Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur pour avis. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Françoise Laborde, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, pour le programme « Livre et industries culturelles ». Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le cinéma, la musique, le jeu vidéo et la lecture contribuent au bien-être de la population, ce sont également des secteurs économiques de premier plan, avec un chiffre d’affaires supérieur à 15 milliards d’euros et des dizaines de milliers d’emplois.
Le programme 334 comporte 268,7 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 680 millions d’euros de taxes affectées au CNC, 382 millions de crédits d’impôt et 88,4 millions pour les bibliothèques, soit plus de 1,3 milliard d’euros de soutien.
J’évoquerai tout d’abord les dangers qui pèsent sur le financement des industries culturelles.
Après six ans de négociations, nous approchons d’un accord sur la chronologie des médias, ce qui constitue une excellente nouvelle pour le cinéma. Toutefois, l’épuisement des réserves du CNC, qui va réduire son soutien de 30 millions d’euros en 2019, et les menaces que font peser certains de nos collègues sur les crédits d’impôt inquiètent très vivement l’ensemble des industries culturelles.
Nous sommes face à des activités économiques qui nécessitent des investissements lourds et une stabilité des règles. La commission de la culture est favorable à l’évaluation de ces dispositifs dont il faut reconnaître le coût élevé, mais aussi l’efficacité.
Par ailleurs, je voudrais aborder la situation des auteurs. Si l’édition se porte bien, dans notre pays, avec plus de 47 000 nouveautés éditées chaque année, soit 200 livres par jour, cela a des conséquences directes sur la situation financière des auteurs, qui ont de plus en plus de difficultés à vivre de leur art.
Monsieur le ministre, les auteurs attendent depuis l’année dernière la compensation de la hausse de la CSG, soient 18 millions d’euros. Avec la présidente de la commission, nous avons défendu un amendement d’appel, qui a été adopté, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019. Et je veux croire aux engagements pris afin d’accélérer la résolution de ce dossier.
En outre, le statut des auteurs doit absolument être pensé de manière spécifique, en matière de fiscalité, de retraite, de protection sociale. C’est une profession à part entière qui doit être prise en compte.
Je dirai un mot sur le piratage, qui représenterait en 2017, en France, quelque 1,15 milliard d’euros. Ce montant correspond au double des aides du CNC, à trois fois les crédits d’impôt ou cinq fois les investissements de Canal Plus. Résoudre, même partiellement, cette question, serait répondre aux inquiétudes du milieu du cinéma. L’évolution législative dans la future loi audiovisuelle, avec par exemple, l’établissement d’une liste noire ou l’adaptation de la réponse graduée, devrait permettre d’avancer sur ce point en 2019.
Enfin, des négociations européennes sont en cours pour un meilleur respect de la propriété intellectuelle sur Internet, avec l’article 13 de la directive sur les droits d’auteur. Il s’agit de contraindre les plateformes à assumer leurs responsabilités en passant des accords de licence ou en filtrant mieux les contenus illégaux. Là encore, les mesures de transposition devraient intervenir rapidement.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission de la culture a émis un avis favorable sur les crédits du programme 334. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la culture, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je ferai comme M. Karoutchi : l’ensemble des programmes est si vaste que chacun d’eux nécessiterait de nombreux développements ; c’est pourquoi je vais me concentrer sur l’essentiel et sur ce qui fait le plus débat. Je précise que nous n’en sommes qu’au début des discussions, car on nous a promis une réforme de l’audiovisuel public, à l’occasion de laquelle ce débat, je l’espère, sera particulièrement développé.
Le budget, c’est un moment de vérité, à commencer par la vérité des prix. Après les déclarations d’intention et d’amour adressées à l’audiovisuel public, de la culture et de la création, il faut examiner si la réalité correspond.
Or, je le répète, dans une société qui paraît de plus en plus éclatée, et qui semble même l’être plus que jamais, la puissance de l’audiovisuel en général, qu’il soit public ou privé, ne doit pas être négligée. Ce dernier est à même de créer du lien, de la culture partagée, de l’information sourcée et fiable. Il est en mesure d’inspirer des émotions communes, de renforcer les valeurs républicaines et de rassembler autour d’une citoyenneté éclairée.
On le constate tous les jours : l’audiovisuel public est tout à fait primordial. C’est cette puissance, dont il dispose en général, qui lui donne tout son sens et qui justifie l’investissement très important que la Nation lui consacre.
Si j’insiste sur ce point, c’est parce que certains persistent à défendre la privatisation de l’audiovisuel public. Il s’agit d’un secteur concurrentiel, et – on l’oublie trop souvent – d’un secteur public tout à fait particulier.
La SNCF, dans son domaine, ne dispose pas de véritable concurrent. Or, pour ce qui concerne l’audiovisuel, les entreprises publiques sont placées dans un champ concurrentiel, face à des mastodontes disposant de la même puissance qu’elles : les chaînes privées nationales, qu’elles soient payantes, notamment cryptées, ou gratuites, comme TF1 ou M6, et les chaînes internationales, qui, elles aussi, exercent une concurrence directe !
Pour la Nation, il est donc essentiel d’investir dans l’audiovisuel public. Mais ce dernier souffre d’un dénigrement systématique, lequel est d’autant plus regrettable lorsqu’il vient des autorités elles-mêmes. L’an dernier à la même époque, le chef de l’État qualifiait ainsi notre audiovisuel public de « honte de la République ».
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Il s’est calmé, depuis lors…
M. David Assouline. Pour ma part, je tiens à faire une mise au point – faute de quoi, on finirait par se demander pourquoi l’on accorde des financements.
Il faut saluer les performances de l’audiovisuel public. Je me joins au plaidoyer que M. Karoutchi, et d’autres dans cette assemblée, ont prononcé en faveur d’ARTE. J’ai souvent défendu cette chaîne. En un temps, j’étais même parmi les rares à prendre fait et cause pour elle. Je m’en souviens bien : on avait tendance à rabaisser cette « petite chaîne en noir et blanc ». (Mme Françoise Laborde rit.) On disait : « À quoi ça sert ? » Même quand ARTE avait peu d’audience, même quand elle subissait d’extrêmes difficultés, j’étais de ceux pour lesquels il ne fallait pas la dénigrer.
Tous les orateurs ont expliqué le rôle fondamental que joue l’audiovisuel extérieur pour le rayonnement de la France, notamment pour la francophonie. Il ne faut pas réduire notre exigence à cet égard.
J’ajoute que, dans les autres domaines, il faut saluer le chemin parcouru. Radio France enregistre des performances tout à fait exceptionnelles, dans un environnement concurrentiel incroyablement rude.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. C’est vrai !
M. David Assouline. Il faut garder à l’esprit le nombre de chaînes de radio existantes, et les proportions dans lesquelles la diffusion radiophonique s’est développée.
On a commencé par proposer de la musique, notamment des chansons ; désormais, un ensemble d’émetteurs culturels proposent des millions de podcasts sur des sujets très variés. Ils mettent notamment à disposition du public des émissions de philosophie : dans l’environnement actuel, ce n’est pas rien ! (Mme Françoise Laborde approuve.)
Mes chers collègues, vous connaissez les performances de France Inter ou de France Musique. Ce sont de véritables joyaux. Qui aurait dit, il y a dix ans, que Radio France, notamment France Inter, parviendraient à tirer leur épingle du jeu, tandis qu’Europe 1 s’enfoncerait dans la crise ?
Si nous atteignons ce résultat, c’est bien parce que nous avons continué à soutenir l’audiovisuel public. De grands efforts ont été consentis ; ils ont entraîné, à Radio France, un mouvement social qui, par son ampleur, était sans précédent depuis des décennies,…
M. Jean-Claude Requier. Il y avait aussi la personne du directeur…
M. David Assouline. … mais, en définitive, la rationalisation nécessaire a été accomplie. De plus, Radio France a investi dans le numérique, au point de devenir un champion de ce domaine, notamment grâce aux podcasts.
De même, à France Télévisions, l’information et les magazines d’enquête ont un coût.
M. Jean-Claude Requier. Et la messe ? (Sourires sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. David Assouline. Il faut avoir, à vingt heures, un journal télévisé qui tienne la comparaison face au privé, en particulier face à TF1, qui occupe la première place.
Certains déplorent qu’il n’y ait pas assez d’émissions culturelles. Soit. Mais il y en a, et les téléspectateurs le relèvent très souvent : c’est sur le service public qu’ils ont vu telle ou telle émission intéressante. De grands efforts ont été accomplis, notamment en faveur des séries, et France Télévisions a, elle aussi, investi dans le numérique.
Aujourd’hui, si le service public doit subir des reproches, c’est parce qu’il manque de moyens…
M. André Gattolin. Ah !
M. David Assouline. Ainsi, il a abandonné les grands événements sportifs, qui, pourtant, relèvent pleinement de son ressort.
M. Jean-Claude Requier. Eh oui !
M. André Gattolin. Bien sûr, c’est la faute de l’État…
M. David Assouline. Ce n’est plus sur France Télévisions que ces événements sont diffusés : ils coûtent tellement cher que le service public ne peut plus assumer cette dépense.
On pense, bien sûr, au football. Pour les mêmes raisons budgétaires, on envisage d’abandonner le rugby dans les années qui viennent. Pour le tennis, qui reste sur France Télévisions, il en sera bientôt de même ! Heureusement que le tour de France n’a pas lieu le soir et la nuit. La suppression de la publicité après vingt heures empêcherait d’en financer la diffusion, et pour cause : aujourd’hui, pour rentabiliser les émissions sportives, il faut des recettes publicitaires.
Voilà une véritable carence ; mais, si elle se fait jour, c’est parce que le service public manque de moyens, et non parce qu’il en a trop !
Mes chers collègues, la baisse de crédits qui nous est proposée est en porte-à-faux avec les déclarations du Gouvernement. Ce dernier prétend défendre et honorer le service public, mais, dans le même temps, il réduit son budget de 36 millions d’euros l’année prochaine, et de 190 millions d’euros dans les années qui viennent, sans compter les 150 millions d’euros d’investissements en fonds propres que l’on s’apprête à imposer au titre du numérique : toutes ces mesures contribuent à affaiblir l’audiovisuel public, au moment où il faut le renforcer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret.
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission de la culture, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » s’élèvent à 581,35 millions d’euros en 2019. Ils sont, ainsi, en augmentation de 26,74 millions d’euros par rapport au montant voté en 2017.
Cette hausse des crédits s’explique en grande partie par une budgétisation des ressources du Centre national du livre, le CNL, pour un montant de 24,7 millions d’euros.
Le paysage des médias et des industries culturelles est dominé, à l’échelle mondiale, par une profonde mutation impulsée par la révolution du numérique et par la mondialisation de l’information. Au sein de la nouvelle économie du savoir qui se dessine, le rôle de l’État est à réinventer. Ce dernier n’est plus une puissance prescriptrice, ni même initiatrice, mais il joue un rôle de régulateur de la transmission des savoirs et de l’information, avec l’éducation nationale et avec les instances de régulation des médias.
Selon l’Institut français d’opinion publique, l’IFOP, huit Français sur dix utilisent internet. Le modèle de la presse écrite vacille et le comportement des lecteurs se transforme, passant des journaux aux agrégateurs d’information, des blogs aux réseaux sociaux, des forums à YouTube.
Si elles évoluent rapidement, les nouvelles pratiques de consommation connaissent trois constantes : gratuité, personnalisation et interactivité. Et la gratuité des contenus, associée à l’arrivée de nouveaux concurrents, change la donne pour les acteurs traditionnels. Leurs ventes sont en chute libre et leurs ressources publicitaires, captées par le web, fléchissent.
Face à tant d’incertitudes, le secteur accuse une crise systémique, dont le naufrage de Presstalis est l’un des symptômes. Pour résorber son déficit, qui s’élève à 37 millions d’euros, la société a absorbé toutes les marges de manœuvre du programme « Presse et médias ». De surcroît, elle s’est vu accorder un prêt de 90 millions d’euros par l’État et a obtenu, bon gré mal gré, le soutien des éditeurs.
L’amplification de la désinformation est un autre effet collatéral de ces bouleversements. Elle déstabilise nos démocraties et pointe des faiblesses résurgentes dans le traitement et la diffusion de l’information.
L’opinion est en proie, non seulement à la propagation des fake news, mais aussi à l’uniformisation de l’information, laquelle s’observe chez bon nombre de médias de masse. L’adaptation des médias au numérique se traduit, bien souvent, par des réductions d’effectifs et par l’influence croissante de Google, Apple, Facebook et Amazon, les GAFA, sur les grands groupes de presse. L’entrée de Xavier Niel au capital du journal Le Monde en 2010, ou le rachat par Jeff Bezos, propriétaire d’Amazon, du Washington Post en 2013, témoignent de ce phénomène de concentration de la presse aux mains d’une poignée d’acteurs.
Pour en revenir à des considérations purement budgétaires, le programme « Presse et médias » témoigne du soutien de l’État à un secteur en grave difficulté. L’Agence France Presse, l’AFP, recevra une enveloppe supplémentaire de 2 millions d’euros destinée à accompagner sa transformation, et le secteur de la presse bénéficiera, cette année encore, du taux réduit de TVA à 2,1 %. Évaluée à 170 millions d’euros pour 2019, cette dépense fiscale a été validée cet automne par la Commission européenne, pour ce qui concerne son application à la presse en ligne.
Le programme 334, « Livre et industries culturelles », marque les efforts engagés par le Gouvernement en faveur de l’accès à la lecture : que ce soit par le plan de financement de la Bibliothèque nationale de France, s’élevant à quelque 207 millions d’euros, par le soutien accordé au CNL pour financer la numérisation des collections, ou encore par le plan « Bibliothèques » faisant suite au rapport d’Érik Orsenna, le Gouvernement renouvelle son soutien aux industries culturelles.
Le doublement de la subvention au bureau export de la musique est reconduit cette année et le projet de création d’un centre national de la musique devrait – nous l’espérons – se concrétiser dans les prochains mois, affirmant une politique ambitieuse du Gouvernement pour la culture.
Face aux changements radicaux que l’information et l’accès à la culture connaissent depuis l’arrivée d’internet, et que j’ai évoqués il y a quelques instants, on peut légitimement se demander si le débat relatif à l’audiovisuel public n’est pas un combat d’arrière-garde. Monsieur le ministre, nous en reparlerons lorsque vous proposerez la réforme attendue en la matière.
Quoi qu’il en soit, l’année 2019 sera importante pour l’audiovisuel public. Pour l’heure, nous examinons un budget de transition, qui trace les grands axes de la réforme prochaine en dégageant une économie de 190 millions d’euros dès 2019.
Pour autant, nous sommes favorables à l’adoption de l’amendement par lequel la commission propose de renforcer les dotations à ARTE et France Médias Monde. Il s’agit là d’acteurs essentiels au rayonnement de la langue et de la culture françaises. Ils participent, au même titre que l’éducation nationale, à la transmission des savoirs et à la diffusion de nos valeurs.
Pour conclure, nous encourageons le Gouvernement à mener le difficile exercice qui consiste à réformer l’audiovisuel public. Mais, en parallèle, ne relâchons pas la vigilance sur notre rayonnement culturel international et la promotion de la langue française : il faut veiller à la qualité des contenus diffusés par les médias et promus par nos industries culturelles.
Les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». (Mmes Colette Mélot et Dominique Vérien applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’an passé, je centrerai mon propos sur le compte spécial « Avances à l’audiovisuel public ».
Si j’ai fait ce choix, ce n’est pas au motif que je me désintéresserais du sort de nos industries culturelles ou, plus largement, de l’avenir de la presse dans notre pays – bien au contraire. C’est parce que les crédits alloués à notre audiovisuel public sont sans doute, aujourd’hui, ceux qui font le plus débat au sein de notre assemblée, entre les différentes familles politiques et même – j’en ai bien peur – à l’intérieur de certains groupes.
Disons-le sans périphrase ni faux-nez : la réforme profonde de l’audiovisuel public, voulue par le Président de la République il y a plus d’un an, a vu son annonce plusieurs fois repoussée, ce qui a pu troubler certains.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Eh oui !
M. André Gattolin. Selon eux, le texte, désormais programmé pour le courant de l’année prochaine, cacherait les intentions réelles du Gouvernement.
En réalité, celles et ceux qui, notamment au sein de notre commission de la culture, suivent depuis de nombreuses années les questions liées à l’audiovisuel public, et en particulier à son financement, savent combien ce sujet est, non seulement délicat, mais véritablement difficile, du fait de sa complexité et des enjeux à la fois concurrentiels et technologiques qui l’entourent.
Moi-même qui ai eu la chance, il y a un peu plus de trois ans, de rédiger, avec notre collègue Jean-Pierre Leleux, un volumineux rapport d’information consacré à ce sujet, pour le compte des commissions de la culture et des finances,…
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Et à ma demande !
M. André Gattolin. … je dois bien l’avouer, sans me dédire des grandes recommandations que nous avons élaborées à l’époque : mes convictions initiales ont connu quelques inflexions, parfois significatives, eu égard aux évolutions récentes observées dans ce secteur, comme aux réalités économiques, sociales et humaines qui entourent les grands opérateurs de l’État dans ce domaine.
Mes chers collègues, je ne donnerai qu’une illustration de l’évolution de ces convictions. Même si Jean-Pierre Leleux et moi-même avions formulé nos propositions avec quelques précautions, pour ce qui concerne l’architecture globale de la gouvernance de l’audiovisuel public, je suis, aujourd’hui, moins enclin à suggérer un glissement rapide vers une entreprise ou une holding commune regroupant tous les opérateurs publics du secteur.
En effet, les premières synergies engagées entre plusieurs des sociétés publiques de l’audiovisuel, dès le mois de décembre 2017, ont, concrètement, encore bien du mal à voir le jour. Je pense notamment au rapprochement voulu entre les antennes régionales de France 3 et celles de Radio bleue. Ainsi, la matinale commune annoncée pour la rentrée 2018 ne verra le jour, au mieux, que l’année prochaine.
De même, le projet de plateforme numérique commune, qui constitue un chantier d’envergure, exige des choix technologiques et éditoriaux difficiles à établir, et pour cause : les différents opérateurs se sont déjà tous engagés, et parfois depuis longtemps, dans des voies assez, voire très divergentes.
Aujourd’hui, faute des orientations précises et des arbitrages qui devront cadrer la future réforme, il est bien difficile d’avancer sérieusement sur des sujets si sensibles que la réforme de la redevance audiovisuelle.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. La contribution !
M. André Gattolin. À ce titre, je rejoins M. Karoutchi : ce serait une erreur de mener ce travail en l’état, avant d’avoir précisé les missions que nous comptons assigner au service public de l’audiovisuel et avant d’avoir fixé nos objectifs opérationnels.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. C’est une réforme systémique !
M. André Gattolin. C’est donc bien un budget de transition que nous examinons aujourd’hui, avec toutes les limites inhérentes à l’exercice.
Toutefois, il serait faux de dire que le Gouvernement n’a pas fixé de trajectoire. Cette dernière a été largement débattue et négociée avec les opérateurs. Au printemps dernier, l’on a ainsi arrêté un montant de 190 millions d’euros d’économies globales à rechercher à l’horizon de 2022, en déclinant l’effort et aussi les investissements attendus des différentes sociétés nationales du secteur.
Bien sûr, l’objectif peut paraître un peu rude, mais il est beaucoup plus raisonnable que ce que certains laissent entendre.
Il faut bien le dire, et le rapport que Jean-Pierre Leleux et moi-même avons consacré à la question en fait état : ces dernières années, les pouvoirs publics ont très largement abondé les budgets des chaînes, en particulier celles de France Télévisions. Or les résultats, tant quantitatifs que qualitatifs, se sont parfois révélés plus que décevants ; sans faire état des taux d’audience, je pense, notamment, à la revente des émissions produites à l’étranger.
De plus, en procédant ainsi, la France est allée à contre-courant de la presque totalité des pays européens. J’ai eu la curiosité d’examiner l’évolution des budgets dédiés, par les différents États d’Europe, au service public de l’audiovisuel : à l’exception de l’Allemagne, où la télévision est financée par les Länder, tous les pays, grands ou petits, de la Belgique à la Grande-Bretagne, de l’Espagne à l’Italie, ont procédé à des réductions de budgets et d’effectifs.
Cet effort a permis de nouveaux développements ; souvent, il s’est soldé par un certain succès – les émissions produites en témoignent. On peut avancer que ces structures se sont bien recentrées sur leurs missions de service public.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Voilà !
M. André Gattolin. Cette évolution s’observe quelle que soit la taille du service public audiovisuel dans le pays considéré, et quel que soit le niveau de la redevance perçue.
On pourrait croire que, si certains pays peuvent mener à bien de nombreux projets en la matière, c’est grâce à des montants élevés de redevance audiovisuelle. Eh bien, tel n’est pas le cas. Dans des pays comme la Belgique ou l’Italie, la redevance n’est pas très élevée, et pourtant des réformes ont eu lieu. Ainsi, la réforme de la Radio Télévision belge francophone, la RTBF, se révèle plutôt intéressante.
Celles et ceux qui ont assisté au grand colloque organisé en juillet dernier par notre commission de la culture, en présence de plusieurs responsables de l’audiovisuel public d’autres pays d’Europe, ont presque tous été frappés par ce constat : un véritable contraste se fait jour entre, d’une part, nos sociétés nationales et leurs dirigeants, et, de l’autre, leurs vis-à-vis européens.
Mes chers collègues, pour en revenir à la mission qui nous intéresse au titre du projet de loi de finances pour 2019, nous pouvons dire que les économies, plus ou moins prononcées, attendues de chaque opérateur de l’audiovisuel public sont cohérentes avec la trajectoire annoncée au printemps dernier pour l’horizon 2022. Il n’y a pas de surprise à cet égard, et l’examen des amendements me permettra de dire pourquoi je ne suis pas favorable aux réaffectations internes à ces différents budgets.
Bien entendu, les sénateurs du groupe La République En Marche voteront ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Céline Brulin. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Céline Brulin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, tout d’abord, permettez-moi de dire que les annonces faites aujourd’hui par le Premier ministre sont largement insuffisantes. Aussi, je réitère l’appel de notre groupe à ce que notre assemblée traduise, dans le budget que nous examinons, les exigences légitimes qui s’expriment dans notre pays.
M. Fabien Gay. Oui !
Mme Céline Brulin. La contestation porte, en partie, sur le fonctionnement de nos institutions. Nous devons écouter ces protestations avec la considération qui s’impose, surtout au moment où le Sénat examine des choix budgétaires, eux-mêmes incriminés. (Marques d’approbation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Cela dit, je vais évidemment vous faire part de la position de notre groupe sur les orientations budgétaires relatives au secteur de l’information et des médias, lequel est, lui aussi, largement mis en cause aujourd’hui.
Ces domaines – ce n’est pas sans lien avec le constat précédent – sont frappés de plein fouet par la révolution numérique. La multiplication des canaux d’information et l’essor de géants du numérique, qui placent souvent les médias traditionnels dans une position de subordination, appellent une politique ambitieuse, à la hauteur des enjeux économiques – à ce titre, il faut veiller à ce que les médias traditionnels ne soient pas écrasés par ces nouveaux acteurs – et démocratiques : il faut veiller au maintien d’une information de qualité, pluraliste, beaucoup plus efficace pour lutter contre les fausses informations que des gadgets législatifs.
Mme Céline Brulin. Aujourd’hui, moins d’un quart des Français ont confiance dans les médias, et moins d’un tiers d’entre eux croient en leur indépendance.
Cette situation affaiblit notre contrat social dans des proportions inédites, et le mouvement que nous connaissons aujourd’hui en est le symptôme. Nos concitoyens demandent plus de justice sociale, et, dans le même temps, ils exigent une démocratisation de nos institutions. Se montrer à la hauteur, c’est engager l’État dans un plan d’investissement digne de ce nom pour relever ce double défi économique et démocratique.
Or, monsieur le ministre, votre budget pour 2019 me semble très loin du compte.
Tout d’abord, pour l’audiovisuel public, d’ici à 2022 et sans compter les effets de la suppression de la publicité, près de 200 millions d’euros devraient être demandés aux opérateurs publics, dont 35 millions d’euros cette année – et je ne prends pas en compte les 85 millions d’euros de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques, la TOCE, affectés à France Télévisions. Notre assemblée l’a conservée opportunément la semaine dernière – vous le savez, les élus de notre groupe formulaient cette demande depuis longtemps –, mais elle reste menacée.
Au moment où ces opérateurs publics doivent avancer vers une numérisation de leur contenu et investir dans Salto, ces menaces ne sont pas de bon augure. Le lancement de cette plateforme financière à hauteur de 45 millions d’euros par TF1, M6 et France Télévisions ne manque pas d’inquiéter, surtout au regard des 7 à 8 milliards de dollars que Netflix consacre chaque année à l’enrichissement de son catalogue.
Du côté de la presse, le bilan n’est pas plus positif. Si l’aide à l’AFP et les secours accordés à la distribution gonflent légèrement le budget, la baisse des aides à la presse est bien réelle.
La question de la distribution pose, en elle-même, des problèmes fondamentaux : l’accord de sauvetage de Presstalis met en danger de manière inédite le pluralisme, en augmentant de manière uniforme la taxe sur tous les éditeurs de journaux, quelle que soit leur taille, et en permettant de rompre avec le principe d’une égale diffusion de tous les titres.
L’avenir du Conseil supérieur des messageries de presse, le CSMP, et de l’autorité de régulation de la distribution de la presse, l’ARDP, semble lui aussi bien incertain. Il est question de les remplacer par une société privée, et ce projet a de quoi inquiéter.
Au sujet des droits d’auteur, l’adoption par l’Union européenne de la directive relative aux droits voisins apporte certes l’espoir d’une meilleure rémunération des titres de presse. Mais il ne faudrait pas que ces derniers soient contraints d’héberger l’intégralité de leur contenu chez les géants du web : nous y serons attentifs. De plus, sur ce point, je tiens à exprimer notre mécontentement : la taxe GAFA, votée la semaine dernière ici même, a été balayée aujourd’hui par un accord intergouvernemental a minima avec l’Allemagne. (M. Pierre Ouzoulias approuve.)
Enfin, pour ce qui concerne le livre, qui bénéficie de la quasi-totalité de l’augmentation budgétaire du programme 334, il reste à s’assurer que l’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques se fera dans le respect des droits des salariés, et qu’elle sera assortie d’une véritable aide aux collectivités territoriales. Je pense en particulier aux communes.
Monsieur le ministre, je conclurai en vous posant deux questions.
Premièrement, où en sont les discussions relatives à la protection sociale et au régime fiscal des auteurs ? Vous savez l’opposition des élus de notre groupe au transfert de la Maison des artistes et de l’association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs, l’AGESSA, aux unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, les URSSAF. Cette évolution laisse augurer une baisse de la qualité du service offert aux 100 000 auteurs du livre reconnus par l’État, dont presque la moitié vit sous le seuil de pauvreté.
Cette précarité est d’ailleurs renforcée par la perception que l’État et les maisons d’édition ont des droits d’auteur, lesquels sont trop souvent considérés comme des revenus du patrimoine et non comme des revenus du travail. C’est sur ce fondement que les maisons d’édition s’exonèrent allègrement de leurs obligations sociales, qu’il s’agisse des rémunérations ou des cotisations.
Deuxièmement, face à un mouvement inédit lancé par les dessinateurs de bandes dessinées contre la précarité généralisée que subit leur secteur d’activité, votre prédécesseur a lancé, l’an dernier, une mission. Or nous n’avons plus aucune nouvelle de ce chantier. Ces professionnels se retrouveront du 24 au 27 janvier prochain au festival d’Angoulême. Ma question est simple : aurez-vous des solutions à leur proposer ?
Au vu de ces perspectives inquiétantes concernant les médias et les industries culturelles, les élus de notre groupe voteront contre ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)