compte rendu intégral
Présidence de Mme Valérie Létard
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
M. Victorin Lurel.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. Conformément aux dispositions de l’article L. 567-1 du code électoral, la commission des lois a fait connaître qu’elle a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – 28 voix pour, 3 voix contre – à la nomination par le président du Sénat de M. Michel Sappin aux fonctions de membre de la commission prévue au dernier alinéa de l’article 25 de la Constitution.
3
Permis à points et limitation de vitesse à 80 km/h
Rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi relative à l’aménagement du permis à points dans la perspective de l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure sur le réseau secondaire, présentée par Mme Sylvie Goy-Chavent et plusieurs de ses collègues (proposition n° 392 [2017-2018], rapport n° 239).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sylvie Goy-Chavent, auteur de la proposition de loi.
Mme Sylvie Goy-Chavent, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi relative à l’aménagement du permis à points entame son parcours parlementaire dans le cadre de la niche réservée au groupe Union Centriste, sans lequel ce texte n’aurait jamais été soumis au vote.
En effet, le Gouvernement n’y est pas favorable, pas plus que la commission des lois du Sénat, laquelle a émis à son sujet un avis défavorable, comme pour empêcher tout débat parlementaire public sur la politique de sécurité routière et le permis à points, alors que près de cent dix sénateurs ont cosigné cette proposition de loi. Je le regrette.
Comme vous le savez, depuis son annonce, le 9 janvier 2018, dans le cadre d’un grand plan de sécurité routière, l’abaissement de la limitation de vitesse de 90 à 80 kilomètres par heure cristallise l’opposition d’une majorité des automobilistes et de très nombreux élus locaux. Rappelons que la décision du Gouvernement a été prise sans aucune concertation ni avec les associations d’automobilistes, ni avec les conseils départementaux – pourtant gestionnaires des routes –, ni avec les parlementaires.
Malgré de très vives protestations, cette mesure a donc été imposée aux Français le dimanche 1er juillet dernier. Il n’est pourtant pas du tout certain qu’Emmanuel Macron ait été élu à la présidence de la République pour cela. Peut-être en paye-t-il un peu le prix aujourd’hui ?
Maire d’une commune rurale pendant plus de vingt ans, au contact direct de mes concitoyens, j’ai très vite compris que le Gouvernement commettait une grave erreur en imposant les 80 kilomètres par heure et j’ai tenté d’alerter le Président de la République, par l’intermédiaire du ministre de l’intérieur. À défaut d’être entendue, voire seulement écoutée, j’ai pris l’initiative de rédiger le texte qui vous est aujourd’hui soumis et que vous avez été très nombreuses et très nombreux à cosigner, sur toutes les travées, j’y insiste. Je vous en remercie sincèrement.
Cette proposition de loi a le mérite d’ouvrir le débat essentiel de l’équilibre à trouver en matière de sécurité routière.
Le permis à points s’inscrit dans un cadre préventif et pédagogique, son but est d’inciter les usagers de la route à modifier leur comportement. Je suis la première à reconnaître que, malgré d’incontestables progrès, la mortalité routière demeure un fléau dans notre pays. Chaque année, des milliers de vies sont brisées et des milliers de familles sont détruites.
À travers cette proposition de loi, il ne s’agit en aucun cas pour moi de remettre en cause la légitimité du permis à points et encore moins d’encourager des comportements à risque sur nos routes. Le Gouvernement nous assure que l’abaissement de la vitesse à 80 kilomètres par heure a fait baisser la mortalité routière.
M. Jean-Pierre Corbisez. C’est faux !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Je souhaite de tout cœur que ce soit effectivement le cas. Pour autant, il nous faudra bien fixer des limites : pour lutter contre la mortalité routière, en effet, pourquoi ne pas réduire partout la vitesse à 70, 60 ou même 50 kilomètres par heure ? Avec une vitesse maximale de 50 kilomètres par heure, la baisse de la mortalité serait sans doute spectaculaire, mais à quel prix sur le plan économique ? Nos concitoyens seraient-ils prêts à l’accepter ?
Vous voyez bien que tout est question d’équilibre et que cet exercice a des limites.
