M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.
Mme Christine Prunaud, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Préparation et emploi des forces ». Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’activité opérationnelle, gage de l’excellence et de la sécurité de nos militaires, reste inférieure, de près de 10 %, aux objectifs fixés.
La remontée tarde à s’amorcer. Notre commission le déplore et s’inquiète à ce sujet : les jeunes équipages de l’armée de l’air peinent à se qualifier, alors que l’entraînement est un enjeu majeur de la marine. Enfin, Sentinelle pèse sur la capacité d’entraînement de l’armée de terre ; ne serait-il pas temps de définir Sentinelle 3 ?
De surcroît, la commission s’inquiète de l’état des services de soutien, qui, selon une expression récurrente dans cette assemblée, sont les éternels sacrifiés : ils subissent de plein fouet les réductions de personnel, quand le nombre de soutenus remonte.
Certes, la remontée des effectifs du service de santé des armées, le SSA, longtemps appelée de nos vœux, est enfin prévue. Mais cette structure reste fragile, alors que la capacité de projeter le personnel médical est une condition indispensable à la capacité de la France à entrer en premier. Or, c’est 20 % du contrat opérationnel du SSA en OPEX qui, l’année prochaine, seront assurés par des réservistes, contre 10 % en 2018.
Le service du commissariat des armées, le SCA, va connaitre 150 suppressions de postes au cours de la période de programmation. Sa réforme n’est pourtant pas achevée. De grands défis l’attendent, qu’il s’agisse de mettre ses systèmes d’information à la hauteur des besoins, d’améliorer la fonction d’habillement, ou encore de parfaire le transport, domaine où les tensions sont réelles.
Madame la ministre, nous serons d’autant plus attentifs à l’évolution du SCA que celui-ci sera un acteur important de la réforme des soutenants annoncée : face à ce chantier d’ensemble, nous resterons très vigilants.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Soutien de la politique de défense ». Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis du programme 212, je prends acte de l’augmentation modérée des crédits de titre 2, laquelle est de l’ordre de 1,3 % pour 2019.
Cette hausse permet de respecter la trajectoire des effectifs fixée par la nouvelle LPM, laquelle prévoit 450 créations nettes d’emplois en faveur du renseignement, de la cyberdéfense, de la numérisation, de la sécurité-protection et du soutien aux exportations – ces priorités sont désormais bien connues –, sans oublier un renfort opérationnel au profit de la marine et de l’armée de l’air.
Cette hausse des crédits de titre 2 permet, en outre, de financer un plan catégoriel d’envergure, qui autorise enfin la mise en œuvre de la seconde annuité du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations », suspendue l’année dernière par mesure d’économie.
Cette décision nous avait préoccupés. En effet, nous sommes attachés à ce que la transposition en faveur des militaires des mesures affectant la rémunération des fonctionnaires civils soit assurée sans retard, afin d’éviter que des écarts, ressentis comme inéquitables, ne se creusent au détriment de nos forces.
Au surplus, le plan catégoriel comporte diverses mesures de revalorisation salariale et indemnitaire, notamment en faveur des praticiens des armées et, plus largement, au bénéfice des métiers sous tension, notamment via la création d’une nouvelle prime de lien au service. Cette dernière a vocation à se substituer à cinq primes existantes. Elle est conçue comme un outil plus souple, à la disposition des différentes armées. Elle a vocation à favoriser l’attractivité des emplois de la défense, la fidélisation de ses personnels et la valorisation de ses compétences critiques.
Il s’agit là – on le sait – d’un enjeu crucial pour les armées. Leur modèle de ressources humaines « à flux » impose un constant renouvellement des effectifs. Dans le même temps, elles doivent attirer des compétences rares et recherchées dans un environnement de plus en plus concurrentiel.
Madame la ministre, ces considérations me conduisent à vous interroger : comment ces mesures en faveur de l’attractivité, prévues au titre du présent texte, s’articuleront-elles avec le chantier de la nouvelle politique de rémunération des militaires, laquelle est en cours de déploiement ? Ces mesures constituent-elles déjà une partie de la réforme ? Dans le cas contraire, ne les anticipent-elles pas outre mesure ? Il faudrait que nous puissions appréhender l’économie du projet dans son ensemble, ainsi que ses équilibres, avant sa mise en œuvre, prévue, sauf erreur de ma part, à l’horizon 2022. Pouvez-vous nous éclairer au sujet de la méthode et du calendrier ?
De plus, la perspective de la réforme des retraites suscite des inquiétudes dans le monde militaire. La réforme s’accommodera-t-elle du maintien de ces dispositions, qui mettent en jeu la pérennité du modèle de ressources humaines appliqué par les armées ? On pense, bien sûr, aux bonifications de cotisations liées à l’activité opérationnelle, à l’existence d’une pension à liquidation immédiate, ou encore aux limites d’âge basses, qui sont liées aux carrières courtes des militaires. En d’autres termes, pouvez-vous nous certifier que la singularité militaire sera bien prise en compte à l’occasion de cette réforme ?
Enfin, puisque l’année touche à son terme, et puisque j’ai dépassé mon temps de parole (Sourires.), je me contenterai d’une dernière interrogation. Pouvez-vous nous donner des assurances quant à la mise en œuvre de la retenue à la source de l’impôt sur le revenu, qui va se télescoper avec le basculement de Louvois vers Source Soldes ?
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur pour avis.
M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis. À cet égard, quand devrait débuter la phase dite « de solde en double », ultime étape avant la bascule, qui ne concernera, dans un premier temps, que la marine ? Nous le savons, ce dossier est à très haut risque, et nous avons un très mauvais souvenir de Louvois !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Gilbert Roger, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Soutien de la politique de défense ». Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, après une hausse de plus de 400 millions d’euros l’an dernier, les crédits de la politique immobilière du ministère des armées semblent stabilisés. La marche franchie l’an passé semble désormais pérenne.
Toutefois, nous sommes inquiets pour deux raisons : d’une part, la LPM ne permettra qu’une stabilisation de l’état du patrimoine – en effet, 1,5 milliard d’euros d’investissements ont été reportés au-delà de 2025 ; d’autre part, la soutenabilité de la politique immobilière est incertaine, en raison de la saturation des services de soutien. La déconcentration et l’externalisation sont des réponses au mieux partielles, en tout cas insuffisantes.
Le service des infrastructures de la défense comptait 11 500 collaborateurs en 2005. Aujourd’hui, il en dénombre 6 700, et cet effectif n’est pas appelé à progresser sur la durée de la LPM. Or ce service a été bâti, en 2015, dans la perspective de 1 milliard d’euros de travaux de dépenses immobilières annuelles, et, aujourd’hui, ce montant dépasse les 2 milliards d’euros !
Madame la ministre, la stratégie d’efficience accrue a ses limites : la charge de travail est telle que le service ne semble plus suffisamment efficace. La mutualisation des soutiens était souhaitable, mais peut-être aurait-on pu réfléchir à réemployer une partie des effectifs de manière intelligente, plutôt que de les restituer de manière précipitée.
M. de Legge a déjà évoqué les cessions immobilières. Nous regrettons la récente cession d’une fraction de l’îlot Saint-Germain à la régie immobilière de la ville de Paris : cette opération a été conclue avec plus de 66 % de décote – c’est un constat que j’ai dû dresser moi-même. Malheureusement, le ministère des armées ne va récupérer que cinquante petits logements sociaux.
M. Bruno Sido. C’est scandaleux !
M. Gilbert Roger, rapporteur pour avis. C’est insuffisant. Le Sénat a introduit dans la LPM une disposition qui permet, pour l’avenir, de réserver au ministère trois quarts des logements sociaux réalisés lors d’opérations de cette nature. Avec cette disposition, l’on devrait être à même de faire beaucoup mieux – ce n’est pas difficile… (Sourires.) – en cas d’application de la décote : à défaut de recettes, le ministère doit bénéficier de logements.
Je conclus en évoquant la cession du bâtiment de l’ancien hôpital du Val-de-Grâce. Nous avions appelé à reconsidérer la pertinence d’une telle cession. Madame la ministre, où en sont les discussions en cours ?
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Excellent, comme d’habitude !
M. le président. La parole est à M. Michel Boutant, en remplacement de M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Boutant, en remplacement de M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Environnement et prospective de la politique de défense ». Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le cadre budgétaire du programme 144 est, disons-le d’emblée, positif, car il respecte la trajectoire définie par la LPM, à savoir l’augmentation progressive des crédits d’ici à 2025.
Les crédits d’études amont représentent, à eux seuls, un peu plus de la moitié des crédits du programme, et progresseront de 35 millions d’euros pour s’établir à 758,5 millions d’euros. Notons tout de même que ce montant est en retrait par rapport aux 762 millions d’euros prévus dans le cadre de la loi de programmation militaire. En effet, nous avions souhaité inscrire le détail de la montée en puissance de ces crédits dans le rapport annexé à la LPM.
Cela étant, comme nos collègues rapporteurs pour avis du programme 146, nous sommes inquiets des conditions de la fin de gestion de 2018 : pour le programme 144, ce sont 20 millions d’euros qui sont annulés. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser où ces coupes seront effectuées exactement et quel sera leur impact ?
Pour ce qui concerne le soutien à l’innovation, qui constitue l’un des deux axes de ce programme, l’autre étant le renseignement, nous portons, globalement, une appréciation positive, du fait, non seulement, de la hausse des crédits, mais aussi de l’orientation que vous avez retenue, en soulignant à maintes reprises l’importance que vous accordez à l’innovation.
Naturellement, il ne faut pas que ces mesures restent un effet de mode. Dans ce contexte, si nous ne voulons pas que notre industrie de défense, aujourd’hui, et nos armées, demain, connaissent le déclassement technologique, il faut redoubler d’efforts sur le front de l’innovation. Le constat a été dressé lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire : il faut notamment capter l’innovation civile, qui, aujourd’hui, dépasse de plus en plus souvent l’innovation militaire.
Le 1er septembre dernier, l’Agence de l’innovation de défense a été créée, et nous nous en félicitons. Nous avons auditionné son directeur, M. Emmanuel Chiva. Ce dernier nous l’a clairement dit : il a bien conscience du risque d’empilement des structures. Il entend précisément simplifier les canaux de diffusion de l’innovation. Nous suivrons donc avec un grand intérêt les premiers pas de cette nouvelle agence.
Nos auditions ont confirmé un second point positif : le succès du régime d’appui aux innovations duales, ou dispositif RAPID, de soutien à l’innovation. À ce sujet, nous vous adressons une suggestion : le dispositif pourrait être amélioré s’il était étendu à la phase de pré-production des projets.
Enfin, j’appelle votre attention sur la situation de l’Office national d’études et de recherches aérospatiales, l’ONERA.
Alors que l’innovation et la recherche sont affirmées comme des éléments fondamentaux de notre effort de défense, on ne peut qu’être frappé du cadre extrêmement contraint que l’État a fixé à l’ONERA au titre du contrat d’objectifs et de performance, ou COP, pour la période 2017-2021 : la subvention de l’État devrait être pour ainsi dire stable, de l’ordre de 115 millions d’euros.
De manière significative, la subvention à l’équivalent allemand de l’ONERA a crû, dans le même temps, de 110 à 170 millions d’euros. À l’heure où nous voulons mettre en œuvre, de concert avec l’Allemagne, le système de combat aérien futur, le SCAF, ce différentiel relatif à l’effort de recherche amont devrait nous faire réfléchir.
Pour résumer, le COP négocié et signé en 2016 est aujourd’hui en décalage par rapport à nos ambitions dans le domaine aéronautique et, plus largement, en matière de défense, me semble-t-il. Madame la ministre, n’y aurait-il lieu de faire un petit effort supplémentaire pour l’ONERA, sans attendre la fin du COP ?
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Environnement et prospective de la politique de défense ». Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la LPM a exposé clairement les menaces et les priorités. Dans un monde plus incertain et plus dangereux, la France doit poursuivre ses efforts dans le domaine du renseignement.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, les crédits alloués à la direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, et à la direction du renseignement et de la sécurité de la défense, la DRSD, en sont la traduction. À ce titre, je tiens à formuler deux observations.
Tout d’abord, la DGSE bénéficiera de 89 créations d’emplois, contre 41 pour la DRSD. Toutefois, cette dernière ne parvient pas à pourvoir tous les postes ouverts, non seulement parce que les armées ne sont plus en mesure de la régénérer autant que nécessaire, mais aussi parce qu’elle manque de visibilité et de capacité à proposer des niveaux de rémunération suffisants aux personnels civils.
Ces difficultés de recrutement et de fidélisation, globalement, mais pas complètement surmontées par la DGSE, tiennent également aux singularités des profils recherchés, ainsi qu’à la faiblesse des viviers, notamment dans le domaine du numérique. Il s’agit là d’un problème structurel, qui touche tous les secteurs de l’État.
Il est regrettable que les écoles d’ingénieurs et les universités soient dans l’incapacité de répondre à la croissance des demandes, ce qui crée des tensions sur le marché du travail. Sans une politique active d’orientation vers les filières scientifiques, la France aura, à terme, des difficultés à suivre les pays concurrents ou adversaires dans le domaine du renseignement technique et de la cyberdéfense. C’est un véritable enjeu de sécurité nationale !
Deuxième observation, les crédits d’investissement progressent de plus de 15 %, cette hausse étant essentiellement destinée aux investissements techniques et aux infrastructures immobilières.
Avec Pascal Allizard, je me suis rendu sur les sites centraux de la DGSE et de la DRSD et nous avons pris conscience de l’hétérogénéité et de la vétusté de nombre de bâtiments. Ils ne correspondent plus aux besoins et à l’activité de ces services et nuisent, en outre, à leur attractivité comme à la fidélisation de leurs agents. Les programmes de rénovation et de construction sont des opérations complexes : la saturation des emprises oblige à rénover sans interrompre l’activité et les exigences de sécurité sont maximales.
S’agissant de la DGSE, l’effort d’investissement est considérable : quelque 910 millions d’euros devraient être engagés d’ici à 2025 contre 277 millions d’euros au cours de la précédente loi de programmation. La DRSD verra, en 2019, le démarrage du projet de restructuration du site central pour un coût évalué à 60 millions d’euros. En parallèle, un plan pluriannuel de rénovation des directions zonales et des postes sera financé pour un montant de 16,5 millions d’euros. Nous veillerons à ce que cet effort soit maintenu en exécution.
En conclusion, s’agissant du renseignement, je me réjouis à titre personnel du respect, dans le projet de loi de finances pour 2019, des engagements de la loi de programmation.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je voudrais tout d’abord rendre hommage à nos soldats, exemplaires, ces femmes et ces hommes qui exposent leur vie pour défendre la France et nos concitoyens.
Je pense notamment à celles et ceux qui, en ce moment même, sont déployés en OPEX. J’ai aussi une pensée pour nos blessés, dont on parle peu, alors qu’ils portent dans leur chair la trace de leur courage. Je veux à cet instant et en notre nom à tous leur dire notre reconnaissance et notre admiration. (Applaudissements.)
Nous voilà, madame la ministre, sur le premier exercice budgétaire de la nouvelle loi de programmation militaire. Vous avez pu mesurer lors de nos débats sur ce texte que le Sénat s’interdisait toute posture partisane, quand il y va de la défense de la France – cela a été rappelé, 326 sénateurs ont voté ce texte.
Nous avons adhéré à votre démarche d’une LPM « à hauteur d’hommes », qui se préoccupe des militaires et de leurs familles, et pas seulement des équipements. Nous avons soutenu les deux volets de ce texte, la réparation et la préparation de l’avenir, tous les deux indispensables.
C’est pourquoi vous ne serez pas étonnée que je reconnaisse ici, tout d’abord, qu’il y a du positif dans le projet de budget pour 2019, qui s’élève à 35,9 milliards d’euros, en hausse de 1,7 milliard d’euros. Il y a une augmentation des moyens, personne ne peut le nier. Il y a aussi le respect, à ce stade, de la trajectoire de la LPM. Les presque 700 millions d’euros supplémentaires sur les équipements doivent ainsi permettre de véritablement commencer le grand chantier de modernisation de nos armées. C’est votre combat, madame la ministre ; c’est aussi le nôtre !
Naturellement, il y a des points qui appellent une plus grande vigilance, notamment concernant les ressources humaines : la façon dont seront traitées les retraites des militaires, la mise en œuvre de la nouvelle politique de rémunération, les conditions d’application du prélèvement à la source… Après la catastrophe Louvois, il est impératif que la bascule sur Source Soldes se passe au mieux. Nous serons très vigilants sur tous ces points et je sais, madame la ministre, combien ils vous mobilisent.
Mais parce que nous reconnaissons les points positifs, nous ne tairons pas non plus nos déceptions. Vous le savez, notre commission déplore vivement l’annulation des 404 millions d’euros du budget de 2018, inscrite dans la loi de finances rectificative. Les conséquences en seront réelles et lourdes.
Tout d’abord, jugeons l’ordre de grandeur, alors que le ministre de l’action et des comptes publics veut nous vendre le fait que tout cela est marginal : sur le seul programme 146, ce sont 319 millions d’euros qui sont annulés. Nos rapporteurs, Cédric Perrin et Hélène Conway-Mouret, l’ont dénoncé à raison.
Mes chers collègues, 319 millions, ce n’est pas rien, c’est l’équivalent de deux ans de livraison des nouveaux Griffon ou de dix hélicoptères Tigre, c’est 2,5 fois le coût de l’équipement de tous nos soldats en nouveaux fusils HK416, qui arrivent pourtant au compte-gouttes dans les régiments !
Au-delà de ces exemples éloquents, il y a plus grave : c’est le doute que ce mouvement soudain de pure logique comptable peut faire naître sur la détermination du Gouvernement à suivre la feuille de route, difficile, que trace la LPM. S’il faut déjà raboter près d’un demi-milliard d’euros, alors que la LPM n’est même pas encore commencée, comment ferons-nous lorsqu’il faudra ajouter chaque année un volume encore plus important de crédits au budget de la défense ?
Le message adressé par le collectif budgétaire est désastreux, et tout cela laisse une immense impression de gâchis, quelques mois seulement après l’adoption presque unanime de la LPM. La confiance finira par laisser place au doute !
Madame la ministre, nous avons travaillé en responsabilité, vous et nous, sur la LPM. Nous ne remettons pas en cause votre bonne foi. Nous savons quel est votre combat, il est aussi le nôtre : renforcer les capacités opérationnelles de nos armées. Je veux réaffirmer aujourd’hui notre détermination totale à faire respecter la LPM que nous avons votée.
Sans cette initiative malheureuse sur le collectif budgétaire, nous aurions voté sans réserve le budget de ce premier exercice de la LPM, mais à cause de cela, une large majorité des sénateurs va s’abstenir. Nous manquons une belle occasion de rassembler à nouveau le Sénat derrière nos armées et aussi derrière vous, madame la ministre. Tout cela est bien dommage…
Tournons-nous maintenant vers l’avenir. L’an prochain, la provision pour les OPEX sera portée à 850 millions d’euros. Nous savons bien que ce montant sera inférieur aux besoins. Je vous pose donc d’ores et déjà la question : le Gouvernement compte-t-il, l’an prochain, renier à nouveau le principe d’une prise en charge par la solidarité interministérielle de ce surcoût et faire le contraire de ce qui est spécifiquement prévu dans la LPM ?
J’ai lu avec attention la lettre que le Premier ministre a bien voulu m’adresser à la suite du communiqué de presse de notre commission. J’ai cru y deviner l’amorce d’un raisonnement qui me paraît préoccupant : l’idée que, en proportion du budget total des armées, la ponction était faible et que, somme toute, votre ministère avait été bien traité.
C’est inquiétant, car si le Gouvernement tient ce raisonnement en 2018, qu’en sera-t-il au fur et à mesure de l’exécution de la LPM et des augmentations prévues – 1,7 milliard d’euros par an dans un premier temps, puis 3 milliards d’euros ?
M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. Eh oui !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. C’est oublier que les moyens que nous avons décidé de consacrer à notre défense dans la LPM sont loin d’être un luxe !
Les défis sont colossaux, vous les connaissez comme moi, madame la ministre : combler les lacunes capacitaires, moderniser les équipements, développer nos capacités de renseignement, remettre en état des infrastructures délabrées, investir les nouveaux champs de conflictualité, redonner de l’air au service de santé et au commissariat des armées et renforcer l’attractivité du métier des armes, à l’heure où la concurrence des recruteurs du privé menace les ressources humaines des armées.
Oui, il y a aura besoin de l’effort prévu en LPM, et si Bercy persiste à venir chercher un demi-milliard d’euros, un milliard d’euros ou plus sur le budget des armées chaque année, cela ne fonctionnera pas !
J’ai également entendu un argument assez troublant : quand le Gouvernement – pas vous, madame la ministre – affirme que les annulations de crédit n’auront aucun impact, que faut-il en conclure exactement ?
S’il s’agit de dire que certaines dépenses, par exemple le versement à l’OCCAR, l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement, seraient reportées, c’est tout simplement de la cavalerie budgétaire. Autre hypothèse, nous aurions fait des économies sur le coût de certains matériels : si le ministère avait réussi à faire plus de 300 millions d’économies, nous le saurions !
Une autre interrogation émerge alors ? Si l’annulation de ces crédits devait être indolore, serait-ce parce que le ministère des armées serait devenu incapable d’absorber des hausses de crédits ? Il faut dans ce cas se poser la question de l’organisation du soutien, qui est en silos : une telle organisation est-elle encore adaptée ? Ne faut-il pas plus de subsidiarité pour les bases de défense ? Les commandants de base, eux, sauront engager les crédits au plus près des besoins, au lieu d’être corsetés pour commander un transport, gérer l’habillement ou la cantine ou repeindre un couloir ! Cette question d’organisation doit être traitée, au risque d’empêcher la remontée en puissance.
La question des ressources humaines et des recrutements nous inquiète aussi : quelque 155 millions d’euros n’ont pas été dépensés sur le titre 2 cette année. Chacun connaît la difficulté de maintenir les compétences dans nos armées, vu le niveau des rémunérations et la comparaison avec ce qui a cours dans le secteur privé.
Aussi, l’idée qu’il reste en fin d’année 155 millions d’euros non dépensés nous laisse songeurs. La centralisation de la politique des ressources humaines au niveau du secrétariat général des armées a-t-elle vraiment amélioré le pilotage de la masse salariale ? Ou, tout simplement, est-ce un mal plus profond, celui de la perte globale d’attractivité du métier des armes par la conjonction du surengagement et de la faiblesse des rémunérations ? Je ne doute pas, madame la ministre, que ce sont des questions sur lesquelles vous allez vous pencher de très près. Nous vous accompagnerons dans ces investigations.
Ce que souhaite notre commission, vous le savez, c’est non pas l’échec du Gouvernement, mais la réussite de notre modèle d’armée, parce que cette réussite est la condition de la défense de la France et des Français.
Nous espérons avoir des réponses sur l’ensemble de ces questions et notre commission restera vigilante et mobilisée pour le succès de nos armées. Elle reste disponible, vous le savez, pour y travailler avec vous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Rachid Temal applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances constitue la première étape de l’application de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 2025, que nous avons adoptée en juin dernier.
De fait, les crédits inscrits sont en hausse de 1,7 milliard d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2018. Cette hausse, qui est sans précédent depuis la fin de la guerre froide, respecte la trajectoire inscrite dans la loi de programmation. Cette évolution est également cohérente, dans un pays qui lutte contre le surendettement, avec les dispositions de la loi de programmation des finances publiques.
En outre, les ressources prévues sont dépourvues d’aléas, ce qui n’a pas encore été indiqué, me semble-t-il, dans notre débat. Ces inscriptions budgétaires, ainsi que la perspective stratégique claire qui a été définie au début du présent quinquennat – perspective qui est d’ailleurs cohérente avec celle qui avait été fixée antérieurement –, constituent une base solide pour financer un développement cohérent de nos forces armées.
Nous avons entendu, lors de la présentation des différents rapports budgétaires, des critiques sur la gestion du financement des OPEX en fin d’année 2018. Ces critiques sont évidemment légitimes, mais je ferai simplement observer que nous n’avons jamais connu une inscription budgétaire de 850 millions d’euros pour les OPEX en loi de finances initiale.
Souvenons-nous tout de même que, durant les premières années où nous avons inscrit une ligne budgétaire à ce titre, celle-ci ne s’élevait qu’à quelques dizaines de millions d’euros et qu’elle a oscillé, durant les deux précédents quinquennats, entre 400 et 500 millions d’euros. Une inscription de 850 millions d’euros en loi de finances initiale constitue donc un progrès ; il n’est pas inopportun de le rappeler.
Le projet de loi de finances pour 2019 met l’accent sur l’investissement en faveur des personnels, militaires ou civils, auxquels je veux aussi exprimer notre hommage et notre soutien – je rejoins en cela les termes employés par le président Cambon à l’instant, qui nous rassemblent tous.
Cette année, les forces armées bénéficieront de 450 créations de postes, centrées principalement sur le renseignement, le cyber et le numérique. Cela constitue un défi, car de tels recrutements, nous le savons, sont difficiles. Cette difficulté explique aussi le chiffre de 450, qui est accessible.
La dimension ressources humaines de ce budget comprend aussi une composante importante et politiquement très significative, à savoir la poursuite du plan Famille. Cette problématique, qui représente le premier facteur de disponibilité et d’engagement des personnels, avait été clairement identifiée par les gouvernements précédents, mais c’est celui auquel vous appartenez, madame la ministre, qui met effectivement des mesures en œuvre.
Des solutions sont ainsi apportées en matière de petite enfance, de logement, d’accès facilité à la carte famille de la SNCF ou de Wi-Fi – celui-ci devient gratuit dans la plupart des situations de projection. Ce sont des projets concrets, qui contribuent à l’attractivité de la carrière militaire pour les jeunes, qui vont ainsi servir leur pays dans des conditions améliorées par rapport à ce qu’ont connu leurs aînés.
Ce budget porte aussi des améliorations en matière d’infrastructures – certaines datent effectivement… – et de conditions de travail et de vie. Sur ces sujets, plusieurs dispositifs sont bien engagés et vont se poursuivre au cours de l’année 2019. Je pourrais aussi citer, comme l’a fait notre collègue Guerriau, la mise à jour du système indemnitaire, qui est destinée à conserver de l’attractivité aux carrières dans l’armée.
Je voudrais d’ailleurs saluer, à cet instant, le travail réalisé depuis maintenant une dizaine d’années par le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, qui est un instrument crédible et parfaitement respectueux de la neutralité des armées ; au fond, il est chargé de défendre par procuration les intérêts professionnels des militaires, en opérant notamment un travail de comparaison, d’étalonnage, de leurs conditions statutaires et de rémunération par rapport à d’autres professions. Les personnalités engagées dans ce Haut Comité apportent beaucoup de soin à leur tâche et servent utilement les armées.
Je voudrais aussi évoquer le service de santé des armées. Nous savons tous par expérience à quel point ce service est une composante essentielle de la solidité et de la confiance de nos forces armées, et à quel point il constitue un pôle d’excellence dans la médecine française et la recherche.
Au-delà de la question immobilière – le sujet du Val-de-Grâce a été évoqué –, je crois qu’il nous faut aussi parler des personnels, dont je veux souligner les qualités humaines, de courage et d’engagement – je pense notamment aux médecins, qui sont, je le rappelle, particulièrement qualifiés pour la mission dans laquelle ils s’engagent.
Il n’est pas toujours facile de fidéliser ces personnels. En raison de la valeur scientifique et médicale, l’attractivité des postes est toujours très forte en début de carrière, ce qui est un bon signe, mais la suite est souvent plus fragile. Je suis convaincu, madame la ministre, que vous examinez ce sujet de près.
Dans nombre d’opérations, dont certaines avec des unités très dispersées, il peut être nécessaire de projeter aussi des personnels médicaux. La question du service de santé des armées est donc importante pour la crédibilité de nos engagements.
Pour revenir au projet de loi de finances, je note que les dépenses liées aux équipements sont en forte progression.
Sans citer toutes les réalisations, je souhaite mentionner l’importante réorganisation que vous avez engagée, madame la ministre, en ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle, le MCO, de l’aéronautique. Ce projet porte beaucoup d’espoirs, puisque, dans toutes les armées, il s’agit d’une fragilité connue et très sérieuse.
J’observe aussi avec satisfaction l’accélération des études amont et la mise en place d’un nouveau partenariat avec Bpifrance, DEFINVEST, qui, je le crois, attirera nombre d’entreprises stratégiques.
Vous l’aurez compris, nous sommes devant un bon budget, qui ouvre une perspective dynamique. Il faut donc le voter – c’est en tout cas ce que fera le groupe La République En Marche, en disant bravo au Gouvernement ! (M. Jacques Mézard applaudit.)