M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Défense » sont essentiels pour la préservation de notre sécurité et de nos valeurs, mais aussi de nos intérêts, du fait de notre présence sur l’ensemble du globe.
Ces crédits doivent en priorité assurer la sécurité des militaires déployés dans le monde. Au moment où nous parlons, ils sont près de 5 000 au Sahel, où ils remportent chaque jour des victoires contre le terrorisme, plus de 1 000 au Levant, que ce soit en mer, sur terre ou dans les airs, pour lutter contre ce qui reste de Daech et 10 000 à assurer la présence et la souveraineté de la France dans le monde.
Ces crédits sont essentiels, enfin, car ils doivent contribuer à préparer l’avenir, en nous permettant d’investir dans l’innovation pour préserver notre liberté d’action et d’assurer notre capacité à dissuader tout adversaire potentiel. Jeudi dernier, le chef d’état-major de l’armée de l’air a notamment souligné son inquiétude face à la prolifération des systèmes d’anti-accès, qui mettent en péril notre supériorité aéronavale.
Face à ces défis, nous avons deux préoccupations ; nous les avons déjà exprimées lors des discussions sur la loi de programmation militaire.
Première préoccupation, le budget des armées doit être sincère. Certes, madame la ministre, j’entends l’argument d’une hausse sans précédent du budget de la défense depuis de nombreuses années, mais convenez qu’il y a un problème de respect du vote du Parlement et des engagements pris à l’égard des armées dans le cadre de la LPM pour 2019-2025.
Je pense, d’une part, aux annulations de programme qu’il faudra réintégrer dans les prochaines années, et, d’autre part, au prolongement de l’effort engagé en 2018 en ce qui concerne les OPEX, dont la provision va à nouveau augmenter, en passant de 650 millions d’euros en 2018 à 850 millions en 2019. Nous appelons à ce que le reliquat soit effectivement et concrètement assuré par la solidarité interministérielle, comme l’a indiqué Dominique de Legge, et non par le budget des armées.
Seconde préoccupation, le budget des armées doit, au moins, permettre de préserver un statu quo opérationnel et capacitaire.
C’est vrai en termes budgétaires, mais également en termes humains. L’année 2019 verra la création de 450 postes, en particulier dans les secteurs du renseignement et de la cyberdéfense. Nous comprenons ces priorités, mais nous souhaitons que les missions conventionnelles des armées reçoivent également le renfort humain dont elles ont besoin.
À ce niveau, nous sommes confrontés à un fait préoccupant : une sous-consommation des crédits de personnel pourrait être constatée en 2018. Sommes-nous face à un creux conjoncturel ou à un déficit chronique d’attractivité de la part des armées ? Pourriez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur ce point ?
Cette question est d’autant plus prégnante que vous avez déjà pris des mesures fortes, que nous approuvons, pour fidéliser les soldats. Ainsi, la création d’une prime de lien au service, la reprise du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » et la montée en charge du plan Famille vont dans le bon sens. Il faut placer les efforts de la Nation, comme vous le dites avec justesse, madame la ministre, « à hauteur d’hommes ».
Sur le plan humain, nous avons d’autres questionnements. Le projet de service national universel, SNU, nous interpelle. S’il était question d’un encadrement militaire, à quelque échelle que ce soit, cela soulèverait des interrogations majeures. Où les ressources correspondantes seraient-elles prélevées ? Quelles seraient la responsabilité des militaires et leur articulation avec les encadrants civils ?
Le SNU devrait être expérimenté à l’été 2019. Or aucun crédit n’a été inscrit à ce titre dans le présent projet de loi de finances, ni sur le budget du ministère des armées, ni sur celui du ministère de l’éducation nationale. Nous craignons une déstabilisation de la LPM et nous demandons à être rassurés sur ce point.
Pour permettre d’exercer pleinement leur métier, les hommes ont besoin d’équipements bien entretenus et renouvelés.
En 2019, les crédits pour l’entretien programmé du matériel connaîtront une hausse exceptionnelle en autorisations d’engagement de plus de 4,6 milliards d’euros, ce qui représente un doublement. Cette augmentation concernera en particulier le maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques et contribuera à la mise en place de la nouvelle direction de la maintenance aéronautique.
Alors que se déroulait, la semaine dernière, le Forum Innovation Défense, il est évident que la capacité du ministère à investir dans les technologies de demain est indispensable à notre effort de défense. Nous saluons ainsi la hausse des crédits dédiés à la recherche et au développement, qui sera de l’ordre de 180 millions d’euros en 2019.
Toutefois, en matière d’effort d’armement et d’équipement, nous souhaitons rappeler notre vigilance quant aux mouvements de crédits en cours, qui peuvent parfois déstabiliser des programmes entiers. L’exemple du récent projet de loi de finances rectificative nous a montré à quel point ces budgets sont fragiles et soumis aux aléas budgétaires.
Cela m’amène à mon dernier point : la logique comptable qui prévaut trop souvent au détriment de nos intérêts de sécurité. Vous savez que le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient la remontée en puissance du budget des armées. Pour nous, il s’agit d’un impératif de sécurité nationale, mais également d’une nécessité si nous souhaitons maintenir notre rang dans le monde, être crédible auprès de nos alliés et assumer pleinement notre indépendance.
Le Parlement a voté une trajectoire budgétaire ambitieuse, la plus ambitieuse depuis de nombreuses années. Nous n’accepterons pas de la voir remise en question en permanence par des arbitrages de Bercy. Cette tension entre les ministères des armées et du budget doit cesser, si nous voulons assumer collectivement l’effort de défense que nous avons tous voulu.
Je rappelle à ce titre que les plus hautes « marches » budgétaires ne doivent être gravies qu’à partir de 2023. Le plus dur est donc devant nous ! Un proverbe tibétain dit : « Quand tu es arrivé au sommet de la montagne, continue de grimper ! » (Sourires.) Nous ne sommes qu’au début de la mise en œuvre de la loi de programmation militaire, et l’ascension sera longue avant que nous n’atteignons le sommet. Il ne faudrait pas, madame la ministre, que de petits cailloux nous fassent trébucher prématurément.
Madame la ministre, nous avons confiance dans votre engagement et vous pouvez compter sur notre soutien en faveur de l’intégrité de la trajectoire budgétaire, que nous avons votée dans la loi de programmation militaire. (Mme Sophie Joissains et M. Alain Richard applaudissent.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le vote des crédits de la défense est toujours un moment singulier, incontournable, car c’est un moment de vérité budgétaire et politique. C’est l’occasion de vérifier si le Gouvernement respecte ses engagements en allouant les moyens nécessaires à l’application de lois que nous votons.
La question est simple : le budget des armées pour 2019 est-il en adéquation financière avec la loi de programmation militaire votée il y a quatre mois, après un vrai travail de concertation ?
Madame la ministre, nous savons votre engagement personnel dans la recherche de crédits à la hauteur des ambitions françaises en matière de défense, ambitions imposées par nos responsabilités internationales et par une sécurité mondiale rythmée par une instabilité géopolitique croissante.
Pour autant, madame la ministre, je suis au regret de vous dire que, malheureusement, votre détermination n’a pas suffi ! Ce budget devait incarner « l’antichambre » de la première année de la loi de programmation militaire. Or, une fois de plus, nous avons assisté au scénario « gel de crédits, dégel et crispation sur toutes les travées »…
Comme l’a très bien exprimé notre collègue rapporteur spécial de la commission des finances Dominique de Legge lors de son examen, le projet de loi de finances rectificative pour 2018 est un budget de renoncement : il se traduit par une annulation de 404 millions d’euros, qui affecte principalement le programme 146 dédié aux équipements.
Pourtant, vous nous aviez promis que l’heure était à la réparation et à la préparation de l’avenir. Ces annulations augurent mal de l’entrée dans la nouvelle LPM, alors même que la France n’a pas réduit la voilure des OPEX.
De fait, la problématique du maintien en condition opérationnelle, ou MCO, reste centrale, car l’usure des matériels et la rudesse des théâtres exigent un rythme de remplacement plus soutenu. Il y va de la sécurité de nos soldats.
En outre, nul ne peut le nier, ces annulations de crédits auront des répercussions sur la base industrielle et technologique de défense et sur le tissu des petites et moyennes entreprises qui participent à la croissance économique et pèsent positivement dans la balance des exportations. Il nous faut d’ailleurs réfléchir aux moyens de mieux les protéger, par exemple en écartant des appels d’offres les entreprises étrangères, dès lors qu’ils touchent à des domaines très sensibles.
Que dire également de la fin de la solidarité interministérielle dans le financement des OPEX ? Que penser des déclarations du Premier ministre, selon lesquelles les armées peuvent assumer intégralement les OPEX ?
Cela m’amène à deux remarques. La fin de l’interministériel, c’est la négation de la LPM. Est-ce là toute la considération pour le pouvoir législatif et la représentation nationale ? Ensuite, l’interministériel n’est pas uniquement une question comptable : c’est aussi un partage du coût de la sécurité et de la défense de la Nation entre tous les ministères. En termes symboliques, ce n’est pas un détail.
Peut-être me répondrez-vous que des reliquats de crédits de personnel, à hauteur de 150 millions d’euros, permettront d’amortir ces annulations ? Malheureusement non, car cette non-consommation incarne parfaitement le défi de la politique de ressources humaines, auquel le ministère doit faire face : recruter, rémunérer et fidéliser.
C’est particulièrement vrai dans les domaines du renseignement et de la cyberdéfense. Les data, leur exploitation et leur protection représentent un enjeu économique primordial. En outre, comment être attractif dans un secteur où les salaires dépassent ceux des généraux ?
Certes, la réserve citoyenne pourrait offrir un début de réponse, mais encore faudrait-il mieux recenser et utiliser les talents des réservistes. Madame la ministre, je profite de cet instant pour vous demander de nous éclairer sur l’état de la réserve citoyenne, qui pourrait être mieux utilisée, en particulier à l’étranger pour l’organisation de la Journée défense et citoyenneté. J’aurai l’occasion d’y revenir.
Pour continuer sur les questions technologiques, je voudrais attirer votre attention sur l’importance de notre souveraineté en matière cyber.
Nous pouvons nous féliciter d’une certaine prise de conscience qui a eu lieu sur ce sujet et des efforts qui sont consacrés à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, l’ANSSI, mais il convient de les accroître tant en matière de formation que d’investissement. À l’heure où les « rançongiciels » se développent, nous devons réfléchir à l’utilisation des logiciels libres dans les services et par les opérateurs sensibles.
La dépendance de la défense envers Microsoft, j’ai déjà eu l’occasion de le dire et de l’écrire, est un handicap, voire une menace pour cette souveraineté numérique que nous devons construire.
À cet instant de la discussion et en dépit du constat négatif sur la réalité de votre budget et ses lourdes conséquences sur les armées, je voudrais, madame la ministre, vous remercier pour votre action vis-à-vis des soldats et de leurs familles.
Il me paraît important de rappeler qu’il n’est point de défense sans ressources humaines. Certes, nous rendons très régulièrement un hommage appuyé et solennel aux hommes et aux femmes de la défense. Mais ces hommages et cette reconnaissance doivent se traduire par des actes.
Nous ne pouvons donc que vous soutenir concernant le plan Famille mis en place l’année dernière et qui devrait monter en puissance. Il y a en effet derrière chaque soldat une famille pour qui le quotidien est souvent difficile.
Madame la ministre, vous l’aurez compris, je suivrai, avec mon groupe, l’avis de la commission des finances, qui a conclu à une position de sagesse, sagesse responsable, mais empreinte de lassitude et de lourdes inquiétudes concernant l’environnement et toute la communauté de défense.
En guise de conclusion, je veux vous donner rendez-vous l’année prochaine, madame la ministre. Cela vous laisse une année pour réussir la première marche de la loi de programmation militaire et sur laquelle nous serons plus que vigilants.
(M. Philippe Dallier remplace M. Thani Mohamed Soilihi au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, il y a six mois, nous discutions de la programmation militaire 2019–2025. Lors de ce débat, notre groupe avait pointé une vive inquiétude quant au choix de reporter la majorité de l’effort de défense à la fin du quinquennat, voire après les élections de 2022.
Autant dire notre attention sur ce premier budget post-LPM.
Avant toute chose, il faut rappeler notre profond doute à l’égard de l’objectif des fameux 2 % du PIB de l’effort budgétaire de défense. Cet objectif appelle, selon nous, un débat démocratique qui n’a toujours pas eu lieu. Pourrons-nous vraiment préparer la paix dans le monde en nous livrant à la course aux armements et en augmentant tous les budgets militaires mondiaux ?
Je sais, mes chers collègues, que nous avons un désaccord sur le financement des OPEX.
La défense nationale concerne, selon nous, l’ensemble des acteurs publics de l’État. Faire reposer une part du budget des opérations extérieures sur un fonds interministériel ne nous semble toutefois pas la solution la mieux adaptée. Je vous rappelle d’ailleurs la critique émise par la Cour des comptes sur ce fonctionnement.
Ce choix est, selon moi, d’autant plus incohérent que le ministère de la défense participe lui aussi à ce fonds. Dans ces conditions, pourquoi ne pas prévoir une ligne budgétaire suffisante au sein du programme 178 ?
Si, comme l’a rappelé l’un de nos collègues, le provisionnement de 850 millions d’euros pour cette année apporte beaucoup plus de transparence, le problème de la sous-évaluation du coût des OPEX perdure. Ces dernières années, il a coûté cher en retard d’équipements pour nos soldats et nos armées.
Je poursuis sur la question de l’immobilier. Les gouvernements successifs ont fait le choix de vendre le patrimoine de la défense, alors que les besoins étaient criants, du fait de la mobilisation toujours plus importante des effectifs et de la vétusté des locaux existants.
Le plan Famille doit permettre de répondre, en partie, à cette problématique. Nous soulignons l’engagement dans ce budget de presque 2 milliards d’euros pour planifier les nombreuses améliorations et rénovations de bâtiments de défense. C’est une très bonne chose, madame la ministre !
Pour poursuivre, vous connaissez, mes chers collègues, notre désaccord sur l’augmentation des crédits apportés à l’OTAN, à hauteur de 84 millions d’euros sur le budget de la défense et de 28 millions d’euros sur le budget de l’action extérieure de l’État. Cela représente encore une hausse de 7 %.
Nous le répétons chaque année, notre opposition n’est pas purement de principe, elle est également liée aux enjeux de la construction d’une Europe de la défense. Comment construire une nouvelle politique de sécurité collective en Europe et non une Europe de la défense arrimée à l’OTAN ? Voilà la question dont nous devrions débattre.
Autre point de désaccord, que j’ai également souvent évoqué ici, le plan de modernisation nucléaire, qui mobilisera 4,5 milliards d’euros. En consacrant toujours plus d’argent à ce plan de modernisation – j’en reviens toujours à cela, car j’aimerais nous voir un jour réussir à réduire le nucléaire militaire, ce qui serait déjà une avancée énorme ! –, la France s’interdit d’être la figure de proue d’un retrait progressif du nucléaire militaire, conformément au traité de non-prolifération. Je n’aborde pas ici les traités d’interdiction.
Dans cette intervention, je tiens à aborder un sujet largement évoqué lors de nos discussions en commission, la question des ventes d’armes. Le sens des responsabilités mais aussi l’éthique impliqueraient de mettre en œuvre, comme le préconisent nos voisins allemands – je ne sais s’ils sont passés aux actes – et le Parlement européen, un arrêt des ventes d’armes vers les pays engagés dans un conflit contre la population civile, et je ne pense pas seulement à l’Arabie Saoudite par rapport au Yémen. Avouez que cette situation – très rarement évoquée, même entre nous, au sein de la commission – est, d’après les informations dont nous disposons, catastrophique sur le plan humain ! (Mme Florence Parly, ministre des armées, acquiesce.)
Le Gouvernement maintient sa position de refus de débattre de la question. Son argument, c’est que l’utilisation des armes, dès lors qu’elles sont achetées et livrées par les pays acheteurs aux armées d’État légales, ne regarde pas le vendeur que nous sommes, une fois la livraison effectuée. J’aimerais que soient engagées des réflexions sur ce sujet et sur l’opacité dans la vente des armes. Sur le plan humain, sur le plan du respect du droit international que nous défendons tous ici, nous adopterions déjà une position forte en affichant, sinon une volonté de stopper la vente des armes vers de tels pays, du moins celle de demander un moratoire.
Lors de mon intervention en qualité de rapporteur pour avis, j’avais souligné la remontée du maintien en condition opérationnelle, mais celle-ci reste encore lente et inférieure aux prévisions.
J’insiste également sur la baisse des crédits de l’action sociale en direction des militaires. Il s’agit ici d’un message que nous aurions aimé différent. Les séquelles de Louvois sont encore très présentes – vous en êtes consciente, madame la ministre, je le sais. Il faut aussi mentionner la future réforme des retraites, qui laisse planer une grosse inquiétude pour nos militaires.
M. le président. Il faudrait conclure.
Mme Christine Prunaud. Je vais conclure, monsieur le président. L’année dernière, j’avais dit qu’il serait bon que nous réussissions à nous rapprocher au sujet de la loi de programmation militaire. Après maintes discussions au sein de mon groupe, nous avons décidé, madame la ministre, de ne pas voter contre les crédits de la mission. Nous nous abstiendrons.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini.
M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur Christian Cambon, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis nos derniers débats, ici même, lors de l’examen de la loi de programmation militaire, la situation du monde ne s’est pas apaisée. La montée des menaces a été largement décrite dans la dernière Revue stratégique.
La menace terroriste, si elle a été largement circonscrite par nos interventions, notamment avec les opérations Barkhane et Chammal, est toujours présente et engage nos forces armées en opérations extérieures et intérieures.
Je tiens ici à saluer la détermination, le courage et le professionnalisme de tous nos soldats et de leurs chefs, le général François Lecointre, chef d’état-major des armées et les chefs d’état-major des armées de terre, de l’air et de la Marine.
Au-delà des opérations extérieures, les Français les côtoient au quotidien et il n’est pas rare qu’ils les remercient ou les saluent avec admiration et bienveillance. Ils patrouillent chaque jour dans nos rues en s’intégrant parfaitement aux dispositifs mis en place de manière conjointe et coordonnée par l’ensemble de nos forces de sécurité.
Certains d’entre eux seront sur tous les théâtres d’opérations lors des prochaines fêtes de fin d’année et, pour avoir partagé quelques réveillons à leurs côtés, je sais ce que cela représente pour leurs familles.
Derrière chaque soldat, il y a des parents, des conjoints, des enfants. Il y a aussi, et je tiens à insister sur ce point, notre pays et ses valeurs, que nos forces armées servent sans hésitation, fût-ce au prix du sacrifice suprême. Je pense aussi à nos soldats blessés et aux familles endeuillées.
Notre travail dans cet hémicycle doit prendre tout cela en considération au moment où nous débattons du budget de la défense.
En ce sens, au Sénat, nous n’avons pas attendu les artifices de communication d’un soi-disant « nouveau monde » pour considérer que certains sujets revêtent une importance qui dépasse les oppositions classiques entre partis politiques et appelle une approche collective au-delà de toutes les travées, sans oublier nos différences et nos divergences qui enrichissent nos travaux. Notre défense appelle sérénité et efficacité.
Vous avez pu, madame la ministre, constater l’an dernier, lors du précédent débat budgétaire et au cours de la discussion de la loi de programmation militaire, que le Sénat est un lieu de débat constructif et créatif. Le président Cambon a repris le flambeau de ses prédécesseurs et je tiens à le remercier, lui et l’ensemble de nos collègues, pour la qualité de nos échanges et de nos débats en commission.
Ici, nous travaillons en confiance et avec vigilance. Nous jugeons sur pièces !
Lors de la loi de programmation militaire, vous avez proposé un cadre de confiance en positionnant les futurs engagements budgétaires à « hauteur d’homme » et en suscitant beaucoup d’espoir d’amélioration pour nos armées. Nous avons voulu croire aux promesses d’un effort inédit et d’une remontée en puissance exceptionnelle.
Cette démarche s’inscrivant en continuité du travail impulsé par le précédent président de la République, François Hollande, notre groupe l’a soutenue tout en émettant des réserves quant à son exécution et à la traduction des paroles en actes.
Or, dans les actes, la fin de gestion de l’exercice 2018 est marquée par la contradiction de l’article 4 de la loi de programmation militaire sur la solidarité interministérielle quant aux surcoûts des OPEX. Cette disposition primait jusqu’alors et jusque dans le texte que nous avons voté en toute bonne foi le 4 juillet dernier.
Les 404 millions d’euros supportés en 2018 par le seul budget des armées seront répercutés dès 2019 et entament donc largement les promesses faites par l’actuel gouvernement à nos armées. La loi de programmation militaire n’est pas encore en œuvre que ces engagements sont déjà remis en question. Ce n’est pas, comme nous l’avons entendu, une simple question de technique budgétaire. C’est un problème politique dont nous nous demandons quelles seront les répercussions concrètes.
Ce problème politique vient ternir l’impression générale de l’augmentation de 4,2 % du budget de la défense pour 1,7 milliard d’euros, qui l’inscrit dans la trajectoire fixée par la loi de programmation militaire. À la suite du projet de loi de finances rectificative pour 2018, le doute est là. Il ne permet pas d’être assuré, par exemple, que l’augmentation du programme 146 aura la portée escomptée et que l’ensemble des commandes et livraisons d’équipements seront au rendez-vous.
La logique budgétaire qui s’est appliquée ces dernières semaines pour le budget de la défense, consistant à prendre plus au ministère des armées parce qu’il a été doté de plus de crédits, risque d’être démultipliée lorsqu’il s’agira de garder le cap et de gravir la dernière grande marche avec l’augmentation de 3 milliards d’euros annuels dans la seconde partie de la loi de programmation militaire. L’exercice de travaux pratiques et concrets risque de se heurter encore plus durement à la logique de Bercy. Cependant, dans ce contexte d’incertitudes, il y a tout de même des signaux positifs à saluer. L’aspiration profonde au sein de nos armées portant sur les conditions de vie apparaît néanmoins prise en compte. Je pense à l’augmentation des crédits pour le plan Famille, portés à 57 millions d’euros. Cela va dans le bon sens et nous soutiendrons toutes les décisions qui permettront de poursuivre cette dynamique.
L’un des grands enjeux de ces prochaines années porte en effet sur les capacités de fidélisation des personnels de nos armées. Nous devons faciliter la vie de nos soldats, qu’ils soient sur base, en caserne ou en situation de mobilité. Trop souvent, les tracas du quotidien quant à la recherche d’une place en crèche ou d’un appartement viennent s’ajouter aux difficultés d’un métier soumis à une pression constante.
Comme le relève le 11e rapport du Haut comité d’évaluation de la condition militaire de septembre 2017, le premier facteur de départ de l’institution militaire porte sur la conciliation entre vie privée et vie militaire pour plus de 55 % des militaires interrogés. Nous avons le devoir de mettre nos soldats dans les meilleures conditions possibles, que ce soit en opération mais aussi en dehors.
De ce point de vue, pourriez-vous, madame la ministre, nous éclairer sur les prochaines étapes du plan Famille et d’autres projets que le ministère serait amené à porter pour situer son action sur l’amélioration des conditions de vie et de travail de nos militaires ?
À cet enjeu de fidélisation s’ajoutent d’autres enjeux en termes de ressources humaines, avec le recrutement de 6 000 personnels sur la période 2019–2025.
D’abord, je redis notre inquiétude sur la capacité à tenir la trajectoire annoncée, qui fait porter le plus gros effort sur 2023 à 2025, avec 75 % des créations de postes.
Ensuite, je repose la question des moyens et des dispositifs de recrutement et d’intégration dans un contexte où 62 % des militaires envisagent de quitter la fonction. Le plan Famille est un levier d’attractivité qui porte essentiellement sur les personnels déjà sous contrat, mais qui ne sera peut-être pas suffisant pour celles et ceux que nos armées souhaiteraient attirer.
Dans la pratique, pour l’année 2019, ce projet de loi de finances prévoit la création de 450 postes, 199 dans le renseignement et 107 dans la cyberdéfense, soit 68 % des postes créés. Si je tiens à saluer ces créations de postes, j’observe qu’il s’agit d’emplois faisant appel à un haut niveau de compétences et à des profils particuliers.
Sur ces profils, le ministère des armées est en concurrence avec le secteur privé, qui bénéficie d’une attractivité plus importante et qui est, en tout état de cause, rompu à l’exercice depuis de nombreuses années. En conséquence, l’institution va devoir mettre en œuvre une stratégie d’attraction des meilleurs profils. Je vous pose donc la question, madame la ministre : quelles mesures le ministère entend-il prendre afin d’attirer et d’incorporer ces hauts potentiels ?
Madame la ministre, vous l’aurez compris, nous sommes sceptiques. Depuis la loi de programmation militaire, le projet de loi de finances rectificative pour 2018 est passé par là, et il laisse des traces. Nous ne pouvons regarder ce budget « Défense » dans le projet de loi de finances pour 2019 qu’à travers un prisme de doutes et d’incertitudes, conséquences directes des conditions de fin de gestion de l’exercice budgétaire qui s’achève. Budget 2018 pour lequel vous nous annonciez « un budget sincère, contrairement », je vous cite, « aux gouvernements précédents ».
L’impact de 319 millions d’euros annulés sur le programme 146 n’est pas encore mesurable concrètement en termes d’équipements, mais nous savons, par expérience, qu’il y aura des effets à moyen ou long terme.
Ce n’est pas un bon signal dans la perspective du comblement de nos lacunes capacitaires. Ce n’est pas non plus un bon signal donné par le Gouvernement à l’aube de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi de programmation militaire.
Nous savons que nous n’avons pas besoin de vous convaincre, vous, madame la ministre. Cohérents avec ce que nous disons depuis votre entrée en fonctions consistant à soutenir les avancées au service de notre défense et à nous opposer aux reculs, nous allons envoyer, à notre tour, un signal au Gouvernement.
En conséquence, le groupe socialiste et républicain s’abstiendra sur le vote des crédits de la mission « Défense ».