre elles porte sur la lutte contre le changement climatique et la présentation d’un nouveau pacte vert. L’objectif est de faire de l’Union européenne le premier continent neutre en carbone à l’horizon 2050 et de mettre toutes les politiques – industrielle, environnementale, énergétique… – en cohérence avec cet objectif plus large. Notons également que la présidente élue a mentionné l’établissement d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, et notre marché de permis carbone dit ETS.
La présidente élue a également rappelé la priorité donnée au numérique et à ses différents aspects fiscaux, concurrentiels et juridiques.
Elle a de nouveau fait valoir qu’elle ferait des propositions sur la révision du régime d’asile – nous avons d’ailleurs eu un débat sur les sujets migratoires dans cet hémicycle il y a quelques jours.
Elle a enfin souligné que sa commission serait géopolitique, car l’Europe doit affirmer sa place et arrêter sa propre ligne en matière de défense économique, et ainsi gagner en souveraineté.
Le Conseil européen a aussi conduit sa première véritable discussion substantielle sur le prochain cadre financier pluriannuel, dit CFP. Ce débat venait opportunément compléter la discussion sur les priorités du nouveau collège.
Les échanges ont confirmé les positions connues qui restent aujourd’hui, avouons-le, très éloignées les unes des autres, que ce soit sur le volume global, les priorités à financer ou l’opposition entre les politiques dites traditionnelles et les nouvelles priorités que nous préférons plutôt voir comme des politiques qui, pour certaines, soutiennent notre souveraineté et notre autonomie au niveau européen, quand d’autres permettent d’améliorer notre convergence et notre solidarité. Des divergences existent aussi sur les ressources propres et les rabais.
Le Président de la République a rappelé la position française : la France veut le maintien de l’enveloppe UE-27 de la politique agricole commune, la PAC, et ne souhaite pas opposer le premier et le second pilier de cette politique, car sans agriculteurs, il n’y a pas et il n’y a plus besoin de développement rural. Il y a là une opposition qu’il nous faut combattre.
Je vous rappelle que le budget de la PAC représente 0,3 % de la richesse européenne produite chaque année et que ce budget doit être réparti sur 80 % de notre territoire, soit la part de l’espace européen où se situent des champs et des forêts exploités. Dans ce contexte, nous avons besoin de soutenir le revenu et l’investissement des agriculteurs pour les aider à faire évoluer leurs modes de production et faire face aux risques climatiques, de marché et de production auxquels ils sont confrontés.
Nous voulons financer le budget par de nouvelles ressources propres, notamment dans le domaine environnemental, car la France ne pourra pas augmenter indéfiniment sa contribution nationale et le prélèvement sur ses recettes.
Nous voulons aussi verdir le budget dans son ensemble pour arriver à 40 % de dépenses compatibles avec le climat, la biodiversité et l’environnement.
Nous ne nous exprimerons pas sur le volume de ce budget, tant que nos demandes politiques ne seront pas satisfaites sur la PAC, le verdissement, les ressources propres, la fin des rabais et les conditionnalités.
La discussion doit donc se poursuivre et le prochain Conseil européen débattra sans aucun doute de cette question. Il nous faut parvenir à un accord rapidement et en tout état de cause au plus tard en début d’année prochaine, car nous devons cette fois-ci faire beaucoup mieux qu’en 2014 – la France avait alors pris beaucoup de retard dans sa capacité à déployer les politiques européennes.
S’agissant du point consacré à l’élargissement qui a fait l’objet de longs échanges et qui a donné lieu à une abondante couverture de presse, je crois qu’il me revient ce soir de clarifier un certain nombre de points.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Effectivement !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. D’abord, la conclusion du Conseil européen n’est pas le fruit, comme je le lis depuis quelques jours, d’un quelconque veto français. Pour qu’il y ait veto, il faut qu’il y ait vote ; or il n’y en a pas eu.
Ensuite, de nombreux projets de conclusion ont été présentés, que ce soit au conseil Affaires générales ou devant le Conseil européen, et aucun de ces projets n’a réuni de consensus. Pourquoi ? Parce que certains États membres souhaitaient l’ouverture immédiate des négociations d’adhésion pour la Macédoine du Nord et l’Albanie, d’autres le souhaitaient uniquement pour la Macédoine du Nord et d’autres enfin posaient des conditions en termes de réformes supplémentaires.
La France, comme souvent dans les institutions européennes, a proposé une approche positive et crédible et a cherché à réunir une unanimité – c’est la procédure qui s’applique à ces sujets. Nous avons axé notre message sur les points suivants : d’abord, renforcer notre attachement à la perspective européenne des pays des Balkans occidentaux – leur avenir est européen –, ensuite demander la mise en œuvre complète des réformes que nous avons réclamées au Conseil en juin 2018 et 2019.
Nous avons également demandé qu’une nouvelle procédure de négociations soit proposée, ce que la France soutient depuis des années. Il ne s’agit pas de ralentir le processus, mais de s’assurer que, pendant les négociations, les populations des pays concernés y trouvent un avantage concret plutôt que de voir se dérouler un processus juridique qui n’amène qu’une seule chose : l’émigration massive des jeunes et des classes moyennes qui finalement perdent espoir.
C’est sur cette base et selon ces étapes que nous pourrons nous décider à ouvrir les négociations ou en tout cas à étudier leur ouverture au printemps 2020 en amont du sommet Union européenne-Balkans qui se tiendra sous la présidence croate à Zagreb en mai 2020.
Et puis j’aimerais vous dire quelques mots sur le Brexit, ce véritable feuilleton, même si je dois vous dire que ce sujet fait davantage l’objet de discussions depuis le Conseil européen que lors de sa réunion. En effet, jeudi, nous étions juste quelques heures après la conclusion d’un nouvel accord entre l’équipe de négociation de Michel Barnier et celle du Gouvernement britannique.
Je voudrais d’abord vous dire que cet accord est un bon accord. Il propose un nouvel équilibre sur les questions de la frontière irlandaise et du consentement démocratique en Irlande du Nord et en ce qui concerne la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Vous le savez, je vous en avais parlé la semaine dernière, la France a particulièrement insisté sur le fait que cette relation future devra être loyale, équilibrée et sans divergences excessives avec nos normes sociales, fiscales et environnementales.
Mais comme en avril dernier et plus que jamais, nous devons absolument clarifier les enjeux et les échéances pour nos concitoyens. Sans délai clair – nous connaissons trop bien cette petite musique –, la situation pourrait de nouveau s’enliser. C’est bien parce qu’en avril dernier et depuis lors le Président de la République a tenu une position très ferme sur la date butoir du 31 octobre que nous avons réussi à faire des progrès depuis dix jours. La question est finalement assez simple : est-ce que le Parlement veut, oui ou non, d’un nouvel accord ?
Nous le savons, une sortie sans accord, un no deal, serait un moment de vide juridique et nous ne le souhaitons pas, mais nous devons avec la même force limiter l’incertitude qui mine des millions de familles et d’entreprises, car l’incertitude liée au Brexit est une cause à ne pas négliger de la récession industrielle qui sévit dans certains pays européens.
Pour entrer en vigueur, ce projet d’accord de retrait révisé ainsi que la déclaration politique sur les relations futures qui l’accompagne doivent être adoptés par l’Union européenne et ratifiés par le Parlement européen et le Parlement britannique.
Ce n’est pas encore le cas ! Cependant, une étape importante a été franchie ce soir et je crois qu’il faut la saluer : pour la première fois depuis des mois, une majorité s’est exprimée en faveur des objectifs de l’accord. Pour autant, le Parlement britannique se divise sur la rapidité du processus de ratification de cet accord, ce qui complique naturellement les choses.
Nous n’avons donc pas de clarté sur le calendrier, ce qui accroît l’incertitude. D’autant plus que le Parlement britannique a mis sur la table des amendements de substance, notamment pour revenir à l’union douanière, étendue à tout le Royaume-Uni, comme c’était déjà le cas dans la version de l’accord avec Theresa May. Vous imaginez bien que, lorsqu’un accord est amendé d’un côté, il est difficile pour l’autre partie, en l’occurrence les Européens, de déterminer sa position.
De manière très solennelle, je veux le dire devant le Sénat, qui représente les Français, parfois de l’étranger, les territoires, nous devons absolument sortir de cette incertitude, qui est toxique, angoissante, pénalisante pour la vie de nos familles et des entreprises.
Certains nous disent que la situation de ce soir justifierait forcément une extension. J’ai envie de répondre : pour quoi faire ? Nous le savons, le temps seul n’apportera pas de solution. Seule une décision politique peut apporter une clarification.
Il nous faut comprendre comment les Britanniques prévoient de recréer les conditions d’un alignement démocratique entre le peuple, le parlement et le gouvernement. Certains nous parlent d’élections, d’autres de référendum. La position française est de dire que nous ne pouvons pas étendre à l’infini, en restant spectateurs d’un processus dont rien ne ressort. Une extension ou une demande d’extension ne peut être entendue que si elle est justifiée et que nous en comprenons les raisons. Je crois qu’il y a là, pour nous tous, une ligne claire à tenir.
Pendant ce Conseil européen, les chefs d’État et de gouvernement ont également échangé sur les sujets de politique étrangère, en particulier la situation du nord-est de la Syrie et le problème des forages turcs en Méditerranée. Le Conseil, comme j’avais pu le faire devant cette assemblée lors d’un débat sur l’offensive turque, a condamné très fermement et à l’unanimité les actions militaires unilatérales de la Turquie en Syrie. Il a pris acte de l’annonce par les États-Unis et la Turquie d’une pause dans les opérations militaires, mais il a surtout demandé qu’elles cessent immédiatement et de manière définitive, avec un retrait des forces en présence. De plus, conformément aux conclusions du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne du 14 octobre dernier, il a rappelé que tous les États membres avaient décidé de suspendre les licences d’exportation d’armement vers la Turquie. Un appel collectif à la réunion de la coalition contre Daech a été lancé pour que ceux qui, hier, combattaient ensemble et qui, aujourd’hui, combattent les uns contre les autres, prennent leurs responsabilités.
Sur le sujet des forages turcs en Méditerranée orientale, le Conseil européen a endossé les conclusions du conseil du 14 octobre, qui prévoient l’adoption de mesures restrictives, ciblées, à l’encontre des responsables de ces forages illégaux et ont réaffirmé la solidarité entière de l’Union européenne avec Chypre.
Enfin, je terminerai sur la prise de fonction de la nouvelle Commission, même si ce point n’a pas été officiellement à l’ordre du jour de la réunion. Il est clair qu’elle ne pourra pas avoir lieu le 1er novembre. L’objectif est désormais le 1er décembre, si les trois nouvelles candidatures sont présentées dans les deux prochaines semaines. C’est un enjeu essentiel de travail collectif pour que le Conseil, le Parlement et la Commission puissent faire ce que l’on attend d’eux : proposer des projets européens et les mettre en œuvre pour apporter des résultats à nos concitoyens. (Applaudissements au banc des commissions, sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de ce compte rendu clair, qui nous a permis de survoler les points qui ont été évoqués.
Ce Conseil européen devait ouvrir une nouvelle page pour l’Europe. Le moins que l’on puisse dire est qu’il nous laisse un sentiment un peu mitigé.
Alors que la France a une position forte, aujourd’hui, en Europe, il est bon que nous veillions à ne pas gâcher notre crédit par ce que l’on pourrait qualifier de maladresse, qui nous conduirait à l’isolement.
Je ne reviendrai pas sur le rejet par le Parlement européen de la candidate française à la Commission. Le choix français était risqué, passons à l’étape suivante. Où en est-on aujourd’hui, madame la secrétaire d’État ? Avez-vous reçu des garanties quant au maintien des attributions élargies pour le futur commissaire français ou bien cet épisode affaiblira-t-il durablement nos positions à Bruxelles ?
Sur l’élargissement, nous avons été maladroits dans la méthode et je ne me satisfais pas, pour ma part, de cette victoire à la Pyrrhus, quand la France pense avoir raison contre tous. À quel prix ! Là encore, je le dis avec un peu de regret, nous n’avons peut-être pas su mettre les formes. Il y a les faits et la manière dont l’opinion et la presse le rapportent. Or nous avons depuis samedi, de la Suède à l’Italie, des retours assez négatifs de pays qui ne comprennent pas la position française compte tenu de ce qu’avait déclaré le Président de la République lors de son discours aux ambassadeurs.
Sur le fond, nous partageons la volonté de réformer le processus d’adhésion. Il faut qu’il soit plus politique, plus rigoureux, et qu’il demeure réversible et adapté à la fois à la situation de chaque pays candidat et à la capacité d’absorption de l’Union. Dans une Europe menacée d’éclatement voire de paralysie, l’élargissement ne peut plus être automatique.
Aujourd’hui, les mêmes qui ne souhaitent pas augmenter le budget de l’Union souhaitent l’adhésion de nouveaux membres, et ce alors même que le Brexit, cher président Bizet, s’annonce comme un séisme, et que le fonctionnement de l’Union à 28 est déjà bien difficile.
Pour autant, nous nous alarmons de la façon dont l’attitude de la France, soutenue par les Pays-Bas et le Danemark, a été expliquée et ressentie, ainsi que de ses conséquences : des élections anticipées vont se tenir en avril en Macédoine du Nord, car nous avons, de fait, mis le Premier ministre en difficulté, et c’est tout le courageux élan de l’accord de Prespa qui risque de se trouver brisé. On ne peut sans cesse reculer l’horizon sans désespérer les peuples ! Pourquoi avoir refusé de découpler Albanie et Macédoine du Nord ? Il y avait là une première évolution qui nous semblait intéressante.
