Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer, M. Victorin Lurel.
2. Questions d’actualité au Gouvernement
tarifs des mutuelles complémentaires santé
M. François Patriat ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
conséquences des décisions du comité des droits de l’homme de l’onu
Mme Françoise Laborde ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
utilisation des fonds du livret de développement durable et solidaire
M. Guillaume Gontard ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
relations avec l’arabie saoudite (affaire khashoggi)
M. Michel Boutant ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
surveillance des déplacements maritimes
M. Jérôme Bignon ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Michel Vaspart ; M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
M. Jean-Marie Mizzon ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Jean-Marie Mizzon.
impact du prix de l’énergie sur l’industrie
M. Bernard Cazeau ; Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
ascoval et politique industrielle
Mme Martine Filleul ; Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Max Brisson ; M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Max Brisson.
taxes sur le gazole non routier
M. Jean-Claude Luche ; M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Agnès Canayer ; M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Agnès Canayer.
M. Alain Schmitz ; M. Franck Riester, ministre de la culture.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
3. Reconnaissance des proches aidants. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
Mme Jocelyne Guidez, auteur de la proposition de loi
M. Olivier Henno, rapporteur de la commission des affaires sociales
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 rectifié bis de Mme Jocelyne Guidez. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Mme Jocelyne Guidez
Amendement n° 18 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 5 de Mme Nadine Grelet-Certenais. – Adoption.
Amendement n° 19 de la commission. – Devenu sans objet.
Amendement n° 4 rectifié bis de Mme Nathalie Delattre. – Retrait.
Amendement n° 6 de Mme Nadine Grelet-Certenais. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 2
Amendement n° 7 de Mme Nadine Grelet-Certenais. – Retrait.
Amendement n° 9 de Mme Nadine Grelet-Certenais. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 12 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l’article 5
Amendement n° 14 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 13 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 15 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 16 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 6
Amendement n° 10 de Mme Nadine Grelet-Certenais. – Rejet.
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 17 de la commission. – Adoption de l’amendement modifiant l’intitulé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État
Adoption, par scrutin public n° 7, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
4. Scolarisation des enfants en situation de handicap. – Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
Mme Annick Billon, pour le groupe Union Centriste
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
M. Victorin Lurel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur le site internet du Sénat et sur Facebook.
Au nom du bureau du Sénat, j’appelle chacun à observer, au cours de nos échanges, l’une de nos valeurs essentielles : le respect des uns et des autres et celui du temps de parole.
tarifs des mutuelles complémentaires santé
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Patriat. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le Gouvernement a décidé de mettre en œuvre l’engagement du chef de l’État relatif au reste à charge zéro pour l’optique, les soins dentaires et les appareils auditifs. Cet engagement sera donc tenu.
Une longue concertation entre Mme la ministre de la santé et des solidarités et les différentes organisations représentatives a permis d’aboutir à un accord sur l’ensemble des tarifs, prévoyant la mise en place du reste à charge zéro dans les trois ans qui viennent. Cela représentera un milliard d’économies à l’échelle de notre Nation. Cela permettra surtout aux plus démunis de se soigner sans avoir à supporter un reste à charge.
Cependant, un organisme a annoncé en début de semaine que la mise en place du reste à charge zéro se traduirait inévitablement par une hausse des cotisations aux mutuelles de 6 % à 9 %, qui toucherait particulièrement les titulaires des revenus les plus faibles.
Monsieur le Premier ministre, quelle est, au regard de cette annonce, la position du Gouvernement quant à la mise en œuvre du reste à charge zéro et à ses conséquences sur les cotisations des assurés ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Patriat, le débat sur la mise en œuvre ambitieuse par le Gouvernement du reste à charge zéro a été relancé il y a quelques jours après qu’une entreprise spécialisée dans le courtage en assurances eut publié une étude indiquant que cette réforme entraînerait nécessairement une augmentation du montant des primes versées par les adhérents des mutuelles.
Le métier de courtier en assurances est parfaitement respectable, mais je ne peux totalement exclure que, en l’espèce, le producteur de cette étude soit quelque peu intéressé, ou plutôt désintéressé, à la réussite de cette réforme…
Nous rencontrons tous les jours des concitoyens qui ont du mal à s’équiper en prothèses auditives ou en lunettes ou à accéder aux soins dentaires dont ils ont besoin parce que, en dépit des efforts réalisés par l’assurance maladie et, le cas échéant, par les complémentaires santé, le reste à charge individuel est aujourd’hui considérable. La réforme que nous mettons en œuvre vise à remédier à cette situation.
Dans cette perspective, nous avons mené des discussions très approfondies avec, d’une part, l’assurance maladie, et, d’autre part, les industriels et les mutuelles. Ces discussions denses et productives ont abouti à la définition d’un dispositif dont la mise en place progressive garantira à nos concitoyens l’accès à un panier de soins dentaires, auditifs et optiques avec un reste à charge nul au 1er janvier 2021. J’ai la conviction que c’est là un véritable progrès, dont chacun peut se réjouir dans cette enceinte.
Aux termes de l’accord conclu avec l’ensemble des acteurs, les trois quarts du coût de cette réforme seront pris en charge par l’assurance maladie et le quart restant par les mutuelles. Ces dernières se sont engagées à ne pas répercuter ce coût sur les primes versées par leurs adhérents. Je n’ai a priori aucune raison de douter de leur parole : les mutuelles sont soucieuses de rendre à nos concitoyens un service de qualité au meilleur coût.
Tel est, conformément à l’objectif fixé par le Président de la République, l’engagement pris auprès de la ministre par l’ensemble des acteurs. Soyez assuré, monsieur le sénateur, de la détermination totale du Gouvernement à faire en sorte que cette réforme, qui représente une véritable avancée sociale dont le Gouvernement est très fier, soit un succès ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
conséquences des décisions du comité des droits de l’homme de l’onu
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Françoise Laborde. Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Le comité des droits de l’homme des Nations unies a critiqué, dans un avis du 10 août dernier, la décision de la Cour de cassation donnant raison à la crèche Baby-Loup contre une salariée licenciée en 2008 pour non-respect du règlement intérieur.
Le 23 octobre dernier, il a rendu un nouvel avis concernant le bien-fondé de la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Ce texte visait à garantir à la fois la dignité de toute personne et le respect de l’ordre public dans sa dimension de sécurité. En 2014, la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, avait jugé que cette loi ne portait atteinte ni à la liberté de conscience ni à la liberté religieuse, et qu’elle n’était en aucun cas discriminatoire.
Contrairement au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui est de nature intergouvernementale, ce comité est composé d’experts. Il est chargé de surveiller l’application par ses membres du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont la France est signataire, en produisant des avis informels.
Vous comprendrez notre étonnement aujourd’hui : ce comité demande des comptes à la France, sans pour autant en demander aux pays qui violent des droits humains les plus élémentaires dans le plus grand silence. Ses invectives à répétition sont inquiétantes, laissant croire au monde entier qu’il a un pouvoir juridictionnel. Or seules les juridictions européennes et françaises sont compétentes, et elles se sont déjà prononcées sur notre législation avec l’autorité de la chose jugée.
Le Gouvernement ne doit pas faiblir face à ce qui relève d’un véritable parti pris idéologique. Madame la garde des sceaux, demain 26 octobre se tiendra l’assemblée générale des Nations unies. Le 10 décembre, nous célébrerons le soixante-dixième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. Nous souhaitons connaître les intentions du Gouvernement, face à des prises de position qui tendent à remettre en cause les fondements de la justice européenne et de notre droit positif. Compte-t-il répondre à cet avis dans le délai de cent quatre-vingts jours fixé par ce comité, et si tel est le cas, que répondra-t-il ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains. – Mme Marie-Noëlle Lienemann, ainsi que MM. Pierre-Yves Collombat et Pierre Ouzoulias applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Laborde, comme vous l’avez rappelé à juste titre, le comité des droits de l’homme des Nations unies est composé d’experts. Il produit des constatations, comme il l’a fait récemment sur la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.
Dans les deux affaires qui lui étaient soumises, ce comité a estimé que l’interdiction de porter le voile intégral en public constituait une atteinte disproportionnée au droit des deux plaignantes de librement manifester leur religion. Ce comité n’étant pas une juridiction, ses avis ne sont pas des condamnations et n’ont pas d’effet obligatoire.
La loi du 11 octobre 2010 a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. S’appuyant sur les articles IV, V et X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et sur le Préambule de la Constitution de 1946 en ce qu’il garantit l’égalité entre les femmes et les hommes, le Conseil constitutionnel a estimé que la loi de 2010 apportait une conciliation équilibrée entre liberté religieuse et protection de l’ordre public.
La Cour européenne des droits de l’homme elle-même en formation plénière a estimé en 2014 que cette loi était conforme à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où la préservation des conditions du vivre ensemble était un objectif légitime, qui permettait d’interdire le voile intégral.
Certains, je le sais, ont pu s’interroger sur le sens de cette loi ; je veux redire ici que c’est une loi qui protège les femmes, qui protège l’espace public et qui nous aide à faire de la société française une société plus pacifiée et plus respectueuse de chacun. (Mme Catherine Troendlé approuve.)
Bien sûr, toute personne est libre de porter dans l’espace public un vêtement destiné à manifester une conviction religieuse. Toutefois, la loi peut interdire la dissimulation du visage, dans la mesure où cela est jugé incompatible avec les principes de sécurité et de fraternité qui fondent la société démocratique dans laquelle nous vivons. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
utilisation des fonds du livret de développement durable et solidaire
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Guillaume Gontard. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Il y a dix mois, à l’occasion du One Planet summit, votre collègue ministre de l’économie et des finances promettait que « désormais, chaque euro placé dans un livret de développement durable et solidaire – LDDS – centralisé à la Caisse des dépôts sera[it] associé à un projet contribuant effectivement à la transition énergétique ou à la réduction de l’empreinte climatique de notre modèle économique ».
C’est un engagement très fort. Nous nous interrogeons toutefois sur sa mise en œuvre.
Au lendemain de la publication de l’alarmant rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur le climat, le GIEC, ATTAC publiait une pétition invitant le Gouvernement à exclure les 200 entreprises les plus polluantes du champ des investissements financés par les fonds du LDDS via la Caisse des dépôts et consignations.
En effet, le fonds d’épargne qui gère 60 % des 100 milliards d’euros d’encours épargnés au titre du LDDS est actionnaire d’entreprises pétrolières, minières ou automobiles : un comble ! En fait, sur ce montant, seulement 10 milliards d’euros sont effectivement consacrés à la transition énergétique, et encore uniquement à la rénovation thermique du bâti ancien, seul cas de figure prévu par la loi.
Pis encore, nous n’avons aucune information, ou presque, sur les 40 milliards d’euros gérés directement par les banques. Elles doivent pourtant publier un rapport annuel précisant l’utilisation de cette épargne. Cette publication indigente, que l’on n’ose appeler « rapport », tient en une page. (De nombreux sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste brandissent ce document.) Pourquoi diable exclure ces fonds du champ d’action ? Chaque épargnant doit être informé de manière détaillée de l’utilisation de son argent. Soyons clairs avec les 24 millions de Français détenteurs d’un très mal nommé livret de développement durable et solidaire : non seulement leur argent finance très peu la transition écologique, mais il finance parfois le réchauffement climatique !
Le défi à relever par le Gouvernement est donc colossal. Il faudrait changer la loi pour inclure dans le dispositif le financement de toute la transition énergétique, notamment via les collectivités locales. Il faudrait également contrôler drastiquement les activités boursières du fonds d’épargne et répondre favorablement à l’interpellation d’ATTAC.
M. le président. Et conclure !
M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre d’État, comment le Gouvernement compte-t-il instaurer un livret d’épargne écologique digne de ce nom, et ainsi donner corps à la promesse du ministre de l’économie et des finances ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Ronan Dantec et Joël Labbé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Gontard, conformément aux engagements que le Gouvernement a pris lors du dernier Climate finance day, en décembre 2017, la collecte du livret de développement durable et solidaire centralisée au sein du fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations sera affectée au financement de projets ayant un impact positif sur le climat.
Pour mémoire, le fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations centralise aujourd’hui 60 % de la collecte du livret A, soit 170 milliards d’euros, et, au titre du livret de développement durable et solidaire, 60 milliards d’euros destinés à financer de manière prioritaire la construction et la rénovation de logements sociaux selon les normes environnementales en vigueur.
La centralisation de ces dépôts a ainsi permis au fonds d’épargne de financer ce secteur à hauteur de 160 milliards d’euros, tandis que les actifs financiers qu’il détient – ce ne sont pas que des actions, il y a également des obligations, par exemple –, qui ont vocation à assurer sa liquidité, sont gérés selon les principes de l’investissement responsable au regard de la transition écologique et énergétique.
Par ailleurs, sachez que les prêts « verts » financés via l’épargne réglementée ont représenté un encours de 3,1 milliards d’euros en 2017, et ont ainsi très largement dépassé la collecte du livret de développement durable et solidaire centralisée à la Caisse des dépôts et consignations. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
relations avec l’arabie saoudite (affaire khashoggi)
M. le président. La parole est à M. Michel Boutant, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Michel Boutant. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
La disparition, le 2 octobre dernier, du journaliste d’origine turque Jamal Khashoggi a déclenché une véritable onde de choc dans le monde.
Il y a tout d’abord les conditions de cette disparition : au sein du consulat saoudien à Istanbul et, si l’on en croit le président turc Erdogan, il s’agirait d’un assassinat particulièrement sordide.
Au-delà de ces circonstances et de cette brutalité qui choquent, il ne s’agit pas simplement d’un fait divers. J’en veux pour preuve l’adresse du président Erdogan au parlement turc, les déclarations du président Trump, celles des responsables européens, le retrait d’un certain nombre de grands investisseurs du monde entier du sommet de Riyad, mais aussi le déplacement plus discret de la directrice de la CIA en Turquie et les rencontres entre Mohammad ben Salmane, personnage central de cette affaire, et le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, et le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin.
Les déclarations des responsables européens amèneront ma première question. La chancelière allemande appelle à cesser l’exportation des armes vers l’Arabie saoudite, qui –faut-il le rappeler ? – conduit une guerre meurtrière au Yémen. Comment la France, qui depuis 2008 a exporté pour 11 milliards d’euros d’armes en Arabie saoudite, considère-t-elle cette déclaration de l’Allemagne ? Quelques mois avant les élections au Parlement européen, l’Europe ne donne-t-elle pas une image de plus de sa désunion ?
Plus largement, car on voit bien que cette affaire dépasse ses protagonistes, comment notre pays voit-il la sortie de ce qui pourrait être une crise déstabilisatrice ? La Turquie, héritière de l’Empire ottoman, n’est-elle pas en train de faire monter la pression en distillant les informations à petites doses ? Que cherche-t-elle à obtenir des Américains, des Saoudiens ? La domination du monde musulman sunnite, par le rétablissement du califat ? La realpolitik ne va-t-elle pas finalement reprendre le dessus, les importations de pétrole saoudien et les exportations d’armement valant bien plus que la vie d’un homme que l’on dit par ailleurs proche des Frères musulmans et de Ben Laden ?
M. le président. Il faut conclure !
M. Michel Boutant. De plus, la realpolitik, toujours elle, ne va-t-elle pas pousser à un statu quo pour éviter que l’Arabie Saoudite ne soit affaiblie face à l’Iran et ne se tourne vers d’autres puissances ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur Boutant, je vous prie de bien vouloir excuser le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, qui est en déplacement au Mexique.
Vous l’avez fort bien rappelé, il s’agit, avec l’affaire Khashoggi, du meurtre, dans une enceinte diplomatique, d’un journaliste saoudien contributeur régulier à la presse internationale. Ce crime constitue de surcroît une grave atteinte à la liberté de la presse et aux droits les plus fondamentaux. Vous avez raison de souligner qu’il ne s’agit pas d’un simple fait divers. Cet événement d’une extrême gravité suscite à juste titre l’indignation de la communauté internationale et appelle, de la part des autorités saoudiennes, une réponse transparente et exhaustive.
C’est ce que la France et ses partenaires ont demandé à l’Arabie saoudite. C’est l’objet de nos entretiens avec nos homologues saoudiens à tous les niveaux, y compris entre le Président de la République et le roi Salmane, hier, et entre le ministre des affaires étrangères et les autorités saoudiennes.
Les autorités saoudiennes ont reconnu le caractère de « meurtre » s’attachant à la mort de M. Khashoggi. Cependant, elles n’ont pas encore, à ce jour, établi les circonstances exactes de cette mort ni les responsabilités engagées.
La France demande que les enquêtes qui sont diligentées fassent toute la lumière sur la manière dont un tel meurtre a pu être commis. Nous l’attendons de l’Arabie saoudite. Nous avons avec ce pays une relation politique et stratégique forte, fondée sur des intérêts communs, qui crée aussi des attentes, notamment en matière de respect des droits de l’homme : nous vérifierons qu’elles sont bien prises en compte. Nous le devons d’abord à la famille et aux proches de M. Khashoggi.
La France n’hésitera pas à prendre, en lien avec ses partenaires – comme vous l’avez souligné, il ne saurait y avoir, dans ce domaine, d’action isolée –, des sanctions internationales contre les coupables. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Jérôme Bignon. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
L’époque est marquée par des phénomènes dont la fréquence et l’ampleur suscitent chez nos concitoyens des interrogations et des craintes, voire des peurs, auxquelles les pouvoirs publics doivent répondre.
Par sa violence dévastatrice et meurtrière, le phénomène cévenol – probablement lié au dérèglement climatique – qui s’est abattu sur l’Aude amène nos compatriotes à s’interroger sur notre capacité à prévenir et à prendre en charge ces risques. Il en va de même de la collision de deux navires au large de la Corse, liée à la maritimisation du monde – 12 000 navires transitent chaque année par le canal de Corse.
Je suis convaincu que, dans les deux cas, tous les services publics concernés, spécialement la marine nationale en Méditerranée, ont fait leurs meilleurs efforts. Pour avertir et donc prévenir, tout d’abord : dans un cas, l’alerte aux navires a été lancée par le CROSS, le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage de La Garde, quarante minutes avant la collision ; dans l’autre, l’alerte rouge a été lancée par Météo France. Pour prendre en charge, ensuite : en Méditerranée, le pompage sur site, la mise en place de barrages, la désincarcération des navires ont permis d’éviter une énorme marée noire ; dans l’Aude, des centaines de victimes ont été secourues et mises en sûreté. Pour réparer les dégâts, enfin : en Méditerranée comme dans l’Aude, il y faudra du temps et beaucoup d’argent.
De la lecture des dépêches et des déclarations diverses, il ressort, me semble-t-il, que, dans les deux cas, l’engagement pour prévenir et prendre en charge a été total et efficace. Ma question pourra donc vous paraître paradoxale malgré sa simplicité, monsieur le ministre d’État : dans les deux cas, Méditerranée et Aude, peut-on faire mieux pour la prévention et disposera-t-on de suffisamment de moyens pour réparer ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Bignon, les deux phénomènes que vous venez d’évoquer, s’ils n’ont aucun lien, illustrent les risques auxquels nos concitoyens sont exposés.
Le Premier ministre et moi-même nous sommes rendus dans l’Aude dès le lundi 15 octobre, dans les heures ayant suivi ce drame qui a fait un grand nombre de victimes. Nous avons pu constater par nous-mêmes l’ampleur des dégâts, mais aussi la mobilisation, que vous avez saluée à juste titre, de tous les services de l’État, des communes et du département. Nous avons échangé avec les élus qui, depuis des années, prennent des mesures. Des leçons ont été tirées de la dernière catastrophe de 1999, des moyens ont été mis en œuvre pour protéger les populations. Dans l’Aude, près de 100 millions d’euros ont ainsi été investis, financés à 50 % par l’État et à 50 % par les collectivités locales.
Il faudra continuer à anticiper les effets du dérèglement climatique. Le phénomène des pluies cévenoles ou des pluies méditerranéennes, qui touche aussi la côte dans son ensemble, existait certes avant le dérèglement climatique, mais il est à craindre qu’il ne s’aggrave et devienne plus fréquent.
Concernant l’accident totalement incroyable qui s’est produit au large de la Corse et la pollution maritime qui s’est ensuivie, je me suis également rendu en Corse, dès le lendemain, puis dans le Var. J’ai pu constater que là aussi les moyens de l’État étaient mobilisés. Je tiens à saluer l’engagement des agents publics et des bénévoles pour lutter contre la pollution. Nous prenons des mesures supplémentaires et, s’il le faut, nous agirons pour modifier le droit maritime international afin de mieux protéger les populations contre ces risques. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
situation de l’économie
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Vaspart. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
La suppression de la taxe d’habitation, que personne n’a demandée, représenterait un manque à gagner de 26,3 milliards d’euros en 2020. Le Gouvernement reprend dans le même temps cet argent aux Français en créant et en augmentant d’autres taxes, qui affectent la grande majorité de nos concitoyens : annonce de la création de la vignette poids lourds, hausse de la fiscalité dite écologique par le relèvement de la taxe sur les carburants – le diesel augmentera à nouveau de 6,5 centimes en 2019, et l’essence de 2,9 centimes –, durcissement de la taxe sur les véhicules polluants, hausse insupportable pour les entreprises du bâtiment et des travaux publics – vous avez épargné les secteurs agricole et ferroviaire, mais pour combien de temps ? – du prix du gazole non routier avec la fin du taux réduit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE. La taxe générale sur les activités polluantes doit aussi augmenter.
La fiscalité écologique devrait rapporter 15 milliards d’euros. Aux yeux du Gouvernement, ce n’est pas encore suffisant. Cependant, monsieur le Premier ministre, c’est beaucoup trop pour la très grande majorité de nos concitoyens, qui ont besoin d’utiliser leur véhicule au quotidien, tout simplement pour vivre et travailler. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
En un an, le prix du gazole a augmenté de 25 %. Les taxes « vertes » servent surtout à alimenter le budget général de l’État. Dès lors, on peut s’interroger : les impôts payés au titre de la fiscalité écologique sont-ils bien utilisés à des fins environnementales ?
La France est l’un des pays occidentaux les moins pollueurs, mais les Français sont parmi les plus taxés. L’impôt est efficace quand il est juste. Les Français sont saturés de la fiscalité « verte » car elle devient punitive ! Monsieur le Premier ministre, les Français n’en peuvent plus : quand allez-vous réellement faire des économies au niveau du fonctionnement de l’État et en finir avec ces hausses et créations de taxes ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur Vaspart, vous considérez que la suppression de la taxe d’habitation, d’abord pour 80 % des ménages d’ici à 2020, puis pour la totalité d’entre eux d’ici à 2022, peut être un facteur d’inquiétude pour les collectivités territoriales. Avec Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu, nous travaillons actuellement, sous l’autorité du Premier ministre, à la préservation des recettes et des dotations des collectivités territoriales. (M. Philippe Dallier s’exclame.)
Nous avons mis en place un dégrèvement qui constitue une garantie absolue de compensation pour les communes comme pour les intercommunalités pendant la phase transitoire. Ensuite, nous construirons un modèle fiscal qui, conformément à ce qu’a dit le Président de la République devant le congrès des maires de France voilà bientôt un an, garantira des recettes justes, durables et pérennes aux collectivités, leur permettant de faire face à leurs missions.
Vous avez également évoqué, monsieur le sénateur, la fiscalité écologique.
Aujourd’hui, le prix de l’énergie fossile augmente pour deux raisons, liées l’une au cours de l’énergie, l’autre à l’évolution de la fiscalité écologique, que nous assumons. Sur une augmentation du prix du gazole de 25 centimes d’euro, de 7 à 8 centimes sont imputables à des choix opérés en matière de fiscalité. Ces choix de transition sont nécessaires. Nous les accompagnons au mieux,…
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas vrai !
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. … avec l’augmentation et la généralisation du chèque énergie, avec la prime de conversion, pour permettre à un maximum de Français d’acquérir des véhicules moins polluants, avec la volonté de réaliser des économies d’énergie, parce que l’énergie la moins polluante est encore celle que l’on ne consomme pas.
Nous mettons en place des dispositions pour accompagner la transition écologique et assumons le caractère impopulaire de certaines d’entre elles, car il est absolument nécessaire de conduire cette transition pour limiter le réchauffement climatique et tenir les engagements de la COP21, tout en protégeant au mieux le pouvoir d’achat des Français. À cet égard, je souligne que nous portons une attention particulière au pouvoir d’achat des plus fragiles, au travers notamment de la revalorisation des minima sociaux et du chèque énergie. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
sécheresse persistante
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Marie Mizzon. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation et concerne la sécheresse qui sévit actuellement en de nombreux points de l’Hexagone.
Monsieur le ministre, une grande partie du territoire souffre d’une sécheresse persistante. Ce phénomène climatique de grande ampleur a des conséquences multiples, telles que d’importants mouvements de terrain provoquant des fissures impressionnantes sur nombre de constructions.
La sécheresse est également dramatique pour nos agriculteurs et nos éleveurs. Les éleveurs, notamment, n’ont plus de trésorerie, et la saison prochaine est déjà compromise.
Dans la course vitale qui s’engage pour préserver leur avenir, il est impératif que le Fonds national de gestion des risques en agriculture traite au plus vite les dossiers d’indemnisation des pertes subies au titre des calamités agricoles présentés par les départements ayant d’ores et déjà engagé une procédure en ce sens, puis effectue les paiements dans les meilleurs délais.
Dans le même temps, il conviendrait, au regard de l’ampleur de la catastrophe, de retenir le principe d’un dégrèvement collectif de la taxe sur le foncier non bâti à hauteur des taux de pertes fourragères, établis par les comités d’expertise des calamités agricoles.
Monsieur le ministre, ma question est simple : le Gouvernement est-il prêt à entendre ces demandes, qui ne visent, au demeurant, qu’à la juste réparation d’un préjudice certain ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question, qui est vraiment d’actualité. Comme toujours, en cas d’aléas climatiques, les premiers touchés sont, outre les habitants, les agriculteurs.
Le Gouvernement et le Premier ministre ont pris pleinement la mesure de la situation. Je me rendrai demain dans la Meuse et dans les Vosges pour faire le point et rencontrer les acteurs locaux.
Le Premier ministre et le Gouvernement ont d’ores et déjà décidé un dégrèvement de taxe sur le foncier non bâti pour venir en aide aux agriculteurs et aux éleveurs concernés. La semaine dernière, nous avons engagé une discussion au niveau européen. Au titre de la PAC, 4,3 milliards d’euros d’avance, soit 70 % du montant total, viennent d’être versés à l’ensemble des agriculteurs et des éleveurs, pour donner une bouffée d’air à leur trésorerie. Les comptes ont déjà été crédités.
Cependant, les stocks de fourrage sont déjà entamés. C’est un vrai sujet. Nous avons pris la décision de réunir le comité des calamités agricoles à la fin du mois de novembre prochain, puis à la fin du mois de janvier 2019, afin que tous les dossiers puissent être étudiés dans le délai le plus court possible.
Cet après-midi, le Premier ministre a organisé une réunion interministérielle à Matignon pour faire le point. Tous les préfets ont fait remonter l’état de la situation, département par département. Nous souhaitons qu’une solidarité nationale, interrégionale puisse se mettre en place. Nous interpellerons les chambres d’agriculture, car on a constaté une spéculation énorme en matière de transport de fourrage. Nous voulons, dans l’esprit de la loi ÉGALIM pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, que les agriculteurs et les éleveurs de ce pays bénéficient d’un revenu décent. Nous allons tâcher d’y contribuer ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le ministre, vous êtes un homme nouveau (Exclamations amusées.), non pas en politique, certes, mais au Gouvernement ; à ce titre, vous n’avez ni passé ni passif. Je n’ai donc aucune raison de douter de votre bonne foi. Cependant, la volonté que vous manifestez est-elle sincère ? Est-elle forte ? Je vous invite à méditer cette belle phrase de Gustave Le Bon : « Les volontés précaires se traduisent par des discours, les volontés fortes par des actes. » À bientôt, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
impact du prix de l’énergie sur l’industrie
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour le groupe La République En Marche.
M. Bernard Cazeau. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire
Monsieur le ministre d’État, au travers du budget, le Gouvernement fait du redressement industriel du pays l’axe essentiel de sa politique économique.
Pour autant, sur le terrain, nombre de réorganisations industrielles en cours méritent une attention spécifique des pouvoirs publics, notamment celles qui relèvent essentiellement du coût de l’énergie.
Il en va ainsi des papeteries de Condat, en Dordogne. Premier employeur privé du département, ce site industriel moderne produit annuellement plus de 400 000 tonnes de papier couché de grande qualité et emploie plus de 500 salariés. Il réalise un chiffre d’affaires de l’ordre de 300 millions d’euros.
La compétitivité du site est aujourd’hui grevée par le coût élevé de l’approvisionnement énergétique, qui constitue 30 % des coûts de production, dans un contexte de marché très fortement concurrentiel et de réduction depuis plusieurs années des débouchés de la production papetière.
Jusqu’en 2013, le site bénéficiait de conditions préférentielles de rachat de son électricité, ensuite supprimées par le gouvernement de l’époque, qui ne voulait plus subventionner les produits carbonés. Cette décision fut prise sans se référer aux politiques publiques d’aides menées par nos voisins en Europe. Récemment, un projet de chaudière biomasse présenté par l’entreprise n’a pas été retenu par l’État au titre des aides directes à la production énergétique.
Aujourd’hui, il est nécessaire que la transition énergétique de cette entreprise soit accompagnée, d’autant qu’elle veut mettre en œuvre, sur l’une de ses lignes de production, un projet industriel parallèle plus rentable, qui lui permettra de résoudre l’équation de sa compétitivité à moyen et long termes.
Monsieur le ministre d’État, c’est aujourd’hui l’ensemble du bassin économique du Terrassonnais et, plus globalement, du Périgord qui attend de votre part une action à la mesure de la gravité de l’enjeu. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, Condat est effectivement le premier employeur privé de Dordogne. L’attention de tous est mobilisée pour préserver l’emploi et l’activité industrielle sur ce site.
L’appel d’offres de cogénération par la biomasse que l’État a lancé en 2016 n’a pu aboutir, car les solutions qui ont été présentées se sont révélées beaucoup trop chères pour le budget de l’État. Nous privilégions désormais plutôt la biomasse pour la génération de chaleur.
Néanmoins, d’autres solutions économiques et énergétiques sont à l’étude pour le site du Lardin-Saint-Lazare et pour soutenir la diversification vers la production d’étiquettes adhésives. Comme vous le savez, l’État et les collectivités locales sont prêts à soutenir un projet. De nombreux contacts sont en cours. Les élus ont été reçus à l’Élysée le 16 octobre et le dirigeant de l’entreprise l’a été à Matignon le 19 octobre. La prochaine réunion aura lieu avec la direction générale de l’énergie et du climat du ministère de la transition écologique et solidaire d’ici à la fin du mois d’octobre. Nous saluons l’esprit de responsabilité des parties prenantes à ces discussions, y compris les salariés.
Enfin, l’actionnaire principal, le fonds britannique CVC, présent au capital depuis 1998 et qui investit chaque année près de 3 milliards d’euros dans un portefeuille d’investissement privé, devra prendre sa part pour que la solution soit viable. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
ascoval et politique industrielle
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Martine Filleul. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Aujourd’hui, les 281 salariés de l’aciérie Ascoval de Saint-Saulve, dans le Nord, et, avec eux, plus de 1 000 emplois indirects dans les entreprises des Hauts-de-France sont au bord du précipice.
L’avenir de ce fleuron de la sidérurgie française, laquelle n’en compte plus beaucoup, est en jeu. La justice a accordé à Ascoval, placée en redressement judiciaire, deux semaines de sursis supplémentaires pour trouver un repreneur. Il ne faudrait pas que ce soient deux semaines pour rien !
Le groupe Vallourec, qui détient 40 % de l’usine, refuse d’apporter le soutien financier demandé par Altifort, candidat à la reprise. Or, sans Vallourec, personne n’accepte de s’engager. Les deux groupes s’écharpent sur les chiffres, le coût de revient ou la productivité des équipes. Or ce n’est pas de coûts ou de chiffres qu’il s’agit, mais de femmes et d’hommes, de vies entières consacrées depuis des générations à cette usine dont l’avenir est désormais suspendu au bon vouloir des actionnaires !
L’État fait partie de ces derniers, puisqu’il détient 15 % du capital de Vallourec. Il lui incombe donc de prendre toutes ses responsabilités, de trouver des financements, de soutenir ces emplois.
Monsieur le Premier ministre, madame la secrétaire d’État, où est la cohérence entre vos paroles et vos actes, quand vous déclarez la lutte contre le chômage tout en abandonnant les salariés ? Je vous le demande au nom de tous ces salariés, de leurs familles, de tous les élus. Pourquoi refusez-vous de mettre les moyens nécessaires au sauvetage de cette entreprise ? Toute politique industrielle en France est-elle abandonnée au profit de la start-up nation, un modèle qui promeut le chacun pour soi ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur la politique industrielle du Gouvernement et le devenir du site Ascoval. Permettez-moi d’abord d’adopter une perspective large, pour rappeler quelques éléments factuels.
Je constate que l’année 2017 a été marquée par une progression de l’emploi manufacturier – une première depuis dix ans –, que la production industrielle a augmenté de 1,6 % entre août 2017 et août 2018, que l’investissement poursuit sa progression – de l’ordre de 3,1 % par an en moyenne sur les cinq dernières années.
Mme Éliane Assassi. Et alors ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Notre politique industrielle est avant tout une politique de reconquête industrielle pour créer les emplois de demain. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Il ne s’agit pas que de la start-up nation que vous avez évoquée : cela passe par l’accompagnement de la transformation numérique des entreprises industrielles. Financer l’impression 3D ou encore les robots à commande numérique, c’est préparer l’avenir ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Répondez à la question !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Ce projet est étayé par un plan de 500 millions d’euros dans le cadre du programme d’investissements d’avenir, avec l’octroi d’un suramortissement pour l’investissement dans les machines de l’industrie du futur. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, qui couvrent la voix de l’oratrice.)
M. Rachid Temal. Et Ascoval ?
M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Cette politique passe également par le développement de projets ambitieux dans les filières stratégiques et porteuses d’avenir.
Ascoval, c’est 280 emplois, Vallourec 2 800 emplois en France. (Et alors ? sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.) Vallourec a perdu 300 millions d’euros au premier semestre. Il convient d’aborder ce dossier de manière responsable, de s’assurer que le seul projet de reprise qui soit aujourd’hui sur la table après que l’État a approché plus d’une centaine de repreneurs potentiels tient la route. Je constate que, dans ce dossier, le repreneur entend investir 10 millions d’euros, alors qu’il y a plus de 150 millions d’euros à financer.
Je rappelle qu’il faut pouvoir prouver que le dossier est acceptable du point de vue du droit de l’Union européenne : pour chaque euro public, il faut qu’un euro privé soit apporté. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Il faut conclure, madame la secrétaire d’État !
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Permettez-moi d’instruire ce dossier avec responsabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Huées sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
violences en milieu scolaire
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Les événements inadmissibles qui se sont déroulés au lycée Édouard-Branly de Créteil ont débouché sur une libération de la parole des professeurs, au travers de la campagne #PasDeVague.
« Pas de vague », depuis des années, c’est l’injonction adressée à des professeurs bâillonnés par une hiérarchie paralysée par la peur du scandale.
« Pas de vague », c’est la seule réponse donnée aux enseignants confrontés aux incivilités, aux insultes et aux violences.
Il aura fallu la diffusion sur internet d’une vidéo pour que les professeurs commencent à être entendus. Vous qui vous présentez comme le « ministre des professeurs », vous qui parlez d’« école du respect », vous ne pouvez plus tolérer, comme ce fut longtemps prôné, que la parole de l’élève vaille celle du maître, que ce soit uniquement au maître de respecter l’élève, que le concept d’autorité soit relativisé au sein même de l’école.
Désormais, il faut des actes. Quels moyens humains et quel arsenal de sanctions comptez-vous donner aux chefs d’établissement ? Comment comptez-vous agir pour redonner confiance à des professeurs démoralisés et rendre le métier de nouveau attractif ? Allez-vous enfin enterrer une école de pensée qui, de Bourdieu à Meirieu, a fini par affaiblir gravement l’école de la République ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Bruno Retailleau applaudit.)
Monsieur le ministre, depuis que vous êtes arrivé au Gouvernement, la parole a évolué. Mais il est désormais temps que, sur le terrain, les professeurs, les parents, les élèves voient un changement et qu’un terme soit mis à un laxisme qui n’a que trop duré ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Max Brisson, je vous remercie de cette question sur un sujet extrêmement important.
Les événements de la semaine dernière ont, à juste titre, ému la France entière. Je veux d’abord exprimer ma profonde empathie à l’égard non seulement de la professeur qui en a été victime, mais aussi de l’ensemble des professeurs de France et des personnels de l’éducation nationale. En effet, ils sont trop souvent victimes de faits de violence – en général moins graves que ceux de la semaine dernière, heureusement – et peuvent se sentir insuffisamment soutenus par l’institution et, au-delà, par la communauté nationale.
Lorsque j’ai dit, en prenant mes fonctions, que j’étais le ministre des professeurs, la formule n’était pas forcément très populaire. Aujourd’hui, je pense qu’elle peut faire l’unanimité, parce que tout le pays comprend désormais qu’il faut soutenir les professeurs.
Depuis dix-sept mois, je n’ai pas fait que parler : j’ai également agi. Beaucoup a déjà été accompli. À peine entré en fonctions, j’ai déclaré mon refus du « pas de vague ». Tous les chefs d’établissement, tous les directeurs départementaux en ont tenu compte. Nous avons rétabli l’ordre dans plusieurs établissements : je pense au cas, bien connu, du lycée Joseph-Gallieni de Toulouse, mais ce n’est pas le seul.
Dès mon arrivée au ministère, nous avons créé une cellule dédiée aux questions de sécurité. Cette cellule, dirigée par un préfet, a permis d’intervenir dans les établissements que je viens d’évoquer. Nous tiendrons demain une réunion avec le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, en vue de l’installation du comité stratégique sur la sécurité des établissements. Cette instance nous permettra d’élaborer, avec la ministre de la justice, une démarche en tenant compte de ce qui se passe non seulement dans la classe – toute une série de mesures tendant à conforter l’autorité du professeur seront prises –, mais aussi à l’échelle de l’établissement et autour de celui-ci.
De fait, bien des chantiers doivent encore être ouverts, mais, en un an et demi, nous avons progressé sur le sujet,…
M. Bruno Retailleau. Avec quelles solutions ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. … alors que beaucoup de choses n’avaient pas été faites pendant des années. Monsieur le sénateur, en tant qu’inspecteur général de l’éducation nationale, vous savez de quoi je parle !
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Il est paradoxal que l’on nous reproche aujourd’hui d’avoir insuffisamment avancé en un an et demi, quand rien n’avait été fait auparavant ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Monsieur le ministre, pour lutter contre la violence à l’école, nous n’avons pas besoin d’un énième comité stratégique ! Notre école a besoin de professeurs respectés, elle a besoin d’autorité. Incarnez l’autorité, monsieur le ministre, non seulement en paroles, mais aussi en actes ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
taxes sur le gazole non routier
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Claude Luche. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Cette semaine, le prix du litre de diesel à la pompe s’établit dans notre pays à 1,60 euro. Se déplacer devient aujourd’hui un véritable luxe, notamment dans les départements ruraux. Comme si cela ne suffisait pas, monsieur le ministre, vous défendez, au travers du projet de loi de finances pour 2019, la suppression du taux réduit pour la taxe sur le gazole non routier. Cette mesure n’est assortie d’aucune progressivité ni d’aucune anticipation, pour les particuliers comme pour les entreprises. Elle touche notamment les outils de travail des entreprises du bâtiment et des travaux publics.
Disons-le très franchement, les grosses entreprises survivront toujours. Mais quid des plus petites ? Ce sont elles qui emploient le plus de salariés dans la plupart des territoires, tel mon département, l’Aveyron. Eh oui, monsieur le ministre, l’artisanat est la première entreprise de France ! Ses entreprises font vivre des populations qui habitent nos départements et qui consomment sur place. C’est tout un tissu économique local, qui représente beaucoup d’emplois non délocalisables.
L’argument de la lutte contre la pollution est difficilement audible. Pour construire une maison, une route, un immeuble, il faudra toujours recourir à la même énergie. Dans le même temps, les carburants maritimes et le kérosène des avions, très polluants, continueront de bénéficier du tarif réduit… Dénonçons la petite pollution émise près de chez nous, mais surtout pas celle produite par les centrales à charbon des autres pays ou par les transports maritime et aérien !
Monsieur le ministre, comment comptez-vous compenser, pour ces entreprises, l’augmentation des charges pesant sur le gazole non routier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Luche, vous et moi avons une certaine expérience politique. Pendant des années, nous avons entendu déplorer que l’on n’en fasse pas assez pour lutter contre le changement climatique ! (Murmures sur des travées du groupe Les Républicains.) Combien de discours sur la nécessité de donner un prix aux émissions de carbone n’ai-je pas entendus ! Tout le monde est d’accord sur les principes, mais quand il s’agit de voter la création d’une fiscalité sur le carbone, c’est-à-dire sur les carburants, il y a déjà moins de monde.
M. Julien Bargeton. Exactement !
M. François de Rugy, ministre d’État. Mais, lorsqu’il s’agit de défendre des dispositions qui ont déjà été mises en œuvre, il n’y a plus personne ! Une ancienne ministre de l’écologie a même renié son engagement passé… (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.) Je connais la musique !
Nous assumons de mener une politique de transformation des comportements en matière d’utilisation de l’énergie. Nous avions annoncé la couleur au travers du budget voté l’année dernière, une trajectoire sur cinq ans ayant été définie.
Nous assumons également de faire ce qu’ont prôné de nombreux parlementaires sous plusieurs législatures, à savoir supprimer progressivement un certain nombre de niches fiscales anti-écologiques, telles que celle dont bénéficiait le gazole non routier.
Nous assumons de baisser les taxes sur le travail et sur les entreprises et d’augmenter celles sur les émissions de carbone.
Pour ce qui concerne les PME, elles bénéficieront des mesures de la loi PACTE, comme elles ont bénéficié des mesures fiscales déjà votées pour les entreprises et pour les salariés. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Cela, c’est du concret !
De la même façon, nous assumons nos décisions en matière de fiscalité écologique ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. La perspective du prochain Brexit, dont les contours sont encore très incertains, suscite de vives inquiétudes chez les acteurs de l’économie portuaire.
Sans solutions anticipées, le rétablissement des barrières douanières et des formalités requises pour le transit des produits phytosanitaires ou d’origine animale risque d’entraver fortement la circulation des marchandises. La rapidité et la simplicité des démarches administratives sont essentielles pour fluidifier le trafic et garantir un modèle économique portuaire concurrentiel.
Après l’entrée en vigueur du Brexit, le Royaume-Uni sera considéré comme un pays tiers. Toutes les marchandises en sa provenance seront soumises à des contrôles douaniers. Les produits phytosanitaires et d’origine animale feront, en outre, l’objet d’une procédure de déclaration spécifique. Ces formalités mobiliseront des personnels des services vétérinaires et phytosanitaires supplémentaires.
L’alourdissement des formalités, l’allongement des délais et la mobilisation d’espace foncier vont peser fortement sur l’équilibre économique du transport des marchandises. Sans anticipation, les ports normands, comme ceux du Havre et de Dieppe, seront fortement touchés.
Ma question est simple : quelles mesures le Gouvernement entend-il adopter pour faciliter les échanges maritimes, notamment pour les produits phytosanitaires et d’origine animale ? Comment compte-t-il financer les investissements nécessaires à la mise en œuvre de ces nouvelles procédures ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.
M. Marc Fesneau, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Canayer, les discussions entre le négociateur européen et le Royaume-Uni n’ont malheureusement pas permis, à ce stade, d’aboutir à un accord sur l’ensemble des modalités de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Les négociations ont, de nouveau, principalement achoppé sur la question irlandaise. Notre objectif, sur ce point, est de trouver une solution conforme à ce que l’on appelle le Good Friday agreement, permettant d’éviter le rétablissement d’une frontière au sein de l’Irlande et, en même temps, de ne pas porter atteinte à l’intégrité du marché unique européen. Cette solution doit encore être trouvée avec les Britanniques, qui, pour l’heure, ont rejeté les propositions européennes.
Dans ce contexte, les chefs d’État et de Gouvernement ont réaffirmé leur confiance dans le négociateur européen, leur volonté de rester unis dans cette négociation et la pertinence du mandat donné à Michel Barnier. Cette solidité de l’ensemble des partenaires européens sur un sujet aussi important est précieuse.
Ils ont indiqué, en outre, qu’un conseil européen extraordinaire pourrait être convoqué à tout moment si des progrès décisifs étaient réalisés avant le conseil européen du mois de décembre prochain.
Nous gardons confiance dans la négociation, mais, comme vous l’avez souligné, madame la sénatrice, l’urgence est bel et bien là. En effet, compte tenu des contraintes de ratification par le Parlement européen et par le Parlement britannique, la solution doit être trouvée très rapidement. Des choix politiques lourds doivent être opérés par les autorités britanniques. Les incertitudes qui pèsent sur l’issue des négociations soulignent plus que jamais la nécessité de nous préparer à toutes les éventualités, y compris celle de l’absence d’un accord : c’est notre responsabilité.
C’est la raison pour laquelle le Parlement a été saisi d’un projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter par ordonnances les mesures propres à nous préparer au Brexit, en particulier celles que rendrait nécessaires l’absence d’un accord, sur les sujets du droit au séjour et du droit au travail des ressortissants britanniques sur le territoire français, de la situation des Français entrant au Royaume-Uni ou de l’aménagement des infrastructures de contrôle aux frontières.
À vous qui êtes particulièrement concernée par le Brexit, je veux enfin signaler, madame la sénatrice, que le Gouvernement a décidé de nommer un coordonnateur pour étudier, port par port, les situations et les difficultés qui pourraient être rencontrées et les solutions à apporter dans la perspective du Brexit. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. Je vous remercie, monsieur le ministre. Les enjeux sont énormes. Ils doivent être considérés à leur juste mesure et anticipés. En 2017, 4,4 millions de camions ont traversé la Manche. Un allongement de deux minutes du temps de dédouanement entraînera des kilomètres de bouchons et des heures d’attente ! À défaut d’anticipation, c’est le modèle de l’économie portuaire dans son ensemble qui sera mis à mal.
La situation des ports est une urgence nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
culture
M. le président. La parole est à M. Alain Schmitz, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Schmitz. Ma question s’adresse à M. le ministre de la culture.
Compte tenu des contraintes budgétaires qui pèsent sur l’État et les collectivités territoriales, le recours à une combinaison de financements publics et privés est devenu indispensable pour assurer la pérennité des projets culturels et éviter que leurs acteurs ne soient trop exposés aux conséquences brutales du retrait de certains de leurs financeurs. C’est vrai pour le spectacle vivant, les arts plastiques, les musées, ainsi que pour la préservation du patrimoine, domaine dans lequel les besoins de financement sont particulièrement criants, comme en témoignent les conclusions de la mission confiée par le Président de la République à Stéphane Bern il y a quelques mois.
Pour avoir été le rapporteur d’une mission d’information sur ce sujet mise en œuvre par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, je m’inquiète des menaces qui planent aujourd’hui sur notre dispositif fiscal en matière de mécénat.
Mme Catherine Morin-Desailly. Très bien !
M. Alain Schmitz. En effet, le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale a présenté un amendement visant à plafonner à 10 millions d’euros les sommes éligibles à la réduction d’impôt au titre du mécénat d’entreprise. Il l’a ensuite retiré ; c’est heureux, car l’adoption de telles dispositions aurait pu constituer un premier coup de canif à la loi Aillagon, laquelle n’a jamais été remise en cause depuis son adoption en 2003.
Le signal aurait été d’autant plus négatif que, après les dernières réformes fiscales – je pense en particulier au prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu et, surtout, à la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF, en impôt sur la fortune immobilière –, les associations et fondations ont déjà enregistré une baisse drastique du montant des dons qui leur sont consentis.
Certes, il ne faut jamais oublier que, au-delà de la générosité des mécènes, l’État est bien le principal contributeur des actions de mécénat, par la perte de recettes fiscales à laquelle il consent. Mais, compte tenu des bienfaits manifestes de ce mécanisme pour l’intérêt général, est-il vraiment opportun de vouloir y porter atteinte ? Jean-Jacques Aillagon, que j’ai auditionné dans le cadre de notre mission d’information, en mai dernier, a lui-même déclaré, paraphrasant Montesquieu, qu’il ne fallait y toucher que d’une main tremblante.
Je sais que le ministre de l’action et des comptes publics s’est engagé à ce que le Gouvernement dépose un amendement à la seconde partie du projet de loi de finances tendant à relever le plafond pour les TPE, comme nous l’avions préconisé, et à autoriser une évaluation du dispositif,…
M. le président. Il faut conclure !
M. Alain Schmitz. …afin de détecter les cas éventuels d’« optimisation aggravée ».
Monsieur le ministre, quelle est la position du ministère de la culture sur ce dispositif fiscal, créé et défendu par l’un de vos prédécesseurs ? (Murmures sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Comment entendez-vous garantir le respect des engagements pris par le Président de la République, tant à l’Élysée que lors de son déplacement dans les Yvelines ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture.
M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Schmitz, vous avez raison : la loi Aillagon de 2003 a été particulièrement utile pour la culture et le patrimoine. Sur les quelque 2 milliards d’euros de dons déclarés chaque année par les entreprises au titre du mécénat, ce sont environ 500 millions d’euros qui sont investis dans le cadre du dispositif de cette loi.
Il s’agit donc de sommes considérables mises au service de la culture et du patrimoine, et Jean-Jacques Aillagon a eu raison de souligner, lors de son audition, qu’il importe de ne pas prendre, au sujet de ce dispositif, de décisions qui auraient des conséquences graves sur la participation du secteur privé au financement de la culture et du patrimoine.
Pour autant, toute politique publique, toute dépense fiscale doit être évaluée. Il est donc légitime de procéder à l’évaluation de ce dispositif. C’est la raison pour laquelle l’Assemblée nationale a demandé à la Cour des comptes un rapport, qui sera remis prochainement. Les conclusions de ce rapport devront être étudiées par les membres des commissions de la culture du Sénat et de l’Assemblée nationale ainsi que, bien entendu, par l’État, afin de déterminer les moyens d’améliorer le dispositif, par exemple en limitant un certain nombre de dérives qui auraient été constatées ou en ouvrant davantage le dispositif aux PME et TPE qui investissent localement dans le patrimoine et la culture.
Le Président de la République et le Premier ministre ont la volonté que les collectivités territoriales et les acteurs privés soient pleinement associés à la politique publique de la culture dans les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Mmes Françoise Gatel et Colette Mélot, M. Emmanuel Capus applaudissent également.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
La prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu mardi 30 octobre, à seize heures quarante-cinq.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Reconnaissance des proches aidants
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Union Centriste, de la proposition de loi visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants : un enjeu social et sociétal majeur, présentée par Mme Jocelyne Guidez et plusieurs de ses collègues (proposition n° 565 [2017-2018], texte de la commission n° 27 rectifié, rapport n° 26).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Jocelyne Guidez, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme Jocelyne Guidez, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, toutes les initiatives parlementaires relatives aux droits des aidants convergent depuis plusieurs mois. Elles visent à reconnaître l’engagement d’une population qui assume à elle seule une action médico-sociale invisible, venant en déduction de la charge de l’État.
Ces démarches sont à chaque fois transpartisanes : la liste des cosignataires de cette proposition de loi en est un nouveau témoignage.
Le 6 octobre dernier, la journée nationale des aidants permettait aux associations d’exprimer une nouvelle fois un certain nombre d’attentes. Ce texte y répondant, notre vote est attendu. Nul doute qu’il recevra un soutien large et même – je l’espère – unanime.
Par cette initiative, nous souhaitons relever le défi de la prise en compte des aidants par la Nation, dans sa dimension tant publique que privée.
Lors de mes travaux préparatoires, une question s’est imposée : quel soutien pour les aidants ? La réponse est saisissante : qu’il soit associatif ou étatique, ce soutien est présent, mais tellement dispersé qu’il en devient inefficient et quasiment indétectable.
Les dispositifs d’aide et d’information manquent de rationalité. L’État ne tient malheureusement pas sa place. Son action manque de coordination et de proactivité envers ceux qui lui font pourtant économiser jusqu’à 16 milliards d’euros par an.
Les aidants sont susceptibles d’entrer dans un isolement profond, voire une détresse dangereuse. Nous partageons tous cette responsabilité. J’ai reçu de nombreux témoignages, notamment celui d’une mère dont l’enfant est atteinte d’une maladie rare. Cette enfant qui ne dort presque jamais, ne s’exprime qu’en criant et s’agite en permanence ne peut pas être prise en charge, tant sa pathologie est lourde, exigeant une assistance de chaque instant. N’en pouvant plus, isolée bien qu’épaulée par son conjoint, sa mère a failli. Elle a attenté à la vie de sa fille en lui administrant trop de médicaments. Aujourd’hui, la personne la plus experte pour s’occuper de cette enfant est séparée d’elle. La famille est détruite en raison du manque de soutien et de l’isolement créé par cette situation.
Je ne peux m’empêcher de penser à ma sœur et à mon beau-frère, qui ont élevé leur fille Léa, atteinte du syndrome de Rett : quel n’a pas été leur épuisement physique, mais aussi psychologique !
Ces vies sont celles de nombreux Français. Malheureusement, nous avons tous, autour de nous, un exemple de ce type. Nous ne pouvons pas ignorer ces situations. La question est donc simple : qui doit s’occuper des aidants ? La réponse est : nous, Parlement et Gouvernement, maintenant ! La réponse est : la société. La réponse est : chacun d’entre nous.
Étant donné la solidarité qu’implique notre contrat social, l’engagement des aidants ne devrait pas être un « travail de l’ombre » dont l’État se satisfait.
Il eût été facile d’attendre. Il eût été facile de laisser le Gouvernement cheminer seul sur ce sujet. Il eût été aisé de s’en remettre à lui pour trouver les moyens de financer ces actions. Mais les mesures innovantes que nous proposons ont une valeur thérapeutique pour celles et ceux que l’on oublie, qui souffrent, qui s’isolent, et qui parfois même décèdent avant la personne qu’ils aident.
Les auditions que j’ai organisées en vue de rédiger ce texte m’ont totalement convaincue. Les solutions que j’apporte ont été discutées avec les différentes parties prenantes, qu’il s’agisse des associations, des employeurs, de l’administration centrale, de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, ou des parlementaires. Je ne doute pas que le Gouvernement serait arrivé, et arrivera, aux mêmes conclusions.
Je salue l’excellent travail de notre rapporteur, M. Olivier Henno. Il a parachevé l’ouvrage que j’ai tissé au cours des derniers mois, en accordant une pleine et entière considération aux idées qui venaient de toutes les travées, qui germaient dans le milieu associatif, ou encore en prenant en compte les remarques pertinentes de l’administration centrale.
C’est donc après un travail collaboratif et approfondi que la commission a modifié utilement certaines mesures, tout en partageant les objectifs que je m’étais fixés.
Ainsi, l’indemnisation du congé de proche aidant, financée par un fonds privé, ne crée pas de charges supplémentaires ou nouvelles pour l’État.
Madame la secrétaire d’État, nous sommes convaincus que notre travail répond à une demande, à une urgence, à un souhait, et même, comme le précisait Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, devant l’Assemblée nationale il y a quelques mois, à un enjeu social et sociétal majeur.
Pour répondre à cet enjeu, nous proposons d’assurer l’identification de l’aidant et de renforcer sa reconnaissance par le corps médical. Il s’agit de le détecter pour l’informer rapidement de ses droits, pour le mettre en contact avec les bons interlocuteurs et en lien avec les réseaux associatifs. Une plateforme internet lui proposera, sur la base d’un court questionnaire, un parcours personnalisé.
En outre, notre rapporteur a travaillé avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, pour rendre le dispositif plus efficient et économe. Désormais, le nom de l’aidant pourra figurer sur la carte Vitale de l’aidé ; nous proposerons, par voie d’amendement, de prévoir la réciproque.
Les salariés deviennent parfois des aidants, et l’on ne saurait considérer qu’il s’agit là d’un choix de leur part. C’est pourquoi les branches professionnelles devront étudier les possibilités de coordination et de souplesse entre la vie personnelle de l’aidant et sa vie professionnelle. Cette disposition, soutenue par Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, a été adoptée lors de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, mais le Conseil constitutionnel l’a censurée, considérant qu’elle constituait un cavalier législatif. Ici, elle a toute sa place.
Pour permettre l’indemnisation du congé de proche aidant, notre solution est novatrice. L’État ne déboursera pas un centime – une fois n’est pas coutume –, et l’exécutif devrait s’en saisir ! Notons bien qu’il s’agit non pas d’une professionnalisation de l’aidant, mais d’une compensation de la perte de salaire qu’il subit en prenant ce congé. Ce dispositif est parfaitement expliqué dans le rapport. Accepter le principe de la mise en place d’une surcote pour certains contrats d’assurance est sans aucun doute un choix politique. Pour ma part, je considère que, le taux étant faible, il peut totalement être assumé, à l’instar de l’éco-participation, par exemple.
