M. André Gattolin. Eh oui !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. … qui relèvent de mesures de contingence européennes et non nationales. Néanmoins, soyez certains que nous y sommes particulièrement attentifs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’ensemble des raisons que je viens d’exposer, je vous demande de voter ce projet de loi d’habilitation : il est indispensable pour que notre pays puisse faire face à toutes les situations, y compris à une absence d’accord ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que, conformément à la décision de la conférence des présidents, les interventions des orateurs au cours de la discussion générale vaudront explications de vote.
La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi aujourd’hui soumis à notre approbation est le fruit d’une commission mixte paritaire à la fois conclusive et très constructive, grâce au travail remarquable conduit par les deux rapporteurs spéciaux, Alexandre Holroyd, pour l’Assemblée nationale, et Ladislas Poniatowski, que je salue, pour le Sénat.
Tous deux l’ont fort justement souligné durant la commission mixte paritaire du 18 décembre dernier : l’urgence de préparer au mieux notre pays aux conséquences du Brexit justifiait le pragmatisme et la flexibilité dont le Parlement a su faire preuve en cette occasion. En effet, madame la ministre, ce n’est pas rien pour des parlementaires, notamment dans un régime comme le nôtre, marqué par la prééminence de l’exécutif, d’accepter le recours aux ordonnances en lieu et place de la production ordinaire de la loi.
Les négociations conduites par nos deux rapporteurs spéciaux ont heureusement permis, en contrepartie de notre acceptation de légiférer par ordonnances, de renforcer le rôle du Parlement dans l’élaboration, le contrôle et l’évaluation de ces mêmes ordonnances. Il s’agit là d’une très bonne chose.
Néanmoins, voilà tout juste deux jours, la Chambre des communes a rejeté les accords entre le gouvernement britannique et l’Union européenne. Son vote massif nous oriente, hélas, toujours plus vers l’hypothèse d’un Brexit dur au soir du 29 mars prochain ; et il démontre, s’il le fallait encore, que l’intelligence et le pragmatisme de notre représentation nationale, au-delà de ses habituels clivages politiques, ont de quoi faire pâlir de jalousie certains de nos homologues d’outre-Manche !
Cela étant, les raisons de nous réjouir s’arrêtent malheureusement là ; car si la Première ministre britannique est parvenue hier soir, et de justesse, à sauver sa place malgré la motion de défiance présentée contre son gouvernement, l’avenir politique et économique du Royaume-Uni a de quoi nous alarmer. Il nous inquiète, bien sûr, pour la nation britannique, son peuple et ses élites confondues. Mais il nous inquiète également pour nous-mêmes, étant donné les conséquences importantes qu’un Brexit dur aura pour l’économie européenne en général, et pour l’économie française en particulier.
Ces derniers mois, certains d’entre nous se sont parfois enthousiasmés des possibles retombées positives du Brexit pour notre économie, notamment pour la place financière de Paris. Ils oubliaient un peu vite que c’est avec son voisin d’outre-Manche que notre pays jouit de son plus fort excédent commercial…
Notre secteur agroalimentaire a tout à perdre d’une sortie sans accord du Royaume-Uni : c’est vrai, non seulement pour les pêcheurs, mais aussi pour ce fleuron de l’économie française qu’est le marché de Rungis. Ses exportations représentent plus de 10 % de son chiffre d’affaires, et les échanges avec le Royaume-Uni représentent une part importante de ce volume.
Voilà maintenant cinquante-cinq ans, seize auteurs de qualité, dirigés par l’écrivain d’origine hongroise et naturalisé britannique Arthur Koestler, publiaient un ouvrage consacré au Royaume-Uni et intitulé Suicide d’une nation ? Ce livre collectif décrivait avec sévérité les atermoiements de la Grande-Bretagne face aux changements en Europe et dans le monde, son attachement à un Commonwealth périmé, que la décolonisation rendait obsolète, son hésitation à adhérer au Marché commun et sa nostalgie d’une grandeur passée qui privait la société britannique de tout dynamisme.
Or, dix ans plus tard, le royaume, dont le gouvernement était dirigé par Edward Heath, adhérait à la Communauté économique européenne, la CEE avec le soutien de Georges Pompidou. Cet acte quasiment révolutionnaire, face à l’apathie anglaise de l’époque, a apporté à la Grande-Bretagne un nouveau souffle historique ; mais, quarante-cinq ans après son entrée dans l’Union, qui, au passage, lui a permis de passer du sixième au cinquième rang mondial et d’en finir avec la guerre civile en Irlande du Nord, le Royaume-Uni a choisi, démocratiquement et en toute irrationalité, de faire le chemin inverse.
Cette grande plume de la presse française qu’est Richard Liscia l’a excellemment écrit, pas plus tard qu’hier : « Voilà comment l’ADN démocratique d’un très grand pays européen a été génétiquement modifié par une bande de voyous populistes, j’ai nommé principalement Boris Johnson et Nigel Farage, des hommes qui ont prospéré sur le mensonge à des fins purement politiciennes, et dont le comportement, en définitive, n’est pas trop éloigné de la trahison pure et simple. » (Mme Colette Mélot et M. Olivier Henno applaudissent.)
M. Jean Bizet. Très juste !
M. André Gattolin. Certes, le propos est violent et n’engage que son auteur ; mais j’estime comme celui-ci que ce grand pays voisin, lequel, par sa culture, demeure fondamentalement européen, s’est engagé dans une forme de suicide, dont nous n’avons pas vraiment à nous réjouir.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. André Gattolin. Je conclus, monsieur le président.
Tout acte suicidaire, qu’il émane d’une personne ou d’une nation, appartient en premier lieu à celui qui le décide. L’intéressé est la première et la plus grave victime de son acte, mais non la seule. Ces proches et ces amis du Royaume-Uni que nous sommes sont les victimes collatérales du Brexit : nous devons vivre avec.
Souhaitons, pour nos amis britanniques et pour nous-mêmes, que le Royaume-Uni profite des prochaines semaines pour se ressaisir enfin ! (M. Jean Bizet et Mme Colette Mélot applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce débat sur la demande d’habilitation du Gouvernement à prendre des mesures de préparation au retrait britannique illustre, comme nous l’avons souligné lors de la première lecture, la crise que traversent aujourd’hui l’Union européenne et le projet européen tout entier.
Nous l’avons souligné : cette crise est inédite par sa gravité et son ampleur, car elle dépasse le cas britannique. L’Union européenne n’est plus, aux yeux de tous, à même de faire la richesse des nations ou d’assurer la prospérité des peuples. À cet égard, je n’approuve pas les propos qu’André Gattolin vient de prononcer, et je constate que nous n’avons pas toujours analysé les causes profondes de la décision du peuple britannique.
Ce débat met également en lumière le rapport de force entre le Parlement et le gouvernement britanniques, qui ne tourne pas toujours au désavantage du premier.
Ainsi, après le vote d’un amendement à la loi de finances qui a fixé des limites au pouvoir du Gouvernement de modifier, à la suite du Brexit, la réglementation relative aux taxations indirectes, de nombreux observateurs de la vie institutionnelle britannique ont relevé le peu de docilité dont les députés de la Chambre des communes ont fait preuve face à l’exécutif, en rejetant le projet de retrait mardi dernier. Or, comme l’a déclaré Theresa May hier, « la Chambre a parlé et ce gouvernement écoutera ».
L’exécutif britannique a donc trois jours pour présenter un nouvel accord au Parlement, au risque de laisser la possibilité à ce même Parlement de définir les conditions du Brexit, si le Gouvernement n’y parvenait pas.
Je tenais à relever ce point en préambule, car, malgré les difficultés, voire le chaos que connaissent nos amis britanniques, le vote d’hier démontre, d’une certaine manière, la vitalité de leur démocratie parlementaire. Le Parlement est un véritable contre-pouvoir à l’exécutif, et les parlementaires de la majorité ne sont pas de simples godillots. C’est aussi cela, une véritable démocratie représentative.
Je regrette donc d’autant plus que, une fois encore avec ce projet de loi d’habilitation, la majorité de l’Assemblée nationale n’ait pas su préserver les avancées votées par le Sénat.
Comme l’a rappelé notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, lors des débats au Sénat, le Gouvernement a supprimé une bonne partie du travail de la commission spéciale. Je reprends ses termes : « Cette dernière a pourtant fait du bon travail et n’a pas cherché à enquiquiner le Gouvernement en le mettant en difficulté. Elle a, au contraire, tenté très sincèrement d’aider en tenant compte de la situation des Britanniques, y compris après le Brexit, qu’il y ait ou non accord. »
Nous l’avions déjà souligné au sujet de ce projet d’habilitation : même si l’urgence est réelle, le Gouvernement demande des pouvoirs dérogatoires à nos yeux trop étendus, qu’il s’agisse de l’urbanisme, de l’aménagement, du respect du droit de l’environnement ou des règles de la commande publique.
D’ailleurs, nous l’avons souligné lors des débats, la question des aménagements nécessaires afin d’assurer le contrôle des marchandises et des passagers en provenance et à destination du Royaume-Uni n’est pas nouvelle, tout comme la faiblesse de nos ports, par manque de vision claire et, surtout, d’investissements. C’est donc en première urgence, dès le début du quinquennat, qu’il aurait fallu construire des bureaux de douane et recruter les agents nécessaires à l’anticipation de cet événement historique qu’est le Brexit.
Toutefois, la finalité des ordonnances telle que précisée par le Sénat a été préservée, et l’information du Parlement a été renforcée.
Aussi, comme en première lecture, nous nous abstiendrons sur ce texte, malgré notre opposition de principe aux demandes d’habilitation, malgré aussi le fait que la situation d’urgence est pour partie le fait du Gouvernement, qui aurait dû anticiper l’hypothèse d’une sortie britannique sans accord ; il a d’ailleurs montré sa capacité à le faire en matière fiscale ou financière, lorsqu’il s’agissait de « renforcer » l’attractivité de la place financière de Paris.
Nous nous abstiendrons, car le sort des ressortissants britanniques installés en France et des Français installés au Royaume-Uni ne peut souffrir d’incertitudes ; le projet d’habilitation permet d’y répondre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de l’Entente cordiale nos jours, les relations entre le Royaume-Uni et notre pays sont le fruit d’une longue construction qui a tenu bon malgré les soubresauts de l’histoire, particulièrement lorsque cette dernière s’est montrée sous son jour le plus tragique, lors de la Seconde Guerre mondiale.
Nos deux pays sont liés, et ils le resteront au-delà de la volonté des électeurs britanniques de sortir de l’Union européenne. Ils sont liés parce qu’ils sont voisins et à peine séparés par une bande de mer large de trente-six kilomètres. Ils sont liés par leur histoire entremêlée et leur mémoire commune. Ils sont liés, enfin, par les 200 000 Britanniques vivants sur le sol français et les près de 300 000 Français résidant outre-Manche. De nombreuses entreprises collaborent entre nos deux pays, au point que 30 000 sociétés françaises exportent, outre-Manche, l’équivalent de 3 % de notre PIB.
Malgré tout, rien ne sera sans conséquence pour nos deux pays. Dès lors, au-delà de nos regrets, nous ne pouvons qu’accompagner du mieux possible la décision de sortie de l’Union européenne.
C’est dans cet état d’esprit que nous avons abordé l’examen de ce projet de loi, et c’est dans cet esprit que nous poursuivrons notre travail. Mais, depuis l’annonce des résultats du référendum, la situation a pris une drôle de tournure. Le dernier soubresaut est survenu avec le vote de la Chambre de communes, ce mardi 15 janvier, qui s’est soldé par le rejet de l’accord sur le Brexit. Aucun doute n’a été levé par le Royaume-Uni ; pis encore, de nombreuses incertitudes viennent aggraver une situation déjà hasardeuse.
Ce projet de loi doit permettre de préparer l’éventualité d’un Brexit sans accord. Mais, en tout état de cause, il ne permettra que de gérer cette urgence, et toutes les incertitudes ne pourront être levées.
De très nombreux points d’inquiétude subsistent, d’autant que, malgré ces mesures pour lesquelles le Gouvernement nous demande notre habilitation, malgré les efforts consentis, nous serons difficilement prêts, en cas de Brexit, le 29 mars 2019.
Dans tous les cas, le degré d’impréparation du Royaume-Uni ne manquera pas d’avoir de lourdes conséquences.
Au rang de nos inquiétudes se trouve notamment la gestion des espaces frontaliers qui voient transiter, à titre d’exemple, plus de 5,2 millions de camions chaque année. S’y ajoutent des questions concrètes pour les déplacements de nos concitoyens et des sujets britanniques, pour nos étudiants et pour nos entreprises.
En outre, la Commission européenne doit mieux prendre en compte les conséquences du Brexit sur l’organisation et les activités de nos ports maritimes. Ces derniers méritent autant son attention que les ports hollandais et belges. Je pense notamment aux ports de Cherbourg et du Havre, dont les équipements et les personnels doivent certes être renforcés, mais dont le savoir-faire n’est plus à démontrer pour absorber les flux venus d’Irlande dans les meilleures conditions possible.
Je réitère également, au nom de mon groupe, les propos tenus par mon ami Didier Marie : à nos yeux, notre travail de parlementaires est d’accompagner le Gouvernement, en lui donnant les moyens d’agir avec flexibilité et réactivité, notamment par l’outil des ordonnances. Mais cette méthode doit engager le Gouvernement à garantir la plus grande transparence, en permettant au Parlement d’exercer pleinement ses capacités de contrôle.
Sur ce dernier point, nous serons inflexibles. Le Parlement doit pouvoir contrôler avec régularité et précision toutes les actions du Gouvernement dans le processus de sortie de l’Union européenne qu’a engagé le Royaume-Uni.
Ainsi, au-delà de nos travaux en séance, nous souhaitons avoir le retour du terrain le plus direct possible, et même être en mesure d’aller à la rencontre des différents acteurs, notamment au sujet des frontières maritimes.
C’est pourquoi nous avons apprécié la rédaction proposée par l’Assemblée nationale au premier alinéa de l’article 4 ; elle exprime le souci de garantir un véritable contrôle parlementaire, aussi bien sur la préparation des ordonnances que sur la mise en œuvre des mesures décidées dans le cadre de cette procédure.
Le présent texte confère une large marge d’action au Gouvernement pour prendre des mesures dérogatoires en matière d’aménagement, d’urbanisme et de règles relatives aux commandes publiques. En contrepartie, il importe donc que les parlementaires puissent jouer un véritable rôle de contrôle et d’évaluation des mesures adoptées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pendant trente-sept ans, j’ai été avocat, et j’ai rarement connu des divorces heureux ; en la matière, il est donc sage de se préparer au pire, pour éviter de le subir.
En l’occurrence, nous voyons les conséquences d’un référendum dans une démocratie considérée, à juste titre, comme exemplaire depuis des siècles. Toutefois, à mon sens, il n’est pas opportun de jeter systématiquement l’opprobre sur les populistes britanniques : nous avons les mêmes chez nous – ils sont peut-être encore pires –,…
M. Jean Bizet. En effet !
M. Jacques Mézard. … et, pour ce qui nous concerne, nous devrions d’ailleurs tirer les conséquences de ce qui se passe de l’autre côté de la Manche.
Les précédents orateurs l’ont rappelé : le Parlement britannique a rejeté, mardi dernier, l’accord proposé par le Premier ministre Theresa May. Ce texte était le résultat du très bon travail accompli par M. Barnier, qui – plusieurs l’ont rappelé ici – a su maintenir l’unité de tous les autres pays européens ; il s’agissait là d’une opération très difficile. (M. le rapporteur acquiesce.)
Il faut être parfaitement clair : dans les prochains débats que nous consacrerons à cette affaire, la réciprocité ne sera pas négociable.
Au cours de son histoire, notre groupe a toujours été attaché à la construction européenne, et il ne peut voir, dans ce qui se passe, que beaucoup de dégâts, résultant de beaucoup d’irresponsabilité.
Nos deux pays ont construit un tunnel, surtout payé, d’ailleurs, par les petits actionnaires français, par lequel nous espérions arrimer la Grande-Bretagne au continent, dans le respect de sa différence. Mais, aujourd’hui, c’est un mur que l’on est en train d’ériger, et un Brexit dur serait une catastrophe pour tout le monde, pour l’Europe comme pour la Grande-Bretagne.
C’est ainsi ; et, j’y insiste, cette situation doit nous conduire à réfléchir.
Nous devons considérer à la fois les problèmes de nos concitoyens français vivant en Grande-Bretagne et ceux des Britanniques présents sur notre sol, lesquels sont, sauf exception, nos amis. Ce qui se passe est extrêmement grave.
Madame la ministre, vous avez beaucoup travaillé en amont ; le Parlement aussi, tout particulièrement le Sénat. Et, par les temps qui courent, il m’est agréable de rappeler l’utilité du Sénat ; dans une belle démocratie, il est, de toute évidence, impossible de se passer du bicamérisme.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Il est bien de le rappeler !
M. Jacques Mézard. Bien sûr, les élus de notre groupe voteront le présent texte.
Mes chers collègues, nous n’avons jamais été de grands partisans des ordonnances – j’ai eu l’occasion de le rappeler. Certes, en tant que ministre, j’ai dû y recourir, mais vous savez que je l’ai fait avec douceur, et en les réduisant au minimum. Cela étant, en la matière, il était pratiquement impossible de faire autrement.
Nous souhaitons bien évidemment que le Parlement, et le Sénat en particulier, puisse continuer à vous apporter sa réflexion et ses propositions, madame la ministre ; cela nous paraît indispensable.
J’avais eu l’occasion de dire sous le précédent quinquennat, lors des premiers débats sur le Brexit, combien il était important aussi de rappeler les liens que nous avons avec la Grande-Bretagne et de ne rien faire, de notre côté, qui puisse accentuer la fracture, tout en étant très fermes sur les conditions de négociation.
Il ne faut jamais oublier que des Grands-Bretons, comme nous disons, ont beaucoup fait pour notre pays dans les heures les plus sombres. Je ne puis ainsi jamais parler du Brexit sans avoir une pensée pour Winston Churchill, qui a tant fait pour préserver la France, même si son regard portait plutôt vers l’Amérique.
Ne l’oublions pas, et essayons de faire en sorte – je sais que telle est votre conviction, madame la ministre – que la fermeté dans la discussion soit accompagnée du respect de l’histoire. Il est nécessaire de se dire que, malgré toutes ces difficultés, nous pourrons un jour reprendre un dialogue constructif. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est dans un contexte évidemment particulier que nous procédons aujourd’hui à la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi Brexit, dont nous venons de débattre longuement.
La situation politique britannique fait en effet peser encore davantage d’incertitudes sur les conditions de la sortie de ce pays de l’Union européenne. Le scénario du no deal étant de plus en plus probable, cela justifie plus que jamais la prise de mesures d’urgence, donc l’adoption de ce texte.
Malgré le flou qui entoure cette affaire depuis son commencement, il est certain que les effets attendus d’un Brexit sans accord seront probablement graves pour l’économie, tant britannique que française et européenne.
Ainsi, dans mon département, le Nord, mais aussi dans le Pas-de-Calais et dans les territoires qui en sont proches, de très nombreuses entreprises commercent quotidiennement avec le Royaume-Uni et sont dépendantes du principe de libre circulation qui est aujourd’hui remis en cause. Je ne suis d’ailleurs pas certain – c’est un euphémisme ! – que les entreprises aient pris la juste mesure des conséquences et qu’elles soient toutes prêtes.
Il ressort également que les infrastructures routières et portuaires ne sont pas adaptées aux longues files d’attente qu’entraînera nécessairement la remise en place de contrôles douaniers et sanitaires. Or la fluidité du trafic transmanche est essentielle pour l’activité de ces entreprises, et il en va de même pour des milliers d’entreprises ailleurs en France, tout comme chez nos voisins continentaux.
Nos collectivités et nos entreprises ne pourront pas seules faire face à un changement aussi radical et brutal. L’État et les autorités européennes doivent les accompagner et les protéger.
Le Brexit n’affectera pas seulement notre économie : il impactera aussi les droits de nos citoyens établis outre-Manche, la fonction publique, les étudiants en mobilité, et bien d’autres domaines encore. Le projet de loi a justement pour objet de répondre à ces enjeux, et le Gouvernement entend pour cela procéder selon un principe général de réciprocité. Si cette approche est légitime et indispensable, l’absence d’indications de la part de nos partenaires britanniques sur leurs intentions limite nécessairement sa mise en œuvre.
En clair, le problème est que ni le Parlement britannique ni l’opinion britannique ne savent réellement ce qu’ils veulent. C’est d’ailleurs une leçon sur les dangers des consultations populaires improvisées : il est plus facile de construire des majorités contre que des majorités pour. C’est à méditer, alors même que le référendum d’initiative citoyenne, le RIC, surgit dans le débat politique français.
David Cameron a voulu jouer au plus malin, et tel le rat avec l’huître dans les fables de La Fontaine, « tel est pris qui croyait prendre ». Dans la presse de ce matin, il a dit qu’il ne regrettait rien. Que diable, un peu d’humilité ferait du bien ! Je crois que David Cameron, tout comme le référendum en Angleterre, est hors-jeu pour longtemps, voire pour toujours. Tant mieux ! N’est pas Churchill qui veut…
Compte tenu de cette situation de confusion, je veux saluer le travail constructif des deux assemblées. Le Parlement n’est évidemment, cela a été dit, que rarement favorable a priori au recours aux ordonnances. Nous reconnaissons cependant que cette méthode est la plus adaptée pour faire face à l’urgence de la situation. Je pense notamment aux procédures d’urgence en matière d’urbanisme et à beaucoup d’autres encore.
La commission mixte paritaire a abouti à un texte équilibré, à même de permettre au Gouvernement de remplir pleinement ses objectifs pour limiter l’impact du no deal tout en bénéficiant des apports du Parlement. Je veux, à ce stade, saluer le travail du rapporteur Ladislas Poniatowski et le remercier à la fois de l’ambiance qui a régné parmi nous et des conclusions qui ont été rendues. Cette commission a constitué, pour le jeune sénateur que je suis, un moment d’apprentissage assez précieux.
Le groupe Union Centriste restera très attentif à la mise en œuvre des ordonnances prévues par le projet de loi, dans le respect des compétences du Gouvernement et du Parlement. Nous qui sommes des partisans de la belle et grande idée européenne, nous veillerons à ce que les intérêts de notre pays comme ceux de l’Union européenne soient préservés au mieux, dans le respect d’un partenaire historique de première importance. (M. Jean Bizet applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « les bons Européens sont ceux qui savent identifier les difficultés, essaient de les résoudre et ne se laissent jamais décourager ». Il nous revient plus que jamais de suivre cette phrase de Paul-Henri Spaak et de ne pas nous décourager face à la décision radicale prise mardi par la Chambre des communes britannique.
Le Royaume-Uni semble en effet avoir décidé de mettre fin de façon désordonnée à ses quarante-six ans d’appartenance à l’Union européenne, en rejetant un texte négocié durant plus de dix-sept mois ; je tiens, à cet égard, à saluer l’excellent travail mené par Michel Barnier. Ce rejet plonge le Royaume-Uni et l’Union européenne dans un état d’incertitude inédit.
Pourtant, en décembre dernier, Theresa May a réussi à repousser le vote dans l’espoir de parvenir à un accord avec les députés ou d’arracher une concession à Bruxelles. Échec des deux côtés. Or, en parallèle, l’horloge continue de tourner, la date du Brexit se rapproche : soixante-dix jours pour éviter de rompre dans le chaos et l’urgence. Les semaines à venir s’annoncent, à la fois, décisives et terriblement incertaines.
À l’heure du premier bilan, il est difficile d’évaluer la performance de Theresa May. Force est de constater que, en dépit d’élections anticipées catastrophiques, des démissions en série, des confrontations défavorables à Bruxelles, des revirements récurrents et des fausses informations répandues sur les réseaux sociaux, Theresa May a su faire preuve d’une capacité de résilience peu commune. On ne peut que l’admirer pour cela.
Comment ne pas en vouloir à cette classe politique britannique, première responsable de cette faillite collective, à commencer par le parti conservateur, qui risque de précipiter tout le Royaume-Uni dans un Brexit sans accord dont personne ne voulait ? Et que dire de cette coalition baroque regroupant les eurosceptiques et européistes irréductibles, les Écossais indépendantistes et les Nord-Irlandais unionistes, des conservateurs et des travaillistes, réunis pour s’opposer à un accord pour des raisons bien différentes les unes des autres ?
Dès lors, que faire ? Plusieurs hypothèses sont sur la table : renégociation de l’accord, nouveau référendum, élections anticipées, hard Brexit, Brexit sous conditions, motion de défiance… Certains évoquent même un report de la date du 29 mars, avec des conséquences ubuesques sur les élections européennes du 26 mai.
Il est consternant de constater que l’Europe est totalement impuissante et dépendante de la dynamique politique anglaise, alors même que les Européens ont multiplié les efforts et les signaux, y compris pour rassurer les Anglais sur le backstop irlandais.
Il convient de ne pas oublier que ce projet d’accord, froidement rejeté par le Royaume-Uni, s’inscrit à bien des égards dans une perspective plus large, celle de la construction d’une relation future entre les Européens et les Britanniques.
La France devra œuvrer avec ses partenaires européens, en maintenant l’unité et la solidarité des Vingt-Sept, pour trouver rapidement des solutions communes et pérennes. Le Royaume-Uni est et doit rester, d’une façon ou d’une autre, un partenaire de la France et de l’Europe.
Nous devons aller de l’avant, assurer cette continuité, mais aussi penser à l’avenir de l’Union européenne à vingt-sept, ainsi qu’à nos concitoyens, et veiller à répondre au mieux à leurs attentes.
De plus en plus d’hommes et de femmes sur notre continent ont le sentiment de ne pas être écoutés par une Europe qui se ferait sans eux. Les élections européennes de mai prochain, perturbées par le Brexit, ne doivent pas devenir une occasion ratée de faire vivre notre démocratie européenne.
Pour cela, il faut tout d’abord sécuriser les relations avec le Royaume-Uni, en prenant rapidement les mesures d’urgence nécessaires.
Déjà, les États membres commencent à prendre des mesures pour éviter tout vide juridique en cas de no deal : la Commission européenne a sorti en décembre un plan d’action d’urgence comprenant quatorze mesures pour éviter que ce scénario catastrophe ne heurte trop ses intérêts « vitaux », ceux de ses 450 millions de citoyens et de ses dizaines de milliers d’entreprises. Mais, nous le savons, c’est loin d’être suffisant.
Ce projet de loi, qui prévoit la mise en œuvre d’ordonnances en France, n’est sûrement pas la panacée. Toutefois, il permet de répondre dans l’urgence à un no deal et de préserver les intérêts des citoyens et des entreprises. Il permettra d’éviter que les 150 000 ressortissants anglais en France n’aient plus le droit de séjourner, que des avions ne soient cloués au sol ou que des médicaments ne puissent plus arriver jusqu’aux Britanniques, et de la même façon jusqu’en France, aggravant ainsi de part et d’autre le problème de la pénurie de médicaments.
Madame la ministre, les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires espèrent que le Gouvernement n’aura pas à prendre ces ordonnances. Cela signifierait l’échec des négociations et une rupture forte avec ce partenaire essentiel.