Personnellement, mais je ne suis pas le seul, je plaide, au-delà du mécanisme des 35 chapitres et de l’application des critères de Copenhague, pour une sorte de statut intermédiaire d’association plein et entier, qui soit une sorte d’antichambre à l’adhésion,…
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. … en fonction des efforts accomplis par chaque pays sur la lutte contre la criminalité, la maîtrise de l’immigration, les ratios économiques et monétaires. Le Gouvernement est-il prêt à intégrer cette proposition à sa réflexion sur la réforme de l’élargissement ?
Sur le Brexit – le président Bizet en parlera sûrement dans un instant –, qui nous laissera « tous perdants », comme le dit le titre d’un récent rapport du groupe de suivi sur le Brexit du Sénat, que j’ai l’honneur d’animer avec Jean Bizet, nous attendons, comme vous, la suite de l’interminable feuilleton britannique. Le vote de ce soir est indicatif ; c’est un bon point. Espérons que cette ligne tiendra dans les heures et les jours qui viennent.
J’appelle le Gouvernement à ne pas se laisser dévorer par la gestion de péripéties du quotidien, sur lesquelles nous n’avons aucune prise. L’enjeu est bien la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union. Le rapport du Sénat pointe les dangers d’un dumping fiscal, social et réglementaire, si un « Singapour-sur-Tamise » s’installait à nos portes.
Il est urgent, aussi, de regarder au-delà du court terme et d’établir une relation future solide avec le Royaume-Uni, singulièrement dans le domaine de la défense. Les Vingt-Sept devront rester aussi solidaires qu’ils l’ont été depuis trois ans, grâce au remarquable travail de Michel Barnier.
Dernier enjeu, et non des moindres : la réforme de l’Europe. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’une véritable refondation est nécessaire. Il faut sortir l’Europe de son impuissance et aborder sous un jour nouveau le prochain cycle européen. Le groupe Brexit du Sénat fera prochainement des propositions de feuille de route afin d’être à vos côtés pour entamer cette refondation, car l’avenir de l’Europe doit rester notre priorité. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, comme vous le savez, le Conseil européen de la semaine dernière a été essentiellement marqué par la poursuite du feuilleton du Brexit.
À l’heure du bilan, je ne peux que m’inscrire dans les pas du rapporteur général de la commission des finances, qui, lors du dernier débat préalable au Conseil européen, ici même, avait prévenu qu’il fallait se garder de tirer des conclusions hâtives sur l’issue des négociations, compte tenu des innombrables rebondissements du Brexit.
Une nouvelle fois, tous les pronostics ont été déjoués. Alors qu’un accord avait été arraché in extremis par les négociateurs, la Chambre des communes britannique a tout d’abord réservé son vote pour une date ultérieure, prolongeant ainsi une période d’incertitude politique et économique, puis voté aujourd’hui même pour cet accord, tout en rejetant le calendrier. Il reviendra sans doute de nouveau aux États membres de trancher la question d’un éventuel report du Brexit. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, a indiqué aujourd’hui à l’Assemblée nationale qu’« à ce stade, […] il n’y a pas de justification pour une nouvelle extension ». Il a ajouté : « cela fait trois ans qu’on attend cette décision. Il importe qu’elle soit aujourd’hui annoncée ».
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur la position française, compte tenu de ces tout derniers rebondissements ?
Concernant le contenu de l’accord trouvé, la solution du « backstop » irlandais proposée par l’Union européenne n’a finalement pas été retenue. L’Irlande du Nord restera donc dans l’union douanière britannique, tout en constituant un point d’entrée dans le marché commun. Si ce compromis permet d’éviter le rétablissement d’une frontière entre les deux Irlande, il repose en pratique sur des arrangements douaniers complexes. Madame la secrétaire d’État, cette solution comporte-t-elle des garanties suffisantes pour préserver le marché commun, alors que les contrôles douaniers pour les marchandises destinées au marché européen seront effectués par des agents britanniques ?
Pendant que les négociations patinent, le Parlement européen s’organise. Il examine actuellement une proposition de règlement visant à modifier le Fonds de solidarité de l’Union européenne afin d’en élargir le champ et de prévoir un soutien pour les États membres qui feraient face à une lourde charge financière en conséquence directe de la sortie du Royaume-Uni. Madame la secrétaire d’État, quelle est votre position sur ce texte ? Alors que l’effet du Brexit sur l’économie française pourrait s’élever jusqu’à 0,5 % du PIB, selon l’OCDE, à combien s’élève le soutien financier que pourrait recevoir la France en application de ce texte ?
Par ailleurs, le Conseil européen de la semaine dernière a permis d’aborder un autre sujet, que suit particulièrement la commission des finances, à savoir les négociations relatives au prochain cadre financier pluriannuel, le CFP.
Après avoir procédé, une nouvelle fois, à un « échange de vues », le Conseil européen a invité la présidence finlandaise à présenter un cadre de négociation assorti de chiffres, portant à la fois sur le volume global et sur la répartition entre les rubriques budgétaires d’ici au mois de décembre prochain. Je vous rappelle, madame la secrétaire d’État, qu’un accord à l’unanimité doit être trouvé rapidement, étant donné que l’actuel CFP s’achèvera en décembre 2020.
Compte tenu de ce calendrier très serré, il semble difficilement compréhensible que les négociations n’aient pas encore permis de dégager un compromis, au moins sur le volume total du CFP. Les États membres ont fait part de leurs lignes rouges respectives, mais les blocages persistent. Il est indéniable que l’incertitude financière liée au retrait du Royaume-Uni pèse également sur l’avancée des négociations. Des concessions de la part de certains États membres vous semblent-elles envisageables d’ici à la fin de l’année ? Comment peut-on répondre à l’impatience des autorités de gestion et des porteurs de projets locaux, qui souhaitent avoir un minimum de visibilité pour l’avenir ? (Applaudissements au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans le droit fil des propos tenus par les présidents Cambon et Éblé, à mon tour d’évoquer ce Conseil européen de la semaine dernière. Un épisode important de la saga du Brexit s’y est joué : les Vingt-Sept ont approuvé le nouvel accord de retrait conclu in extremis entre l’Union européenne et le Premier ministre britannique, ainsi que la nouvelle déclaration politique qui l’accompagne, ce point étant particulièrement important.
Je veux ici rendre de nouveau hommage, comme l’a fait Christian Cambon, à Michel Barnier, qui est parvenu à ce résultat en restant ferme sur les trois exigences de l’Union : préserver la paix, assurer l’intégrité du marché unique et subordonner tout futur accord de libre-échange avec le Royaume-Uni au respect de conditions de concurrence équitables.
Cet aboutissement ne signe pourtant pas la fin de l’histoire : le « super samedi » qui a suivi aura finalement été celui de la déception. Au lieu de voter sur l’accord, le Parlement britannique a adopté un amendement reportant le vote attendu, si bien que le Premier ministre britannique a été contraint de solliciter un troisième report de la date du Brexit. Enfin, hier, le président de la Chambre des communes, en lui interdisant de se prononcer sur l’accord, a définitivement réduit à néant le bref soulagement que certains avaient pu éprouver à la conclusion de l’accord de retrait révisé.
L’unité des Vingt-Sept, acquis principal du Brexit, ne l’oublions pas, pourrait même éclater si les Vingt-Sept devaient se prononcer sur une nouvelle extension du délai prévu à l’article 50, extension qui exigerait la nomination d’un commissaire britannique pour assurer le fonctionnement normal des institutions européennes. Il y a là quelque chose d’irrationnel. Madame la secrétaire d’État, comment éviter ce scénario catastrophe ?
Sur l’élargissement, autre sujet évoqué par le président Cambon, il ne serait pas bon que notre pays se trouve de nouveau isolé. Déjà, la semaine dernière, il a fait cavalier seul, ou presque. J’ai le sentiment que la France s’est distinguée par son exigence louable à l’égard du respect des conditions fixées pour ouvrir des négociations d’adhésion et par son appel à revoir le processus d’adhésion, ce à quoi nous souscrivons. Sans doute devons-nous revoir, en effet, la façon dont nous accompagnons les pays candidats à l’adhésion ; sans doute devons-nous dénoncer l’incohérence de ceux qui prônent l’élargissement et refusent en même temps d’augmenter le budget de l’Union ; sans doute faut-il cesser d’utiliser l’élargissement comme un seul instrument de politique étrangère, mais il est dangereux de tarder à tendre la main à des pays comme l’Albanie et, plus encore, la Macédoine du Nord, qui consentent des efforts importants pour se rapprocher de l’Union et voient leur jeunesse les quitter pour nous rejoindre. (M. Olivier Cadic applaudit.)
La Chine, la Russie, la Turquie et les États-Unis – j’oserai même ajouter l’Arabie saoudite – ne nous attendent pas pour étendre leur influence dans les Balkans,…
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. C’est clair !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. … au risque de réveiller la poudrière et de menacer la sécurité de notre continent.
Madame la secrétaire d’État, quelle solution alternative entendez-vous proposer rapidement à ces pays qui frappent aujourd’hui à la porte de l’Union, qui pourraient demain s’en détourner, et que nous ne pouvons pas désespérer trop longtemps ? Le Sénat a des idées sur la question. Nous vous en ferons part le moment venu, mais nous aimerions aussi écouter vos propositions.
Dernier sujet, qui n’est pas sans lien avec le précédent : la Turquie, pays candidat à l’adhésion, mène des activités de forage illégales d’hydrocarbures dans la zone économique exclusive chypriote. Je tiens ici à souligner la nécessité d’une réaction européenne claire, appropriée et progressive en réponse à cette provocation sur le territoire même de l’UE, bien qu’elle soit d’une nature et d’une ampleur différentes de l’offensive que mène Ankara en Syrie. Cette question sensible a également été soulevée lors de la dernière session d’automne de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, à laquelle j’ai participé, et durant laquelle notre collègue Pascal Allizard…
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Excellent collègue !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. … ici présent, a joué un rôle majeur.
Je n’ignore pas que la relation entre l’Union européenne et la Turquie recouvre des enjeux variés, y compris migratoires, mais nous devons marquer notre solidarité envers Chypre et, sans nourrir l’escalade dans un contexte tendu, veiller à ce que ces violations du droit international ne restent pas sans conséquence. Madame la secrétaire d’État, quelles mesures pouvons-nous attendre de l’Union en ce sens ?
J’ai bien conscience de ne pas avoir pu évoquer, dans cette intervention liminaire, tous les sujets abordés lors du dernier Conseil européen. J’ai en effet focalisé mon attention sur les points qui me semblent les plus décisifs au regard de l’identité et de l’intégrité de l’Union européenne. Je sais pouvoir compter sur mes collègues pour compléter utilement notre débat. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État, qui souhaite répondre aux trois présidents de commission.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Merci, madame la présidente.
J’ai été interrogée par M. le président Cambon sur le portefeuille du prochain commissaire français. Nous cherchons à nous assurer que l’industrie, le numérique, la défense soient bien, au cœur de cette nouvelle Commission, portés par le candidat que le Président de la République proposera à Ursula von der Leyen dans les prochains jours. Sur son profil type, son portrait-robot, si je peux m’exprimer ainsi, il faut qu’il s’agisse de quelqu’un susceptible de gagner la confiance du Parlement européen et travailler avec lui à obtenir des résultats. Au fond, la question est la suivante : comment créons-nous concrètement des emplois en Europe dans les domaines industriels, numériques, et dans le secteur de la défense ? Nous cherchons non pas une figure, mais un candidat qui aura la capacité de porter devant le Parlement le projet ambitieux du Président de la République, qui, parfois, fait grincer un peu les dents.
Vous m’avez aussi interrogée sur la nomination d’un commissaire britannique. Je rappelle que c’est bien pour cette raison que le Président de la République avait fixé la date du 31 octobre. J’étais même venue m’en expliquer ici. Il fallait s’assurer qu’à l’entrée en fonction de la nouvelle Commission nous puissions être opérationnels dans sa configuration de plein exercice, c’est-à-dire sans les Britanniques. Je suis d’accord avec vous, la relation future sur l’économie, la défense, la politique extérieure, la sécurité, la culture, l’éducation, la recherche aura à être reconstruite. Néanmoins, je le répète, l’échéance du 31 octobre nous permettait d’avoir une position cohérente.
Nous le savons, si le Royaume-Uni est encore membre de l’Union européenne après l’entrée en fonction de la nouvelle commission, dorénavant fixée au 1er décembre, la question va se poser. C’est donc pour cela que nous travaillons à des échéances les plus claires et les plus rapprochées possible. Si un commissaire doit être nommé, il faut une décision à l’unanimité de tous les chefs d’État et de gouvernement, puisqu’il faudra changer des textes qui requièrent une telle unanimité. C’est beaucoup de travail et de procédures. C’est surtout nous retrouver dans une situation que nous ne voulions pas, c’est-à-dire que le Brexit perturbe notre capacité à nous donner des objectifs et des priorités pour les citoyens de l’Union.
Je répondrai bien entendu ensuite aux questions que les sénatrices et les sénateurs m’auront posées, mais je veux m’attarder un instant sur l’élargissement. Pourquoi avons-nous refusé de découpler ? Le Président de la République a pensé qu’il s’agissait d’une stratégie funeste pour la stabilité de la région. C’était aussi l’avis de très nombreux chefs d’État et de gouvernement. Si, d’un côté, nous disons « oui » à la Macédoine du Nord, mais que nous laissons l’Albanie au milieu du gué, sans perspective, sans trajectoire, tous les efforts que nous faisons pour stabiliser le Kosovo, sachant qu’il y a des minorités albanaises dans l’intégralité des pays de la région, seront réduits à néant.
En outre, nous avons constaté que des réformes demandées en juin 2018 et en juin 2019 n’étaient pas arrivées à leur terme en Macédoine du Nord, et que d’autres réformes demandées en Albanie n’étaient pas non plus mises en œuvre complètement. Il était alors difficile de dire qu’avec la même méthode nous arrivions à des conclusions différentes.
Le point clé de notre démarche, monsieur le président Bizet, c’est non pas de proposer une solution alternative, mais de travailler avec ces pays pour qu’ils puissent rejoindre l’Union européenne en ayant franchi les étapes initiales que nous leur avons fixées. C’est un processus par étapes, et nous ferons des propositions à la Commission, propositions que nous avons partagées, depuis déjà quelques mois, avec nos partenaires. Je ne parlerai pas de statut intermédiaire. À mon sens, ce n’est pas forcément le statut qui compte, mais il faut que nous puissions apporter à ces pays la possibilité d’avoir un accès graduel, séquentiel aux politiques, en commençant, peut-être, par la politique agricole, la politique de cohésion, la politique d’innovation, pour, in fine, accéder au marché intérieur et au Conseil européen.
Aujourd’hui, c’est un processus purement juridique. Seule la Commission met de la pression, mais les populations n’en voient pas les résultats. Pour un gouvernement, c’est plus difficile de faire des réformes si la pression vient seulement de l’extérieur. Si nous arrivons à apporter aux populations des bénéfices concrets, ces peuples accorderont beaucoup de crédit à l’Europe.
M. Jean-Yves Leconte. Plus personne n’y croit dans ces pays !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Je ne vois pas non plus d’incohérence avec le discours des ambassadeurs.
Le Président de la République a déclaré que nous devions nous réinvestir dans les Balkans pour que ce ne soit pas la Chine, la Russie, la Turquie et d’autres qui viennent investir, construire des infrastructures, conclure des partenariats universitaires.
M. Jean-Yves Leconte. C’est ce qui se passe !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Nous avons relancé le plan d’engagement de l’Agence française de développement, l’AFD, pour les Balkans. Il s’agit d’engagements concrets, réaffirmés par le Président de la République.
M. Didier Marie. Ce n’est pas crédible !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Messieurs les sénateurs, ce qui n’est pas crédible, c’est de considérer que le seul outil de politique étrangère et de partenariat à notre disposition, c’est un épais formulaire de 6 000 questions envoyé à des gouvernements, qui nous permettrait de dire : « Nous avons rempli notre rôle ! » Il y a là beaucoup d’hypocrisie. Si nous voulons que ces pays s’arriment à l’Europe, nous devons leur proposer des politiques concrètes pour qu’ils ne fassent pas affaire avec d’autres puissances.
Je tiens à vous dire qu’il est dangereux et, au fond, assez dérangeant d’entendre que l’élargissement est notre seul levier de politique de partenariat.
M. Simon Sutour. C’est un engagement qui avait été pris après la guerre en ex-Yougoslavie !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Quand nous travaillons avec l’Ukraine, la Moldavie, les pays d’Afrique du Nord, nous avons d’autres leviers. Pourquoi, avec ceux-là, en serions-nous réduits à parler, en termes juridiques, d’organisation des marchés publics et de recrutement des fonctionnaires ? Je pense que nous devons muscler nos dispositifs et allier le concret au juridique. À entendre vos réactions, je pense que vous y reviendrez.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Il faut fixer la jeunesse dans ces pays.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Enfin, je terminerai par le CFP. Vous avez raison, monsieur le président Éblé, il nous faut avancer, mais aujourd’hui la proposition prétendument de consensus que la présidence finlandaise a mise sur la table a abouti à un autre consensus : aucun pays n’est d’accord !
Nous devons donc reprendre la discussion, avec une méthode différente, selon nous. Le point de départ ne peut pas être de savoir combien chacun met, à la décimale près. Peu importe que ce soit 1,065, 1,066 ou 1,067 ou 1,00, comme certains nous le disent. Vous serez d’accord avec moi, je ne connais pas de budget qui soit construit à partir d’un chiffre arbitraire décidé dans un bureau. Un budget, c’est un outil politique. Quelles priorités fixons-nous ? Quelles politiques voulons-nous reconduire ? Que voulons-nous faire de nouveau ? Sur quelles ressources nous appuyons-nous ? Je sais bien qu’il ne faut pas inventer des impôts tous les matins, mais je vous rappelle que l’Europe n’a pas de ressources propres. Tout dépend des contributions nationales, et donc des contribuables que sont les entreprises et les ménages. Tant que nous n’aurons pas eu cette discussion, qui inclut la fin des rabais et notre capacité à être cohérents, tout d’abord sur le climat, la France n’entrera pas dans des discussions de boutiquiers. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et LaREM, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, je concentrerai mon intervention sur la priorité du Brexit. Est-il permis d’être original à ce propos ? Je ne m’y autoriserai pas. Je me limiterai à trois suggestions et à une réserve, ou plutôt une manifestation de scepticisme.
La première suggestion concerne la position des Vingt-Sept sur la demande de report ou d’extension de l’article 50. Ce qui sera retenu n’est pas l’exégèse des positions des uns et des autres sur la longueur du délai, mais la capacité des Vingt-Sept à rester unis pour la suite. Si je devais résumer : peu importe le délai si nous avons l’unanimité !
M. Olivier Cadic. Bravo !
M. Philippe Bonnecarrère. Ma deuxième suggestion concerne la période de transition pendant laquelle le Royaume-Uni continuera à appliquer les règles de l’Union européenne, à savoir jusqu’au 31 décembre 2020, avec possibilité de prolongation, comme chacun sait, jusqu’à fin 2022. Si le Brexit se déclenche, par exemple, le 31 octobre, et que, le 3, le 4 ou le 5 novembre, peu importe, il ne s’est rien produit, j’entends déjà l’ironie des extrêmes sur le thème : ils vous ont menti ! Vous voyez bien que ce n’était pas si grave ! Et nous retomberons alors dans la perte de confiance à l’égard de la parole publique, ce qui n’est pas un petit problème aujourd’hui. Selon moi, il faudrait que le Gouvernement fasse la pédagogie de cette période de transition pour que chacun comprenne bien que les problèmes sont à venir.
Ma troisième suggestion concerne l’hypothèse d’un report, même modeste. Le Brexit étant entouré d’un halo d’incrédulité, je ne crois pas que nos PME soient prêtes. Tout délai doit signifier de mieux se préparer, et non de procrastiner.
La réserve que je vous ai annoncée concerne le contenu du nouvel accord dit « hybride ». Pour les uns, l’Irlande du Nord est dedans, et pour les autres elle est dehors. Quand dans un contrat, une partie comprend A et l’autre partie comprend B, il n’est pas nécessaire d’être un grand juriste pour prévoir des problèmes qui vont impacter d’une manière ou d’une autre le marché unique.
M. Olivier Cadic. Absolument !
M. Philippe Bonnecarrère. Pour ce qui concerne les vocations à venir d’un accord de libre-échange, je suis assez sceptique bien que, vous le savez, très européen, quant à la solidité des digues face au risque d’une concurrence déloyale.
Est-ce un bon accord ? J’ai entendu, madame la secrétaire d’État, votre réponse affirmative et ne demande qu’à vous croire. Je comprends, sans difficulté, qu’un accord est préférable à un no deal. Mais il sera à l’évidence nécessaire d’approfondir la compréhension de sa teneur, de ses détails et de ses mécanismes avant d’énoncer qu’il s’agit d’un bon accord.
La démarche actuellement entamée par le Parlement britannique, consistant à examiner le détail de l’accord, est, je crois, un modèle à ne pas négliger pour le Parlement européen. Je regrette que le Parlement français – mais telles sont nos règles institutionnelles – ne puisse faire le même exercice. Nous en mourons pourtant d’envie ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC et au banc des commissions.)
M. Olivier Cadic. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, une fois encore, le Conseil européen s’est penché sur l’inévitable Brexit. Alors que la date butoir du 31 octobre approche, le feuilleton continue… Le 19 octobre dernier, journée prématurément qualifiée de « super samedi », n’a pas permis de clarifier la situation malgré un accord remanié. Le débat d’hier à la Chambre des communes a encore une fois souligné la confusion.
Dans ces conditions, la question d’un report se pose à nouveau. Berlin vient d’ouvrir la porte à un éventuel report technique. Quelle est la position française sur le principe d’un nouveau délai jusqu’au début de l’année 2020 ?
Madame la secrétaire d’État, comme vous avez eu l’occasion de le souligner devant notre commission des affaires européennes il y a quelques jours, nos intérêts frontaliers directs avec la Grande-Bretagne nous obligent à favoriser les conditions d’un retrait négocié. Toutefois, le Brexit étant l’otage de la politique intérieure britannique, l’Union européenne doit aussi en appeler à la responsabilité de Londres.
Nous devons désormais avancer, en refermant le plus rapidement possible ce chapitre du Brexit, car l’Union européenne a de nombreux autres chantiers à poursuivre.
Parmi ceux-ci, je reviendrai sur les négociations autour du cadre financier pluriannuel 2021-2027. Les conclusions du Conseil invitent à la présentation d’un cadre assorti de chiffres d’ici à la fin de l’année. Mon groupe y sera attentif. En attendant, nous connaissons les grandes priorités retenues, sur lesquelles on ne peut que s’accorder, qu’il s’agisse du soutien à la recherche et l’innovation, à l’investissement, à la politique de migration, de gestion des frontières et de défense… Tout cela va dans le bon sens puisqu’il s’agit d’encourager la mutualisation des moyens pour affronter des défis qui se posent à nous au niveau mondial ; et ils sont nombreux.
Pour autant, j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler ici, mon groupe est attaché à la préservation des moyens des politiques traditionnelles, compte tenu des enjeux qui se jouent aussi à l’échelle de nos territoires. Je pense bien sûr à la PAC ainsi qu’à la politique de cohésion qui sont, hélas, touchées par des réductions budgétaires décidées par la précédente Commission.
J’ai entendu que l’évolution de la part de l’enveloppe dédiée à la PAC n’était pas le point le plus important, mais qu’il fallait plutôt se pencher sur ce que l’on faisait des crédits. Certes, nous sommes tous conscients, je pense, de la nécessité d’inciter l’agriculture à se transformer et à accélérer sa transition écologique. Mais cet objectif d’une agriculture plus vertueuse a un coût, en particulier dans un monde plus ouvert et compte tenu des accords de libre-échange que l’Union européenne met en place et qui ne sont pas sans impact sur le secteur agricole.
À cet égard, les agriculteurs se sont encore mobilisés ce matin même, inquiets du traité avec le Mercosur qui ouvrirait la porte à des distorsions de concurrence. Le RDSE a déjà alerté le Gouvernement sur cet accord par un texte devenu le 27 avril 2018 une résolution européenne du Sénat.
Nous renouvelons le vœu d’une vigilance particulière sur ce dossier afin que les filières, en particulier celles du sucre et de l’élevage bovin, ne soient pas fragilisées plus qu’elles ne le sont déjà.
S’agissant de la politique de cohésion, si les négociations budgétaires de la précédente programmation ont retardé la mise en œuvre des projets, on sait très bien que la sous-consommation des crédits est due à une gestion interne aux États membres, pas toujours très efficace. C’est le cas dans notre pays.
Notre collègue Colette Mélot soulève très justement, dans son rapport sur le sujet, les difficultés liées au pilotage des fonds européens en France. Il est urgent de revoir le fonctionnement de l’autorité de gestion de ces fonds pour, d’une part, multiplier les projets dont nos territoires ont besoin, et, d’autre part, ne pas voir l’Union européenne restreindre la politique de cohésion au prétexte de la sous-consommation de ses crédits.
Le Conseil européen a également échangé sur le suivi des priorités de l’Union européenne énoncées dans le programme stratégique 2019-2024. Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des orientations générales, mais j’émettrai quelques souhaits portés par mon groupe.
S’agissant du volet économique, le programme stratégique évoque la nécessité d’avoir une approche plus intégrée, en matière industrielle notamment, ainsi qu’un environnement avec des règles du jeu plus équitables. Aussi faudrait-il s’y atteler plus rapidement et plus concrètement.
Je prendrai un exemple dans le domaine de l’intelligence artificielle, dont nous avons débattu récemment au Sénat et qui est un élément de la stratégie pour le marché unique numérique. C’est un domaine dans lequel nous devons absolument fabriquer un champion européen afin de ne pas laisser les États-Unis et la Chine gagner définitivement la bataille de l’intelligence artificielle, compte tenu de ses enjeux non seulement économiques mais aussi stratégiques, et j’ajouterai éthiques.
Cependant, pour y parvenir, il faudrait assouplir quelques-unes des règles du marché unique. Je pense à certains blocages de la politique européenne de la concurrence, qui interdit la constitution de leaders européens pour éviter un monopole au sein de l’Union. C’est un principe louable pour le marché intérieur, mais qui s’avère être un frein pour affronter la concurrence mondiale dans des secteurs technologiques essentiels. Il me semble que la Commission doit approfondir cette question, les projets importants d’intérêt européen commun, les PIIEC, mentionnés à l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’étant peut-être pas suffisants dans le contexte d’une guerre commerciale aujourd’hui difficile.
Enfin, je souhaitais évoquer brièvement la question de l’élargissement. La position de mon groupe a été rappelée la semaine dernière à l’occasion du débat sur l’accession de la Macédoine à l’OTAN.
Nous partageons, madame la secrétaire d’État, la position du Chef de l’État. L’élargissement ne peut pas être poursuivi sans une amélioration de la capacité d’agir en commun. En outre, nous avons besoin d’une Europe qui œuvre à une convergence sur le plan économique, fiscal et social, objectif qu’un élargissement sans bornes risquerait de compromettre.
En somme, tirons les leçons de notre passé récent pour faire de l’Union européenne une véritable zone de prospérité. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, on vilipende souvent la qualité médiocre et le peu de succès à l’international des productions audiovisuelles européennes. C’est en effet vrai sur la décennie écoulée, mais les choses sont en train de changer assez rapidement.
Une série espagnole, coproduite et diffusée par un géant américain du streaming, connaît actuellement un énorme succès dans toute l’Europe et bien au-delà. La troisième saison de La Casa de Papel – c’est le nom de la série en question – vient de s’achever et, déjà, plusieurs dizaines de millions d’Européens abonnés à Netflix attendent avec impatience la sortie de la quatrième et dernière saison, prévue pour le début de l’année prochaine.
Initialement programmée pour la fin de cette année, sa diffusion a subi – c’est étrange ! – un report d’au moins quelques semaines. De quoi alimenter encore un peu plus l’incertitude quant à l’issue de cette saga mettant en scène des braqueurs issus de toute l’Europe, qui ont l’audace d’investir l’hôtel de la Monnaie espagnol, de prendre de nombreux otages, de faire durer l’opération non seulement pour s’emparer des liquidités disponibles dans la banque mais aussi pour imprimer près d’1 milliard d’euros supplémentaire en billets. À la fin de la troisième saison, le suspense est à son comble : ces Robin des Bois anti-système qui étaient parvenus à se rendre populaires auprès de l’opinion font pour la première fois couler le sang. Chacun doute qu’ils parviennent, malgré leur génie maléfique, à sortir indemnes de l’affaire…
Rien à voir, bien sûr, avec cette autre grande série – britannique cette fois et au succès d’audience paneuropéen – intitulée Brexit qui a, elle, déjà bien entamé sa quatrième saison et qui reste toujours aussi palpitante tant les rebondissements se multiplient et parviennent à nous faire encore douter de l’issue finale. (Sourires.)
Madame la secrétaire d’État, vous n’êtes sans doute pas très informée de ce que contiendra la prochaine saison de La Casa de Papel. Mais, compte tenu de votre position, peut-être en savez-vous plus sur l’issue de la série Brexit ? Que va-t-il se passer d’ici au 31 octobre ? Y aura-t-il une suite ? S’oriente-t-on vers une cinquième saison ? Retrouverons-nous les mêmes acteurs que lors de la saison précédente ? (Nouveaux sourires.)
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous prie bien évidemment d’excuser mon ton un peu farceur, malicieux et primesautier. Mais comme certains de mes collègues, notamment ceux qui siègent à la commission des affaires européennes, j’en suis à plus d’une douzaine d’interventions – quand on aime, on ne compte plus ! – dans l’hémicycle sur ce sujet depuis 2015… Mon imagination en matière de série à répétition n’est malheureusement pas aussi développée que celle de nos chers collègues britanniques !
Pourtant, je me soigne et j’essaie de comprendre ce qui se passe dans ce royaume britannique que j’aime tant.
Pour ce faire, j’ai la chance d’échanger fréquemment avec Denis MacShane, ancien ministre des affaires européennes de Tony Blair, europhile convaincu et « inventeur » du terme « Brexit » en 2012, qui vient de faire paraître en fin de semaine passée un nouveau livre dont le titre, Brexeternity – un Brexit sans fin – résume à lui seul son sentiment : le Royaume-Uni, et accessoirement l’Union européenne, est loin d’en avoir fini avec le Brexit. MacShane considère qu’au-delà d’une mise en œuvre officielle du Brexit à court terme, son pays en aura encore au moins pour dix à quinze ans de débats passionnés sur le sujet. On appelle aussi cela un cancer de longue durée…
Comme lui, je note cependant une évolution récente assez intéressante, presque rassurante, avec l’accord trouvé entre l’Union européenne et le Premier ministre Boris Johnson la semaine passée. Dans les discours de ce dernier, qui accompagnent ses tentatives de faire approuver l’accord par son parlement, on note un début de reconnaissance, sinon à l’endroit de l’Union européenne, tout au moins à celui de l’idée européenne. C’est un premier pas, certes timide, mais cela sonne un peu comme la fin de certains discours surréels et haineux à l’endroit de l’Europe qui ont été développés ces cinq dernières années par les « Brexiters », dont Boris Johnson était un des fiers hérauts.
Car il est bien difficile aujourd’hui d’imaginer comment le Royaume-Uni pourrait s’inventer un destin national en dehors de l’Europe. Les « réalités alternatives », chères à Donald Trump et propagées à la sauce anglaise, ont à présent sérieusement du plomb dans l’aile.
Première hypothèse, au début du Brexit : la création d’une association européenne alternative à l’Union européenne, sur le modèle de l’Association européenne de libre-échange, l’AELE, des années soixante.
Le problème, c’est que le référendum sur le Brexit n’a pas du tout entraîné un effet domino sur les autres États européens, y compris ceux gouvernés par des forces eurosceptiques.
Deuxième hypothèse, évoquée par le président Cambon : le « modèle Singapour », porté par plusieurs dirigeants conservateurs, ferait du Royaume-Uni un paradis de la déréglementation fiscale et sociale par l’adoption rapide de lois fiscales très attractives pour les investisseurs étrangers.
Ce scénario est jugé totalement irréaliste, même par le Premier ministre de Singapour. Ce qui est possible pour un petit État qui n’a pas trop de charges, compte 66 millions d’habitants et affiche une dette sociale, tout en étant capable d’investir dans la défense, ne peut être appliqué dans un pays qui a déjà beaucoup dérégulé.
Le troisième scénario est le « Commonwealth revisité ».
On peut en rire ! Le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont d’ores et déjà signé des traités de libre-échange avec l’Union européenne. Seule l’Inde pouvait encore complaire à la mère patrie… Mais, lors des dernières rencontres entre Mme May et le Premier ministre Narendra Modi, celui-ci a dit à son interlocutrice : ouvrez d’abord vos frontières à nos 1,2 ou 1,3 milliard d’Indiens, et nous verrons ensuite…
Il ne reste plus que l’accord « phénoménal », selon le terme employé par Donald Trump, proposé par les États-Unis. Mais la réciprocité des flux commerciaux serait défavorable au Royaume-Uni, lequel, ne l’oublions pas, est le deuxième pays en Europe, après l’Allemagne, à avoir une balance commerciale positive avec les États-Unis. Le Trésor britannique estime qu’un tel accord ne ferait monter le PIB du Royaume-Uni que de 0,2 %, et recommande ardemment de passer de nouveaux accords avec l’Union européenne.
À défaut d’un Brexit « post-réalité », la réalité post-Brexit est aujourd’hui amère et sera sans doute cruelle demain, tant pour le peuple britannique que pour le futur de ses nations.
« There is no alternative ! », scandait régulièrement Mme Thatcher, à partir de 1979, pour justifier sa politique. Aujourd’hui, le Royaume-Uni est nu face à un destin qu’il ne maîtrise plus et qu’il semble incapable de reformuler.
En tant qu’Européens, nous avons, et nous aurons toujours, la gentillesse de discuter avec eux, et de les accueillir en cas de retour dans l’Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les eurocrates et les europhiles ont tendance à donner systématiquement des leçons de démocratie. À les écouter, on a l’impression qu’ils ont le monopole du respect de la démocratie et de la volonté populaire, et que ceux qui ne sont pas des eurocrates ou des europhiles bafouent tous les principes de la pseudo bonne démocratie européenne !
Pour moi, la véritable démocratie, la démocratie honnête, c’est d’abord de respecter la volonté du peuple, laquelle s’exprime dans les urnes. Et le meilleur moyen pour que cette volonté s’exprime est de demander au peuple de se prononcer dans les urnes par référendum.
Les eurocrates et les europhiles ont peur des référendums, car ils ont peur de la volonté du peuple, et veulent imposer leur propre vision en passant au-dessus de sa tête et de ce qu’il souhaite.
J’avais trouvé absolument scandaleuse l’attitude du président Sarkozy,…
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Ce n’est pas bien ! (Sourires.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. C’est une fixation ! La deuxième fois en un jour…
M. Jean Louis Masson. Et encore, je suis gentil avec lui ! Il a en effet bafoué le résultat du référendum par lequel le peuple français s’était prononcé de manière très claire.
Sarkozy a changé trois virgules en disant : je propose finalement le traité de Lisbonne, mais on ne va pas refaire un référendum ; on va plutôt passer au-dessus de la tête du peuple et faire voter le Parlement.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. C’était efficace !
M. Jean Louis Masson. C’est une honte pour la démocratie ! Ce qui se passe actuellement en Grande-Bretagne, c’est exactement la même chose : le peuple anglais, le peuple de Grande-Bretagne, s’est exprimé en faveur du Brexit…
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Sarkozy était plus expéditif…
M. Jean Louis Masson. Il y a ici des gens qui sont pour ou contre le Brexit, mais vous pourriez au moins me respecter !
Les Anglais s’étaient donc prononcés.
M. André Gattolin. Les Britanniques !
M. Jean Louis Masson. Or, tant au niveau de l’Union européenne que parmi ceux qui ont été battus à l’issue du référendum, on a essayé de bafouer ce que le peuple anglais avait exprimé !
Les députés anglais qui avaient été désavoués – personne en effet ne s’attendait à un tel résultat ! – ont essayé de contourner le système en bloquant la mise en œuvre dudit résultat. Et au sein de l’Union européenne, on a fait tout ce que l’on a pu pour apporter de l’eau au moulin du blocage de la concrétisation du Brexit.
Mme la présidente. Il faut conclure !
M. Jean Louis Masson. Je l’ai déjà dit à cette tribune, mais malheureusement j’ai très peu de temps de parole…
Mme la présidente. Il est de trois minutes et vous le dépassez de trente secondes…
M. Jean Louis Masson. C’est moi qui en ai le moins parmi tous les intervenants !
Mme la présidente. Il faut vraiment vous interrompre !
M. Jean Louis Masson. Je reviendrai ! Si on ne peut plus parler…
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Que retenir du Conseil européen des 17 et 18 octobre ? En vérité, on ne sait plus par quelle impasse commencer tant la construction européenne s’enfonce un peu plus chaque jour dans la crise !
Première impasse, ce n’est pas très original, le Brexit.
On nous annonçait la sortie du tunnel des négociations à l’issue du Conseil, mais Boris Johnson a été une nouvelle fois battu aux Communes samedi. L’homme méprise tellement son Parlement qu’il tente depuis un nouveau passage en force, non sans avoir adressé au Conseil européen, dimanche, plusieurs lettres au nom du Royaume-Uni, disant une chose – la décision du Parlement – et son contraire – sa propre position.
Au-delà du feuilleton dont il devient hasardeux de prédire la date de fin, il convient surtout de retenir la détermination de Boris Johnson à obtenir une sortie qui lui laisse le plus de marge possible pour jouer demain la concurrence et le dumping social. Les travaillistes et les syndicalistes britanniques demandent d’ailleurs que le paquet législatif qui accompagnera le Brexit leur soit communiqué.
L’accord scellé in fine entre Boris Johnson et Michel Barnier a fait passer la question des droits sociaux de l’accord à la déclaration politique qui l’accompagne : un glissement qui offre toutes les marges au Premier ministre du Royaume-Uni pour s’en dégager le moment venu. C’est donc, à coup sûr, vers une sortie par le bas pour les droits sociaux que l’on se dirige.
Vous parlez d’un bon accord, madame la secrétaire d’État. Je pense, au contraire, que la crise du Brexit n’en a pas fini de rebondir, et que son coût politique sera très cher pour tous les Européens.
Mais l’impasse européenne n’est pas seulement britannique. Le ver est dans le fruit de l’Union. Ainsi, l’accord n’a pu être trouvé non plus entre les Vingt-Sept sur le cadre financier pluriannuel. Le maintien du montant de la PAC et le sens de sa réorientation donnent lieu à discussion, tout comme les fonds structurels, qui restent les principaux éléments de cohésion et de solidarité. La France, qui souhaite le maintien de ces politiques, plaide en même temps pour la montée en charge des dépenses militaires et de sécurité, sans obtenir d’accord sur l’augmentation du budget européen.
Au fond, le désaccord budgétaire ne fait que mettre en lumière l’absence croissante d’accord sur les objectifs communs de l’Union, et c’est ce qui fait problème.
Pendant ce temps, mais on en parle très peu, Christine Lagarde est confirmée nouvelle présidente de la Banque centrale européenne, la BCE, sans que soit remise à plat une seule seconde la mission de cette dernière. Pourtant, quoi de plus urgent dans cette situation d’impasse sociale, économique et politique que de réorienter les immenses richesses et le pouvoir de crédit de la BCE en ces temps de taux zéro vers la relance sociale et la transition écologique ? Or on préfère continuer comme avant !
Impasse, encore, quand il s’agit de la Syrie. L’Europe, c’est vrai, condamne l’offensive turque, et vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État. Mais après ? Le Conseil européen a-t-il ouvert la voie à une offensive diplomatique commune d’ampleur pour mettre les Kurdes sous protection internationale ? Rien de cela ! A-t-il ouvert un débat sérieux sur l’horizon d’un nouveau système de sécurité collective émancipé de l’OTAN ? Non !
L’Europe, qui nourrit en son sein le processus d’élargissement de l’OTAN, est tétanisée par les décisions américaine et turque en Syrie. Et de quoi se félicite la France ? D’une réunion, qui se tiendrait prochainement à Londres, entre les trois Européens – Allemagne, Royaume-Uni, France – et le président turc… Un sommet entre Emmanuel Macron, Boris Johnson, Angela Merkel et Erdogan, cela fait rêver dans une perspective de paix ! Mais pour quoi faire ? Où est la vision commune, le projet qui nous guide ?
Décidément, de quelque côté que l’on se tourne, l’Europe est dans la crise et dans l’impasse.
Voilà dix ans, lorsque nous critiquions sévèrement les orientations qui nous ont menés jusque-là et que nous proposions des États généraux de la refondation européenne pour reconstruire de la solidarité, de l’harmonisation sociale vers le haut, de la transition vers un nouveau modèle, on nous traitait d’anti-européens. Mais aujourd’hui, qui sont les fossoyeurs de l’Union sinon les sourds d’alors ?
Repenser l’Europe est plus que jamais urgent, mais pas pour resservir les plats réchauffés d’hier. Les priorités et les urgences sont ailleurs.
Madame la secrétaire d’État, à quand un Conseil européen sur le dossier d’Alstom-General Electric, qui nous dit l’urgence d’une nouvelle politique industrielle et de son financement ?
À quand un Conseil européen sur l’accident ferroviaire des Ardennes, qui nous dit l’urgence d’une grande politique ferroviaire de service public en Europe, et non de sa déréglementation continue ?
À quand un Conseil européen qui traitera de la colère du monde agricole contre le CETA ?
À quand un Conseil européen qui parlera de la colère de nos communes, laquelle nous dit l’urgence d’une réorientation des fonds structurels vers le financement des services publics et des solidarités territoriales ?
À quand, tout simplement, des Conseils européens qui porteront sur les priorités des Européens, loin des débats actuels sur le colmatage des brèches d’une marchandisation capitaliste à bout de souffle ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Franck Menonville. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commissions, mes chers collègues, en trois ans et demi, le Brexit a donné lieu à d’innombrables rebondissements. Après des jours et des nuits d’intenses négociations, les Britanniques et les Européens ont présenté un accord de retrait. Il a été qualifié de raisonnable, équilibré et respectueux des engagements européens, ce que nous continuons à croire.
La pression s’est alors reportée sur le Parlement britannique et les yeux se sont rivés sur le Palais de Westminster, qui n’avait pas siégé un samedi depuis la guerre des Malouines en 1982.
Les interrogations quant au vote du texte par le Royaume-Uni restaient entières. Et nous n’avons pas été déçus ! L’adoption de l’amendement Letwin décale le vote sur l’accord négocié deux jours avant par Boris Johnson et les Vingt-Sept…
L’Europe est une nouvelle fois plongée dans l’incertitude. Pas moins de trois lettres ont été envoyées ce week-end au président du Conseil européen pour demander un report de la date de sortie au 31 janvier 2020. Les Vingt-Sept vont devoir faire un choix à l’unanimité.
Le président Macron ainsi que le Gouvernement ont déjà fait savoir qu’un délai ne serait dans l’intérêt d’aucune partie. Nous nous associons pleinement à ces propos, à moins qu’un tel délai ne soit dûment motivé et réellement nécessaire. Nous avons donc besoin de signaux clairs de la part du Royaume-Uni, et cela semble survenir.
Les Européens méritent mieux que cette cacophonie qui n’a que trop duré. Le véritable enjeu demeure les relations futures avec le Royaume-Uni ; c’est pourquoi il faut privilégier un retrait négocié. Le Conseil européen de la semaine dernière a d’ailleurs apporté la preuve de la nécessité d’une Europe rassemblée et résolument tournée vers l’avenir. De nombreux sujets cruciaux sont à traiter, et demandent toute notre attention et notre engagement.
Permettez-moi d’évoquer en premier lieu le cadre financier pluriannuel qui nous engagera jusqu’en 2027. Nous attendons dans les prochaines semaines un cadre de négociations et des chiffres clairs de la part de la présidence finlandaise.
Nous avons noté les divergences entre les États membres et souhaitons que les futures négociations soient guidées par un souci d’avenir. L’Union européenne doit être ambitieuse ; cela passera par un budget tout aussi ambitieux et empreint de conditionnalité.
Comme l’a mis en évidence notre collègue Colette Mélot dans son excellent rapport sur les fonds européens, les États membres, et en particulier la France, devront améliorer leur système de mise en œuvre et de déploiement des fonds européens.
Je pense qu’il est temps aussi d’envisager le développement des ressources propres pour renforcer le budget.
Ce budget devra concilier le maintien de nos politiques historiques et vitales – l’indispensable PAC et la politique de cohésion –, tout en mobilisant les ressources nécessaires aux nouvelles orientations stratégiques : je veux parler de l’environnement, du numérique et, bien sûr, des enjeux de sécurité et de défense.
Madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous soutenir efficacement la politique agricole commune et la politique de cohésion lors des négociations du cadre financier pluriannuel, qui s’annoncent tendues ?
Ce Conseil a également consacré la nomination de Mme Lagarde comme présidente de la Banque centrale européenne, ce qui est un honneur pour la France. Nous avons une confiance totale en elle pour mener à bien la lourde tâche qui lui a été confiée.
Cependant, concernant la nomination de notre commissaire européen, formons le souhait que la France propose rapidement une personnalité incontestée et expérimentée qui saura porter haut la voix de la France. Où en sommes-nous sur ce point, madame la secrétaire d’État ? Pouvez-vous nous préciser le calendrier de cette future nomination ?
Je souhaite aussi aborder le sujet essentiel de l’avenir et de la stratégie choisie. Pour assurer notre avenir, l’Union européenne doit être forte et s’imposer sur le plan international.
Enfin, l’Union européenne doit contribuer à la stabilisation du monde. Son ambition doit être plus grande, ses politiques et ses mécanismes mieux adaptés pour répondre de manière ordonnée et concrète. La crise turque est le parfait exemple que condamner les actions ne suffit pas : il faut agir, ensemble.
Toutefois, l’Europe ne pourra montrer la voie que si elle se réinvente. Le manque de consensus sur la question de l’élargissement le prouve. Il est important que l’Europe se renforce avant de s’élargir, notamment en matière institutionnelle.
Bien sûr, le processus d’adhésion doit être réformé, pour mieux répondre aux réalités actuelles de l’Union européenne, mais nous devons bien évidemment également tenir compte des efforts entrepris par l’Albanie et la Macédoine du Nord, afin de leur apporter une réponse concrète en mai prochain.
En conclusion, le mandat de la nouvelle Commission et du nouveau Parlement sera déterminant pour l’avenir de l’Europe. Nous devons tous en être conscients, car il est avant tout question de redonner à l’Union européenne sa place prépondérante sur la scène internationale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, RDSE, UC et Les Républicains.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, depuis des mois, nous suivons la situation au Levant, en particulier l’engagement de nos forces contre l’État islamique. Si la France, avec d’autres, participe à la coalition contre Daech, il faut admettre qu’en réalité les Européens pèsent peu dans le contexte régional.
Il y a d’abord eu les Russes, qui ont su imposer leur présence au milieu du chaos sur le terrain et du vide diplomatique.
Aujourd’hui, le retrait américain et l’offensive turque illustrent encore le peu de prise de l’Europe sur le cours des événements. Depuis les guerres d’Afghanistan puis d’Irak, au coût financier et humain exorbitant, les États-Unis ne veulent plus se trouver enferrés dans de tels conflits, dans des régions qui, selon eux, seraient « par nature » instables. Quand le président Trump dit que « le job est fait », il s’en tient à Daech écrasé sous les bombes. Mais quid du sort des populations civiles ou des djihadistes prisonniers, notamment européens, qui pourraient revenir dans leurs pays d’origine ?
La Turquie, jadis bon élève de l’OTAN et un temps au seuil de l’Union européenne, joue désormais seule sa partition d’acteur régional et renvoie les Européens à leurs propres turpitudes, celles de notre incapacité collective à avoir su prévenir puis gérer la crise migratoire, conduisant à la conclusion d’un accord à haut risque. Ce pis-aller, trouvé en urgence, nous paralyse désormais, puisque les autorités turques agitent le spectre d’un flot migratoire régulièrement, à chaque mouvement d’humeur de l’Union européenne à leur endroit.
Par ailleurs, les tensions avec la Turquie ont aussi des développements en Méditerranée orientale, puisque Chypre se retrouve à nouveau aux prises avec les autorités turques dans un différend en matière d’espaces maritimes, exacerbé par la présence de gisements d’hydrocarbures dans ladite zone. Depuis quelques semaines, l’intrusion d’un navire de forage turc dans la zone économique exclusive chypriote contestée par la Turquie fait craindre une escalade régionale. La même situation était déjà survenue cet été, aboutissant à des réactions fermes de l’Union européenne, mais sans effet. Le Conseil, qui considère ces activités de forage comme « illégales », s’est entendu dernièrement sur la mise en place de mesures restrictives. La France, qui a des intérêts énergétiques dans la zone, a, semble-t-il, dépêché des moyens navals sur place. Quelle est la situation à ce stade ?
J’en viens aux relations entre l’Union européenne et la Russie, que j’espère, dans notre intérêt partagé, voir prendre une tournure plus apaisée, car l’un des dangers pour l’Union européenne est la convergence sino-russe. La Russie bascule sur son versant asiatique en soignant sa relation avec la Chine, même si la sinisation en cours de l’orient russe inquiète Moscou. Au Forum sur les nouvelles routes de la soie, puis au Forum économique international de Saint-Pétersbourg, Russie et Chine ont montré leur entente. C’est aussi le cas au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai, sur laquelle les deux pays ont pris le leadership. En septembre 2019, un exercice militaire russo-chinois à grande échelle s’est déroulé en Russie. De même, cet été, des patrouilles d’avions militaires chinois et russes ont été menées au large de la Corée du Sud et du Japon. Aujourd’hui, la base chinoise de Djibouti intéresse à l’évidence les Russes, comme, d’ailleurs, les bases russes de Méditerranée orientale suscitent l’intérêt des Chinois.
Le message adressé aux Américains comme aux Européens est clair. Cette convergence de deux États aux ambitions globales, jusqu’en Arctique et en Méditerranée, doit, me semble-t-il, inviter les Européens à une plus grande coopération pour desserrer l’étau qui se met en place.
Pour ce qui concerne la Chine, mes chers collègues, vous connaissez les enjeux, mais aussi les opportunités, pour l’Union européenne, des routes de la soie. Il faudra cependant que nous demeurions attentifs à la stratégie chinoise consistant à diviser l’Europe par le biais des relations bilatérales avec ses États membres.
Je note avec intérêt la récente signature d’un partenariat pour une connectivité durable et des infrastructures de qualité entre l’Union européenne et le Japon.
Un autre danger pour le vieux continent est la convergence turco-russe qui, au-delà de la seule Union européenne, inquiète également l’OTAN, en particulier depuis l’achat par Ankara de systèmes antiaériens S400 russes.
Enfin, madame la secrétaire d’État, je veux revenir sur les vides juridiques que vous avez évoqués et mis en cause. Je suis personnellement convaincu que les technocrates qualifient de « vides juridiques » les espaces de liberté laissés par le législateur. En démocratie, la liberté est le principe, quand l’interdiction ou la réglementation sont l’exception.
Je veux vous dire aussi que j’approuve votre position concernant les demandes d’élargissement de l’Union européenne.
Pour terminer, si nous ne prenons pas toute la mesure des événements qui se déroulent sous nos yeux, nous finirons, à n’en pas douter, comme de simples clients ou sous-traitants des Chinois ou des Américains, sous la pression permanente des Russes. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et LaREM.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très juste !
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Didier Marie. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, le Brexit a, une nouvelle fois, largement attiré l’attention des médias et occupé une part significative des discussions du dernier Conseil européen. Nombre de mes collègues viennent de s’exprimer à ce sujet.
On peut, à ce jour, se féliciter de la solidarité des Vingt-Sept. L’Union européenne a, il faut le dire, assumé ses responsabilités. Dans l’attente d’un éventuel dénouement, nous découvrons, chaque heure, une nouvelle subtilité de la créativité de la démocratie parlementaire britannique.
Plus sérieusement, nous souhaitons, madame la secrétaire d’État, que l’on sorte de cette situation d’incertitude, qui nuit à nos relations bilatérales, à nos entreprises et aux ressortissants de nos pays respectifs. Nous devons éviter un nouveau report et nous souhaitons que le Conseil et la Commission restent fermes sur la ligne adoptée jusqu’ici. À cet égard, nous soutenons votre position sur le sujet.
M. Didier Marie. Cette belle unanimité sur le Brexit ne peut, pour autant, être l’arbre qui cache la forêt.
En effet, madame la secrétaire d’État, la réunion du Conseil européen dont nous sommes invités à commenter les résultats me laisse inquiet, frappé par l’état de faiblesse de nos institutions européennes, alors que débutera, au 1er novembre prochain, une nouvelle mandature, qui devrait ouvrir un nouveau cycle européen.
Alors que le besoin de relance d’une Europe forte est de plus en plus prégnant, les dirigeants européens ont semblé paralysés par un manque de cohésion intérieure et la menace des défis extérieurs : mise en place laborieuse de la Commission, absence de politique étrangère, défaut d’entente sur les frontières de l’Europe, blocage du budget à long terme de l’Union européenne… Autant de dossiers que le Conseil européen, attentiste, n’a pas réussi à régler. Ses conclusions sont d’ailleurs anémiques, toute décision étant reportée, au mieux, au prochain Conseil, qui se réunira au mois de décembre.
Permettez-moi de m’arrêter sur quelques-uns de ces sujets. Ma première inquiétude concerne la capacité d’impulsion de la Commission européenne.
La présidente élue prendra ses fonctions dans quelques jours sans avoir bouclé sa Commission. Imposée par défaut par les dirigeants européens et mal élue par les députés, elle apparaît plus en situation de devoir plaire au Parlement et de complaire au Conseil que de tracer les lignes de force des politiques de l’Union européenne. Mme von der Leyen reconnaît elle-même être à la tête d’une Commission plus géopolitique que politique, composée de commissaires désignés pour répondre avant tout à des considérations nationales. La France, prise à son propre jeu, est d’ailleurs tombée dans ce piège.
La nouvelle configuration du Parlement européen ne devrait pas l’aider. Avec un Parlement sans majorité, celle-ci devant être bâtie au fil des textes, la Commission européenne risque d’abaisser par anticipation le degré d’ambition de ses propositions.
Le fragile équilibre du collège de la Commission, son organisation extrêmement pyramidale, la difficulté à discerner parfois les fonctions des uns et des autres risquent de concourir à la neutralisation des initiatives indispensables à la relance européenne. Le signal envoyé par le Conseil européen à son intention pourrait également réduire sa marge de manœuvre.
La France porte une part de responsabilité dans cette situation. L’Union européenne ne peut être le terrain de manœuvres incessantes et l’interventionnisme continuel du Président de la République ne peut que se retourner contre notre pays. L’exécutif doit respecter les rôles dévolus à chaque institution européenne. La Commission ne peut être le secrétariat du Conseil, encore moins celui des intérêts particuliers des États. L’indépendance du Parlement européen doit être respectée, le renforcement de son rôle doit être défendu, notamment à travers l’attribution d’un droit d’initiative propre. Nous avons tout intérêt à la défense de la démocratie parlementaire européenne, car c’est elle qui, dans l’équilibre des institutions, permet de faire primer les intérêts des citoyens européens sur les logiques nationales qui, actuellement, affaiblissent tant la Commission que le Conseil.
La France, au lieu de voir une crise institutionnelle là où le Parlement n’a fait qu’exercer ses prérogatives, serait mieux avisée de plaider efficacement pour un cadre financier ambitieux et un Green Deal européen à hauteur des défis de la transition écologique et de défendre le mieux-disant social européen.
Madame la secrétaire d’État, l’Europe est dans l’urgence. Alors que le populisme prospère, elle a besoin d’institutions fortes et d’un projet clair. En quoi la France y a-t-elle contribué ? Que comptent faire le Gouvernement et le Président de la République pour sortir de l’ornière dans laquelle l’Union européenne se trouve ?
Ma deuxième inquiétude concerne l’incapacité du Conseil européen, au-delà d’une condamnation de principe, à définir une position claire et ferme à l’égard de l’invasion par la Turquie du nord-est de la Syrie pour en chasser les Kurdes, abandonnés honteusement par la coalition internationale.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. C’est vrai !
M. Didier Marie. Là où les Kurdes attendaient un soutien concret, le Conseil a acté son incapacité à peser sur la Turquie autrement que par l’adoption de « positions nationales concernant leur politique d’exportation d’armements » et par la mise en place – tenez-vous bien, mes chers collègues ! – d’un groupe de travail. Que dire d’un Haut Représentant qui affirme ne pas avoir de « pouvoirs magiques » ? Le Président de la République ne cesse de parler d’« autonomie stratégique européenne », mais en quoi celle-ci consiste-t-elle réellement ?
Madame la secrétaire d’État, quelles initiatives concrètes la France compte-t-elle prendre pour contribuer à un sursaut de l’Union européenne à l’égard de la Turquie et, plus largement, à une recherche de cohésion en matière de politique étrangère ?
Ma troisième inquiétude concerne l’attentisme du Conseil face aux défis que nous devons relever et l’incapacité de l’Union à définir son projet pour les années à venir.
Concernant la question migratoire, si l’accord obtenu il y a quelques semaines entre quelques États membres sur un dispositif commun pour le débarquement des migrants secourus en mer est le bienvenu, il reste temporaire et repose sur une simple base volontaire. Face aux milliers de personnes qui tentent de franchir la Méditerranée et aux centaines de morts, nous avons déjà trop tergiversé. Il est plus que temps d’engager une réforme du règlement de Dublin, d’harmoniser les critères européens, de créer des centres de premier accueil sur tous les points d’arrivée, d’ouvrir d’autres voies légales d’immigration, plus sûres, plus respectueuses, y compris s’agissant des procédures de réinstallation.
Il est temps que les dirigeants européens traduisent concrètement leur indignation envers les pays d’où partent les embarcations par la solidarité envers les personnes qui les fuient.
L’Union européenne a de nombreux défis à relever. Elle ne pourra le faire sans un budget ambitieux. Or, là encore, les divergences nationales l’emportent, les États membres ayant une fois de plus bloqué les discussions.
Pour rappel, le Parlement européen a proposé, depuis novembre 2018, des dépenses globales à hauteur de 1,3 % du revenu national brut de l’Union, contre 1,11 %, taux recommandé par la Commission européenne. Un an après, qu’ont fait les États ? Rien. Pis, la Finlande propose désormais un taux entre 1,03 % et 1,08 %. Alors que la présidence finlandaise suggère également de réduire la taille des enveloppes destinées à la PAC, nous devons nous assurer que les nouvelles priorités stratégiques que sont la défense, les migrations et le climat soient développées et que les politiques traditionnelles soient confortées.
Par ailleurs, face à l’urgence environnementale, il est indispensable de mettre nos politiques européennes, comme la PAC, la politique de cohésion ou la recherche, au service de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique.
Si nous saluons la décision de nommer un vice-président exécutif qui sera chargé de mettre en place le Green Deal, tout reste néanmoins à bâtir concernant ce dernier : son volume, son champ, le choix du levier de financement, ses modalités.
Les premiers indices ne plaident pas, pour l’instant, en faveur d’un plan Climat qui permette de dégager 1 100 milliards d’euros par an, comme le prône la Cour des comptes européenne. Pour que les nouvelles priorités ne se fassent pas au détriment des politiques traditionnelles, ni la transition écologique au détriment de la justice sociale, de nouvelles ressources propres sont nécessaires.
Un retard du vote du budget 2021-2027 porterait préjudice à l’Europe. Un mauvais accord tout autant ! Dans ces conditions, et alors que M. Macron prétend ne pas être inquiet de l’absence de consensus, comment le Gouvernement entend-il peser pour que celui-ci soit trouvé dans les temps et qu’il soit à la hauteur des défis qui nous attendent ?
Pour conclure, madame la secrétaire d’État, nous ne pouvons plus demeurer dans l’expectative et rester bloqués par les logiques nationales. Il nous faut maintenant avancer pour consolider l’existant et bâtir des politiques nouvelles qui rétablissent la confiance dans l’Union européenne.
Les forces populistes, en réclamant des solutions nationales et un retour aux frontières, mènent l’Europe au bord de la fragmentation et du déclin. Pour les faire reculer, nous devons mettre un terme aux logiques technocratiques et budgétaires et redonner corps à l’idée européenne.
Quelles grandes orientations le Gouvernement entend-il porter pendant cette mandature pour donner à l’Europe les moyens de réussir ? L’Europe doit sortir de son inertie, dépasser ses blocages et s’élancer vers de nouveaux horizons. Pour cela, elle a besoin de la France. Nous attendons donc de l’exécutif des actes forts. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, au lendemain du Conseil européen « de la dernière chance » des 17 et 18 octobre derniers, j’aimerais revenir sur trois grands thèmes, à savoir le prochain cadre financier pluriannuel, notre futur à 27 ainsi que l’Europe qui protège.
Premièrement, madame la secrétaire d’État, le dernier Conseil européen a été l’occasion de revenir sur le cadre financier pluriannuel pour 2021-2027, soit le budget à long terme de l’Union européenne. Or celui-ci soulève plusieurs questions.
En effet, il doit résoudre une équation relativement complexe : prendre en compte l’amputation que provoque le Brexit, le Royaume-Uni étant l’un des principaux contributeurs au budget européen, tout en investissant sur de nouvelles politiques, parfois au détriment de politiques dites « historiques » – j’y reviendrai –, sans réformer structurellement le financement du budget.
Or, comme le Président de la République l’a lui-même déclaré lors de sa conférence de presse, le budget européen doit être ambitieux, disposer, à ce titre, de davantage de ressources propres et remettre en cause les rabais dont bénéficient plusieurs États membres, certains remontant aux années quatre-vingt.
Par la suite, si les pistes de travail présentées par la Commission européenne en mai 2018 dévoilent un budget en hausse, porté à 1 135 milliards d’euros contre 959 milliards pour le précédent, la politique agricole commune verrait, pour sa part, son budget réduit. Alors que l’agriculture devra relever à l’avenir de lourds défis, qu’il s’agisse du développement économique, de la ruralité, de la défense d’un modèle agricole plus respectueux de l’environnement ou encore de la défense de notre souveraineté alimentaire, pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous donner des précisions sur les objectifs d’une telle diminution ?
Deuxièmement, ce Conseil européen était, selon moi, important en ce qu’il a été l’occasion d’évoquer, devant la future présidente de la Commission européenne et le prochain président du Conseil européen, qui y assistaient, aussi bien le départ de l’un de ses États membres que les perspectives d’élargissement pour l’Union.
Une question se pose : quel est notre futur à 27 ? Quelles sont nos ambitions communes dans ce contexte nouveau ? À cette question, j’aimerais vous entendre sur deux sujets.
Le premier porte sur les 27 politiques industrielles nationales, qui restent encore cloisonnées et qui condamnent les Européens à disposer d’un marché unique abouti, mais à ne jamais voir émerger de géants industriels européens dans la compétition internationale. J’évoque cette politique, car elle est symptomatique d’une incapacité collective à dépasser nos intérêts nationaux et à redonner du sens au collectif.
Le second sujet concerne l’inachèvement de l’Union économique et monétaire et sur les projets esquissés lors du Conseil européen. J’ai entendu le Président de la République évoquer la nécessité d’une assurance chômage au sein de la zone euro, mais cela ne me semble pas être la principale priorité quand l’instrument budgétaire de convergence et de compétitivité pour la zone euro semble encore bien éloigné d’un véritable budget de la zone euro et alors que l’union bancaire reste inachevée et incapable de garantir les dépôts et d’assurer in fine la stabilité du secteur bancaire en cas de crise économique.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. C’est malheureusement exact !
M. Jean-François Longeot. Sur ces deux sujets, madame la secrétaire d’État, avez-vous des précisions à nous apporter ?
Troisièmement, je veux revenir sur la question de l’Europe qui protège.
Le Brexit est le résultat d’un espoir nostalgique de retour à une souveraineté nationale fantasmée. Or nous savons bien que, unis, nous sommes l’un des géants de la compétition internationale et du nouveau monde multipolaire tel qu’esquissé au lendemain de la chute de l’Union soviétique, mais que, isolés, prisonniers d’un imaginaire westphalien anachronique, nous ne pèserons guère dans cette compétition.
Face aux défis que nous devrons relever, qu’il s’agisse du changement climatique, du défi migratoire ou encore des enjeux du numérique, la souveraineté ne pourra s’exercer qu’à l’échelon européen par une coopération accrue, sincère et ambitieuse. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. René Danesi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. René Danesi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, le point urgent de l’ordre du jour du Conseil européen était l’approbation du nouvel accord de sortie du Royaume-Uni, ce nouvel accord qui, à l’heure actuelle, n’a toujours pas trouvé de majorité chez les députés britanniques.
Ceux-ci font preuve d’une grande créativité pour reculer sans cesse l’échéance du Brexit et pour ne pas respecter le verdict du référendum. Ils ne sont d’accord sur rien, sauf sur le fait de ne pas retourner devant les électeurs… pour ne pas se faire renvoyer. Et, quand les manœuvres politiques ne suffisent pas à ficeler le gouvernement, ils font appel aux juges.
Jusqu’à présent, le Royaume-Uni était cité dans toutes les écoles de sciences politiques comme le modèle de la démocratie parlementaire. Après ce triste feuilleton du Brexit, cela ne sera plus le cas…
Mais le mal est bien plus étendu. En effet, l’élite politico-économique occidentale tient de plus en plus souvent le peuple pour quantité négligeable. Cela a commencé en 2005, avec la France et les Pays-Bas, dont les référendums défavorables à la Constitution européenne ont été contournés par les gouvernements et les parlements. Les Pays-Bas ont recommencé en contournant le référendum défavorable à l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine.
Aux États-Unis, c’est pire. Élu par les « déplorables », comme les qualifiait la candidate démocrate, Donald Trump a vu son élection contestée avant même son installation. Et, depuis lors, les députés mènent une véritable guérilla, en mobilisant, là aussi, les juges, à tous les niveaux et à tout propos.
Avec le déclassement des classes moyennes et populaires, l’attitude désinvolte de l’élite politico-économique à l’égard du peuple nourrit les mouvements d’extrême gauche et d’extrême droite dans tout l’Occident.
Le Conseil européen a également renvoyé à plus tard l’ouverture des négociations d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord. Donald Tusk et Jean-Claude Juncker n’ont pas réussi à surmonter le veto de la France, des Pays-Bas et du Danemark.
Il faut dire que l’Albanie et la Macédoine du Nord ne sont pas les meilleurs élèves de la classe préparatoire à l’entrée dans l’Union européenne ! Ces deux pays ont encore beaucoup de réformes à faire avant d’être au niveau. Par ailleurs, l’Albanie se singularise par le nombre de ses ressortissants qui viennent demander l’asile politique en France, avec 7 133 demandes enregistrées dans notre pays en 2018.
On relèvera aussi que l’Albanie, déjà membre de l’OTAN, et la Macédoine du Nord, qui le sera d’ici peu, bénéficient de la part des États-Unis du programme d’aide appelé « ERIP » pour remplacer leur matériel militaire d’origine soviétique par du matériel américain. Pour ceux qui se posent la question de l’utilité de l’OTAN, voilà la réponse : alimenter les carnets de commandes du complexe militaro-industriel des États-Unis !
La France demande que l’Union européenne commence par la révision complète des procédures actuelles d’élargissement. Mais, au-delà, c’est le fonctionnement de l’Union européenne qu’il faut réformer avant de l’élargir.
À présent que les Britanniques, qui ont toujours veillé à ce qu’elle ne soit qu’un marché unique, en sortent, l’Union peut enfin s’approfondir, au lieu de s’élargir sans fin. C’est ce que Jacques Delors demandait déjà vainement en son temps. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, de nombreux points de désaccord ont été relevés lors du Conseil européen qui nous réunit aujourd’hui. Je souhaite pour ma part m’exprimer plus particulièrement sur la politique agricole commune.
En effet, avec le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, tout doit être mis en œuvre pour que la baisse des ressources ne soit pas synonyme d’une diminution de la prochaine programmation.
Alors que l’agriculture française occupe la première place en Europe, la politique agricole est un enjeu majeur, sur lequel la France doit peser de tout son poids.
Les nouvelles priorités de l’Union européenne ne doivent pas se faire au détriment des politiques traditionnelles et le volet agricole ne peut être une variable d’ajustement.
La souveraineté alimentaire doit être une priorité et conduire l’Europe à proposer une politique ambitieuse permettant de relancer la compétitivité des exploitations et leur capacité à investir et à se transformer, données essentielles d’une durabilité économique.
Les nouvelles orientations ne doivent s’appliquer que si elles sont jugées nécessaires et en parfaite adéquation avec les ambitions des États membres.
La simplification de la PAC est considérée comme l’Arlésienne, car la bureaucratie a créé de véritables usines à gaz qui complexifient les processus, pour les agriculteurs comme pour les États membres auxquels la charge a été transférée.
Si nul ne remet en cause les normes de « verdissement » rendues nécessaires, entre autres, par la protection des ressources naturelles, il convient de sortir d’une approche trop défensive, souvent déconnectée des réalités du terrain.
L’agriculture européenne rend des services à la société et à l’environnement. Les agriculteurs méritent une rémunération au titre des biens publics qu’ils produisent. Je pense aux externalités positives, comme le stockage du CO2 dans les sols. Il faut encourager le renouvellement de l’approche européenne, avec de véritables paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs, dans le cadre de l’un ou l’autre des deux piliers.
Les questions environnementales doivent être appréhendées avec pragmatisme et efficacité, en s’appuyant sur le développement de la recherche et de l’innovation.
Le lien entre l’agriculture et les territoires doit être encouragé. L’agropastoralisme, par exemple, est un mode d’élevage à la fois traditionnel et renouvelé, en phase avec une agriculture de son temps.
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
Mme Patricia Morhet-Richaud. Cette activité permet de conserver un tissu rural vivant et d’atteindre nos objectifs environnementaux, climatiques et de protection de la biodiversité.
Aussi est-il essentiel que les surfaces pastorales obtiennent une meilleure reconnaissance. L’Union européenne doit aider à la promotion et au développement des produits sous signe de qualité et à créer de la valeur ajoutée grâce à la protection des produits agroalimentaires issus de l’élevage pastoral.
La mise en œuvre d’une politique montagne utilisant de façon ciblée une partie des outils mis à disposition pour l’indemnité compensatoire de handicaps naturels, l’ICHN, doit également être prise en compte pour soutenir le maintien de l’agriculture dans les zones défavorisées et à handicap.
Je me réjouis du lancement de l’observatoire européen du marché des fruits et légumes, secteur-clé de notre agriculture, alors que nous sommes en fin de campagne de récolte des pommes et des poires, notamment de l’excellente « pomme des Alpes » dans mon département des Hautes-Alpes. Ce secteur donne lieu à des distorsions de concurrence intraeuropéenne inacceptables qu’il convient de corriger.
Nous devons donc poursuivre notre mobilisation pour que les États membres valident le maintien du budget actuel de la PAC à vingt-sept, pour la période 2021-2027. Nos agriculteurs méritent qu’on se batte. Il y va également des intérêts de la France. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Beaucoup d’entre vous m’ont interrogée sur l’éventualité d’une extension. Tout indique que nous devrons faire un point, en fin de semaine, sur la nécessité d’accepter une extension purement technique de quelques jours. Il s’agit de permettre au Parlement britannique d’achever une procédure qu’il souhaite mener, non pas à un train de sénateur (Sourires.), mais selon un rythme « adapté ». (Nouveaux sourires.)
Une extension qui ne servirait qu’à gagner du temps ou à rediscuter l’accord est totalement exclue. Il ne s’agit pas d’un changement de position. Nous avons déjà perdu trop de temps. Nous avons trouvé un accord équilibré qui respecte à la fois la souveraineté britannique et les lignes rouges européennes. Nous devons consacrer toute notre énergie à le mettre en œuvre sans délai.
Nous devons nous employer à faire cesser une incertitude qui crée beaucoup d’angoisses et qui pénalise économiquement des millions de familles, d’entreprises et d’emplois. C’est la raison pour laquelle la France ne veut pas d’une extension à l’infini. Nous voulons pouvoir nous appuyer sur des échéances claires et rapprochées et avancer étape après étape.
Monsieur le président Éblé, vous m’avez interrogée sur le fameux plan de contingence visant justement à répondre à l’incertitude, si elle venait à se manifester. Certains règlements ont déjà été modifiés, notamment le mécanisme d’interconnexion des infrastructures portuaires qui a permis de réaliser des investissements à Boulogne, à Calais et autour de l’entrée du tunnel sous la Manche, à Coquelles. Je pense également au fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, ou Feamp, en cas d’immobilisation de la flotte. La Commission a aussi proposé de nouveaux aménagements concernant l’activation du fonds de solidarité de l’Union européenne, le fameux FSUE, destiné à aider les pays confrontés à des chocs subis et non prévisibles et la mobilisation du fonds européen d’ajustement à la mondialisation, le FEM, qui permet notamment de se protéger contre des chocs commerciaux extérieurs ou d’y répondre.
Au départ, la Commission prévoyait des critères suffisamment restrictifs pour que ces mécanismes ne profitent qu’à très peu de monde, pour ne pas dire à personne. La France a plaidé, avec un certain succès, pour qu’ils puissent être réellement mis en œuvre. Il ne s’agit pas d’être dans le symbolique : si l’on crée des mécanismes, il faut s’assurer de l’existence de bénéficiaires.
Il est difficile de savoir aujourd’hui combien de millions ou de milliards d’euros tout cela pourrait représenter pour la France. Ce n’est pas une enveloppe par pays, mais en fonction des besoins. Je ne peux vous dire combien d’entreprises en bénéficieraient si nous activions ces mécanismes.
Je tiens à rappeler mes propos lors de mon audition : j’ai besoin de vous et de votre soutien si jamais les Britanniques venaient à ne pas payer leur contribution de 2020, soit 12 milliards d’euros – non pas parce qu’ils seraient forcés de rester, comme j’ai pu l’entendre ce soir, mais bien parce qu’il s’agit de sommes dues.
Il faudrait alors absolument rappeler à la Commission européenne que nous nous opposons au plan qu’elle a imaginé, à savoir 6 milliards d’euros coupés dans les dépenses prévues – ce qui aurait des conséquences immédiates sur nos collectivités locales – et un appel à contribution des États membres de 6 milliards, soit plus d’1 milliard d’euros pour la France. Vous êtes en train d’examiner le projet de loi de finances : je vous laisse imaginer ce que représenterait sur nos comptes publics une telle contribution exceptionnelle… Dans la mesure où, pour entamer des discussions sur une relation future, il faudrait que le Royaume-Uni ait payé ses contributions, cela reviendrait à faire des avances de trésorerie.
Si cette situation venait à se produire, il faudrait trouver une solution technique pour apporter 12 milliards d’euros de trésorerie à la Commission, puisque nous savons que cet argent sera récupéré. S’il ne l’était pas, il n’y aurait pas de relation future. Il faut mener un travail technique sur ce sujet, peut-être par la BEI, la Banque européenne d’investissement, au capital de laquelle le Royaume-Uni a des parts.
Il existe plusieurs manières de trouver des garanties et de se prémunir. Il s’agit d’un sujet hautement politique. Je ne me vois pas revenir devant vous ou ailleurs pour expliquer aux élus locaux ou aux contribuables que nous devons faire des efforts en raison d’un petit problème de trésorerie britannique…
Monsieur le sénateur Bonnecarrère, nous nous sommes effectivement mobilisés contre une relation future marquée par la concurrence déloyale. Nous considérons que la déclaration politique sur la relation future est une bonne déclaration en ce qu’elle encadre très fermement les conditions d’un accord de libre-échange.
Je tiens d’ailleurs à vous rassurer : vous aurez à ratifier cet accord de libre-échange. Les parlements nationaux vont rentrer de nouveau dans le jeu : si l’accord de divorce est bien un processus restreint à l’Union européenne au nom des Vingt-Sept, au Parlement européen et au Royaume-Uni, dès qu’il s’agira de l’accord de libre-échange, même négocié au nom de l’Union européenne, chacune des chambres nationales devra bien le ratifier.
Madame la sénatrice Guillotin, vous m’avez interrogée sur l’exécution des fonds européens. C’est bien beau de négocier des enveloppes, mais c’est encore mieux si elles se concrétisent ensuite. Comme vous le savez, j’ai l’intention de travailler très précisément, avec tous les parlementaires, tous les élus locaux, toutes les associations d’élus, à simplifier le recours aux fonds européens. Trop souvent, on dit que l’Europe est compliquée ; en fait, ce sont les procédures françaises de mise en œuvre des politiques européennes qui sont compliquées. Avec Jacqueline Gourault et les ministres référents – Didier Guillaume pour les politiques agricoles ou Muriel Pénicaud pour les politiques sociales – nous menons, avec un certain nombre de préfets, un travail de recension très pratique : quelles sont les démarches à suivre en France pour avoir accès au fonds social européen et quelles sont celles à suivre en Belgique, par exemple ? Inspirons-nous de ce qui est plus simple ailleurs pour faciliter la vie des porteurs de projets. Notre objectif est de faire en sorte que l’argent arrive dans les territoires.
En ce qui concerne l’élargissement, vous nous avez appelés à développer une prospérité réelle. Il s’agit aussi pour l’Europe de retrouver des modes de décision interne qui soient efficaces. Beaucoup de vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, soulignaient que l’Europe était dans une impasse, à la croisée des chemins… D’autres encore ont dit que nous devions nous ressaisir.
C’est là tout le paradoxe : quand nous sommes au Conseil européen et qu’on nous parle d’élargissement, il est devenu tabou de dire que le sujet n’est pas de savoir si tel ou tel pays mérite ou démérite, mais d’avoir revu nos procédures internes de décision le jour où nous aurons à statuer sur leur adhésion effective. La règle de l’unanimité donne parfois un pouvoir démesuré à des coalitions de pays qui se mettent dans une posture de blocage et non de proposition. Je pense également à la représentation d’un commissaire. Peut-on vraiment travailler avec un gouvernement dont les trente membres sont sur un pied d’égalité totale. Comment organiser la collégialité, comment prendre des décisions et, surtout, comment retrouver de la rapidité ?
Ce qui rend beaucoup d’Européens sceptiques sur la valeur du projet européen, c’est la lenteur des processus entre le moment où l’on se fixe des objectifs et le moment où l’on arrive à les mettre en œuvre. Il faut des réformes. C’est la raison pour laquelle le Président de la République, la Chancelière Merkel et d’autres chefs d’État et de gouvernement soutiennent cette fameuse conférence sur l’Europe. Nous devons mettre certaines choses sur la table pour retrouver de l’agilité, de la rapidité et de la capacité à décider. Mme Merkel disait, au moment de choisir ceux qui allaient occuper les « top jobs », que le sujet ne portait pas tant sur les hommes que sur la capacité à prendre des décisions qu’on leur donne. Il nous reste à mener une réflexion sur le sujet.
Monsieur le sénateur Gattolin, je suis très déçue de ne pas disposer du temps suffisant pour regarder toutes les séries Netflix que vous avez décrites. (Sourires.) Je suis, parfois avec amusement, mais toujours avec beaucoup d’intérêt, celle qui s’appelle le Brexit. On finit par se demander si on est dans la fiction ou dans la réalité. Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvons malheureusement pas en sourire, tant il y a d’incertitudes. Quand vous rencontrez les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer, vous comprenez vite qu’il ne s’agit pas d’un feuilleton humoristique ni parodique.
Vous avez raison de souligner que ce processus sera de longue durée. Nous aurons en effet à « retricoter » toutes nos relations culturelles, universitaires, sociales et économiques. J’ai grandi à Calais. Le tunnel sous la Manche a été construit quand j’y habitais. Il mesure 50 kilomètres de long ; il ne fera pas davantage demain. Nous verrons toujours les falaises de Douvres depuis Calais. Au nord-ouest, le Royaume-Uni est notre premier voisin. Les 5 millions de camions qui passent par Calais chaque année pour rejoindre l’Angleterre ne vont pas disparaître demain. Nous avons des liens forts avec le Royaume-Uni qui a la possibilité, à tout instant, de dire qu’il souhaite rester dans l’Union européenne. Il peut également choisir un jour de refaire le chemin inverse.
L’accord de libre-échange traite de nos liens commerciaux. Nous avons aussi conclu de nombreux traités bilatéraux, notamment sur la défense. L’année prochaine, nous célébrerons les dix ans des accords de Lancaster House, traité fondateur dans nos relations avec le Royaume-Uni en termes de sécurité et de défense. Nous avons encore beaucoup de sujets sur lesquels travailler. J’espère que nous le ferons de manière positive. Il est toujours plus facile, politiquement, de se rapprocher que de se détacher.
