M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Colette Mélot. Toutefois, il faut bien admettre qu’il s’agit d’une option dont la probabilité d’application vient de faire un bond considérable en moins de quarante-huit heures. Comme vous l’avez dit, madame la ministre, il vaut mieux un no deal qu’un mauvais deal…
Nous voterons, bien entendu, en faveur de ce texte tel qu’il a été amendé par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme cela a déjà été rappelé à plusieurs reprises lors de l’examen de ce projet de loi en première lecture, les parlementaires apprécient généralement peu le recours aux ordonnances.
À cette occasion, nous avions néanmoins largement estimé sur ces travées que la grande incertitude sur le devenir de l’accord de retrait entre l’Union et le Royaume-Uni permettait de justifier cette solution, en réalité la seule possible pour permettre au Gouvernement d’adopter, dans l’urgence, les mesures qui s’imposent afin de limiter les effets néfastes du Brexit, tout particulièrement en cas d’absence d’accord.
Justement, le rejet mardi soir par la Chambre des communes de l’accord de retrait et de la déclaration politique sur les futures relations euro-britanniques a en quelque sorte « accéléré » cette urgence. Désormais, le retrait sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne au 29 mars est, sinon une certitude, tout au moins une véritable possibilité.
Le scénario catastrophe du no deal tant redouté, souvent décrit au Royaume-Uni comme un « saut de la falaise », a en effet pris davantage corps avec le vote du Parlement britannique. Or l’échéance du Brexit interviendra, sauf retournement de situation, dans à peine un peu plus de soixante-dix jours, c’est-à-dire demain.
Les conséquences d’une sortie sans accord seraient innombrables au niveau tant économique, juridique, financier sécuritaire que géostratégique, ou encore, ne l’oublions pas, humain. Elles restent difficiles à appréhender avec précision, mais il est évident qu’elles seraient absolument considérables, pour Londres en premier lieu, mais aussi pour l’Europe dans son ensemble et la France en particulier, seul pays, je le rappelle, à partager une frontière terrestre, bien que celle-ci soit souterraine, avec le Royaume-Uni.
Sans période de transition pour installer la future relation, la rupture serait brutale et aucune mesure de préparation ne permettrait dans ce contexte un Brexit indolore pour l’économie européenne et nationale.
Toutefois, il est fondamental que tout ce qui peut être fait pour amortir autant que possible le choc soit entrepris sans délai. L’Union européenne a récemment accéléré ses travaux en la matière et finalise en ce moment même plusieurs mesures de contingence dans ses domaines de compétence. Le niveau national doit naturellement faire de même dans les siens.
C’est pourquoi le groupe Les Républicains votera bien évidemment en faveur de ce projet de loi, que l’excellent travail de notre rapporteur Ladislas Poniatowski, très largement repris par les conclusions de la commission mixte paritaire, a par ailleurs permis d’améliorer à plusieurs points de vue.
Madame la ministre, permettez-moi de rappeler à cette tribune une évidence : l’adoption aujourd’hui de ce projet de loi n’est en rien un aboutissement, bien au contraire. Je n’ose pas dire qu’il s’agit d’un point de départ, puisque certains pans de la préparation au Brexit ont déjà été lancés ; il s’agit plutôt d’un feu vert du Parlement qui doit permettre au Gouvernement, grâce à ces ordonnances, de déployer tous les moyens et d’entreprendre toutes les actions nécessaires.
Je pense bien sûr en premier lieu aux investissements, à la fois humains et matériels, indispensables pour redimensionner et adapter nos systèmes de contrôles douaniers à la nouvelle réalité, notamment dans le domaine sanitaire et phytosanitaire.
Il y a encore quelques semaines, notre pays semblait en retard dans ses préparatifs administratifs par rapport à d’autres États comme la Belgique ou les Pays-Bas, ce qui pourrait avoir, pour les régions bordant la Manche et la mer du Nord, des conséquences aussi fâcheuses qu’immédiates en matière de captation de flux commerciaux. Or il est essentiel qu’un éventuel défaut d’adaptation de nos structures, notamment portuaires, n’en vienne pas à constituer un nouveau désavantage compétitif par rapport à nos voisins, qui sont également nos concurrents.
À ce titre, le Royaume-Uni a récemment alloué 2 milliards de livres à la préparation d’une sortie sans accord, portant à plus de 4 milliards de livres les fonds destinés aux préparatifs en vue du Brexit depuis 2016. Madame la ministre, pouvez-vous nous livrer une estimation des moyens budgétaires qui seront mobilisés à l’échelon national pour faire face à la nouvelle situation ?
Par ailleurs, des efforts considérables devront également être fournis pour mettre en place un accompagnement d’urgence auprès de nos entreprises, qui, pour beaucoup, auront de grandes difficultés à gérer simultanément l’augmentation des droits de douane à venir et l’éventuel changement dans la nature juridique des relations entre l’Europe et le Royaume-Uni. En effet, celles-ci pourraient être bientôt régies par les seules règles de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, et non plus celles du marché unique.
Or les récentes déclarations du président du MEDEF International sur l’état de préparation des entreprises françaises sont particulièrement inquiétantes et laissent entrevoir de nombreuses complications.
Je le répète, mon groupe soutiendra ce texte qui, malgré les précisions utiles apportées lors de son examen parlementaire, propose toujours des habilitations de portée très générale.
C’est pourquoi dans la période tumultueuse qui s’annonce, et pour reprendre la nouvelle rédaction de l’article 4, nous resterons particulièrement attentifs à demeurer informés sans délai et de manière circonstanciée des mesures prises par le Gouvernement dans le cadre des ordonnances, et souhaitons être informés de manière régulière de leur état de préparation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte.
projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du royaume-uni de l’union européenne
Article 1er
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi pour tirer les conséquences d’un retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord conclu conformément à l’article 50 du traité sur l’Union européenne, en matière :
1° De droit d’entrée et de séjour des ressortissants britanniques en France ;
2° D’emploi des ressortissants britanniques exerçant légalement à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne une activité professionnelle salariée en France ;
3° D’exercice, par une personne physique ou morale exerçant légalement à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, d’une activité ou d’une profession dont l’accès ou l’exercice sont subordonnés au respect de conditions. Les qualifications professionnelles et l’expérience professionnelle acquises au Royaume-Uni sont immédiatement reconnues dès lors que les titulaires de celles-ci exercent leur activité en France à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ;
4° De règles applicables à la situation des agents titulaires et stagiaires de la fonction publique de nationalité britannique ;
5° D’application aux ressortissants britanniques résidant légalement en France à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne de la législation relative aux droits sociaux et aux prestations sociales ;
6° De contrôle sur les marchandises et passagers à destination et en provenance du Royaume-Uni et de contrôle vétérinaire et phytosanitaire à l’importation en provenance du Royaume-Uni ;
7° De réalisation d’opérations de transport routier de marchandises ou de personnes sur le territoire français, y compris en transit, par des personnes physiques ou morales établies au Royaume-Uni.
Dans les conditions prévues au premier alinéa du présent I, le Gouvernement est également habilité à prendre toute autre mesure relevant du domaine de la loi nécessaire au traitement de la situation des ressortissants britanniques résidant en France ou y exerçant une activité ainsi que des personnes morales établies au Royaume-Uni et exerçant une activité en France afin de préserver les intérêts de la France.
II. – Les ordonnances prévues au I visent, dans l’attente, le cas échéant, de traités ou d’accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni, à tirer les conséquences de l’absence d’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, en définissant les conditions :
1° Du maintien en France des ressortissants britanniques résidant légalement sur le territoire national au moment du retrait du Royaume-Uni ;
2° De la poursuite sur le territoire français des activités économiques liées au Royaume-Uni, en veillant à préserver l’attractivité du territoire français pour les ressortissants britanniques appelés à exercer une activité professionnelle au sein d’entreprises ayant fait le choix de se déployer en France ;
2° bis Du maintien des agents titulaires et stagiaires de la fonction publique de nationalité britannique recrutés avant la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, dans les conditions de statut et d’emploi qui sont les leurs sans qu’une condition de nationalité ne puisse leur être opposée ;
3° De la poursuite des flux de marchandises et de personnes à destination et en provenance du Royaume-Uni, en veillant à la garantie d’un niveau élevé de sécurité en France, y compris dans le domaine sanitaire ;
4° et 5° (Supprimés)
Ces ordonnances peuvent prévoir des adaptations de la législation de droit commun ou des dérogations, ainsi que des procédures administratives simplifiées et des délais de régularisation pour les personnes morales ou physiques concernées.
Ces ordonnances peuvent prévoir que les mesures accordant aux ressortissants britanniques ou aux personnes morales établies au Royaume-Uni un traitement plus favorable que celui des ressortissants de pays tiers ou de personnes morales établies dans des pays tiers cesseront de produire effet si le Royaume-Uni n’accorde pas un traitement équivalent.
III. – Les ordonnances prévues au présent article sont prises dans un délai de douze mois à compter de la publication de la présente loi.
Article 2
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi pour tirer les conséquences d’un retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord conclu conformément à l’article 50 du traité sur l’Union européenne, en ce qui concerne :
1° La prise en compte, pour l’ouverture et la détermination des droits sociaux, des périodes d’assurance, d’activités ou de formation professionnelle exercées ou effectuées au Royaume-Uni jusqu’à six mois après la date de son retrait de l’Union européenne ;
2° La prise en compte des diplômes et des qualifications professionnelles acquis ou en cours d’acquisition au Royaume-Uni jusqu’à cinq ans après la date de son retrait de l’Union européenne et de l’expérience professionnelle acquise au Royaume-Uni à la date du retrait ;
3° La poursuite par les bénéficiaires de licences et d’autorisations de transfert de produits et matériels à destination du Royaume-Uni, délivrées en application des articles L. 2335-10 et L. 2335-18 du code de la défense avant la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, de la fourniture de ces produits et matériels jusqu’à l’expiration du terme fixé par ces licences et autorisations ;
4° L’accès des entités françaises aux systèmes de règlement interbancaire et de règlement livraison des pays tiers, dont le Royaume-Uni, en assurant le caractère définitif des règlements effectués au moyen de ces systèmes, la désignation d’une autorité compétente pour la supervision des activités liées à la titrisation, l’introduction de règles spécifiques pour la gestion de placements collectifs dont l’actif respecte des ratios d’investissement dans des entités européennes, la continuité de l’utilisation des conventions– cadres en matière de services financiers et la sécurisation des conditions d’exécution des contrats conclus antérieurement à la perte de la reconnaissance des agréments des entités britanniques en France ;
5° La continuité des flux de transport de passagers et de marchandises entre la France et le Royaume-Uni à travers le tunnel sous la Manche en vue d’assurer le respect par la France de ses engagements en tant que concédant du tunnel sous la Manche.
II. – Les ordonnances prévues au I visent, dans l’attente, le cas échéant, de traités ou d’accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni, à :
1° Préserver la situation des ressortissants français et des autres personnes auxquelles le droit de l’Union européenne interdit de réserver un traitement différent, dans les champs mentionnés aux 1° et 2° du même I ;
2° Préserver les intérêts de la France.
III. – Les ordonnances prévues au présent article sont prises dans un délai de douze mois à compter de la publication de la présente loi.
Article 3
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi rendues nécessaires par le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, afin de prévoir le régime procédural simplifié et temporaire applicable aux travaux en vue de la construction ou de l’aménagement en urgence de locaux, installations ou infrastructures portuaires, ferroviaires, aéroportuaires et routiers requis par le rétablissement des contrôles des marchandises et des passagers à destination ou en provenance du Royaume-Uni.
Les ordonnances prévues au présent article peuvent rendre applicables aux opérations mentionnées au premier alinéa du présent I directement liées à l’organisation de ces contrôles des adaptations ou des dérogations, y compris en matière d’aménagement, d’urbanisme, d’expropriation pour cause d’utilité publique, de préservation du patrimoine, de voirie et de transports, de domanialité publique, de commande publique, de règles applicables aux ports maritimes, de participation du public et d’évaluation environnementale, afin de les adapter à l’urgence de ces opérations.
II. – Les ordonnances prévues au présent article sont prises dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi.
Article 4
L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai et de manière circonstanciée des mesures prises par le Gouvernement dans le cadre des ordonnances prises en application de la présente loi. Ils sont également informés de manière régulière de leur état de préparation et peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures.
Pour chacune des ordonnances prévues aux articles 1er à 3, un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de six mois à compter de sa publication.
M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 22 janvier 2019 :
À neuf heures trente : questions orales.
À quatorze heures trente :
Proposition de résolution en application de l’article 73 quinquies du règlement, sur l’appui de l’Union européenne à la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en Irak, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues (n° 156, 2018‑2019).
Explications de vote puis vote sur la proposition de loi organique tendant à actualiser les dispositions applicables aux élections organisées à l’étranger, présentée par M. Christophe-André Frassa et plusieurs de ses collègues (n° 58, 2018‑2019) et sur la proposition de loi tendant à améliorer le régime électoral des instances représentatives des Français établis hors de France et les conditions d’exercice des mandats électoraux de leurs membres, présentée par M. Christophe-André Frassa et plusieurs de ses collègues (n° 57, 2018‑2019).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq et, éventuellement, le soir :
Éventuellement, suite de l’explication de vote puis vote sur la proposition de loi organique tendant à actualiser les dispositions applicables aux élections organisées à l’étranger, présentée par M. Christophe-André Frassa et plusieurs de ses collègues (n° 58, 2018-2019) et sur la proposition de loi tendant à améliorer le régime électoral des instances représentatives des Français établis hors de France et les conditions d’exercice des mandats électoraux de leurs membres, présentée par M. Christophe-André Frassa et plusieurs de ses collègues (n° 57, 2018‑2019).
Proposition de loi relative aux articles 91 et 121 de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, présentée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 242, 2018‑2019).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures cinquante.)
Direction des comptes rendus
ÉTIENNE BOULENGER