Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, trois mois à peine se sont écoulés depuis le sinistre qui a ravagé Notre-Dame, et nous sommes déjà presque arrivés au terme de l’examen de ce projet de loi.
C’est dire combien le travail sur ce texte a été accompli à marche forcée ; et, en prononçant ces mots, je n’ai pas uniquement le Sénat en tête. L’Assemblée nationale et les services de l’État ont été logés à la même enseigne.
Encore aujourd’hui, nous légiférons dans un contexte de grande incertitude, puisque la phase de diagnostic n’a même pas encore commencé.
Or, d’après les alertes que nous avons reçues, cette précipitation contraste avec le manque d’empressement de l’État à régler les factures des entreprises qui interviennent sur Notre-Dame depuis le sinistre. Prenons garde à ne pas mettre en danger les savoir-faire dont nous allons avoir besoin dans les mois et années à venir et que nous voulons voir valorisés à l’occasion du chantier.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Bien sûr !
Mme Catherine Morin-Desailly. En découvrant le présent texte, nous avions tenu à le dire : très peu de ces dispositions justifient le recours à une loi.
Une souscription nationale aurait très bien pu être ouverte par décret. Les services du ministère de la culture ou certains des établissements placés sous sa tutelle auraient pu prendre en charge la maîtrise d’ouvrage des travaux. Quant à notre législation actuelle, elle ne s’est jamais révélée un obstacle pour mener à son terme un chantier de restauration : les collectivités territoriales, que nous représentons, pourraient en témoigner.
Je vous l’avoue franchement : je peine, ces dernières semaines, à trouver une cohérence dans l’action du Gouvernement, qui, au sujet de Notre-Dame, dépose en urgence un projet de loi dont l’utilité n’est pas avérée, et qui, dans le même temps, crée une Agence nationale du sport sans se rendre compte qu’il aurait fallu passer par la loi pour déterminer les modalités de son fonctionnement…
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Catherine Morin-Desailly. De mémoire de sénatrice, je n’avais jamais connu autant de bizarreries et d’incohérences dans la procédure législative.
Monsieur le ministre, depuis le début de l’examen de ce texte, nous nous sommes heurtés à des refus catégoriques de prise en compte de notre travail, pourtant minutieux et équilibré.
Tout d’abord, au Sénat, en première lecture, le Gouvernement a déposé à chaque article un amendement tendant à rétablir le texte de l’Assemblée nationale, même si les modifications proposées ne faisaient que retranscrire dans le texte des engagements que vous aviez pris oralement, monsieur le ministre.
Puis, en commission mixte paritaire, les députés de la majorité ont refusé de prolonger les débats au-delà de la discussion générale, sans guère d’explications quant aux raisons de leur intransigeance. Pourtant, le patrimoine est habituellement un sujet de consensus.
Dans ce contexte, nous n’avons pas été surpris de constater que nos collègues députés avaient décidé, en nouvelle lecture, de rétablir leur texte de première lecture presque à l’identique. Mais, soudain, coup de théâtre : le Gouvernement dépose deux amendements en séance publique ; deux amendements que nous aurions tant aimé voir déposés devant le Sénat, ou même proposés, par l’entremise des députés, comme base de discussion en commission mixte paritaire.
M. Pierre Ouzoulias. Eh oui !
Mme Catherine Morin-Desailly. Le travail parlementaire s’en serait trouvé grandement amélioré.
Dès lors, comment répondre aux critiques récurrentes que subit la qualité de la loi quand on voit combien le Parlement est malmené ? (Marques d’approbation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Monsieur le ministre, vous le savez, je ne vous mets pas en cause dans le déroulement de l’examen de ce projet de loi. Nous avons vu en examinant la proposition de loi relative aux droits voisins ou, pas plus tard qu’hier soir, la proposition de loi relative à la création du Centre national de la musique, combien notre collaboration avec vous pouvait être fructueuse.
Toutefois, vous le savez également : en la matière, le Sénat s’est fixé pour unique but de garantir le respect de nos règles en matière de protection du patrimoine et la place du ministère de la culture.
Mme Françoise Férat. Absolument !
Mme Catherine Morin-Desailly. Évidemment, nous nous réjouissons que vous vous soyez rallié à notre position sur ce dernier point, ainsi que sur le caractère administratif du nouvel établissement public : c’est bien la preuve, comme l’a dit M. le rapporteur, que la position défendue ici en première lecture était de bon sens.
Nous sommes également rassurés en voyant que les dérogations au code du patrimoine se révèlent limitées et qu’elles sont, à présent, clairement spécifiées dans le projet de loi.
Néanmoins, nous jugeons inacceptable la dispense de consultation de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture : il s’agit d’une disposition que nous avons insérée dans la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, ou loi LCAP, il y a tout juste trois ans, et qui porte désormais ses fruits.
Mme Sylvie Robert. Oui !
Mme Catherine Morin-Desailly. Ces inflexions vont dans le sens de la préservation de notre État de droit, sur laquelle nous n’avons cessé d’alerter.
Dès lors, pourquoi ne pas nous suivre davantage, aller au bout de notre logique pour garantir un texte véritablement cohérent, rassurant et protecteur ?
Pourquoi laisser planer de telles ambiguïtés dans le texte ? Pourquoi ne pas y inscrire clairement que l’architecte en chef des monuments historiques sera responsable de la maîtrise d’œuvre ? Compte tenu du rôle dévolu à l’établissement public, également chargé de la maîtrise d’ouvrage, c’est une précision essentielle pour éviter tout mélange des genres.
Pourquoi s’évertuer à considérer la cathédrale comme hors-sol, en refusant d’insérer toute référence à l’Unesco ? Franchement, je peine à comprendre la négligence que subit ce classement, sitôt obtenu. Siégeant au sein du Comité français du patrimoine mondial, je vois avec quelle ardeur notre pays défend les différents dossiers de candidature. Cette référence à l’Unesco est utile, quand on sait que le bien « Paris, rives de la Seine » ne dispose toujours pas d’un plan de gestion, dont une disposition du code du patrimoine impose pourtant l’élaboration depuis maintenant trois ans.
Pourquoi maintenir des habilitations à légiférer par ordonnances qui ne font que trahir l’impréparation du Gouvernement ?
Pourquoi, enfin, préférer maintenir la date du 16 avril dernier et « appliquer une tolérance » envers les premiers donateurs, qui se sont pressés dès le soir du 15 avril, plutôt que d’inscrire simplement cette seconde date dans le texte ?
Les débats autour de ce projet de loi ont mis en lumière un certain nombre d’inquiétudes.
La première inquiétude concerne le dispositif en matière de mécénat, que la commission des finances de l’Assemblée nationale menace de remettre à plat, comme la plupart des crédits d’impôt en matière culturelle.
Notre commission de la culture s’est penchée, l’an passé, sur la question du mécénat dans le domaine culturel – M. Schmitz était d’ailleurs le rapporteur de ce travail. Sans surprise, elle a démontré à quel point le mécénat constituait une ressource importante pour le financement de la culture.
Les acteurs culturels, à qui l’État demande depuis des années d’accroître leurs ressources propres, ne comprendraient pas qu’un dispositif devenu essentiel pour eux et ayant fait ses preuves soit remis en cause, même partiellement. Les conséquences en seraient terribles.
Nous avons aussi constaté que la restauration du patrimoine fait partie des domaines du champ culturel qui attirent le plus de mécènes. Compte tenu de l’état de notre patrimoine, prenons garde à ne pas « couper le robinet » sans évaluation préalable.
Il serait paradoxal, pour le Gouvernement, d’élever via ce projet de loi le taux de la réduction d’impôt au titre du mécénat des particuliers, certes dans des circonstances exceptionnelles, pour l’abaisser brutalement quelques semaines plus tard, en le portant, comme on l’entend ici ou là, de 60 % à 40 %.
La seconde inquiétude concerne l’état de notre patrimoine.
Nous nous sommes tous réjouis de la création du loto du patrimoine, mais nous sommes conscients que le souffle d’air apporté grâce à lui reste insuffisant. Nous le savons également : les crédits de l’État dans ce domaine, même s’ils ont été légèrement redressés, ne retrouveront probablement pas les niveaux passés. Cet investissement est pourtant nécessaire pour assurer correctement la restauration de notre patrimoine et développer la culture de l’entretien, qui nous manque tant.
Monsieur le ministre, j’espère que vous pourrez nous transmettre, avant la période budgétaire, le dernier rapport, qui doit désormais être achevé, sur l’état sanitaire de notre patrimoine.
J’espère surtout que le mérite de ce projet de loi, qui nous laissera sans doute un souvenir amer, sera, au moins, d’avoir permis au ministère de la culture de se pencher sur les deux problèmes que je viens d’évoquer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans surprise, la commission mixte paritaire, réunie le 4 juin dernier pour trouver un compromis sur le projet de loi de restauration de la cathédrale Notre-Dame, ravagée par un incendie le 15 avril précédent, s’est soldée par un échec. Elle a buté sur le régime dérogatoire aux règles d’urbanisme mis en place à l’article 9, dont le Sénat avait acté la suppression.
L’Assemblée nationale a finalement voté, en nouvelle lecture, des modifications significatives aux articles 8 et 9 du projet de loi. Ce faisant, elle a apporté, malheureusement de manière tardive, une réponse partielle aux préoccupations exprimées par le Sénat en première lecture.
On peut regretter que l’Assemblée nationale ne soit pas allée plus loin, en reprenant l’ensemble des dispositions adoptées par le Sénat tendant à enrichir, à préciser et à sécuriser juridiquement les articles du projet de loi. Notre travail semblait pourtant intéressant pour compléter ce texte. D’ailleurs, monsieur le ministre, vos nouvelles propositions, que nous tenons à saluer, en sont la plus belle des illustrations.
Néanmoins, il sera de notre devoir de contrôler, dans les mois à venir, la nature et le périmètre des ordonnances prises par le Gouvernement dans le cadre du chantier de ce monument emblématique de notre patrimoine national.
Ce chantier devra être irréprochable à tout point de vue : dimension exceptionnelle et exemplarité ne devront pas s’exclure. L’établissement public qui mènera les travaux de restauration de la cathédrale devra également être exemplaire dans son travail et associer l’ensemble des parties prenantes, tout au long du chantier.
La restauration de la cathédrale devra être à la hauteur de l’élan de soutien massif et inédit que nous avons connu ; à la hauteur de ce que symbolise ce joyau de notre patrimoine national.
Évidemment, nous devons nous demander quelle restauration nous souhaitons pour Notre-Dame. Je suis certaine que cette question cruciale donnera lieu à de nombreux débats à tout niveau. Même s’il est clair qu’il faut préserver au maximum les traits généraux de l’édifice, il ne faudra pas manquer d’ambition pour ce chantier unique. Il faudra aussi veiller à ce que la restauration de Notre-Dame ne se fasse pas au détriment d’autres chantiers et d’autres monuments dans nos territoires.
Nous le savons tous : les budgets des collectivités locales sont contraints et, bien souvent, ces dernières ne sont pas en mesure de préserver leur patrimoine comme elles le souhaiteraient. Parfois même, elles n’ont pas les moyens d’assurer les travaux d’urgence, pourtant indispensables à la préservation des édifices.
Il ne faut pas négliger ce patrimoine, reflet de l’histoire de nos communes. Veillons à déployer les moyens de soutenir les collectivités territoriales dans leurs projets de préservation du patrimoine français : les grands projets sont tout aussi importants que les plus modestes.
Cela dit, les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoire soutiendront la position de la commission ! (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin. (M. Arnaud de Belenet applaudit.)
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans cet hémicycle comme partout, à Paris, en France et dans le reste de l’Europe, le même constat s’impose : pour parler de Notre-Dame de Paris, nul besoin d’être un spécialiste du patrimoine, de la conservation des bâtiments, de l’architecture ou de l’histoire religieuse de notre pays. Nul besoin non plus de se référer à des plans ou à des documents photographiques, de se plonger dans des ouvrages savants renvoyant à l’édification minutieuse de ce formidable monument.
Non, il nous suffit pour une fois de fermer les yeux. Faites-en l’expérience, mes chers collègues. Fermez les yeux et vous verrez ! Instantanément, votre affect personnel imprimera sur votre rétine et dans votre esprit l’image de Notre-Dame de Paris, telle que vous l’avez connue, telle que des générations et des générations l’ont connue, parfois même sans l’avoir visitée.
En dépit de nos différences, en dépit des multiples transformations architecturales que la cathédrale a connues au fil des siècles, nous en avons tous, dans notre inconscient, peu ou prou la même image.
Grand spécialiste de l’œuvre d’Eugène Viollet-le-Duc, notre collègue Jean-Pierre Leleux est même capable, les yeux fermés, de reconstituer les moindres détails de la fameuse flèche érigée dans les années 1840,…
M. Bruno Sido. Carrément ! (Sourires.)
M. André Gattolin. … mais il tient lieu d’exception ! (Nouveaux sourires.)
Bref, je vous invite à aller au fond : au fond de votre mémoire rétinienne, au fond de ce que Notre-Dame de Paris représente pour toutes et tous, au fond de ce que chacun d’entre nous a ressenti lors du terrible incendie qui a sérieusement endommagé ce symbole parmi les symboles de notre culture et de notre imaginaire quotidien.
D’ailleurs, ce symbole aurait été totalement détruit sans l’intervention à la fois héroïque et méthodique de nos forces de sécurité civile. J’insiste sur les deux termes : il n’est pas si fréquent que l’héroïsme se marie si parfaitement avec la raison et la méthode !
Dès lors, essayons aujourd’hui de ne pas jouer, une fois de plus, la bataille des Anciens et des Modernes ; cessons de soupçonner la République et son Président d’arrière-pensées malignes, qui viseraient à détruire l’esprit et le sens de notre patrimoine national au nom de desseins prétendument hubristiques.
Chacun autour de nous, qu’il soit chrétien ou non, a envie de voir renaître au plus vite Notre-Dame et d’agir – excusez cette expression un peu inconvenante en pareilles circonstances – sans jouer avec le feu.
Je vous ai demandé de fermer les yeux et, vous l’avez bien compris, ce n’était pas pour me jouer de votre vigilance.
M. Bruno Sido. Vraiment ? (Sourires.)
M. André Gattolin. Je la sais grande et je la respecte. Mais par pitié, veillons à ne pas nous enfermer dans des postures.
À présent, je vais vous lire l’extrait d’une déclaration récente sur Notre-Dame. C’est à vous d’en trouver l’auteur.
« Depuis 850 ans, Notre-Dame n’est pas restée en l’état. Au XIXe siècle, quand Viollet-le-Duc pose cette flèche, qui s’est effondrée l’autre jour, c’est un scandale de modernité. Notre-Dame a toujours su accueillir la modernité, et c’est important, salutaire, souhaitable que d’accueillir la modernité, y compris dans l’art ou dans le travail des artisans.
« Si vous regardez ce qu’il reste de Notre-Dame de Paris, l’image phare est cette statue de la Pietà du XVIIIe siècle, au fond du chœur, avec cette grande croix dorée au-dessus.
« La grande croix, elle, a été installée en 1994. Notre-Dame a toujours su accueillir la modernité, et c’est nécessaire.
« C’est une modernité qui a toujours respecté l’histoire du lieu, son passé, et surtout sa nature. »
Non, l’auteur de cette citation n’est pas Emmanuel Macron. Il ne s’agit pas non plus de notre Premier ministre, ou du ministre de la culture, ici présent.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Serait-ce André Gattolin ? (Sourires.)
M. André Gattolin. Non, son auteur est Philippine de Saint-Pierre, directrice générale de KTO, la chaîne de télévision catholique qui a retransmis en direct, le 15 juin dernier, la première messe célébrée à Notre-Dame après l’incendie du 15 avril.
Évidemment, son propos – excusez-moi cette nouvelle expression quelque peu déplacée – n’est pas parole d’évangile.
M. André Gattolin. D’ailleurs, pas plus que le Président de la République, elle n’affirme qu’il faut agir de telle ou telle manière. Elle fixe simplement le cadre légitime de la réflexion dans laquelle la restauration peut et doit s’opérer.
Cela étant, revenons-en, ou plutôt venons-en à la version du texte de loi qui nous est proposée aujourd’hui.
Les critiques au Sénat en première lecture ont été rudes et parfois violentes, jouant à l’envi de l’expression « loi d’exception », comme si nous vivions aujourd’hui en France dans un État d’exception ! Passons : la subtilité n’est pas toujours le fort de nos débats dans l’hémicycle… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Voyons !
M. Jean-Pierre Leleux. Cela dérape !
M. André Gattolin. Au-delà de l’emphase qui a prévalu dans nos discussions en première lecture, les véritables critiques de fond sur le texte initial semblent avoir été entendues, lors de l’examen en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, après l’échec de la CMP du 4 juin dernier.
M. Pierre Ouzoulias. Ce n’était pas un échec, mais une capitulation !
M. André Gattolin. Des modifications et des précisions très substantielles ont été apportées aux articles 8 et 9.
À présent, l’article 8 prévoit très clairement la création d’un établissement public d’État à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministre chargé de la culture ayant la charge d’assurer la maîtrise d’âge – pardon, de la maîtrise d’ouvrage… (Rires.)
M. Pierre Ouzoulias. La maîtrise d’âge, c’est pour le général !
M. André Gattolin. Cet article prévoit également l’instauration d’un conseil scientifique, qui recueillera l’avis des professionnels du patrimoine et sera ainsi le garant de la qualité scientifique et historique de la restauration.
L’article 9, pour sa part, précise que les assouplissements donnés aux législations en vigueur seront strictement proportionnés aux besoins du chantier.
La transparence dans le suivi de la souscription à l’égard tant du Parlement que du public et l’application du dispositif fiscal y afférent ont été renforcés. L’affectation des fonds respectera à la lettre les principes de la loi de 1905 relative à la laïcité et ceux de la loi de 1907 concernant les prérogatives respectives de l’État et des diocèses.
Il y a là, je crois, pour tout esprit constructif, voire restaurateur, matière à satisfaction. De nouveaux amendements ont été avancés avant-hier en commission. Les membres de mon groupe et moi-même ne sommes pas persuadés que ces propositions soient toutes pertinentes au regard du défi que nous avons à relever, sous les regards attentifs de nos concitoyens.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Précisément !
M. André Gattolin. Mes chers collègues, soyez-en sûrs : nos compatriotes ne manqueront pas de nous faire, demain, grief de nos erreurs et de nos éventuels enlisements ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans quelques jours, il y aura trois mois que s’affairent, autour de la cathédrale incendiée, les personnels de la direction régionale des affaires culturelles, la DRAC, les quatre architectes en chef des monuments historiques, dans une parfaite collégialité, les archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’Inrap, les entreprises, les représentants du diocèse et tous les agents des services de la mairie de Paris et de l’État, parmi lesquels ceux de la brigade des sapeurs-pompiers.
Je tiens à saluer, avec la plus grande solennité, leur dévouement et leur engagement absolus au service de l’intérêt général.
Mme Maryvonne Blondin. Très bien !
M. Pierre Ouzoulias. Ces remerciements s’adressent tout particulièrement aux fonctionnaires de la DRAC d’Île-de-France, qui ont assuré, dans des conditions très difficiles, la maîtrise d’ouvrage du chantier de sauvegarde.
Leur action exemplaire le montre bien : il est utile, et même indispensable, pour l’État et le ministère de la culture de disposer de services déconcentrés capables d’agir au plus près du terrain, dans le cadre de processus rigoureux, mais ajustables à leurs spécificités.
L’ampleur remarquable et l’efficacité incontestable de cette mobilisation prouvent la qualité et l’utilité intrinsèques de la législation patrimoniale et des moyens de sa mise en œuvre.
Malgré le caractère exceptionnel du sinistre, nous n’avons pas eu connaissance d’un quelconque obstacle administratif ayant entravé les travaux. Face à l’analyse objective de ces trois mois de chantier, pourquoi modifier radicalement leur organisation ? Pourquoi bâtir ad fondamenta une nouvelle structure sans nous expliquer pourquoi celles qui œuvrent aujourd’hui seraient défaillantes ? Pourquoi prendre le risque d’expérimenter, dans l’urgence, de nouvelles procédures sans dresser le bilan de l’efficacité de celles appliquées maintenant ?
Sans réponse précise à ces questions, nous continuerons de penser que le présent texte répond non pas aux nécessités du terrain, mais à la volonté présidentielle d’intervenir directement dans la gestion d’un chantier considéré comme un fait symbolique de la geste du quinquennat.
Ce qui manque aujourd’hui à celles et ceux qui se relaient au chevet de la cathédrale, ce n’est pas une nouvelle strate administrative ; c’est, tout d’abord, le renforcement des capacités d’intervention du ministère de la culture.
Ainsi, la quasi-totalité des moyens humains du laboratoire de recherche des monuments historiques est engagée sur le chantier de Notre-Dame. Cet effort est néanmoins insuffisant. Surtout, il prive d’une expertise indispensable toutes les autres opérations engagées ou à venir. M. Thierry Zimmer, directeur adjoint de ce laboratoire, le dit courageusement : « Nous n’avons obtenu aucun vacataire supplémentaire, et tous nos autres chantiers sont pratiquement à l’arrêt. »
Monsieur le ministre, lors de la première lecture de ce texte, je vous avais alerté sur la nécessité d’accroître les ressources de vos services spécialisés : ils vont accompagner l’opération de restauration de la cathédrale dans la longue durée, et il serait de mauvaise politique de développer les mêmes compétences dans une nouvelle structure.
L’État souhaite élever au rang d’exemple, urbi et orbi, la réhabilitation de Notre-Dame. Il se doit donc d’être lui-même exemplaire dans son engagement budgétaire en faveur de ses services et des programmes qui vont contribuer à ce travail. Il doit nécessairement participer financièrement à cette mobilisation générale et ne pas tout attendre de l’évergétisme de généreux donateurs.
Sur ce sujet, comme pour la création du centre national de la musique, dont nous avons débattu hier, nous attendons de votre ministère des engagements chiffrés lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2020.
Dans le même esprit, je vous redis l’impérieuse exigence de préparer un programme de recherche sur le monument et son environnement historique dans la longue durée, afin d’organiser les nombreuses initiatives et propositions des chercheurs français et étrangers. Il faut assurer la coordination interministérielle de ces études et leurs interactions avec le maître d’ouvrage de la restauration, sans les confondre dans la même structure, afin de garantir la destination des dons.
Enfin, sans attendre les résultats de l’enquête en cours, il convient d’engager une grande mission sur la protection des monuments historiques contre les risques d’incendie. Des défaillances ont été identifiées. Un diagnostic global doit être lancé.
Par ailleurs, l’incendie de Notre-Dame a fait apparaître certaines lacunes de la documentation disponible sur ce monument insigne. Ainsi, la charpente avait été très peu étudiée, et il est regrettable de devoir entreprendre maintenant des analyses sur ses restes carbonisés. Cette expérience malheureuse nous oblige donc à nous interroger sur la complétude des dossiers documentaires disponibles sur nos grands édifices.
« À quelque chose malheur est bon », dit l’adage populaire. Nous espérons que l’incendie de la cathédrale sera le moment d’une prise de conscience collective de l’importance des monuments historiques au sein de la cité, de leur fragilité et de l’urgente nécessité de consacrer en priorité les moyens de la Nation à leur connaissance et à leur restauration ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Prunaud. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline. (M. Patrick Kanner applaudit.)
M. David Assouline. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne puis que me féliciter de l’évolution de ce texte. Mais, avant tout, j’évoquerai le paradoxe des sentiments qui envahissent nombre d’entre nous à ce stade de la discussion.
Sur le fond, la mobilisation de la société, des experts, des amoureux du patrimoine et des parlementaires a infléchi ce projet de loi. On ne peut que s’en réjouir, car elle l’a infléchi dans le bon sens. Certains rappels que nous avons formulés, parfois, comme des évidences, ont été entendus.
Toutefois, il faut revenir sur la méthode – Mme la présidente de la commission l’a d’ailleurs déjà fait.
La commission mixte paritaire est, par définition, le moment où les deux assemblées échangent, puis cherchent un compromis. Parfois, celui-ci n’est pas possible ; parfois, il est partiellement possible ; parfois, il est atteignable. C’est par de tels échanges que l’on avance.
Monsieur le ministre, dans la tradition de votre ministère, vous avez toujours suivi cette méthode lors des débats parlementaires : chercher le consensus, autant que faire se peut.
Or, dès le début de cette commission mixte paritaire, on nous a fait comprendre que l’on ne pouvait pas modifier la moindre virgule. À l’évidence, cette réunion était une simple mise en scène : tout le monde constatant l’impossibilité d’un d’accord, on aurait même pu, dès le début, se dire « au revoir »…
Nous en concluons que le Gouvernement a décidé de ne pas bouger, de ne pas entendre ce que nous avions à dire ; qu’il est sûr de son fait, notamment de ce que l’Assemblée nationale a voté.
Puis, à l’Assemblée nationale, vous proposez tout à coup de modifier deux articles de manière tout à fait substantielle. Il s’agit, notamment, du cœur même de nos débats, à savoir les dérogations au code du patrimoine, et du recours à un établissement public, qui n’est pas une question secondaire. C’est pour le moins surprenant… Mais, en fait, ce projet de loi est arrivé comme un fait du prince.
Le Président de la République s’est exprimé au lendemain du drame. C’était son devoir après un tel choc : il a tenu des propos forts, et ses paroles étaient attendues dans le monde entier. Cela étant, il a déclaré : « Je lance la souscription », alors que cette dernière avait commencé la veille, spontanément. À l’inverse, il aurait dû souligner que les Français avaient, tout de suite, et de leur propre chef, commencé à donner.
Ensuite, on a inscrit dans le projet de loi que la souscription commençait au moment du discours du Président de la République. C’est incroyable !
De plus, le Président de la République a rapidement nommé une personnalité, du reste tout à fait compétente, pour commencer à travailler ; mais on a constaté qu’elle avait dépassé l’âge maximal pour exercer de telles fonctions… Aussi, parce que le chef de l’État l’avait déjà désignée, on nous a demandé de voter une dérogation spécifique : encore le fait du prince !
Le troisième fait du prince, c’était le débat parlementaire, avec toutes les dérogations imposées parce qu’il fallait aller vite, que l’on n’avait pas le temps de mener des évaluations et que le Président de la République avait annoncé une durée de cinq ans pour les travaux.
Vous vous êtes cependant rendu compte que l’on pouvait aller dans le mur en continuant ainsi, et votre ministère a repris le dossier. Il risquait en effet d’être sacrifié dans le processus, et, avec lui, sa fonction essentielle dans l’exercice du rôle de l’État en matière de préservation du patrimoine.
Pensez donc : si ces dérogations au code du patrimoine avaient été maintenues, vous auriez été contraint, chaque fois qu’une commune aurait demandé à en bénéficier, de répondre qu’elles ne s’appliquaient qu’à Notre-Dame, au risque de fragiliser la crédibilité et l’autorité même de l’État.
Vous avez donc évolué dans le bon sens, je ne vais pas m’en plaindre. Mais nous tenons à défendre le rôle du Parlement. Je vous remercie d’ailleurs, monsieur le ministre, d’avoir donné raison au Sénat. Même si vous ne pouvez pas l’avouer, cela nous fait plaisir ! (M. le ministre sourit.)
Sur le fond, j’ai déjà mentionné les deux points qui demeurent inadmissibles, aussi symboliques soient-ils : l’âge du général – et non du capitaine ! –, qui fait donc l’objet d’une dérogation particulière, et le maintien de la date d’entrée en vigueur des mesures de défiscalisation. Vous nous indiquez que les dons pourront en bénéficier même s’ils sont intervenus auparavant. Pourquoi n’est-ce pas inscrit dans le texte ? Je ne comprends pas que vous restiez arc-bouté sur ce point, mais cela me semble secondaire.
Plus grave, si vous allez dans le bon sens en encadrant les dérogations au code du patrimoine, mais vous maintenez toutes les autres, concernant les codes de l’environnement, de l’urbanisme et de la voirie. Ce n’est pas rien ! Aujourd’hui, l’environnement, ce n’est pas que des mots. On peut dire, « le réchauffement climatique, c’est dramatique, l’environnement c’est important », mais il faut poser des actes qui collent à ces paroles !
Or voilà un texte qui nous dit que l’on peut déroger au code de l’environnement, alors même que nous pourrions assister aux prémices d’un scandale sanitaire.
Je n’aime pas accompagner les peurs sans disposer d’élément concret, au risque de créer des paniques, mais l’on dit tout de même que les taux de plomb sur certains bâtiments proches de Notre-Dame sont parfois 800 fois supérieurs à la normale. Dans ce contexte, un projet de loi qui permette de déroger au code l’environnement ne contribue pas à renforcer la crédibilité de l’action publique.
Si l’on n’a pas besoin de ces règles dans ce cas précis, pourquoi doivent-elles s’appliquer de façon générale ? C’est donc la main tremblante qu’il faut proposer des dérogations, et en limitant ces dernières.
Si je suis toujours favorable à la suppression de cet article, malgré les avancées importantes réalisées par le ministre, le texte me semble acceptable une fois inclus les amendements proposés par le rapporteur, qui n’ignore pas les codes de l’environnement et de l’urbanisme et qui ajoute précisions et encadrement.
Tels sont les points essentiels que je voulais soulever à ce moment du débat.
Comme d’autres de nos collègues de tous bords dans l’hémicycle, je suis un élu parisien. À ce titre, ce texte me semble comporter un paradoxe : il évoque enfin les abords de la cathédrale, une évolution dont je suis satisfait, puisque, en première lecture comme en commission mixte paritaire, j’avais plaidé en ce sens, mais vous n’aviez pas voulu nous entendre.