COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de Mme Valérie Létard
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Catherine Deroche,
M. Daniel Dubois.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication d’avis sur des projets de nomination
Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire a émis, lors de sa réunion du 9 juillet 2019, un avis favorable – 14 voix pour, 1 voix contre – à la nomination de M. Laurent Hénart aux fonctions de président du conseil d’administration de Voies navigables de France.
Par ailleurs, conformément aux mêmes dispositions, elle a émis un avis favorable – 18 voix pour – à la reconduction de Mme Catherine Guillouard aux fonctions de président-directeur général de la Régie autonome des transports parisiens.
3
Conservation et restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris
Adoption en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris et instituant une souscription nationale à cet effet (projet n° 627, texte de la commission n° 641, rapport n° 640).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. Franck Riester, ministre de la culture. Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, chère Catherine Morin-Desailly, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, cher Jean-Pierre Leleux, monsieur le rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, cher Alain Schmitz, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis notre première lecture du projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, voilà bientôt deux mois, notre objectif n’a pas changé.
Il s’agit d’offrir à Notre-Dame une restauration à sa hauteur, à la hauteur de ce qu’elle représente et de ce qu’elle symbolise, que ce soit pour notre pays et son patrimoine ou, plus largement, pour le monde entier.
Dès le soir du 15 avril, une mobilisation sans précédent s’est enclenchée. Une fois encore, je veux remercier toutes celles et tous ceux qui y ont participé : les sapeurs-pompiers de Paris, aidés et renforcés par leurs collègues des autres départements d’Île-de-France ; les policiers ; les gendarmes ; les agents du ministère de la culture ; ceux de la Ville de Paris et du diocèse ; mais aussi les experts, les institutions et entreprises qui ont donné ou promis de donner et proposé d’aider à la restauration.
J’y ajoute, évidemment, les centaines de milliers de particuliers qui, en France et de par le monde, ont souhaité donner dès le soir de l’incendie.
Ainsi les dons ont-ils afflué, rapidement et en nombre. Il nous a alors semblé nécessaire de créer un cadre pour les accueillir, pour accompagner, encourager, encadrer cet élan de générosité. C’est tout le sens du projet de loi qui vous est présenté.
Ce texte nous permet d’encadrer la souscription nationale annoncée par le Président de la République : tant le mécanisme de collecte que le dispositif fiscal afférent, ainsi que leurs modalités de suivi et de contrôle.
Depuis votre première lecture de ce texte, il me semblait important de revenir à son esprit initial. L’objet de la loi, en effet, n’est pas de préempter un débat patrimonial.
Je trouve sain que ce débat ait lieu. Je trouve sain qu’on parle avec ferveur de patrimoine et de culture. Je trouve sain que les Français se sentent si concernés par les monuments que l’histoire leur a légués. Mais ce n’est pas par la loi que cette discussion doit être tranchée, et ce n’est pas maintenant qu’il faut le faire, alors que la cathédrale n’est même pas encore totalement sauvée !
Aujourd’hui, la phase de diagnostic n’est pas encore amorcée ; nous sommes toujours dans la phase de consolidation et de conservation. La semaine dernière, des cintres ont été installés – peut-être avez-vous assisté à cette scène assez spectaculaire – pour soutenir les arcs-boutants de la cathédrale, car il existe toujours un risque, non négligeable, que Notre-Dame s’effondre, compte tenu des perturbations créées par l’incendie sur la structure.
Non, l’objet du projet de loi, c’est d’abord et avant tout la souscription nationale. Le texte qui vous est présenté aujourd’hui le réaffirme clairement.
Je vous le disais en première lecture : nous voulons aller vite, mais sans, pour autant, nous précipiter. L’objectif fixé par le Président de la République de restaurer Notre-Dame de Paris en cinq ans est ambitieux et volontariste. Il permet de motiver les équipes et mobiliser l’ensemble des acteurs concernés. Mais je le réaffirme ici : jamais, dans cette restauration, nous ne confondrons vitesse et précipitation.
Néanmoins, la situation de Notre-Dame nous imposait deux temporalités. D’une part, il y avait urgence – il y a toujours urgence – à organiser le dispositif de la souscription nationale et ses modalités ; d’autre part, s’agissant de l’organisation du chantier de restauration, il fallait prendre le temps de la réflexion : pour travailler avec l’ensemble des ministères concernés, pour identifier, ensemble, les assouplissements et adaptations à prévoir et pour définir l’organisation optimale permettant de mener à bien ce chantier au regard des objectifs fixés.
Lors de la première lecture, je vous avais indiqué que le Gouvernement s’attelait à définir au plus vite cette organisation. Je m’y étais engagé, et je suis heureux de me présenter de nouveau devant vous, car, depuis lors, nous avons énormément progressé.
Suffisamment, en tout cas, pour remplacer l’habilitation à légiférer par ordonnance initialement prévue à l’article 8 par une inscription dans la loi elle-même du statut de l’établissement public, ce qui permet de soumettre ce texte à votre examen.
Suffisamment, aussi, pour inscrire dans la loi une partie importante des adaptations du droit rendues nécessaires par le chantier exceptionnel, adaptations prévues à l’article 9.
Je reviendrai sur ces deux points. Mais, avant de vous en exposer les grandes lignes, il me semble important de réaffirmer les principes essentiels du projet de loi, qu’il importe de préserver.
Ce texte nous permet, à la fois, d’encadrer la souscription nationale dédiée, en fixant par la loi les règles qui lui sont applicables, et d’apporter des garanties de sécurité et de transparence aux centaines de milliers de donateurs, Français ou étrangers.
Cette transparence, nous la leur devons. Les donateurs ne seront pas trahis : leurs dons iront bien à Notre-Dame de Paris. Nous y veillerons ; soyez-en assurés !
Certains avancent l’idée que le volume de fonds collectés serait déjà trop important, que l’on n’en aurait plus qu’il n’en faut pour restaurer la cathédrale.
C’est faux ! Pour le moment, un peu plus de 10 % des promesses de dons ont été versées. Cela signifie, non pas que les mécènes ayant fait part de leur volonté de donner ne le feront pas – au contraire –, mais que les 800 millions d’euros, ou un peu plus, de dons ne se sont pas encore tous concrétisés. Nous y travaillons, mais il est dès lors tout à fait prématuré, pour ne pas dire exagéré, de parler de « sur-collecte » dans le cadre de la souscription.
En outre, le coût total des travaux n’a pas encore été chiffré. Pour l’instant, les travaux portent seulement, comme je l’ai indiqué au début de mon propos, sur la mise en sécurité de l’édifice. Nous ne passerons à la phase de diagnostic qu’ultérieurement, afin de disposer d’un état des lieux sanitaires précis, puis à la restauration elle-même.
Pour opérer cette souscription nationale, outre les versements directs à l’État, nous avons pu compter depuis le 16 avril sur la mobilisation de trois fondations reconnues d’utilité publique – la Fondation de France, la Fondation du patrimoine et la Fondation Notre-Dame –, ainsi que sur celle du Centre des monuments nationaux, opérateur bien connu du ministère de la culture. Je veux sincèrement les en remercier.
Des conventions pourront être passées entre l’État et chacune des trois fondations qui sont reconnues d’utilité publique, ainsi que, en direct, avec certains donateurs, afin, notamment, d’organiser les modalités de reversement des sommes issues de la collecte. Leur rédaction est en cours, et ce dossier progresse à bon rythme.
Dans un même souci de transparence quant à l’emploi des fonds collectés, un comité de contrôle sera mis en place, réunissant le Premier président de la Cour des comptes et les présidents des commissions chargées des finances et de la culture du Sénat et de l’Assemblée nationale, ou leurs représentants.
Ce contrôle devra se faire en articulation et sans préjudice de ceux de la Cour des comptes et du Parlement, sujet dont nous avons déjà eu l’occasion de débattre.
Par ailleurs, l’examen en première lecture nous a permis de renforcer la transparence quant au suivi de la souscription et de l’application du dispositif fiscal afférent.
C’est une transparence à l’égard du Parlement, tout d’abord. L’article 5 bis dispose ainsi que le Gouvernement lui rendra compte, dans un rapport, de la part et du montant des dons effectués au titre de la souscription nationale ayant donné lieu à une réduction d’impôt, et de la participation des collectivités territoriales.
C’est une transparence à l’égard du public, aussi. L’article 7 impose désormais la publication d’un rapport sur la collecte des fonds, leur provenance et leur affectation.
Concernant l’affectation des fonds, justement, je tiens à rappeler que le projet de loi dont nous allons débattre ne portera évidemment pas atteinte aux principes des lois de 1905 et de 1907 : ni au principe de laïcité ni aux droits du culte affectataire, c’est-à-dire à la répartition des prérogatives et responsabilités entre l’État et le diocèse de Paris.
L’intégralité des dons en faveur de la restauration de Notre-Dame de Paris passera ainsi par la souscription nationale, à l’exception de ceux qui ont spécifiquement pour objet de financer la restauration des biens appartenant au diocèse ou, plus généralement, les besoins relevant de l’exercice du culte.
Ce projet de loi, je le disais, doit garantir la transparence de la souscription nationale. Mais il doit aussi en fixer les règles.
S’agissant des particuliers, il vise à introduire un dispositif fiscal spécifique pour accompagner la souscription auprès du grand public.
Dans la limite de 1 000 euros, le taux de réduction d’impôt sur le revenu au titre des dons et versements effectués par les particuliers en faveur du trésor public, du Centre des monuments nationaux et des trois fondations reconnues d’utilité publique est porté de 66 % à 75 %.
Ce dispositif, je le rappelle, ne concerne que les particuliers. Il a été conçu de manière à couvrir les dons du plus large nombre de Français. Il est précisément limité : dans le temps, l’avantage fiscal se bornant aux dons effectués entre le 16 avril et le 31 décembre 2019 – avec la possibilité d’élargissement aux dons datant du 15 avril au soir, après le début de l’incendie –, et en montant, puisque, je le rappelle, le plafond de dons éligibles est fixé à 1 000 euros.
Évidemment, ces limites n’empêchent pas de donner au-delà de cette date, ou au-dessus de ce plafond. Mais, dans ce cas, l’avantage fiscal associé au don sera celui de droit commun.
Les collectivités territoriales et leurs groupements pourront aussi participer au financement des travaux, au-delà de leur périmètre de compétence territoriale. L’article 4 lève toute incertitude éventuelle tenant aux règles habituelles de compétence ou à la condition d’intérêt local.
Les dépenses des collectivités en faveur de Notre-Dame seront considérées comme des dépenses d’équipement. Elles ne seront donc pas prises en compte pour appréhender le plafond annuel d’évolution des dépenses de fonctionnement de 1,2 %.
Voilà pour ce qui concerne la souscription nationale, dont les grandes lignes n’ont pas changé depuis l’examen en première lecture du texte.
Pour autant, depuis lors, comme je m’y étais engagé, le Gouvernement a poursuivi ses travaux pour préciser le projet de loi. Il a défini l’organisation pour mener à bien les opérations de restauration et de conservation.
En vertu de l’article 8, un établissement public de l’État à caractère administratif sera créé. Sa mission première sera d’assurer la maîtrise d’ouvrage. Les fonds issus de la souscription nationale serviront aussi à financer son fonctionnement. Il sera placé sous la tutelle du ministère de la culture – c’est vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui avez apporté cette précision au texte et je tiens à le saluer.
Comme l’a annoncé le Président de la République, voilà quelques semaines, à l’occasion de la remise du prix Pritzker, l’établissement public sera également en charge de réaliser les travaux d’aménagement de l’environnement immédiat de la cathédrale, à savoir, principalement, le parvis, le square Jean-XXIII, la promenade du flanc sud de l’île de la Cité.
Toutefois, nous ne trahirons pas les donateurs : si la compétence de l’établissement public est étendue à l’environnement immédiat de Notre-Dame, la souscription nationale, elle, ne concerne que la cathédrale, sans inclure l’aménagement de cet environnement.
La Ville de Paris et le culte affectataire seront associés à la gouvernance de l’établissement public, de par la composition de son conseil d’administration.
La situation des riverains et des commerçants sera prise en compte. C’est encore vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui avez apporté cette précision au texte, et je vous en remercie.
L’avis des professionnels du patrimoine sera également pris en compte. C’est tout le sens du conseil scientifique de l’établissement public. Consulté régulièrement, il sera le garant de la qualité scientifique et historique de la restauration.
