Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet, Mme Catherine Deroche.
2. Demande d’inscription à l’ordre du jour d’un projet de loi
3. Mise au point au sujet d’un vote
M. Simon Sutour ; M. André Gattolin ; M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes ; M. le président.
5. Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2018
M. Jean-François Husson, vice-président de la commission des finances
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
M. Simon Sutour ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; M. Simon Sutour.
M. Franck Menonville ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
Mme Nathalie Goulet ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; Mme Nathalie Goulet.
Mme Colette Mélot ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; Mme Colette Mélot.
M. André Gattolin ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; M. André Gattolin.
M. Pierre Laurent ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Jean Bizet ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; M. Jean Bizet.
M. Jean-Yves Leconte ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Pierre Moga ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; M. Jean-Pierre Moga.
M. Rachid Temal ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; M. Rachid Temal.
M. André Reichardt ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Yves Bouloux ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Cyril Pellevat ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
M. Cyril Pellevat ; Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes
Suspension et reprise de la séance
6. Convention fiscale avec le Grand-Duché de Luxembourg. – Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances
M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission des finances
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
Mme Catherine Deroche.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 13 décembre 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Demande d’inscription à l’ordre du jour d’un projet de loi
M. le président. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription à l’ordre du jour du vendredi 21 décembre, l’après-midi et le soir, du projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales.
Acte est donné de cette demande.
L’ouverture de la séance publique pour l’examen de ce texte serait fixée à seize heures.
Le délai limite pour le dépôt des amendements de séance serait fixé à l’ouverture de la discussion générale.
Le délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale serait, lui, fixé au jeudi 20 décembre, à quinze heures.
La commission des affaires sociales se réunira pour l’examen du rapport et du texte le vendredi 21 décembre, matin.
Le délai limite pour le dépôt des amendements pourrait être fixé à l’ouverture de la réunion de la commission.
Il n’y a pas d’observation ?…
Il en est ainsi décidé.
En conséquence, l’ordre du jour du vendredi 21 décembre s’établit comme suit :
À seize heures et le soir :
– Sous réserve de son dépôt et de sa transmission, projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales.
Ce texte sera envoyé à la commission des affaires sociales.
Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : à l’ouverture de la réunion de la commission ;
Réunion de la commission pour le rapport et le texte : vendredi 21 décembre, matin ;
Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : à l’ouverture de la discussion générale ;
Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : à l’issue de la discussion générale ;
Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : une heure ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : jeudi 20 décembre, à quinze heures.
3
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, le 12 décembre dernier, lors du scrutin public n° 39 sur les amendements identiques nos 1 et 14 rectifié tendant à supprimer l’article unique de la proposition de loi instituant des funérailles républicaines, je souhaitais voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
4
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour, pour un rappel au règlement.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, mon rappel au règlement porte sur l’organisation de nos travaux. Pour la première fois depuis que je siège dans cette assemblée, le débat relatif au Conseil européen se tient non pas avant, mais après la réunion dudit Conseil.
Pourtant, tel n’est pas l’esprit de la Constitution et de son article 88-4, qui suggère que chaque assemblée donne son point de vue, avant la tenue d’un Conseil européen, sur les différents points à l’ordre du jour, ainsi que sur d’autres sujets européens qui devraient y être abordés.
Lors de l’examen de l’article 37 du projet de loi de finances pour 2019 relatif au prélèvement au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne, nous avions également fait remarquer qu’un autre Conseil européen s’était tenu sur le Brexit. Or, bien qu’il s’agisse d’un sujet très important, le Sénat ne s’est pas réuni et n’a pas interrogé la ministre chargée des affaires européennes.
Mon groupe souhaite que les affaires européennes soient traitées comme il convient par notre assemblée.
Nous avions un système qui était parfait : la ministre intervenait, puis les présidents des commissions. Ensuite, se tenait un débat interactif, avec des questions-réponses.
Aujourd’hui, il paraît qu’il nous faut « bouger » ! Sans doute un peu d’euroscepticisme s’exprime-t-il ainsi, sans compter la volonté de réduire le temps de séance.
M. le président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, à qui je veux rendre hommage parce que je sais que sa tâche n’est pas facile, fera, lors de la conférence des présidents, des propositions qui permettront de mieux assurer, monsieur le président, le rôle constitutionnel du Sénat, dans le cadre de l’application de l’article 88-4 de la Constitution
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour un rappel au règlement.
M. André Gattolin. Monsieur le président, mes chers collègues, je ne comprends pas non plus cette inversion du calendrier. On sait déjà ce que de telles inversions valent en matière électorale !
Une telle évolution ne correspond pas à l’esprit d’une commission qui travaille dans le cadre de la subsidiarité, qui émet des avis motivés et dépose des propositions de résolution en amont des textes. La parole plurielle du Sénat était entendue par la ministre et ses prédécesseurs et au moment de leurs discussions avec leurs collègues européens. Il s’agissait d’un appui, voire d’un espace de critique, important. Je ne vois guère l’intérêt aujourd’hui de débats ex post, car nous disposons d’excellentes synthèses du Conseil publiées par la Commission.
Toutefois, nous participerons à ce débat, par égard pour la disponibilité de Mme la ministre en ce lundi après-midi. D’ailleurs, on voit, à l’ampleur de l’auditoire…
Mme Nathalie Goulet. Et à sa qualité !
M. André Gattolin. … et à sa qualité, l’attachement de nos collègues à ce débat, sans parler de la présence de M. le président du Sénat.
Néanmoins, nous n’avons pas débattu en amont des deux grandes réunions du Conseil européen, l’une extraordinaire, l’autre ordinaire, préparant le Brexit. Nous sommes muets sur cette question. Nous avons pourtant un groupe de suivi continu sur le sujet. Malheureusement, cela ne donne pas lieu à une expression publique, ce que je trouve vraiment dommageable.
Il s’agit là, semble-t-il, d’une période expérimentale. Or l’expérimentation sert non seulement à engager des procédures nouvelles qui fonctionnent bien, mais aussi à comprendre que nous commettons une erreur.
De surcroît, on nous avait parlé d’un gain de temps dans les débats parlementaires. Pourtant, voilà trois semaines, à la suite du tweet malencontreux d’un ministre, nous avons suspendu nos travaux pendant deux jours. Nous aurions eu alors l’occasion, monsieur le président, de mener au moins dix débats approfondis sur l’Europe en lieu et place de cette perte de temps.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Il est toujours délicat d’aborder une mutation. Je demanderai donc à mes collègues, avec lesquels nous échangeons, lors des réunions de commission, dans un esprit particulièrement constructif et transversal, de juger sur pièces.
Il y aura toujours un débat préalable, dans un autre hémicycle, où nous interpellerons précisément la ministre, en lui expliquant ce que pense le Sénat, et un débat post-Conseil destiné à recueillir les raisons pour lesquelles elle aura tenu tel ou tel propos ou pris telle ou telle décision.
S’agissant du Brexit, il existe un groupe de suivi, qui comprend dix membres de la commission des affaires étrangères et dix membres de la commission des affaires européennes. Celui-ci fait paraître une newsletter ; nous en sommes déjà au septième numéro. Nous publions régulièrement des notes extrêmement réactives et précises. La dernière date d’environ soixante-douze heures. Nous essayons de décrypter ce qui n’est pas facile à lire. Ne dites pas, mon cher collègue, que vous n’avez pas d’informations ! Le prochain débat est prévu à la mi-janvier 2019.
M. le président. Je vous donne acte, mes chers collègues, de vos rappels au règlement.
Je rappelle que la conférence des présidents qui se tiendra en janvier aura à examiner, sur le rapport de M. Bizet, en lien avec tous les présidents de groupe, la formule qui sera la meilleure.
Il s’agit de faire en sorte que les questions européennes soient au cœur des préoccupations du Sénat. Si la question du temps est subalterne par rapport à l’essentiel, encore faut-il que le temps soit efficace.
Je ne confonds pas cela avec le tweet d’un ministre, qui a eu l’occasion de retweeter, y compris pour dire l’inverse de ce qu’il avait indiqué ici au cours de débats financiers.
Je vous donne donc rendez-vous en janvier, mes chers collègues !
5
Débat à la suite de la réunion du conseil européen des 13 et 14 décembre 2018
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2018.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Quoi qu’il en soit, nous anticipons le débat qui se tiendra dans les jours qui viennent à la Chambre des communes et à la Chambre des Lords.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis devant vous à l’occasion du débat qui suit le Conseil européen des 13 et 14 décembre. Celui-ci s’est ouvert par une minute de silence, pour marquer avec gravité la solidarité et la détermination de l’ensemble de l’Union européenne après l’attaque terroriste commise à Strasbourg lundi dernier et qui a coûté la vie, vous le savez, à cinq personnes.
Son ordre du jour était chargé puisqu’à la session classique du Conseil européen se sont ajoutés, comme nous le souhaitions, un sommet de la zone euro, puis une réunion en format article 50 sur le Brexit.
Le sujet le plus attendu était bien entendu le Brexit. Mme May a d’abord fait le point sur les difficultés qu’elle rencontre dans le processus de ratification de l’accord de retrait du Royaume-Uni. Elle a souligné que de très nombreux députés marquaient leurs réserves face au « filet de sécurité » prévu pour traiter de la question irlandaise et au risque qu’il ne soit pas limité dans le temps.
Je veux rappeler que ce dispositif, tel qu’il figure dans l’accord de retrait, correspond à une proposition britannique. Il prévoit un maintien dans l’union douanière de tout le territoire britannique et un alignement spécifique de l’Irlande du Nord sur le marché unique, au cas où aucun accord sur la relation future ne serait intervenu à la fin de la période de transition.
Tout en ayant sans doute conscience qu’il était impossible politiquement et techniquement de rouvrir l’accord de retrait, Mme May cherchait des garanties ou des assurances, à la fois politiques et juridiques, notamment sur la durée du backstop.
Les échanges entre les États membres et les conclusions adoptées ont de nouveau témoigné de la très grande unité des Vingt-Sept. Le Conseil européen a rappelé que l’accord de retrait, agréé par le gouvernement britannique comme par les Vingt-Sept, était le seul accord possible et ne pouvait être renégocié. Par ailleurs, un filet de sécurité est une solution de dernier recours, indispensable pour éviter de réintroduire une frontière classique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande.
Dans le souci d’apporter une réponse politique aux inquiétudes exprimées par Mme May, le Conseil européen a rappelé dans ses conclusions ce que prévoit l’accord de retrait : ce filet de sécurité ne serait activé que s’il n’y avait pas d’autre solution après la fin de la période de transition et serait temporaire par nature, puisqu’il cesserait d’exister lorsque l’Union et le Royaume-Uni auraient conclu un nouvel accord pour leurs relations futures.
Je veux ajouter que ces derniers développements, tout comme les incertitudes sur la suite de la procédure britannique, renforcent encore notre détermination à accélérer notre travail de préparation des mesures de contingence à prendre en cas d’absence d’accord, à l’échelon européen comme national. C’est ce que demande le Conseil européen et j’espère que la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’habilitation – elle se réunira demain –, que j’ai eu l’honneur de présenter devant les deux chambres, sera conclusive. Nous pourrons ainsi, dès janvier prochain, commencer à adopter les ordonnances nécessaires pour atténuer les effets d’un Brexit sans accord sur notre économie comme sur la situation de nos ressortissants qui reviendraient du Royaume-Uni et des ressortissants britanniques en France, et mener à bien les contrôles nécessaires à nos frontières, sans porter atteinte à la fluidité du trafic transmanche.
L’autre grand rendez-vous était le déjeuner de travail, vendredi, en format sommet zone euro dit « inclusif », c’est-à-dire à vingt-sept.
Ce sommet revêtait une importance particulière pour la France, car notre objectif était, je le rappelle, que le Conseil européen prenne des décisions concrètes sur l’Union bancaire, la réforme du Mécanisme européen de stabilité, ainsi que le budget pour la zone euro, pour lesquels des progrès importants ont été réalisés au cours des dernières semaines. C’est ce que nous avons obtenu.
Tout d’abord, les chefs d’État et de gouvernement ont endossé l’accord trouvé au sein de l’Eurogroupe le 3 décembre dernier sur les modalités de mise en œuvre du filet de sécurité du Fonds de résolution unique, ainsi que sur le renforcement du Mécanisme européen de stabilité, en assurant notamment une efficacité accrue des lignes de crédits de précaution dont il dispose. C’est une première satisfaction.
Notre seconde satisfaction concerne la question, qui nous est chère, du budget de la zone euro. Les chefs d’État et de gouvernement ont pris la décision politique de créer un tel budget et ont donné un mandat clair à l’Eurogroupe pour rendre opérationnel cet instrument de convergence et de compétitivité pour la zone euro. La taille de cet instrument budgétaire sera déterminée dans le contexte des discussions sur le prochain cadre financier pluriannuel. Les paramètres de ce budget doivent être fixés d’ici au mois de juin 2019.
C’est une étape majeure qui est ainsi franchie, grâce à une impulsion commune franco-allemande. Naturellement, il reste beaucoup de travail devant nous et, comme l’a dit le Président de la République, nous allons continuer à nous mobiliser pour doter à terme ce budget de la fonction de stabilisation qui nous paraît indispensable.
J’en viens maintenant aux principaux sujets traités lors du Conseil européen à proprement parler.
Les chefs d’État et de gouvernement ont tout d’abord échangé longuement sur la substance et le calendrier des négociations du prochain cadre financier pluriannuel, le CFP. Si les discussions ont avancé à un rythme soutenu sous présidence autrichienne, la perspective d’un accord avant les élections européennes, comme le privilégiait la France, est dorénavant écartée, les chefs d’État et de gouvernement appelant à y parvenir à l’automne 2019.
Sur le fond, les débats ont été nourris, chaque État souhaitant affirmer ses priorités. Le Président de la République a rappelé que nous souhaitions que le prochain CFP apporte une réponse à la hauteur des nouveaux enjeux auxquels l’Union doit faire face, tels que la protection des frontières, les migrations et la défense, et affiche une ambition supplémentaire pour la jeunesse, la recherche et l’innovation.
Pour autant, de telles priorités ne doivent pas porter atteinte aux politiques traditionnelles, en particulier à la politique agricole commune. Vous savez à quel point nous défendons la PAC avec détermination. Ainsi vingt et un États ont-ils appelé au maintien de ses moyens.
Le Président de la République a aussi insisté sur la création de nouvelles ressources propres et la suppression des rabais dès 2021.
Enfin, la France souhaite que la solidarité soit mise au cœur de ce budget commun et demande que des incitations à la convergence y soient introduites. Des conditionnalités liées au respect de l’État de droit, comme le propose la Commission, nous semblent ainsi pleinement nécessaires, mais cette solidarité devrait également aller de pair avec une convergence sur le volet social et fiscal.
Les chefs d’État et de gouvernement ont ensuite fait un point d’étape sur les travaux en cours pour améliorer le fonctionnement du marché unique. Le Conseil européen a adopté une approche pragmatique centrée sur les besoins réels des entreprises et des consommateurs, y compris s’agissant des services. La France a défendu le renforcement de la lutte contre la fraude dans l’industrie alimentaire et a annoncé des propositions pour une force européenne d’enquête et de contrôle dans ce domaine. Nous ne pouvons plus accepter que des scandales surviennent périodiquement et minent la confiance des Européens dans la capacité de l’Union à prévenir ce type de dérives.
Dans la continuité des échanges du Conseil de juin dernier, les chefs d’État et de gouvernement ont poursuivi les discussions sur les enjeux migratoires. Des progrès inégaux ont été enregistrés dans les négociations sous présidence autrichienne, celle-ci s’étant concentrée sur la dimension extérieure. Cinq textes sont quasiment finalisés : EURODAC, Accueil, Qualifications, Réinstallations et EASO. Pardonnez-moi de le dire ainsi, Vienne et quelques autres ont montré peu de volonté de progresser dans la réforme du régime de Dublin.
Nous avons obtenu, avec l’Italie, Chypre, Malte, la Grèce, l’Espagne, la Suède, la Pologne et la Bulgarie, que le Conseil européen maintienne la pression pour l’adoption de la réforme du règlement de Dublin dans un ensemble cohérent et complet avec les cinq textes que j’ai cités, le règlement Procédures et la directive Retour. Tous les paramètres d’un compromis sur cette réforme sont sur la table, sur la base notamment d’idées franco-allemandes. C’est désormais une question de volonté politique. Chacun doit prendre ses responsabilités.
Concernant le contrôle de nos frontières extérieures, notamment le renforcement de FRONTEX, la Commission a renouvelé sa proposition de renforcer l’Agence, en étoffant son mandat en matière de retour et en portant ses effectifs à 10 000 hommes dès 2020.
Cette proposition se heurte à la contestation de certains États membres, mais il est indispensable que nous nous montrions suffisamment ambitieux. Vous savez par ailleurs que les travaux se poursuivent pour améliorer la coopération avec les pays d’origine et de transit et pour trouver une solution européenne durable, efficace et respectueuse du droit international en matière de gestion des débarquements des migrants sauvés en mer, autour de centres contrôlés sur le territoire européen.
Le Conseil européen a permis d’évoquer, en outre, de nombreux sujets dont il a voulu marquer l’importance politique.
En matière de défense, il a souligné, à notre demande, les progrès réalisés pour ce qui concerne la coopération structurée permanente, qui compte désormais plus de trente projets concrets, ou le programme européen de développement de l’industrie de défense, qui commencera dans quelques semaines et préfigurera le Fonds européen de défense qui sera mis en place en 2021. Je note que les conclusions rappellent l’importance du concept d’autonomie stratégique de l’Union qui est fondamental.
À quelques mois des élections européennes, le Conseil a endossé le plan d’action présenté par la Commission européenne le 5 décembre dernier sur la lutte contre la désinformation, qui prévoit la création d’un « système d’alerte rapide » entre les institutions et les États membres. Un point d’étape des travaux sera fait au Conseil européen de mars.
Sous l’impulsion de la présidence autrichienne, le Conseil a rappelé à juste titre sa détermination à lutter contre le racisme et la xénophobie.
Alors que la COP24 se terminait à Katowice en Pologne, les dirigeants européens ont répété leur engagement à mettre en œuvre l’accord de Paris et se sont fixé comme objectif de déterminer les grandes priorités nécessaires dès 2019, afin que l’Union puisse préciser sa stratégie de long terme dès 2020.
S’agissant des relations extérieures, le Conseil européen s’est prononcé à l’unanimité en faveur du renouvellement des sanctions sectorielles européennes à l’encontre de la Russie. Ses membres ont également exprimé leurs vives préoccupations quant aux incidents maritimes graves survenus le 25 novembre dernier en mer d’Azov et demandé à la Russie de libérer immédiatement les marins ukrainiens détenus, de rendre leurs navires et d’assurer la libre circulation dans le détroit de Kertch. Le Conseil européen envisage un soutien additionnel de l’Union européenne aux régions ukrainiennes les plus affectées.
Enfin, il a salué les consultations citoyennes sur l’Europe, souligné leur caractère inédit et relevé les attentes et les préoccupations exprimées par les citoyens européens. L’ensemble des résultats obtenus dans les États membres et les synthèses nationales et européenne vont maintenant nourrir les travaux sur la refondation de l’Europe que les chefs d’État et de gouvernement reprendront lors du sommet informel prévu à Sibiu en Roumanie le 9 mai prochain. Je rappelle qu’en France 1082 consultations citoyennes se sont tenues et que leurs résultats sont en ligne sur le site www.quelleestvotreeurope.fr.