Le choix du Gouvernement de réduire la vitesse à 80 kilomètres par heure relève d’une décision de statisticiens et de technocrates. Les cadres de La République En Marche sont intelligents – de leur propre aveu, ils le sont même trop pour nous –, mais, en vérité, ils n’ont souvent aucune expérience politique, aucune expérience de terrain et sont complètement déconnectés de la vraie vie des Français.
Mes chers collègues, on ne fait pas de la politique avec des chiffres, on fait de la politique avec le cœur quand on aime les Français, quand on aime la France.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. En revanche, on ne fait pas de politique avec la sécurité routière !
Mme Sylvie Goy-Chavent. J’invite donc le Gouvernement à penser aux dizaines de millions de Français qui habitent les zones rurales ou périurbaines et qui n’ont d’autre choix que de prendre leur voiture chaque jour pour aller travailler, pour aller faire leurs courses, pour emmener leurs enfants à l’école, à la crèche, etc. Dans ces zones, il n’y a pas d’alternative.
Pour ces millions de Français, dont je fais partie, le permis de conduire est une nécessité ; sans permis, vous êtes mort socialement, dans cette France laborieuse, qui se lève tôt pour aller travailler, qui a le goût de l’effort, cette France des campagnes et des périphéries urbaines, cette France trop souvent méprisée et qui se sent aujourd’hui abandonnée.
Que pensent nos concitoyens chaque fois qu’ils perdent un point pour un excès de vitesse de 135 kilomètres par heure au lieu de 130, de 113 kilomètres par heure au lieu de 110, de 82 kilomètres par heure au lieu de 80, de 51 kilomètres par heure au lieu de 50 ? C’est de cela que nous parlons aujourd’hui et pas d’autre chose.
Sommes-nous sourds aux appels des Français ? Ne sont-ils pas assez nombreux à défier nos institutions sur les ronds-points et à détruire les radars sur le bord des routes ? Que devront-ils faire encore pour que nous les écoutions enfin ?
N’en déplaise au Gouvernement, les automobilistes français ne sont pas tous des délinquants, ce sont des citoyens intelligents qui ont compris l’effet pédagogique du permis à points, mais qui en ont assez de se sentir piégés, voire humiliés, et, en tout état de cause, pas entendus ou mal représentés. Tous n’ont pas les moyens de s’offrir des stages de récupération de points ou des chauffeurs.
Ce qui est en cause, ce n’est pas la politique de sécurité routière, c’est le sentiment d’injustice qui gangrène notre pays. Comment voulez-vous être ferme si vous n’êtes pas juste, monsieur le secrétaire d’État ? À force de toujours taper sur les automobilistes, le Gouvernement est-il juste ?
Avant de faire passer des mesures répressives au forceps, j’aurais souhaité que le Gouvernement annonce un plan massif d’investissements sur le réseau secondaire, qui est dégradé. Monsieur le secrétaire d’État, le mauvais état des infrastructures n’est-il pas en cause dans un accident mortel sur deux ? Nos collectivités, financièrement exsangues en raison de la baisse des dotations, n’ont pas les moyens de les entretenir correctement.
Je profite de cette prise de parole pour évoquer ici les centaines de milliers de faux permis étrangers qui circulent dans notre pays. On dit que 5 % à 10 % des permis de conduire sont des faux – quand les conducteurs ont un permis ! –, mais aucun ministre ne monte à la tribune de cet hémicycle ou ne se rend au 20 heures pour parler de cela !
Une collègue sénatrice me disait hier que ma proposition de loi ne servait à rien. Ma foi, nous verrons ; les Français jugeront.
Comment voulez-vous que la colère ne monte pas dans notre pays ? En rédigeant ce plaidoyer, j’ai fait quelques recherches et j’ai constaté que le permis à points avait été instauré par la loi du 10 juillet 1989. Le symbole est fort : deux cents ans plus tôt, le 10 juillet 1789, le peuple de Paris incendiait les barrières de l’octroi, montrant sa volonté de supprimer les impôts aux portes de la ville et de reprendre son destin en main.
M. Arnaud de Belenet. La guillotine n’était pas loin !
Mme Sylvie Goy-Chavent. Mes chers collègues, je ne cherche pas à récupérer l’exaspération qui s’exprime sur les ronds-points, pas plus que je ne minimise l’intérêt pédagogique du permis à points. Je voudrais seulement démontrer la nécessité de répondre à la colère qui monte dans le pays et qui deviendra très vite incontrôlable.
Aménager le permis à points ne la fera pas taire, je vous l’accorde, mais voter en faveur de ce texte serait un très bon signal adressé à nos concitoyens et le Sénat en sortirait grandi.
Pour les dépassements de vitesse entraînant la perte d’un seul point, pourquoi ne pas permettre à nos concitoyens de récupérer ce point à l’issue d’une période de trois mois au lieu de six mois actuellement, sous réserve, bien sûr, qu’ils n’aient commis aucune nouvelle infraction ?
Mes chers collègues, faisons preuve de raison et de sagesse. Pour les Français, votons ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd’hui à nous prononcer sur une proposition de loi, déposée par Mme Sylvie Goy-Chavent et plusieurs de nos collègues, relative à l’aménagement du permis à points dans la perspective de l’abaissement de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure sur le réseau secondaire.
Ce texte s’inscrit dans un contexte que nous connaissons tous et dont nous avons déjà eu à débattre au Sénat : la forte incompréhension de la population à propos de l’abaissement de 90 à 80 kilomètres par heure de la vitesse maximale autorisée sur les routes bidirectionnelles sans séparateur central. Je mesure, mes chers collègues, l’engagement de chacun d’entre vous sur cette question particulièrement sensible dans le contexte social actuel et qui nous vaut régulièrement des sollicitations de nos concitoyens.
À titre de compensation de ce durcissement de la réglementation routière, les auteurs de la proposition de loi entendent alléger les sanctions appliquées aux infractions les moins graves, en assouplissant les règles de récupération de points.
Le dispositif proposé, que nous a rappelé notre collègue Sylvie Goy-Chavent, est relativement simple : il consiste à réduire de six mois à trois mois le délai dans lequel les personnes ayant perdu un seul point à leur permis de conduire peuvent le récupérer, si elles n’ont pas commis, dans ce délai, de nouvelles infractions.
Il s’agit, dans l’esprit des auteurs de la proposition de loi, d’éviter que le passage à 80 kilomètres par heure ne pénalise de manière démesurée les usagers de la route, en leur faisant risquer de perdre plus de points sur leur permis de conduire.
Notons que quatre infractions seulement sont aujourd’hui concernées par le retrait d’un seul point : les petits excès de vitesse, inférieurs à 20 kilomètres par heure ; l’absence de port de gants homologués par les motocyclistes ; le chevauchement d’une ligne continue et le chevauchement des lignes délimitant les bandes d’arrêt d’urgence sur autoroute.
Pour autant, si peu d’infractions sont concernées, le champ d’application de la proposition de loi serait assez large, car plus de la moitié des points qui sont chaque année retirés le sont pour de petites infractions au code de la route.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est là tout le problème !
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. En 2017, par exemple, sur les quelque 15 millions de points de permis de conduire qui ont été retirés, près de 9 millions l’ont été pour des infractions légères, punies du retrait d’un seul point.
Au vu de ces chiffres, nous pouvons affirmer que l’impact de la proposition de loi serait loin d’être mineur.
Mme Sylvie Goy-Chavent. En effet !
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. Les auteurs de ce texte soulèvent, assurément, une question essentielle, partagée par l’ensemble de nos collègues de la commission des lois : celle de l’équilibre à trouver en matière de sécurité routière.
Nous le savons, l’efficacité des règles de sécurité routière repose, en partie, sur leur compréhension par la population et sur leur degré d’acceptabilité. Une mesure qui n’est pas acceptée ne sera que peu respectée, c’est d’ailleurs la position que nous avions défendue, avec Michel Raison et Michèle Vullien, dans notre rapport d’information sur le passage aux 80 kilomètres par heure.
Dans ce contexte, il paraît donc essentiel de s’interroger, comme le font les auteurs de la proposition de loi, sur la manière de lutter efficacement contre la délinquance routière, sans pour autant que les mesures adoptées soient jugées injustes et pénalisantes pour les usagers de la route les plus vertueux.
Cette même interrogation a d’ailleurs conduit le Gouvernement à lancer récemment une réflexion sur la valorisation des comportements responsables sur la route. Une étude sur le sujet a été confiée au Conseil national de la sécurité routière ; son président, Yves Goasdoué, que nous avons reçu en audition, nous a indiqué que les conclusions de ce rapport seraient prochainement remises. Plusieurs propositions sont envisagées, parmi lesquelles l’idée d’introduire une forme de sursis sur le retrait de points.
Si le sujet mérite sans aucun doute d’être évoqué, la solution avancée dans cette proposition de loi ne paraît toutefois ni aboutie ni suffisante, pour deux raisons principales.
La première est que la réduction de la durée de récupération de points pourrait constituer un signal négatif en matière de lutte contre l’insécurité routière. Il existe en effet un risque important que les conducteurs, certains de récupérer leurs points plus rapidement, adoptent des comportements à risque. (Mme Sylvie Goy-Chavent se montre dubitative.) La durée de six mois est déjà courte, si nous la réduisons, nous risquons de nuire à la vertu pédagogique du permis à points et à son efficacité en matière de lutte contre les infractions routières.
Notons d’ailleurs que les personnes qui commettent une petite infraction ne sont actuellement informées du retrait de points qu’au bout de deux mois, en raison des délais de recours et des délais techniques liés à la gestion des flux. Si nous abaissions le délai de récupération de points à trois mois, les personnes concernées se verraient informées de leur retrait d’un point et de sa récupération de manière quasiment simultanée, ce qui diminuerait assurément l’utilité de la sanction.
Enfin, il est important de rappeler que la proposition de loi ne porterait pas uniquement sur les excès de vitesse commis sur les routes limitées à 80 kilomètres par heure : seraient concernés tous les excès de vitesse inférieurs à 20 kilomètres par heure, y compris ceux qui sont commis sur les autoroutes ou en agglomération, ainsi que les infractions de franchissement de ligne que j’ai citées précédemment.
La seconde raison a trait à l’utilité de la proposition de loi. Les statistiques nous montrent que les délais actuellement prévus pour la récupération de points ne sont pas disproportionnés. En effet, une partie significative des points retirés chaque année pour de petites infractions au code de la route sont récupérés automatiquement, dans les délais prévus par la loi. Cela a été le cas, en 2017, pour les trois quarts, environ, des points retirés.
De plus, très peu de personnes perdent leur permis de conduire point par point, c’est-à-dire en ne commettant que de petites infractions : ce cas de figure n’a concerné, en 2017, que 121 invalidations de permis de conduire sur un total de 61 714. La plupart des personnes concernées perdent donc leur permis en raison d’infractions lourdes au code de la route, et non de petits excès de vitesse.
Dans ces conditions, réduire à trois mois la durée de récupération de points n’aurait que très peu d’impact sur les invalidations de permis de conduire.
Je le répète : cette proposition de loi aborde un débat essentiel, que nous nous devons de conduire, en tant que législateurs ; toutefois, au regard de l’utilité incertaine du dispositif envisagé et de l’impact négatif que celui-ci pourrait avoir en matière de sécurité routière, la commission des lois a estimé qu’elle n’apportait pas de solution viable.
La sécurité routière, nous le savons tous, est une matière complexe et ses enjeux sont trop importants pour adopter des dispositions à la légère : je rappelle que plus de 3 500 personnes perdent encore la vie chaque année sur la route.
Il paraît dès lors préférable de conditionner toute évolution législative du permis à points à la conduite d’une étude d’impact approfondie, afin de garantir l’efficacité des mesures proposées et d’éviter tout effet de bord. Je ne doute pas, d’ailleurs, que la réflexion actuellement menée par le Conseil national pour la sécurité routière contribuera utilement à ce débat. Monsieur le secrétaire d’État, peut-être pourrez-vous nous apporter quelques précisions sur ce point ?
Il apparaît enfin d’autant plus nécessaire de surseoir à légiférer en la matière que le Président de la République a fait preuve, la semaine dernière, à l’occasion du lancement du grand débat national, d’une certaine ouverture à l’égard de la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure. Il n’a pas exclu, au vu de l’incompréhension d’une grande partie de la population, de revenir sur cette mesure mise en place de manière généralisée et sans aucune concertation locale.
Plutôt que d’adopter des dispositions de compensation, restons donc fidèles à la position du Sénat et continuons à soutenir l’ouverture de concertations au niveau des départements en vue d’adapter la réduction des vitesses aux réalités de chaque territoire.
Pour l’ensemble de ces raisons et tout en reconnaissant l’intérêt du débat soulevé, je vous invite, au nom de la commission des lois, à ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, madame la sénatrice Sylvie Goy-Chavent, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui vise à aménager le système de retrait de points sur le permis de conduire en fonction de la gravité des infractions commises par le conducteur.
Avant d’évoquer devant vous le contenu de ce texte, je souhaite apporter des éléments de contexte et rappeler que le mouvement continu de baisse de la mortalité routière, constaté depuis 2003, a marqué le pas entre 2014 et 2017.
Le nombre de morts liés à l’accidentalité routière est resté stable au cours de ces dernières années, à un niveau trop élevé, insupportable pour l’ensemble de la société française. Or, nous le savons, l’essentiel de la mortalité enregistrée intervient sur le réseau routier secondaire.
Afin de faire reculer ce phénomène, le Gouvernement a pris un ensemble de décisions au cours du comité interministériel de la sécurité routière réuni en janvier 2018. Au nombre de celles-ci figure l’abaissement à 80 kilomètres par heure de la vitesse maximale autorisée sur les routes bidirectionnelles hors agglomération, entré en vigueur le 1er juillet 2018.
L’analyse du bilan de cette mesure devrait être communiquée par le Gouvernement de façon imminente. Je puis vous indiquer, ainsi que je l’ai fait hier à l’occasion des questions d’actualité au Gouvernement, que la tendance est positive, si l’on se borne à constater, en première analyse, les baisses de la mortalité enregistrées depuis le 1er juillet, par rapport aux mêmes mois en 2017. Il convient d’ailleurs, à ce titre, de souligner que l’augmentation massive des dégradations et des destructions de radars depuis la mi-novembre aura nécessairement un impact négatif, nous le savons, quels que soient les efforts déployés pour les remettre en état.
Pour en revenir à l’objet de cette proposition de loi, je souhaite rappeler que les conducteurs qui commettent un excès de vitesse inférieur à 20 kilomètres par heure sur les routes où la vitesse maximale autorisée a été ramenée à 80 kilomètres par heure se voient sanctionnés par le paiement d’une amende et le retrait d’un point. Cette sanction respecte le principe de proportionnalité appliqué en matière de permis à points.
En effet, le nombre de points retirés sur le permis de conduire varie en fonction du niveau de dépassement de la vitesse : il est de deux points pour un dépassement compris entre 20 et 30 kilomètres par heure, de trois points entre 30 et 40 kilomètres par heure, de quatre points entre 40 et 50 kilomètres par heure et atteint six points à partir de 50 kilomètres par heure au-delà de la vitesse autorisée. Dans ce dernier cas, l’infraction est constitutive d’une contravention de cinquième classe et sa récidive matérialise le délit de grand excès de vitesse.
L’exposé des motifs de cette proposition de loi met en avant la différence que ferait naître l’abaissement à 80 kilomètres par heure de la vitesse maximale autorisée, dans le traitement des infractions, selon que celles-ci aient été commises en zone rurale ou en agglomération.
Or je souhaite rappeler que le code de la route distingue déjà un excès de vitesse inférieur à 20 kilomètres par heure commis en dehors d’une agglomération, puni d’une amende prévue pour les contraventions de troisième classe, d’un même dépassement de vitesse en agglomération, sanctionné, quant à lui, d’une amende de quatrième classe.
Par ailleurs, il convient de souligner que le délai de restitution du point perdu à la suite d’une infraction pour laquelle ce retrait est prévu a déjà été ramené d’un an à six mois.
M. Alain Fouché. C’était une très bonne décision !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Ce délai est apparu comme un point d’équilibre, j’y reviendrai. La loi du 14 mars 2011 a en outre étendu la possibilité d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière chaque année au lieu d’une fois tous les deux ans auparavant, pour récupérer des points.
En 2017, plus de 6 millions de restitutions d’un point au terme d’une période de six mois ont été effectuées, contre seulement 5,3 millions en 2016. Le nombre de restitutions d’un point a donc augmenté de près de plus de 13 % entre ces deux années.
Réduire encore ce délai serait incohérent, à nos yeux, avec les objectifs de la sécurité routière. À cet égard, il convient de nouveau de rappeler que c’est dans les zones rurales que la mortalité est la plus élevée.
En outre, les retraits successifs d’un point non restitué demeurent une cause marginale d’invalidation du permis de conduire. Ainsi, malgré la règle de cumul des contraventions prévue par l’article 132–7 du code pénal, seulement 121 personnes en France ont vu leur permis de conduire invalidé en 2017 pour solde nul en n’ayant commis qu’un seul type d’infraction : des excès de vitesse inférieurs à 20 kilomètres par heure.
La réduction que vous proposez aurait des effets très limités sur la perte de points, puisque 78 % des retraits d’un point sont à ce jour restitués, et que 77 % des titulaires du permis de conduire disposent de la totalité de leurs points. En revanche, cela pourrait avoir des effets psychologiques importants, dont nous ne pouvons présumer, mais qui risquent d’amener certaines personnes à faire moins attention à leur vitesse sur la route.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Les Français sont intelligents !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Enfin, la gestion du permis à points, mise en œuvre par le système national des permis de conduire, est soumise au délai d’enregistrement des infractions, qui est en moyenne de deux mois. En réduisant le délai de restitution du point à trois mois, l’usager pourrait avoir connaissance du retrait d’un point et de sa restitution pratiquement simultanément. Ce dispositif retirerait par conséquent tout l’intérêt pédagogique souhaité par le législateur dès 1992, qui est rappelé, à juste titre, dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi.
Pour conclure, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, croyez bien que l’objectif du Gouvernement n’est pas de mettre des bâtons dans les roues aux Français, comme je l’ai entendu dire, mais bien de limiter le nombre d’accidents graves et, à cette fin, de mener une politique efficace de prévention contre les excès de vitesse. C’est pourquoi je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur cette proposition de loi.
Si je comprends les raisons qui ont conduit les sénateurs à la déposer et à l’examiner, je vous rappelle, comme je l’ai fait hier lors des questions d’actualité au Gouvernement, que la limitation de vitesse à 80 kilomètres par heure sur le réseau secondaire est expérimentale. Elle fera l’objet d’une évaluation et sera discutée au cours du grand débat, car la mobilité se situe au cœur des préoccupations de nos concitoyens, en particulier de ceux qui résident en zone rurale et qui, au quotidien, empruntent les 400 000 kilomètres du réseau secondaire.
Il convient de mettre en perspective cette mesure expérimentale au regard de quelques points.
Tout d’abord, les chiffres provisoires dont je dispose indiquent que, sur les six premiers mois d’application de l’abaissement de la limite de vitesse à 80 kilomètres par heure, le nombre de tués est en baisse.
Avec Christophe Castaner, ensuite, nous avons demandé une analyse au délégué interministériel à la sécurité routière afin de mesurer l’impact réel de cette disposition en matière d’effets induits, sur les temps de déplacement, la cohabitation entre les poids lourds et les véhicules particuliers, la consommation de carburant ainsi que la production de CO2.
Enfin, il ne faudra pas éluder la question de la responsabilité des gestionnaires de voirie. Remonter la vitesse sur un axe, c’est en effet accepter d’y voir l’accidentalité augmenter de nouveau. À cet égard, l’avis des présidents de conseil départemental sera essentiel. Le cas échéant, ainsi que le Président de la République l’a rappelé, le dispositif pourra être aménagé.