Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.

M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, les crédits de la mission « Santé » pour l’année 2019 sont fixés, par le présent projet de loi de finances, à 1,422 milliard d’euros.

Ces ressources sont modestes, pour des objectifs indispensables à atteindre et déterminants. Leur progression, de 3,4 % s’explique, en grande partie, par l’augmentation de l’aide médicale de l’État, après une progression de 10 % en 2018.

Les crédits consacrés au programme 204, « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », sont stables, après une hausse de 10 % en 2018, avec une multiplication des plans de prévention.

Nous constatons une dilution du fonds de lutte contre le tabac, élargi, à moyens quasi constants, à l’ensemble des addictions en 2019. La prévention tabac doit être maintenue.

Nous saluons, de nouveau, le programme de vaccination mis en œuvre.

Nous saluons aussi la profonde réorganisation du paysage sanitaire présentée par le Gouvernement. La mise en place du Comité d’animation du système d’agences permettra une coordination. Cet effort de cohérence, louable pour renforcer le pilotage des opérateurs sanitaires de l’État, se traduira notamment par une mutualisation des fonctions support.

L’ANSM se voit contrainte de repenser son fonctionnement pour faire face au renforcement de ses missions, à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

Une plus grande réactivité est attendue face à la multiplication des crises sanitaires, celles du Levothyrox et de la Dépakine, notamment. L’ANSM est aussi mobilisée pour l’accès rapide et sécurisé aux innovations thérapeutiques et pour la prévention et la gestion des ruptures d’approvisionnement de médicaments. Elle est amenée à gérer les conséquences sanitaires du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Son budget a été augmenté de 6 millions d’euros en 2018, puis stabilisé en 2019, avec une enveloppe globale de 118 millions d’euros.

Sa mission est capitale, notamment pour les ruptures d’approvisionnement de médicaments. Pour lutter contre ce phénomène, il serait nécessaire de renforcer son pouvoir de sanction, comme le préconise la mission d’information du Sénat dont notre collègue Jean-Pierre Decool était le rapporteur, en instaurant des pénalités suffisamment dissuasives pour les entreprises pharmaceutiques.

S’agissant de Santé publique France, chargée de la veille sanitaire, ses moyens sont consolidés.

L’agence et l’ANSES sont fortement sollicitées pour objectiver l’impact sur la santé des agriculteurs de l’usage des produits phytosanitaires, mais aussi sur d’autres faits inquiétants, notamment les malformations congénitales observées dernièrement en France. Il est souhaitable de renforcer leurs moyens, afin de rétablir la confiance de nos concitoyens.

Sur le plan de la recherche, l’INSERM participe à de nombreux plans de santé publique : plan « Maladies neurodégénératives », plan « France médecine génomique », plan Autisme, plan national de prévention et de lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques.

Plusieurs de ces plans de financement sont incomplets. Seulement 4,5 millions d’euros ont été inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019 au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur », alors que près de 15 millions d’euros seraient nécessaires, et l’on sait que l’ONDAM ne pourra pas directement les financer.

Par ailleurs, 99 % des moyens du programme « Protection maladie » sont consacrés à l’aide médicale de l’État, avec un besoin chiffré à 935 millions d’euros, en augmentation de 45 millions d’euros. Toutefois, cette aide est régulièrement sous-budgétisée, comme le démontre sa dette envers l’assurance maladie, qui atteignait 50 millions d’euros en 2017.

Ces sommes ne tiennent pas compte des frais engagés par les hôpitaux pour soigner en urgence les étrangers en situation irrégulière non éligibles à l’AME. Depuis 2010, ce sont 475 millions d’euros qui sont à la charge des hôpitaux, au titre de cette non-compensation. Des faits incontournables. Si des crédits sont enlevés, il reviendra aux hôpitaux de payer les soins sans espérer leur remboursement.

La gestion de l’AME sera renforcée en 2019, ce qui est une bonne chose, ainsi que la lutte contre la fraude, qui connaît des avancées importantes.

Par conséquent, je soutiens Mme le rapporteur pour avis dans sa demande pour un maintien des crédits à 985 millions d’euros.

Je la rejoins aussi s’agissant de la remise en place du droit de timbre annuel pour l’accès à l’AME, d’un montant de 55 euros, lorsqu’elle considère cette mesure comme étant de nature à entraîner une difficulté d’accès aux soins, notamment pour les maladies infectieuses, nécessitant une prise en charge rapide.

La lutte contre la fraude enregistre des progrès notables et reste, il nous semble, le seul moyen efficace de prévenir les abus.

Le groupe Les Indépendants votera favorablement les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

M. Bernard Bonne. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur pour avis, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les grandes lignes et les équilibres des crédits de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2019. Mes collègues rapporteurs ont parfaitement souligné le déséquilibre important entre les deux programmes de la mission et les difficultés que rencontrent aujourd’hui les opérateurs, en raison de budgets qui ne sont pas toujours en adéquation avec les exigences imposées.

L’ensemble de ces crédits, rappelons-le aussi, ne représentent qu’une toute petite partie des moyens de notre politique publique de santé, qui relève plus largement de la loi de financement de la sécurité sociale.

Je souhaitais, pour ma part, insister sur la question de la veille et de la sécurité sanitaires.

En tant qu’administrateur de Santé publique France, je mesure le champ toujours plus vaste sur lequel l’agence mais aussi l’ANSES sont et seront mobilisées dans les années à venir.

On se souvient du rôle central que ces organismes ont joué dans le dossier de l’amiante ; ils travaillent aujourd’hui sur les conséquences de l’utilisation des produits phytosanitaires chez les agriculteurs, mais mènent également des investigations sur les cas de malformations congénitales récemment signalés. Cette semaine encore, Santé publique France mène des investigations en Haute-Savoie sur des cas signalés de toxi-infections alimentaires, liées à une souche particulière de salmonellose.

Son expertise, parfaitement indépendante, doit être saluée.

Même si leur budget est consolidé cette année, il conviendra d’être vigilant pour conforter les moyens de ces agences de veille sanitaire : on ne peut constater le nombre croissant de leurs saisines et missions et, dans le même temps, leur demander de réduire leur plafond d’emplois de 2,5 % !

Cependant, pour réaliser ses missions, l’agence s’appuie sur des partenaires, acteurs de terrain.

L’implication des professionnels de santé dans la veille sanitaire, au travers des signalements qu’ils réalisent, de leur participation à la réponse aux alertes et de leur interface avec l’usager en relais des politiques de santé, est effectivement un des maillons essentiels de la politique de prévention.

Je veux ici souligner l’importance du rôle des médecins généralistes, qui sont de véritables sentinelles en matière de veille sanitaire et sont témoins des inégalités sociales de santé, très marquées entre les différentes catégories socio-professionnelles, mais aussi dans nos territoires.

C’est bien en permettant à tout un chacun, particulièrement aux publics les plus défavorisés, d’accéder à une offre de soins au plus près de leurs besoins que la politique de prévention sera la plus efficace.

Le constat est largement partagé : plusieurs mois d’attente pour consulter un spécialiste, des médecins généralistes débordés qui ne peuvent plus prendre de nouveaux patients, etc.

Lutter contre les déserts médicaux est donc une priorité, car la situation risque encore de se dégrader si rien n’est fait.

Les zones rurales ne sont pas les seules concernées : les centres des grandes villes, qui présentent un coût d’installation particulièrement élevé pour un jeune médecin, connaissent également une désertification massive.

N’oublions pas aussi que, face aux pénuries de médicaments parfois constatées, le lien est évident entre approvisionnement pharmaceutique et présence de professionnels de santé sur le terrain.

Au regard de cette problématique de désertification médicale, madame la ministre, vous avez proposé des mesures déjà testées pour garder et attirer les médecins – aides à l’installation dans les zones sous-dotées, simplification de l’exercice mixte salariat-libéral, activité des médecins retraités, développement et remboursement des actes de télémédecine –, mais ces mesures n’ont pas toutes été évaluées à ce jour. Qu’en est-il exactement ?

Enfin, nous avons bien conscience que les crédits de la mission « Santé » s’inscrivent, plus globalement, dans le cadre de la stratégie nationale de santé lancée à la fin de 2017, mais aussi dans celui, plus ambitieux, du plan « Ma santé 2022 » présenté en septembre dernier.

Il nous faudra être vigilants sur ces différents points, mais soyez assurée, madame la ministre, de l’engagement du Sénat pour contribuer pleinement aux prochains textes que vous porterez en faveur de la défense d’une politique de santé accessible à tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)

Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en France, nous avons le privilège et la chance – il faut en avoir conscience – d’avoir un système de solidarité comme il en existe rarement dans le monde, protégeant les plus vulnérables par l’effort national.

L’État garde aujourd’hui une place essentielle dans la prise en charge des soins des Français. Son rôle régalien est d’assurer une mission de service public auprès des citoyens n’ayant pas accès à l’offre de soins.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale et la mission « Santé » du projet de loi de finances programment un budget à cet effet.

Parmi les dispositions, l’aide médicale de l’État a pour but de soigner les étrangers arrivant en France, dans un souci d’action sociale et humanitaire. C’est essentiel.

L’aide médicale pour soins urgents, qui est vitale, est évidemment une nécessité.

Alors que 95 % du budget de l’AME est consacré aux étrangers en situation irrégulière, la quasi-totalité de ce budget est réservée, non pas aux soins vitaux, mais à l’aide médicale de droit commun, laquelle couvre, à 100 % et sans avance de frais, les soins quotidiens et de confort. Cette dernière a progressé de 11 % depuis 2015, avec un nombre de bénéficiaires en hausse constante.

Je voudrais souligner tout de même, en tant qu’élue d’un département rural où la démographie médicale est particulièrement faible, que l’accès aux soins est un luxe pour certains. Je rencontre souvent des personnes qui ne peuvent pas se payer des lunettes ou des soins dentaires, faute de moyens suffisants.

Les crédits alloués en 2019 au programme « Protection maladie », dont dépend l’AME, représentent 944 millions d’euros, soit deux fois plus que le programme consacré à la prévention, la sécurité sanitaire et l’offre de soins, et 53 millions d’euros de plus par rapport à l’an dernier. Ces crédits ne cessent d’augmenter. Ainsi, les fonds du programme « Protection maladie » connaissent une croissance de 27 % depuis 2013, alors que ceux qui sont consacrés à la prévention ont diminué de 25 % sur la même période.

Le rapporteur spécial de la commission des finances évoque d’ailleurs un « dynamisme non maîtrisé des dépenses du programme 183 » et de « carences persistantes dans la stratégie de pilotage » de la mission.

C’est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales appelle, dans les plus brefs délais, à la mise en place d’un référentiel d’évaluation et de projection solide de la dépense de l’aide médicale de l’État.

Sur le plan général, les crédits de paiement de la mission « Santé » demandés pour 2019 s’élèvent à 1,423 milliard d’euros, soit 3,5 % d’augmentation par rapport à 2018. Il s’agit d’une augmentation de crédits plus faible que les années précédentes, cette faiblesse s’expliquant par la trajectoire pluriannuelle des finances publiques, qui demande un effort financier soutenu, notamment aux opérateurs sanitaires.

On peut se réjouir d’une baisse significative de la dette de l’AME, qui passe en dix ans de 246 millions à 49 millions d’euros.

On note également une amélioration de la gestion de l’AME, en partie due à l’efficience de la lutte contre la fraude.

Soulignons aussi que ces crédits sont inférieurs au plafond inscrit en loi de programmation des finances publiques. Cette démarche de sincérité budgétaire est une heureuse nouvelle, puisque, comme vous le savez, mes chers collègues, les plafonds de crédits avaient été dépassés entre 2015 et 2017.

Sous réserve de l’adoption des amendements, je voterai en faveur des crédits de la mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

Santé (début)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2019
Discussion générale

3

Fiscalité écologique et pouvoir d’achat

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, en application de l’article 50–1 de la Constitution, portant sur la fiscalité écologique et ses conséquences sur le pouvoir d’achat.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite que notre débat d’aujourd’hui soit particulièrement à la hauteur de l’intérêt de notre pays.

J’appelle chacune et chacun à se montrer respectueux de la diversité des opinions qui vont s’exprimer dans notre hémicycle.

Nous devons contribuer les uns et les autres à préserver l’unité de la Nation. (Applaudissements.)

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans chacun des territoires que vous représentez, depuis trois semaines, des groupes de Français ayant enfilé un gilet jaune, parfois des groupes très restreints, parfois des groupes plus larges, organisent des barrages filtrants, ouvrent des péages, occupent des ronds-points ou des zones commerciales.

Ces actions se déroulent, en général, dans le calme, un calme qui contraste avec l’extrême violence que nous avons connue samedi dernier à Paris et dans de nombreuses villes : à Toulouse, à Marseille, au Puy-en-Velay, où le Président de la République s’est rendu mardi.

J’aurais pu également citer l’île de la Réunion, où Annick Girardin s’est rendue la semaine dernière pour échanger avec les manifestants, les élus et apporter des réponses aux questions et aux colères qui étaient formulées.

Vous êtes ou avez été des élus locaux. Moi aussi. Cette colère, vous ne la découvrez pas. Moi non plus. Nous l’avons sentie monter, année après année, élection après élection, qu’elle se formule parfois par des abstentions massives ou qu’elle se formule d’autres fois par des coups de semonce.

Contrairement à quelques autres, je ne cherche pas à désigner les coupables de cette colère, mais je constate qu’elle vient de loin, qu’elle a longtemps été muette et que, si elle a été muette, c’est parce que, longtemps, elle a été tue, par pudeur, par fierté parfois, car se mettre en colère et dénoncer quelque chose que l’on subit, c’est parfois vécu et perçu comme quelque chose qui ne serait pas à la hauteur.

Certains ont reconnu avec beaucoup de sagesse et d’honnêteté que cette colère venait de loin. Je veux les en remercier, pas en mon nom propre, bien entendu, mais au nom de ceux qui, loin des surenchères, recherchent, sans renier bien évidemment leurs convictions – comme quoi les deux sont possibles –, une issue républicaine à une crise dont la violence a surpris tout le monde.

J’ai déjà eu l’occasion de citer – et je le refais bien volontiers dans cet hémicycle – le nom et l’œuvre de Marc Bloch. Dans un de ses plus célèbres ouvrages, il évoque l’importance de la lucidité, lucidité évoquée comme un exercice permanent qui implique d’être constant quand on croit que ce que l’on fait est juste et d’avoir le courage de faire autrement quand quelque chose ne fonctionne pas. Tous les maires, tous les présidents d’exécutifs locaux l’ont vécu au moins une fois.

C’est à cet exercice que nous nous sommes attelés, un exercice qui se traduit de trois manières différentes.

Lucidité, d’abord, sur la situation d’extrême tension que traverse notre pays. Ces tensions nous ont conduits à la conclusion qu’aucune taxe ne méritait de mettre en danger la paix civile. Comme je l’ai dit hier à l’Assemblée nationale, nous avons donc décidé, avec le Président de la République, de renoncer aux mesures fiscales concernant le prix des carburants et les prix de l’énergie, qui devaient entrer en vigueur le 1er janvier 2019. Le Sénat ayant voté la suppression de ces taxes dans le projet de loi de finances pour 2019, elles ne seront pas réintroduites. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Lucidité, ensuite, sur la méthode.

Une bonne méthode, ce n’est jamais que le moyen qui permet d’atteindre le but qu’on s’est fixé. C’est une méthode qui s’adapte à une situation qui, par nature, n’est jamais figée ; parce que certains problèmes demandent des solutions rapides et que d’autres exigent des concertations plus larges. C’est l’objectif du débat que le Président de la République m’a demandé de conduire. Un débat qui vise à répondre à trois questions concrètes.

La première concerne le rythme, les modalités, le calendrier de la transition écologique. Celle-ci demeure, nous le savons tous, pour notre pays, pour nos territoires – je pense en particulier à nos territoires ultramarins, mais cela vaut pour tous les territoires de la France –, pour notre économie, pour notre agriculture, pour notre pouvoir d’achat, un horizon qui n’est ni négligeable ni négociable.

J’ai proposé une première série de mesures d’accompagnement de cette transition, venant s’ajouter à des mesures déjà existantes.

Ces mesures, massives par leur montant, ont, à bien des égards, prouvé une partie de leur efficacité, en tout cas auprès d’une partie de la population, si j’en juge par la consommation, par le recours massif, et même supérieur à celui qui avait été initialement envisagé, à des dispositifs comme la prime à la conversion automobile.

Elles ont prouvé, donc, une partie de leur efficacité, mais elles ne répondent pas, si j’en crois les manifestants, à la totalité des besoins exprimés par les Français. Le débat doit donc permettre de les compléter, avec les Français, avec les professionnels, avec les élus, avec tous ceux qui peuvent en exprimer le besoin précis et travailler aux réponses adaptées.

La deuxième question concerne les trajets domicile-travail. Des trajets qui ponctionnent une part importante des salaires, des revenus en général, un peu, certains l’ont dit, comme un impôt caché sur le travail.

J’ai chargé Muriel Pénicaud, Jacqueline Gourault et Élisabeth Borne de conduire une concertation avec les organisations syndicales et avec les élus pour nous aider à trouver des solutions rapides, concrètes et adaptées aux spécificités de leurs territoires. Un certain nombre de ces consultations avaient été engagées dans le cadre de la préparation du projet de loi d’orientation des mobilités. J’observe que nombre d’associations d’élus avaient salué ce travail de concertation, mais il peut être approfondi, là encore, pour trouver, territoire par territoire, indépendamment des dispositifs institutionnels, le cas échéant, les solutions adaptées aux besoins exprimés par nos concitoyens.

Troisième et dernière question : la fiscalité et la dépense publique.

Les Français qui portent un gilet jaune l’ont dit : ils veulent moins d’impôts, moins de taxes, et savoir à quoi ces impôts et ces taxes servent. C’est bien légitime.

Nous devons donc ouvrir un débat. Le débat, il a lieu, évidemment et heureusement – c’est le sens même de la démocratie et du contrôle parlementaires – chaque année dans les deux assemblées. Mais reconnaissons ensemble, mesdames, messieurs les sénateurs, que la grande technicité de ce débat, sa qualité, à certains égards, rend parfois difficile la lecture, les enjeux de l’utilisation de telle ou telle enveloppe, la réalité ou les perspectives de telle ou telle recette.

Nous devons donc ouvrir un débat qui permette de ramener de la clarté, de la transparence, sur une question dont nous savons tous qu’elle est très passionnelle en France. Une question passionnelle que nous devons aborder dans le calme, sans pour autant transiger sur l’ambition.

Je me fixe deux règles en la matière. D’abord, que ce débat ne crée pas de nouvelles taxes et qu’il ne vienne pas creuser ou augmenter encore la dette. Nous voulons baisser les impôts. Très bien. Alors, regardons l’ensemble du sujet : la dépense, les recettes et cette dette qui a crû de façon très significative en France depuis maintenant de nombreuses années.

Soyons vigilants, vigilants à ce que nous ne léguions pas à nos enfants des taxes futures, des dettes qui viendront grever leur pouvoir d’achat. (Mme Sophie Joissains applaudit.)

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Soyons vigilants à ce que la maîtrise de la dépense publique préserve les territoires et les Français qui en ont le plus besoin.

Même si, là encore, pour beaucoup de Français, cela semble clair, je souhaite que ce débat puisse aussi nous permettre de prendre conscience de la chance dont nous disposons de pouvoir bénéficier de services publics de qualité. Des services qui, ailleurs, peuvent parfois coûter très cher, et très cher directement.

En France, nous payons des impôts effectivement très élevés. Mais c’est aussi grâce à ces impôts que nous pouvons consacrer, en moyenne, 6 200 euros par an à chaque élève scolarisé à l’école primaire, 8 500 euros à chaque collégien français, 12 000 euros à chaque élève de lycée professionnel, des sommes importantes à la charge de l’État ou des collectivités territoriales et qui relèvent du paiement par les Français de l’impôt et des taxes.

Ce débat, il doit être national et il doit être également territorial, au plus près des Français. Il doit être institutionnel, puisque nous pouvons nous appuyer – et c’est tant mieux – sur des associations, des institutions créées pour faire vivre le débat public, au premier rang desquelles, bien entendu, les deux assemblées parlementaires, mais, au-delà, le Conseil économique, social et environnemental, les institutions régionales qui existent en la matière.

Ce débat, il doit être aussi informel, direct, afin que chacun sache qu’il pourra y prendre part et qu’il pourra être entendu.

Je souhaite que les élus, leurs associations, y prennent toute leur place, que les Français puissent y contribuer, qu’on y parle aussi peut-être de toutes ces dépenses contraintes qui, sans être juridiquement ni des impôts ni des taxes, pèsent au fond au moins autant sur ce qui reste à la fin du mois.

Il est impératif, mesdames, messieurs les sénateurs, que les maires prennent toute leur part dans ce débat. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.) Permettez-moi de profiter de cette tribune pour saluer et remercier ceux d’entre eux qui ont relayé notre message d’apaisement, pour remercier l’Association des maires d’Île-de-France, qui a proposé d’ouvrir des cahiers à destination de ceux des Français qui souhaitent s’exprimer directement, pour remercier aussi les maires ruraux, qui organisent ce samedi une journée « mairie ouverte » pour dialoguer.

Pour moi, la vraie démocratie directe, celle qui permet d’allier proximité et légitimité, c’est bien celle-là.

Les maires sont d’ailleurs, une fois encore, en première ligne sur le terrain pour appeler au calme et répondre à la colère. Certains nous ont demandé des effectifs policiers supplémentaires en prévision de samedi prochain : nous travaillons activement avec ceux qui expriment ces besoins pour pouvoir y répondre dans des conditions satisfaisantes.

Cette lucidité nous a conduits à rechercher l’apaisement. Elle nous conduit aussi à continuer à avancer, à continuer à apporter – tenter d’apporter – des réponses très concrètes, sur mesure, pas toujours très spectaculaires, mais durables, à nos territoires, des territoires dont nous savons tous qu’ils n’ont ni les mêmes atouts ni les mêmes besoins.

C’est ce qui nous a conduits à travailler avec les élus alsaciens pour essayer d’imaginer avec eux une structuration, une évolution permettant de prendre en compte leurs aspirations, mais aussi les aspirations également légitimes des autres élus de la région Grand Est.

C’est ce qui nous a permis de travailler avec les élus, notamment du département des Ardennes, à la constitution et à la construction d’un pacte permettant, là encore, de trouver des solutions concrètes et des moyens pour faire évoluer la situation dans le bon sens.

C’est ce qui nous a conduits à poursuivre l’initiative qui avait été prise dans le bassin minier, en y apportant les financements qui avaient été évoqués, de façon, là encore, à définir sur mesure les besoins des territoires et la réponse de l’État.

C’est ce qui sera inscrit dans le pacte qui liera l’État à la région Bretagne et dans celui qui est en discussion avec les Pays de la Loire.

C’est aussi la raison du déploiement de la police de sécurité du quotidien.

C’est aussi, dans le domaine du raccordement au haut débit, dont nous discutons souvent de la nécessité et de l’urgence qui s’y attachent, le plan d’équipement grâce auquel 2 800 pylônes, depuis janvier dernier, ont reçu les équipements nécessaires pour la 4G avec, vous le savez, un changement de logique dans la relation entre l’État et les opérateurs, qui nous permet d’envisager un équipement plus rapide et plus complet du territoire par rapport à ce qui était initialement prévu.

C’est aussi, dans le domaine de la santé, la suppression du numerus clausus, afin, dans le temps, de faire en sorte que le nombre de médecins augmente. Depuis mai 2017, ce sont 1 500 jeunes médecins qui ont décidé de s’installer dans des zones fragiles.

C’est aussi le remboursement, depuis septembre 2018, de la téléconsultation.

Aucun de ces instruments à lui seul n’est une réponse à des problèmes très vastes et très anciens, mais il nous paraît que ces instruments constituent des éléments de réponse et qu’il faut les évoquer.

C’est aussi le déploiement du plan « Action cœur de ville », qui consacre 5 milliards d’euros à la revitalisation du centre de 222 villes petites et moyennes.

C’est aussi la réorientation de nos investissements des TGV vers les déplacements du quotidien, une réorientation forcément lente et toujours délicate, jamais insensible, notamment pour les territoires qui attendent la construction de ces lignes à grande vitesse, mais qui est nécessaire si nous voulons pouvoir entretenir dans de meilleures conditions les infrastructures qu’utilisent des millions de passagers, si nous voulons essayer de désengorger les métropoles grâce au rail, notamment grâce au rail de proximité, si nous voulons désenclaver les villes ou les territoires ruraux.

Je pense à la RN 164, en centre Bretagne, promise par le général de Gaulle, je crois ; à la RN 122, à Aurillac, qu’Édouard Balladur, me semble-t-il, s’était engagé à construire ; à la RN 88, du Puy-en-Velay vers Mende et Rodez. Je citerai également la RN 2, entre Hirson et Maubeuge, la RN 21 vers Périgueux, ainsi que l’autoroute vers Castres depuis Toulouse.

C’est aussi, et enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi d’orientation sur les mobilités, que vous allez prochainement examiner.

Cette lucidité doit nous conduire à continuer de mieux rémunérer le travail : derrière la question du pouvoir d’achat, il y a celle de la rémunération du travail en France, qui, durant de nombreuses années, n’a pas assez augmenté ou a été grevée par des évolutions, notamment des évolutions d’impôt.

Depuis le mois d’octobre, des millions de salariés ont bénéficié d’une hausse, certes toujours moins importante que celle qu’on espérait, mais réelle de leur salaire net.

Dès le mois de janvier 2019, le SMIC augmentera de 1,8 %. Sur un an, grâce à l’action conjuguée de cette indexation de la baisse des cotisations sociales et de la prime d’activité, la hausse est de l’ordre de 3 % par rapport au 1er janvier 2018.

La hausse de la prime d’activité que nous avons décidée pour avril 2019 amplifiera encore cet effet. Je suis prêt à examiner toutes les mesures qui permettraient d’augmenter les rémunérations au niveau du SMIC sans pénaliser excessivement la compétitivité de nos entreprises.

Les salariés pourront encore gagner plus, grâce à la suppression des cotisations sociales sur les heures supplémentaires.

Vous aurez, mesdames, messieurs les sénateurs, l’occasion d’acter, dans le cadre du projet de loi PACTE, le développement massif de l’épargne salariale, de l’intéressement et de l’actionnariat salarié.

Nous continuerons à nous battre pour l’égalité des chances, parce que la colère qui s’exprime concerne évidemment les fins de mois – et même souvent les milieux de mois –, mais elle concerne aussi l’avenir, celui d’enfants de millions de familles qui ont le sentiment de ne pas avoir les mêmes chances que les autres de réussir.

C’est le sens des mesures de dédoublement des classes dans les réseaux REP et REP+, dont les retours formulés par les élus, les enseignants et les parents sont positifs.

C’est le sens du dispositif « Devoirs faits » au collège, de la scolarisation obligatoire, évoquée prochainement, dès l’âge de 3 ans, qui est une très belle mesure républicaine.

C’est le sens de la réforme de l’apprentissage, dont chacun sait qu’il permet de s’insérer avec plus de facilité dans le monde du travail.

C’est le sens de la refonte de notre système de formation professionnelle, le sens de l’investissement massif dans les compétences que nous souhaitons réaliser.

Cette lucidité nous oblige à continuer de réduire la dépense publique dans notre pays, justement pour pouvoir baisser les impôts. Nous avons vu combien ces deux baisses, parce qu’elles sont liées, sont urgentes.

En 2017, la France a réduit ses déficits et elle continuera à le faire. Elle maîtrise la hausse de la dépense publique de l’État. Grâce à l’engagement des élus, elle maîtrise aussi la hausse de la dépense publique locale. Grâce à nos efforts continus, ceux de nos prédécesseurs et ceux de la majorité actuelle, nous allons pouvoir voter un budget de la sécurité sociale à l’équilibre.

Ces tendances encourageantes sont le fruit d’efforts collectifs – en vérité moins ceux de majorités successives que ceux des Français – passés, présents, nationaux et locaux.

Depuis le mois d’octobre, des millions de contribuables ont bénéficié d’une baisse de 30 % de leur taxe d’habitation, une taxe que beaucoup d’entre nous disaient, à juste titre, injuste, une taxe que beaucoup d’entre nous dénonçaient depuis des années, et que nous allons supprimer par tranches successives en en compensant la charge, comme c’est bien naturel – et c’est surtout constitutionnel –, à l’euro près pour les collectivités.

Nous avons choisi aussi de réduire et de simplifier la fiscalité sur le capital. Parce qu’il s’agissait d’un engagement pris au moment de la campagne présidentielle puis de la campagne législative devant les Français. Parce que nos entreprises ont besoin de capital pour se développer. Parce que notre pays a besoin d’investisseurs, nationaux et étrangers. C’est un choix de stratégie économique totalement annoncé et totalement assumé.

Ce choix, je l’ai dit hier, nous sommes prêts à l’évaluer. Nous n’avons pas peur de ce débat, nous pensons qu’il est nécessaire et nous croyons même qu’il permettra de documenter, de démontrer le bien-fondé de ce choix.

Cette lucidité nous conduit à poursuivre ce combat indispensable en faveur de solidarités bien réelles.

Ce ne sont pas forcément les mesures dont on parle le plus. Pourtant, nous savons que ce sont souvent celles qui changent la vie dans les faits : la revalorisation de tous les minima sociaux, bien entendu ; la mise en place du tiers payant pour le complément de mode de garde au 1er janvier 2019 ; l’offre de petits déjeuners dans les zones REP+ ; les repas à 1 euro dans les cantines des communes rurales qui ne disposaient pas de ce service ou ne pouvaient pas l’offrir ; la possibilité pour tous les Français, à partir de 2019, et de manière progressive, de bénéficier d’une prise en charge à 100 % de leurs lunettes, de leurs frais dentaires ou de leurs prothèses auditives, autant de dépenses souvent très lourdes qui ne pèseront plus sur le pouvoir d’achat.

Là où la lucidité commande de faire différemment, la même lucidité commande de poursuivre les grandes transformations, parce que toutes ces transformations apportent une réponse, parfois de court, parfois de moyen, parfois de long terme aux préoccupations qui s’expriment.

Avant que le débat ne s’engage, je voudrais dire, mesdames, messieurs les sénateurs, un mot des violences que nous avons déplorées et de la sécurisation des probables manifestations de samedi prochain.

Mes premiers mots seront d’abord pour nos forces de l’ordre. Ces hommes, ces femmes ont été les victimes d’un incroyable déchaînement de violence dont, bien souvent, le but était d’attaquer, de blesser, parfois même de tuer.

Ces hommes, ces femmes ne sont pas simplement des représentants de la République. Ne seraient-ils que des représentants de la République, ce serait déjà une immense fierté. Ils ont été, samedi, les gardiens de la République, les incarnations de la République, les défenseurs de la République. Je veux leur dire, en mon nom propre, au nom de l’ensemble du Gouvernement et, je crois, au nom de l’ensemble de la Nation, ma reconnaissance, mon admiration face à leur sang-froid, face à leur professionnalisme. (Mmes et MM. les sénateurs, parmi lesquels certains se lèvent, du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain applaudissent longuement. – Mme Michelle Gréaume applaudit également.)

Permettez-moi de remercier également l’administration et les services judiciaires, qui se sont mobilisés pour apporter des réponses pénales rapides et fermes aux délits commis samedi dernier.

Je voudrais aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, redire mon dégoût en découvrant les images du saccage de l’Arc de Triomphe. Ce dégoût, des millions de Français l’ont ressenti dans leur chair, tout comme ils condamnent les menaces ou les agressions contre les représentants de la Nation, élus ou fonctionnaires. Nous en retrouverons les auteurs ; ils seront traduits en justice et, je l’espère, sévèrement punis.

Depuis le début des contestations, nous n’avons jamais interdit de rassemblement. Cela étant, les événements de samedi dernier doivent nous conduire à faire preuve de la plus grande prudence et de la plus grande détermination. C’est pourquoi le ministre de l’intérieur a invité celles et ceux qui envisageaient de se rendre à Paris samedi prochain pour manifester à ne pas le faire.

Il s’agit non pas de leur interdire de s’exprimer, mais d’éviter qu’ils ne tombent dans le piège que leur tendent les casseurs.

Pour y faire face, le Gouvernement va mobiliser des moyens exceptionnels, qui s’ajouteront aux 65 000 forces de sécurités déployées dans toute la France. Nous continuerons à interpeller et à traduire en justice toute personne prise en flagrant délit de violences ou de dégradations. Nous continuerons à faire preuve de la plus grande fermeté. Nous nous battrons contre la haine, qui s’exprime dans une incroyable violence.

Mesdames, messieurs les sénateurs, dans la situation à laquelle nous faisons face, le devoir de lucidité et de responsabilité s’impose à tous : aux membres du Gouvernement, aux élus nationaux et locaux, aux responsables des formations politiques, aux commentateurs, aux éditorialistes, aux citoyens, à tous. Il s’impose à tous, parce que la liberté va toujours de pair avec la responsabilité.

Je voudrais profiter de cette tribune pour saluer tous ceux qui ont lancé ou relayé cet appel au calme : les organisations syndicales, les associations, des élus nationaux, quelles que soient les formations politiques dont ils sont membres et quelle que soit leur position face au Gouvernement. Ils ont dit que leur responsabilité était d’appeler au calme et à ne pas manifester samedi. Cette responsabilité les honore, et je voudrais dire combien elle les grandit.

En France, dans cet hémicycle, comme dans toutes les rues, c’est la République qui doit avoir, toujours, le dernier mot ; elle est notre chose commune. Puisque nous l’aimons, nous devons la préserver ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)