M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il était temps de s’en apercevoir…
M. Olivier Jacquin. Le Parlement européen sera assurément conduit à légiférer sur cette question dans les prochaines années.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Olivier Jacquin. Notre initiative est à même de déclencher un électrochoc et de faire du crime d’écocide un vrai sujet.
Mes chers collègues, que voulons-nous pour notre avenir et celui de nos enfants ?
M. le président. Il faut vraiment conclure.
M. Olivier Jacquin. Nous ne pouvons nous permettre d’attendre. Ayons le courage de nous engager sur cette question qui dépasse les clivages politiques : c’est notre responsabilité collective. Jacques Chirac…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. Olivier Jacquin. … a dit : « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs. »
M. le président. Il faut vraiment conclure, cher collègue, même si vous citez Jacques Chirac ! (Sourires.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Monsieur le président, il s’agit d’une exception ! (Nouveaux sourires.)
M. Olivier Jacquin. Alors que nous entrons dans l’anthropocène et que la biodiversité subit de nouvelles extinctions massives, notre droit ne doit pas regarder ailleurs, et nous non plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à revenir, moi aussi, sur « l’état d’urgence écologique ».
Madame la secrétaire d’État, vous avez évoqué la septième session de l’IPBES, qui a présenté la synthèse mondiale sur l’état de la nature et des écosystèmes. À ce titre, je cite le président Robert Watson : « Les preuves sont incontestables. Notre destruction de la biodiversité et des services écosystémiques a atteint des niveaux qui menacent notre bien-être au moins autant que les changements climatiques induits par l’homme. »
Aussi, et avant tout, je remercie nos collègues socialistes d’avoir inscrit à l’ordre du jour cette proposition de loi, dont le sujet est extrêmement important.
Avec la généralisation de la conscience écologique au sein de la société française, de nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour sanctionner plus sévèrement les écocides, atteintes graves à l’environnement. Ces aspirations rejoignent d’ailleurs d’autres attentes exprimées à l’échelle internationale. Il est donc primordial que la France fasse preuve d’initiative en la matière. Ainsi, nous pourrons coaliser les bonnes volontés qui naissent, ici et là, des constats de la mise en péril de l’humanité établis non seulement par de nombreux observateurs scientifiques, représentants de la société civile, mais aussi de nombreuses instances internationales.
Tel est précisément le but du texte que nous examinons ce soir et que, au sein du groupe du RDSE, nous sommes plusieurs à saluer.
Madame la rapporteure, selon vous, le fait de présenter la France comme le gendarme du monde en matière environnementale pourrait se retourner contre nous. À ce titre, vous avez dressé un parallèle avec l’interventionnisme militaire américain. (Mme le rapporteur manifeste sa circonspection.)
Il est des risques qu’il faut savoir prendre lorsque l’urgence à agir nous y pousse. La nécessité de protéger notre environnement s’instille durablement dans les consciences françaises, notamment celles des plus jeunes générations, depuis que les premières alertes ont été lancées.
L’adoption de la Charte de l’environnement de 2005 a été une avancée supralégislative majeure, qui attend des ramifications législatives concrètes, comme celles que propose le texte examiné aujourd’hui. La doctrine a montré comment, faute d’avancées législatives, nos magistrats ont, par exemple, fait évoluer progressivement la jurisprudence relative à la notion de préjudice pour permettre l’indemnisation des préjudices écologiques.
Nous avons entendu les critiques du texte de Jérôme Durain et de ses collègues, mais il nous paraît quelque peu contradictoire de faire le constat de l’urgence à agir, en citant les rapports du GIEC, qui sont terrifiants, et de considérer, dans le même temps, que les normes en vigueur sont suffisantes et que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes par le simple renforcement de la formation de nos magistrats ou par l’effet de sanctions, dont on sait aujourd’hui qu’elles ne sont pas assez dissuasives.
Ce texte mérite que nous réfléchissions à des améliorations de rédaction plutôt que de le rejeter en bloc.
Sur le fond, nous souscrivons aux préconisations des directives européennes qui suggèrent que les sanctions pénales n’interviennent qu’en dernier recours, mais nous jouons déjà, depuis plusieurs décennies, le jeu du « droit mou », des dispositifs incitatifs, des sanctions administratives. Nous sommes de plus en plus nombreux à considérer que l’état de dégradation de la planète est tel qu’il est aujourd’hui nécessaire de passer à la vitesse supérieure et de sanctionner pénalement toutes les atteintes à l’environnement, quelles qu’elles soient.
