M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. La perspective du prochain Brexit, dont les contours sont encore très incertains, suscite de vives inquiétudes chez les acteurs de l’économie portuaire.
Sans solutions anticipées, le rétablissement des barrières douanières et des formalités requises pour le transit des produits phytosanitaires ou d’origine animale risque d’entraver fortement la circulation des marchandises. La rapidité et la simplicité des démarches administratives sont essentielles pour fluidifier le trafic et garantir un modèle économique portuaire concurrentiel.
Après l’entrée en vigueur du Brexit, le Royaume-Uni sera considéré comme un pays tiers. Toutes les marchandises en sa provenance seront soumises à des contrôles douaniers. Les produits phytosanitaires et d’origine animale feront, en outre, l’objet d’une procédure de déclaration spécifique. Ces formalités mobiliseront des personnels des services vétérinaires et phytosanitaires supplémentaires.
L’alourdissement des formalités, l’allongement des délais et la mobilisation d’espace foncier vont peser fortement sur l’équilibre économique du transport des marchandises. Sans anticipation, les ports normands, comme ceux du Havre et de Dieppe, seront fortement touchés.
Ma question est simple : quelles mesures le Gouvernement entend-il adopter pour faciliter les échanges maritimes, notamment pour les produits phytosanitaires et d’origine animale ? Comment compte-t-il financer les investissements nécessaires à la mise en œuvre de ces nouvelles procédures ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Canayer, les discussions entre le négociateur européen et le Royaume-Uni n’ont malheureusement pas permis, à ce stade, d’aboutir à un accord sur l’ensemble des modalités de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Les négociations ont, de nouveau, principalement achoppé sur la question irlandaise. Notre objectif, sur ce point, est de trouver une solution conforme à ce que l’on appelle le Good Friday agreement, permettant d’éviter le rétablissement d’une frontière au sein de l’Irlande et, en même temps, de ne pas porter atteinte à l’intégrité du marché unique européen. Cette solution doit encore être trouvée avec les Britanniques, qui, pour l’heure, ont rejeté les propositions européennes.
Dans ce contexte, les chefs d’État et de Gouvernement ont réaffirmé leur confiance dans le négociateur européen, leur volonté de rester unis dans cette négociation et la pertinence du mandat donné à Michel Barnier. Cette solidité de l’ensemble des partenaires européens sur un sujet aussi important est précieuse.
Ils ont indiqué, en outre, qu’un conseil européen extraordinaire pourrait être convoqué à tout moment si des progrès décisifs étaient réalisés avant le conseil européen du mois de décembre prochain.
Nous gardons confiance dans la négociation, mais, comme vous l’avez souligné, madame la sénatrice, l’urgence est bel et bien là. En effet, compte tenu des contraintes de ratification par le Parlement européen et par le Parlement britannique, la solution doit être trouvée très rapidement. Des choix politiques lourds doivent être opérés par les autorités britanniques. Les incertitudes qui pèsent sur l’issue des négociations soulignent plus que jamais la nécessité de nous préparer à toutes les éventualités, y compris celle de l’absence d’un accord : c’est notre responsabilité.
C’est la raison pour laquelle le Parlement a été saisi d’un projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter par ordonnances les mesures propres à nous préparer au Brexit, en particulier celles que rendrait nécessaires l’absence d’un accord, sur les sujets du droit au séjour et du droit au travail des ressortissants britanniques sur le territoire français, de la situation des Français entrant au Royaume-Uni ou de l’aménagement des infrastructures de contrôle aux frontières.
À vous qui êtes particulièrement concernée par le Brexit, je veux enfin signaler, madame la sénatrice, que le Gouvernement a décidé de nommer un coordonnateur pour étudier, port par port, les situations et les difficultés qui pourraient être rencontrées et les solutions à apporter dans la perspective du Brexit. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. Je vous remercie, monsieur le ministre. Les enjeux sont énormes. Ils doivent être considérés à leur juste mesure et anticipés. En 2017, 4,4 millions de camions ont traversé la Manche. Un allongement de deux minutes du temps de dédouanement entraînera des kilomètres de bouchons et des heures d’attente ! À défaut d’anticipation, c’est le modèle de l’économie portuaire dans son ensemble qui sera mis à mal.
La situation des ports est une urgence nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
culture
M. le président. La parole est à M. Alain Schmitz, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Schmitz. Ma question s’adresse à M. le ministre de la culture.
Compte tenu des contraintes budgétaires qui pèsent sur l’État et les collectivités territoriales, le recours à une combinaison de financements publics et privés est devenu indispensable pour assurer la pérennité des projets culturels et éviter que leurs acteurs ne soient trop exposés aux conséquences brutales du retrait de certains de leurs financeurs. C’est vrai pour le spectacle vivant, les arts plastiques, les musées, ainsi que pour la préservation du patrimoine, domaine dans lequel les besoins de financement sont particulièrement criants, comme en témoignent les conclusions de la mission confiée par le Président de la République à Stéphane Bern il y a quelques mois.
Pour avoir été le rapporteur d’une mission d’information sur ce sujet mise en œuvre par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, je m’inquiète des menaces qui planent aujourd’hui sur notre dispositif fiscal en matière de mécénat.
Mme Catherine Morin-Desailly. Très bien !
M. Alain Schmitz. En effet, le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale a présenté un amendement visant à plafonner à 10 millions d’euros les sommes éligibles à la réduction d’impôt au titre du mécénat d’entreprise. Il l’a ensuite retiré ; c’est heureux, car l’adoption de telles dispositions aurait pu constituer un premier coup de canif à la loi Aillagon, laquelle n’a jamais été remise en cause depuis son adoption en 2003.
Le signal aurait été d’autant plus négatif que, après les dernières réformes fiscales – je pense en particulier au prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et, surtout, à la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, en impôt sur la fortune immobilière –, les associations et fondations ont déjà enregistré une baisse drastique du montant des dons qui leur sont consentis.
Certes, il ne faut jamais oublier que, au-delà de la générosité des mécènes, l’État est bien le principal contributeur des actions de mécénat, par la perte de recettes fiscales à laquelle il consent. Mais, compte tenu des bienfaits manifestes de ce mécanisme pour l’intérêt général, est-il vraiment opportun de vouloir y porter atteinte ? Jean-Jacques Aillagon, que j’ai auditionné dans le cadre de notre mission d’information, en mai dernier, a lui-même déclaré, paraphrasant Montesquieu, qu’il ne fallait y toucher que d’une main tremblante.
Je sais que le ministre de l’action et des comptes publics s’est engagé à ce que le Gouvernement dépose un amendement à la seconde partie du projet de loi de finances tendant à relever le plafond pour les TPE, comme nous l’avions préconisé, et à autoriser une évaluation du dispositif,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Alain Schmitz. …afin de détecter les cas éventuels d’« optimisation aggravée ».
Monsieur le ministre, quelle est la position du ministère de la culture sur ce dispositif fiscal, créé et défendu par l’un de vos prédécesseurs ? (Murmures sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Comment entendez-vous garantir le respect des engagements pris par le Président de la République, tant à l’Élysée que lors de son déplacement dans les Yvelines ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Schmitz, vous avez raison : la loi Aillagon de 2003 a été particulièrement utile pour la culture et le patrimoine. Sur les quelque 2 milliards d’euros de dons déclarés chaque année par les entreprises au titre du mécénat, ce sont environ 500 millions d’euros qui sont investis dans le cadre du dispositif de cette loi.
Il s’agit donc de sommes considérables mises au service de la culture et du patrimoine, et Jean-Jacques Aillagon a eu raison de souligner, lors de son audition, qu’il importe de ne pas prendre, au sujet de ce dispositif, de décisions qui auraient des conséquences graves sur la participation du secteur privé au financement de la culture et du patrimoine.
Pour autant, toute politique publique, toute dépense fiscale doit être évaluée. Il est donc légitime de procéder à l’évaluation de ce dispositif. C’est la raison pour laquelle l’Assemblée nationale a demandé à la Cour des comptes un rapport, qui sera remis prochainement. Les conclusions de ce rapport devront être étudiées par les membres des commissions de la culture du Sénat et de l’Assemblée nationale ainsi que, bien entendu, par l’État, afin de déterminer les moyens d’améliorer le dispositif, par exemple en limitant un certain nombre de dérives qui auraient été constatées ou en ouvrant davantage le dispositif aux PME et TPE qui investissent localement dans le patrimoine et la culture.
Le Président de la République et le Premier ministre ont la volonté que les collectivités territoriales et les acteurs privés soient pleinement associés à la politique publique de la culture dans les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mmes Françoise Gatel et Colette Mélot, M. Emmanuel Capus applaudissent également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
La prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu mardi 30 octobre, à seize heures quarante-cinq.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Reconnaissance des proches aidants
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants : un enjeu social et sociétal majeur, présentée par Mme Jocelyne Guidez et plusieurs de ses collègues (proposition n° 565 [2017-2018], texte de la commission n° 27 rectifié, rapport n° 26).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jocelyne Guidez, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Jocelyne Guidez, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, toutes les initiatives parlementaires relatives aux droits des aidants convergent depuis plusieurs mois. Elles visent à reconnaître l’engagement d’une population qui assume à elle seule une action médico-sociale invisible, venant en déduction de la charge de l’État.
Ces démarches sont à chaque fois transpartisanes : la liste des cosignataires de cette proposition de loi en est un nouveau témoignage.
Le 6 octobre dernier, la journée nationale des aidants permettait aux associations d’exprimer une nouvelle fois un certain nombre d’attentes. Ce texte y répondant, notre vote est attendu. Nul doute qu’il recevra un soutien large et même – je l’espère – unanime.
Par cette initiative, nous souhaitons relever le défi de la prise en compte des aidants par la Nation, dans sa dimension tant publique que privée.
Lors de mes travaux préparatoires, une question s’est imposée : quel soutien pour les aidants ? La réponse est saisissante : qu’il soit associatif ou étatique, ce soutien est présent, mais tellement dispersé qu’il en devient inefficient et quasiment indétectable.
Les dispositifs d’aide et d’information manquent de rationalité. L’État ne tient malheureusement pas sa place. Son action manque de coordination et de proactivité envers ceux qui lui font pourtant économiser jusqu’à 16 milliards d’euros par an.
Les aidants sont susceptibles d’entrer dans un isolement profond, voire une détresse dangereuse. Nous partageons tous cette responsabilité. J’ai reçu de nombreux témoignages, notamment celui d’une mère dont l’enfant est atteinte d’une maladie rare. Cette enfant qui ne dort presque jamais, ne s’exprime qu’en criant et s’agite en permanence ne peut pas être prise en charge, tant sa pathologie est lourde, exigeant une assistance de chaque instant. N’en pouvant plus, isolée bien qu’épaulée par son conjoint, sa mère a failli. Elle a attenté à la vie de sa fille en lui administrant trop de médicaments. Aujourd’hui, la personne la plus experte pour s’occuper de cette enfant est séparée d’elle. La famille est détruite en raison du manque de soutien et de l’isolement créé par cette situation.
Je ne peux m’empêcher de penser à ma sœur et à mon beau-frère, qui ont élevé leur fille Léa, atteinte du syndrome de Rett : quel n’a pas été leur épuisement physique, mais aussi psychologique !
Ces vies sont celles de nombreux Français. Malheureusement, nous avons tous, autour de nous, un exemple de ce type. Nous ne pouvons pas ignorer ces situations. La question est donc simple : qui doit s’occuper des aidants ? La réponse est : nous, Parlement et Gouvernement, maintenant ! La réponse est : la société. La réponse est : chacun d’entre nous.
Étant donné la solidarité qu’implique notre contrat social, l’engagement des aidants ne devrait pas être un « travail de l’ombre » dont l’État se satisfait.
Il eût été facile d’attendre. Il eût été facile de laisser le Gouvernement cheminer seul sur ce sujet. Il eût été aisé de s’en remettre à lui pour trouver les moyens de financer ces actions. Mais les mesures innovantes que nous proposons ont une valeur thérapeutique pour celles et ceux que l’on oublie, qui souffrent, qui s’isolent, et qui parfois même décèdent avant la personne qu’ils aident.
Les auditions que j’ai organisées en vue de rédiger ce texte m’ont totalement convaincue. Les solutions que j’apporte ont été discutées avec les différentes parties prenantes, qu’il s’agisse des associations, des employeurs, de l’administration centrale, de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, ou des parlementaires. Je ne doute pas que le Gouvernement serait arrivé, et arrivera, aux mêmes conclusions.
Je salue l’excellent travail de notre rapporteur, M. Olivier Henno. Il a parachevé l’ouvrage que j’ai tissé au cours des derniers mois, en accordant une pleine et entière considération aux idées qui venaient de toutes les travées, qui germaient dans le milieu associatif, ou encore en prenant en compte les remarques pertinentes de l’administration centrale.
C’est donc après un travail collaboratif et approfondi que la commission a modifié utilement certaines mesures, tout en partageant les objectifs que je m’étais fixés.
Ainsi, l’indemnisation du congé de proche aidant, financée par un fonds privé, ne crée pas de charges supplémentaires ou nouvelles pour l’État.
Madame la secrétaire d’État, nous sommes convaincus que notre travail répond à une demande, à une urgence, à un souhait, et même, comme le précisait Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, devant l’Assemblée nationale il y a quelques mois, à un enjeu social et sociétal majeur.
Pour répondre à cet enjeu, nous proposons d’assurer l’identification de l’aidant et de renforcer sa reconnaissance par le corps médical. Il s’agit de le détecter pour l’informer rapidement de ses droits, pour le mettre en contact avec les bons interlocuteurs et en lien avec les réseaux associatifs. Une plateforme internet lui proposera, sur la base d’un court questionnaire, un parcours personnalisé.
En outre, notre rapporteur a travaillé avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, pour rendre le dispositif plus efficient et économe. Désormais, le nom de l’aidant pourra figurer sur la carte Vitale de l’aidé ; nous proposerons, par voie d’amendement, de prévoir la réciproque.
Les salariés deviennent parfois des aidants, et l’on ne saurait considérer qu’il s’agit là d’un choix de leur part. C’est pourquoi les branches professionnelles devront étudier les possibilités de coordination et de souplesse entre la vie personnelle de l’aidant et sa vie professionnelle. Cette disposition, soutenue par Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, a été adoptée lors de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, mais le Conseil constitutionnel l’a censurée, considérant qu’elle constituait un cavalier législatif. Ici, elle a toute sa place.
Pour permettre l’indemnisation du congé de proche aidant, notre solution est novatrice. L’État ne déboursera pas un centime – une fois n’est pas coutume –, et l’exécutif devrait s’en saisir ! Notons bien qu’il s’agit non pas d’une professionnalisation de l’aidant, mais d’une compensation de la perte de salaire qu’il subit en prenant ce congé. Ce dispositif est parfaitement expliqué dans le rapport. Accepter le principe de la mise en place d’une surcote pour certains contrats d’assurance est sans aucun doute un choix politique. Pour ma part, je considère que, le taux étant faible, il peut totalement être assumé, à l’instar de l’éco-participation, par exemple.
Madame la secrétaire d’État, je ne souhaite pas que nous adoptions un simple texte d’affichage. J’ai le désir que nos travaux aboutissent à une rédaction compatible avec l’agenda du Gouvernement, en particulier pour l’harmonisation des droits sociaux des aidants.
Bien sûr, je regretterais que le dispositif relatif aux retraites soit supprimé. Toutefois, dans un esprit d’ouverture, je pourrais m’y résoudre, si vous me le demandiez dans la perspective de la très prochaine réforme des retraites, en nous garantissant votre soutien à l’Assemblée nationale. Je n’en rappellerai pas moins ce dispositif, le cas échéant.
À la demande du Président de la République, les travaux consacrés à la dépendance se sont ouverts avec le chantier « grand âge et autonomie » lancé le 1er octobre dernier. Un atelier aborde la question des aidants. Nos propositions ne vident certainement pas le sujet, notamment du fait de l’application de l’article 40 et des échanges qui doivent avoir lieu entre ministères. Cela étant, une fois déchargé des sujets traités par le présent texte, cet atelier dédié aux aidants pourrait se consacrer à l’examen en profondeur des problèmes non débattus et pour lesquels aucune solution consensuelle n’existe à ce stade.
Je pense notamment à la mobilisation du jeune aidant auprès de son parent, qui entraîne souvent des difficultés scolaires, voire le retrait de l’enfant du foyer, à la possibilité d’apporter un suivi médico-social aux aidants ou encore à la faculté, pour les aidants, de cumuler des droits à la formation : on sait que le retour à l’emploi est extrêmement compliqué pour ce public. Nous serons attentifs à l’ensemble de ces questions.
Mais, pour l’heure, nous sommes à l’automne 2018. Des problèmes sont depuis longtemps identifiés ; ils l’ont été avant l’inscription de cette thématique parmi les engagements de campagne du Président de la République. Les propositions du Gouvernement n’arriveront, dans le meilleur des cas, qu’à la fin de 2019. Or ce sujet connu de longue date exige une réponse ; il faut agir dès maintenant.
Les solutions connues aux demandes identifiées ne changeront pas d’ici à 2019. Marchons ensemble : les proches aidants ne sont pas un enjeu politicien. Que nous soyons de gauche, de droite, d’En Marche, nous devons tous nous retrouver. Pourquoi attendre et remettre le chantier à plus tard ?
J’invite donc le Gouvernement à se saisir de ce véhicule législatif, à poursuivre ses travaux pour en consolider et enrichir le dispositif par la suite. Attendre, c’est faire peser un poids chaque jour plus insupportable sur les épaules des aidants.
Madame la secrétaire d’État, voilà plusieurs mois que l’on joue, au Parlement, une douce et tenace mélodie au sujet des aidants, de leurs droits et des aides qui peuvent leur être apportées. Aujourd’hui, nous avons un devoir de résultat. Nous avons même un devoir humain : celui d’engager une action, de sécuriser ceux qui donnent gratuitement de leur temps, qui donnent gratuitement une part de leur vie.
Le dispositif de cette proposition de loi repose sur le bon sens et l’innovation. J’ajouterai qu’il y a surtout des réponses, mais que, plus encore, il y a l’État ; l’État qui accompagne, l’État qui n’ignore pas, l’État qui soutient. Cette proposition de loi contient le minimum de ce que nous devons faire pour les proches aidants ; eux qui font tant, sans compter, au risque parfois d’y perdre leur vie et leur identité, tandis que nous nous interrogeons depuis trop longtemps sur le coût potentiel des mesures à prendre.
J’espère pouvoir vous léguer ces mesures dans quelques instants, madame la secrétaire d’État, et je vous prie de les soutenir avec l’émotion, la bienveillance, la technicité et le pragmatisme que l’on vous connaît.
N’oublions pas que l’on juge un État à sa manière de traiter les anciens et, a fortiori, les personnes handicapées ou dépendantes. Aujourd’hui, les aidants supportent une partie de la charge qui incombe à l’État. Nous avons une dette envers eux. C’est donc avec la plus profonde conviction que j’apporterai mon soutien au texte tel que présenté par M. le rapporteur.
Mes chers collègues, je vous invite à suivre cette voie, et j’espère que l’Assemblée nationale pourra prochainement se prononcer sur ce texte, pour apporter enfin des réponses à une population sans laquelle la France ne serait pas à la hauteur de ses prétentions ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants –République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. –M. Guillaume Arnell applaudit également.)
M. Olivier Henno, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous voici réunis pour l’examen d’un texte dont la Haute Assemblée a toutes les raisons de s’enorgueillir. Je salue la conviction et la foi avec laquelle notre collègue Jocelyne Guidez vient de défendre sa proposition de loi, qui n’est nullement anecdotique. Honneur à elle de s’être emparée de ce beau et grand sujet des aidants, qui n’a rien d’un thème mineur qu’aborderait une sénatrice fraîchement élue.
Les Françaises et les Français ne s’y trompent pas : la thématique des aidants est de plus en plus connue et reconnue, un récent sondage faisant apparaître que 40 % des personnes interrogées déclarent en avoir entendu parler. Ce chiffre marque une hausse de quinze points en quatre ans. En outre, plus d’un quart des personnes sondées se sentent concernées par cette question des aidants, directement ou au travers de l’un de leurs proches : c’est cinq points de plus par rapport à 2015.
Les aidants sont eux-mêmes si peu aidés qu’ils sont parfois en voie d’épuisement. Dès lors, la santé des aidants est devenue un véritable enjeu de santé publique. À preuve, 31 % d’entre eux affirment avoir tendance à délaisser leur propre santé à cause de leur rôle d’aidant. Ils sont notamment sujets au stress, à des perturbations du sommeil ou encore à des douleurs physiques.
Cette mauvaise santé des aidants interpelle encore trop peu le personnel soignant ou les équipes médicales. Ainsi, seuls 13 % des aidants affirment être interrogés sur leur santé quand ils accompagnent leur proche aidé à l’hôpital.
Cela montre de manière flagrante qu’une sensibilisation reste à mener au sujet des aidants. Le tableau peut sembler noir, mais, je le dis avec gravité, telle est la réalité vécue par nombre de Françaises et de Français.
À bien y réfléchir, qui ne connaît un proche, un ami ou une amie se trouvant dans cette situation ? Je pense, parmi d’innombrables exemples, à un fils de cinquante-neuf ans qui, pour s’occuper de sa vieille mère, a compromis sa vie professionnelle et perdu ses droits sociaux ; aux parents d’un enfant polyhandicapé qui voient passer le temps avec angoisse, se demandant ce que deviendra leur fils lorsqu’ils seront partis ; à un mari s’occupant de sa femme touchée par la maladie d’Alzheimer, et qui redoute plus que tout son départ, pourtant inéluctable, en EHPAD.
Devant une telle urgence, fallait-il attendre une concertation ou les conclusions des travaux de l’atelier consacré aux proches aidants ? Fallait-il attendre le projet de loi sur la dépendance ? Sincèrement, je ne le pense pas. Au contraire, c’est à mon sens le rôle du Parlement, de la représentation nationale, de s’emparer de ce thème.
Il me paraît important de décrire le contexte dans lequel s’est déroulé l’examen de cette proposition de loi, tant il est, me semble-t-il, révélateur de certaines fragilités inhérentes à nos institutions.
Voilà un texte qui s’inscrit dans le droit fil d’un engagement parlementaire en faveur des aidants qui ne se dément pas depuis plus de deux ans. Directement inspiré du rapport de notre collègue Jocelyne Guidez sur la proposition de loi ouvrant la possibilité de faire don de jours de repos non pris à un collègue proche aidant, ce texte se réclame également de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par notre collègue député Pierre Dharréville et de celle qui a été très récemment déposée au Sénat par nos collègues du groupe CRCE.
De tous les horizons politiques de nos deux assemblées, c’est un mouvement spontané et uniforme qui émerge progressivement pour se saisir d’une question urgente, n’ayant été jusqu’à présent qu’imparfaitement et indirectement traitée.
J’ignore quel sera l’avenir de ce texte – je souhaite qu’il prospère ! –, mais je sais que le Sénat se grandit en s’emparant de la question des proches aidants. Encore une fois, le sujet est trop grave pour que s’élève un conflit de paternité entre le Parlement et le Gouvernement. « Quand un bébé est beau, il ne manque pas de pères », disait un ancien député du Nord, qui avait le sens de la formule et de l’humour. Peu importe qui joue un rôle déterminant pour faire progresser la solidarité publique envers les aidants, l’essentiel est qu’elle progresse.
C’est la raison pour laquelle nous ne comprenons pas la timidité du Gouvernement à l’égard de ce texte. Les questions d’opportunité calendaire me paraissent bien accessoires. À l’évidence, nos intentions sont partagées, mais nous sommes poliment invités par le Gouvernement à les contenir. Faut-il attendre que la réforme de la prise en charge de la dépendance, la réforme des retraites et l’évolution de l’accompagnement des personnes handicapées intègrent un volet relatif aux aidants ? C’est bien ce que le Gouvernement semble nous demander, mais, là encore, je ne suis pas d’accord.
L’une des causes principales, à mon sens, des lacunes profondes dont pâtissent les droits sociaux des aidants est précisément que les grands textes sociaux n’en traitent que de manière incidente, subsidiaire et, surtout, disparate. Entre les retraites, la dépendance, l’évolution quinquennale de l’accompagnement du handicap et la stratégie nationale pour l’autisme, ce sont pas moins de quatre grands chantiers dont la feuille de route prévoit un volet relatif aux aidants. Quelle avancée peut-on espérer, en matière de droits des aidants, d’une approche aussi dispersée ? Faute de vision d’ensemble et de coordination, elle ne manquera pas de rater sa cible. Le sujet mérite que nous nous en saisissions pleinement et globalement.
Venons-en au texte lui-même.
Le très grand nombre de personnes concernées par cette proposition de loi justifie à lui seul que nous considérions la situation des proches aidants comme un sujet à part entière. Les chiffres sont désormais connus : plus de 8 millions de personnes se consacrent quotidiennement à l’accompagnement d’un proche, dont la perte d’autonomie, qu’elle soit liée à l’âge ou à un handicap, rend nécessaires une présence et une surveillance continues. Bien qu’aucune d’entre elles ne réclame la création d’un statut, d’un droit à part, elles sortent peu à peu de la discrétion à laquelle leur mission et le faible soutien des pouvoirs publics les contraignent souvent.
Mes chers collègues, nous savons qu’il n’est plus possible de considérer l’accompagnement du proche aidé comme une simple extension de la solidarité familiale ; c’est une mission qui se situe entre le métier et le devoir, sans se confondre avec aucun des deux. C’est pourquoi il est troublant que cette mission n’ait jamais été prise en compte par les politiques de solidarité nationale, dont elle relève pourtant.
Ce texte apporte un début de réponse. Il embrasse très largement l’ensemble des droits sociaux des aidants et vise à assurer à ces derniers une sécurité financière qui, pour l’heure, n’existe que pour les personnes interrompant leur activité professionnelle afin d’assister un proche en fin de vie ou un enfant gravement malade.
Reconnaissons que la création du congé de proche aidant par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement est une belle initiative. Malheureusement, ce congé restera peu sollicité tant qu’il ne sera pas indemnisé, comme le sont le congé de présence parentale ou le congé de solidarité familiale. C’est pourquoi nous avons voulu instaurer l’indemnisation du congé de proche aidant : c’est le cœur de notre proposition de loi. De plus, ce texte corrige plusieurs iniquités de droits entre proches aidants d’une personne âgée et proches aidants d’une personne handicapée. Enfin, il prévoit une amélioration substantielle des modalités d’information de l’aidant et le renforcement de sa place dans le parcours de la personne qu’il accompagne.
Pour conclure, je me félicite de ce que notre commission des affaires sociales ait salué l’initiative de notre collègue et adopté un texte équilibré et abouti. Mes chers collègues, ce sujet fait consensus dans l’opinion ; il n’est plus temps d’attendre. La cause des aidants est grande parce qu’elle a sa part d’humanité et de solidarité. Les proches aidants nous parlent et nous rappellent, à la suite de Jacques Delors, que, en matière de solidarité, ce sont souvent les plus fragiles qui sont les plus grands. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)