Je vois que le sénateur Masson a quitté l’hémicycle. Il est coutumier du fait : souvent, il prend la parole, puis s’en va sans attendre ma réponse… Je voulais faire une première précision sémantique : il faut parler des Britanniques et non des Anglais. Anglais, Écossais, Nord-Irlandais, Gallois ont tous voté de manière assez différente sur le Brexit, mais c’est bien le peuple britannique qui a voté.
Je ne pense pas non plus que la comparaison entre 2005-2007 et ce qui se passe aujourd’hui soit de bon aloi. La France et ses partenaires n’ont pas voulu bloquer la volonté du peuple britannique de réaliser le Brexit. Depuis le départ, et vous savez que c’est un souhait permanent du Président de la République, nous ne devons pas nous opposer à ce référendum, mais faire en sorte que le processus démocratique aboutisse. Nous voudrions que les choses aillent plutôt vite. La lenteur ne sera pas forcément un gage de réalisation de cette volonté souveraine. Il faut toujours être extrêmement respectueux. Si nous croyons en l’État de droit, nous devons nous interdire toute ingérence directe.
Monsieur le sénateur Laurent, vous m’avez interrogée sur ce que vous décrivez comme des impasses. Je retiens deux choses : une nouvelle politique industrielle qui puisse nous amener à parler d’Alstom et de Siemens et une nouvelle politique ferroviaire, notamment pour permettre des investissements publics sur la sécurité ou sur le fret.
La Commission travaille déjà à changer de version, sinon de logiciel, et met clairement à jour sa doctrine pour pouvoir protéger nos emplois. Quand la présidente de la Commission nous dit vouloir mettre en place un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, j’y vois une méthode très intéressante de protection des normes environnementales et des emplois sur notre continent.
Il faut effectivement repenser un modèle de croissance, de prospérité, de partage des richesses. La France aimerait, par exemple, que toutes les dispositions sur l’intéressement et sur la participation puissent s’exporter à l’échelle européenne. Quand nous défendons le bouclier social, et notamment le salaire minimum européen, c’est-à-dire le fait qu’aucun travailleur à plein temps en Europe ne puisse gagner moins que le seuil de pauvreté, nous créons sinon un nouveau capitalisme, du moins un capitalisme respectueux des richesses qui permettent la production de prospérité collective.
Monsieur le sénateur Menonville, vous m’avez interrogée sur la PAC, sur la cohésion et sur la façon dont nous allions défendre ces politiques. Nous allons les défendre sans être conservateurs. Nous allons d’abord rappeler que l’Europe doit construire la souveraineté et la convergence. Si nous ne sommes pas capables d’apporter aux citoyens à la fois souveraineté et convergence, tout ce que je pourrai vous dire ici n’aura aucun sens concret dans la vie de nos compatriotes que nous appelons aux urnes tous les cinq ans.
Notre principale défense consiste à montrer en quoi ces politiques sont pertinentes, en quoi elles répondent aux exigences de nos territoires et des citoyens. Pour le Président de la République, la PAC et la cohésion sont tout à fait finançables avec une contribution de 1 % du PIB national. Par contre, le financement du reste doit reposer sur des ressources propres. J’y vois le chemin d’un compromis à même de réconcilier les pays contributeurs nets, très vigilants sur l’effort qu’ils consentent, et les pays qui souhaiteraient voir de nouvelles politiques se déployer.
Monsieur le sénateur Allizard, vous m’avez interrogée sur la Chine et l’Asie en général. Comme vous le savez, quand Xi Jinping est venu à Paris, nous l’avons reçu en compagnie de Mme Merkel. Un sommet avec Jean-Claude Juncker a ensuite eu lieu. Le Président de la République se rendra à son tour en Chine dans quelques jours, avec une délégation européenne… Nous devons essayer de nouer avec la Chine une relation, non pas d’égal à égal, car les Européens ne seront jamais aussi nombreux que les Chinois, mais de partenaires économiques et commerciaux qui repose sur une forme de réciprocité.
Une partie du déplacement du Président de la République en Chine est justement consacrée à l’ouverture des marchés chinois à nos entreprises. Nous devons créer de l’écoute et donc de la réciprocité sur ces sujets.
Vous m’avez également interrogée sur les forages turcs au bloc 7 au large de Chypre. Le Conseil européen a décidé des sanctions à l’encontre de ceux qui mènent ces forages. La limite à poser est celle de la souveraineté territoriale d’un État membre. Nous sommes extrêmement mobilisés sur ce sujet.
Monsieur le sénateur Marie, vous souhaitez savoir quels projets phares nous portons pour les années qui viennent. La France et l’Allemagne, contrairement à beaucoup de nos partenaires, ont une feuille de route. C’est le discours à la Sorbonne qui a ensuite été décliné sous diverses formes durant la campagne des élections européennes et qui a largement inspiré le discours d’Ursula von der Leyen.
Ce discours nous dit que l’Europe doit se positionner face aux défis de son siècle – le climat, la capacité à créer des emplois dans un monde très innovant… – et doit porter sa voix dans un monde qui n’est plus celui des années quatre-vingt-dix, avec des blocs très organisés, où chacun savait où il habitait. Les alliances sont aujourd’hui très mouvantes, ce qui nous oblige à retrouver de l’autonomie.
Cette souveraineté européenne est un cadre qui rassemble davantage chaque jour. Les différents pays ne peuvent répondre autrement qu’en Européens face aux pressions commerciales ou aux investisseurs prêts à partir très loin et à détruire des emplois…
Comment Ursula von der Leyen peut-elle trouver une majorité pour soutenir ce projet ? Le travail mené la semaine dernière avec les chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen et cette semaine au Parlement européen ne vise pas à signer un accord de coalition, un bout de papier signé la main sur le cœur pour cinq ans dont on ignore s’il aboutira à quoi que ce soit. Sur les grandes thématiques, les grandes priorités qu’elle a fixées, la présidente de la Commission doit pouvoir disposer d’un engagement collectif et de confiance.
Je me rends à Strasbourg tous les mois depuis six mois, au moment de la plénière, pour rencontrer les parlementaires européens de manière extrêmement intensive. Les choses sont bien évidemment plus compliquées qu’avec deux blocs et des positions définies dès le départ, mais je peux vous assurer qu’une majorité existe sur de nombreux thèmes. Il faut construire cette majorité, sujet par sujet. C’est un travail que je mène aussi au Conseil. Si l’on se contente de dire que la France et l’Allemagne sont d’accord, ça ne marche pas. Les coalitions se forment sujet par sujet : nous avons des partenaires sur le budget, nous en avons d’autres sur le climat ou sur la cohésion… Nous avançons thématique par thématique, ce qui demande plus de travail et d’agilité. Nous avons une majorité moins visible, moins automatique, qui demande plus de mobilisation collective.
En ce qui concerne le cadre financier pluriannuel, le CFP, je pense que nous pourrons trouver des contributions nationales pour les politiques actuelles et des ressources propres pour financer le coût des nouvelles politiques. Il existe un chemin pouvant nous permettre de rallier les contributeurs nets et les pays les plus demandeurs.
Monsieur le sénateur Longeot, en ce qui concerne le calendrier, mieux vaut un bon accord qu’un mauvais accord négocié trop vite. Nous essayons tout de même d’avoir de la visibilité pour le début 2020. Nos chercheurs, nos collectivités locales, nos entreprises qui dépendent au quotidien de ces fonds européens ont besoin de clarté. Vous m’en voudriez beaucoup si, dans quelques semaines, je venais vous annoncer un accord avec une PAC réduite à la portion congrue ou des régions en transition maltraitées. Il faut trouver le juste équilibre.
Toutefois, nous ne voulons pas prendre de retard. Nous ne voulons pas nous retrouver avec les mêmes problèmes qu’en 2014 sur le terrain. Nous savons combien cela pourrait être dommageable.
Madame la sénatrice Morhet-Richaud, vous avez souligné que les Américains avaient largement soutenu les programmes de développement militaire en Macédoine du Nord. Or, pour 2 millions d’habitants, ce pays a reçu de l’Union européenne 664 millions d’euros de soutien entre 2014 et 2020, au travers de l’instrument de préadhésion.
Nous menons avec ces pays une politique d’investissement collectif très forte. S’il faut traiter le sujet juridico-politique de l’élargissement, les chiffres que je viens de citer montrent que l’Union européenne ne se désintéresse pas de ces pays situés au cœur de l’Europe et avec lesquels nous devons nouer une relation stratégique.
Je vous remercie de ces échanges et de votre soutien, dans une période où nous avons besoin d’une parole unie et non d’une parole dure, d’une parole qui amène de la clarté. Nos partenaires doivent savoir que si nous sommes parfois exigeants, c’est aussi dans leur intérêt. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)
Conclusion du débat
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires européennes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny, au nom de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les présidents de commission, mes chers collègues, M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes, m’a fait l’honneur de me confier le soin de conclure, au nom de la commission, ce débat consécutif au Conseil européen des 17 et 18 octobre dernier. Permettez-moi tout d’abord de vous remercier pour vos diverses contributions à ce débat très riche, à la suite d’un Conseil européen particulièrement délicat. Même s’il reste du pain sur la planche, je souhaite souligner ici les pistes d’avenir qu’il a tracées.
D’abord, la négociation sur le cadre financier pluriannuel a été relancée. Assurément, la proposition de la présidence finlandaise a fait l’unanimité contre elle. C’est évidemment une déception. La bonne nouvelle, c’est que tout reste ouvert dans la négociation : le niveau des ressources, la part de chaque politique dans le budget, les ressources propres, les rabais, ainsi que les conditionnalités… Il y va de la capacité d’action de l’Union européenne pour les cinq années à venir.
Aussi, nous devons persévérer dans nos demandes : préserver l’enveloppe budgétaire de la politique agricole commune, qui est une politique stratégique pour l’Union, pour sa capacité à assurer un niveau de vie correct à ses agriculteurs, pour sa souveraineté alimentaire et pour sa transition climatique ; supprimer les rabais, car si cette suppression n’a pas lieu à l’occasion du départ des Britanniques, elle ne pourra jamais se faire ; revoir les ressources propres, en les mettant en rapport avec les objectifs ambitieux et nombreux que les citoyens européens assignent à l’Union européenne ; soumettre à conditionnalités l’octroi des fonds européens afin d’en faire des leviers utiles, notamment au service de l’État de droit…
Le sujet du cadre financier pluriannuel sera à nouveau abordé en décembre, sur le fondement d’un nouveau cadre de négociation que la présidence finlandaise est invitée à élaborer et sous la nouvelle présidence de Charles Michel. Toutefois, au regard des divergences profondes qui persistent, il ne sera sans doute pas évident de conclure en 2020 cette négociation qui requiert l’unanimité.
C’est aussi en décembre que le Conseil européen devra finaliser ses orientations sur la stratégie européenne de long terme sur le changement climatique. Cette convergence des sujets financiers et climatiques en décembre est propice pour que l’Union se donne les moyens d’une transition verte socialement équitable. La transition écologique est en effet un enjeu d’envergure européenne. Il importe que l’Union continue à se positionner comme leader dans la mise en œuvre de l’accord de Paris. Nous pouvons à cet égard nous féliciter qu’un nombre toujours croissant d’États membres se rallie progressivement à l’objectif de neutralité carbone en 2050.
L’Union devra aussi accorder l’attention nécessaire au lien entre climat et océans, que le nouveau rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le Giec, a mis en lumière le mois dernier. Il faudra toutefois veiller à ce que cette transition écologique se réalise au même rythme et selon le même niveau d’exigence d’un État membre à l’autre, sous peine d’encourager de nouvelles distorsions de concurrence au détriment de nos entreprises et de nos agriculteurs.
Ces deux sujets majeurs – budget et climat – ne pourront valablement avancer que s’ils sont portés par de nouvelles institutions européennes en bon état de marche. La Commission européenne est en position d’apporter une contribution décisive à la mise en œuvre des priorités fixées par l’agenda stratégique. Or sa composition reste encore incomplète, en partie du fait du nouveau Parlement européen dont les équilibres renouvelés changent le fonctionnement.
Nous attendons notamment le nom du nouveau candidat français au poste de commissaire. Nous sommes surpris de voir que le Président de la République semble avoir d’autres priorités : à l’issue de la réunion du Conseil européen, il a préféré proposer la création d’une Haute Autorité de la transparence de la vie publique au niveau européen…
Absorbée par la négociation du Brexit et ralentie par le renouvellement de ses institutions, l’Europe prend du retard, alors qu’elle doit répondre aux nombreux défis urgents qui sont devant elle. Nous avons d’ailleurs appris, voilà une heure, que Donald Tusk avait proposé d’accepter le report de quatre-vingt-dix jours.
Le monde n’attend plus l’Europe. La priorité doit donc être aujourd’hui de la remettre en action et de la refonder pour qu’elle se projette plus efficacement dans l’avenir et pour l’avenir de l’ensemble des citoyens européens. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE, Les Indépendants et LaREM, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Bravo !
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 17 et 18 octobre 2019.
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Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 23 octobre 2019 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures trente à vingt heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe SOCR)
Proposition de loi visant à adapter la fiscalité de la succession et de la donation aux enjeux démographiques, sociétaux et économiques du XXIe siècle, présentée par MM. Patrick Kanner, Thierry Carcenac, Claude Raynal, Vincent Éblé et plusieurs de leurs collègues (texte de la commission n° 62, 2019-2020) ;
Proposition de loi tendant à renforcer l’effectivité du droit au changement d’assurance emprunteur, présentée par M. Martial Bourquin (texte de la commission n° 59, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication