M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur spécial, monsieur le secrétaire de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie pour ce débat, qui est un moment démocratique important permettant d’illustrer de façon concrète la valeur ajoutée des politiques européennes.
Je me garderai bien, monsieur le sénateur Gattolin, d’intervenir dans un débat qui concerne une décision souveraine de la Haute Assemblée. Je confirme néanmoins l’intérêt qu’il y a, pour la France, à pouvoir s’appuyer sur la position des groupes représentés dans les deux assemblées avant de participer au Conseil européen.
Il ne me sera naturellement pas possible, dans le temps qui m’est imparti, de répondre à l’ensemble des observations des différents orateurs, mais je tiens à revenir sur certaines d’entre elles.
Comme vous l’avez indiqué, monsieur Ouzoulias, un accord n’a pas pu être trouvé sur le budget européen pour 2019 lors de la conciliation entre le Parlement européen et le Conseil des ministres, qui s’est achevée dans la soirée de lundi dernier à Bruxelles. La même situation s’était produite voilà quatre ans pour le budget de 2015.
Durant cette discussion, le Conseil a veillé à garantir le financement des priorités politiques, tout en assurant une budgétisation prudente en crédits, afin de conserver la marge nécessaire pour faire face aux imprévus en cours d’année.
La négociation a échoué en grande partie en raison d’un point de principe sur la technique budgétaire, auquel le Parlement est attaché : la possibilité de recycler des crédits non consommés dans le cadre des programmes de recherche. Le Conseil s’y oppose traditionnellement et ne veut pas créer de précédent. Comme vous l’avez fait observer, monsieur le sénateur, ce blocage ne paraît pas à la hauteur des enjeux.
Conformément aux stipulations du traité et comme elle l’avait fait en 2014, la Commission européenne va proposer un projet de budget révisé d’ici à quelques jours, afin qu’un budget puisse être adopté avant la fin de l’année. Si le désaccord devait persister, l’Union européenne passerait, comme cela a été le cas à trois reprises dans les années quatre-vingt, au système des douzièmes provisoires. Ce n’est évidemment pas ce que nous souhaitons.
Le projet révisé de budget européen pour 2019 que la Commission européenne présentera d’ici à la fin du mois conservera sans doute les grandes orientations du premier projet, en intégrant à la marge certaines adaptations.
Ce budget permet de préparer le prochain cadre financier pluriannuel, dont nous reparlerons, en faisant un effort sur des dépenses nouvelles. J’ajoute immédiatement que, sur les 165,6 milliards d’euros de crédits d’engagement et les 148,7 milliards d’euros de crédits de paiement du projet de budget initial, les priorités classiques que sont la PAC et la politique de cohésion restent bien évidemment les principales masses budgétaires ; nous y avons veillé attentivement.
Je souligne aussi que nous bénéficions davantage des budgets européens que par le passé. Ainsi, nous étions en 2017 le premier bénéficiaire en volume des dépenses de l’Union européenne, alors que nous n’en étions l’année précédente que le troisième ; nous étions en 2017 le troisième contributeur net, après avoir été le deuxième un an plus tôt. Comme vous l’avez souligné, monsieur Menonville, nous avons beaucoup à retirer du budget européen.
Ce projet de budget prévoit de faire monter en puissance la croissance et l’innovation, ainsi que les mesures en faveur de la jeunesse. Je pense à la montée en charge d’Erasmus +, dont M. le sénateur Sutour a parlé : il s’agit de permettre à de plus en plus d’étudiants, mais aussi, désormais, d’apprentis, de se former en Europe.
Dans le même temps, ce budget contribuera à une meilleure politique migratoire et à un meilleur contrôle des frontières de l’Union européenne, ainsi qu’à une plus forte solidarité au-delà de celles-ci, notamment en continuant à financer l’accompagnement, l’éducation et l’hébergement des personnes qui fuient les conflits, en Syrie et ailleurs.
Les questions de défense constituent une autre priorité nouvelle et importante.
L’année 2019 marquera une avancée majeure pour le volet industriel et capacitaire de l’Europe de la défense, composante incontournable de l’autonomie stratégique européenne. En effet, un programme européen spécifique permettra aux entreprises européennes d’unir leurs forces pour financer des projets en commun. Ce programme préfigure le futur fonds européen de défense, que la Commission européenne propose de doter de 13 milliards d’euros dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027.
Cela m’amène tout naturellement à évoquer les perspectives financières pour l’après 2020.
Comme l’a souligné M. Rapin, entre autres orateurs, c’est, avec le Royaume-Uni, un important contributeur net qui va quitter l’Union européenne. Cela complexifiera encore davantage une négociation qui requiert déjà l’unanimité des États membres.
Je doute que nous parvenions à un accord, comme le souhaiterait la Commission européenne, avant les élections européennes ou que nous arrivions à dégager dès décembre le premier niveau de financement du prochain cadre financier pluriannuel. Ce serait d’ailleurs un étrange message que de dire aux électeurs que les priorités et les moyens budgétaires correspondants sont définis avant qu’ils se soient exprimés ; je l’ai rappelé le 12 novembre dernier lors du conseil Affaires générales. Le Conseil européen y reviendra au mois de décembre.
Au titre des défis auxquels l’Europe est confrontée, de nouvelles priorités sont apparues ou montent en puissance : les migrations, les enjeux de sécurité et de défense, le renforcement de la compétitivité de l’économie européenne à travers l’innovation et la recherche, l’avenir de notre jeunesse et la lutte contre le changement climatique.
Pour autant, nous ne saurions en aucun cas sacrifier les politiques traditionnelles, tout spécialement la politique agricole commune, qui n’a rien perdu de son actualité, bien au contraire, comme nombre d’orateurs l’ont souligné. Je le répète devant vous : la PAC ne peut pas être la variable d’ajustement du Brexit, et une baisse de ses moyens ne sera pas acceptée. Nous sommes parvenus à mobiliser largement, et ce sont aujourd’hui vingt et un États membres qui demandent le maintien du budget de la PAC à son niveau actuel pour l’Union européenne à vingt-sept.
Par ailleurs, le budget doit traduire la solidarité de l’Union européenne et refléter ses valeurs. C’est pourquoi la France soutient, au côté de nombreux États membres, la proposition de la Commission européenne de renforcer le lien entre l’octroi de financements européens et le respect des valeurs fondamentales de l’Union européenne.
Nous estimons d’ailleurs qu’il convient d’aller plus loin, afin que le budget européen puisse également favoriser la convergence des États en matières fiscale et sociale, une convergence essentielle au bon fonctionnement du marché intérieur.
J’ajoute que nous souhaitons intégrer au cadre financier pluriannuel à vingt-sept un budget pour les dix-neuf États de la zone euro. Bruno Le Maire et son collègue allemand, Olaf Scholz, ont présenté nos idées à cet égard le 19 novembre dernier.
Le départ du Royaume-Uni représente une occasion historique de remettre à plat le système de financement du budget européen. La Commission européenne a fait des propositions qui vont dans le bon sens, mais il nous faut aller jusqu’au bout de cette logique. C’est pourquoi, monsieur Rapin, nous demandons la suppression totale et immédiate des rabais. En outre, nous soutenons la mise en place de nouvelles ressources propres, comme l’ont souhaité Mme Mélot et M. Bonnecarrère, notamment dans le domaine environnemental, mais aussi dans celui du numérique.
Monsieur le rapporteur spécial, monsieur le sénateur Sutour, la France a fait savoir qu’elle était prête à accepter un budget à vingt-sept en expansion, sous plusieurs conditions : une modernisation des politiques, des conditionnalités dans l’emploi des fonds, la mobilisation de nouvelles ressources propres et la suppression complète des rabais.
Concernant le financement des investissements, monsieur le rapporteur spécial, j’évoquerai notamment les investissements portuaires rendus nécessaires par le Brexit.
Ce budget est fondé sur une hypothèse : la conclusion d’un accord de retrait. Nous y sommes au niveau technique. Il est vraisemblable qu’un sommet se tiendra dimanche prochain et que les vingt-sept soutiendront l’accord de retrait et la déclaration politique sur la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Toutefois, comme plusieurs orateurs l’ont signalé, une incertitude demeure sur la ratification de l’accord par le Parlement britannique. Cette incertitude est forte ; ce n’est pas la première s’agissant du Brexit, mais nous devons être prêts pour tous les scénarios.
Quoi qu’il en soit, le Gouvernement est particulièrement conscient des enjeux, en particulier pour nos ports, liés à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, notamment pour faire face aux nouvelles formalités de contrôle, quelle que soit, d’ailleurs, la date à laquelle ces contrôles devront être mis en place – dès le 30 mars en cas d’absence d’accord de retrait ou à la fin de la période de transition, si la relation future justifie ces contrôles.
Le coordonnateur national nommé par le Premier ministre est en train de finaliser l’estimation des besoins avec l’ensemble des acteurs concernés. Pour ma part, j’ai accompagné le Premier ministre à Dunkerque la semaine dernière, pour évaluer directement, avec les acteurs du port, les investissements à réaliser, les recrutements à mener et l’organisation des futurs contrôles, dont nous avions perdu l’habitude dans le trafic transmanche.
Pour ne parler que du volet européen qui nous concerne aujourd’hui, je vous confirme que nous travaillons pour que les programmes européens permettent de financer des adaptations au Brexit dès maintenant, puis, le cas échéant, dans les premières années du prochain cadre financier pluriannuel.
Par ailleurs, la Commission européenne lancera le mois prochain un appel d’offres pour le mécanisme d’interconnexion en Europe, doté de 65 millions d’euros, afin de cofinancer des projets de liaisons transfrontalières et d’assurer la connexion et le développement des ports maritimes du réseau global. Nous nous mobilisons pour que le plus grand nombre possible de ports français puissent participer aux futurs appels d’offres du corridor mer du Nord-Méditerranée.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’Union européenne n’est pas figée, bien au contraire. Nous sommes convaincus, avec le Président de la République, qu’elle doit changer en profondeur. J’ai d’ailleurs recueilli les remarques et les propositions de nos concitoyens à cet égard dans le cadre des consultations citoyennes sur l’Europe, auxquelles Mme Mélot a fait référence.
Ce travail de refondation est engagé. L’Union européenne déterminera au travers du prochain cadre financier pluriannuel ses grands choix politiques pour la période à venir. D’ici là, le budget européen pour 2019 donnera à l’Union européenne et à la France les moyens d’être plus efficaces, plus fortes, plus protectrices. C’est pourquoi, au nom du Gouvernement, je vous demande d’autoriser le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne pour l’année 2019. (Mme Colette Mélot applaudit.)
M. le président. Nous passons à la discussion de l’article 37.
Article 37
Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l’État au titre de la participation de la France au budget de l’Union européenne est évalué pour l’exercice 2019 à 21 515 000 000 €.
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, vendredi 23 novembre 2018, à quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi de finances pour 2019, adopté par l’Assemblée nationale (n° 146, 2018-2019) ;
Suite de l’examen des articles de la première partie.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quinze.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD