M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » connaissent une baisse de 16,5 % par rapport à 2018, diminution qui s’explique par deux facteurs : un rééquilibrage de la provision pour aléas, qui passe de 300 millions d’euros à 200 millions, et un allégement des charges sociales de 400 millions d’euros. Ce budget ne connaît donc pas de diminutions trop importantes dans un contexte budgétaire malheureusement contraint, comme vous le savez.
Il est crucial de conserver les moyens de répondre à la situation encore bien fragile de nombreux exploitants.
Ce budget a quatre objectifs : le soutien à l’agriculture complété par des cofinancements européens ; le renforcement de la prévention et de la gestion des risques sanitaires ; la formation des jeunes, au travers des moyens consacrés à l’enseignement et à la recherche, en particulier l’enseignement agricole dans toute sa diversité ; enfin, la transformation de l’agriculture par l’innovation et sa modernisation, notamment soutenue par le déploiement du volet agricole du Grand Plan d’investissement. J’ajoute que certains dispositifs du PLF traduisent déjà l’esprit de la loi ÉGALIM, récemment promulguée ; je pense, notamment, au doublement des crédits du Fonds Avenir Bio.
À ce titre, il est absolument nécessaire de ne pas décevoir les espérances nées lors des états généraux de l’alimentation, qui doivent pleinement mobiliser le Gouvernement pour faire de la loi ÉGALIM un succès. Ce n’est pas encore gagné, monsieur le ministre ! Cela ne repose bien évidemment pas que sur l’agriculture biologique, cela va de soi.
En effet, ce texte avait pour ambition première d’améliorer le revenu des agriculteurs. Il est important de rappeler que cela repose sur trois facteurs : le prix payé au producteur ; les soutiens européens portés par la PAC, enjeu essentiel sur lequel nous sommes mobilisés ; enfin, le niveau des charges. À ce titre, soyons très vigilants et veillons à ce que le second volet de la loi ÉGALIM n’entraîne pas une progression de celles-ci, neutralisant ainsi les objectifs ! La reconquête du revenu des agriculteurs ne peut se faire, à mon sens, qu’en combinant ces trois éléments.
Je voudrais maintenant évoquer quelques points de ce budget qui me paraissent importants.
Après la suppression programmée du dispositif TO-DE, les débats parlementaires et votre mobilisation ont permis de le maintenir à 1,15 % du SMIC. Le Sénat a, dans sa très grande majorité, adopté l’amendement, visant à rétablir le dispositif initial, de notre collègue Laurent Duplomb.
M. Guillaume Chevrollier. Excellent collègue !
Mme Cécile Cukierman. Futur chef de cabinet ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. Franck Menonville. J’avais alors en parallèle proposé un amendement de repli à 1,20 % du SMIC. Ce point d’équilibre a été adopté en séance publique par l’Assemblée nationale le 27 novembre dernier. Néanmoins, la question de la pérennité de ce dispositif reste en suspens. Il faut maintenir ce dispositif pour donner à nos agriculteurs la possibilité de s’adapter, car il s’agit d’un levier de compétitivité indispensable.
Monsieur le ministre, il est nécessaire d’envoyer un signal fort à ce secteur très fortement exposé à la concurrence internationale.
Par ailleurs, je veux revenir sur la réforme de la fiscalité agricole et, plus particulièrement, sur les dispositions fiscales favorisant l’épargne de précaution, qui permettront à nos agriculteurs de mieux faire face aux situations et d’amortir les aléas, qu’ils soient climatiques, sanitaires ou de marché. Je ne puis que saluer la création d’un tel dispositif, longtemps attendu par la profession, à la fois simple dans sa mise en œuvre et adapté à la situation de chacun.
Ce projet de budget met aussi l’accent sur l’installation et le soutien au renouvellement des générations, un soutien fondamental.
Enfin, concernant la filière bois, je salue l’augmentation des crédits à hauteur de 250 millions d’euros et plus particulièrement l’augmentation du Fonds stratégique de la forêt et du bois de 3 millions d’euros, même si les besoins sont encore plus conséquents.
C’est pour cette raison que je soutiens pleinement l’amendement déposé par notre collègue Anne-Catherine Loisier, pour orienter la taxe carbone, afin de soutenir les investissements nécessaires dans la filière.
En conclusion, une gestion durable de la forêt, les enjeux de la captation du carbone, les biocarburants, la méthanisation, le photovoltaïque, voilà autant de solutions de nature à contribuer à répondre aux nouveaux défis de l’agriculture et de la forêt, mais également à la nécessaire transition énergétique, un domaine fort mal accompagné actuellement, je tiens à le dire, par le ministère de la transition écologique. Nous devons absolument privilégier une écologie de projets et non pas une écologie d’interdiction, perçue comme étant punitive.
Monsieur le ministre, vous aspirez à ce que la France soit « souveraine d’un point de vue alimentaire » et que « son agriculture rayonne dans le monde ». Nous ne pouvons que partager et saluer vos ambitions. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à féliciter les rapporteurs spéciaux et pour avis de l’excellence de leur travail. J’illustrerai leurs interrogations en évoquant deux points : la situation de la filière fruits et légumes, ainsi que les conséquences du Brexit sur notre agriculture et la pêche.
La filière fruits et légumes est l’une des plus fragiles de nos productions agricoles, car elle dépend fortement non seulement du contexte climatique et météorologique, mais également de la compétition internationale. Avec 388 000 hectares cultivés en fruits et légumes, 5,5 millions de tonnes, la France est le troisième producteur de l’Union européenne, loin derrière l’Italie et l’Espagne.
Mon département, le Lot-et-Garonne, fait notre fierté dans ce domaine, mais il est aussi l’un des départements les plus touchés par les problématiques liées à l’emploi des salariés agricoles et par le manque d’eau durant l’été.
Permettez-moi d’insister fortement sur la question des travailleurs saisonniers ; les orateurs précédents s’y sont déjà employés. Depuis plus de trente ans, les employeurs de travailleurs saisonniers bénéficient d’une réduction de cotisations patronales sur les contrats par le biais d’un dispositif spécifique que nous connaissons tous et que vous connaissez aussi, monsieur le ministre, les TO-DE.
Nous avons été nombreux à vous alerter sur ce point, car nous craignons que, sous couvert d’économies budgétaires, les mesures que le Gouvernement propose ne viennent directement affecter la compétitivité de notre économie agricole.
Le coût de la main-d’œuvre française est déjà bien plus élevé que chez nos voisins allemands et italiens, à savoir respectivement de 27 % et 37 %. Il ne faudrait pas encore l’aggraver.
En outre, ce secteur est directement affecté par les aléas climatiques, ceux qui sont liés à l’eau, c’est-à-dire les inondations et la sécheresse. Nous pensons qu’il est nécessaire de revoir la loi sur l’eau, pour faire évoluer nos capacités à créer et à gérer la ressource, tout en continuant à la protéger.
Ces difficultés, particulièrement accrues pour la filière fruits et légumes, entraîneront une perte de souveraineté alimentaire pour notre pays. Or je sais votre attachement à celle-ci, monsieur le ministre, comme d’ailleurs à notre agriculture et à nos agriculteurs.
En outre, j’évoquerai les conséquences du Brexit sur notre pays dans le domaine de la pêche maritime. Après un an de négociations, l’Union européenne et la Grande-Bretagne ont fini par s’entendre sur un projet d’accord de retrait. La politique européenne en matière agricole est essentielle pour la France. Les aides de la PAC représentent près des deux tiers des concours publics à notre agriculture. Nous devons être très vigilants à leur évolution dans la nouvelle politique PAC, mais aussi dans les conséquences du retrait britannique.
Le Conseil européen a adopté dimanche dernier un texte réglant les relations avec Londres pendant une période de transition, qui pourrait se prolonger jusqu’en 2022. Cet accord, qui contient un volet sur les questions de pêche, prévoit un accès aux eaux territoriales britanniques, et les Britanniques resteront soumis aux quotas de pêche européens pendant la période de transition.
Néanmoins, il faudra conclure un accord au plus tard d’ici à la mi-2020 pour régler cette question. Nous pouvons nous associer avec d’autres États membres comme les Pays-Bas pour faire valoir notre position. Je crois que la négociation pourrait se fonder sur les principes d’accès réciproques et sur le maintien des quotas existants. Il faut trouver un équilibre entre les droits de douane, les règles de l’OMC, l’Organisation mondiale du commerce, et l’accès aux eaux territoriales.
Nous souhaitions, avec mes collègues bretons, vous interpeller, monsieur le ministre, sur ce sujet, car il y va de la survie de la pêche maritime européenne et française. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Bertrand. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne-Marie Bertrand. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Ferme France contribue à la richesse de notre pays, avec une balance excédentaire de 6 milliards d’euros, mais celle-ci s’érode d’année en année.
Mme Anne-Marie Bertrand. C’est un constat partagé avec mon collègue Daniel Laurent et, j’en suis sûre, de nombreux collègues, nos agriculteurs sont fatigués – certains de mes collègues ont parlé précédemment des suicides. Ils doivent déployer beaucoup d’énergie pour défendre leur métier, alors même qu’il est gage d’indépendance.
Personne ne l’ignore : nous ne vivons pas dans un bocal. Des pays émergents le sont de moins en moins et deviennent des puissances à part entière. L’agriculture française cherche à s’adapter à la mondialisation des échanges, et ce budget n’est pas à la hauteur des enjeux de l’agriculture de demain.
Bien qu’ils soient en permanence pointés du doigt comme de « présumés pollueurs », les agriculteurs se sont engagés dans la transition écologique en menant des actions concrètes. Ce qu’ils contestent, ce sont les calendriers et les moyens d’accompagnement mis en œuvre, qui ne tiennent absolument pas compte de leur situation économique actuelle.
Face aux phénomènes climatiques, la question de l’efficience des assurances récoltes et les modalités de l’épargne de précaution sont également des sujets importants pour aider les professionnels à surmonter ces épreuves, et ce dans des délais raisonnables.
Depuis 2014, nous n’avons cessé d’intervenir sur la récurrence des retards d’instruction des aides du second pilier. La situation financière des exploitants ne peut supporter de nouveaux dysfonctionnements.
Les propositions de la Commission européenne dans le cadre du Brexit et de la nouvelle PAC sont, vous le savez, inadmissibles.
Sur la question des TO-DE, vous avez indiqué que l’Assemblée nationale aurait le dernier mot – cela tombe bien monsieur le ministre, le Gouvernement y dispose de la majorité ! Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir défendre nos exploitants. À titre d’exemple, je puis vous dire que les Bouches-du-Rhône doivent faire face à la concurrence italienne, espagnole, marocaine, où le coût du travail est nettement inférieur.
Les agriculteurs souhaitent également que leur régime de retraite continue de s’améliorer. Comment ne pas les comprendre ?
Monsieur le ministre, chaque année lors de l’examen du projet de loi de finances ou du salon de l’agriculture, ou à chaque élection présidentielle, nos agriculteurs entendent beaucoup de déclarations d’amour. On évoque souvent le souvenir d’un arrière-grand-père exploitant. Parfois, on va jusqu’à parler d’une jeunesse passée à la campagne…
Permettez-moi de vous le rappeler, monsieur le ministre, en amour comme en politique, il n’y a que les actes qui comptent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Franck Montaugé. Monsieur le ministre, il y a un an, votre prédécesseur nous disait que le budget 2018 était la « première étape d’une transformation sans précédent de l’agriculture française ». Nous n’avions pas su alors trouver les nouveautés répondant aux grands enjeux que l’agriculture française doit relever et nous étions abstenus en considérant que l’essentiel restait à faire.
Vous nous avez dit que le budget que nous examinons aujourd’hui, monsieur le ministre, n’était pas le vôtre, mais que vous le défendriez pleinement, ce qui est bien normal.
Le revenu des agriculteurs, l’accompagnement de la transformation agroécologique des exploitations, la compétitivité des filières, la gestion des risques, l’approche de la future PAC : c’est à l’aune de ces enjeux que ce budget doit être apprécié.
Au cours de l’année écoulée, à partir de l’initiative positive des États généraux de l’alimentation, les EGA, vous avez abordé la question du revenu, celle de la qualité de l’alimentation et des plans de filières.
La loi a été promulguée, les ordonnances sur les seuils de revente à perte et les promotions sont prises, les négociations commerciales sont en cours. Pourtant, le doute persiste dans la profession même quant à l’efficacité de ces dispositifs.
Tout en partageant les objectifs du Gouvernement, nous étions sceptiques au sortir de la discussion de cette loi. Nous le sommes toujours et d’autant plus que 1 million d’euros seulement sera consacré à son accompagnement.
La mise en extinction sur une période de deux ans des exonérations de charges patronales pour l’emploi de TODE va considérablement affaiblir des filières comme la viticulture, la filière fruits et légumes et bien d’autres.
Vous envoyez ainsi un signal contraire à votre intention initiale, qui consistait à redonner du revenu aux producteurs. Maintenir ce dispositif est indispensable, quand bien même des allégements de charges s’y ajoutent. La compétitivité des filières concernées ne s’en portera que mieux dans un contexte, vous le savez, où la concurrence sur les coûts fait rage. La transition agroécologique vers des produits de qualité à prix abordable en sera aussi facilitée.
La sortie injuste et injustifiée à ce jour de certains territoires ancestraux de polyculture-élevage des zones défavorisées conduira aussi à des pertes de revenus importantes et à l’arrêt d’exploitations, voire pire. Ce sera le cas dans le Gers pour près de 110 éleveurs, dans l’Aude, dans les Deux-Sèvres, ainsi que dans d’autres départements.
On ne peut l’admettre quand on connaît les territoires concernés, les hommes et les femmes qui y vivent avec autant de peine que de dignité !
Au-delà des dispositifs de sortie déjà annoncés et bien insuffisants, nous avons déposé un amendement ayant pour objet de flécher une augmentation des crédits du PCAE, le plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles, vers les exploitants, ce qui leur aurait permis de maintenir leur activité et leurs revenus, au moins durant une phase transitoire. Cet amendement a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. C’est incompréhensible ! Il ne tendait pourtant pas à aggraver les charges de l’État ou à réduire pas ses ressources !
Par ailleurs, nous pensons que les primes des éleveurs qui restent dans le dispositif baisseront sensiblement. Vous nous direz peut-être ce qu’il en est exactement de leur situation, monsieur le ministre.
Henri Cabanel et moi-même avons travaillé ensemble sur le développement d’outils de gestion des risques. Le texte voté à l’unanimité sur ces travées pourrait utilement être repris, afin de soutenir les revenus agricoles. Vous nous avez dit vouloir avancer sur ce sujet, et nous nous en réjouissons. Mais pourquoi votre budget baisse-t-il les crédits de la réserve pour aléas de 100 millions d’euros, quand, de surcroît, on sait que les 200 millions d’euros restants seront affectés aux apurements communautaires ?
En matière de soutien à la transition agroécologique, la dotation accordée au PCAE diminue de 8 millions d’euros et de 27 % en deux ans, soit une baisse de près d’un tiers. Quel signal voulez-vous envoyer en la matière ?
En ce qui concerne l’Europe, vous nous avez assuré de votre intransigeance à l’égard d’une éventuelle baisse du budget de la nouvelle PAC. Comment allez-vous compenser la diminution des aides annoncée, qui est de 15 % en euros constants, pour que le revenu agricole n’en soit pas affecté ? D’ores et déjà, les effets du Brexit sont sensibles : les 40 équivalents temps plein travaillé que vous prévoyez pour le contrôle des importations anglaises nous paraissent très loin des besoins estimés par les autorités concernées, à savoir 80 ETPT.
Monsieur le ministre, indépendamment de la diminution d’environ 300 millions d’euros de ses crédits, à périmètre constant, et malgré des mesures bienvenues en matière fiscale, ce budget 2019 ne prend pas, ou pas assez, en compte les grandes difficultés des filières, des territoires, des hommes et des femmes.
L’issue du débat déterminera notre appréciation sur cette mission. Nous regrettons cependant que, au titre d’une interprétation très restrictive de l’article 40 de la Constitution, qui ne nous convainc absolument pas sur le fond, certains de nos amendements, pourtant importants, car ils permettaient de prendre en compte les problèmes de nombreux agriculteurs, n’aient même pas pu être discutés. Et je reconnais volontiers, monsieur le ministre, que ce n’est pas de votre fait. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault.
M. Pierre Louault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout le monde l’a dit : le budget alloué à l’agriculture n’est pas à la hauteur des enjeux et ne correspond aux besoins ni de l’agriculture ni des agriculteurs français.
Pourtant l’agriculture va mal ! Je voudrais, au moment du vote de ce budget, que l’on n’oublie pas les premiers intéressés : un tiers d’entre eux ne gagne pas la moitié du SMIC, un autre tiers gagne à peine le SMIC, un dernier tiers seulement, tout en travaillant souvent plus de soixante-dix heures par semaine, gagne à peu près convenablement sa vie.
Dans le même temps, nos agriculteurs sont accusés de tous les maux. On les accuse d’être des paysans-pollueurs, qui abîment les sources, la nature, les aliments, alors qu’ils ont consenti d’énormes efforts pour pratiquer une agriculture raisonnée et produire des aliments français,…
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Pierre Louault. … aujourd’hui concurrencés par des aliments qui viennent du monde entier et peuvent entrer dans notre pays quasi librement, sans avoir à respecter les normes de production française.
On les accuse aussi d’être des agriculteurs-bourreaux, alors que tout le monde connaît le soin et l’amour que les agriculteurs portent à leurs animaux, et l’on voit l’association L214 mettre le feu aux abattoirs en toute impunité. Comment peut-on ignorer le massacre des loups dans les troupeaux d’ovins, parfois même dans des troupeaux de bovins ? On m’a ainsi rapporté le cas d’un veau naissant, attaqué par un lynx et laissé à l’agonie pendant toute une nuit.
Aujourd’hui, les agriculteurs en ont ras le bol ! Si ce n’était pas suffisant, et vous le savez tout autant que moi, monsieur le ministre, ils subissent une administration omnipotente, qui n’est même plus capable de gérer les règles qu’elle a fixées et de payer les agriculteurs, tant la complexité de ces règles provoque des bugs informatiques.
Aujourd’hui, nombre d’entre eux n’ont toujours pas reçu leurs primes de 2016 et de 2017, alors que l’on sait très bien qu’une partie des réserves de ce budget va servir à payer des pénalités à l’Europe. Ce ne sont pourtant pas les agriculteurs qui sont responsables de ces pénalités. C’est plutôt le ministère qui est incapable de gérer l’agriculture française. Il va donc falloir se ressaisir, et rapidement !
Face à ce malaise paysan, il va falloir apporter un certain nombre de réponses : des réponses pour mettre une barrière à la concurrence des produits qui ne respectent pas les normes françaises et élaborer une loi-cadre pour l’agriculture française, qui fixerait les règles du jeu entre les agriculteurs et les consommateurs français.
N’oublions pas que nos agriculteurs nourrissent tout un pays et qu’ils ont l’impression, aujourd’hui, que ce pays leur en veut.
Il ne faut pas céder à un public de « bobos écolos ». (Marques d’approbation sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.). Celui-ci laisse aux plus pauvres le soin de payer une transition écologique qui est beaucoup trop rapide pour notre pays. Ce qui se passe aujourd’hui dans nos rues en est d’ailleurs quelque peu la conséquence.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Pierre Louault. Les agriculteurs sont prêts à produire des aliments de qualité, il faut simplement leur donner un peu de temps et quelques moyens.
Ces moyens, on ne les trouve pas dans ce budget, mais vous venez d’arriver aux responsabilités, monsieur le ministre,…
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Pierre Louault. … et les agriculteurs ont confiance en vous. Vous ne devez pas les décevoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Le temps qui vous était imparti est écoulé, mon cher collègue.
La parole est à M. Daniel Gremillet. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Enfin !
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, les précédentes interventions ont relayé un message et des interrogations sur la gravité de la situation dans laquelle se trouvent notre agriculture, nos territoires et nos entreprises agroalimentaires.
Pour ma part, je voudrais avoir une pensée pour les événements qui sont en train de se dérouler sur nos territoires en ce moment. La situation est très grave, elle interroge ; je ne voudrais pas qu’elle soit oubliée en cet instant, parce qu’elle nous concerne tous de la même manière. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Monsieur le ministre, lors de votre audition, vous avez commencé votre propos en déclarant que ce budget 2019 n’était pas le vôtre, puisque vous étiez encore dans nos rangs au moment où il a été conçu. J’ai bien compris que vous étiez devenu ministre alors que la construction budgétaire était effectivement déjà quasi finalisée.
Toutefois, je le répète, il y a un an, nous avons entendu des engagements du Président de la République lors du discours de Rungis. Nous avons également connu les États généraux, qui ont fait naître des espérances, qui ont fait travailler, qui ont suscité beaucoup d’agitation dans nos territoires, dans le cadre notamment des ateliers, et qui auraient normalement dû permettre d’aboutir à un texte satisfaisant.
Ce texte a été discuté et voté ici au Sénat, mais le travail des sénateurs a été malmené par le Gouvernement et l’Assemblée nationale. Ainsi, monsieur le ministre, on se rend compte aujourd’hui que le budget 2019, qui devrait normalement mettre en œuvre les dispositions votées dans la loi ÉGALIM, n’a ni cette ambition ni cette perspective.
Vous avez rendu des arbitrages sur la formation des prix dans le cadre de ce texte. Je serai bref sur ce point, car mes collègues y reviendront. Les négociations ont commencé, et je crains que, au mois de janvier ou de février prochain, puisque la fin des négociations commerciales a lieu au mois de février 2019, les espérances du monde rural, celles du monde paysan, mais aussi, quelque part, celles des Français, ne soient déçues.
Je prendrai un autre exemple, celui du titre II de la loi ÉGALIM, qui a créé des charges nouvelles pour notre agriculture. Là encore, on aurait pu espérer que ce budget 2019 prenne en compte ces contraintes nouvelles, cette modernisation qui a été imposée à l’agriculture française, mais pas aux produits alimentaires importés du reste de l’Europe ou d’ailleurs.
Je reconnais, monsieur le ministre, que la ligne budgétaire pour la modernisation de notre agriculture n’est pas en baisse, puisque les crédits augmentent de 2 %. Mais quand on sait le défi qui est lancé à l’agriculture, aux paysans et aux entreprises, on comprend que ce n’est pas une telle hausse qui nous permettra de répondre aux besoins et de régler les situations de distorsion de concurrence !
Je crains sincèrement que le budget 2019 ne mette pas en valeur la Ferme France et que le consommateur ne retrouve pas dans son assiette les promesses qui lui avaient été faites s’agissant des « exigences à la française ».
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Gremillet. Le temps passe très vite, monsieur le président ! (M. le ministre rit.) M. le ministre est content, parce qu’il sait qu’il aura moins à répondre…
M. Daniel Gremillet. J’aurais aimé parler de la forêt…
M. le président. Le chronomètre est le même pour tous, mon cher collègue.
M. Daniel Gremillet. C’est vrai ! Monsieur le ministre, pour conclure, j’espère que vous n’oublierez pas les propos que vous teniez ici en tant que sénateur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le ministre, pour apprécier le budget que vous nous présentez aujourd’hui, je partirai du même point que mon collègue Franck Montaugé : le budget 2018 devait être la « première étape d’une transformation sans précédent de l’agriculture française ».
En jetant un œil dans le rétroviseur sur les avancées engrangées depuis ce budget, on se dit que, à ce rythme-là, la transformation prendra du temps ! Or du temps, nous n’en avons guère, puisque, selon une récente étude du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD, et de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, tous les indicateurs sont à l’orange.
Ces deux grands organismes de recherche agronomique ont travaillé sur cinq scénarios d’évolution possible d’usage des terres. Un seul de ces modèles permet de concilier tous les impératifs : préservation de l’environnement, atténuation du changement climatique, garantie d’une alimentation saine et suffisante, développement rural plus inclusif.
Si vous souhaitez réellement aller vers une transformation sans précédent de notre agriculture, c’est sur la voie étroite, certes, mais praticable que ces organismes décrivent, qu’il faut vous engager. Or ce budget semble s’inscrire dans la stricte lignée du précédent : nous n’y trouvons ni les réponses aux grands enjeux de demain ni les solutions aux problèmes d’aujourd’hui.
L’urgence, nous le savons tous, est de garantir un métier rémunérateur aux agriculteurs. Comme l’a justement souligné Franck Montaugé, la question du revenu est l’un des principaux motifs de déception de la loi ÉGALIM, après l’espoir qu’avaient suscité les États généraux l’année dernière.
Avec la suppression programmée de l’exonération des charges patronales pour l’emploi des travailleurs saisonniers, les TO-DE, vous allez encore fragiliser des filières entières. Des voix se sont élevées toute une après-midi sur toutes les travées de cet hémicycle pour vous en faire la démonstration.
Vous nous aviez répondu que, bien qu’il soit sympathique, le dispositif que nous adoptions ne pourrait pas tenir à l’Assemblée nationale. Et plutôt que d’essayer de convaincre les députés de ce que les sénateurs vous avaient fait remonter à l’unanimité, monsieur le ministre, vous vous êtes empressé d’émettre un avis favorable sur l’amendement du rapporteur de l’Assemblée nationale qui tend à éteindre cette exonération en 2021, ce qui est bien dommage.
Puisque vous voulez vous poser en « bouclier » contre l’agri-bashing – cet anglicisme n’est évidemment pas de moi –, vous devriez peut-être commencer à le faire quand vous êtes face aux députés de votre majorité (Mme Sophie Taillé-Polian applaudit.), qui semblent bien mal connaître l’agriculture française ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Cette après-midi encore, nous vous ferons objectivement des propositions concrètes et pragmatiques pour améliorer la situation économique de nos exploitations.
Puisque l’avenir se prépare aujourd’hui, nous vous proposerons de rétablir les dotations allouées aux jeunes agriculteurs, qui sont en baisse de 1,3 million d’euros en autorisations d’engagement ; elles apparaissent certes en augmentation de 12 millions d’euros en crédits de paiement par rapport à l’an dernier, mais c’est uniquement pour couvrir les restes à payer des prêts bonifiés supprimés en 2017 !
Aussi la diminution de 1,3 million d’euros en autorisations d’engagement marquerait un coup d’arrêt pour l’année prochaine. Cumulée à celle de l’année précédente, elle correspondrait à une baisse de 3,8 millions d’euros en deux ans, soit 7 % de moins par rapport à 2017.
L’installation et le renouvellement des générations sont des problématiques majeures quand il est question de l’avenir de notre agriculture. C’est pourquoi il faut absolument maintenir les efforts financiers dans ce domaine.
Il manque dans ce budget des mesures volontaristes pour répondre aux difficultés de trésorerie que connaissent de nombreuses exploitations. Aussi, je voudrais vous faire une proposition très simple à mettre en œuvre : le versement mensualisé des aides du deuxième pilier de la PAC.