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Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, hier, mercredi 7 novembre, lors du scrutin n° 11 sur l’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues à l’article 16 du projet de loi portant suppression de sur-transpositions de directives européennes en droit français, notre collègue Jérôme Bignon a été comptabilisé comme ayant voté pour, alors qu’il souhaitait voter contre.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
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Conventions internationales
Adoption en procédure d’examen simplifié de trois projets de loi dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de trois projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
projet de loi autorisant la ratification du protocole additionnel de nagoya-kuala lumpur sur la responsabilité et la réparation relatif au protocole de carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques
Article unique
Est autorisée la ratification du protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation relatif au protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques, adopté le 15 octobre 2010, signé par la France le 11 mai 2011 à New York, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation relatif au protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques (projet n°704 [2017-2018], texte de la commission n° 49, rapport n° 48).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la république française et le conseil des ministres de bosnie-herzégovine relatif à la mobilité des jeunes
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine relatif à la mobilité des jeunes (ensemble trois annexes), signé à Sarajevo le 3 juillet 2014, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil des ministres de Bosnie Herzégovine relatif à la mobilité des jeunes (projet n°616 [2017-2018], texte de la commission n° 47, rapport n° 46).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la république française et l'autorité européenne des marchés financiers relatif au siège de l'autorité et à ses privilèges et immunités sur le territoire français
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et l'Autorité européenne des marchés financiers relatif au siège de l'Autorité et à ses privilèges et immunités sur le territoire français, signé à Paris le 23 août 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et l’Autorité européenne des marchés financiers relatif au siège de l’Autorité et à ses privilèges et immunités sur le territoire français (projet n°611 [2017-2018], texte de la commission n° 102, rapport n° 101).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté.)
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Agence nationale de la cohésion des territoires
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires, présentée par M. Jean-Claude Requier et plusieurs de ses collègues (proposition n° 2, texte de la commission n° 99, rapport n° 98) et de la proposition de loi organique relative à la nomination du directeur général de l’Agence nationale de la cohésion des territoires présentée par MM. Hervé Maurey et Jean-Claude Requier (proposition n° 43, texte de la commission n° 100, rapport n° 98).
La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.
Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Claude Requier, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe du RDSE a pris l’initiative de soumettre au vote de la Haute Assemblée cette proposition de loi portant création d’une agence nationale de la cohésion des territoires.
Cette agence, je vous le rappelle, répond au souhait exprimé par de nombreux élus et par certaines de leurs associations, notamment par le président de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, l’AMF. Elle s’inscrit également dans le prolongement de l’intervention du Président de la République le 17 juillet 2017 au Sénat. Le chef de l’État avait alors clairement exprimé sa volonté de voir aboutir la création de cette agence, afin de mettre au service des projets des territoires un État facilitateur clairement identifié dans chaque département, avec un interlocuteur unique et la capacité de mobiliser des compétences en ingénierie territoriale.
Ce texte est le résultat d’un travail en partenariat entre le groupe du RDSE et le ministère de la cohésion des territoires, alors dirigé par notre collègue Jacques Mézard, travail auquel a été associé bien sûr le commissaire général à l’égalité des territoires, préfigurateur de l’agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT, Serge Morvan, que je salue.
Ces échanges constructifs ont permis de présenter un texte équilibré, prévoyant une synergie organisée avec plusieurs agences : il est en effet chaque jour plus évident que la coordination des diverses politiques de ces dernières est une impérieuse nécessité pour mieux répondre aux légitimes aspirations du territoire, en particulier dans les zones fragiles.
Il est plusieurs points que le groupe du RDSE considère depuis l’origine comme fondamentaux. Les modifier serait contraire à l’essence même du travail qu’il a effectué.
Tout d’abord, nous avons expressément soutenu, en accord avec l’ancien ministre, que l’agence soit présidée par un élu. C’est à notre sens un point non négociable, tout comme n’est pas négociable la présence d’une forte représentation des collectivités dans l’exécutif de l’agence. Par ailleurs, mon groupe tient avec force à l’intégration de l’Agence du numérique dans l’ANCT.
Au moment où le combat contre la fracture numérique est légitimement une priorité nationale pour lutter contre les déséquilibres territoriaux – je salue notamment le travail de Patrick Chaize –, il serait anormal que l’Agence du numérique ne rejoigne pas l’ANCT. C’est d’ailleurs une orientation énoncée par le Président de la République lui-même.
Nous connaissons les réticences : celles de Bercy et d’autres clairement identifiées qui, de manière directe ou indirecte, empêchent cette fusion ou à tout le moins la retardent, pour in fine chercher à y échapper.
Aucun des arguments exposés ne repose sur des fondements solides. L’enjeu est pourtant clair : veut-on ou non que le développement du numérique sur l’ensemble du territoire soit une ambition partagée entre les collectivités locales et l’État pour un aménagement équilibré du territoire, ou préfère-t-on que Bercy et la haute administration continuent à exercer, dans les faits, un contrôle total dans ce domaine ?
Je n’ignore pas le combat mené par Jacques Mézard sur ce projet dans l’intérêt des collectivités territoriales. C’est aussi le nôtre, car il faut sortir des arguties et des faux-semblants sur cette question. Je sais que M. le rapporteur, Louis-Jean de Nicolaÿ, dont je salue de travail considérable, partage lui aussi cette préoccupation majeure. Bien sûr, nous attendons une confirmation claire du Gouvernement sur ce point et nous espérons qu’il maintiendra la même position devant l’Assemblée nationale.
Plus globalement, l’administration territoriale de l’État a été confrontée ces dernières années à des transformations géographiques et démographiques profondes, notamment en raison du poids plus prépondérant des métropoles.
De leur côté, les collectivités territoriales ont dû digérer cette évolution, mais aussi faire face à des transferts successifs de compétences, sans pour autant bénéficier des compensations financières correspondantes, ce qui a pénalisé les plus fragiles d’entre elles.
Alors que la déconcentration et la décentralisation auraient dû, dans l’idéal, aboutir à une simplification administrative et accroître les libertés locales, elles ont donné lieu au contraire à plus de complexité et elles se sont traduites par la disparition des services de l’État dans de nombreux territoires, au détriment de l’égalité.
L’abandon de l’assistance technique fournie par l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, l’ATESAT, a ainsi été, à notre sens, une erreur. Dans son rapport public thématique sur les services déconcentrés de l’État, la Cour des comptes estime que le bilan global de cette suppression pourrait être défavorable en termes d’efficience comme d’impact sur l’ensemble des finances publiques. Les collectivités territoriales, du moins celles qui le peuvent, ont été obligées de compenser la perte de ces moyens d’ingénierie publique.
Mes chers collègues, notre pays doit franchir une nouvelle étape dans le renforcement de la légitimité de l’action publique pour rétablir une relation de confiance avec nos concitoyens. L’État doit faciliter et accompagner les projets en partant des besoins des territoires.
Telle que nous la concevons, la présence de l’État dans nos territoires ne doit pas se diluer dans un maquis normatif souvent incompris. L’État ne doit pas être celui qui répond sans apporter de solutions. Au contraire, il doit soutenir la libre autonomie des collectivités territoriales, leur développement économique et l’accessibilité des services publics, en proposant des solutions.
Pour cela, l’action publique doit se moderniser. Des changements culturels s’imposent, dans une logique de guichet unique très clairement détaillée dans le rapport Morvan. L’ANCT doit être un instrument de mise en cohérence opérationnelle des moyens techniques, juridiques, financiers et humains, assurée par le préfet. À la fois délégué territorial de l’agence et représentant de l’État, celui-ci disposera d’une vision d’ensemble sur l’appui qui pourra être apporté aux territoires, surtout à ceux qui en ont le plus besoin. C’est pour nous une verticalité inversée que je qualifierais de vertueuse.
J’insisterai sur un point. Nous n’avons surtout pas la volonté de mettre en œuvre une recentralisation de la décision : cela n’irait pas dans le sens de l’histoire.
Il est d’ailleurs intéressant de s’arrêter sur la définition d’une agence telle qu’elle a été posée par le rapport du Conseil d’État publié en 2012 : l’agence est un organisme autonome exerçant une responsabilité structurante dans la mise en œuvre d’une politique nationale. À ce titre, elle concourt à la mise en œuvre de la politique de la Nation au sens de l’article 20 de la Constitution.
Cet excellent rapport prévoyait quatre critères pour un recours approprié aux agences. Nous les avons appliqués : l’efficience, avec une spécialité dans des tâches de gestion à grande échelle ; l’expertise, distincte de celle des services de l’État et que nous avons mobilisée dans sa diversité, à l’instar de ce que préconisait le rapport Morvan ; le partenariat avec les collectivités territoriales pour la mise en œuvre de la politique d’aménagement du territoire ; et, enfin, la neutralité en évitant l’intervention du pouvoir politique dans l’ensemble des processus de décision.
Le recours à une agence se justifie donc pour permettre à l’État de se concentrer sur son rôle de stratège. Comme l’écrivait Alexandre-François Vivien en 1845 dans un ouvrage consacré à la science administrative : « Le pouvoir politique est la tête, l’administration est le bras. »
M. Pierre-Yves Collombat. Autrefois ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Requier. Cela doit redevenir le cas, cher collègue !
Pas plus de recentralisation donc, car une partie de l’Agence du numérique – hors high-tech –, service à compétence nationale, et du Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, administration centrale, intégreront un établissement public disposant d’une autonomie de décision. Le préfet reste le délégué territorial de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, et de l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH.
La gouvernance laisse ainsi une place prépondérante aux représentants des collectivités territoriales, parmi lesquels sera élu le président du conseil d’administration. Nous étions d’ailleurs très défavorables à la mise en place d’un duo entre le directoire et le conseil de surveillance, ce qui aurait, selon nous, réduit les pouvoirs des représentants des collectivités territoriales.
L’ANCT ne devra certainement pas être une énième structure administrative ni une coquille vide. Elle devra mutualiser des moyens pour surmonter l’organisation aujourd’hui en silo qui pénalise la conduite des projets.
Comme le souligne à juste titre le Conseil d’État dans son avis dont nous avons voulu la publication, il reviendra ensuite au pouvoir réglementaire de définir « des procédures de décision efficaces permettant au nouvel organisme de répondre aux attentes des collectivités territoriales et d’assurer pleinement sa mission de coordination des actions et projets des autres services et opérateurs de l’État. » Dans tous les cas, le Conseil d’État a jugé positive cette orientation opérationnelle.
Pour conclure, je salue le travail du rapporteur et de la commission, grâce auquel a été apporté un certain nombre d’améliorations à la suite de l’avis du Conseil d’État. Toutefois, nous exprimerons dans le cours de la discussion une opposition au report à 2021 de la date d’intégration de l’Agence du numérique. Nous le savons : ou bien elle est intégrée dès le départ ou bien cette intégration ne se fera pas. C’est d’autant plus vrai si cette intégration doit intervenir un an avant l’échéance du plan France très haut débit.
Mes chers collègues, cette agence est très attendue par les collectivités territoriales, en particulier par les plus fragiles d’entre elles. Le Sénat est aujourd’hui dans son rôle de représentant des collectivités territoriales. Honorons ce mandat qui nous a été confié en faisant de cette agence un outil efficace d’aménagement du territoire et un instrument à l’écoute de chaque territoire ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi organique.
M. Hervé Maurey, auteur de la proposition de loi organique. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis l’annonce de la création d’une agence nationale de la cohésion des territoires par le Président de la République en juillet 2017, lors de la Conférence nationale des territoires, une longue période s’est écoulée.
Il a fallu en effet attendre près d’un an après cette annonce pour que le Premier ministre confie au préfet Serge Morvan, que je salue, la mission de rédiger un rapport de préfiguration de cette agence. Ce rapport, remis en juin dernier, a été rendu public tardivement et de manière curieuse puisque nous en avons pris connaissance via une publication sur un site internet par une organisation syndicale.
Lors de l’examen du projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dit projet de loi ÉLAN, il y a quelques semaines, le Gouvernement a déposé au dernier moment un amendement visant à autoriser la création de cette agence par voie d’ordonnance. Le Sénat, trouvant cette procédure quelque peu cavalière, a rejeté cet amendement.
Début octobre, nous avons constaté l’inscription à l’ordre du jour, en procédure accélérée, d’une proposition de loi portant création d’une agence nationale de la cohésion des territoires déposée par notre collègue Jean-Claude Requier et par plusieurs de ses collègues du groupe du RDSE. J’ai donc souhaité avec Jean-Claude Requier déposer une proposition de loi organique visant à prévoir l’audition, en application de l’article 13 de la Constitution, du directeur général de l’agence par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il nous a paru effectivement indispensable, dès lors que cette agence serait créée, de prévoir un avis du Parlement sur la nomination de son directeur général, comme c’est le cas pour la plupart des organismes comparables. Le dépôt de cette proposition de loi organique ne constitue donc en rien un blanc-seing pour la création de l’agence nationale telle qu’elle est prévue par la proposition de loi initiale.
J’ai en effet eu l’occasion de souligner à plusieurs reprises, depuis l’annonce de la création de cette agence, qu’une telle structure n’aurait de sens et d’intérêt que dans la mesure où elle serait réellement utile aux collectivités locales et aux territoires, ce dont je ne suis hélas pas convaincu !
L’essentiel pour la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable n’est pas de créer un outil, quand bien même il serait pertinent. L’essentiel, pour nous, est que l’aménagement du territoire cesse enfin d’être le parent pauvre des politiques publiques et qu’il y ait une véritable volonté en termes d’aménagement du territoire. La commission ne cesse d’attirer l’attention des gouvernements successifs sur ce point.
Le rapport d’information intitulé Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité, que Louis-Jean de Nicolaÿ, que je salue, et moi-même avons rédigé en 2017, dressait d’ailleurs une série de constats accablants sur le manque de volonté politique en matière d’aménagement du territoire et sur le creusement des fractures territoriale et sociale qui en découlent. Nous avons présenté ce rapport à Jacques Mézard, votre prédécesseur, madame la ministre. Nous en avons débattu ici même le 25 octobre 2017 et nous vous avons également remis en main propre ce document la semaine dernière en commission. Nous espérons que vous en ferez le meilleur usage possible, mais jusqu’à présent force est hélas de constater que nos travaux ont peu inspiré l’action du Gouvernement !
Madame la ministre, vous avez, lors de votre audition devant la commission, prôné le parler-vrai. Mais où est le parler-vrai quand le Président de la République et le Gouvernement disent vouloir renouer avec les territoires et les élus locaux alors que les crédits de la cohésion des territoires n’augmentent que pour la politique de la ville ?
Vous le savez, madame la ministre, les déclarations d’amour ne suffisent pas : il faut des preuves d’amour. Or, pour l’instant, nous ne les voyons pas encore !
M. François Bonhomme. C’est un amour platonique !
M. Hervé Maurey. Vous avez indiqué dans une interview ne pas entendre la colère des élus. Vous avez au moins, je pense, entendu leur inquiétude, leur déception, voire leur désespérance, puisqu’elle a entraîné la démission d’un nombre record de maires dans notre pays. Au-delà de ces constats, j’insisterai sur trois points.
Première remarque, le Gouvernement doit prendre ses responsabilités concernant la création de cette agence et ne doit pas se cacher derrière une proposition de loi. Je m’étonne que l’ambition affichée par le texte qui nous est soumis avec le soutien de l’exécutif soit très en deçà des ambitions exprimées par le préfet Morvan dans son rapport de préfiguration réalisé à la demande du Premier ministre. Pourquoi un périmètre si réduit a-t-il été choisi ? Pourquoi un tel manque d’ambition ? Dans ces conditions, quels sont l’intérêt et l’utilité de cette agence ?
Vous avez vous-même reconnu, madame la ministre, devant la commission que l’agence « pourrait faire l’objet d’adaptations dans les mois et les années qui viennent ». Pourquoi ne pas profiter de nos débats parlementaires pour procéder à ces adaptations dès à présent ? Où est la rationalisation importante attendue par la création de cette agence ? Je crains que ce texte ne présente davantage un risque d’empilement qu’il ne fait naître un espoir de simplification…
En outre, je doute de la capacité de cette agence à jouer un rôle de simplification dans les démarches liées aux projets des collectivités territoriales.
M. Charles Revet. Parfaitement !
M. Hervé Maurey. Nous sommes nombreux à demander la mise en place d’un guichet unique pour les collectivités territoriales, mais il convient également de simplifier fortement les contraintes pesant sur les porteurs de projets locaux. Ce travail n’a malheureusement pas pu être réalisé dans les délais d’examen très contraints impartis au Sénat pour étudier ce texte, ce que je regrette.
La question des ressources dont bénéficiera l’agence est également essentielle. Sur ce point aussi, il y a beaucoup d’incertitudes. L’agence fonctionnera-t-elle à moyens constants ou avec des moyens supplémentaires ? Le Gouvernement envisage-t-il de joindre la parole aux actes et de débloquer des financements pour soutenir les territoires au travers de cette agence ? J’ai cru comprendre en vous écoutant, madame la ministre, lors de votre audition que nous devrions attendre le projet de loi de finances pour 2020 afin d’être éclairés sur ce point. Vous conviendrez que c’est un peu loin, d’autant que nous avons été inquiets – cela a été mentionné en commission – lorsque vous avez évoqué l’idée que les crédits de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, puissent être fléchés pour soutenir les projets de cette agence. (Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.) Je vous invite à la plus grande prudence, car la DETR est une dotation fondamentale pour la cohésion des territoires. Il ne faudrait pas déshabiller la DETR pour habiller l’agence nationale de la cohésion des territoires.
M. Gérard Cornu. Très bien!
M. Hervé Maurey. Deuxième remarque, si je me félicite que le numérique soit désormais reconnu comme un élément essentiel de la cohésion des territoires – au point que l’Agence du numérique est l’une des rares structures à intégrer partiellement cette nouvelle agence –, ce n’est pas le plus important et surtout ce n’est pas suffisant.
Sur ce sujet primordial pour nos territoires, je veux vous faire part publiquement et très officiellement de nos inquiétudes, madame la ministre.
En 2015, Patrick Chaize et moi-même avons présenté un rapport intitulé – les mots sont importants – Couverture numérique des territoires : veiller au respect des engagements pour éviter de nouvelles désillusions. Ce titre reste cruellement d’actualité, car entre les annonces faites en matière de téléphonie mobile par le Président de la République, qui a indiqué en juin 2017, à Limoges, que la question serait réglée dans les deux à trois ans, et la réalité, il y a non pas un fossé, mais un gouffre !
Madame la ministre, si le Gouvernement ne change pas de braquet et continue uniquement à se glorifier d’un accord prétendument historique avec les opérateurs, à la fin de ce quinquennat, on sera très loin d’une réelle couverture en téléphonie mobile, comme nous l’annonce sans cesse le Gouvernement.
Par manque de temps, je n’évoquerai pas le très haut débit fixe et les craintes qui pèsent sur son financement. Là encore, la fermeture du guichet qui était destiné à financer le déploiement de la fibre est source plutôt d’inquiétude que d’espoir.
Enfin, ma troisième remarque vise à souligner le travail effectué sur ce texte par la commission que j’ai l’honneur de présider, tout particulièrement par le rapporteur, Louis-Jean de Nicolaÿ, qui, dans des délais extrêmement contraints, a réalisé un travail remarquable.
Notre commission a amélioré la proposition de loi en adoptant vingt-sept amendements, avec deux objectifs principaux : renforcer le rôle des élus locaux dans la gouvernance nationale et locale de l’agence ; améliorer la prise en compte des territoires les plus fragiles, qui sont ceux qui ont aussi le plus besoin de cette agence.
La commission souhaite que cette agence apporte une véritable plus-value aux territoires, mais les incertitudes sur son périmètre et sur ses moyens sont encore nombreuses. Les débats parlementaires doivent permettre de clarifier ces points.
C’est pourquoi j’ai demandé hier soir, lors de la tenue de la conférence des présidents – je réitère cette demande aujourd'hui auprès de vous, madame la ministre – que le Gouvernement renonce à convoquer une commission mixte paritaire à l’issue de la première lecture à l’Assemblée nationale si une deuxième lecture devait s’avérer nécessaire pour lever les doutes et les craintes qui pèsent encore sur l’efficacité de la future agence. Le ministre chargé des relations avec le Parlement nous a alors donné des assurances sur ce point ; j’espère que vous pourrez les confirmer. J’ajoute que si, à titre exceptionnel, la procédure de droit commun pouvait être appliquée, cela ne nuirait pas au bon fonctionnement de nos institutions parlementaires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet d’agence nationale de la cohésion des territoires prévu par la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’est pas nouveau : dès 2017, de nombreux élus, dont le président du Sénat, avaient demandé la création d’une telle agence.
Nous avions également évoqué cette idée avec le président Maurey dans notre rapport consacré à l’aménagement du territoire en mai 2017. Le Président de la République avait saisi la balle au bond – si je puis m’exprimer ainsi – et annoncé la création prochaine d’une telle structure, d’abord lors de la Conférence nationale des territoires, qui s’est tenue au Sénat le 17 juillet 2017, puis devant le Congrès des maires de France, le 24 novembre 2017.
L’annonce a ensuite été confirmée à plusieurs reprises par le Gouvernement, que ce soit par la voix de Jacques Mézard, de Julien Denormandie ou par vous-même, madame la ministre.
Alors que nous nous apprêtons à examiner le contenu de la proposition de loi, je souhaite vous faire part de trois remarques liminaires.
Ma première remarque porte sur la méthode, que je regrette. Les atermoiements du Gouvernement ont conduit légitimement certains de mes collègues à anticiper sur les projets gouvernementaux. Je pense, par exemple, à la proposition de loi déposée en octobre 2017 à l’Assemblée nationale par notre collègue Philippe Vigier et, bien sûr, à la proposition de nos collègues Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud, adoptée par le Sénat le 13 juin dernier.
Plus récemment, il y a eu une tentative du Gouvernement de se voir habiliter à légiférer par ordonnance pour créer l’agence, à l’occasion de l’examen du projet de loi ÉLAN en séance au Sénat. Cette initiative intervenait alors même que le préfet Serge Morvan, ancien directeur général des collectivités locales au ministère de l’intérieur et cinquième commissaire général à l’égalité des territoires en quatre ans, avait été chargé quelques semaines plus tôt par le Premier ministre de préfigurer la création de cette agence.
Au-delà de l’absence d’étude d’impact, puisque nous examinons aujourd’hui une proposition de loi, la concertation aurait dû être plus importante. J’ai eu à peine quatre semaines pour travailler sur ce texte, consulter une douzaine d’organismes et préparer les vingt-trois amendements que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a adoptés lors de sa réunion du mercredi 31 octobre dernier.
Dans ce contexte, il est heureux que le président du Sénat ait recouru à la faculté que lui offre le dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution de saisir le Conseil d’État, afin que ce dernier rende un avis sur les dispositions de la présente proposition de loi. Cet avis a utilement éclairé mes travaux.
En outre, les échanges que j’ai eus avec Alain Lambert, président du Conseil national d’évaluation des normes, ont révélé l’impréparation du Gouvernement quant à la simplification des procédures imposées aux collectivités.
Deuxième remarque, si l’expérience de l’agence nationale de la cohésion des territoires s’avère concluante in fine, cette structure pourrait permettre une véritable rationalisation des actions de l’État dans les territoires avec, à la clé, évidemment, nous l’espérons, une économie pour les finances publiques. Mais l’ambition du texte qui nous est soumis et celle du Gouvernement semblent en deçà des attentes de nos concitoyens et des élus locaux.
Les fractures françaises sont nombreuses et bien connues : dans l’accès au numérique, dans l’accès aux soins, avec la problématique des déserts médicaux, dans l’accès aux services publics et dans le domaine de la mobilité, mot cher à notre collègue Mathieu Darnaud. Autant de freins à la cohésion et à l’ascension sociales !
Je me réjouis, à cet égard, de l’examen prochain du projet de loi d’orientation des mobilités par notre assemblée, car les mobilités sont autant de leviers pour soutenir les territoires les plus fragiles. Je ferme cette parenthèse en regrettant que le Gouvernement n’ait pas décidé, en amont, d’adopter une approche décloisonnée concernant les missions de l’agence, concept dont nous entendons souvent parler ces derniers temps, mais qui peine à se matérialiser.
J’en viens à ma troisième remarque. L’État doit prendre ses responsabilités sur un certain nombre de volets. Je pense, en particulier, à la question des ressources dont bénéficiera l’agence, au sujet de laquelle la frilosité du Gouvernement conduit à s’interroger, mais aussi à la question de l’association des élus locaux et nationaux à sa gouvernance. En clair, les territoires doivent être considérés par l’État comme des partenaires égaux.
À ce titre, j’attire l’attention du Gouvernement sur le fait que le financement de l’agence ne devrait en aucun cas venir en soustraction des moyens actuellement accordés aux collectivités territoriales.
Sur ce point, madame la ministre, comme le président Hervé Maurey l’a souligné, votre audition ne nous a pas rassurés. La possibilité de voir les crédits de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, traités comme des ressources sur lesquelles l’agence pourrait exercer un droit de tirage nous inquiète au plus haut point.