En parallèle, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, la CNPA, sera évidemment consultée sur l’avancée des travaux et les choix de restauration. Là encore – et de nouveau merci –, c’est à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’on doit cet enrichissement du texte.
Cet ajout est précieux. Nous en avons eu la preuve la semaine dernière, puisque la CNPA s’est réunie le 4 juillet dernier au sujet des opérations liées à Notre-Dame de Paris. Je tiens à remercier ses membres de leurs travaux fructueux, de leur vigilance et de leur attention sans cesse renouvelée à notre patrimoine et, en l’occurrence, à la cathédrale.
Nous avons par ailleurs précisé, à l’article 9, les assouplissements aux législations en vigueur.
Ces assouplissements, je m’y étais engagé, seront strictement proportionnés aux besoins du chantier. Il n’est pas question de se servir de la restauration de Notre-Dame pour piétiner, de quelque manière que ce soit, le droit français et européen du patrimoine, de l’environnement, ou de l’urbanisme. Cela n’a jamais été l’intention du Gouvernement.
En tant que ministre de la culture, je serai le garant inlassable de la protection du patrimoine – j’ai déjà eu l’occasion de le dire en première lecture.
Nous avons de ce fait inscrit dans la loi les dérogations en matière de patrimoine. Elles permettront de confier à l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’Inrap, la réalisation des fouilles archéologiques rendues nécessaires dans le cadre des travaux.
Elles permettront de réduire la durée d’instruction des autorisations d’installation temporaire, en supprimant la consultation de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture, la CRPA, en cas de recours contre la position de l’architecte des bâtiments de France. Il s’agit bien, ici, des autorisations d’installation temporaire, et non pérenne, comme, par exemple, les installations de chantier.
Elles permettront enfin d’interdire toute publicité à caractère commercial. Seuls les dispositifs visant exclusivement à informer le public sur les travaux seront autorisés. Vous aviez exprimé vos craintes sur ce sujet en commission ; nous les avons entendues.
Nous avons également veillé à circonscrire le champ des dérogations nécessaires par ordonnance, concernant les questions de voirie, d’urbanisme et d’environnement. Sur ces sujets, établir les dérogations demande effectivement une connaissance précise du projet de restauration, un projet qui, cela ne vous aura pas échappé, reste encore à définir.
S’agissant du reste des partis pris, nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de notre discussion à venir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, Notre-Dame de Paris mérite toute notre ambition, toute notre détermination, mais aussi un travail de grande précision. Or, en moins de deux mois, nous sommes parvenus à préciser largement ce projet de loi.
Je suis heureux de pouvoir le soumettre à votre lecture sous cette nouvelle forme. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mme Dominique Vérien applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Schmitz, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, en première lecture, le Sénat avait déploré la précipitation avec laquelle le projet de loi avait été élaboré et regretté qu’il s’apparente, à plusieurs égards, à une loi d’exception.
Le travail minutieux que nous avions alors réalisé avait permis de modifier le texte, afin de garantir l’exemplarité du chantier de Notre-Dame, compte tenu de son caractère emblématique, et de sécuriser le cadre légal offert aux donateurs, de manière à leur apporter des garanties suffisantes pour permettre à l’élan de générosité de se poursuivre.
Malheureusement, l’inflexibilité dont vous avez fait preuve en première lecture, monsieur le ministre, comme l’intransigeance de la majorité présidentielle au moment de la commission mixte paritaire, ne nous a pas permis d’aboutir à l’élaboration d’un texte commun. Notre volonté de supprimer l’article 9, pourtant justifiée par les risques que ce dernier faisait courir sur la crédibilité de notre législation et le précédent qu’il risquait de constituer à l’avenir, n’a pas fait l’objet d’un consensus parmi les députés.
Que penser du texte résultant des travaux de l’Assemblée nationale ? La réponse n’est pas évidente, car les discussions en nouvelle lecture ont connu un véritable tournant en séance publique.
Sans surprise, la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale a, dans un premier temps, rétabli l’essentiel du texte qu’elle avait adopté en première lecture, balayant les dispositions introduites par le Sénat tendant à enrichir, à préciser et à sécuriser juridiquement les articles du projet de loi.
Tout au plus a-t-elle adopté sans modification l’article 8 ter, que nous avions introduit en séance publique sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Leleux, pour garantir l’information et la consultation de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture sur l’avancement des études et des travaux du chantier de Notre-Dame. C’est une bonne chose, puisque cet article, qui n’a pas davantage été amendé en séance publique, est désormais conforme et fera partie de la loi promulguée.
En revanche, si je me fie à mes collègues bien plus expérimentés que moi dans l’univers parlementaire, l’inflexion qu’a connue le texte en séance publique est absolument inédite, après le refus de compromis auquel nous nous étions heurtés lors des précédentes phases de la procédure législative. Contre toute attente, en effet, le Gouvernement a effectivement déposé deux amendements visant à complètement remanier la rédaction des articles 8 et 9 du projet de loi.
Quel revirement inattendu sur deux articles qui figuraient parmi les plus sensibles ! Même si nous ne pouvons que regretter l’intervention de ces modifications à un stade aussi avancé de la procédure législative, il nous faut reconnaître qu’elles rejoignent plusieurs des préoccupations exprimées par le Sénat.
La nouvelle rédaction de l’article 8 met fin à l’ambiguïté que nous avions dénoncée en première lecture, puisque celui-ci confie définitivement à un nouvel établissement public, à caractère administratif et placé sous la tutelle du ministère de la culture, comme nous le demandions, le soin d’assurer la maîtrise d’ouvrage des travaux de restauration de Notre-Dame.
Comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, le périmètre d’intervention de l’établissement est étendu à la réalisation des travaux d’aménagement de l’environnement immédiat de la cathédrale, un sujet dont nous avions longuement débattu, ainsi qu’à l’identification des besoins de formation professionnelle pour les travaux de restauration de l’édifice et à la médiation et valorisation du chantier, ce que le Sénat avait soutenu en première lecture.
Il est enfin demandé à l’établissement public de prendre en compte la situation des commerçants et des riverains, comme y avaient appelé les élus parisiens.
La nouvelle rédaction de l’article 9 restreint considérablement le champ de l’habilitation à déroger aux règles de droit commun par ordonnances pour faciliter l’exécution du chantier de Notre-Dame.
Comme nous l’espérions, les dérogations au code du patrimoine, au code général de la propriété des personnes publiques et aux règles de publicité prévues par le code de l’environnement sont désormais listées à l’article 9 et ne font plus l’objet d’une habilitation.
En revanche, une habilitation demeure pour permettre au Gouvernement de déroger par ordonnances aux règles en matière de voirie, d’environnement et d’urbanisme, et d’adapter les règles applicables aux travaux et aux opérations connexes pour faciliter la construction de bâtiments nécessaires au chantier, ainsi que son approvisionnement et l’accueil du public.
Que penser de ces évolutions ? Je crois que nous pouvons légitimement y voir la preuve du bien-fondé des propositions que nous avions formulées en première lecture et peut-être, aussi, un aveu d’une certaine précipitation dans l’élaboration du texte.
Doit-on s’en satisfaire ? Je ne vous surprendrai pas, monsieur le ministre, en vous disant que la réponse à cette question est en demi-teinte. Oui, ces évolutions améliorent le texte par rapport à la version qui nous avait été soumise en première lecture. Mais elles restent, à nos yeux, nettement insuffisantes.
À l’article 8, compte tenu de la mission confiée à l’établissement public, à savoir « assurer la conduite, la coordination et la réalisation des études et des opérations concourant à la conservation et à la restauration de la cathédrale », des doutes importants subsistent sur la répartition des compétences entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. Le texte ne sera pas clair, à nos yeux, tant qu’il ne précisera pas que la maîtrise d’œuvre restera exercée sous l’autorité de l’architecte en chef des monuments historiques.
Il nous paraît également important d’encadrer la durée du fonctionnement de l’établissement public. Rien ne justifie qu’il perdure une fois les travaux liés au sinistre et à l’aménagement des abords immédiats de la cathédrale achevés.
À l’article 9, nous jugeons dangereux de dispenser le préfet de région de consulter la CRPA avant de rendre sa décision concernant un recours formé par l’autorité compétente pour les autorisations de travaux contre l’avis d’un architecte des bâtiments de France.
Outre le signal négatif que cette dérogation constituerait en matière de protection du patrimoine, il y a en l’espèce un vrai risque de faire perdre tout son sens à la procédure de recours, en abandonnant la consultation de la CRPA, puisque la même autorité, à savoir le préfet, est à la fois chargée de délivrer les autorisations de travaux liés à la conservation et à la restauration de la cathédrale et de statuer dans le cadre du recours.
Compte tenu de l’opposition que nous avions manifestée en première lecture à la perspective d’une loi d’exception, le maintien d’une habilitation au Gouvernement à légiférer par ordonnances pour déroger aux règles de droit commun, quand bien même ce serait sur un champ plus réduit qu’en première lecture, nous paraît toujours inacceptable. Nous regrettons que vous n’ayez toujours pas clairement motivé ces dispositions, et j’espère que nos débats de ce jour pourront enfin nous apporter quelques éclairages.
Sur tous les autres articles du projet de loi, l’Assemblée nationale est revenue presque intégralement au texte qu’elle avait adopté en première lecture. C’est ce qui a justifié notre décision de rétablir en commission plusieurs des dispositions adoptées par nos soins en première lecture. Ces dispositions nous paraissent indispensables pour garantir l’équilibre et la sécurité juridique du projet de loi.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de me concentrer sur trois points particuliers.
Le premier sujet, non des moindres, est la date de lancement de la souscription nationale. Pour quelles raisons juridiques vaut-il mieux que Bercy se montre tolérant pour appliquer le taux de réduction d’impôt majoré aux dons reçus dès le 15 avril, plutôt que d’inscrire expressément cette date dans la loi ?
Reconnaissez tout de même que cela simplifierait grandement les choses et permettrait que les pratiques que vous entendez mettre en œuvre soient conformes au droit que nous sommes en train d’élaborer. Nous voulons vraiment que vous vous exprimiez à ce sujet ; la discussion autour de l’article 1er nous en donnera sans doute l’occasion.
Le deuxième sujet est notre incompréhension face à votre refus obstiné de faire figurer dans le texte de loi une référence à la Convention pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, l’Unesco, ratifiée par la France en 1975 et qui, donc, s’impose dans notre ordre juridique interne. Jusqu’à présent, vous nous rétorquez que cette convention s’applique déjà. Mais quel mal à y faire clairement référence ?
Lorsque l’on constate que le bien « Paris, rives de la Seine » n’est toujours pas doté d’un plan de gestion, alors que cette obligation figure dans la loi depuis trois ans déjà et émane des mêmes recommandations de l’Unesco, on est enclin à penser qu’il n’est pas inutile d’insister sur cette question.
La restauration de Notre-Dame n’est pas un chantier anodin. Nous savons tous combien notre pays va être observé à cette occasion, sachant que les donateurs étrangers – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre – se sont fortement mobilisés.
Nous sommes fiers que l’expertise de la France en matière de protection du patrimoine soit ainsi reconnue de par le monde. C’est pourquoi nous sommes convaincus que cette restauration doit être opérée dans le cadre des règles internationales et nationales en vigueur.
Le dernier sujet, qui ne vous surprendra pas et qui illustre, là aussi, notre méfiance à l’égard des propos rassurants que vous nous tenez depuis le début de la discussion législative autour de ce projet de loi, les collectivités territoriales. Vous nous avez dit à plusieurs reprises que leurs versements dans le cadre de la souscription seront considérés comme des subventions d’investissement.
Dès lors, comment interpréter le fait que vous demandiez une nouvelle fois la suppression de cette disposition que nous avons rétablie ? Cette attitude ne nous semble pas de bon aloi, si votre souhait est de sécuriser les dons des collectivités territoriales, qui, pour beaucoup, sont revenues ou reviennent sur leurs promesses.
Monsieur le ministre, j’espère que le présent débat nous permettra de rétablir un dialogue fécond sur ce texte et que la voix du Sénat, qui a enfin commencé à porter la semaine dernière à l’Assemblée nationale, continuera de vous convaincre, afin de conforter l’exemplarité du chantier de Notre-Dame et de notre régime juridique de protection du patrimoine. Ces derniers, me semble-t-il, auraient davantage mérité de faire l’objet d’un consensus depuis le début de nos discussions ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)