M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous remercier de votre travail et saluer de nouveau votre engagement. Je remercie également Mme la directrice générale de l’Agrasc d’avoir été avec nous pendant ces débats. Cette agence, de manière très performante, sert des objectifs de politique publique avec une grande efficacité. Elle a déjà reçu plusieurs sénateurs.
Vous pouvez compter sur l’engagement du Gouvernement pour soutenir les administrations qui se modernisent et remplissent des objectifs essentiels non seulement à nos politiques nationales, mais également à la bonne application de conventions internationales.
Nous aurons l’occasion de continuer à travailler sur ce sujet, je l’espère, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures cinquante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt et une heures cinquante, sous la présidence de M. Philippe Dallier.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Reconnaissance du crime d’écocide
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi portant reconnaissance du crime d’écocide, présentée par M. Jérôme Durain, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Marc Daunis, Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 384, rapport n° 446).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi.
M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, le 21 avril dernier, des hommages ont résonné tout autour du globe pour pleurer le décès de Polly Higgins. Cette avocate écossaise s’était fait connaître pour son combat acharné en faveur de la reconnaissance de l’écocide. L’écocide, à savoir la destruction d’un écosystème, est un concept discuté depuis plusieurs dizaines d’années dans le champ juridique international.
Quelques pays l’ont intégré dans leur législation nationale, à l’image du Vietnam, particulièrement marqué par la catastrophe de l’agent orange.
De Paris à Nairobi, de New York à Sydney en passant par Bangkok, les citoyens du monde entier, en grande majorité des jeunes, se mobilisent pour exiger des gouvernements qu’ils agissent enfin, ou plutôt qu’ils accélèrent leurs efforts, contre le dérèglement climatique.
Tandis que les rapports alarmants s’accumulent – un jour sur le climat, l’autre sur l’extinction des espèces –, c’est bien la jeunesse qui se montre la plus responsable en tirant le signal d’alerte. À nous, responsables politiques, d’entendre ce cri d’urgence. À nous d’apporter des réponses concrètes, en nous montrant à la hauteur des attentes des citoyens et des enjeux du XXIe siècle. Toutes les solutions ne se situent pas dans le champ législatif, mais c’est bien en votant des lois aux philosophies nouvelles que nous pourrons accompagner la société civile dans ce combat qui nous occupera pour les décennies à venir, à savoir la sauvegarde de la planète.
Trop longtemps, nous nous sommes reposés sur l’idée selon laquelle les êtres humains étaient assez intelligents et assez raisonnables pour maîtriser eux-mêmes leurs dérives et préserver la planète. Une telle logique témoigne d’un orgueil démesuré. Elle nous a condamnés à l’inaction en matière environnementale.
La proposition de loi du groupe socialiste et républicain entend précisément rompre ce cercle vicieux. Elle vise à poursuivre et à punir les crimes les plus graves, qui portent atteinte de manière irréversible à la « sécurité de la planète », pour reprendre les mots de Mireille Delmas-Marty, en inscrivant dans le droit pénal la reconnaissance du crime d’écocide.
La notion d’écocide marque l’interdépendance entre les écosystèmes et les conditions d’existence de l’humanité. Le terme d’écocide s’inscrit dans le prolongement direct de la Charte de l’environnement, qui proclame dans son préambule que « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ».
L’article 1er du texte définit l’écocide comme « le fait, en exécution d’une action concertée tendant à la destruction ou dégradation totale ou partielle d’un écosystème, en temps de paix comme en temps de guerre, de porter atteinte de façon grave et durable à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population ».
Les exemples ne manquent pas pour illustrer les conséquences extraordinairement néfastes que peut avoir l’activité humaine sur la qualité de l’air, de l’atmosphère, des sols, des eaux, des milieux aquatiques, de la faune et de la flore.
La criminalité environnementale est en croissance. Quoi de plus normal ? Un kilo de corne de rhinocéros peut valoir plus cher qu’un kilo de cocaïne, et fait courir moins de risques aux personnes impliquées. En ce sens, il me paraît bienvenu de redéfinir l’échelle des valeurs protégées. À quelles valeurs la société attache-t-elle une importance toute particulière ? Placer l’atteinte irréversible à l’environnement parmi les crimes les plus graves aurait valeur d’exemple.
Avec cette proposition de loi, le groupe socialiste souhaite poser les jalons d’un droit pénal de l’environnement permettant de lutter rigoureusement contre la criminalité environnementale et de punir sévèrement les auteurs de ces actes.
Le Sénat a su, par le passé, être précurseur sur les questions environnementales, notamment en faisant adopter la notion de « préjudice écologique » grâce à une proposition de loi déposée par notre collègue Bruno Retailleau. Il s’agit maintenant d’aller plus loin dans le combat pour la préservation de la planète. Avec l’examen de cette proposition de loi, je vous invite, mes chers collègues, à dépasser les logiques partisanes et à faire preuve de responsabilité collective. N’attendons pas qu’une nouvelle catastrophe écologique survienne pour légiférer !
Cette proposition de loi ne revendique aucune perfection législative. Rares sont d’ailleurs les initiatives parlementaires à pouvoir s’en prévaloir !
Certains, comme Mme la rapporteure, ont reproché à ce texte un manque de précision. D’autres observateurs, que vous avez reçus, madame la rapporteure, jugent au contraire qu’il corsèterait trop le champ d’application de l’écocide et ne serait pas applicable. J’aurais beau jeu de renvoyer ces deux avis divergents dans leurs cordes pour prétendre à une forme d’équilibre législatif…
Mais les sénateurs socialistes connaissent la nécessité d’aboutir à des lois largement acceptées pour être efficaces. Aussi, je répondrai aux critiques par une main tendue, tant vers la droite de l’hémicycle que vers Mme la secrétaire d’État.
Madame la rapporteure, chers collègues de la majorité sénatoriale, le préjudice écologique cher à M. Retailleau avait exigé plusieurs années de discussion et de navette parlementaire pour aboutir. Certains parmi vous ont pointé les progrès que notre législation peut encore accomplir en matière de protection de l’environnement. Dans notre département, madame Mercier, la population avait été choquée par les faibles peines auxquelles avaient été condamnés les responsables de la pollution de la décharge de Montchanin, dont les origines remontent à 1979. La semaine dernière, le pays entier s’est ému de voir Vinci polluer de manière très significative la Seine dans le cadre d’un chantier du Grand Paris. Que risque Vinci ? 75 000 euros d’amende ! Voilà pourquoi nous devons revoir, dans notre pays, l’échelle des peines pour ce qui concerne la criminalité environnementale.
Dans mon esprit, la pollution provoquée par Vinci est grave. Elle ne constitue pas pour autant un écocide, qui a vocation à incarner le pire du pire en matière de criminalité environnementale. J’espère d’ailleurs que la qualification d’écocide sera utilisée le moins souvent possible. Le but, c’est que les peines encourues soient dissuasives.
Plusieurs conceptions de l’écocide s’affrontent. Nous avons échangé avec Mme Esther Benbassa, Mme Sophie Taillé-Polian a signé ce texte, et des collègues de plusieurs groupes ont déposé des amendements. Plusieurs partis défendent, chacun avec sa sensibilité, le concept d’écocide au niveau européen dans le cadre des prochaines élections des eurodéputés.
Nous avons aussi entendu les remarques de Mme Valérie Cabanes, juriste reconnue en la matière, qui souhaiterait objectiver l’atteinte irréversible à l’environnement en s’appuyant sur le concept de limites planétaires. Mme Cabanes, dont l’engagement et la technicité juridique au service de la reconnaissance du crime d’écocide sont indéniables, s’est exprimée à l’ONU le 22 avril dernier à l’occasion de la journée de la Terre.
D’autres considèrent au contraire que le droit français existant est suffisant. C’est sans doute la vision défendue par le Gouvernement et l’administration, mais des intervenants reconnus pour leurs compétences en droit de l’environnement nous ont fait part de leur scepticisme quant à cet état de fait. Même après l’adoption du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, des progrès sont attendus.
Notre groupe a d’ailleurs, en la matière, d’autres propositions à avancer ; en témoignera notamment une proposition de loi que Mme Bonnefoy déposera prochainement.
Mes chers collègues, les lacunes de notre arsenal juridique encouragent le jeu mortifère de la destruction de l’environnement. Nous nous abstenons de combler ce vide, alors même que nous avons pleinement connaissance des agissements de criminels ou d’entreprises malveillantes.
En prenant l’initiative, nous pouvons ouvrir la voie à d’autres pays et à la conclusion de traités internationaux. Rappelez-vous, mes chers collègues, ce qui nous était expliqué, il y a deux ans à peine, à propos de la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères : on nous avait dit qu’elle placerait l’entreprise France en faillite et qu’elle obérerait les intérêts économiques de nos champions nationaux. Elle est aujourd’hui prise en exemple en Suisse, en Allemagne et au niveau européen. Surtout, elle contribue, à son niveau, à améliorer les conditions de travail dans les usines textiles du Bangladesh.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement nous répondra probablement – je le comprends, même si j’espère encore me tromper – qu’il n’est pas prêt aujourd’hui à faire entrer l’écocide dans le droit pénal national. Je ne partage pas cet avis,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Attendez que le Gouvernement s’exprime !
M. Jérôme Durain, auteur de la proposition de loi. … mais je le respecte.
Pour autant, madame la secrétaire d’État, seriez-vous prête à vous engager personnellement pour rejoindre, à nos côtés, la mobilisation générale en faveur de la reconnaissance du crime d’écocide lancée par des juristes, des ONG, des parlementaires, des citoyens ? Nous attendons de vous que vous appuyiez, à votre niveau, cette mobilisation. Nous vous en remercions par avance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie Mercier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, après avoir organisé, en 2015, la COP21, qui a abouti à la conclusion des accords de Paris, notre pays accueille cette semaine, au siège de l’Unesco, des scientifiques et des diplomates issus de plus de cent trente pays chargés d’évaluer l’état de la biodiversité.
Qu’il s’agisse du climat ou de la préservation de nos écosystèmes, le même constat alarmant peut être formulé : les activités humaines entraînent une telle dégradation de notre environnement naturel que c’est non seulement notre bien-être à moyen et à long terme qui est menacé, mais notre survie même.
À ces enjeux globaux s’ajoutent des pollutions plus localisées : nous nous souvenons tous de la marée noire de l’Erika, en 1999, qui avait souillé les côtes bretonnes ; nous connaissons le problème du déversement de boues rouges en Méditerranée ; nous avons entendu parler, tout récemment, de rejets de béton dans la Seine par un grand groupe de bâtiment et travaux publics.
Face à ces multiples atteintes à l’environnement, la France s’est progressivement dotée d’un arsenal législatif étoffé : dès les années 1970, nous avons adopté des dispositions relatives aux installations classées et avons introduit dans notre législation le principe « éviter-réduire-compenser », dit ERC, qui implique d’éviter, dans toute la mesure du possible, les atteintes à la biodiversité et, à défaut, d’en réduire la portée, afin de compenser les atteintes qui n’ont pu être empêchées.
Plus près de nous, en 2016, la réparation des atteintes à l’environnement a franchi une étape importante, comme l’a rappelé M. Jérôme Durain, avec l’inscription de la notion de préjudice écologique dans le code de l’environnement, sous l’impulsion de Bruno Retailleau. Nous travaillons bien sûr dans le cadre défini par la Charte de l’environnement, qui affirme, dans son article 1er, le droit pour chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé.
Nos collègues du groupe socialiste et républicain proposent aujourd’hui d’aller plus loin en inscrivant dans notre code pénal un nouveau crime d’écocide, dont la définition s’inspirerait de celle du génocide.
Selon les termes de la proposition de loi, le crime d’écocide serait constitué en cas d’action concertée tendant à la destruction ou à la dégradation totale ou partielle d’un écosystème et ayant pour effet de porter atteinte, de façon grave et durable, à l’environnement et aux conditions d’existence d’une population.
Ce crime serait puni d’une peine de vingt ans de réclusion criminelle et d’une amende de 7,5 millions d’euros, éventuellement assorties de peines complémentaires. Le montant de l’amende serait multiplié par cinq lorsque l’infraction est commise par une personne morale.
Le texte prévoit également de sanctionner la provocation à l’écocide – il s’agit de punir les instigateurs, et pas seulement les exécutants – ainsi que le fait pour un groupe d’individus de préparer un écocide.
En outre, par analogie avec le génocide, le crime d’écocide serait déclaré imprescriptible.
La commission des lois comprend les intentions des auteurs de la proposition de loi et elle partage leur volonté de sanctionner fermement les atteintes à l’environnement.
S’agissant d’un texte de droit pénal, nous devons néanmoins être attentifs au respect de certaines conditions tenant à la précision et à la clarté de la loi pénale, qui sont des exigences de nature constitutionnelle.
Or les travaux que j’ai menés au nom de la commission ont montré que la rédaction de ce texte souffrait de trop d’imprécisions pour que l’on puisse déterminer en toute rigueur à quelles situations il trouverait à s’appliquer.
D’une manière générale, le texte n’opère pas de distinction entre activités légales et illégales : il donne l’impression qu’une entreprise dont l’activité dégraderait l’environnement pourrait être poursuivie quand bien même elle se conformerait scrupuleusement à toutes les prescriptions réglementaires en vigueur.
Tel qu’il est rédigé, le texte n’indique pas clairement si la dégradation de l’environnement doit être le but recherché par les auteurs de l’infraction ou s’il peut s’agir d’une conséquence de leur activité, ce qui couvrirait un champ beaucoup plus large.
La proposition de loi fait en outre référence à des notions qui paraissent bien floues : comment apprécier les limites d’un écosystème ? Qu’entend-on par « atteinte grave et durable à l’environnement » ? Que vise la référence aux conditions d’existence d’une population et comment déterminer les contours de cette population ?
Outre cette critique interne, il convient de s’interroger sur l’apport de ce texte au regard des dispositions de droit pénal de l’environnement déjà en vigueur.
Il ne nous semble pas qu’il existe aujourd’hui de lacune dans notre droit positif qui rende indispensable la création de ce crime d’écocide : nos services de contrôle et nos tribunaux disposent de tous les outils juridiques pour sanctionner les atteintes à l’environnement commises sur notre territoire.
Le code de l’environnement comporte déjà de nombreuses incriminations pénales qui permettent de sanctionner, par exemple, les rejets polluants en mer, les atteintes au patrimoine naturel ou à la conservation des espèces, la pollution des eaux, le rejet dans l’atmosphère de substances polluantes ou la mauvaise gestion des déchets.
Par ailleurs, des incriminations pénales plus générales peuvent être utilisées pour réprimer les atteintes à l’environnement lorsque des individus en sont victimes, par exemple le délit d’atteinte involontaire ayant entraîné la mort ou celui de mise en danger de la vie d’autrui.
Je souligne également que les pouvoirs publics ont à leur disposition une palette de sanctions administratives qu’ils peuvent utiliser pour mettre un terme à des infractions environnementales : un exploitant peut être mis en demeure de se conformer à ses obligations, sous peine de sanctions financières, sans qu’il soit nécessaire de saisir le juge pénal.
Dans ce contexte, notre commission est arrivée à la conclusion que l’introduction dans notre droit d’une nouvelle incrimination de portée générale, aux contours assez flous, ne s’imposait nullement. Il nous paraît préférable de mobiliser d’autres outils pour renforcer la protection de l’environnement, à l’échelle internationale et dans le cadre national.
À l’échelle internationale, la France pourrait par exemple œuvrer en faveur de la conclusion d’un traité définissant un socle de sanctions, lesquelles seraient ensuite déclinées dans le droit interne de chaque État partie, afin d’encourager ceux dont la législation environnementale est la moins développée à se rapprocher des meilleurs standards. Une telle approche serait cohérente avec les réflexions développées au sujet de l’écocide par certains universitaires, qui appellent de leurs vœux une évolution du droit international.
Dans notre pays, nous pouvons certainement renforcer les moyens de contrôle afin que nos règles environnementales soient mieux respectées. Sur ce point, le projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité et de la chasse, adopté par le Sénat le 11 avril dernier, contient des mesures techniques intéressantes, avec notamment le rapprochement de l’Agence française pour la biodiversité et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et le renforcement des pouvoirs des inspecteurs de l’environnement.
Je signale également qu’une mission conjointe du ministère de la justice et du ministère de la transition écologique a été lancée en 2018 pour améliorer l’application du droit de l’environnement, notamment en renforçant la formation des magistrats et en mettant à l’étude une meilleure spécialisation des juridictions dans la protection de l’environnement et de la biodiversité. C’est aussi grâce à des mesures pragmatiques de ce type que l’on peut faire avancer les choses.
Il nous appartient de mobiliser une palette d’outils pour avancer ensemble sur le chemin de la transition écologique : fixer des normes plus exigeantes en matière de protection de l’environnement, utiliser le levier fiscal pour orienter les comportements, financer des programmes de recherche pour développer des technologies vertes, etc.
Voilà quelques pistes qui montrent que l’on peut être réservé concernant la reconnaissance d’un crime d’écocide sans être partisan de l’immobilisme en matière environnementale.
Au total – vous l’avez compris, mes chers collègues –, la commission des lois vous propose de ne pas adopter cette proposition de loi. Si nous sommes conscients de l’urgence qu’il y a à agir sur le terrain de la protection de l’environnement, nous ne sommes pas certains que la solution proposée par les auteurs de ce texte soit techniquement aboutie, ni même que l’aggravation de la répression pénale soit l’orientation à privilégier dans ce domaine.
Nous nous réjouissons néanmoins de l’opportunité que nous donne l’examen de ce texte de débattre dans l’hémicycle de cet enjeu crucial qu’est la protection de l’environnement. Je suis convaincue que de nos échanges émergeront des propositions qui viendront enrichir la réflexion du Gouvernement au moment où s’annonce une mobilisation nationale pour l’emploi et les transitions.
Pour finir, je ferai miens les mots de Marshall McLuhan, inventeur du concept de village planétaire : « Il n’y a pas de passagers sur le vaisseau Terre ; nous sommes tous des membres de l’équipage. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Jérôme Durain, pour commencer, merci : merci pour cette proposition de loi qui nous donne l’occasion d’aborder un enjeu essentiel, qui me tient particulièrement à cœur, celui de la préservation de nos écosystèmes, du futur de notre planète, et donc de l’humanité.
Il est d’autant plus opportun que nous en débattions aujourd’hui que, comme le soulignait Mme la rapporteure, la réunion de l’IPBES, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, a lieu actuellement ici, à Paris, sur l’initiative du Gouvernement, à l’invitation de la France. Je me réjouis donc de pouvoir évoquer ce sujet en détail avec vous, ici, ce soir.
Monsieur le sénateur Durain, en inscrivant la question de la reconnaissance du crime d’écocide à l’ordre du jour de votre assemblée, j’imagine, ou plutôt je sais, que vous avez eu l’occasion de parcourir le travail de Polly Higgins, et je voudrais me joindre à l’hommage que vous lui avez rendu. Je tiens d’ailleurs à souligner ici à quel point elle fut une juriste vraiment remarquable. Elle a consacré la majeure partie de ses cinquante années d’existence à tenter de convaincre son pays et la communauté internationale de la nécessité d’inscrire le crime d’écocide dans notre droit international. Et le fait que nous en parlions ici ce soir montre combien ce genre d’idées, qui peuvent d’abord paraître surprenantes, finissent peu à peu par s’imposer comme nécessaires.
Dans l’une de ses prises de parole, Polly Higgins utilisait, pour rendre compte de son opinion sur le sujet, une image que je trouve intéressante : prenez une pièce ; côté pile, vous avez les droits de l’homme, et, côté face, les responsabilités de l’homme. Les uns ne peuvent aller sans les autres, et inversement. Or notre droit fondamental est le droit à la vie. Et celui-ci ne peut être garanti si la perte de cette même vie n’est pas elle-même criminalisée. Le droit à la vie va donc de pair avec le fait d’assumer la responsabilité de ne pas tuer.
C’est non seulement la question de la protection d’une vie qui se pose, mais celle de la protection de notre qualité de vie et de toutes les vies qui s’épanouissent sur Terre et doivent pouvoir continuer à le faire. Ainsi le droit de bénéficier d’un environnement sain va-t-il de pair avec la responsabilité de ne pas détruire ce même environnement, pour soi et pour les autres.
En prolongeant le raisonnement, la reconnaissance du crime d’écocide s’impose donc, pour Polly Higgins. Cette reconnaissance pénale acterait notre reconnaissance d’un droit à la vie qui serait un droit de la Terre, protégeant les écosystèmes qu’elle héberge et les services vitaux qu’elle nous rend ; elle signifierait aussi que nous assumons notre responsabilité dans sa dégradation.
En la matière, en effet, nous savons ; et les réunions de l’IPBES continuent de faire la lumière sur ce qui se passe actuellement.
Ce point, justement, me semble être le point crucial des échanges que nous aurons aujourd’hui : la reconnaissance de notre responsabilité à l’égard de la Terre.
Dans ces conditions, un pays peut-il assumer seul une responsabilité attachée aux droits et aux responsabilités de tant d’autres ? Je crois que non. Mais cela ne doit pas dédouaner la France de ses propres responsabilités. En la matière, nous disposons déjà d’un arsenal robuste. À l’échelle internationale, nous œuvrons en faveur d’un droit de l’environnement plus protecteur encore ; nous sommes en particulier extrêmement mobilisés – le Président de la République l’est lui-même – s’agissant du projet de pacte mondial pour l’environnement dont, j’en suis sûr, vous avez tous ici plus qu’entendu parler.
La lutte contre la criminalité environnementale est une préoccupation constante du Gouvernement. Vous le savez : nous nous appliquons à la renforcer.
Je vais vous donner un exemple, parmi beaucoup d’autres – madame la rapporteure, vous l’avez vous-même évoqué – : le projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, qui est en cours d’examen, renforce considérablement les pouvoirs des inspecteurs de l’environnement – c’est le but.
Je pense également à la mission confiée, le 16 janvier dernier, par le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire et par la garde des sceaux au CGEDD, le Conseil général de l’environnement et du développement durable, et à l’IGJ, l’Inspection générale de la justice, pour renforcer l’effectivité du droit de l’environnement. Cette mission va notamment nous permettre d’évaluer l’intérêt d’une spécialisation des magistrats chargés de la répression des atteintes à l’environnement.
Il est vrai, en effet, que notre législation ne comporte pas, aujourd’hui, d’incrimination générique susceptible de s’appliquer à des atteintes à l’environnement d’une extrême gravité. Nous disposons néanmoins d’une palette efficace de sanctions et de dispositifs de contrôle, de nature administrative aussi bien que pénale, ainsi que d’incriminations spécifiques – je pense par exemple au terrorisme écologique, à la pollution maritime, aux atteintes à l’environnement commises en bande organisée.
Par ailleurs, comme vous le savez, dès lors que les atteintes à l’environnement ont des conséquences pour les populations, certaines incriminations de droit commun relevant du code pénal sont déjà applicables : homicide, blessures involontaires, mise en danger.
Aujourd’hui, au regard notamment des exemples qui figurent dans l’exposé des motifs de cette proposition de loi, il me semble que le caractère transnational des faits qualifiés d’écocide justifierait l’adoption d’un corpus juridique international préalablement à la création d’incriminations nationales. Tel est d’ailleurs l’un des objectifs du pacte mondial pour l’environnement que défend le Gouvernement au sein de l’ONU, en mobilisant des États du monde entier.
J’attire également votre attention sur le fait que, rédigée de la sorte, la proposition de loi ne tranche pas les questions de compétence susceptibles de se poser – je pense par exemple à son application dans l’espace.
La définition de l’incrimination qui y est proposée est par ailleurs plutôt imprécise, s’agissant de surcroît d’une qualification criminelle. Qu’entend-on par « destruction partielle » ? Quel périmètre donner à un écosystème ? Ces questions sont fondamentales ; nous devons continuer à y travailler collectivement. D’ailleurs, la tenue prochaine de la COP15, qui aura lieu en Chine, nous donne aussi l’occasion de continuer à travailler sur ces notions qu’il nous faut préciser et impérativement aborder à l’échelle internationale.
En outre, dans sa présente rédaction, le texte apparaît assez flou – je ne le dis pas de façon péjorative. Il pourrait, me semble-t-il, trouver à s’appliquer à des activités qui sont parfaitement légales, tant il manque parfois de précision : par exemple, de grands projets d’infrastructures susceptibles d’entraîner la dégradation d’un écosystème ou la modification des conditions d’existence d’une communauté sans que cette dégradation ou cette modification soient suffisamment définies et détaillées. Nous pourrions alors nous trouver dans une situation qui serait source d’insécurité juridique.
Cela dit – je tiens vraiment à y insister –, nous restons ouverts à la poursuite des réflexions sur ce thème, notamment dans le cadre de la mission conjointe du ministère de la transition écologique et solidaire et du ministère de la justice, qui vise à renforcer le dispositif pénal en matière de criminalité environnementale.
Qu’il s’agisse d’un renforcement des incriminations existantes ou d’une réflexion sur la notion d’écocide au niveau international, nous serons attentifs et actifs, car, comme je vous l’assurais en introduction, le Gouvernement a placé la préservation de notre biodiversité et de nos écosystèmes en haut de la liste de ses priorités. C’est là – je conclurai ainsi, comme j’ai commencé – une des raisons pour lesquelles nous tenions tant à accueillir l’IPBES en France, et l’une des raisons pour lesquelles nous sommes si heureux de le faire.
Je vous remercie de votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, et me réjouis d’avance des débats à venir.