Je veux conclure en soulignant que, comme le Président de la République l’a dit vendredi à Bruxelles, c’est justement par des réponses concrètes et par des réformes, en France comme en Europe, que nous répondrons aux attentes de nos concitoyens et que nous leur donnerons l’occasion de se réconcilier avec la construction européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans la période de grande incertitude que vit l’Union, ces derniers mois ont montré que les Vingt-Sept savaient rester unis. Cette unité doit beaucoup à Michel Barnier, qui a su, par sa ténacité et ses compétences, obtenir ce résultat. Je souhaite ici lui rendre un hommage appuyé. Cette union constitue peut-être le seul point positif depuis le vote britannique de juin 2016, qui reste à nos yeux une véritable opération de « suicide collectif », une « tragédie », comme l’a dit M. Juncker.
Un accord pour une sortie ordonnée a donc été signé entre le Royaume-Uni et l’Union européenne le 25 novembre dernier, assorti d’une déclaration politique. Que les choses soient claires, il s’agit de limiter les dégâts du Brexit, qui ne fera, de toute façon, que des perdants.
Cet accord est le seul accord raisonnable possible, les dirigeants européens ont eu raison de le rappeler. Il ménage une clause de sauvegarde sur la question si cruciale de la frontière irlandaise, et préserve les intérêts essentiels de l’Union.
La commission des affaires étrangères avait déploré, dès mai 2016, que la campagne référendaire au Royaume-Uni sur la sortie de l’Union ait laissé dans l’ombre de très nombreux sujets. Qui parlait à l’époque de l’Irlande du Nord ? Qui avait eu le courage de dire au peuple britannique que le Brexit aurait un coût ? C’est un contre-exemple à méditer, au rebours de l’éthique de responsabilité qui devrait animer tous les dirigeants publics.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le parcours du combattant de la Première ministre Theresa May, prise entre les feux croisés des hard brexiters et des pro-Union européenne, soit loin d’être terminé.
L’échec du vote de défiance suscité par l’aile droite de son parti ne saurait cacher qu’elle a perdu le soutien de plus du tiers des députés conservateurs. À l’heure qu’il est, on voit moins que jamais sur quelle majorité Theresa May pourrait s’appuyer pour faire adopter l’accord sur le Brexit par le Parlement britannique. Tout se décidera au dernier moment, puisqu’aucun vote n’aura lieu avant janvier.
Depuis deux ans, le groupe Brexit du Sénat, sous la présidence de Jean Bizet et de moi-même, n’a cessé d’alerter la Haute Assemblée, le Gouvernement et les entreprises sur la possibilité d’une sortie sans accord, qui doit être préparée d’urgence.
Car aujourd’hui tout est possible, y compris un nouveau référendum, des élections générales en Grande-Bretagne, un report de l’échéance du 29 mars ou une absence de sortie de l’Union européenne. Une décision de la Cour de justice de l’Union européenne sur l’article 50 du traité sur l’Union européenne confirme en effet la possibilité de révocation unilatérale par le Royaume-Uni, possibilité qui reste tout de même très théorique.
Un « divorce » non ordonné et sans phase de transition reviendrait à effacer d’un trait, en une nuit, quarante-cinq ans d’acquis européen, et entraînerait une forte instabilité économique, non seulement pour la Grande-Bretagne, mais aussi pour l’Europe tout entière. Alors que la situation économique de la France est déjà préoccupante, le Brexit fait peser un risque supplémentaire sérieux sur la croissance.
Si l’accord du 25 novembre dernier n’était pas ratifié, quel serait l’impact, pour les transports aériens, maritimes, ferroviaires et routiers, d’un contrôle sur les marchandises et les passagers ? Les ports français seraient en première ligne. Les investissements à réaliser représentent, par exemple, 25 millions d’euros pour le seul port de Dunkerque ! Le ministère britannique des transports estime, d’après la presse d’outre-Manche, que l’axe Douvres-Calais pourrait fonctionner à seulement 13 % de ses capacités pendant les six premiers mois qui suivraient le Brexit !
Notre autre préoccupation majeure, ce sont les droits des citoyens. L’accord apporte un certain nombre de garanties qui, en son absence, seraient remises en cause.
Le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances des mesures de préparation au Brexit doit être examiné demain matin en commission mixte paritaire. Nous sommes en principe défavorables aux ordonnances, mais, prenant ses responsabilités, le Sénat a voté ce texte, car il y a urgence – cela ne fait aucun doute.
Le groupe de suivi sera vigilant sur les mesures de préparation qui seront prises par le Gouvernement.
Nous veillerons également, en cas d’absence d’accord, à l’instauration, par le Royaume-Uni, de mesures réciproques en faveur de nos compatriotes et de nos entreprises outre-Manche.
Si le Brexit est un non-sens économique, je souhaite répéter dans cette enceinte qu’il s’agit aussi d’un non-sens stratégique.
L’Europe a besoin du Royaume-Uni pour sa défense, et réciproquement. Le Royaume-Uni est le seul pays du continent à partager notre vision stratégique et notre culture opérationnelle. Un partenariat de sécurité et de défense est dès lors indispensable.
Le Conseil européen a salué les avancées dans le domaine de la sécurité et de la défense, notamment la mise en place de la coopération structurée permanente, l’amélioration de la mobilité militaire, l’instauration du programme de développement industriel de défense et les négociations sur le Fonds européen de défense.
Si le Royaume-Uni participe à l’Initiative européenne d’intervention, l’IEI, il faudra qu’il puisse contribuer aussi à d’autres projets européens, tels que la coopération structurée permanente ou le Fonds européen de défense, selon un cadre à déterminer. Le Brexit doit nous inviter à davantage de souplesse dans les coopérations.
Puisque vous l’avez évoquée, madame la ministre, je souhaite dire également un mot de la situation en Ukraine. Le 25 novembre dernier, un grave incident a opposé des garde-côtes russes à la marine ukrainienne. Depuis l’annexion de la Crimée, en 2014, la Russie tend à exercer un contrôle de plus en plus étroit sur la région de la mer d’Azov, et, au-delà, sur celle de la mer Noire.
Cette situation nous préoccupe, comme vous, et nous avons récemment entendu l’ambassadeur d’Ukraine à ce sujet, en commission des affaires étrangères, tout en entretenant un dialogue soutenu et ferme avec nos amis russes.
Les dirigeants européens ont réaffirmé leur soutien à la souveraineté de l’Ukraine et proposé une aide financière. Vous avez évoqué ce point, madame la ministre, mais vous nous direz certainement quels sont les résultats des recommandations qu’a formulées le Conseil européen. La priorité doit être en effet la désescalade ; il est nécessaire, en outre, d’obtenir des avancées supplémentaires dans l’application par les deux parties des accords de Minsk, seule porte de sortie politique à cette crise. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche. – M. Simon Sutour applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Jean-François Husson, vice-président de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce dernier Conseil européen de l’année 2018 était très attendu. Outre la réforme de la zone euro, les difficultés de politique intérieure, au Royaume-Uni mais aussi en France, ont été au cœur des échanges entre les États membres. Le Brexit s’est ainsi invité à l’ordre du jour : il s’est agi de tenter d’apaiser les craintes des parlementaires britanniques au sujet de l’accord de retrait.
Plusieurs des points évoqués au cours de ce Conseil européen intéressent particulièrement la commission des finances.
Premièrement, concernant le Brexit, les vingt-sept États membres de l’Union européenne ont une nouvelle fois fait preuve d’unité face aux vicissitudes des négociations.
Alors que la Première ministre britannique, Theresa May, espérait gagner des marges de manœuvre concernant l’accord de retrait et, plus précisément, au sujet du filet de sécurité de la frontière irlandaise, le fameux « backstop », elle n’a obtenu qu’un soutien poli de la part des États membres. Seule porte de sortie de crise à l’horizon, ce filet de sécurité consiste à maintenir le Royaume-Uni dans l’union douanière, afin de conserver la réglementation sur la libre circulation des biens et d’éviter le retour d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande.
Les vingt-sept États membres, sans modifier l’accord, ont rappelé qu’il ne s’agissait que d’une solution de dernier recours, pour le cas où aucun accord commercial ne serait trouvé avant la fin de la période de transition.
Deuxièmement, le sommet de la zone euro a permis d’examiner les conclusions de l’Eurogroupe sur la réforme de celle-ci. Si des progrès peuvent être soulignés, force est de constater que les propositions sont moins ambitieuses que le projet initialement porté par le Président de la République, Emmanuel Macron.
L’Eurogroupe a été mandaté en juin dernier pour élaborer un rapport sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, à la suite des propositions présentées par la Commission européenne en décembre 2017. Dans cette perspective, le sommet de la zone euro a permis d’entériner la mise en place d’un filet de sécurité du Fonds de résolution unique, assuré par le Mécanisme européen de stabilité.
Ce dernier verra ses compétences élargies et devrait devenir un prêteur en dernier ressort pour les banques. Les contours de sa coopération avec la Commission européenne ont été établis. Le duo formé par la Commission européenne et le Mécanisme européen de stabilité devrait ainsi permettre de sécuriser le système bancaire au sein de la zone. Les prêts du Mécanisme européen de stabilité pourraient être disponibles dès 2020 s’il apparaît que le risque de faillite bancaire est suffisamment réduit au sein de la zone euro.
Cet accord constitue indéniablement une avancée, dix ans après la crise financière mondiale de 2008.
Toutefois, les principaux éléments de divergence sur l’avenir de la zone euro n’ont toujours pas été tranchés. D’une part, le système européen de garantie des dépôts a été renvoyé aux calendes grecques. D’autre part, la question d’un budget de la zone euro – l’idée est défendue depuis dix-huit mois par la France – n’a pas trouvé de réponse à la hauteur des ambitions initiales. En effet, cet « instrument budgétaire », qu’on prend soin de ne pas nommer « budget », serait intégré au budget de l’Union européenne. Sa vocation même a été minorée : elle devrait être de permettre la convergence de nos économies, et non d’assurer une fonction de stabilisation de celles-ci et de leurs rapports.
Cet accord reste très éloigné de la « refondation » annoncée par le Président de la République en septembre 2017. En réalité, il révèle en creux le mur auquel la France est confrontée dans ses tentatives de convaincre ses partenaires de la nécessité d’un projet européen ambitieux.
À la résistance des États dits « de la ligue hanséatique » s’ajoute la question de la crédibilité de la France face à ses partenaires de la zone euro, notamment en matière de respect des règles budgétaires. Lors de l’audition de M. Moscovici par les commissions des finances et des affaires européennes du Sénat, la semaine dernière, il a semblé que la Commission européenne pourrait accepter de faire preuve de souplesse au regard du risque, pour la France, d’atteindre 3,5 % de déficit public l’an prochain.
Cette tolérance serait d’autant plus difficile à comprendre pour nos partenaires de la zone euro que le déficit public ne s’y élève en moyenne qu’à 1 % du PIB. Dans cette perspective, je vois mal comment la France pourra à l’avenir défendre un véritable budget de la zone euro, alors qu’elle reste en queue de peloton !
Lors de ce Conseil européen a été abordé, troisièmement, le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne. Un consensus visant à attendre l’automne prochain pour obtenir un accord se dessine.
Initialement, la Commission européenne souhaitait que les États membres s’accordent sur un cadre financier pluriannuel pour les années 2021-2027 avant les élections européennes. Ce calendrier se heurtait à un problème démocratique, puisque les députés nouvellement élus n’auraient pas pu se prononcer sur les orientations budgétaires de l’Union européenne.
L’horizon de l’automne 2019 semble donc plus approprié, tant en raison des faibles progrès des négociations que du point de vue du mandat des futurs députés européens.
Néanmoins, il n’est pas souhaitable qu’un accord sur le prochain cadre financier pluriannuel intervienne au-delà de cette échéance. En effet, un accord conclu ultérieurement se traduirait par un démarrage tardif des programmes de financement européens. Ce retard pénaliserait les porteurs de projets locaux qui bénéficient de la politique de cohésion européenne.
À six mois des prochaines élections européennes, il me paraît important de rappeler que les citoyens européens demandent des preuves concrètes de l’efficacité et de la valeur ajoutée de l’Union européenne, et ce au plus près de leur vie quotidienne.
Par ailleurs, le sort du budget de la zone euro étant désormais lié à celui du cadre financier pluriannuel, il serait préférable que les négociations ne prennent pas davantage de retard, afin de concrétiser rapidement l’accord conclu la semaine dernière.
Je terminerai mon propos en soulignant que la taxe sur les services numériques n’avait pas été retenue par la Commission européenne, en mai dernier, au titre des nouvelles mesures et ressources du budget européen. En tout état de cause, la concession de la France envers l’Allemagne, consistant à limiter l’assiette de cette future taxe aux recettes publicitaires, réduit largement…
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Trop largement !
M. Jean-François Husson, vice-président de la commission des finances. … l’ampleur de cette hypothétique recette. Au-delà même de la question de la taxation des GAFA, c’est bien celle de la justice fiscale en Europe qui préoccupe nos concitoyens, les citoyens européens.
En dépit des discours de bonne volonté, les avancées en l’espèce restent bloquées par la règle de l’unanimité en matière fiscale. Il nous faut donc désormais conjuguer nos efforts pour modifier cette règle, dont nous percevons clairement, aujourd’hui, les limites. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 13 et 14 décembre a d’abord été l’occasion d’un nouvel examen du Brexit. Nous saluons le travail considérable accompli par le négociateur en chef de l’Union, Michel Barnier, qui a su, avec beaucoup de talent, maintenir l’unité des Vingt-Sept et surtout faire prendre conscience à chaque État membre que nous étions tous copropriétaires du premier marché économique mondial – cette évidence n’était pas aussi partagée, il y a encore quelque temps, qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Ses efforts ont permis la conclusion d’un accord de retrait et la mise au point d’une déclaration politique sur le cadre des relations futures. Or l’absence de majorité au Parlement britannique, à ce stade, pour adopter l’accord de retrait rend la situation particulièrement complexe et incertaine.
Mais peut-on envisager de renégocier un accord qu’il a déjà été si difficile de mettre au point ? À l’évidence, la réponse est non. C’est donc fort logiquement que le Conseil européen a réaffirmé que l’accord ne peut être renégocié. Est-il possible de donner de nouvelles assurances sans modifier l’équilibre fragile auquel les négociateurs sont parvenus ? Oui, bien sûr. C’est ce qu’a fait le Conseil européen dans ses conclusions.
Il réaffirme sa volonté d’un partenariat aussi étroit que possible – les négociations pourraient commencer très vite après le retrait du Royaume-Uni. Surtout, il se dit déterminé à trouver d’autres arrangements d’ici à la fin de la période de transition, donc d’ici au 31 décembre 2020, afin que la solution de dernier recours, le fameux backstop, destinée à empêcher la mise en place d’une frontière physique en Irlande, n’ait pas à être activée. Je tiens à rappeler – on aurait tendance, là encore, à l’oublier – que l’Union européenne n’a pas été étrangère au fameux accord du Vendredi saint qui a supprimé la frontière physique et rétabli la paix sur l’île : en coulisses, elle y a consacré beaucoup d’énergie et d’argent – là comme ailleurs, l’Union européenne est un facteur de paix.
Le Conseil européen souligne aussi que, même si ce backstop devait être mis en œuvre, ce serait de manière temporaire, tant qu’il n’aurait pas été remplacé par un accord ultérieur.
Tout cela va bien sûr dans le bon sens. Il s’agit de rassurer sur les intentions de l’Union européenne sans revenir sur le contenu d’une négociation qui a été si longue et si difficile. Mais, au regard du débat tel qu’il a lieu au Royaume-Uni, on peut douter que ce soit suffisant pour désarmer les opposants, qui semblent déterminés à engager leur pays dans une voie inconnue et périlleuse !
C’est pourquoi il est plus nécessaire que jamais que l’Union européenne et ses États membres se préparent à toutes les hypothèses, en intégrant tout particulièrement celle de l’absence d’accord.
Pour ce qui concerne notre pays, le Sénat a pris ses responsabilités en adoptant le projet de loi d’habilitation le 6 novembre dernier. Nous souhaitons que ce texte permette au Gouvernement d’agir vite, mais dans un cadre précisément défini. Nous en débattrons demain en commission mixte paritaire avec nos collègues députés ; je suis plutôt confiant dans notre capacité à parvenir à un accord, tout simplement parce qu’il y va, ne l’oublions pas, de l’avenir de nos territoires et de nos entreprises.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Concernant le prochain cadre financier pluriannuel, le Conseil européen a pris acte des progrès réalisés dans la négociation. Il a fixé l’automne 2019 comme échéance pour un accord entre les chefs d’État et de gouvernement.
Nous souhaitons que les nouvelles priorités suivantes soient prises en compte : l’innovation, la défense, les migrations et la jeunesse. Mais je veux redire fermement que la politique agricole commune et la politique de cohésion ne peuvent servir de variables d’ajustement. En ces temps troublés, elles expriment l’indispensable solidarité à l’égard des territoires. La PAC est en outre un outil indispensable pour assurer la souveraineté et la sécurité alimentaire de l’Union. Nous le disons souvent, et le Sénat y est extrêmement attaché : cette politique est ancienne, certes, mais elle reste d’une pertinente actualité, et je suis persuadé que, en la matière, nos commissions des affaires européennes et des affaires économiques, véritables alter ego de l’Autorité de la concurrence, pourront faire des propositions pertinentes dès janvier.
Mais ne nous cachons pas la vérité : nous ne pourrons affirmer une véritable ambition européenne sur un budget aussi faible. Les États membres doivent lever leurs réserves s’agissant de l’adoption de nouvelles ressources propres pour le budget européen. Retour serait ainsi fait, tout simplement, au principe fixé dans les traités qu’ils ont signés et ratifiés.
En matière de migrations, nous prenons acte des progrès réalisés concernant le rôle de FRONTEX et la sécurité des frontières extérieures. Nous notons aussi le renforcement de l’action extérieure. Le nombre de franchissements illégaux est revenu à son niveau d’avant la crise. C’est très positif.
Mais il reste encore beaucoup à faire pour que l’Union parvienne enfin à une véritable maîtrise des flux migratoires. À cet égard, nous regrettons l’absence de résultat sur la dimension interne autour d’un paquet de sept textes, dont la réforme du règlement de Dublin constitue l’élément central. Je regrette aussi que la présidence autrichienne n’ait pas réalisé de coordination entre États membres sur le pacte de l’ONU sur les migrations qui suscite des inquiétudes et des controverses qu’un débat au Parlement aurait permis de lever.
Permettez-moi aussi de me féliciter de l’engagement du Conseil européen sur le marché unique. Il s’agit là de la grande réalisation de la construction européenne ; son intégrité doit être défendue – nous l’avons dit, au Sénat, à propos du Brexit. Ce marché unique doit en outre être approfondi. Il doit aussi soutenir la transformation numérique et relever le défi de l’intelligence artificielle. Je dois souligner, sur ce dernier point, le fossé existant entre l’Union européenne et des pays tels que les États-Unis ou la Chine : quand, avec beaucoup d’efforts, la France ou l’Allemagne réussissent péniblement à consacrer 1,5 milliard d’euros par an à cette question, nos amis américains ou chinois, eux, font appel à des fonds privés et parviennent à mobiliser entre 20 et 30 milliards de dollars par an. Quelle différence ! Et Dieu sait l’importance majeure de cette orientation.
