M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après nos débats, je reste persuadée, avec l’ensemble des membres de mon groupe, que le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé ne va absolument pas régler les problèmes que connaît notre système de soins, singulièrement l’hôpital public.
Alors que les personnels et les praticiens dénoncent leurs conditions de travail, les patients leurs difficultés quant à l’accès aux soins, les élus et les usagers l’absence de prise en compte de leurs avis dans les décisions des établissements, vous poursuivez dans la même logique que vos prédécesseurs : limiter les dépenses publiques. C’est une réponse qui a prouvé son inefficacité ou plutôt sa nocivité, plongeant notre système de santé dans une crise profonde.
Madame la ministre, vous n’entendez pas la colère des professionnels, vous refusez de prendre en compte les propositions de notre groupe, qui, pourtant, sont de nature à redonner à notre système de santé les moyens de fonctionner.
Aujourd’hui, ce sont 205 services des urgences sur 524 qui sont en grève dans notre pays pour réclamer des effectifs en personnels pluridisciplinaires supplémentaires, des lits d’aval nécessaires pour atteindre l’objectif « zéro patient sur les brancards » et une revalorisation des salaires de 300 euros. Travailler dans de bonnes conditions pour une meilleure prise en charge des patients, quoi de plus normal ?
Or, madame la ministre, vous avez décidé avec Bercy qu’il n’y aurait pas d’augmentation des effectifs. Vous avez donc cherché des solutions ailleurs, en dégageant du temps médical pour les praticiens avec les délégations de tâches et la création des auxiliaires médicaux.
Ces mesures pourraient être efficaces si la situation de l’hôpital n’était pas telle qu’elle est aujourd’hui. Vous sous-estimez totalement les réalités de terrain. Après des années de suppression de postes à l’hôpital, les équipes sont épuisées et n’arrivent plus à répondre aux missions qui sont les leurs.
Alors que les personnels se mobilisent contre la détérioration des conditions de prise en charge des patients et de leurs conditions de travail, votre gouvernement fait adopter un amendement au projet de loi de transformation de la fonction publique pour étendre le recours aux contrats temporaires et saisonniers dans les hôpitaux. Le secrétaire d’État Olivier Dussopt ne connaît visiblement rien à la fonction publique hospitalière : il tient des propos mensongers qui me conduisent à faire un rappel au règlement. Face à des personnels qui n’en peuvent plus, vous faites le choix de la précarisation à outrance : ils jugeront !
Vous proposez également de réorganiser les hôpitaux en trois niveaux, pour éviter soi-disant que les patientes et les patients restent plusieurs heures sur un brancard. Vous vous vantez de labelliser deux fois plus d’hôpitaux de proximité, mais cela signifie en réalité deux fois plus d’hôpitaux qui ne réaliseront plus d’activités de chirurgie ou d’obstétrique, pour ne citer que ces deux exemples. Sous prétexte que les hôpitaux de proximité manquent de praticiens, vous préférez acter la carence et les amputer de leurs principales missions.
Ce faisant, d’une part, vous accélérez le phénomène de concentration de l’expertise et des moyens financiers dans les grandes structures hospitalières des métropoles au détriment des zones rurales et périurbaines ; d’autre part, vous éloignez les services de soins des habitants.
À l’inverse de ce que vous prévoyez de faire avec votre loi, il est indispensable de maintenir, sur notre territoire, un maillage d’hôpitaux de proximité disposant chacun d’un service des urgences, d’un service de médecine, de chirurgie, d’une unité obstétrique, de soins de suite et de structures pour les personnes âgées, le tout en liaison avec la médecine de ville et le réseau de centres de santé, ainsi qu’avec la psychiatrie de secteur. Pour y parvenir, il faut notamment embaucher, donc rendre plus attractive la fonction publique hospitalière.
La gradation des soins n’a de sens selon nous que si le premier niveau est le plus complet possible et accessible au plus grand nombre.
L’accord trouvé entre le Gouvernement, l’Assemblée nationale et la majorité du Sénat sur la désertification médicale illustre l’importance de ne pas transformer les hôpitaux de proximité en coquilles vides.
En obligeant les étudiantes et les étudiants à effectuer six mois de stage pour leur troisième et dernière année d’internat dans un territoire sous-doté, vous faites un premier pas dans la bonne direction. Mais ces 3 500 étudiants devront trouver des médecins maîtres de stages pour exercer dans les déserts médicaux. Or les maîtres de stages vont préférer choisir les hôpitaux spécialisés où se situent les services d’urgences, de maternité et de gériatrie plutôt que les hôpitaux de proximité tels que vous les concevez. En outre, nous savons toutes et tous que les étudiants souhaitent majoritairement exercer la médecine dans des structures collectives, de type centre de santé, pour avoir une activité salariée.
Nous déplorons que la commission mixte paritaire ait supprimé notre amendement qui visait à mettre fin à l’exercice non salarié dans les centres de santé. Votre avis de sagesse aurait mérité plus d’engagement de votre part, madame la ministre, afin que, peut-être, les députés de votre majorité nous suivent.
Par ailleurs, comment ne pas évoquer le scénario antidémocratique et contraire aux droits des femmes qui s’est joué pour faire retoquer l’amendement qui avait été adopté pour allonger le délai légal de l’IVG ?
Enfin, notre déception est profonde concernant les praticiens à diplôme hors Union européenne, notamment pour celles et ceux qui disposent de la nationalité française. Le Sénat avait adopté l’élargissement de l’exercice des Padhue dans le secteur médico-social, sur lequel est revenue la commission mixte paritaire, abandonnant les Padhue du médico-social à la précarité du travail illégal et à la non-reconnaissance de leurs qualifications.
Ce sont autant d’arguments qui nous conduisent à ne pas voter cette loi, d’autant qu’elle ne tire aucun enseignement de la mise en œuvre, à marche forcée, des groupements hospitaliers de territoire et qu’elle continue d’ignorer la démocratie sanitaire.
Dans son Discours de la méthode, Descartes nous invitait à douter de tout. Le moins que l’on puisse dire est que ce n’est pas la marque de fabrique de ce gouvernement. C’est fort regrettable, madame la ministre, car cela vous conduirait enfin à écouter et à entendre les professionnels de santé qui, tout comme notre groupe, ici, dans l’hémicycle, vous enjoignent à changer de politique dans l’intérêt commun. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Maryvonne Blondin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons les conclusions de la commission mixte paritaire qui, le 20 juin dernier, est parvenue à un accord sur le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé. Deux voix s’exprimeront pour le groupe socialiste et républicain et, avant Nadine Grelet-Certenais, j’aborderai deux sujets.
Conjuguée aux inégalités de santé – espérance de vie, prévalence de certaines pathologies dépendantes des conditions sociales ou environnementales –, la faible accessibilité aux soins d’environ 5 millions de Français, en territoires ruraux ou urbains, est l’un des facteurs les plus destructeurs de notre pacte républicain.
Trois amendements initiaux portés par Corinne Imbert, Daniel Chasseing et moi-même, un travail commun où l’intérêt général et la volonté d’agir ont écrasé les rivalités partisanes, une majorité forte de 311 voix, une difficile négociation entre les deux rapporteurs – je salue l’engagement d’Alain Milon sur ce dossier – ont abouti à un vote unanime de la commission mixte paritaire sur un amendement de compromis porteur de l’essentiel, à savoir la réalisation par les étudiants de médecine générale en dernière année de troisième cycle d’un stage d’un semestre au minimum en régime d’autonomie supervisée, en priorité dans les zones sous-denses, avec une extension possible à certaines autres spécialités.
Ainsi, chaque année, les étudiants en fin d’études, dans un cadre de formation réaffirmée – je pense aux remarques formulées par ces derniers – découvriront l’exercice ambulatoire dans tous les territoires, y compris dans les territoires en difficultés. Le gain en temps médical disponible pour les habitants sera immédiat. Qui soutiendra que des vocations ne naîtront pas au contact d’une réalité inégale selon les bassins d’emploi, difficile parfois sans doute, mais aussi une réalité d’abord humaine et attachante ?
Bien sûr, personne ne pense que tout est réglé, mais un sillon supplémentaire a été creusé dans la lutte contre les déserts médicaux. Il témoigne de la valeur du travail parlementaire, de l’intérêt du bicamérisme, de la capacité d’initiatives du Sénat. Parce qu’il s’est fondé sur le seul intérêt général, il honore notre Haute Assemblée.
Madame la ministre, mes chers collègues, le second point de mon propos sera d’une autre nature. Lors de la discussion, nous avions exprimé de fortes oppositions sur les articles 8, 9 et 10. Le renvoi massif à des ordonnances utilisé dans la plupart des textes examinés depuis deux ans contourne le débat démocratique et réduit à l’extrême l’apport possible des parlementaires.
La notion de proximité inséparable de celle de qualité est fondamentale pour les services publics. La notion de gradation des soins est partagée. Cependant, malgré les précisions apportées à l’article 8 sur la nature des missions socles, trop d’incertitudes génératrices de craintes pour les acteurs locaux demeurent sur ce que pourrait être la future carte des hôpitaux de proximité.
L’article 9 avait été voté conforme au Sénat. Le régime d’autorisations des activités de soins et des équipements lourds sera donc modifié par ordonnances. Les autorisations sont des actes essentiels dans le dessin de la carte sanitaire, « le trésor des hôpitaux » me disait un directeur d’établissement.
La commission mixte paritaire a rétabli la presque totalité de l’article 10 dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, réactivant ainsi les craintes déjà formulées sur l’avenir des commissions médicales d’établissement, sur leur lien avec les commissions de groupement, sur la future gestion des ressources humaines médicales, odontologiques, pharmaceutiques et maïeutiques.
Ainsi, le Gouvernement se donne les moyens de dessiner à sa seule main une nouvelle carte sanitaire de notre pays, sans possibilité pour le Parlement d’en approfondir les orientations et les conséquences pour les territoires, les citoyens et les professionnels.
J’évoquerai rapidement la problématique financière. Si elle n’est pas prise en compte, la réforme ne pourra porter ses fruits. Vous devez garder, madame la ministre, une extrême vigilance sur la situation des hôpitaux, dont le mouvement des services d’urgences exprime, encore aujourd’hui, la grave instabilité. Ce n’est pas sans danger pour les patients et pour les professionnels.
Pour conclure, les points d’opposition que j’ai soulignés, un certain nombre de regrets – je pense au texte sur les Padhue, certainement incomplet –, mais aussi des éléments de convergence et un total engagement du groupe socialiste et républicain sur l’article 2 de compromis ouvrant une nouvelle piste de lutte contre les déserts médicaux nous amèneront à nous abstenir sur l’ensemble du texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est avec plaisir que je m’exprime au nom du groupe du RDSE pour la dernière étape du processus législatif de ce texte, dont nous saluons l’esprit et l’équilibre.
Nous en saluons l’esprit d’abord, car il propose des outils aux mains des professionnels. Cette souplesse attendue est de bon augure pour répondre aux enjeux de la santé du XXIe siècle et à la nécessaire transformation de notre système de santé.
Nous en saluons également l’équilibre grâce à un compromis entre sénateurs et députés, mais aussi grâce à un débat, parfois animé, mais toujours constructif, entre des courants différents qui, d’ailleurs, s’affranchissent des lignes partisanes.
Je parle, bien sûr, des désaccords qui persistent entre les tenants et les opposants de la coercition. Au sein même de notre groupe, des divergences se sont exprimées. À titre personnel, je me réjouis de l’absence de mesures coercitives dans ce texte final, grâce à l’engagement continu de la ministre et de notre rapporteur.
Cette prise de position ne nous fait toutefois pas oublier l’urgence qui existe sur nos territoires et dont le Sénat s’est légitimement fait l’écho. Si les débats ont été vifs, c’est que l’inquiétude est grandissante sur cette question si centrale de l’accès aux soins.
L’avenir de notre système de santé passera par des mesures fortes, qui inscrivent dans le marbre l’attachement de la France à une médecine de qualité partout et pour tous.
Je crois en cette loi, car elle redit la confiance de l’État envers les professionnels de santé, dont les nouvelles aspirations sont enfin prises en compte.
La coopération, d’abord, prend toute sa place dans la nouvelle organisation de notre système de santé. Nous le voyons dans nos départements, les territoires qui se portent le mieux sont ceux dont les professionnels et les élus se saisissent des outils de coordination, créant ainsi une dynamique attractive pour les jeunes qui aspirent à exercer en équipe. À cet effet, la signature récente d’un accord entre la Caisse nationale de l’assurance maladie, la CNAM, et les syndicats sur le déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé, les CPTS, est à saluer.
Les études médicales telles qu’elles sont réformées semblent, par ailleurs, mieux correspondre aux aspirations de nos jeunes. Il s’agit d’un véritable changement de philosophie, qui donne plus de place aux valeurs humanistes et s’ouvre davantage sur les territoires.
J’en viens à l’article 2, qui a concentré l’essentiel des débats de la commission mixte paritaire.
J’ai déjà exprimé mon désaccord sur l’introduction d’une année de professionnalisation en internat de médecine, considérant qu’elle porterait atteinte à la formation. Un accord satisfaisant a été trouvé en CMP. Sans révolutionner ni mettre en péril les exigences de l’enseignement universitaire, il inscrit dans la loi un stage de six mois, en autonomie supervisée et en médecine ambulatoire, pour les étudiants de fin de troisième cycle, ce qui les incite à se tourner davantage vers les zones en tension. Il s’agit d’un signal fort envoyé aux élus et à nos concitoyens. À charge, maintenant, pour le pouvoir réglementaire de définir l’« autonomie supervisée ».
J’aimerais toutefois insister sur le fait que la question posée ici est non pas tant celle de la durée du stage ou du degré d’autonomie du stagiaire que celle de l’existence même de stages variés et formateurs en nombre suffisant.
D’une part, les conditions requises pour l’obtention du statut de maître de stage sont si contraignantes qu’elles découragent bon nombre de médecins. Sur ce point, l’article 2 ter offre une première réponse, grâce à l’engagement de notre collègue Élisabeth Doineau, en assouplissant les conditions de délivrance des agréments.
D’autre part, l’environnement des stages en zones sous-dotées doit également être interrogé, notamment en termes de logement et de mobilité, sans quoi ils restent inaccessibles aux étudiants.
En outre, il n’est pas inutile de rappeler que les hôpitaux sont fortement dépendants des internes dans leur fonctionnement. Même si l’on considère que les formations sont encore trop « CHU-centrées », ces stages demeurent indispensables. Les études ne peuvent à elles seules être une variable d’ajustement pour compenser la carence des médecins sur les territoires.
S’agissant du numérique, nous ne pouvons que saluer les avancées de cette loi, notamment les apports du Sénat conservés dans le texte final. Je citerais ainsi la généralisation de l’espace numérique de santé et du dossier médical partagé, qui permettront de centraliser les informations et les données, tout en garantissant un haut niveau de confidentialité et de sécurité. S’ils doivent bien sûr être accompagnés de garde-fous compte tenu de la sensibilité des données concernées, les apports du numérique en santé sont un enjeu majeur de notre siècle, et nous nous réjouissons qu’ils soient envisagés ainsi par le Gouvernement.
Sur le même sujet, nous notons le maintien dans le texte final de notre proposition visant à adosser un plateau de télésanté à chaque hôpital de proximité. Je remercie ainsi la ministre, que nous avons réussi à convaincre du bien-fondé de cette mesure, notamment pour les patients à qui nous offrons un cadre professionnel et sécurisé pour la pratique de la télémédecine.
Puisqu’il est question des hôpitaux de proximité, j’en profite pour revenir à un sujet qui a fait débat : la composition des commissions médicales d’établissement des GHT. L’Assemblée nationale a préféré renforcer la gouvernance des GHT via la création de commissions médicales de groupement et la mutualisation de la gestion des ressources humaines médicales. Sur ce point, il convient d’être pragmatique : les GHT ont vocation à assurer une continuité et une cohérence des soins hospitaliers à l’échelle d’un bassin de vie.
Toutefois, l’existence d’une stratégie de groupe et d’une mutualisation plus aboutie des ressources humaines doit se faire au profit des plus petites structures, qui peinent, seules, à recruter et à fidéliser les praticiens. Il faudra veiller à ce que cette nouvelle organisation améliore la présence médicale sur tout le périmètre des GHT.
Un bémol tout de même, je tiens à évoquer le cas des praticiens à diplôme hors Union européenne. Le Gouvernement ne souhaitant pas évoluer sur ce point, nous avons dû revenir en commission mixte paritaire sur les ouvertures accordées par le Sénat. Compte tenu des pénuries de médecins que connaissent certains territoires, des situations difficiles que vivent certains Padhue, mais surtout des nombreux garde-fous qui existent pour le contrôle de leurs compétences, cette loi aurait pu prévoir de plus grandes avancées, tout en conciliant qualité et sécurité des soins.
Cela étant, satisfait par le maintien de ses cinq amendements et par la philosophie générale du texte, le groupe du RDSE dans son immense majorité votera ce projet de loi. À charge maintenant pour le Gouvernement d’offrir des conditions d’application suffisantes à cette loi puisque la question du financement demeure en suspens. Nous serons ainsi attentifs et nous ferons des propositions à l’occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.
Au-delà des moyens financiers, j’y tiens particulièrement, il faudra renforcer l’accompagnement de nombreux territoires que je qualifierais d’atones et pour qui la prise en main des outils législatifs est loin d’être une évidence. Pour ne pas creuser l’écart entre ces territoires et les métropoles, plus dynamiques, élus et professionnels comptent sur le soutien d’agences régionales de santé souples, aidantes et à l’écoute, afin que cette loi irrigue l’ensemble du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (M. Jean-François Longeot applaudit.)
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 20 juin dernier, j’ai eu l’honneur de présider, pour la première fois, une commission mixte paritaire, celle qui s’est tenue sur ce projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé. C’est une première expérience que je qualifierai d’heureuse puisqu’elle s’est soldée par un accord. J’en ai été ravie !
Cette issue n’était pas nécessairement la plus évidente quelques jours plus tôt. L’un des principaux points de blocage portait sur l’article 2, plus précisément sur l’obligation, introduite par le Sénat, pour les futurs médecins généralistes de faire leur dernière année de troisième cycle « en autonomie » dans une zone sous-dotée. La commission mixte paritaire a convenu de ramener la durée à un semestre en « autonomie supervisée ».
Les députés et les sénateurs ont, sur ce point, fait preuve d’un sens des responsabilités qui honore le Parlement. Alors oui, certains regretteront que leurs amendements n’intègrent pas le texte final. J’en connais quelques-uns parmi vous. Mais des compromis ont dû être concédés. J’ai moi-même renoncé à certains de mes amendements pour que, en définitive, le texte soit soutenu par le plus grand nombre, ce qui facilitera son appropriation sur les territoires.
Notre responsabilité pour demain est la suivante : que les professionnels s’emparent de l’ensemble des outils mis à disposition par ce projet de loi et de ceux qui existent déjà pour apporter des réponses concrètes à nos concitoyens. Il est question non pas de reproduire la même organisation des soins de la Bretagne à la région Occitanie, mais de donner à l’ensemble des acteurs des territoires les moyens organisationnels et techniques appropriés.
Les Français nous attendent sur le terrain pour construire avec les usagers, les professionnels de santé et les élus locaux un projet structuré et adapté. Nous voulons faire du sur-mesure en somme, pour gommer progressivement les inégalités territoriales dans l’accès aux soins.
C’est pourquoi je me félicite de ce que perdure dans le texte final l’instauration d’une concertation au moins une fois par an entre le directeur général de l’ARS et les élus locaux sur l’organisation territoriale des soins. Dans le même esprit, les élus pourront demander à inscrire toute question à l’ordre du jour. Ils pourront, enfin, solliciter l’organisation d’une réunion spécifique lorsque les circonstances le justifieront.
Que retenir, in fine, du texte issu de la commission mixte paritaire ?
Concernant les études en santé, nous avons entériné la suppression du numerus clausus, péage injustement trop sélectif. Désormais, le nombre d’étudiants autorisés à passer en deuxième année sera décidé au niveau de chaque université, en liaison avec les agences régionales de santé suivant les besoins des territoires.
Ensuite, nous avons convenu que la diversification et la multiplication des lieux de stage sont une priorité, si ce n’est « la » priorité. Les stages sont un levier majeur pour faire découvrir aux futurs professionnels les réalités des territoires fragiles ainsi que la richesse des modes d’exercice, et mieux orienter ainsi les vocations. Mais il n’est pas possible de développer les stages sans, dans le même temps, développer l’émergence des maîtres de stage. L’année dernière, leur nombre a augmenté de 14 %, soit 10 736 praticiens référencés. C’est important, mais il nous faut aller plus loin.
En termes d’organisation, l’accent est mis sur le développement des projets territoriaux de santé et des communautés professionnelles territoriales de santé. Je souscris à ces orientations, qui doivent prendre désormais leur pleine mesure. Mises à la disposition des professionnels de santé et constituées à leur initiative, ces organisations ont tous les atouts pour s’adapter au contexte local, pour structurer les liens ville-hôpital et pour fédérer les coopérations.
En contrepartie d’un financement maximal de 380 000 euros, l’objectif est de faciliter l’accès à un médecin traitant et d’améliorer la prise en charge des soins non programmés en ville.
Rappelons que 8,6 % des Français n’ont pas de médecins traitants, ce qui les exclut du parcours de soins prévu par la loi et les prive d’un suivi régulier et adapté, ainsi que d’un meilleur remboursement des frais engagés.
En complément du projet territorial, j’avais proposé que les médecins puissent être désignés conjointement médecins traitants dès lors qu’ils participent à une même communauté professionnelle territoriale de santé. La commission mixte paritaire a jugé cette mesure prématurée. J’entends l’argument. Cette proposition devra néanmoins être réévaluée lorsque les CPTS seront plus matures et auront maillé l’ensemble du territoire. Ces dernières décennies, nos dirigeants ont fortement manqué d’anticipation sur les besoins en santé des Français. Il n’est pas juste que nos concitoyens en payent les conséquences. Des points d’ajustements sont à mon sens nécessaires.
J’ajouterai un point de vigilance sur les CPTS : là où les professionnels sont si peu nombreux qu’ils sont trop accaparés par la patientèle, dégager un temps suffisant à consacrer à la réflexion d’une nécessaire organisation territoriale relève de l’exploit.
Il faut en tenir compte et répondre à cette réalité.
Si les assistants médicaux doivent d’abord permettre de libérer du temps médical, il est probable que ce temps disponible soit en définitive utilisé uniquement pour participer au travail de coordination.
Dans cet esprit de réorganisation territoriale de l’offre de soins, le projet de loi crée les hôpitaux de proximité. Ils assureront le premier niveau de la gradation des soins hospitaliers : médecine, gériatrie, réadaptation, entre autres. Ils n’auront cependant pas d’activité d’obstétrique ou de chirurgie, sauf dérogation.
Mais la presse se fait régulièrement l’écho d’accouchements inopinés hors établissement à la suite de la fermeture d’une maternité. Madame la ministre, vous devez apporter une réponse forte à cette angoisse des jeunes et futurs parents avec le « pack maternité », qui devrait être intégré au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Pourriez-vous envisager d’y travailler en amont avec quelques parlementaires et, éventuellement, avec le groupe-contact national que vous avez mis en place ? Les élus ont en effet de fortes attentes à cet égard.
Enfin, je tiens à attirer votre attention sur deux points qui ont été rappelés par mes collègues.
D’une part, malgré votre volonté d’apurer la situation des praticiens à diplôme hors Union européenne, celle-ci ne sera pas réglée pour un certain nombre d’entre eux, ce qui créera de facto une injustice ou du moins un sentiment d’injustice qui ne peut être oublié.
D’autre part, je note la désaffection significative des étudiants pour les métiers d’aide-soignant, d’infirmier, et d’autres professions du soin et de l’accompagnement des personnes âgées et handicapées. Est-ce une question de représentation ou de rémunération ? Les écoles ont actuellement beaucoup de mal à atteindre leurs objectifs, comme j’ai pu le constater en Côte-d’Or la semaine dernière. Quelques ajustements du dispositif Parcoursup seraient sans doute nécessaires.
Pour conclure, je suis convaincue de la nécessité du dialogue et de l’accompagnement. Il convient de communiquer au plus près du terrain pour fédérer tous les acteurs et favoriser le partage des responsabilités afin d’imprimer une véritable dynamique.
Le chantier de la réorganisation de notre système de santé passera davantage par le terrain que par la loi. Votons donc définitivement ce projet de loi et mobilisons-nous sur le terrain ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Michel Amiel applaudit également.)