M. Olivier Jacquin. Très bien !
M. Joël Labbé. Il s’agit de repenser totalement l’agencement de notre droit pénal afin d’y intégrer l’environnement en tant que personne propre.
La reconnaissance de l’écocide revêt plusieurs dimensions juridiques, comme nos amendements tendent à le montrer : elle exige, d’une part, l’élargissement de la notion de génocide afin que des actes de guerre reposant sur des atteintes très graves à l’environnement, comme le recours à l’agent orange au Vietnam, puissent être reconnus comme tels et sanctionnés par la juridiction internationale compétente ; elle requiert, d’autre part, le renforcement des peines, mais également des moyens et des périmètres d’action de nos juges nationaux, en cas d’atteintes à l’environnement sur notre sol et au-delà, lorsque ces atteintes emportent des externalités négatives mondiales susceptibles de concerner la santé et la qualité de vie des Français.
Ce deuxième point pourrait être satisfait par la création d’une incrimination nouvelle, que nous proposons de modifier, ou par l’élargissement de dispositions pénales existantes, comme la mise en danger de la vie d’autrui. Il ouvre cependant d’autres débats, dont celui qui concerne les modalités de calcul des amendes par les magistrats afin d’éviter les condamnations symboliques et la censure de la Cour de cassation.
En conclusion, gardons à l’esprit que ce n’est pas l’écologie qui est punitive – j’en ai marre d’entendre cela ! –, mais c’est la société qui doit l’être, quand une majorité en son sein considère qu’un comportement porte atteinte au bien commun, à l’intérêt général, et à celui des générations futures.
Comme le grand débat l’a montré, les citoyennes et citoyens français attendent que nous leur apportions des clés pour agir, et l’action devant le juge pénal en est une.
Enfin, si l’action dans le droit pénal français nous paraît nécessaire, légitime et efficace, il faut également intervenir au niveau du droit pénal international, comme le propose la juriste en droit international, spécialiste des droits de l’homme, Valérie Cabanes : « Ne faudrait-il pas reconnaître un crime international qui puisse protéger l’habitabilité de la Terre de certaines activités industrielles nuisibles au climat, à la biodiversité, à la qualité des sols, à l’approvisionnement en eau potable, à l’océan, à la santé… ? »
À ceux qui considèrent, à juste titre, que la priorité actuelle est à la refondation du pacte social et politique de notre pays, je voudrais dire ma conviction qu’il faut faire de ce sujet un outil pour rebâtir le vivre-ensemble.
Quelle meilleure mise en œuvre du principe de fraternité que l’ambition de travailler à l’amélioration des conditions écologiques d’existence du plus grand nombre ?
M. le président. Il faut conclure !
M. Joël Labbé. Je vous le dis au nom des générations nouvelles qui ont besoin de renouer avec des projets collectifs : le plus beau projet que l’on ait à mener ensemble, c’est le sauvetage de la planète ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marta de Cidrac.
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, force est de constater que les efforts mondiaux pour enrayer le réchauffement climatique et protéger l’environnement ne sont pas suffisants, les collègues qui se sont exprimés avant moi l’ont tous évoqué. En ce sens, le texte proposé a le mérite de nous rappeler l’importance de ce sujet.
Cependant, la France n’est pas en reste dans les engagements écologiques que les États doivent prendre en urgence pour limiter les changements climatiques. Depuis 2005, la Charte de l’environnement est dans notre corpus constitutionnel et la France a joué un rôle primordial dans les négociations ayant mené à la conclusion des accords de Paris pour le climat en 2015.
Plus récemment, le Sénat a adopté, le 11 avril dernier, le projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, qui renforce les pouvoirs de police et d’investigation des inspecteurs de l’environnement et des agents commissionnés.
La Cour pénale internationale ne reconnaît pas encore de crimes contre l’environnement en temps de paix, mais a encouragé les législateurs nationaux à se saisir de cette question.
Dans cette perspective, l’initiative engagée par le groupe sénatorial des socialistes est louable et je remercie notre collègue Jérôme Durain pour le travail accompli, mais les contours de cette proposition de loi ne sont pas bien définis et il n’y a qu’un pas à faire pour affirmer que sa finalité serait strictement symbolique. C’est sur ce point que s’appuient les critiques principales que l’on peut lui opposer.
Ce texte pose d’abord des problèmes terminologiques et de définition. Dans son article 1er, l’alinéa 6 propose une définition de l’écocide qui repose sur la réunion de deux éléments : la présence d’une action concertée tendant à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème et le fait que cette action devrait avoir pour effet de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population.
Toutefois, quelle définition juridique correspond au terme d’« écosystème », à l’expression « atteinte à l’environnement », voire « conditions d’existence » ? Notre loi doit être précise et non équivoque, selon l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Or la notion d’écosystème est très large. Je cite sa définition courante : c’est un « ensemble formé par une communauté d’êtres vivants, animaux et végétaux, et par le milieu dans lequel ils vivent. »
Quelles sont donc les limites de l’incrimination, puisqu’il suffit d’une dégradation portant atteinte « de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population » pour être en infraction ? Quelles destructions sont acceptables, quelles sont celles qui seront qualifiées de « graves » ?
La question que je pose ici est de savoir sur quelle évaluation nous devrons nous appuyer pour déterminer une atteinte grave et durable à l’environnement. Quelle échelle de valeurs devrons-nous utiliser ? Il faudrait qu’un acte juridique le précise ou que des articles supplémentaires soient ajoutés à cette proposition de loi.
Je ne vais pas évoquer l’expression « conditions d’existence », qui ne fait également référence à aucune disposition juridique, laissant libre cours aux jugements de valeur et à l’interprétation multiforme du juge. Faisons en sorte qu’une incrimination pour destruction de l’environnement soit suffisamment précise et définie pour être efficace.
En tant que législateurs, nous devons nous assurer de l’expression claire et sans ambiguïté de la loi.
J’en viens donc à mon deuxième point. Cette proposition de loi n’apporte aucun outil juridique véritablement novateur pour la condamnation des infractions à l’environnement. Notre arsenal législatif s’est beaucoup renforcé ces dernières années et permet déjà de réprimer nombre de ces infractions.
La loi sur la biodiversité en vigueur depuis août 2016 a introduit dans le code de l’environnement une définition du préjudice écologique. Depuis cette nouvelle disposition, les atteintes à l’environnement peuvent désormais être indemnisées sur le plan civil.
Le code de l’environnement comporte également des incriminations pénales pour poursuivre et sanctionner des actions polluantes, comme le déversement de substances en mer, l’atteinte aux espèces, la mauvaise gestion des déchets ou le rejet dans l’atmosphère de substances polluantes.
De plus, des incriminations pénales plus larges, qui existent déjà, peuvent être utilisées pour réprimer les atteintes à l’environnement lorsque les individus en sont victimes.
J’ajoute que, dans cette proposition de loi, aucune distinction entre les activités légales et illégales n’est établie. Certaines activités détruisent l’environnement, mais restent dans le cadre réglementaire et légal. Pour illustrer mes propos, je ne citerai qu’un exemple : le projet de mine d’or industrielle en Guyane, soutenu par le Président de la République. L’étude d’impact de 2016, menée par la direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement de Guyane, a révélé que l’exploitation de ce gisement provoquerait la destruction de sept hectares de forêt amazonienne et d’habitats naturels, ainsi qu’un fort risque de pollution des cours d’eau.
Il n’est, certes, pas acceptable qu’une impunité soit accordée à certaines entreprises. La destruction d’espèces végétales ou animales protégées est intolérable et, par-delà celles-ci, nous devons également être vigilants concernant la destruction d’espèces non protégées. Pourtant, comme je l’ai évoqué, cette proposition de loi ne permet pas de distinguer les activités légales des activités illégales. L’objectif de ceux qui les pratiquent est rarement la dégradation de l’environnement, mais celle-ci peut en être une conséquence. Doit-on sanctionner de la même manière ces deux cas de figure ? Cela ne me semble ni adapté ni opportun.
Une dizaine de pays ont adopté le crime d’écocide dans leur législation, comme le Vietnam et la Russie, cela s’explique par leur histoire. À ce jour, aucune condamnation notoire ne peut cependant être relevée. J’ajoute que, si mettre l’écocide sur le même plan que le crime contre l’humanité ou le génocide, le crime de guerre et le crime d’agression peut sembler pertinent, le texte tel qu’il nous est aujourd’hui proposé semble, pour le moins, exagéré.
Un contour mal défini pour l’écocide ne permet pas d’engager des solutions efficaces. Placer sans réserve sur le même plan une destruction des espèces et une destruction méthodique de groupes humains reste contestable.
Nous n’avons pas besoin d’un texte symbolique dont la mise en œuvre est impossible. L’enjeu est avant tout international, trop de conditions sont nécessaires et les failles sont nombreuses qui permettent d’échapper à une incrimination efficace.
Cette proposition de loi vise surtout à condamner les actions les plus graves, portant atteinte de manière irréversible à l’environnement. Je fais bien sûr référence au braconnage transnational,…
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Marta de Cidrac. … au trafic d’espèces, au trafic de déchets polluants. Les exemples évoqués par Jérôme Durain dans son exposé des motifs sont localisés à l’étranger, en Côte-d’Ivoire et en Équateur, et la législation française ne sera en aucun cas en mesure d’y répondre.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Marta de Cidrac. Toutes ces activités criminelles relèvent davantage du droit pénal international, car, en l’absence de convention internationale, notre pays ne pourra se saisir de ces infractions que si la victime ou l’auteur en est un citoyen français.
M. le président. Merci !
Mme Marta de Cidrac. C’est pourquoi, mes chers collègues, en guise de conclusion, je vous propose de ne pas adopter cette proposition de loi…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. En l’état, au moins.
Mme Marta de Cidrac. En effet !
Monsieur le président, je vous prie de me pardonner d’avoir dépassé mon temps de parole. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Faute avouée est à moitié pardonnée ! (Sourires.)
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide
Articles additionnels avant l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par MM. Labbé, Collin, Corbisez et Dantec, Mme N. Delattre et M. Gold, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le troisième alinéa de l’article 211-1 du code pénal est complété par les mots : « par tout moyen, dont l’altération de l’environnement naturel de cette population ».
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’extension des compétences de la Cour pénale internationale au crime d’écocide, tel que la pollution intentionnelle et durable de l’écosystème au Vietnam, par stratégie militaire, afin d’en affaiblir l’ensemble de la population, est une revendication défendue par de nombreux universitaires et qui bénéficie d’un soutien croissant en France et à l’étranger.
Cela nécessite de procéder à la modification en ce sens du traité fondateur de la Cour, et donc de réussir à trouver un consensus au niveau mondial.
La France aurait tout intérêt à se montrer force d’initiative sur le sujet, en commençant par inscrire dans la définition nationale du génocide le fait d’y procéder par des atteintes graves à l’environnement, comme ce fut le cas au Vietnam. Plusieurs décennies après la guerre, l’agent orange produit encore des effets dévastateurs sur les générations actuelles des territoires touchés, où de nombreux enfants développent des malformations importantes.
Notre droit pénal qualifie déjà d’acte terroriste « le fait d’introduire dans l’atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel ». Ce, à condition qu’il se produise « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Ce sont les dispositions de l’article 421-2 de notre code pénal.
Pour autant, et chacun en conviendra ici, il est peu probable qu’un juge qualifie un jour le gouvernement d’un État, a fortiori celui de la première puissance mondiale, d’entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur.
C’est pourquoi nous proposons de préciser la définition du génocide en complétant le critère « d’atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique » par les mots « par tout moyen, dont l’altération de l’environnement naturel de cette population ». Cette précision tend à allonger la dimension temporelle du génocide, dès lors que ce dernier pourrait être regardé comme tel aussi longtemps que l’environnement naturel restera altéré. L’objectif est de dissuader absolument les chefs d’État de recourir à de telles techniques de guerre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement tend à modifier la définition du crime de génocide. Il a le mérite de souligner le lien qui existe entre la survie d’une population et son environnement naturel. La précision proposée semble pourtant superflue sur le plan juridique : le code pénal ne dressant pas la liste des moyens qui peuvent être utilisés pour détruire une population, le fait, par exemple, d’empoisonner un cours d’eau à cette fin pourrait tomber sous le coup de l’incrimination de génocide.
La commission souhaite donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettrait un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Monsieur le sénateur Labbé, cet amendement vise à ajouter à la définition déjà existante du crime de génocide une référence à la dégradation de l’environnement.
Cet ajout ne respecte toutefois pas le principe constitutionnel de précision de la loi pénale, la notion d’altération de l’environnement naturel étant particulièrement floue, notamment dans la définition de son intensité. S’agit-il d’une altération grave, durable, ou encore, qu’est-ce qu’un environnement naturel ?
En outre, cet ajout ne paraît pas nécessaire, puisque le texte exige une atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique sans préciser le moyen employé. Quel que soit ce dernier, l’infraction sera constituée dès lors qu’il s’agira d’une telle atteinte commise en exécution d’un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d’un groupe déterminé. Votre proposition est donc déjà couverte par la définition même du génocide.
Dans ces conditions, l’avis du Gouvernement est défavorable sur cet amendement.
M. le président. Monsieur Labbé, l’amendement n° 3 rectifié est-il maintenu ?
M. Joël Labbé. J’entends les propos de Mme la rapporteure et de Mme la secrétaire d’État, mais cet amendement a également une portée symbolique. En matière diplomatique, la symbolique est beaucoup plus importante qu’en matière législative et disposer d’un tel symbole dans notre arsenal pénal nous rendrait plus crédibles encore sur la scène internationale.
Je maintiens donc cet amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote.
M. Patrick Kanner. Je ne m’attendais pas, un 2 mai à vingt-trois heures dix-huit, à ce que notre hémicycle se transforme en casino ! Je vois les piles de jetons s’accumuler sur le pupitre de Mme Catherine Di Folco, ou plutôt les cartes de vote.
J’ai bien compris que la droite sénatoriale s’oppose à cette proposition de loi, et que, comme elle est minoritaire en séance, elle s’apprête à « plomber » notre travail en multipliant les scrutins publics.
Je le regrette. Ce n’est pas la première fois, mais, s’agissant d’un texte aussi important, aussi essentiel pour l’avenir de la planète, vous auriez pu, mes chers collègues, avoir la décence d’être présents en nombre suffisant pour vous y opposer tout en respectant la démocratie dans notre hémicycle.
Vous serez majoritaires par des voies artificielles, nous le déplorons, mais nous ferons notre travail pour défendre les intérêts de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 3 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 89 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 111 |
Contre | 230 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par MM. Labbé, Collin et Corbisez, Mme Costes, M. Dantec et Mmes N. Delattre et Laborde, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 223-1 du code pénal est ainsi modifié :
1° Après le mot : « immédiat », sont insérés les mots : « ou futur » ;
2° Après le mot : « mutilation », sont insérés les mots : « , une maladie ».
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis très embêté. Il me semble que nous devons terminer à minuit, j’ai des amendements à défendre et si je les défends jusqu’au bout, je crains que nous ne puissions pas terminer l’examen de ce texte, ce dont je serais désolé. Je vais donc aller très vite sur cet amendement.
M. le président. La séance doit être levée au plus tard à minuit trente, vous avez donc largement le temps de défendre vos amendements, mon cher collègue. (Bravo ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Joël Labbé. Je préfère être vigilant, parce que je sais maintenant qu’un scrutin public sera demandé sur chacun des amendements.
Mieux sanctionner les atteintes à l’environnement est un enjeu crucial des prochaines années. Selon les observateurs, les affaires qui s’y rapportent ne représentent pourtant que 2 % de l’activité des parquets. Compte tenu du faible effet dissuasif des sanctions administratives, d’une part, et des difficultés que rencontre le juge civil à prononcer des dommages et intérêts, d’autre part, il apparaît comme absolument nécessaire de renforcer notre arsenal pénal.
Dans l’attente d’une rédaction satisfaisante de la définition de l’écocide, susceptible de s’appliquer à toutes les atteintes graves et irréversibles à l’environnement, l’adaptation de l’article relatif à la mise en danger de la vie d’autrui pourrait constituer une alternative. On pourrait ainsi étendre son champ d’application aux risques non seulement immédiats, mais futurs, ainsi qu’aux cas ayant donné lieu à une maladie permanente, en plus des mutilations ou des infirmités permanentes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement vise deux objectifs : sanctionner, d’abord, le risque immédiat de mort ou de blessure, mais aussi le risque futur ; ensuite, sanctionner la mise en danger, lorsqu’elle expose à un risque de mort, de blessure, mais aussi à un risque de maladie.
Dans l’objet de son amendement, notre collègue indique qu’il souhaite avant tout ouvrir le débat. Il me semble en effet qu’une réflexion plus approfondie est indispensable avant d’envisager d’élargir le champ d’application de cet article, qui déborde largement la question de la protection de l’environnement.
En visant des risques futurs, en faisant référence au risque de maladie, l’adoption de cet amendement pourrait rendre difficile l’établissement du lien de cause à effet entre le comportement répréhensible et les dommages observés.
C’est pourquoi la commission souhaite le retrait de cet amendement ; à défaut son avis serait défavorable.