Enfin, le sommet de la zone euro a permis d’enregistrer certains progrès, en particulier la mise en place d’un filet de sécurité commun du Fonds de résolution unique. L’Eurogroupe sera appelé à travailler à l’élaboration d’un instrument budgétaire de convergence et de compétitivité – je vous en reparlerai tout à l’heure, madame la ministre. Je relève que cet instrument fera partie du budget de l’Union. Sa taille sera déterminée dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel ; ses caractéristiques – j’en suis ravi – seront arrêtées en juin 2019. Il nous tarde de voir construite cette architecture.
C’est donc au vu de ce qui sera proposé à cette date que nous pourrons former une appréciation plus précise sur la portée réelle de ce nouvel instrument. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque sénateur dispose de deux minutes maximum pour présenter sa question, le Gouvernement pouvant répondre pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Je note, avant toute chose, que le présent débat obéit à une formule un peu particulière. Mme la ministre, que je remercie, a fait un compte rendu exhaustif et détaillé de la dernière réunion du Conseil européen. Je vais évoquer une question dont j’aurais aimé qu’elle soit abordée lors du Conseil européen – je l’aurais indiqué si nous avions eu, comme c’était le cas auparavant, un débat préalable audit Conseil –, celle des accords commerciaux.
Plusieurs accords commerciaux sont en cours de négociation. L’un vient d’être signé, le CETA, l’Accord économique et commercial global. Le Parlement, Assemblée nationale et Sénat, attend que le Gouvernement veuille bien le lui soumettre pour approbation – nous sommes prêts. Il serait question, dit-on, de patienter jusqu’après les élections européennes ; mais il ne faut pas avoir peur du Parlement : il faut lui soumettre cet accord. À titre personnel, je considère qu’il s’agit d’un bon accord, et j’en voterai la ratification.
Par ailleurs, dans la continuité de l’audition de Pierre Moscovici, commissaire européen, que nous avons menée jeudi dernier, je souhaite savoir où nous en sommes de l’accord avec le MERCOSUR. Pierre Moscovici nous a indiqué que la Commission avait fait le travail, qu’un bon accord était prêt, et que le Conseil pouvait désormais en délibérer. Madame la ministre, cette question de l’accord avec le MERCOSUR pourra-t-elle être abordée à l’occasion d’un prochain Conseil européen ? (MM. André Gattolin et Franck Menonville applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Sutour, vous avez raison : la mise en œuvre provisoire du CETA montre largement qu’il s’agit d’un bon accord, à rebours de toutes les sirènes que nous avions entendues, nous alertant sur les risques que cet accord comportait pour un certain nombre de secteurs français, notamment le secteur agricole.
Nous n’avons jamais exporté autant vers le Canada, notamment parce que les indications géographiques sont désormais protégées dans nos échanges avec ce pays – nos exportations de vins, de spiritueux, de fromages et de produits laitiers ont augmenté –, et nous n’avons jamais importé aussi peu – les importations de viande bovine en provenance du Canada sont inférieures à ce qu’elles étaient avant l’entrée en vigueur du CETA, pour des raisons de non-compatibilité des modes de production canadiens avec les normes applicables à l’entrée dans le marché européen.
Un accord a été signé, par ailleurs, avec le Japon ; là aussi, il s’agit d’un bon accord. Il permet notamment des exportations de viandes bovine et porcine à destination du Japon qui seront les bienvenues. Il permet aussi de pénétrer les marchés publics japonais, dont on sait combien, jusqu’à présent, ils étaient fermés. En outre, il est le premier à prendre en compte l’accord de Paris sur le climat, ce que ne faisait pas le CETA, plus ancien.
S’agissant du projet d’accord avec le MERCOSUR, le compte n’y est pas encore. Nous avons sans discontinuer réaffirmé nos lignes rouges, et nous attendons toujours de nos partenaires du MERCOSUR davantage d’ouvertures sur nos intérêts offensifs. Nous ne sommes pas fermés à une signature de cet accord, mais le moins qu’on puisse dire est que, pour le moment, il n’y a pas matière à le conclure.
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour, pour la réplique.
M. Simon Sutour. Madame la ministre, vous auriez pu également parler de l’accord avec la Corée du Sud,…
M. Simon Sutour. … la balance commerciale de l’Union européenne avec ce pays étant excédentaire de plusieurs milliards d’euros.
Pour ce qui concerne le CETA, la mise en œuvre provisoire est concluante. Je sais que cela ne relève pas de votre compétence directe, mais nous souhaitons que le Parlement puisse bientôt se prononcer sur sa ratification.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Oui !
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Parmi les sujets inscrits à l’ordre du jour du Conseil européen des 13 et 14 décembre figurait la nécessité de renforcer la zone euro dans le contexte, très lourd, du Brexit.
Alors que l’idée d’un budget commun est souvent évoquée, et sous l’impulsion des dix-neuf ministres des finances de la zone qui sont parvenus à un accord, le Conseil européen a franchi une étape supplémentaire dans la réforme bancaire, avec un renforcement de l’Union bancaire et du mécanisme de résolution des crises des finances publiques.
On peut se réjouir de ces mesures qui viennent aujourd’hui parachever l’Union bancaire. Nos banques n’en seront que plus solides et, surtout, notre économie plus à l’abri d’une crise systémique. Que ce soit au chapitre des exigences envers les banques en matière de fonds propres et de liquidités ou à celui des règles relatives au redressement des établissements bancaires, on constate de nombreux progrès depuis l’adoption, en juin 2016, de la feuille de route du Conseil européen pour l’achèvement de l’Union bancaire.
Les ministres des finances se sont notamment entendus, au début du mois, sur un filet de sécurité bancaire. Pouvez-vous nous préciser, madame la ministre, les modalités de la mise en œuvre de ce dernier ?
Malgré tout, un certain nombre de questions restent en suspens, notamment le projet d’assurance commune des dépôts bancaires, qui peine à se concrétiser – il s’agit pourtant, là encore, d’un projet essentiel pour notre économie.
Madame la ministre, la crise financière de 2007-2008 et le Brexit ont mis à rude épreuve l’Union européenne. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces avancées significatives et concrètes qui illustrent l’intérêt de l’Europe ? Plus généralement, pouvez-vous décliner les pistes qui permettront de poursuivre une consolidation durable de la zone euro ? (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Menonville, depuis le sommet franco-allemand de Meseberg, nous poursuivons, s’agissant de la zone euro, trois objectifs : soutenir la convergence économique et l’investissement ; accroître la compétitivité de la zone ; renforcer sa capacité de résilience face aux chocs économiques.
Le sommet de la zone euro qui s’est tenu le 14 décembre dernier a abouti à un accord en quatre points. L’accord porte en premier lieu sur la mise en œuvre du filet de sécurité du Fonds de résolution unique – vous l’avez dit –, qui s’appuie sur le Mécanisme européen de stabilité. Ce dernier devient le prêteur de dernier ressort du système bancaire européen, ce qui permet de renforcer la capacité à faire face à une éventuelle nouvelle crise bancaire.
Le sommet a également permis d’avancer sur la réforme et le renforcement du Mécanisme européen de stabilité, d’accélérer la mise en œuvre du paquet bancaire et de lancer la création d’un budget de convergence et de compétitivité pour la zone euro. Vous l’avez relevé, de même que M. Husson, deux éléments manquent encore, s’agissant de l’Union bancaire : la garantie européenne des dépôts – nous nous sommes engagés à travailler, mais pas encore à avancer, sur ce dossier qui suscite toujours des réticences parmi tous ceux qui considèrent qu’il faut d’abord et avant tout réduire les risques, ce qui se fait au travers du paquet bancaire – et l’assignation d’une fonction de stabilisation au budget de la zone euro.
Vous savez que nous portons cette dernière conviction. Nous n’avons pas encore totalement convaincu ; le sujet n’est pas complètement mûr. Je ne suis pas du tout persuadée que cette difficulté soit liée au fait que les décisions très récemment annoncées auraient pour effet de nous faire dépasser, en 2019, les 3 % de déficit.
Je pense plutôt qu’un certain nombre de gouvernements de la zone euro, qui sont des gouvernements de coalition – ces coalitions sont souvent faiblement majoritaires –, sont tenus par des engagements parlementaires qui entraînent une très grande réticence à aller vers la création d’un instrument de stabilisation, comme si aucune crise n’était à prévoir dans un futur proche. Il est facile de faire ce type de raisonnements lorsque la zone euro est en croissance ; ma conviction est qu’il nous faudra de toute façon franchir le pas de la stabilisation au moment où nous serons en crise, et je regrette que nous ne puissions le faire à tête reposée, à un moment où la crise est plutôt derrière que devant nous.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, au début de votre intervention, vous avez évoqué le drame de la semaine dernière qui s’est déroulé à Strasbourg. Je souhaite vous interroger sur les mesures que l’Union européenne a prises en matière de lutte contre le terrorisme. Je pense notamment au Passenger Name Record, ou PNR, dont mes collègues André Reichardt et Jean Bizet et moi-même avons, à de très nombreuses reprises, réclamé l’instauration depuis sept ans au moins.
Il est extrêmement important qu’un tel système soit mis en place. Il a été voté au forceps en 2016, après de réelles difficultés de la part de la commission des libertés civiles du Parlement européen. Il est désormais sur les rails. Les parlements nationaux avaient deux ans pour le ratifier. La France l’a fait.
Quels sont les autres pays qui l’ont ratifié et, surtout, quels sont ceux qui ne l’ont pas ratifié ? Vous le comprendrez, dans la période actuelle, il me semble inacceptable de continuer à avoir des trous dans la raquette.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, vous avez parfaitement raison : l’attaque de Strasbourg nous rappelle, s’il en était encore besoin, que l’Union européenne doit continuer à avancer dans la lutte contre le terrorisme. Nous avons notamment fait un pas sur le retrait automatique et immédiat des contenus appelant au terrorisme en ligne. C’est un progrès récent et significatif.
Vous avez très bien décrit les difficultés observées à propos du PNR ; le Parlement européen a eu du mal à se convaincre que la première des libertés est parfois la sécurité. Le premier groupe politique français représenté dans cette instance n’a d’ailleurs pas été étranger à ces difficultés ; le Front national avait voté contre la mise en place du PNR. C’est un peu curieux de la part d’un groupe qui n’a de cesse de mettre en avant les questions de sécurité…
Toujours est-il que le PNR est désormais voté et que dix-sept États, dont naturellement la France, ont adopté des mesures nationales pour le transposer pleinement. Notre pays a même anticipé : dès 2016, nous avions mis en place un système expérimental appelé API-PNR, ce qui fait de nous l’un des pays les plus avancés au plan opérationnel.
Bien entendu, dix-sept États, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Certains États nous ont indiqué avoir des difficultés techniques pour la mise en œuvre du PNR. La Commission européenne a prévu des crédits pour les aider. Nous nous sommes proposés pour partager notre expérience avec les pays moins avancés que nous.
Vous le constatez, les choses progressent malgré tout. Les nouveaux instruments, comme le système ETIAS, devront également permettre de mieux surveiller les entrées et les sorties dans l’Union européenne.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. J’ai vu sur les sites qu’il y avait un budget extrêmement important pour des projets et appels à projets en matière de sécurité ; il me paraît utile que nous nous en servions et que nous apprenions à partager les données relatives aux fichés S.
L’Union européenne avait imaginé une commission d’enquête sur les failles des dispositifs. Nous n’avons pas, me semble-t-il, la culture de l’évaluation. Or il est extrêmement important de pouvoir évaluer l’efficacité des mesures qui sont prises. La lutte contre le terrorisme relève de la guerre de l’obus et du blindage : chaque fois que l’on met un mécanisme en place, d’autres trouvent le moyen de le faire céder. Il est donc très important que la France propose d’évaluer les dispositifs et, surtout, leurs failles. Nous voyons bien les difficultés résiduelles. Il faut évoluer, notamment sur les fiches S et les échanges d’informations.
La commission des lois du Sénat travaille actuellement pour essayer d’améliorer le dispositif des fiches S. Des transmissions d’informations avec l’Allemagne ont lieu. Il serait extrêmement utile d’œuvrer dans des conditions de sécurité pour nos concitoyens et les libertés publiques à un meilleur échange des données.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Le Conseil européen qui s’est tenu les 13 et 14 décembre derniers s’est félicité des travaux préparatoires approfondis sur le futur cadre financier pluriannuel 2021-2027. Il souhaite même que ces derniers se poursuivent pour qu’un accord puisse intervenir au sein du Conseil européen au plus tard à l’automne 2019.
Permettez-moi de m’interroger sur le caractère démocratique de cette démarche, notamment concernant le rôle du nouveau Parlement européen qui sera élu en mai 2019. En d’autres termes, les prochains parlementaires européens pourraient voir appliquer tout au long de leur mandat un cadre budgétaire à l’adoption duquel ils n’auraient nullement contribué !
Prendre la démocratie européenne au sérieux, c’est prendre le Parlement européen au sérieux ; c’est lui permettre de dire et d’incarner sa part de volonté générale lorsque se noue le débat budgétaire, d’autant plus lorsqu’on discute des grandes priorités européennes, de la réduction du budget de la politique agricole commune, la PAC, ou de la mise en place de nouvelles ressources propres.
Madame la ministre, ne pensez-vous pas que, pour faire progresser la démocratie européenne, le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union européenne devrait être arrêté par les députés européens qui seront élus au mois de mai 2019 ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, vous avez parfaitement raison. C’est d’ailleurs la position que la France n’a cessé de défendre au sein du Conseil européen, et nous avons été entendus.
Certains effectivement poussaient à une adoption du prochain cadre financier pluriannuel au plus tard en avril 2019. Ce n’était pas réaliste compte tenu des divergences qui existent encore entre les partenaires à propos du projet de budget présenté par la Commission. Notre principal point de désaccord sur ce budget étant la part réservée à la PAC, nous avons indiqué dès le début que nous n’accepterions pas le projet de budget de la Commission.
Au-delà, je partage votre point de vue : il est à l’évidence souhaitable que le Parlement européen et la Commission européenne issus des élections du mois de mai 2019 puissent intervenir dans le projet de budget.
Bien entendu, il ne faut pas perdre de temps. Il faut s’assurer que l’ensemble des crédits disponibles puissent bénéficier aux porteurs de projets, que ce soient des chercheurs, des étudiants ou des agriculteurs, début 2021. Pour autant, il est indispensable que nos concitoyens et l’ensemble des Européens sachent qu’en se rendant aux urnes au mois de mai 2019, ils pourront choisir des priorités qui se traduiront par des moyens, par un budget.
C’est la raison pour laquelle le Conseil européen des 13 et 14 décembre a évoqué l’horizon de l’automne 2019. L’important est d’avoir un bon budget, et non un budget précipité.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme Colette Mélot. Madame la ministre, j’ai bien compris votre réponse : il ne faut pas perdre de temps, et je me réjouis que la France s’inscrive dans cette démarche.
Mais serait-il possible d’envisager pour l’avenir de faire coïncider le plan pluriannuel avec le mandat des députés européens ? Je sais qu’il s’agit de réduire ce plan de sept ans à cinq ans, mais ce serait plus cohérent. En tout cas, ce sujet mérite d’être étudié pour faire progresser la démocratie européenne.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’Union européenne et ses États membres vont sans nul doute devoir affronter une année 2019 à très hauts risques politiques.
En effet, à peine aurons-nous entamé le dur processus qui conduira inévitablement au Brexit que, d’emblée, nous serons confrontés à l’échéance des plus incertaines du scrutin européen qui se tiendra à la fin du mois de mai prochain.
Si les enjeux sont multiples, les résultats des consultations citoyennes conduites cette année dans notre pays mettent en lumière une forte demande de souveraineté européenne accrue, dans un contexte international chaque jour soumis à davantage de tensions. Nombre de ces contributions insistent notamment sur la nécessité urgente d’instaurer une véritable politique de défense commune.
Le Conseil européen qui vient de se tenir s’est félicité des progrès importants accomplis dans ce domaine, notamment à travers le lancement d’une coopération structurée permanente.
Madame la ministre, pourriez-vous nous faire part des intentions du Gouvernement concernant la stratégie défensive que devra adopter l’Union européenne, notamment dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel ?
Par ailleurs, le Fonds européen de défense, qui vient tout récemment d’obtenir le feu vert des eurodéputés, fait l’objet de quelques incertitudes et critiques quant à sa conformité avec le droit européen. Pourriez-vous nous rassurer à propos de la sécurité juridique de cette initiative ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez souligné, sur notre initiative, chaque Conseil européen se penche sur les questions de l’Europe de la défense. Il s’agit d’une nécessité et, comme cela est très nettement ressorti des consultations citoyennes sur l’Europe, d’une priorité de nos compatriotes. Quelle que soit leur origine géographique ou socioprofessionnelle, ils attendent que l’Europe soit en capacité de se défendre.
C’est la raison pour laquelle les progrès effectués par la coopération structurée permanente – aujourd’hui, on dénombre plus d’une trentaine de projets ; la France participe à peu près aux deux tiers d’entre eux et est même leader pour ce qui concerne sept – sont extrêmement satisfaisants. Nous saluons aussi la mise en œuvre dès l’année prochaine de la préfiguration du Fonds européen de défense.
Dans la proposition de la Commission européenne pour le prochain cadre financier pluriannuel, le Fonds européen de défense a vocation à être doté d’environ 13 milliards d’euros. C’est une bonne entrée en matière pour pouvoir soutenir la recherche et le développement de nos capacités militaires communes.
Il est vrai qu’il y a une forme de controverse sur la conformité au droit du Fonds européen de défense, certains eurodéputés s’appuyant sur l’un des articles du traité pour en contester la légalité. Or ce n’est pas notre analyse juridique ni d’ailleurs celle de la Commission, qui est la gardienne des traités et qui a rédigé le projet de texte. L’article 41, auquel se réfèrent certains eurodéputés, relève de la politique européenne de sécurité commune, alors que le Fonds européen de défense constitue un appui communautaire à la politique de recherche ou à la politique industrielle dans le domaine de la défense. Nous sommes donc très sereins sur le plan juridique.
Il s’agit plutôt d’un combat d’arrière-garde de ceux qui ne parviennent pas – il y en a – à se résoudre à ce que l’Union se donne les moyens de mieux s’organiser elle-même dans le domaine de la défense.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour la réplique.
M. André Gattolin. Madame la ministre, je vous remercie beaucoup, notamment de cette deuxième réponse assez précise : les informations qui circulaient étaient effectivement assez superficielles.
Comme nous sommes toujours dans le cadre expérimental, je voudrais faire un peu de publicité pour l’excellent document intitulé Consultations citoyennes sur l’Europe. (L’orateur brandit un exemplaire de la brochure.) C’est la synthèse des 70 000 contributions qui ont été effectuées en France. Ce document remarquable a été coordonné par notre ancienne collègue Chantal Jouanno, aujourd’hui présidente de la Commission nationale du débat public.
Lors de chaque élection en Allemagne, la coalition se fait sur la base d’un accord programmatique de 170 pages. Là, nous avons 170 pages d’une qualité remarquable relatives aux aspirations de nos concitoyens quant à l’Europe ; les chapitres de la deuxième partie sont notamment extrêmement bien faits. J’en recommande donc la lecture, et je remercie encore le Gouvernement et tous ceux qui se sont associés à cette initiative.
M. Rachid Temal. C’est-à-dire seulement le Gouvernement ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Les choix budgétaires du Gouvernement sont aujourd’hui lourdement mis en cause par les « gilets jaunes » et de très nombreuses mobilisations sociales. Et, pour répondre à ces mouvements de manière pourtant notoirement insuffisante, le Gouvernement vient de sortir des clous des 3 % de déficit.
Pourtant, au même moment, et en catimini, le Parlement européen est poussé à inscrire définitivement dans le droit européen les règles draconiennes d’austérité de mise sous contrôle des budgets via le TSCG, le fameux traité budgétaire négocié à l’époque par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel et que François Hollande avait promis de renégocier, ce qu’il n’a jamais fait. Ce traité budgétaire reste l’un des marqueurs essentiels des politiques d’austérité qui frappent durement le pouvoir d’achat et les services publics. Pourtant, il ne fait toujours pas partie du corpus juridique européen. C’est un traité intergouvernemental. D’ailleurs, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel avaient choisi cette voie pour éviter d’avoir à affronter l’unanimité européenne ou la ratification par le Parlement ou les Français.
Ceux qui veulent graver le TSCG dans le marbre du droit européen cherchent à rendre cette austérité, devenue insupportable – nous le voyons chez nous en ce moment –, automatique, en écartant la possibilité d’une négociation politique budgétaire entre la Commission et un pays. Pourtant, nous venons nous-mêmes d’avoir eu recours à cette faculté !
Le problème est tellement sensible que la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, qui devait transcrire cela avant le 31 décembre, vient de bloquer le projet par vingt-cinq voix contre vingt-cinq, et qu’une motion de rejet a partagé, elle aussi à égalité parfaite, la même commission. Là encore, cela vaut blocage.
Que compte faire le Gouvernement dans cette situation ? N’y a-t-il pas là une occasion unique pour rouvrir le débat, redéfinir les règles, les suspendre, les renégocier, voire les abandonner ? Ou allez-vous jouer les jusqu’au-boutistes, en poussant, au détriment de nos propres besoins nationaux, à l’application de ces règles, alors que nous pourrions saisir l’occasion pour une reprise d’un contrôle politique de la conduite de nos politiques budgétaires ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, s’il y avait de l’austérité en France, cela se saurait ! Nous n’avons jamais diminué les dépenses publiques ; nous avons diminué leur croissance. Allez en Grèce, en Espagne ou au Portugal, et vous pourrez parler d’austérité. Je ne laisserai pas dire que la France a connu une politique d’austérité.
La règle des 3 % n’est pas imposée par Bruxelles ; nous avons choisi de la respecter et de nous préoccuper du poids que la dette ferait peser sur nos enfants et petits-enfants du fait de notre difficulté à faire des choix et de notre facilité à les reporter sur les générations futures.
Si le déficit et la dette créaient de la croissance et de l’emploi en Europe,…
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Nous serions les champions !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. … l’Italie et la France seraient les championnes d’Europe. Aujourd’hui, vous trouvez la croissance et le plein-emploi dans les pays européens qui ont le plus faible déficit.
Est-ce une raison pour considérer que, face à une crise sociale, il ne faut pas prendre de mesures d’urgence ? Doit-on lire les critères européens comme nous empêchant de le faire ? Nullement. C’est la raison pour laquelle le Président de la République a annoncé un certain nombre de mesures et qu’il en a parlé au Conseil européen vendredi dernier. Il a très clairement indiqué qu’être un véritable Européen, c’était être à l’écoute des peuples et faire en sorte que l’Union européenne le soit aussi !
C’est d’ailleurs ainsi qu’a réagi la Commission européenne, qui dialogue par ailleurs actuellement avec Rome sur le projet de budget italien en ayant une préoccupation majeure : l’ampleur de la dette italienne.
Je ne vois donc aucune contradiction entre la nécessité de nous fixer des règles et de ne pas hypothéquer l’avenir et la possibilité qui nous est donnée de répondre en urgence à des situations sociales particulières.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Madame la ministre, permettez-moi de revenir sur l’une des annonces que vous avez faites précédemment s’agissant du budget de l’Union européenne.
Je me réjouis de la création du Fonds de résolution unique, qui commence à être particulièrement doté, et de l’évolution du Mécanisme européen de stabilité. Je vous suis également sur l’Union bancaire, même si quelques progrès s’imposent. Je vois le budget de l’Union comme un budget d’investissement, un fonds d’investissement. Cela va, me semble-t-il, dans le bon sens et devrait corriger l’erreur initiale : ne pas avoir institué de budget lors de la création de l’Union économique et monétaire.
Pourriez-vous nous apporter quelques précisions supplémentaires sur le concept et le périmètre de ce budget, ainsi que sur les relations avec le Parlement ? Ce sera peut-être l’occasion d’entendre davantage la France exprimer son souhait de faire évoluer en matière budgétaire la règle de l’unanimité. Cela a été clairement évoqué par le président Jean-Claude Juncker lors du discours sur l’état de l’Union, le 14 novembre. Si nous n’évoluons pas en la matière, nous serons dans des formes de paralysie. Or l’Union européenne ne peut pas continuer à vivre ainsi.
M. André Reichardt. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, en effet, qu’il s’agisse de la taxe sur les GAFA ou des sujets fiscaux en général, la règle de l’unanimité nous fragilise à l’évidence aujourd’hui.
Nous poussons en faveur d’une conditionnalité du versement des fonds européens à une forme de convergence fiscale. Autant dire que nous sommes pionniers ! Notre position est encore isolée, mais il me semble indispensable de continuer à la défendre. Nous n’avons pas véritablement de politique fiscale européenne convergente. C’est le travail que nous faisons aujourd’hui avec l’Allemagne, par exemple sur l’assiette de l’impôt sur les sociétés, pour essayer de contourner la règle de l’unanimité et faire en sorte que France et Allemagne se mettent d’accord sur une assiette commune. Nous espérons que cela fera tache d’huile et que d’autres États nous rejoindront.
Le budget de la zone euro qui sera contenu dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027 est évidemment un premier pas ; je partage votre appréciation et celle de M. Husson. Certes, c’est un pas qui paraît encore insuffisant. Mais quand un sujet n’est pas mûr, autant avancer comme on le peut, en essayant de convaincre nos partenaires petit à petit.
L’idée d’un budget de la zone euro étant une proposition franco-allemande, Bruno Le Maire et Olaf Scholz ont présenté une contribution commune précisant le fonctionnement de ce futur budget et permettant de concrétiser l’engagement pris depuis le sommet de Meseberg.
Sur le fond, cette contribution permet de clarifier à la fois l’architecture et les principes du budget. C’est essentiel : cela permet de répondre à beaucoup de questions restées ouvertes, notamment l’articulation avec le budget de l’Union européenne qui était au cœur des préoccupations des États membres. Ce sera donc bien un budget dans le cadre financier pluriannuel.
Mais il faudra une gouvernance à dix-neuf ; c’est essentiel pour nous. Elle se matérialisera par un accord intergouvernemental. Les décisions stratégiques seront prises par les dix-neuf chefs d’État et de gouvernement en sommet zone euro et mises en musique par les ministres des finances de la zone euro, donc par l’Eurogroupe. Les ressources proviendront à la fois de contributions nationales, de l’affectation de recettes fiscales et de ressources européennes. L’argent peut, par exemple, provenir de la taxe sur les transactions financières ; nous avons cette taxe en France, et nous pourrions la consacrer au budget de la zone euro.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour la réplique.
M. Jean Bizet. Madame la ministre, je vous remercie de ces précisions.
Vous et nous allons être contraints au même exercice : éviter la verticalité des décisions. Je vous suggère donc d’inviter les parlements à participer à ces projets d’investissement, qui doivent nous permettre de réenchanter l’Europe et de redonner convergence à nos économies, sur le modèle de ce qu’on appelle la « Conférence interparlementaire sur l’article 13 » du semestre européen.
Aujourd’hui, entre les deux principaux États membres de l’Union européenne, la France et l’Allemagne, les convergences vont croissant. Et nous ne pourrons pas avoir d’équilibre de l’Union européenne sans cet effort de convergence.
Invitez les parlements à une telle conférence, qui pourrait se dérouler à Strasbourg. Nous pourrions faire de cette ville le siège systématique de nos réunions sur ce point au minimum deux fois par an.
M. André Reichardt. Excellent, ça !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, même après l’échange que vous venez d’avoir avec M. Bizet, j’ai du mal à voir où sont les avancées sur la zone euro.
Dans le compte rendu du Conseil européen, la taxation des GAFA ou les migrations sont abordées, en termes très politiquement corrects, mais il n’y a rien sur la réforme de la zone euro !
D’aucuns nous renverraient plutôt vers l’Eurogroupe. Mais, outre que l’euro est – je le rappelle – la monnaie de l’ensemble de l’Union européenne, vous venez de nous confirmer que ce budget serait non pas un budget de la zone euro, mais une ligne de crédits dans le prochain cadre financier pluriannuel de l’ensemble de l’Union européenne. Cela concerne donc totalement le Conseil européen. Or on n’en trouve aucune trace dans les relevés de conclusions.
Connaissant la difficulté à mettre en œuvre le mécanisme financier pluriannuel contraint et les menaces qui pèsent, notamment, sur la politique agricole commune, n’y a-t-il pas un risque de troquer la PAC contre cette ligne de crédits sur la zone euro ?
Votre gouvernement a choisi de financer les 10 milliards d’euros d’annonces du Président de la République par de la dette, au lieu de rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, ou de jouer sur le double effet du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ou CICE.
Au moment où la Banque centrale européenne annonce la fin de l’assouplissement quantitatif – cela représente une menace très grave sur l’évolution des taux et du coût de la dette –, évoluer dans ce sens ne risque-t-il pas de nous supprimer toute capacité de convaincre à propos des projets que nous souhaitons pour l’avenir de l’Europe ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, ne cherchez pas dans les conclusions du Conseil européen ce qui se trouve dans la déclaration du sommet de la zone euro. Je pense à l’approbation des termes de référence du filet de sécurité commun du Fonds de résolution unique, aux modalités relatives à la réforme du Mécanisme européen de stabilité, aux progrès du paquet bancaire.
Dans le contexte du cadre financier pluriannuel, l’Eurogroupe est chargé de mener les travaux sur la conception, les modalités de mise en œuvre et le calendrier d’un instrument budgétaire de convergence et de compétitivité pour la zone euro et les États membres du Mécanisme de change européen, ou MCE, sur une base volontaire. Cet instrument fera partie du budget de l’Union européenne et sera cohérent avec d’autres politiques de l’Union européenne et subordonné aux critères et aux orientations stratégiques des États membres de la zone euro.
Je vous rassure : ainsi que nous l’avons précisé depuis le début, il est hors de question que les nouvelles priorités ou un instrument budgétaire pour la zone euro portent atteinte à la politique agricole commune. Notre position est claire ; nous l’avons fait partager par vingt de nos partenaires. Elle consiste à demander le maintien en euros courants du budget de la PAC à vingt-sept. Nous continuerons à défendre cette position.
Comme je l’expliquais, le financement du budget de la zone euro proviendra de contributions nationales, mais aussi de recettes fiscales dédiées, par exemple la taxe sur les transactions financières.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, j’entends vos arguments. Mais, à la fin, ce sera le budget de l’Union européenne qui sera sollicité. Et, sans accord au sein du Conseil européen, aucune avancée ne sera possible. Or je constate qu’il n’y a rien sur ce point aujourd’hui, même si les réflexions avancent très lentement au sein de l’Eurogroupe.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen s’est penché la semaine dernière sur les propositions de la Commission pour le prochain cadre financier pluriannuel qui couvrira la période 2021-2027.
L’élaboration de ce budget est particulièrement périlleuse alors que le départ du Royaume-Uni, contributeur net, privera le budget européen de plusieurs milliards d’euros chaque année, quand, dans le même temps, les défis auxquels est confrontée l’Union européenne se multiplient.
Cependant, le cadre financier apparaît globalement en hausse. Nous saluons cette montée en puissance, qui, nous l’espérons, permettra de renforcer l’efficacité et la présence des politiques communautaires.
Mais, à y regarder de plus près, nous ne pouvons pas nous satisfaire de certains éléments de ce budget. En effet, la Commission envisage une réduction de près de 5 % du budget dédié à la politique agricole commune et de près de 6 % de celui qui alimente la politique de cohésion.
Si nous rejoignons la Commission dans l’identification de nouvelles priorités pour l’action européenne, la défense, la sécurité – ma collègue Nathalie Goulet vient de le rappeler –, le climat, les migrations, ces priorités ne doivent pas être mises en œuvre au détriment des politiques existantes et efficaces auxquelles nos concitoyens sont très attachés. N’oublions pas que la PAC et la politique de cohésion sont souvent les seuls éléments tangibles des bienfaits de l’Union européenne dans nos territoires ruraux.
Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que le Gouvernement saura préserver les aides aux agriculteurs et au développement local, fondations nécessaires à la poursuite de la construction d’une Europe solide ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, je peux vous rassurer : la position de la France consiste à soutenir les nouvelles priorités – défense, sécurité, gestion des flux migratoires, jeunesse et innovation –, mais certainement pas à sacrifier les politiques traditionnelles. Nous nous sommes mobilisés et nous avons sollicité un très grand nombre d’autres États membres en ce qui concerne la défense de la politique agricole commune, car la PAC n’est pas une politique dépassée, mais elle est une politique qui répond à des enjeux particulièrement actuels de transformation de l’agriculture, d’autonomie alimentaire et de capacité à exporter sur des marchés tiers où nos produits agricoles sont recherchés.
Nous sommes donc déterminés à défendre la politique agricole commune, qu’il s’agisse du premier pilier, dont le financement ne peut être que communautaire, ou du deuxième pilier. Nous sommes également attentifs à une part environnementale plus forte en la matière que ce qui est prévu dans le cadre financier pluriannuel actuel.
S’agissant de la politique de cohésion, je veux vous rassurer doublement.
Tout d’abord, la Commission a proposé un budget en hausse pour le Fonds européen de développement régional, le FEDER. La baisse constatée concerne le budget du Fonds de cohésion qui est destiné aux États membres les moins riches de l’Union européenne. Par conséquent, elle ne nous affectera pas.
En revanche, la Commission a proposé un élargissement de la catégorie des régions en transition, mesure qui concernera la grande majorité des régions françaises.
Bon an mal an, la France s’en sort bien. Certes, il faut ensuite entrer dans les détails. La simplification est plutôt bienvenue. Quant aux fonds européens, nous dialoguons de leur attribution avec la Commission et avec nos partenaires. Quoi qu’il en soit, nous serons très attentifs à ce que ces fonds, essentiels au développement de nos territoires ruraux et ultramarins, soient préservés dans le prochain cadre financier pluriannuel.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Moga. Madame la ministre, je prends acte de votre réponse. Permettez-moi d’insister : nos territoires et le monde d’agricole sont aujourd’hui en grande souffrance et en grande difficulté. Ils sont en pleine mutation et ont des challenges à relever liés au climat, au développement durable et à la compétitivité. Il est indispensable de soutenir le volet agricole ; il en est de même des territoires. Une réduction des budgets en lien avec ces politiques serait inacceptable pour les habitants de nos territoires, et catastrophique pour nos agriculteurs et notre agriculture.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Madame la ministre, dans un peu moins de cent jours la Grande-Bretagne quittera l’Union européenne. Je partage les propos du président de la commission des affaires étrangères, Christian Cambon, qui a évoqué une tragédie à la fois pour l’Union européenne, mais également pour les Britanniques.
Faute de majorité à la Chambre des communes, la situation de blocage outre-Manche, où certains évoquent dorénavant un second référendum ou une situation de crise, inquiète très fortement nos 300 000 compatriotes qui y sont installés.
En cas de retrait unilatéral de la Grande-Bretagne, hypothèse qui redevient plausible, la communauté française s’inquiète du devenir de ses conditions de vie, de séjour et de travail à Londres et au Royaume-Uni. Je rappelle que le compromis sur le maintien des droits du 19 mars dernier prévoyait qu’à la fin de la période de transition fixée au 31 décembre 2020, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, nos concitoyens pourront vivre, travailler ou étudier dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui.
Vous savez également que l’association représentant les ressortissants européens s’inquiète de la capacité du Royaume-Uni à procéder dans les temps au recensement de ces derniers.
Le Gouvernement a d’ores et déjà prévu des ordonnances, ce que l’on peut comprendre puisque la période est compliquée et qu’il faut agir rapidement. Pourriez-vous nous rappeler les priorités qui ont été les vôtres ? Plus concrètement, quid du renforcement des moyens des consulats, sachant par ailleurs que le budget pour 2019 prévoit une baisse considérable des moyens attribués aux opérations des administrations consulaires ?
En outre, pouvez-vous nous donner davantage d’éléments sur les flux de marchandises que vous avez commencé à évoquer ? Nous savons tous que le Brexit aura également des conséquences pour le commerce de part et d’autre de la Manche, notamment dans les territoires français.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Temal, sans chercher à commenter la politique intérieure britannique, le niveau d’incertitude dans lequel nous nous trouvons à cette date nous incite effectivement à nous préparer aux conséquences d’un Brexit sans accord. C’est ce que nous avons fait en vous soumettant le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.
Il nous revient d’adopter directement un certain nombre de mesures nationales. D’abord, au bénéfice des Britanniques qui résident sur notre sol et que nous souhaitons garder. Il est important qu’ils puissent continuer à vivre, à travailler, à étudier dans des conditions comparables à celles dont ils bénéficient actuellement. Ensuite, à l’égard des Français qui reviendraient du Royaume-Uni, car il est essentiel que leurs diplômes, leurs qualifications professionnelles, leurs années d’exercice professionnel soient pleinement reconnus.
Il revient ensuite au Royaume-Uni d’assurer à nos compatriotes, et plus largement à l’ensemble des Européens, des conditions de séjour, de travail et d’études comparables à celles qu’il avait acceptées dans l’accord de retrait. Ce point fait naturellement déjà l’objet de discussions politiques avec nos partenaires britanniques. Je me suis moi-même rendue à Londres au mois de septembre dernier pour m’assurer de la volonté politique de nos partenaires britanniques, qu’ils ont exprimée clairement. Nous sommes également attentifs aux détails des mesures destinées aux ressortissants européens. C’est la raison pour laquelle le projet de loi d’habilitation insiste bien sur la nécessaire réciprocité entre les dispositions que nous offrirons aux partenaires britanniques vivant en France et celles qui seront accordées aux ressortissants européens, notamment français, vivant au Royaume-Uni.
Par ailleurs, nous avons commencé à recruter en nombre des douaniers et des vétérinaires pour assurer l’effectivité des contrôles, mais aussi pour éviter de porter atteinte à la fluidité du trafic des marchandises. Un coordonnateur national établit la liste des besoins en termes d’aires de stationnement, par exemple, et de construction d’infrastructures. C’est pourquoi nous vous demandons de pouvoir déroger à un certain nombre de procédures pour agir dans l’urgence, ce qui est indispensable.
Enfin, je vous confirme que notre consulat à Londres a recruté des effectifs supplémentaires. Si l’hypothèse d’un Brexit sans accord devait se confirmer, de nouveaux effectifs seraient recrutés en dépit de l’effort général demandé au ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour la réplique.
M. Rachid Temal. Je prends bonne note de ces mesures que je salue. Il serait utile que la question du financement, notamment des infrastructures, que vous évoquez, soit réglée. Or, à ce jour, madame la ministre, le budget de votre ministère est en baisse, ce qui est quelque peu inquiétant.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Madame la ministre, je souhaite vous interroger sur le défi migratoire. En effet, comme l’a souligné le président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, les conclusions du dernier Conseil européen sur ce plan sont plutôt modestes. C’est d’autant plus regrettable que les chefs d’État et de gouvernement auraient pu tirer profit non seulement d’un contexte ayant évolué avec un retour des flux migratoires au niveau d’avant-crise – Jean Bizet l’a rappelé –, mais également des réels progrès enregistrés dans certains domaines en la matière.
Je pense, en particulier, à la dimension extérieure de la politique migratoire, avec l’abondement à hauteur de 500 millions d’euros du fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour l’Afrique. Je pense aussi à l’institution d’une véritable agence européenne de l’asile à partir d’EASO, le bureau européen d’appui en matière d’asile. Je pense enfin au renforcement du mandat de FRONTEX au moment où il est crucial de mieux contrôler les frontières extérieures de l’Union en visant l’objectif, à terme, d’une police européenne des frontières.
En revanche, c’est la dimension interne de la politique migratoire qui est la cause du blocage observé, plus précisément certains textes des deux paquets Asile : la réforme du règlement de Dublin, dont vous avez parlé, madame la ministre, et celle du règlement Procédures, pourtant débattues depuis maintenant plus de deux ans.
La présidence autrichienne avait mis en avant le principe de solidarité, mais celui-ci a besoin d’être explicité. Sans doute conviendrait-il de rechercher les voies et moyens d’exemptions, avec des contreparties réelles, certes, au principe de relocalisation obligatoire, lequel offrirait alors davantage de flexibilité.
La politique migratoire est un sujet majeur pour la lisibilité de l’action de l’Union européenne auprès de l’opinion publique. Dès lors, madame la ministre, quels sont les objectifs de la France dans les négociations à Bruxelles, en particulier sur l’adoption des paquets Asile ? Quelles perspectives pourriez-vous nous donner pour espérer avancer sur le sujet ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Reichardt, vous avez raison : en matière migratoire, des progrès incontestables ont été accomplis. La pression migratoire est beaucoup moins forte aujourd’hui qu’elle ne l’était au cours des années précédentes, même si elle est présente en Méditerranée occidentale – elle s’observe depuis le Maroc vers l’Espagne – et si elle reste latente sur la route des Balkans, qui n’est pas toujours aussi fermée qu’on veut bien le dire.
Pour autant, en raison de la manière dont l’Union européenne a réussi à intervenir en appui de nos partenaires au Sud et à l’Est, le soutien à la lutte contre les passeurs ou pour l’amélioration du travail des garde-côtes, par exemple au Maroc, porte ses fruits. C’est un point positif. La dimension externe est finalement plus facile à traiter.
Vous avez également fait part de progrès quant à EASO et à FRONTEX. Vous avez raison, mais il faut malgré tout se méfier de certains États membres, qui préfèrent parfois vivre du problème plutôt que de trouver des solutions et qui, après avoir dit oui à un élargissement à la fois du mandat et des effectifs de FRONTEX, se montrent aujourd’hui plus réservés. Certes, la pression est moins forte, mais elle pourrait se réveiller demain. Ces mêmes pays nous demanderaient alors d’aller plus vite. C’est la raison pour laquelle nous voulons accélérer l’élargissement à la fois des missions et des effectifs de l’agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières.
La difficulté porte sur le règlement de Dublin. C’est la raison pour laquelle la France, conjointement avec l’Allemagne, vient de faire une série de propositions. Nous avions regretté que la présidence autrichienne se détourne de la dimension interne de la gestion des migrations. Les propositions franco-allemandes visent à confirmer le principe de solidarité obligatoire, mais avec des modalités variables d’expression de la part des États membres. Pour autant, elles garantissent quand même qu’une masse critique d’États membres acceptent les relocalisations, même si d’autres formes de solidarité sont également possibles.
Nous travaillons également à une limitation de la durée de la responsabilité des pays de première entrée. Il est envisagé de la porter à huit ans. De la sorte, leur responsabilité demeure, mais pas ad vitam æternam, ce qui poserait évidemment un problème aux pays de première entrée victimes de leur géographie.
Nous continuerons à œuvrer pour faire en sorte que l’ensemble du paquet Asile puisse trouver une conclusion. Même si cinq textes sur sept sont déjà quasi prêts, les mettre en œuvre en laissant de côté le texte le plus important reviendrait à perdre tout levier pour aboutir à une réforme pourtant indispensable du règlement de Dublin.
M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat suit attentivement les négociations sur le futur cadre financier pluriannuel pour les années 2021-2027.
Je relève aujourd’hui trois choses.
Premièrement, je note la position constante, fermement affirmée du Gouvernement contre la baisse du financement de la politique agricole commune qui sera l’essentiel de mon propos.
Deuxièmement, je note la volonté de la Commission européenne, pour reprendre ses mots, de « moderniser ces piliers essentiels du budget européen », autrement dit, sauf mauvaise interprétation de ma part, d’en réduire le financement !
Troisièmement, je note que quelques États, les Pays-Bas en tête, soutiennent la baisse des fonds de la PAC. Ce sont ces mêmes pays qui s’opposaient notamment aux propositions du Président de la République d’un budget de la zone euro. Or, dans le cadre de la réunion du Conseil européen de la semaine dernière, les dirigeants se seraient entendus sur la création d’un instrument budgétaire pour les dix-neuf États de cette zone.
Madame la ministre, le gouvernement français est-il en mesure de voir partager ses ambitions dans les négociations en cours et à venir, c’est-à-dire un budget de la PAC pour 2021-2027 égal, en termes réels, au budget de la PAC 2014-2020 ? L’entente des États sur un budget de la zone euro contraindrait-elle la France à réduire ses ambitions pour le budget de la PAC ?
Notre collègue Patrice Joly avait déposé un rapport d’information le 11 juillet 2018 sur ce sujet. Le financement de nouvelles priorités politiques et la réduction annoncée du financement de la PAC se traduiraient par des réductions de crédits à destination des territoires les plus fragiles. On ne peut pas oublier ces territoires et ces collectivités ; ils sont au cœur du projet historique européen.
C’est pourquoi, madame la ministre, je compléterai ma première question : comment le Gouvernement compte-t-il soutenir une meilleure prise en compte des territoires ruraux dans les négociations du prochain cadre financier pluriannuel, sans oublier les territoires non métropolitains de l’Union européenne, c’est-à-dire, dans le cas de la France, les départements et régions d’outre-mer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Bouloux, comme j’ai déjà eu l’occasion de le rappeler cet après-midi, notre attention est tout entière concentrée sur le maintien de la PAC à vingt-sept dans le prochain budget européen.
Je l’ai souligné également, nous avons créé autour de nous une coalition substantielle de vingt et un États membres. Les États que l’on appelle traditionnellement les « amis de la cohésion » se sont réunis récemment à Bratislava. Or ceux qui défendent la cohésion défendent en même temps la politique agricole commune et ont une lecture de la politique européenne au service des territoires. Nous allons donc poursuivre notre action.
Effectivement, les Pays-Bas sont des partenaires difficiles au sein de l’Union européenne. Mais il est quelquefois possible de les convaincre. Je passe beaucoup de temps avec ceux qui se qualifient de contributeurs nets et regardent l’évolution du prochain budget avec des oursins dans les poches, si vous me permettez cette expression imagée. Quoi qu’il en soit, l’Allemagne et la France sont également des contributeurs nets. Elles doivent pouvoir peser de tout leur poids pour que le prochain budget européen soit un budget ambitieux incluant un instrument budgétaire pour la zone euro.
Je veux répondre à votre inquiétude selon laquelle quand la Commission parle de modernisation de la politique agricole commune, il ne peut s’agir que d’une diminution des montants alloués.
Rendons-lui justice, la Commission a aussi travaillé à la simplification de la PAC que les agriculteurs appelaient de leurs vœux. Nous avons examiné avec attention ses propositions, dont certaines vont dans le bon sens. Pour autant, le fait de demander aujourd’hui des plans stratégiques nationaux en matière de politique agricole commune doit nous rendre circonspects. Tout d’abord, prenons garde à ne pas en faire une usine à gaz extraordinairement complexe. Prenons garde aussi à éviter tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, ressemblerait à une renationalisation de la politique agricole commune. Nous veillerons à éviter toutes les distorsions de concurrence. Je le répète devant vous : nous serons attentifs aux outils qui permettent de protéger nos territoires ultramarins, en particulier au programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, le POSEI. Nous en avons débattu avec l’Espagne et le Portugal qui, comme nous, seront très vigilants à cet aspect du prochain budget européen.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser mon collègue Pascal Allizard, qui devait poser cette question, mais qui a été retenu. Je m’exprimerai pour lui.
Le dernier Conseil européen a fait un point sur la question migratoire. Je note quelques avancées récentes, notamment pour ce qui concerne l’intensification de la lutte contre les réseaux de passeurs. Nous ne pouvons nous satisfaire de voir des migrants réduits à l’état de marchandises par des criminels sans scrupule. Européen convaincu, j’ai vu cette crise prendre de l’importance et s’étendre durant ces années « noires » où l’action brouillonne de l’Europe a marqué les opinions publiques de nombreux États. Démagogues, populistes et autres marchands de solutions simplistes prospèrent sur ce terrain fertile.
Je sais le potentiel désagrégateur pour l’Europe de la question migratoire. De fait, elle est déjà divisée en deux sur ce sujet. Nous ne pouvons plus compter sur la seule capacité de compréhension des Européens ni sur la capacité d’absorption des sociétés.
J’observe les inquiétudes des citoyens qui ont le sentiment que les choses se décident loin d’eux, promues par des administrations ne bénéficiant d’aucune légitimité et qui, pourtant, ne se privent pas de présenter le phénomène migratoire comme inéluctable et nécessairement bénéfique.
Compte tenu de la situation mondiale tendue et malgré les mesures européennes qui se mettent en place, la détermination des candidats à l’immigration reste intacte. J’ai vu récemment, en plein désert, dans la Corne de l’Afrique des migrants avançant inexorablement vers les rivages de la Méditerranée.
En complément des nécessaires coopérations avec les pays d’origine, de la prise en compte de critères objectifs pour l’accueil, il faut réaffirmer la primauté du droit et pas seulement à l’encontre des réseaux criminels de passeurs. Lorsque des personnes n’ont pas vocation à se maintenir sur le territoire de l’Union européenne, elles doivent être effectivement reconduites. C’est loin d’être le cas partout si j’en juge par la situation française : l’éloignement des étrangers en situation irrégulière ne fonctionne pas de manière satisfaisante.
Il faut une volonté politique – je ne la vois pas clairement – et des moyens afférents, qui font, semble-t-il, défaut. Ainsi que cela a été rappelé par le rapporteur lors des débats sur la mission « Immigration, asile et intégration » de la loi de finances pour 2019, « l’effort est quasi nul depuis quatre ans sur les crédits dédiés à l’éloignement ».
Madame la ministre, quelles initiatives la France prendra-t-elle en faveur d’une politique migratoire mieux organisée ? À quand un accueil digne, un traitement rapide des dossiers et une exécution des décisions à l’encontre des déboutés ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Pellevat, votre question comporte à la fois une dimension européenne et une dimension nationale. Vous ne serez pas étonné si je ne réponds qu’à sa dimension européenne.
En matière d’action externe de l’Union européenne, des progrès substantiels ont été faits avec les pays d’origine et de transit des migrations. Nous développons des projets destinés à la formation et l’emploi des jeunes, en particulier en Afrique subsaharienne. Nous luttons aussi contre les réseaux de passeurs avec les pays de transit, qui s’aperçoivent chaque jour davantage que ces réseaux portent atteinte à l’autorité de l’État. Ils sont aujourd’hui demandeurs de coopération pour que nous puissions mener ensemble la lutte. Des opérations de politique de sécurité et de défense commune, ou PSDC, européennes permettent de contribuer à la lutte contre ces réseaux de passeurs avec une efficacité toujours plus grande.
S’agissant de l’accueil sur le territoire européen, nous faisons une claire distinction entre les demandeurs d’asile. Il y a, d’un côté, ceux qui fuient les persécutions et la guerre : ils doivent être mieux accueillis, leurs procédures doivent être plus rapides et leur intégration facilitée par de véritables efforts, notamment par un appui européen. Puis il y a, de l’autre côté, ceux qui utilisent à mauvais escient des procédures de demande d’asile pour procéder à des migrations irrégulières. Ceux-là doivent être reconduits dans leur pays d’origine. Nous devons ainsi coopérer avec les pays d’origine, notamment pour qu’ils délivrent des laissez-passer consulaires plus vite et en plus grand nombre.
Nous commençons à progresser avec un certain nombre de pays d’origine à titre bilatéral et nous coordonnons davantage notre action à l’échelon européen pour que ces progrès soient effectifs. C’est une condition nécessaire pour pouvoir reconduire vers leur pays d’origine les migrants illégaux déboutés.
Nous avons également demandé que FRONTEX puisse participer davantage au retour vers les pays d’origine. C’est l’un des aspects de l’élargissement des missions de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes que de pouvoir accompagner les retours des migrants illégaux dans leur pays d’origine.
(M. David Assouline remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
vice-président
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Mes chers collègues, lors de sa réunion des 13 et 14 décembre, le Conseil européen a souligné que le marché unique devait évoluer de manière à intégrer pleinement la transformation numérique, y compris l’intelligence artificielle. Ma question portera sur ce secteur, qui constitue le prochain grand enjeu technologique de notre planète.
Au mois de juin, la Commission européenne avait proposé d’investir 9,2 milliards d’euros dans le tout premier programme numérique de l’Union, afin d’aligner le prochain budget à long terme de l’Union européenne pour la période 2021-2027 sur les défis croissants qui se posent dans le domaine numérique. Cinq secteurs ont été clairement identifiés, dont l’intelligence artificielle.
Début décembre, la Commission européenne a présenté un plan coordonné élaboré avec les États membres pour favoriser le développement et l’utilisation de l’intelligence artificielle en Europe. Bruxelles a indiqué vouloir investir 1,5 milliard d’euros d’ici à 2020 pour renforcer les investissements dans ce secteur. Avez-vous des informations à nous apporter sur la façon dont la Commission va procéder, madame la ministre ?
Nous le savons, l’intelligence artificielle sera utile dans les secteurs de la santé, des transports, de la sécurité, de l’agriculture et dans la lutte contre le changement climatique, notamment. Alors qu’en 2015 le marché de l’intelligence artificielle pesait 200 millions de dollars, on estime qu’en 2025 il s’élèvera à près de 90 milliards de dollars. L’Union européenne, en retard dans ce domaine face à la Chine et aux États-Unis, comme l’a rappelé Jean Bizet, doit rester dans la course.
En développant l’intelligence artificielle, nous devons veiller à un aspect : l’éthique. La Commission européenne s’attache à fixer des lignes directrices en la matière, et nous ne pouvons qu’y être favorables. Il y a quelques jours, le Conseil de l’Europe, plus précisément la Commission européenne pour l’efficacité de la justice du Conseil de l’Europe, a adopté la première charte éthique européenne d’utilisation de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires.
Cette charte fournit un cadre de principes destinés à guider les décideurs politiques, les juristes et professionnels de la justice dans la gestion du développement rapide de l’intelligence artificielle dans les processus judiciaires nationaux. Je me félicite de son adoption. Nous devons veiller à une intelligence artificielle éthique et responsable pour les droits de l’homme.
Cependant, nous savons que les deux grands pays leaders actuels de l’intelligence artificielle, la Chine et les États-Unis, n’ont pas la même vision éthique que l’Union européenne. Serait-il envisageable selon vous de définir un cadre éthique et juridique international, et non pas juste un cadre européen ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, il y a effectivement urgence à ce que l’Union européenne s’organise pour financer la recherche nécessaire en matière d’intelligence artificielle, afin de ne pas rater cette nouvelle révolution technologique, sachant que nous en avons manqué d’autres.
C’est la raison pour laquelle nous avons plaidé en faveur d’une agence pour l’innovation disruptive à l’échelon de l’Union européenne. Notre plaidoyer a été entendu puisque, dans le prochain budget européen, le Conseil européen de l’innovation défendu par l’actuel commissaire à la recherche a vocation à pouvoir financer massivement des projets, notamment en matière d’intelligence artificielle. Cédric Villani et moi-même nous sommes rendus il y a quelques semaines à Bruxelles pour faire la publicité de nos idées. Nous y avons rencontré les interlocuteurs de la Commission, mais aussi un certain nombre d’acteurs sur ces questions au sein des institutions européennes.
Comme vous l’avez rappelé, un plan coordonné consacrera au secteur 1,5 milliard d’euros d’ici à 2020. Par ailleurs, la négociation est en cours, mais bien avancée, sur les crédits de la recherche dans le prochain budget européen.
Vous avez parfaitement raison, ce que l’Union européenne veut mettre en avant, c’est une intelligence artificielle éthique, éloignée parfois de la conception à la fois des États-Unis et de la Chine. Il faut pouvoir plaider pour une forme de gouvernance mondiale dans laquelle chacun respecterait les mêmes principes éthiques. Mais commençons déjà par peser dans la conversation mondiale en mettant en place des principes à l’échelle européenne. Sur ce point également, la réflexion est en cours. Elle s’appuie sur une contribution très active de la France. C’est un sujet sur lequel nous voulons être à la pointe à la fois de l’innovation et de la régulation.
Conclusion du débat
M. le président. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir participé à ce débat interactif et d’avoir répondu à l’ensemble de mes collègues.
Je formulerai deux réflexions.
La première porte sur la politique de l’Union européenne, que l’on caractérise par définition comme une politique des petits pas, mais ce sont des pas décisifs. C’est vrai en ce qui concerne l’Union économique et monétaire, le budget d’investissement, et c’est également vrai en ce qui concerne la règle de l’unanimité. En la matière, il n’est pas facile de faire évoluer nos collègues, même si nous entretenons des rapports extrêmement constructifs avec le Sénat néerlandais, par exemple, avec lequel nous évoquons régulièrement cette question.
Même si cela date non pas d’hier, mais plutôt d’avant-hier, la crédibilité de la France, dès que l’on aborde les problématiques financières, n’est pas énorme. Dans quelque temps, notre déficit risque de dépasser les 3 % ; il faudra alors expliquer à nos partenaires les raisons de ce nouveau dépassement, en espérant que celui-ci ne sera observé que pour la seule année 2019, car, à défaut, si cette situation devait se produire deux années de suite, nous ferions une nouvelle fois l’objet d’une procédure pour déficit excessif.
Mais l’Europe, ce n’est pas uniquement la politique des petits pas ; elle doit être aussi la politique des grandes décisions et des mutations.
Je ne pensais pas évoquer ce sujet, mais puisqu’un certain nombre de mes collègues ont abordé la politique agricole commune, je veux vous dire, madame la ministre, que j’ai noté que vous aviez bon espoir de maintenir la ligne budgétaire en euros courants. Je ne veux pas être cruel, mais je vous rappelle que, en euros constants, la baisse sera de 12 % au minimum.
La problématique n’est pas seulement une problématique financière. Notre crainte – et le Sénat a alerté le Gouvernement sur ce point et a dénoncé cette situation –, c’est que nous n’assistions en février à un échec de la loi ÉGALIM, ou loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. Pourquoi ? Parce qu’en matière agricole, la fixation des prix ne relève pas, comme dans les autres secteurs d’activité, de l’économie de marché au sens commun. Un coût de production, en agriculture, est différent selon les modèles d’agriculteur et les modèles d’agriculture.
Un échec annoncé de la loi ÉGALIM nous placerait en grande difficulté sur le plan sociétal. Aussi, je ne peux que vous inviter – le Sénat le fera de façon très concrète en janvier ou en février – à aborder la politique agricole commune sous un autre angle, non pas seulement l’angle budgétaire, en retravaillant les articles 32 et 39 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, et ce afin que les directions générales de l’agriculture et de la concurrence établissent un partenariat très étroit.
La raison en est simple : au lendemain de la signature du traité de Rome, pour diminuer le prix du panier de la ménagère, on avait imaginé qu’il fallait favoriser le regroupement de la demande, et non pas celui de l’offre. Un demi-siècle après, vous voyez les dérives qui se sont ensuivies.
Nous regrettons – nous l’avons redit au commissaire Moscovici la semaine dernière – qu’il n’ait pas été tenu compte des préconisations que nous avions formulées dans deux résolutions du Sénat, en date du 8 septembre 2017 et du 6 juin 2018. En effet, la réponse de la Commission européenne est allée carrément à l’encontre de nos propositions en la matière.
La politique agricole commune sera, je le crains, au cœur de nos grandes inquiétudes sociétales que nous évoquerons au mois de février prochain. Je le répète, j’aimerais qu’on aborde le problème bien sûr sous l’angle budgétaire, mais également sous l’angle de la concurrence.
L’Europe, ce sont de petits pas, mais ce sont aussi les grandes mutations. La direction générale de la concurrence doit vivre avec le XXIe siècle : on a parlé de l’intelligence artificielle, eh bien remettons véritablement ce dossier à l’ordre du jour, car, à défaut, nous aurons malheureusement, je le redoute, de grandes déconvenues ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. André Reichardt. Très bien !
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2018.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
6
Convention fiscale avec le Grand-Duché de Luxembourg
Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune (projet n° 84, texte de la commission n° 191, rapport n° 190).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, avec 125 conventions fiscales bilatérales, la France dispose, avec le Royaume-Uni, du réseau conventionnel le plus vaste du monde : il couvre 97 % de nos importations et 98 % de nos exportations.
Les conventions fiscales permettent d’arrêter les règles de partage du droit imposées entre la France et les États étrangers. En prévenant la double imposition, elles offrent une sécurité juridique aux résidents de chaque État, personnes physiques comme personnes morales. Elles peuvent également constituer un outil économique au service du développement des investissements directs et de la lutte contre l’évasion fiscale.
Ce réseau de conventions fiscales doit être régulièrement actualisé, afin de prendre en compte les derniers standards internationaux en la matière. C’est l’objet de la présente convention, signée après deux années de négociations le 20 mars 2018 à Paris, et que le Gouvernement propose ce jour à la ratification de votre assemblée.
La France et le Luxembourg sont liés par une convention fiscale signée le 1er avril 1958 qui a pour objet d’éviter les doubles impositions et d’établir des règles d’assistance administrative réciproques en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune. Cette convention a été modifiée à quatre reprises depuis sa signature.
À la demande de la France, la conclusion d’avenants en 2006 et en 2014 avait notamment permis de mettre un terme à certains schémas d’évasion fiscale en prévoyant l’imposition des plus-values immobilières au lieu de situation de l’immeuble auxquelles elles se rattachent, qu’elles soient réalisées directement ou pas par une entreprise interposée.
Pour autant, du fait de son ancienneté, cet accord nécessite une modernisation générale, afin de l’adapter aux principes actuels de la fiscalité internationale, en particulier aux derniers travaux de l’OCDE.
Le Luxembourg est en outre un partenaire économique important pour la France : en 2017, le volume d’échanges entre les deux pays représentait ainsi 3,8 milliards d’euros, et la France était le deuxième client et le troisième fournisseur du Luxembourg.
Dans un contexte international où la lutte contre l’érosion des bases fiscales est devenue une priorité, il est devenu indispensable que notre pays se dote dans ses relations fiscales avec cet État des outils appropriés pour faire échec aux situations abusives.
L’une des principales avancées de cette convention entre la France et le Luxembourg est donc l’intégration de dispositions issues du projet BEPS – Base Erosion and Profit Shifting – de l’OCDE de lutte contre l’érosion des bases taxables et le transfert des profits.
Ainsi, la convention signée le 20 mars 2018 contient à l’article 28 une clause anti-abus générale contre les montages ayant un objectif principalement fiscal, ainsi qu’un nouveau préambule précisant que l’objet de la convention est notamment d’éliminer la double imposition sans créer toutefois de possibilité de non-imposition.
Outre les normes les plus récentes de l’OCDE en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales – échange de renseignements, assistance au recouvrement –, la présente convention introduit une définition plus précise de la résidence fiscale conforme à la pratique conventionnelle française et visant à prévenir les situations de double non-imposition.
L’introduction de nouvelles règles de définition de l’établissement stable d’entreprise, telles qu’elles ont été révisées dans le cadre du projet BEPS, constitue une autre avancée importante. Ces règles permettront de mieux répartir l’imposition des bénéfices entre la France et le Luxembourg, en particulier par la remise en cause de schémas consistant à localiser artificiellement à l’étranger des activités commerciales ou de montages visant à fragmenter des fonctions d’une entreprise au sein de plusieurs entités.
À cet égard, il convient de souligner que le Luxembourg a accepté dans cette négociation bilatérale de reprendre l’ensemble des choix d’option faits par la France dans le cadre de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives au projet BEPS, même lorsqu’il ne les avait pas lui-même retenues alors. Il s’agit donc d’une concession faite à la France au titre de notre relation bilatérale.
Par ailleurs, une retenue à la source sera effectuée en France sur certaines redevances de source française versées au Luxembourg alors qu’elles ne sont aujourd’hui imposables que dans ce pays.
Ces nouvelles stipulations permettront en outre d’imposer dans chaque État les gains en capital réalisés par des personnes physiques qui résultent de la cession d’une participation substantielle du capital d’une société établie sur son territoire.
Ainsi, le propriétaire de participations supérieures à 15 % dans une entreprise française qui viendrait à quitter la France pour s’installer au Luxembourg serait toujours imposable en France sur la cession de ces titres jusqu’à cinq années après son départ, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Enfin, la nouvelle convention tient compte de la situation des travailleurs frontaliers qui résident en France et exercent leur activité au Luxembourg : elle introduit une règle permettant, pour des raisons de simplification administrative, qu’ils demeurent soumis à l’impôt dans l’État d’exercice de leur activité lorsqu’ils télétravaillent moins de trente jours par an depuis leur État de résidence, contre respectivement vingt et vingt-quatre jours dans les conventions liant le Luxembourg à l’Allemagne et à la Belgique.
En définitive, cette convention permettra de renforcer les échanges économiques et les investissements entre la France et le Luxembourg tout en s’inscrivant pleinement dans la priorité donnée par le Gouvernement à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle cette nouvelle convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui proposé à votre approbation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Vincent Delahaye, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons cet après-midi la convention fiscale entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg signée par les exécutifs des deux pays à Paris le 20 mars dernier.
Il revient au Parlement d’autoriser ou non la ratification de cet accord. Le Gouvernement ne saurait se lier à des conventions internationales comportant des droits et des obligations pour nos concitoyens sans que la représentation nationale en approuve les principes et les dispositions.
Alors, certes, le pouvoir du Parlement dans ce domaine est limité, puisque nous ne pouvons qu’accepter ou rejeter cette convention. Il n’est pas en notre pouvoir de l’amender. Il reste néanmoins que nous avons, par le passé, dans cette enceinte, rejeté certaines conventions qui ne semblaient pas défendre les intérêts de nos concitoyens de façon suffisamment satisfaisante. C’était notamment le cas de la convention avec le Panama. Et de ce point de vue, par la suite, les événements nous ont donné raison !
Mme Nathalie Goulet. Merci à Nicole Bricq !
M. Vincent Delahaye, rapporteur. Dans un contexte où les Français sont de plus en plus sensibles aux questions fiscales, cette convention exige notre vigilance.
Il s’agit tout d’abord d’une convention qui concerne un nombre croissant de ressortissants et d’entreprises. Ainsi, plus de 2 300 entreprises luxembourgeoises sont installées en France, tandis que plus de 900 filiales françaises le sont au Luxembourg.
De même, le nombre de travailleurs frontaliers qui résident en France et qui sont salariés au Luxembourg ne cesse de croître, pour atteindre désormais plus de 120 000 personnes.
Les relations avec le Luxembourg sont aujourd’hui un enjeu majeur pour tous les départements frontaliers. Les sommes en jeu et le nombre de femmes et d’hommes concernés par cette convention sont donc importants et méritent toute notre attention.
C’est, en outre, une convention qui arrive dans un contexte où des affaires ont défrayé la chronique : je pense au scandale LuxLeaks, impliquant des stratégies d’optimisation fiscale de grands groupes au Luxembourg.
Le Grand-Duché de Luxembourg est un membre éminent de l’Union européenne, un partenaire politique et économique important, mais aussi un pays qui pratique une politique fiscale compétitive, dommageable, agressive – je ne sais pas quel qualificatif employer. (M. Jean-François Husson rit.)
Mme Nathalie Goulet. « Agressive », c’est bien !
M. Vincent Delahaye, rapporteur. Cette politique évolue, et la présente convention en témoigne. La fiscalité du Luxembourg est, en tout cas, avantageuse plus pour les personnes morales que pour les personnes physiques.
Alors, comment juger de l’efficacité, de la pertinence, de la robustesse de cette convention ?
Notre tâche est facilitée par le travail considérable effectué par l’OCDE, que je veux saluer en cet instant. En effet, l’OCDE fournit à ses membres des modèles de convention qui sont les plus à même de garantir la transparence fiscale et la lutte contre l’évasion fiscale. Ils ont en particulier deux objectifs : premièrement, la sécurité juridique des opérateurs économiques ; deuxièmement, la protection des bases imposables, c’est-à-dire le fait de garantir que les opérateurs économiques sont imposés là où ils créent de la valeur. C’est cela, le grand combat !
La comparaison avec les modèles de l’OCDE offre de ce point de vue une bonne évaluation de la proximité ou non des conventions qui nous sont soumises avec les standards internationaux les plus élevés.
En quoi consiste la présente convention ? Dans quelle mesure diffère-t-elle de la convention existante ?
Il s’agit, tout d’abord, d’une révision générale de l’ensemble des dispositions d’une convention fiscale qui date de 1958. Celle-ci avait fait l’objet de nombreux avenants, mais les modifications ne concernaient que des aspects très ponctuels des relations fiscales entre la France et le Luxembourg. Il était question notamment de limiter les abus constatés : je pense au dernier avenant concernant les investissements immobiliers.
Nous avons affaire en l’espèce à une révision générale de l’ensemble des articles.
Cette refonte s’inspire très largement de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, issue des travaux de l’OCDE et dont nous avons dans cet hémicycle même cette année autorisé la ratification.
De ce point de vue, la négociation de cette convention illustre une saine articulation entre le multilatéral et le bilatéral. Alors même que la convention multilatérale n’est pas entrée en application en France et au Luxembourg – elle entrera en vigueur le 1er janvier dans notre pays et elle n’a pas encore fait l’objet d’une ratification au Luxembourg –, elle a servi de base à la négociation au point que la quasi-totalité des articles sont conformes au modèle de l’OCDE.
Comme vous vous en souvenez peut-être, cette convention multilatérale prévoit la possibilité de retenir ou non, dans des menus à options, certaines obligations. Le Luxembourg, prudent, avait opté pour un nombre minimal d’obligations. La France, plus allante, avait pris un nombre important d’engagements. Or, lors de la négociation de la convention bilatérale, le Luxembourg a accepté de rejoindre notre pays sur un grand nombre d’articles de la convention de l’OCDE auxquels il n’avait pas souscrit à l’échelon multilatéral.
Force est de constater que le Luxembourg a accédé à l’ensemble des demandes de la France, sauf sur un point mineur : l’imposition des retraités. Il a souhaité que ses retraités installés en France soient imposés sur son territoire, comme c’est actuellement le cas.
Globalement, la négociation apparaît incontestablement comme un succès. Cela est dû, je dois le dire, en grande partie au changement d’attitude du Luxembourg. Ce dernier figure, par exemple, parmi les pays qui ont adopté la nouvelle norme commune d’échange automatique de données de l’OCDE. Et les premiers échanges de renseignements concernant les données ont été effectifs en 2018.
Le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales de l’OCDE a, du fait de l’ensemble de ces changements, relevé la note du Luxembourg en matière de transparence fiscale de « non conforme » à « largement conforme ». La notation de ce pays est désormais identique à celle des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, ou encore de l’Italie. Il y a sûrement avec le Luxembourg des marges de progression, mais des progrès ont été constatés et permettent aujourd’hui des avancées.
Sans retracer dans le détail toutes les dispositions de la convention, je veux attirer votre attention sur certaines d’entre elles, mes chers collègues.
Alors que l’actuelle convention ne contient pas de définition de la résidence fiscale suffisamment précise, la nouvelle convention reprend la définition de l’OCDE et permet d’éviter les situations de double exonération.
Elle prévoit, par ailleurs, une clause générale anti-abus qui permet de faire barrage à des montages complexes dont l’unique objet serait de tirer des avantages fiscaux de l’application de la convention.
La nouvelle convention reprend la définition d’un établissement stable, ce qui permettra de déjouer les montages qui, par le biais d’intermédiaires, notamment de commissionnaires, rendent possible d’une façon ou d’une autre une diminution de la base fiscale.
De même, sous l’empire de l’ancienne convention, en l’absence d’une imposition partagée des redevances avec un taux minimal de retenue à la source, la faible imposition des redevances au Luxembourg a pu conduire à une évasion fiscale importante. La nouvelle convention y remédie.
Enfin, cette dernière tient compte de la situation des travailleurs frontaliers qui résident en France et exercent leur activité au Luxembourg en introduisant une règle permettant, pour des raisons de simplification administrative, qu’ils demeurent soumis à l’impôt au Luxembourg lorsqu’ils télétravaillent moins de trente jours par an depuis la France. C’est un progrès, même si certains souhaiteraient que nous allions plus loin.
M. Jean-Marie Mizzon. Tout à fait !
M. Vincent Delahaye, rapporteur. Ces avancées et d’autres, que leimposition mon rapport, permettent aujourd’hui de situer cette convention parmi celles qui sont les plus proches des standards les plus récents pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.
Si l’on compare cette convention avec celles que nous avons avec la Suisse, la Belgique ou les Pays-Bas, on mesure bien le chemin parcouru. À cet égard, elle constitue un modèle qui pourrait inspirer la révision des conventions fiscales conclues avec les trois pays précités.
Pour autant, elle ne règle pas toutes les difficultés auxquelles nos relations fiscales avec le Luxembourg peuvent être confrontées. Elle ne transforme pas non plus la politique fiscale du Luxembourg : elle n’en a ni la vocation ni le pouvoir.
Il s’agit non pas d’une convention d’harmonisation fiscale, mais bien d’une convention qui organise les relations fiscales entre deux pays. Pour le dire autrement, cette convention renforce la sécurité juridique pour l’ensemble des opérateurs, évite les doubles impositions et les doubles non-impositions, renforce les moyens de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, règle la question des travailleurs frontaliers, mais ne touche en rien aux taux et aux méthodes d’imposition des sociétés.
Elle ne traite pas plus du différentiel de fiscalité entre nos deux pays. En revanche, cette situation appelle plusieurs observations.
La première – et c’est la principale –, c’est que la lutte contre les pratiques fiscales agressives au sein de l’Union européenne relève de cette dernière. Les progrès en la matière sont trop lents. Il me paraît que les difficultés qui ont pu être rencontrées du fait du différentiel d’imposition ou du fait de pratiques de dumping fiscal doivent être réglées par un renforcement de l’harmonisation fiscale, notamment par une harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés.
Deux projets de directive sont sur ces points cruciaux : le projet de directive sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés et celui de directive sur la taxe sur les services numériques.
Sur ces deux projets de directive qui ont fait l’objet même de résolutions du Sénat, madame la secrétaire d’État, la commission souhaiterait connaître l’état des négociations en cours. Pouvez-vous aussi nous indiquer dans quel texte sera instaurée la taxe sur les GAFA qu’a annoncée le Premier ministre ?
Sous réserve de toutes ces observations, mes chers collègues, la commission des finances vous propose d’adopter le projet de loi autorisant la ratification de la convention. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Mizzon et Mme Colette Mélot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à travers le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, il nous est proposé de ratifier la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg.
Venant enfin actualiser un dispositif conventionnel qui datait de 1958, rendu obsolète par les dernières avancées en matière de fiscalité hybride et d’optimisation, ce texte place nos deux pays – c’est une bonne chose – en conformité avec les derniers standards internationaux en vigueur.
Il ouvre nos administrations fiscales respectives à des avancées importantes en matière de partage de renseignements et de lutte contre l’évasion fiscale.
Il permet d’éviter les doubles impositions comme les doubles exonérations.
Il trace une nouvelle ambition pour le télétravail, qui s’en trouve facilité. En effet, comment ne pas y être favorable quand on a conscience des enjeux environnementaux et de la récurrente question de la mobilité entre la France et le Luxembourg ? Nous devrions même, sur ce sujet, aller plus loin.
Cette convention est d’autant plus importante et attendue qu’elle concerne de plus en plus de ressortissants et d’entreprises des deux pays : 2 380 entreprises luxembourgeoises sont installées en France tandis que 900 filiales françaises le sont au Luxembourg. Et plus de 90 000 travailleurs frontaliers exercent leur activité au Luxembourg, chiffre considérable si on le rapporte aux 600 000 habitants que compte ce pays.
Il n’est pas inutile de rappeler que le Luxembourg progresse sur le chemin de la transparence. Certes, il reste des efforts à faire, mais cette convention constitue un pas dans la bonne direction, tout comme la récente réforme annoncée de l’indemnisation du chômage, qui fera faire à terme 800 millions d’euros d’économie à notre pays.
L’absence du Luxembourg de la totalité des listes noires en matière fiscale, les divers avenants à la convention depuis 1958 – au nombre de quatre – comme la diversification économique, que certaines cassandres souvent teintées de rouge ne veulent pas voir, sont là pour le rappeler.
M. Jean-François Husson. Très juste !
Mme Véronique Guillotin. D’autre part, comment parler de cette convention sans évoquer ses effets sur la vie quotidienne des hommes et des femmes concernés ?
Malgré tous ses apports positifs, elle comporte un angle mort, sur lequel je tiens à attirer votre attention : il s’agit de la situation des travailleurs frontaliers résidant en France.
Ces travailleurs sont en effet prélevés à la source au Luxembourg, mais doivent tout de même effectuer une déclaration de revenus à l’administration française. Pour éviter une double imposition, il est prévu de faire bénéficier ces contribuables d’un crédit d’impôt calculé en fonction de ce qu’ils ont déjà payé à l’administration fiscale luxembourgeoise. Or ce crédit d’impôt ne sera pas calculé de la même façon selon leur situation, qu’il s’agisse de la structure de leurs revenus ou de leur situation familiale.
Le contribuable résidant en France sera soumis au taux d’imposition le plus élevé entre les deux États, sans compter la charge administrative supplémentaire que cela représente.
D’une manière générale, les frontaliers français risquent – je reste prudente – de se retrouver dans une situation inégale par rapport à leurs collègues belges ou allemands, avec un système moins avantageux en matière d’imposition. Ce point aurait mérité une étude d’impact bien plus aboutie.
Je veux également évoquer, à l’occasion de l’examen de cette convention, les nécessaires coopérations à renforcer. Être voisin du Luxembourg est, je le répète, une opportunité, une véritable chance, car, 90 000 habitants du Grand Est, principalement du Nord lorrain, y travaillent chaque jour, et la dynamique se poursuit. En conséquence, 12 000 voyageurs empruntent quotidiennement la ligne de train express régional Nancy-Luxembourg, et des dizaines de milliers de véhicules circulent sur l’autoroute A31 et sur l’ensemble des routes secondaires. Chaque jour qui passe, trente et un frontaliers supplémentaires franchissent la frontière, soit presque autant de voitures supplémentaires sur nos routes.
Toutefois, les enjeux transfrontaliers dépassent largement la seule question de la mobilité, j’ai eu l’occasion de l’évoquer lors d’une question au Gouvernement, le 13 mars dernier, en marge de la visite d’État du Grand-Duc de Luxembourg en France.
Ainsi, si l’équilibre général de la convention doit être salué et soutenu, de même que les stipulations relatives aux frontaliers souhaitant faire du télétravail, ce traité ne règle pas tout du point de vue du différentiel fiscal, et il ne saurait se passer, sur ce sujet, des avancées attendues du droit européen.
La grande majorité du groupe du RDSE votera pour l’approbation de cette convention, mais regrette que les incidences de ce texte n’aient pas été suffisamment évaluées. J’appelle en outre l’attention du Gouvernement sur la nécessité de ne pas laisser retomber le soufflé en matière de coopération transfrontalière, à la suite de la visite d’État de mars dernier, mais au contraire d’intensifier ces coopérations, en encourageant l’expérimentation et la créativité avec, comme objectif, la coconstruction d’un espace transfrontalier dynamique et surtout équilibré, où chacun gagne à faire avancer l’autre.
En effet, nous avons des intérêts communs et complémentaires sur de nombreux sujets, comme la mobilité, la santé, la formation, ou encore l’enseignement supérieur, autant de projets à coconstruire pour une Europe qui facilite la vie quotidienne de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la convention fiscale que nous examinons aujourd’hui suscite beaucoup de phantasmes, à mon avis injustifiés.
On comprend aisément pourquoi : le Luxembourg est depuis de nombreuses années au cœur de scandales financiers et fiscaux, dont celui des LuxLeaks est le dernier exemple. Il est vrai que le Luxembourg a longtemps été l’un des mauvais élèves de l’OCDE en matière fiscale. Le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements a, par exemple, estimé jusqu’en 2015 que ses pratiques n’étaient pas conformes aux standards internationaux.
La situation est en train d’évoluer, dans le bon sens. Le Luxembourg figure désormais parmi les pays qui ont adopté la nouvelle norme commune d’échange automatique de l’OCDE. Les premiers échanges de renseignements concernant les données financières ont été effectifs cette année, ce qui était inconcevable il y a encore trois ans. Le Luxembourg a changé de pratiques, car le monde change de pratiques…
L’OCDE, sous l’impulsion du Français Pascal Saint-Amans, a réalisé un travail phénoménal pour lutter contre l’érosion des bases taxables dans le monde. La Haute Assemblée a ainsi examiné, voilà quelques semaines, le projet de loi autorisant la ratification de la convention multilatérale de l’OCDE. Cet objet juridique unique, signé le 7 juin 2017 à Paris, permet de modifier d’un seul tenant des dizaines de conventions bilatérales pour lutter contre les pratiques dommageables et les paradis fiscaux ; c’est une avancée considérable, que la France a soutenue.
Toutefois, ce n’est pas suffisant. Le champ de cet accord multilatéral ne couvre qu’un nombre limité de clauses des conventions fiscales bilatérales. Autrement dit, la seule application de cette convention multilatérale ne suffisait pas à assurer un respect intégral des normes internationales. D’où la nécessité de moderniser la convention de 1958, qui ne correspond plus au contexte normatif et économique d’aujourd’hui.
La présente convention traduit ainsi des avancées majeures pour adapter notre relation avec le Luxembourg. Elle permet notamment d’introduire une clause anti-abus générale contre les montages ayant un objet principalement fiscal, une définition plus précise de la résidence fiscale, visant à prévenir les situations abusives, de nouvelles règles de définition de l’établissement stable d’entreprise et, bien évidemment, une définition des dividendes permettant d’établir un régime plus clair et plus robuste d’imposition croisée.
Nous saluons en outre le fait que cette convention prend mieux en compte la situation des nombreux travailleurs frontaliers. Elle va donc dans le bon sens ; elle était nécessaire et le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce projet de loi d’approbation.
Toutefois, elle n’est pas suffisante pour régler la situation de compétition fiscale qui mine la solidarité en Europe. Les régimes fiscaux applicables aux entreprises et aux particuliers sont encore trop divers. Cela entraîne une course au moins-disant fiscal, qui sape les recettes des États et affaiblit donc leur capacité à agir pour les citoyens.
Cette concurrence doit cesser. L’Union européenne doit agir pour harmoniser la fiscalité entre les États membres. Nous soutenons le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés, ou projet ACCIS, qui permettra d’avancer dans cette direction. Nous soutenons également le projet de la France de mieux taxer les géants du numérique. C’est une nécessité absolue.
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
Mme Colette Mélot. Nous soutenons enfin les projets de meilleure intégration fiscale, qu’ils concernent la TVA ou les taxes environnementales.
Ces défis sont fondamentaux pour l’avenir de l’Union européenne et ils seront un enjeu majeur des échéances politiques de 2019. C’est une question de solidarité, de compétitivité et d’efficacité au service des citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le présent projet de loi vise à autoriser la ratification d’une convention fiscale conclue entre la France et le Luxembourg et signée il y a neuf mois, le 20 mars dernier.
Dans l’esprit de beaucoup, le Grand-Duché est un paradis fiscal au sein de l’Union européenne. Au-delà de l’esprit d’une telle affirmation, reconnaissons-le, jusqu’à très récemment encore, le système financier luxembourgeois était relativement opaque.
Le Luxembourg, qui compte 600 000 habitants, est la première place financière de la zone euro, et il concentre les plus grands fonds d’investissement et sièges sociaux de banques. Il ne peut donc plus décemment s’affranchir des règles de l’OCDE. Le scandale des LuxLeaks, qui a éclaté voilà quatre ans, a mis en lumière certaines pratiques d’évitement fiscal.
Depuis lors, les choses évoluent et la convention fiscale dont nous nous apprêtons à autoriser l’approbation va dans le bon sens et doit remédier au risque de fraude en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur la fortune. Construite sur le modèle de convention fiscale de l’OCDE, elle va permettre de lutter davantage contre l’évasion et la fraude fiscales. C’est un bon signal et une étape décisive qui, espérons-le, s’ouvre.
Elle tient compte des avancées obtenues dans le cadre des travaux relatifs au BEPS, menés depuis 2013, vous l’avez indiqué, madame la secrétaire d’État, et qui ont abouti à la signature d’une convention multilatérale entrée en vigueur le 1er juillet dernier. Le Luxembourg et la France ont signé cette convention le 27 juin ; celle-ci a été ratifiée par la France le 26 septembre et prendra effet en France le 1er janvier prochain. Le Luxembourg ne l’a pas encore ratifiée, mais cela ne saurait tarder.
La présente convention bilatérale s’articule avec cette convention multilatérale. Elle tient par ailleurs compte de la situation des travailleurs frontaliers qui habitent en France et travaillent dans le Grand-Duché. Les Français qui exercent leur activité au Luxembourg resteront soumis à l’impôt au Luxembourg s’ils travaillent moins de trente jours par an en France, vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État.
Depuis les années 1990, nous constatons, tous les ans, l’augmentation constante du flux de main-d’œuvre frontalière au Luxembourg : de 33 000 travailleurs en 1990, ce nombre est passé à 84 000 en 2000, puis à 148 000 en 2010, pour atteindre 190 000 aujourd’hui.
Le nombre d’emplois au Luxembourg est concomitamment passé de 168 000 à 420 000, soit 250 000 emplois supplémentaires en trente ans, quand la Lorraine en gagnait péniblement quelques milliers, le tout accompagné d’un taux annuel de croissance du produit intérieur brut, ou PIB, oscillant entre 2 % et 6 %. Enfin, 80 % des travailleurs du Luxembourg sont des étrangers, et des études prospectives menées récemment prévoient que ce pays aura besoin d’au moins 130 000 travailleurs frontaliers supplémentaires en 2035.
Lorsque nous analysons plus précisément les évolutions d’emplois les plus récentes, au cours des dix dernières années, tant au Luxembourg que dans les territoires frontaliers, nous relevons que le Luxembourg a créé 100 000 emplois pour 600 000 habitants, tandis que les territoires situés dans un périmètre de trente kilomètres autour du Grand-Duché ont créé seulement 8 000 emplois pour un million d’habitants, en incluant une perte de 5 000 emplois dans le Nord lorrain, qui représente 400 000 habitants.
Vous le comprenez, le positionnement fiscal du Luxembourg pèse clairement sur les conditions de l’entrepreneuriat en Lorraine du nord, mais également du sud, d’où l’importance de la présente convention qui, si elle ne règle pas tous les problèmes, doit permettre d’avancer en matière de coopération fiscale. Elle est assurément un préalable indispensable à une coopération économique nouvelle et renforcée dans les relations qui nous lient au Luxembourg.
Enfin, rappelons-le, la France est le deuxième client et le troisième fournisseur du Grand-Duché, qui est le premier investisseur étranger dans notre pays.
Toutefois, je crois que cela doit passer par un codéveloppement transfrontalier, dans la mesure où les impôts payés par les Français au Luxembourg rapportent près de 1,5 milliard d’euros au budget du Grand-Duché. Ce que j’appelle le « Grand Luxembourg » devrait constituer une grande ambition économique, un grand projet politique, à l’image de ce que l’on recherche avec le Grand Paris.
En attendant, nous posons aujourd’hui, ici, une première pierre avec l’approbation de cette convention, que le groupe Les Républicains soutiendra évidemment. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans notre économie ouverte, certains opérateurs internationaux se retrouvent confrontés à des obstacles d’ordre fiscal dans le développement de leurs activités à l’étranger. C’est bien dans l’optique de remédier à ce fait qu’il faut comprendre la négociation de conventions fiscales internationales, conduite par le ministère des finances en lien étroit avec les milieux professionnels.
Le Luxembourg fait partie des premiers pays avec lesquels la France a conclu une convention fiscale ; elle l’a fait le 1er avril 1958, plus d’un siècle après la toute première convention de non double imposition, il est vrai. La Haute Assemblée doit ce jour autoriser l’approbation d’une nouvelle mise à jour de cette convention franco-luxembourgeoise.
Cette mise à jour est majeure, parce que, aujourd’hui plus que jamais, la coopération internationale en matière de fiscalité est centrale pour régler la contradiction entre, d’une part, une économie qui facilite la mobilité des marchandises, des services et des capitaux et, d’autre part, un ensemble de juridictions fiscales segmentées qui, à partir d’un territoire délimité, cherchent à réguler, à capter les bénéfices et les produits désignés par leurs règles fiscales.
Nous progressons sur ce sujet, bien que trop lentement. La Haute Assemblée a eu à se prononcer récemment sur la ratification de la convention dite « BEPS » de l’OCDE, née du plan d’action défini par l’OCDE en juillet 2013, sur l’initiative du G20, contre l’érosion des bases en matière de fiscalité des entreprises et les transferts de bénéfices. Cette convention BEPS était inédite dans sa portée, dans la mesure où elle modifiait directement plus de 1 000 conventions fiscales bilatérales.
La convention franco-luxembourgeoise signée en mars dernier tire les conséquences des avancées apportées au plan multilatéral par la convention BEPS.
Je veux insister sur deux éléments qui participent à une règle de droit simple, celle qui veut que les profits doivent être taxés là où se situe l’activité économique qui permet de les générer : la clause anti-abus contre les montages ayant un objectif principalement fiscal, et l’intégration des évolutions de la définition d’établissement stable.
Premier point, la clause anti-abus désigne le refus d’octroi des avantages conventionnels, si l’octroi de tels avantages est l’un des objets principaux d’un montage ou d’une transaction.
Second point, sera désormais considérée comme constituant un établissement stable toute personne qui agit exclusivement ou quasi exclusivement pour le compte d’une entreprise à laquelle elle est étroitement liée, quels que soient les arrangements de pure forme pris pour empêcher une telle qualification.
Ces évolutions seront de nature à faire échec aux montages artificiels réalisés par les groupes dont les objectifs d’optimisation sont clairs : circulation des dividendes sans imposition, récupération des pertes, localisation du bénéfice dans la juridiction fiscale la plus avantageuse. Via des pertes ou une sous-capitalisation, les groupes ont conduit à la naissance d’une jurisprudence complexe, mettant en avant ces abus.
La présente convention apporte d’autres correctifs notables. En matière immobilière, elle modifie des règles qui donnaient des avantages injustifiés aux investisseurs luxembourgeois. En matière de double imposition, elle prévoit que les revenus d’un résident français imposable au Luxembourg sont imposés en France, avec déduction du montant de l’impôt payé en France, mais sans exonération des profits reçus au Luxembourg, une mesure inédite par rapport au contenu traditionnel des conventions fiscales.
Mes chers collègues, cette convention est une première étape. Elle vise un changement majeur dans l’usage qui est fait des conventions fiscales, bien souvent en totale contradiction avec l’objet de clarification juridique qu’elles portent.
Bien sûr, cela a été dit, les progrès que sanctionne cette convention ne peuvent faire oublier le besoin d’une harmonisation fiscale en Europe. L’Union européenne a réussi l’harmonisation de la fiscalité indirecte, avec notamment la TVA ; elle avait en effet l’ambition d’empêcher la subsistance de frontières freinant le commerce alors que les frontières douanières étaient supprimées.
Ici encore, l’évolution de l’économie – en particulier sa numérisation – demande des adaptations : les évolutions technologiques permettent à la fois une déconnexion physique des entreprises et des particuliers, mais aussi l’affranchissement, pour une entreprise, d’une juridiction où se situe le marché ; la facturation de TVA sur les biens incorporels ou services livrés aux consommateurs finaux n’est alors pas certaine.
L’harmonisation doit surtout concerner l’impôt sur les sociétés. Nous connaissons le projet d’assiette commune consolidée ; il n’a jamais été aussi urgent de le mettre en œuvre.
J’indique, en conclusion, que mon groupe votera sans réserve pour ce projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre la France et le Luxembourg, mais il restera attentif aux efforts du Gouvernement tendant à aboutir à un accord avec l’Allemagne puis à l’échelon européen sur l’harmonisation fiscale. Il y va de l’avenir de l’Europe.
M. le président. La parole est à M. Thierry Carcenac. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Thierry Carcenac. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la convention fiscale entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg. Cette convention a pour objet d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune.
Ce texte signé le 20 mars dernier se substitue à la convention du 1er avril 1958, modifiée déjà quatre fois par des avenants. Cette convention, totalement réécrite, est conforme au modèle de convention fiscale établi par l’OCDE. Elle tire les conséquences des travaux de l’OCDE et de la montée en puissance de la démarche dite BEPS, qui permet d’effectuer un pas supplémentaire vers la lutte contre les trous noirs de la fraude et de l’évasion fiscales.
Je souligne que le groupe socialiste et républicain soutient les initiatives découlant de la démarche BEPS, en ce qu’elles sécurisent juridiquement les impositions et renforcent la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales en entraînant de facto de meilleurs échanges entre les administrations fiscales.
Il est donc difficile, dans ces conditions, de s’opposer à une harmonisation des pratiques fiscales entre les deux pays, d’autant que le traité définit les notions de résidence principale et d’établissement stable d’entreprise, qu’il règle les retenues à la source sur les revenus de source française versés au Luxembourg, qu’il intègre une clause anti-abus de portée générale, et qu’il traite de la situation des plus de 120 000 travailleurs frontaliers français.
Le Parlement étant appelé à voter sur un article unique d’approbation, certes après un débat, un vote autre que conforme semble, dans ces conditions, difficilement envisageable pour mon groupe, d’autant que ce modèle pourra servir de fondement pour adapter d’autres conventions.
Toutefois, l’étude d’impact aurait mérité une analyse plus approfondie. Ainsi, la phrase indiquant que cette convention « aura […] un impact favorable sur les finances publiques sans que celui-ci puisse être toutefois quantifié à ce jour » nous laisse perplexes.
Cela dit, il n’est pas possible de faire abstraction de la nature même des activités de place financière du Luxembourg et de la réputation sulfureuse du pays cosignataire. Le Luxembourg a en effet été reconnu, il n’y a pas si longtemps – en 2014 –, après les révélations des LuxLeaks, comme un État favorisant – pour ne pas dire plus – des comportements d’optimisation et d’évasion fiscales.
Si, pour que le Luxembourg ne figure pas sur les listes noires ou grises des paradis fiscaux, les choses ont réellement évolué depuis lors, sous la pression du G20, du Forum mondial sur la transparence fiscale de l’OCDE, des opinions publiques, et de l’échange de renseignements à des fins fiscales, il n’en reste pas moins vrai qu’une vigilance s’impose.
Certes, dès 2015, au sein de l’Union européenne, les échanges automatiques d’informations fiscales sur les montants des salaires, jetons de présence, pensions, produits d’assurance vie et revenus de la propriété immobilière ont été mis en application. L’année 2017 a été l’année d’extension de l’activité des échanges automatiques de renseignements sur les comptes financiers. À compter de 2018, les États membres de l’Union ont été tenus d’échanger automatiquement les informations sur les décisions fiscales anticipées – les tax rulings – en matière de prix de transfert, de rescrits et de décisions relatives aux fusions transfrontalières.
Aussi, j’aurai quelques questions ou remarques à formuler, madame la secrétaire d’État.
En premier lieu, pourriez-vous nous préciser si les choses ont réellement évolué au cours des dernières années, notamment depuis la levée de l’anonymat des Français disposant de comptes bancaires au Luxembourg ? Par ailleurs, la présence française au Luxembourg étant constituée de neuf cents filiales d’entreprises françaises, dont près de la moitié opèrent dans le secteur financier et l’assurance, appelle-t-elle un suivi particulier ? Qu’en est-il ?
En deuxième lieu, le document de politique transversale sur la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales produit par le Gouvernement mériterait plus de transparence quant aux effets réels des échanges de renseignements entre administrations fiscales, afin de nous permettre d’évaluer la pertinence de ces outils. En effet, dans une économie mondialisée où la finance règne en maître, les revenus des fonds d’investissement, qui dépassent, au Luxembourg, 4 200 milliards d’euros, selon le ministre luxembourgeois des finances, M. Gramegna, imposés à des taux préférentiels, sont sécurisés et leur suivi mérite d’être renforcé.
En troisième lieu, nous demandons avec force que le Président de la République et le Gouvernement poursuivent la mise en œuvre de mesures de renforcement de la lutte contre les trous noirs de la finance, et soient moteurs dans ce domaine, tant dans le cadre européen, pour obtenir des avancées sur des assiettes communes d’impositions pour les sociétés et sur une harmonisation des taux d’imposition, qu’à l’échelon du G20.
Dans le climat de colère et de forte contestation que traverse notre société, marqué, pour nos concitoyens, par la perte de pouvoir d’achat et un sentiment aigu d’accroissement des inégalités, la justice fiscale est indispensable pour restaurer la confiance et le consentement à l’impôt qui est au fondement de tout système démocratique.
Le groupe socialiste et républicain restera particulièrement vigilant à toutes les propositions allant dans ce sens et demeurera actif, comme il l’a été lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019 en proposant la taxation des GAFA et en instaurant une retenue à la source de 30 % sur tous les flux financiers de rétrocession d’un dividende à un actionnaire non résident, afin de faire échec aux arbitrages de dividendes.
Vous l’aurez compris, malgré ces réserves et pour toutes les raisons évoquées, le groupe socialiste et républicain votera pour cette convention qui marque une étape positive. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen de cette convention fiscale entre la France et le Luxembourg aurait pu donner lieu à un débat serein et consensuel, à quelques jours de Noël. En effet, le Luxembourg ne figurant sur aucune liste des paradis fiscaux mondiaux, le Parlement pouvait valider sans réserve le texte en l’état. Qui voudrait mettre en cause la sincérité des engagements de notre partenaire européen historique ? (Sourires sur diverses travées.)
Pourtant, s’agissant du Luxembourg, le document qui nous est soumis mérite un examen attentif et minutieux. Cet État est le premier investisseur étranger en France, avec un stock de 136 milliards d’euros en 2016. Plus de 900 filiales françaises sont installées au Grand-Duché, actives principalement dans les services financiers et d’assurance ; 48 % des entreprises réalisent 54 % du chiffre d’affaires total et emploient 43 % des effectifs, dont des holdings.
Ce pays de près de 600 000 habitants compte plus de 100 000 entreprises enregistrées, soit un ratio d’une entreprise pour six habitants. La France, avec 67 millions d’habitants, compte, pour sa part, 2 870 000 entreprises sur l’ensemble de son territoire – métropolitain et ultramarin –, ce qui représente un ratio d’une entreprise pour vingt-trois habitants.
Le Luxembourg mériterait une attention particulière ; c’est un poids lourd de l’industrie financière mondiale. En voici quelques indicateurs : en janvier 2017, il y avait 3 500 milliards d’euros d’actifs sous gestion luxembourgeoise ; c’est le premier centre de fonds d’investissement en Europe et le deuxième centre d’investissement au monde après les États-Unis ; il s’y trouve cent quarante-trois sièges sociaux de banques ; enfin, cinquante-cinq devises et soixante-douze dettes souveraines sont cotées au Luxembourg. Chacun peut le constater, le Luxembourg joue dans la cour des grands…
D’ailleurs, ces dernières années, le Grand-Duché a considérablement renforcé ses liens avec la Chine ; il accueille les six premières banques chinoises et gère 69 % des fonds d’investissement chinois en Europe. La bourse du Luxembourg est ainsi devenue la première place boursière après Hong Kong à coter des emprunts obligataires en monnaie chinoise.
Le Grand-Duché a fait la une de toute la presse en 2014 avec les révélations fracassantes de l’affaire des LuxLeaks, révélations rendues possibles non par les autorités politiques des États, mais grâce à l’action des lanceurs d’alerte, Antoine Deltour et Raphaël Halet. Ces informations ont étalé au grand jour les énormes avantages fiscaux accordés par le Luxembourg à l’entreprise Amazon, avec pour conséquence que près des trois quarts des bénéfices de celle-ci n’étaient pas imposés.
La Commission européenne a reproché à Amazon d’avoir utilisé deux filiales différentes pour payer très peu d’impôt. La majeure partie de l’argent était, en fait, transférée à une coquille vide au titre de prétendues redevances sur la propriété intellectuelle, cette filiale n’ayant ni salarié, ni bureau, ni activité commerciale.
D’autres incertitudes sérieuses caractérisent la nature économique du Grand-Duché de Luxembourg. L’abondance de l’argent liquide intrigue nombre d’observateurs et un peu Interpol. En 2014, le Luxembourg a émis deux fois son PIB en cash, alors que les émissions des autres pays se limitent en moyenne à 10 % de leur richesse nationale.
Nous sommes également interpellés par le fait que la Commission européenne a été poussée à poursuivre le Luxembourg devant la Cour de justice de l’Union européenne pour n’avoir que partiellement transposé dans son droit national la quatrième directive anti-blanchiment.
Pour conclure, je citerai les propos du ministre luxembourgeois des finances, M. Pierre Gramegna, dans une interview donnée à la presse le 21 mars dernier. À la question « Plus de trois ans après les LuxLeaks, comment se porte la place financière du Luxembourg ? », sa réponse fut : « L’année 2014 fut décisive, avec l’annonce par le Luxembourg de l’abandon du secret bancaire. Nous l’avons fait. De nombreux observateurs pensaient que nous allions perdre en attractivité. Ce n’est pas le cas. […] Nous comptons aujourd’hui davantage de clients fortunés que dans le passé. Nos fonds d’investissement viennent de dépasser les 4 200 milliards d’euros d’avoirs sous gestion », soit 700 milliards d’euros de plus en une seule année.
Chers collègues, cela a été rappelé, le Sénat avait rejeté, au cours de sa séance du 21 décembre 2011 – nous sommes presque à la date anniversaire –, la convention fiscale avec le Panama pour la raison suivante, mentionnée dans le communiqué de la commission des finances : « Les circonstances ne conduisent pas à lever toutes les incertitudes pesant sur l’accès aux informations. »
Ces propos furent tenus cinq ans avant les « Panama Papers ». Nous sommes aujourd’hui quatre années après les LuxLeaks ; il nous paraît impossible et dangereux d’approuver la convention fiscale entre la France et le Luxembourg, compte tenu de toutes les hypothèques à lever en ce qui concerne le Luxembourg.
Pour sa part, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste émettra, sans aucune hésitation, un vote négatif sur l’approbation de cette convention. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, n’étant pas transfrontalière je ne regarde pas le Luxembourg avec les yeux de Chimène ! (Sourires.)
Cela étant, la convention dont nous discutons marque, évidemment, un progrès, et le groupe Union Centriste, à la quasi-unanimité, votera en faveur de son approbation. Pour ma part, je vais m’abstenir, une grande confiance n’excluant pas une petite méfiance.
Comme tout a été dit, madame la secrétaire d’État, je vais vous parler d’autre chose.
Après un très riche débat sur l’efficacité des conventions fiscales internationales, qui a eu lieu en avril 2013, nous avons eu de nombreuses occasions de parler de fiscalité et d’évasion fiscale au Sénat.
J’ai tendance à penser que quand on veut, on peut ! Les avancées de la convention qui nous est aujourd’hui soumise sont, selon moi, marquées.
Je note aussi que la mise en place de la taxe nationale sur les GAFA, que l’on disait encore impossible il y a huit jours, sera annoncée le 1er janvier prochain. Marie-Noëlle Lienemann et tous ceux qui, comme moi-même, l’ont soutenue ont bien fait, à ce moment-là, de marquer leur volonté sans faille.
Puisque nous sommes sollicités pour autoriser la révision d’une convention fiscale internationale, je vais attirer votre attention, madame la secrétaire d’État, sur deux actions du projet BEPS.
L’action 15 permet aux pays qui le souhaitent de modifier des conventions fiscales bilatérales. Compte tenu de la situation économique et du contexte – on l’a vu, il arrive que le contexte entraîne des modifications de comportement ! –, peut-être serait-il temps de revoir la convention fiscale qui nous lie avec le Qatar, laquelle prive notre pays de 150 à 200 millions d’euros de revenus par an.
M. Vincent Delahaye, rapporteur. Pourquoi pas ?
Mme Nathalie Goulet. L’action 13, elle aussi intéressante, concerne les prix de transfert, qui sont une caricature ! Selon l’OCDE, « ils se définissent […] comme étant les prix des transactions entre sociétés d’un même groupe et résidentes d’États différents : ils supposent […] le passage d’une frontière. » Il s’agit, en réalité, d’une opération d’import-export à l’intérieur d’un même groupe. Ce commerce intragroupe représenterait 70 % du commerce international et d’après une étude d’économistes, mal contrôlé, il nous coûterait 1,3 point du PIB chaque année.
Je prendrai l’exemple édifiant de brasseries implantées au Ghana qui me permettra de souligner des manipulations et de faire une explication des prix de transfert pour les nuls. Ainsi, tout le monde comprendra ! (Sourires.)
Première tricherie, redevance en échange de l’utilisation de la marque située aux Pays-Bas. Manque à gagner pour le Ghana : au minimum 250 000 euros.
Deuxième tricherie, versement pour des frais de gestion à une filiale en Suisse. Manque à gagner pour le Ghana : 200 000 euros.
Troisième tricherie, enregistrement des services d’approvisionnement à l’île Maurice. Manque à gagner pour le Ghana : 790 000 euros.
Vous le constatez, mes chers collègues, la décomposition des opérations au profit d’États qui ne sont pas les pays producteurs nuit naturellement à ces derniers. Les bénéficiaires sont les filiales et la fraude fiscale !
Je voulais m’adresser à mon collègue président du groupe d’amitié France-Israël, qui n’est plus là, et lui dire que grâce à une série de prix de transfert, les missiles sortis des États-Unis à destination d’Israël arrivent dans ce pays à un prix proche de 50 dollars. À ce tarif-là, on peut évidemment envahir l’Iran ! (Nouveaux sourires.)
Aujourd’hui, on observe une amélioration extrêmement sensible de la situation. Nous le devons, je tiens à le souligner, à un décret paru le 30 juin dernier. Les prix de transfert sont beaucoup mieux contrôlés.
Il reste que le Fichier des écritures comptables en vigueur dans notre pays est une version allégée du standard de l’OCDE. Madame la secrétaire d’État, pensez-vous possible que nous adoptions, à un moment ou à un autre, la version SAF-T de l’OCDE, qui est plus complète ?
Les premiers contrôles fiscaux transnationaux ont lieu, ce qui est aussi un point très important.
L’opération menée par l’OCDE et par l’ONU, baptisée « Inspecteurs des impôts sans frontières », fonctionne aussi très bien ; c’est encore une avancée.
Le décret précité permet d’éviter la stratégie consistant à limiter la vision du vérificateur à ce qui se passe à l’intérieur des frontières nationales. La mise en échec de cette stratégie me paraît vraiment constituer une avancée qui mérite d’être soulignée. Je tiens d’autant plus à le dire que le vérificateur a une possibilité de contrôler immédiatement les schémas des pays sur lesquels pèsent des présomptions lourdes et concordantes – je pense à la Suisse, à l’Irlande ou aux Pays-Bas.
Je ne voterai pas le projet de loi autorisant l’approbation de la convention et choisis de m’abstenir.
Cela étant, comme il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, je veux revenir sur la proposition d’une « COP fiscale » formulée par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Nathalie Goulet. Je crois en effet que nous n’arriverons pas à aligner nos politiques sans tous nous mettre autour d’une table avec beaucoup de bonne volonté. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Un certain nombre de questions ayant été posées, je veux apporter en réponse quelques précisions aussi rapidement que possible.
Monsieur le sénateur Carcenac, vous vous interrogez sur les progrès réalisés en Europe depuis l’affaire des LuxLeaks. Vous les rappelez vous-même – adoption d’une directive sur l’échange des rulings, des rescrits fiscaux qui oblige les États à plus de transparence en la matière, adoption d’une directive sur la publication des montages fiscaux pour forcer les intermédiaires et conseils à la transparence. En pratique, la conséquence est notable.
La présente convention, qui participe de la mise en œuvre de ces progrès, garantira l’existence d’un cadre à hauteur des derniers standards en matière d’échange d’information.
Vous l’avez tous mentionné, mesdames, messieurs les sénateurs, elle contient, par ailleurs, un article sur l’assistance administrative en matière de recouvrement de l’impôt correspondant aussi aux derniers standards européens.
Le Luxembourg, sur demande de la France, échange les informations bancaires et financières nécessaires à l’application de notre législation fiscale et au bon déroulement des opérations de contrôle fiscal : au troisième trimestre 2018, par exemple, plusieurs centaines de demandes de renseignements avaient fait l’objet de réponses de la part du Luxembourg. Le dispositif fonctionne donc de manière tout à fait raisonnable.
Madame Guillotin, vous m’avez interrogée sur le crédit d’impôt permettant d’éliminer la double imposition pour les personnes résidant en France et ayant des revenus de source luxembourgeoise. Ce n’est pas une nouveauté. Le dispositif est prévu par l’OCDE ; il figure dans l’ensemble des conventions fiscales signées par la France. Il permet d’assurer la justice et l’équité fiscales en prenant en compte l’ensemble des revenus d’un contribuable, même étranger, pour le calcul de son taux d’imposition.
J’en viens au télétravail. Cette convention tient compte de la situation spécifique des travailleurs frontaliers. La durée de vingt-neuf jours nous paraît suffisamment longue pour permettre la pratique du télétravail à raison de trois ou quatre jours par mois, si l’on prend en compte les mois de congés.
Dans la vaste majorité des cas, cette dérogation à la règle de taxation au lieu de l’activité concernera les travailleurs français travaillant au Luxembourg et télétravaillant depuis la France ; elle sera donc coûteuse pour le Trésor français.
L’équilibre trouvé nous semble raisonnable. Il permet de concilier la simplification pour les travailleurs frontaliers et la préservation de nos intérêts financiers. En réalité, il est assez proche de ce qui a pu être négocié avec d’autres pays, sachant que certains réfléchissent à d’autres chiffres. Pour l’instant, rien n’est fait. Nous sommes plutôt compétitifs, tout en garantissant de façon équilibrée nos intérêts.
S’agissant de la coopération transfrontalière et du développement économique avec le Luxembourg, au regard du nombre grandissant des travailleurs se rendant chaque jour de la région Grand Est vers le Luxembourg, mentionné par M. le sénateur Husson, le développement économique de la zone frontalière franco-luxembourgeoise passe nécessairement par une coopération accrue entre nos deux pays. Dans ce contexte, la dynamique de codéveloppement de notre zone frontalière doit davantage s’appuyer sur un financement partagé d’infrastructures. Ce sujet est plus budgétaire que fiscal.
M. Jean-François Husson. Il faut avoir une autre ambition !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. C’est ce qu’a rappelé le Gouvernement français lors du séminaire intergouvernemental franco-luxembourgeois du 20 mars dernier, ce qui a permis la signature d’un protocole d’accord relatif au renforcement de la coopération en matière de transport transfrontalier incluant le ferroviaire, en prévoyant une augmentation de capacité sur le sillon lorrain par le biais d’un cofinancement franco-luxembourgeois.
Nos deux États sont, à cet égard, convenus de poursuivre leurs discussions sur le codéveloppement des territoires par des réflexions sur les secteurs prioritaires, les questions de gouvernance et le renforcement de l’attractivité économique du Nord lorrain.
Deux projets de loi relatifs, l’un à un accord de coopération transfrontalière en matière sanitaire, l’autre à un accord de coopération en matière de transport, vous seront soumis en 2019. Je crois que l’inscription à l’ordre du jour parlementaire était prévue pour le premier semestre, mais je ne m’aventure pas trop sur les programmations législatives en ce moment…
M. Jean-François Husson. Ce sera décalé !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Sur la question plus large, que vous avez été plusieurs à évoquer, de la lutte contre l’évasion fiscale et de l’injustice fiscale, la taxation du secteur du numérique est l’un des premiers pas.
Vous le savez, nous avons porté ce sujet à l’échelon international, puisque nous en discutons lors des rencontres bilatérales et souhaitons l’inscrire à l’agenda du G7 que nous présiderons au semestre prochain.
Ce sujet, nous l’avons aussi défendu à l’échelon européen. C’est la raison pour laquelle nous avions suspendu l’idée de taxer les GAFA au niveau français. En effet, il faut en être conscient, dans un pays de 68 millions de consommateurs, cette mesure n’aura malheureusement pas le même impact que si elle était appliquée par une plaque continentale de 500 millions de consommateurs.
L’important pour nous était d’envoyer un signal fort, ce qui explique notre préférence pour une taxation à l’échelon européen. Sur ce plan, nous avons obtenu des avancées du côté de l’Allemagne, qui s’est finalement rangée à notre avis, acceptant l’idée de la nécessité de cette taxation. Pour autant, cela ne signifie pas une réalisation dans les prochaines semaines.
Le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, avait indiqué, avant même que la crise des « gilets jaunes » n’ait pris l’ampleur que vous savez, que si l’Europe n’était pas capable d’arriver à un projet commun, la France allait en tout cas prendre ses responsabilités et envoyer un signal fort, ce qui sera fait dans les prochains jours ou les prochaines semaines. Nous sommes en train d’étudier le véhicule législatif permettant d’avancer, sans pour autant renoncer à défendre le sujet au plan européen, qui est l’échelon adapté pour envoyer un signal à l’égard des GAFA.
Nous continuons à soutenir l’harmonisation et la consolidation de l’impôt sur les sociétés à l’échelon européen avec le projet ACCIS pour réduire le dumping fiscal en Europe. Bruno Le Maire, Olaf Scholz et Angela Merkel ont avancé au niveau franco-allemand lors de l’accord de Meseberg auquel nous devons désormais rallier les Européens. Ce point sera probablement mentionné en filigrane demain dans la déclaration lors de la réunion ministérielle des Amis de l’industrie. Nous remettons ce combat sur la table. Je l’ai moi-même évoqué de nouveau lors du conseil Compétitivité de l’Union européenne le 30 novembre dernier. Ce sujet, nous le travaillons donc de manière continue.
Parallèlement, un projet de loi défendu par Gérald Darmanin a renforcé les dispositifs internes de lutte contre la fraude : hausse des sanctions, création d’une police fiscale, publicité des sanctions fiscales pour les fraudes graves et fermeture des guichets de régularisation pour les Français ayant des comptes non déclarés à l’étranger.
Il est clair que la France ne transigera pas avec l’injustice fiscale. C’est la priorité du Gouvernement, et nous la soutiendrons avec détermination !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du grand-duché de luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune
Article unique
Est autorisée l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune (ensemble un protocole), signée à Paris le 20 mars 2018, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Mizzon, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Mizzon. L’article 14 de cette convention et le point 3 du protocole annexé concernent la question du télétravail, désormais permis à hauteur d’une durée maximale de vingt-neuf jours.
J’aurais aimé que ce nombre soit plus élevé, un peu à l’image de ce que négocient les autorités luxembourgeoises et belges. En effet, chez nous, le sujet de tous les instants, c’est celui de la mobilité. Or tous les réseaux de transport entre la France et le Luxembourg sont saturés – le réseau autoroutier, le réseau routier, le réseau ferroviaire – et ce en dépit des efforts des uns et des autres, des autorités françaises régionales, nationales, intercommunales, comme des autorités luxembourgeoises. Le compte n’y est pas !
Aujourd’hui, pour aller travailler au Luxembourg et parcourir une vingtaine de kilomètres, il faut deux heures et demie, voire trois heures le matin et autant le soir.
Si nous prévoyions un nombre de jours supérieur, nous apporterions notre pierre à l’édifice. Nous l’avons constaté il y a quelques jours, la fiscalité a quelque influence sur les comportements… (Sourires.)
M. Jean-François Husson. C’est vrai !
M. Jean-Marie Mizzon. Sachons ne pas l’oublier !
Il n’est pas simple de trouver la solution en matière de transport. Ce sera long. Il faut s’appuyer sur tous les leviers et toutes les solutions existants.
La meilleure des solutions, la moins coûteuse, c’est d’éviter que les gens ne se déplacent, tout en leur permettant de travailler à domicile. Ce serait un plus sur le plan social, sur le plan environnemental et sur le plan de la mobilité.
J’ai bien noté que la convention de 1958 avait fait l’objet de plusieurs avenants. Je forme le vœu que le Gouvernement rencontrera son homologue luxembourgeois pour évoquer cette question et aller dans le sens attendu par nombre de frontaliers. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Jean-François Husson. Tout a été dit et bien dit !
M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 18 décembre 2018 :
À quatorze heures trente :
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser l’exercice des praticiens diplômés hors Union européenne (n° 201, 2018-2019) ;
Rapport de Mme Martine Berthet, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 205, 2018-2019) ;
Texte de la commission (n° 206, 2018-2019).
Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer (n° 200, 2018-2019).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq et, éventuellement, le soir : suite de l’ordre du jour de l’après-midi.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures quinze.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD