M. Jean Bizet. Très juste !
M. Didier Marie. Voilà une illustration de la complexité de la situation à laquelle nous sommes confrontés.
Nos collectivités territoriales, quant à elles, ne peuvent être laissées seules en première ligne face aux acteurs économiques de leurs territoires. Les régions, départements et agglomérations concernés agiront, mais le Gouvernement devra dire rapidement de quelle manière il les accompagnera.
Madame la ministre, je tiens, en outre, à attirer votre attention sur nos ports. Je pense particulièrement à ceux du département dont je suis l’élu : Le Havre, Dieppe, Le Tréport, et, au-delà, à tous ceux, de Calais à Roscoff, en passant par Dunkerque, Ouistreham et Cherbourg. Ces ports vont devoir engager des travaux pour séparer les flux venant, d’une part, de Grande-Bretagne et, de l’autre, d’Irlande, accueillir de nouveaux douaniers et des agents des services vétérinaires et phytosanitaires, dont le nombre, soit dit en passant, est insuffisant.
Le rétablissement d’une frontière sur les ports de la Manche va coûter cher. Dans ce domaine également, il faut donc que le Gouvernement précise rapidement de quelle manière il contribuera au financement des travaux indispensables et quels moyens humains il mettra à leur disposition.
Pour les mêmes raisons, nous souhaitons évoquer, devant vous, la redéfinition du corridor maritime mer du Nord-Méditerranée. Je sais que vous êtes attentive à cette question. (Mme la ministre le confirme.) Ce sujet n’entre pas tout à fait dans le cadre de ces ordonnances, mais il a toute son importance.
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
M. Didier Marie. Il n’est pas acceptable que la Commission désigne uniquement les ports de Rotterdam, Anvers et Zeebrugge comme exutoires aux trafics de marchandises en provenance de l’Irlande.
Il n’est pas acceptable qu’elle oublie – je dirais même exclue – les ports de notre façade de la Manche. C’est une véritable inquiétude pour leur attractivité et leur capacité à mobiliser des fonds européens, que nos amis belges et néerlandais ont déjà largement consommés. C’est un non-sens quand on regarde une carte du nord de l’Europe, attestant que les ports français sont plus proches de l’Irlande. C’est une aberration, quand on sait qu’au Havre, par exemple, l’on débarque vingt-trois conteneurs à l’heure, contre seize à Rotterdam. Ce constat permet de balayer l’argument selon lequel nos infrastructures seraient congestionnées.
Aussi attendons-nous du Gouvernement qu’il obtienne de la Commission le rattachement de nos ports de la Manche à ce corridor mer du Nord-Méditerranée.
Ce projet de loi n’est qu’une étape sur la route qui sépare la Grande-Bretagne et l’Union européenne. Il ne résoudra pas tous les problèmes posés. La Commission est également très attendue dans les matières qui relèvent de sa compétence – je pense, entre autres, au secteur aérien, à l’agriculture, à la pêche ou aux médicaments.
Le Brexit représente un défi majeur. La France a une responsabilité particulière pour défendre le marché unique et les valeurs de l’Union européenne. Il y va des droits de nos concitoyens, de la force de nos entreprises, de l’attractivité de nos territoires et de notre image diplomatique.
Madame la ministre, nous resterons donc très vigilants tout au long du processus qui nous conduira à la ratification des ordonnances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 23 juin 2016, le peuple britannique a fait le choix de quitter l’Union européenne. S’il ne nous appartient évidemment pas de remettre en question cette décision souveraine, permettez-moi de rappeler de nouveau à quel point nous la regretterons profondément.
Avec le départ de l’un de ses membres les plus éminents, c’est une part de l’âme et du génie de notre continent, comme de sa force collective, qui se dissocie de notre édifice commun.
Le Brexit, par sa radicalité, interpelle tous ceux qui sont sincèrement attachés à la construction européenne. Il oblige, si l’on veut mener à bien son indispensable refondation, à exercer un devoir d’inventaire lucide sur l’Europe que nous avons bâtie depuis soixante ans.
Au-delà des réflexions qu’il a suscitées sur l’avenir de l’Union, le Brexit doit également nous conduire à des considérations plus prosaïques. En effet, nous sommes aujourd’hui dans une situation inédite. Après avoir cherché à organiser la convergence entre ses États membres pendant plusieurs décennies, l’Union européenne doit désormais trouver la voie appropriée pour gérer la divergence à venir entre le Royaume-Uni et le continent.
Après quarante ans d’imbrication de plus en plus poussée de nos systèmes économiques respectifs dans le cadre du marché unique, de l’union douanière et de nos diverses politiques communes, nul ne peut en effet ignorer que ce processus emportera des conséquences négatives des deux côtés de la Manche et de la mer du Nord : les droits de douane seront vraisemblablement réintroduits à l’avenir, les échanges humains s’affaibliront et, surtout, la divergence réglementaire altérera nécessairement la fluidité des transactions commerciales de services comme de biens.
S’agissant des marchandises, la remise en place de contrôles douaniers, notamment phytosanitaires et vétérinaires, perturbera immanquablement les chaînes d’approvisionnement et de production dans de très nombreux secteurs.
La France, en raison de sa géographie et de ses liens économiques étroits avec le Royaume-Uni, comptera au nombre des États membres les plus touchés. Un simple coup d’œil au volume impressionnant du trafic transitant par le tunnel sous la Manche, qui représente un quart de la totalité des échanges entre le Royaume-Uni et les Vingt-Sept, permet d’en prendre la mesure.
L’activité de nos ports, particulièrement en Bretagne, en Normandie et bien sûr dans les Hauts-de-France, ma région, subira également de plein fouet l’impact du Brexit.
À ce titre, la proposition de la Commission concernant la reconfiguration du corridor maritime mer du Nord-Méditerranée me semble inacceptable, car elle accentue encore le risque, déjà existant, de déport des activités vers les ports belges et néerlandais, où les autorités semblent, selon les professionnels que nous avons auditionnés, plus souples, plus réactives et plus avancées aujourd’hui que la France dans la préparation conjointe du Brexit avec le secteur privé.
Les conséquences économiques et sociales seront réelles, quel que soit le dénouement des discussions en cours, mais elles seront encore amplifiées en cas de no deal, un scénario qui ne peut plus être écarté, au vu de la situation politique intérieure au Royaume-Uni, ainsi que de l’échec du sommet de Salzbourg et du dernier Conseil européen.
À cinq mois de la sortie effective du Royaume-Uni, le brouillard qui entoure l’issue des négociations concernant l’accord de retrait n’est pas levé et empêche toujours d’entrevoir les contours de nos relations futures avec Londres.
En conséquence, il apparaît indispensable d’anticiper le pire et de se préparer à un retrait sans accord, afin d’en minimiser autant que possible l’impact. Tel est l’objet du projet de loi qui nous est soumis par le Gouvernement, qui doit permettre de faire face, dans les domaines qui relèvent de la compétence nationale, aux conséquences du Brexit, que celui-ci soit négocié ou non.
En tant que parlementaire, je ne peux évidemment pas me réjouir du recours aux ordonnances, mais j’en comprends toutefois la nécessité, au regard du contexte particulier dans lequel nous nous trouvons. Les amendements apportés au texte par notre rapporteur Ladislas Poniatowski me paraissent cependant essentiels, dans la mesure où ils le rendent plus conforme aux exigences constitutionnelles en précisant ses finalités, tout en lui conservant la flexibilité nécessaire pour réagir aux événements.
Comme parlementaire, j’ai, en revanche, plus de mal à comprendre, malgré vos explications, madame la ministre, la volonté du Gouvernement de ne pas publier l’avis du Conseil d’État. En effet, je ne suis pas convaincu que ce texte soit susceptible d’être mis à profit par les Britanniques dans le cadre des négociations actuelles ou à venir et j’estime que le fait de ne pas le communiquer constitue un défaut d’information du Parlement mal venu, a fortiori à l’occasion de l’examen d’un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnances.
Il en va de même en ce qui concerne les amendements déposés par le Gouvernement, qui vont à l’encontre des objectifs de sécurisation du texte visés par la commission spéciale.
Sous réserve de ces observations, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi, qui ne suffira toutefois pas, à lui seul, à garantir une bonne gestion du Brexit. Celle-ci dépendra avant tout des moyens concrets que le Gouvernement lui allouera et de la rapidité d’action de l’État, pour apporter une réponse appropriée aux problèmes d’ores et déjà identifiés sur le terrain.
Tout retard pris aujourd’hui sera en effet très difficile à combler d’ici au 29 mars 2019, date à laquelle nous devons être prêts en cas de no deal. L’urgence est réelle. Elle concerne les nombreux investissements et les procédures nécessaires à la mise en place de contrôles douaniers efficaces et aux ressources humaines qui devront être mobilisées en conséquence.
Au vu de l’ampleur des échanges avec le Royaume-Uni et de l’absence de structures capables de gérer de nouvelles contraintes, la tâche semble considérable, et l’État doit se montrer à la hauteur de ce défi. Or il n’est pas entièrement clair que cela soit le cas à ce stade.
Il doit également être présent pour accompagner nos territoires, particulièrement ceux du littoral atlantique, et nos entreprises, notamment les PME, face aux turbulences qu’ils auront à traverser. D’autres États membres ont d’ores et déjà engagé cette démarche ; la France doit le faire sans plus attendre et amorcer une véritable logique de partenariat avec les acteurs de terrain, au niveau tant administratif que technique.
Ce projet de loi n’est que la première étape d’un processus que notre pays devra engager pour s’adapter à la nouvelle réalité que façonnera progressivement le Brexit. Nous y serons particulièrement attentifs, madame la ministre, soyez-en assurée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (M. Michel Raison applaudit.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 23 juin 2016, le Royaume-Uni a donc choisi de sortir de l’Union européenne. Il redeviendra un pays tiers le 30 mars prochain à minuit, faute d’avoir pu parvenir à un accord, malgré le travail de négociation dans la cohésion mené par Michel Barnier.
Nous voici contraints d’envisager les conséquences d’un no deal, à cent quarante jours de la fermeture des frontières. Dans cette hypothèse, la plus négative pour toutes les parties, il n’y aura donc pas de période de transition.
Pour tenter de se préparer, de préserver les acquis des Français et des Britanniques, d’assurer une continuité en matière de libre circulation des biens et des personnes dans les meilleures conditions possible et sous réserve de réciprocité, le Gouvernement nous propose aujourd’hui de l’autoriser à légiférer par ordonnances. Dans le contexte d’urgence que nous connaissons, le groupe Union Centriste apportera son soutien à ce projet de loi, qui bien sûr prendra en compte les amendements de notre commission spéciale.
Au-delà de ces considérations pragmatiques, l’essentiel est à venir, nous le savons tous. Les interrogations sont nombreuses et les enjeux décisifs. Il reste beaucoup à faire, madame la ministre, à la veille des élections, dans une Europe aujourd’hui fragilisée.
Les chefs d’entreprises français nourrissent de grandes inquiétudes, car la France fait partie des pays qui seront les plus affectés par le Brexit. Nos entreprises auraient perdu 4 milliards d’euros depuis le vote de 2016, et nos exportations sont d’ores et déjà affectées par une demande intérieure britannique en baisse, à cause de la chute de la livre sterling et de l’augmentation du coût du pétrole.
Les secteurs les plus pénalisés dans les mois et les années à venir devraient être l’automobile, avec un manque à gagner estimé à plus de 1 milliard d’euros, les outils et l’équipement, l’agroalimentaire ou la pharmacie.
On peut penser que les plus grandes entreprises disposeront de l’ingénierie nécessaire pour faire face aux difficultés que cette situation ne manquera pas de provoquer, mais qu’en sera-t-il de nos PME ? Entre 15 000 et 20 000 d’entre elles n’ont pas d’expérience d’exportation en dehors de l’Union européenne. Vous le savez, madame la ministre, elles devront impérativement être accompagnées par les filières, par les collectivités, mais surtout par l’État, notamment pour développer les compétences nécessaires et gérer les ruptures d’approvisionnement, ainsi que les certifications.
Chacun est bien conscient que les accords ultérieurs de libre-échange avec l’Union européenne seront déterminants, mais ils ne seront conclus que dans plusieurs années. Le gouvernement britannique est allé jusqu’à prévoir une bonne dizaine d’années pour mener à bien les diverses négociations déclenchées par le Brexit, même dans un scénario optimiste, qui verrait le Royaume-Uni discuter avec l’Union européenne d’un accord de libre-échange similaire à celui liant le Canada au bloc européen.
S’ouvre donc pour nous tous, Européens, une longue période d’incertitude, dont les conséquences seront lourdes pour les nombreuses entreprises françaises qui commercent avec le Royaume-Uni, mais aussi pour les produits britanniques, qui entreront désormais dans une nouvelle Union européenne.
Les coûts sont évalués à plus de 60 milliards d’euros, selon le président de la commission des affaires européennes, en cas de no deal, et autour de 30 milliards d’euros, essentiellement supportés par les pays de l’Union européenne, dans l’hypothèse où des accords de libre-échange seraient conclus.
Alors que l’Union européenne est déstabilisée et remise en cause dans sa gouvernance comme dans ses modes de fonctionnement, en raison de ce qu’il faut bien appeler ses non-choix, les signes d’éclatement que traduisent le Brexit et la montée des populismes fragilisent encore le projet de reconstruction porté par le Président de la République, qui est aujourd’hui bien isolé.
Votre tâche sera lourde, madame la ministre, mais les membres du groupe Union Centriste seront à vos côtés. Nous savons que les prochaines élections constitueront une étape décisive pour le destin de l’Union européenne du XXIe siècle.
Notre groupe, engagé dans le projet européen, tient à réaffirmer à cette occasion l’urgence, répétée maintes fois dans cette enceinte, de renouer la confiance avec les peuples et d’en finir avec une technocratie qui discrédite et qui disqualifie l’idéal européen.
Le Brexit, comme la montée des populismes, nous rappelle à nos responsabilités de politiques vis-à-vis des générations à venir. L’Union européenne doit être celle de la démocratie par et avec les peuples, disait le président Macron, sinon si elle prend le risque de ne plus être ! (Applaudissements les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre commission spéciale a conduit un travail important, dans un délai très court, pour permettre au Sénat de se prononcer dans de bonnes conditions sur ce projet de loi d’habilitation. Je voudrais en remercier très sincèrement notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, et saluer la mobilisation de l’ensemble des membres de cette commission spéciale.
Nous sommes confrontés à une situation paradoxale. Le Brexit est un non-sens économique ; c’est aussi une aberration géostratégique, je le dis depuis deux ans. Après plus de quarante ans d’imbrication et de convergence, il nous faut travailler à la désimbrication et apprendre à gérer la divergence avec le moins de dégâts possible. Nous devons, par ailleurs, faire face à la forte incertitude qui pèse sur l’issue des négociations d’un accord de retrait.
Nous avons reçu l’ambassadeur de Grande-Bretagne en poste à Paris. Nous en avons conclu que la situation restait, à ce stade, encore très figée. La question irlandaise demeure le nœud gordien de la discussion. Le Sénat, au travers de son groupe de suivi commun aux commissions des affaires européennes et des affaires étrangères, que je copréside avec Christian Cambon, avait, à juste titre, tiré le signal d’alarme en juillet dernier. Il avait, en particulier, insisté sur la question irlandaise. Malheureusement, ses craintes d’un risque d’absence d’accord de retrait se révèlent, à ce jour, fondées.
Je retiens également des propos de l’ambassadeur un message positif et rassurant sur la situation des Français et des autres citoyens européens installés au Royaume-Uni, ainsi que l’inquiétude perceptible des ressortissants britanniques établis en France.
Nous devons donc nous préparer à toutes les hypothèses, y compris celle de l’absence d’un accord sur les modalités de retrait. C’est ce qu’entend faire le Gouvernement par le projet de loi d’habilitation qu’il a soumis au Sénat. Les mesures à prendre ne sont pas seulement d’ordre législatif : beaucoup d’entre elles relèveront de l’Union européenne ou seront d’ordre réglementaire. Parallèlement, un travail préalable doit être conduit par les acteurs publics ou privés concernés.
L’audition par la commission spéciale des représentants des activités portuaires, logistiques et de transport routier a bien montré les difficultés à surmonter. Un gros effort de préparation est nécessaire dans ces domaines, dans un délai très resserré. Nous sommes préoccupés par la fluidité des échanges transmanche et par l’attractivité des ports français par rapport à leurs voisins néerlandais et belges.
Nous souhaitons que les administrations apportent tout leur soutien aux acteurs économiques qui vont faire face au Brexit. Il s’agit, madame la ministre, d’un enjeu de compétitivité pour notre pays, tout particulièrement pour nos ports, qui doivent relever un défi majeur.
J’ai eu l’occasion, il y a déjà quelques années, de voir comment fonctionnaient, notamment, les Pays-Bas, s’agissant des politiques ayant trait à l’autorité de la concurrence. J’ai pu constater que les administrations sont, là-bas, aux côtés du secteur privé. Dans le contexte actuel, en particulier, Bercy devra changer quelque peu de logiciel et se porter au soutien des entreprises françaises.
Le Brexit pourrait aussi fondamentalement transformer la relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne en matière de services financiers. Les grandes institutions du secteur des deux côtés de la Manche sont liées par quarante ans de régulations complexes.
Dans ses deux rapports, le groupe de suivi avait signalé que, en quittant l’Union européenne, le Royaume-Uni devrait renoncer au passeport financier, qui permet à ses entreprises de vendre leurs services dans ce domaine dans le reste de l’Europe. D’autres questions juridiques se posent. Souvenons-nous que l’incertitude peut créer des risques majeurs pour les marchés financiers.
Pour ce qui est du volet législatif, notre commission spéciale a veillé à ce que l’habilitation que le Gouvernement sollicite du Parlement soit précise. C’est une exigence constitutionnelle. Nous avons également fait attention à conforter les droits des personnes concernées par le Brexit.
Ce faisant, nous n’avons pas écarté le besoin de flexibilité, imposé par l’incertitude même qui plane sur l’issue des discussions avec le Royaume-Uni. Le contenu des ordonnances sera, par ailleurs, subordonné à la réciprocité des mesures prises par le Royaume-Uni et conditionné par les décisions homologues des autres États membres ; la France devra, en effet, rechercher une harmonisation avec les grands États membres voisins, en particulier avec l’Allemagne. Le rapport écrit expose les mesures prises par nos partenaires européens.
Bien évidemment, le Sénat restera très vigilant quant à la suite du processus. C’est pourquoi nous avons souhaité que le Parlement puisse être saisi rapidement des projets de loi de ratification, pour se prononcer sur le contenu des ordonnances.
Le groupe de suivi, que je copréside avec Christian Cambon, poursuivra ses travaux. Comme il l’a fait au cours des derniers mois, il rendra compte au Sénat des nouveaux développements concernant le retrait du Royaume-Uni. Il s’attachera aussi à évaluer les impacts du Brexit sur nos concitoyens installés dans ce pays et sur les secteurs économiques intéressés.
Madame la ministre, je voudrais conclure en insistant sur l’attitude très constructive du Sénat au travers de sa commission spéciale. Nous avons une divergence de vues, qui touche à la forme plus qu’au fond, mais je suis absolument convaincu que vous aurez votre projet de loi d’habilitation. Vous comprendrez néanmoins que si nous devons vous accorder de la flexibilité et de la réactivité – c’est nécessaire –, il nous faut aussi vous contraindre à faire preuve d’un peu plus de précision.
Le groupe de suivi du Brexit, que le président Larcher nous avait demandé de constituer dès juillet 2016, gardera la même position. Il restera à vos côtés, pour faire en sorte que les citoyens français sur le sol britannique et nos amis britanniques sur le territoire français soient rassurés sur le plan juridique et que les entreprises françaises obtiennent que la fluidité des accords commerciaux soit garantie tout au long des années qui viennent.
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission spéciale.
projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du royaume-uni de l’union européenne
Article additionnel avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par M. Masson et Mme Kauffmann, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La présente loi n’entre en vigueur qu’à compter de la modification de la décision prise par le Conseil européen du 19 juin 2018, laquelle viole le traité de Lisbonne en prévoyant qu’en cas d’abandon du Brexit, la répartition des sièges au sein du Parlement européen restera identique à ce qu’elle est actuellement.
La parole est à Mme Claudine Kauffmann.
Mme Claudine Kauffmann. Les partisans d’une Europe à tendance fédéraliste piétinent la souveraineté des États membres pour imposer une sorte de pensée unique. Ainsi, le résultat de plusieurs référendums a été contourné par les tenants d’une telle conception, qui n’hésitent pas à bafouer la volonté des électeurs dès qu’elle ne va pas dans leur sens.
Aujourd’hui, le Président de la République, M. Macron, est à la pointe de la coalition qui essaye de torpiller le Brexit en pourrissant la négociation. Il s’agit encore de désavouer le suffrage universel, en poussant les Britanniques à organiser un nouveau référendum. À la veille des élections européennes, le but est de faire croire à nos concitoyens que l’évolution vers une Europe fédérale serait l’unique solution possible pour l’avenir.
Au lieu de saboter le Brexit, la France devrait plutôt réclamer sa juste part dans la répartition des sièges au sein du Parlement européen. Actuellement, chacun des 6 députés maltais représente seulement 69 352 habitants, alors que chacun des 74 députés français représente 883 756 habitants. Pis encore, en totale violation du traité de Lisbonne, le ratio d’habitants par siège de la France est nettement plus défavorable que celui de l’Allemagne.
De plus, si les opposants au Brexit parvenaient à leurs fins, cette injustice au détriment de la France subsisterait. En effet, lors du Conseil européen du 19 juin 2018, le Gouvernement français a accepté qu’en cas d’abandon du Brexit, la répartition actuelle des sièges soit maintenue à notre détriment, bien qu’elle viole le traité de Lisbonne.
Avant de prendre des ordonnances, il convient donc de défendre notre représentativité en exigeant le respect de ce traité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Sans surprise, madame la présidente, l’avis de la commission spéciale va être défavorable, et ce pour une raison très simple : cet amendement est totalement hors sujet !
Je ne dis pas que la question du nombre de représentants français dans le futur Parlement européen, après mai 2019, soit inintéressante. Mme la ministre nous a déjà répondu en commission, en rappelant qu’une partie des sièges britanniques – pas tous – avait été répartie en juin dernier, permettant à certains pays d’obtenir des parlementaires européens supplémentaires qui entreront en fonction en mai prochain, après les élections. La France, avec cinq sièges, est l’État qui en a le plus gagné. Je tenais à faire ce rappel.
Cette décision relève exclusivement du Parlement européen, et en aucun cas du Parlement français. On ne peut pas empêcher les uns et les autres d’avoir une opinion à ce sujet, mais sur cet amendement, vous m’en excuserez, mon avis est totalement défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Ce n’est pas une surprise, l’avis du Gouvernement sera également défavorable.
Pour éclairer les sénateurs, je rappelle que le paragraphe 2 de l’article 3 de la décision du Conseil européen du 28 juin, à laquelle il est fait référence, ne couvre que la question du report dans le temps du retrait britannique et non de son annulation. Il prévoit en effet que, dans le cas où le Royaume-Uni ferait toujours partie de l’Union au début de la législature 2019-2024, le nombre de représentants au Parlement européen par État membre serait celui qui avait été décidé en 2013, et ce, jusqu’à ce que le retrait du Royaume-Uni prenne ses effets juridiques. Un tel report dans le temps apparaît aujourd’hui peu probable.
En tout état de cause, si le Royaume-Uni venait à demander l’annulation de son départ avant les élections européennes, la décision de 2013 deviendrait caduque et le Conseil européen serait contraint d’en adopter une nouvelle, pour fixer la composition du Parlement européen.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Nous n’allons pas voter cet amendement, mais, selon moi, le premier paragraphe de son objet devrait susciter une réflexion approfondie de la part de la Commission européenne. En effet, on a si souvent l’impression d’entendre qu’il n’y a point de salut en dehors de la forme actuelle de la construction européenne que « pensée unique » est une expression qui me convient !
Pour la première fois de son existence, l’Union européenne est confrontée à la gestion d’un rejet par un peuple souverain dans des conditions tout à fait démocratiques et elle ne sait pas comment faire. Cela dérange. On devrait donc adresser ce paragraphe à la Commission européenne, pour qu’elle en fasse un sujet de réflexion.
Cela dit, nous ne voterons pas cet amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 3.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi pour tirer les conséquences d’un retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord conclu conformément à l’article 50 du traité sur l’Union européenne, en matière :
1° De droit d’entrée et de séjour des ressortissants britanniques en France ;
2° D’emploi des ressortissants britanniques exerçant légalement à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne une activité professionnelle salariée en France ou appelés à y exercer une activité professionnelle salariée au sein d’entreprises installées sur le territoire britannique à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ayant fait le choix de se déployer en France après celui-ci ;
3° D’exercice, par une personne physique ou morale exerçant légalement à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, d’une activité ou d’une profession dont l’accès ou l’exercice sont subordonnés au respect de conditions. Les qualifications professionnelles obtenues au Royaume-Uni sont immédiatement reconnues dès lors que les titulaires de celles-ci exercent leur activité en France au 30 mars 2019 ou sont appelés à y exercer une activité professionnelle salariée au sein d’entreprises installées sur le territoire britannique à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ayant fait le choix de se déployer en France après celui-ci ;
4° De règles applicables à la situation des agents titulaires et stagiaires de la fonction publique de nationalité britannique ;
5° D’application aux ressortissants britanniques résidant légalement en France à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne de la législation relative aux droits sociaux et aux prestations sociales ou, au-delà de cette date, appelés à y exercer une activité professionnelle salariée au sein d’entreprises installées sur le territoire britannique à la date du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ayant fait le choix de se déployer en France après celui-ci ;
6° De contrôle sur les marchandises et passagers à destination et en provenance du Royaume-Uni et de contrôle vétérinaire et phytosanitaire à l’importation en provenance du Royaume-Uni ;
7° De réalisation d’opérations de transport routier de marchandises ou de personnes sur le territoire français, y compris en transit, par des personnes physiques ou morales établies au Royaume-Uni.
Dans les conditions prévues au premier alinéa du présent I, le Gouvernement est également habilité à prendre toute autre mesure nécessaire au traitement de la situation des ressortissants britanniques résidant en France ou y exerçant une activité ainsi que des personnes morales établies au Royaume-Uni et exerçant une activité en France afin de préserver les intérêts de la France en matière économique, financière, de défense et de sécurité.
II. (nouveau) – Les ordonnances prévues au I visent, jusqu’à l’entrée en vigueur, le cas échéant, de traités ou d’accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni, à :
1° Tirer les conséquences de l’absence d’accord de retrait sur la situation, en France, des ressortissants britanniques ;
2° Préserver les activités économiques sur le territoire français ;
3° Préserver les flux de marchandises et de personnes en provenance du Royaume-Uni ;
4° Garantir un niveau élevé de sécurité sanitaire en France ;
5° Prévoir des dérogations, des procédures administratives simplifiées et des délais de régularisation pour les personnes morales ou physiques concernées.
Ces ordonnances peuvent prévoir que les mesures accordant aux ressortissants britanniques ou aux personnes morales établies au Royaume-Uni un traitement plus favorable que celui des ressortissants de pays tiers ou de personnes morales établies dans des pays tiers cesseront de produire effet si le Royaume-Uni n’accorde pas un traitement équivalent.
III. (nouveau) – Les ordonnances prévues au présent article sont prises dans un délai de douze mois à compter de la publication de la présente loi.