Madame la secrétaire d’État, je ne souhaite pas que nous adoptions un simple texte d’affichage. J’ai le désir que nos travaux aboutissent à une rédaction compatible avec l’agenda du Gouvernement, en particulier pour l’harmonisation des droits sociaux des aidants.
Bien sûr, je regretterais que le dispositif relatif aux retraites soit supprimé. Toutefois, dans un esprit d’ouverture, je pourrais m’y résoudre, si vous me le demandiez dans la perspective de la très prochaine réforme des retraites, en nous garantissant votre soutien à l’Assemblée nationale. Je n’en rappellerai pas moins ce dispositif, le cas échéant.
À la demande du Président de la République, les travaux consacrés à la dépendance se sont ouverts avec le chantier « grand âge et autonomie » lancé le 1er octobre dernier. Un atelier aborde la question des aidants. Nos propositions ne vident certainement pas le sujet, notamment du fait de l’application de l’article 40 et des échanges qui doivent avoir lieu entre ministères. Cela étant, une fois déchargé des sujets traités par le présent texte, cet atelier dédié aux aidants pourrait se consacrer à l’examen en profondeur des problèmes non débattus et pour lesquels aucune solution consensuelle n’existe à ce stade.
Je pense notamment à la mobilisation du jeune aidant auprès de son parent, qui entraîne souvent des difficultés scolaires, voire le retrait de l’enfant du foyer, à la possibilité d’apporter un suivi médico-social aux aidants ou encore à la faculté, pour les aidants, de cumuler des droits à la formation : on sait que le retour à l’emploi est extrêmement compliqué pour ce public. Nous serons attentifs à l’ensemble de ces questions.
Mais, pour l’heure, nous sommes à l’automne 2018. Des problèmes sont depuis longtemps identifiés ; ils l’ont été avant l’inscription de cette thématique parmi les engagements de campagne du Président de la République. Les propositions du Gouvernement n’arriveront, dans le meilleur des cas, qu’à la fin de 2019. Or ce sujet connu de longue date exige une réponse ; il faut agir dès maintenant.
Les solutions connues aux demandes identifiées ne changeront pas d’ici à 2019. Marchons ensemble : les proches aidants ne sont pas un enjeu politicien. Que nous soyons de gauche, de droite, d’En Marche, nous devons tous nous retrouver. Pourquoi attendre et remettre le chantier à plus tard ?
J’invite donc le Gouvernement à se saisir de ce véhicule législatif, à poursuivre ses travaux pour en consolider et enrichir le dispositif par la suite. Attendre, c’est faire peser un poids chaque jour plus insupportable sur les épaules des aidants.
Madame la secrétaire d’État, voilà plusieurs mois que l’on joue, au Parlement, une douce et tenace mélodie au sujet des aidants, de leurs droits et des aides qui peuvent leur être apportées. Aujourd’hui, nous avons un devoir de résultat. Nous avons même un devoir humain : celui d’engager une action, de sécuriser ceux qui donnent gratuitement de leur temps, qui donnent gratuitement une part de leur vie.
Le dispositif de cette proposition de loi repose sur le bon sens et l’innovation. J’ajouterai qu’il y a surtout des réponses, mais que, plus encore, il y a l’État ; l’État qui accompagne, l’État qui n’ignore pas, l’État qui soutient. Cette proposition de loi contient le minimum de ce que nous devons faire pour les proches aidants ; eux qui font tant, sans compter, au risque parfois d’y perdre leur vie et leur identité, tandis que nous nous interrogeons depuis trop longtemps sur le coût potentiel des mesures à prendre.
J’espère pouvoir vous léguer ces mesures dans quelques instants, madame la secrétaire d’État, et je vous prie de les soutenir avec l’émotion, la bienveillance, la technicité et le pragmatisme que l’on vous connaît.
N’oublions pas que l’on juge un État à sa manière de traiter les anciens et, a fortiori, les personnes handicapées ou dépendantes. Aujourd’hui, les aidants supportent une partie de la charge qui incombe à l’État. Nous avons une dette envers eux. C’est donc avec la plus profonde conviction que j’apporterai mon soutien au texte tel que présenté par M. le rapporteur.
Mes chers collègues, je vous invite à suivre cette voie, et j’espère que l’Assemblée nationale pourra prochainement se prononcer sur ce texte, pour apporter enfin des réponses à une population sans laquelle la France ne serait pas à la hauteur de ses prétentions ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Indépendants –République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. –M. Guillaume Arnell applaudit également.)
M. Olivier Henno, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous voici réunis pour l’examen d’un texte dont la Haute Assemblée a toutes les raisons de s’enorgueillir. Je salue la conviction et la foi avec laquelle notre collègue Jocelyne Guidez vient de défendre sa proposition de loi, qui n’est nullement anecdotique. Honneur à elle de s’être emparée de ce beau et grand sujet des aidants, qui n’a rien d’un thème mineur qu’aborderait une sénatrice fraîchement élue.
Les Françaises et les Français ne s’y trompent pas : la thématique des aidants est de plus en plus connue et reconnue, un récent sondage faisant apparaître que 40 % des personnes interrogées déclarent en avoir entendu parler. Ce chiffre marque une hausse de quinze points en quatre ans. En outre, plus d’un quart des personnes sondées se sentent concernées par cette question des aidants, directement ou au travers de l’un de leurs proches : c’est cinq points de plus par rapport à 2015.
Les aidants sont eux-mêmes si peu aidés qu’ils sont parfois en voie d’épuisement. Dès lors, la santé des aidants est devenue un véritable enjeu de santé publique. À preuve, 31 % d’entre eux affirment avoir tendance à délaisser leur propre santé à cause de leur rôle d’aidant. Ils sont notamment sujets au stress, à des perturbations du sommeil ou encore à des douleurs physiques.
Cette mauvaise santé des aidants interpelle encore trop peu le personnel soignant ou les équipes médicales. Ainsi, seuls 13 % des aidants affirment être interrogés sur leur santé quand ils accompagnent leur proche aidé à l’hôpital.
Cela montre de manière flagrante qu’une sensibilisation reste à mener au sujet des aidants. Le tableau peut sembler noir, mais, je le dis avec gravité, telle est la réalité vécue par nombre de Françaises et de Français.
À bien y réfléchir, qui ne connaît un proche, un ami ou une amie se trouvant dans cette situation ? Je pense, parmi d’innombrables exemples, à un fils de cinquante-neuf ans qui, pour s’occuper de sa vieille mère, a compromis sa vie professionnelle et perdu ses droits sociaux ; aux parents d’un enfant polyhandicapé qui voient passer le temps avec angoisse, se demandant ce que deviendra leur fils lorsqu’ils seront partis ; à un mari s’occupant de sa femme touchée par la maladie d’Alzheimer, et qui redoute plus que tout son départ, pourtant inéluctable, en EHPAD.
Devant une telle urgence, fallait-il attendre une concertation ou les conclusions des travaux de l’atelier consacré aux proches aidants ? Fallait-il attendre le projet de loi sur la dépendance ? Sincèrement, je ne le pense pas. Au contraire, c’est à mon sens le rôle du Parlement, de la représentation nationale, de s’emparer de ce thème.
Il me paraît important de décrire le contexte dans lequel s’est déroulé l’examen de cette proposition de loi, tant il est, me semble-t-il, révélateur de certaines fragilités inhérentes à nos institutions.
Voilà un texte qui s’inscrit dans le droit fil d’un engagement parlementaire en faveur des aidants qui ne se dément pas depuis plus de deux ans. Directement inspiré du rapport de notre collègue Jocelyne Guidez sur la proposition de loi ouvrant la possibilité de faire don de jours de repos non pris à un collègue proche aidant, ce texte se réclame également de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par notre collègue député Pierre Dharréville et de celle qui a été très récemment déposée au Sénat par nos collègues du groupe CRCE.
De tous les horizons politiques de nos deux assemblées, c’est un mouvement spontané et uniforme qui émerge progressivement pour se saisir d’une question urgente, n’ayant été jusqu’à présent qu’imparfaitement et indirectement traitée.
J’ignore quel sera l’avenir de ce texte – je souhaite qu’il prospère ! –, mais je sais que le Sénat se grandit en s’emparant de la question des proches aidants. Encore une fois, le sujet est trop grave pour que s’élève un conflit de paternité entre le Parlement et le Gouvernement. « Quand un bébé est beau, il ne manque pas de pères », disait un ancien député du Nord, qui avait le sens de la formule et de l’humour. Peu importe qui joue un rôle déterminant pour faire progresser la solidarité publique envers les aidants, l’essentiel est qu’elle progresse.
C’est la raison pour laquelle nous ne comprenons pas la timidité du Gouvernement à l’égard de ce texte. Les questions d’opportunité calendaire me paraissent bien accessoires. À l’évidence, nos intentions sont partagées, mais nous sommes poliment invités par le Gouvernement à les contenir. Faut-il attendre que la réforme de la prise en charge de la dépendance, la réforme des retraites et l’évolution de l’accompagnement des personnes handicapées intègrent un volet relatif aux aidants ? C’est bien ce que le Gouvernement semble nous demander, mais, là encore, je ne suis pas d’accord.
L’une des causes principales, à mon sens, des lacunes profondes dont pâtissent les droits sociaux des aidants est précisément que les grands textes sociaux n’en traitent que de manière incidente, subsidiaire et, surtout, disparate. Entre les retraites, la dépendance, l’évolution quinquennale de l’accompagnement du handicap et la stratégie nationale pour l’autisme, ce sont pas moins de quatre grands chantiers dont la feuille de route prévoit un volet relatif aux aidants. Quelle avancée peut-on espérer, en matière de droits des aidants, d’une approche aussi dispersée ? Faute de vision d’ensemble et de coordination, elle ne manquera pas de rater sa cible. Le sujet mérite que nous nous en saisissions pleinement et globalement.
Venons-en au texte lui-même.
Le très grand nombre de personnes concernées par cette proposition de loi justifie à lui seul que nous considérions la situation des proches aidants comme un sujet à part entière. Les chiffres sont désormais connus : plus de 8 millions de personnes se consacrent quotidiennement à l’accompagnement d’un proche, dont la perte d’autonomie, qu’elle soit liée à l’âge ou à un handicap, rend nécessaires une présence et une surveillance continues. Bien qu’aucune d’entre elles ne réclame la création d’un statut, d’un droit à part, elles sortent peu à peu de la discrétion à laquelle leur mission et le faible soutien des pouvoirs publics les contraignent souvent.
Mes chers collègues, nous savons qu’il n’est plus possible de considérer l’accompagnement du proche aidé comme une simple extension de la solidarité familiale ; c’est une mission qui se situe entre le métier et le devoir, sans se confondre avec aucun des deux. C’est pourquoi il est troublant que cette mission n’ait jamais été prise en compte par les politiques de solidarité nationale, dont elle relève pourtant.
Ce texte apporte un début de réponse. Il embrasse très largement l’ensemble des droits sociaux des aidants et vise à assurer à ces derniers une sécurité financière qui, pour l’heure, n’existe que pour les personnes interrompant leur activité professionnelle afin d’assister un proche en fin de vie ou un enfant gravement malade.
Reconnaissons que la création du congé de proche aidant par la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement est une belle initiative. Malheureusement, ce congé restera peu sollicité tant qu’il ne sera pas indemnisé, comme le sont le congé de présence parentale ou le congé de solidarité familiale. C’est pourquoi nous avons voulu instaurer l’indemnisation du congé de proche aidant : c’est le cœur de notre proposition de loi. De plus, ce texte corrige plusieurs iniquités de droits entre proches aidants d’une personne âgée et proches aidants d’une personne handicapée. Enfin, il prévoit une amélioration substantielle des modalités d’information de l’aidant et le renforcement de sa place dans le parcours de la personne qu’il accompagne.
Pour conclure, je me félicite de ce que notre commission des affaires sociales ait salué l’initiative de notre collègue et adopté un texte équilibré et abouti. Mes chers collègues, ce sujet fait consensus dans l’opinion ; il n’est plus temps d’attendre. La cause des aidants est grande parce qu’elle a sa part d’humanité et de solidarité. Les proches aidants nous parlent et nous rappellent, à la suite de Jacques Delors, que, en matière de solidarité, ce sont souvent les plus fragiles qui sont les plus grands. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, madame Jocelyne Guidez, permettez-moi tout d’abord de rappeler l’importance que le Gouvernement accorde à la question des proches aidants.
Le soutien aux proches aidants était un engagement de campagne du Président de la République. À ce titre, il figure dans la feuille de route confiée par le Premier ministre à Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, ainsi qu’à Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées.
Il s’agit de prendre en main une question de société qui nous concerne tous : nous connaissons tous des aidants d’un parent âgé, d’un enfant en situation de handicap, d’un conjoint malade. Certains d’entre nous sont eux-mêmes aidants, ou auront peut-être besoin un jour d’un aidant. Il faut donc saluer le dévouement exemplaire de ces millions d’aidants, signe que la solidarité est une valeur très forte dans notre société.
Le vieillissement de la population renforcera le rôle fondamental des proches aidants à l’avenir. Cela doit nous conduire à nous interroger sur le soutien que nous voulons et que nous devons apporter à nos aidants. Comment les soutenir au quotidien dans leur action d’aidant ? Comment préserver leur santé, leur vie professionnelle quand ils sont encore actifs, ainsi que leur vie sociale ?
Je sais que ce sont les préoccupations qui vous guident, et je salue la volonté de la Haute Assemblée de prendre ce sujet à bras-le-corps, volonté qui se traduit aujourd’hui par l’examen de la proposition de loi de Mme la sénatrice Jocelyne Guidez.
Depuis près d’un an maintenant, les initiatives parlementaires de tout bord en faveur des proches aidants se multiplient, avec des propositions de loi ou des amendements à de nombreux projets de loi. Le Gouvernement se félicite de cette volonté commune, transpartisane d’avancer sur ce sujet de société.
Beaucoup de choses ont déjà été faites en faveur des proches aidants. La loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement apporte indéniablement des avancées majeures, notamment par la création du congé de proche aidant ou encore la consécration d’un droit au répit des aidants.
Plus récemment, le Gouvernement a souhaité diversifier les solutions de répit en s’inspirant du « baluchonnage » québécois : la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite loi ESSOC, prévoit l’expérimentation de prestations de « relayage » de l’aidant à domicile jusqu’à six jours consécutifs pour les situations où l’accueil temporaire en établissement n’est pas adapté à la personne aidée. Néanmoins, le Gouvernement partage avec vous, madame Guidez, le sentiment que ce que nous avons pu faire jusqu’à présent n’est pas encore suffisant. Il est temps d’agir et d’aller plus loin.
Ensuite, devant un sujet aussi important et aussi complexe – car il s’agit de répondre à des situations très variées, de la personne âgée qui aide un conjoint atteint de la maladie d’Alzheimer au parent d’un enfant autiste, en passant par le salarié qui suit de près des parents vieillissants –, le Gouvernement a choisi d’adopter une approche structurée et, surtout, globale du sujet.
Jusqu’à présent, nous avons ajouté par-ci par-là des dispositions en faveur des aidants, sans avoir défini une démarche globale, sans tenir un discours global, donc sans entraîner une mobilisation globale de la société sur le sujet. Les aidants eux-mêmes ne connaissent pas bien les dispositifs et ne les utilisent pas. Le faible recours à certains dispositifs, comme celui du congé de proche aidant, en est une illustration. Ce constat a été posé dans différents rapports, notamment dans celui qu’a remis au printemps dernier Mme Dominique Gillot, ancienne sénatrice.
Il convient désormais d’envisager le sujet dans toutes ses dimensions. Cette approche globale, associant tous les partenaires concernés, prévaut aujourd’hui dans le cadre de la concertation nationale « grand âge et autonomie », dont le pilotage a été confié à M. Dominique Libault par le Premier ministre et qui a été lancée le 1er octobre par Mme Buzyn.
Cette concertation traite d’abord des personnes aidées, parce que nous pensons que la première priorité pour aider les aidants, c’est aussi d’offrir le meilleur accompagnement possible aux personnes aidées.
Le Gouvernement a d’ailleurs engagé la même démarche concernant les personnes en situation de handicap : c’est l’objet du mouvement de transformation de l’offre d’accompagnement des personnes handicapées pour offrir des solutions adaptées aux besoins et aux projets de vie des personnes et de leurs proches ou des travaux engagés sur les solutions de répit, avec la mobilisation de crédits au titre de la Stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement.
Toujours dans le secteur du handicap, c’est aussi l’objet de tous les travaux engagés sur la simplification des démarches, s’appuyant sur le rapport du député Adrien Taquet et de Jean-François Serres, membre du Conseil économique, social et environnemental, le CESE.
Trop souvent, les aidants nous disent qu’ils sont là pour aider leurs proches, mais que le temps consacré à ceux-ci ne doit pas être uniquement du temps administratif passé en démarches, en formalités. Ce matin, lors du comité interministériel du handicap, des annonces ont été faites en la matière. Je pense, par exemple, à la possibilité d’attribuer des droits sans limitation de durée aux personnes ayant un handicap non susceptible d’évoluer positivement.
Ces actions conduites par le Gouvernement en faveur des personnes âgées, handicapées ou malades auront assurément des effets positifs, y compris pour les aidants. Mais, au travers de la concertation « grand âge et autonomie », nous avons aussi souhaité affirmer la nécessité de traiter l’ensemble des enjeux et des problématiques concernant les proches aidants, pour apporter des réponses efficaces, cohérentes et construites avec les aidants, pour les aidants.
Ainsi, au-delà de la grande consultation publique en ligne, dix ateliers thématiques ont été constitués, dont l’un porte spécifiquement sur les aidants, la famille et le bénévolat.
Cet atelier réunit l’ensemble des acteurs concernés : des représentants des aidants, des associations, des acteurs locaux ou de terrain, comme les agences régionales de santé, les ARS, des conseillers départementaux, des administrations, sans oublier, bien évidemment, les parlementaires. À ce titre, le Gouvernement a souhaité confier la coprésidence de l’atelier à Mme la députée Annie Vidal. Conscient de l’intérêt porté par les parlementaires au sujet, le Gouvernement a souhaité que d’autres parlementaires puissent participer aux travaux de cet atelier en tant que membres permanents.
Concernant l’atelier relatif aux proches aidants, M. le député Pierre Dharréville participera aux travaux du groupe pour l’Assemblée nationale. Le Gouvernement avait souhaité que le Sénat participe également à la concertation « grand âge et autonomie », mais, malheureusement, à ce jour, cette demande n’a pas reçu de réponse favorable, ce que nous ne pouvons que regretter. (Mme Jocelyne Guidez s’étonne.)
Sur le fond, l’atelier abordera l’ensemble des problématiques intéressant les aidants : il concernera tous les profils d’aidants – jeunes, salariés, non-salariés, aidants d’une personne handicapée, âgée ou malade. Il devra répondre à tous leurs besoins, à chaque étape de leur parcours, depuis l’information sur leurs droits et ceux des personnes aidées jusqu’aux solutions de répit, en incluant la question de la conciliation entre la vie professionnelle et l’aide apportée.
Cette concertation doit conduire à la préparation d’un projet de loi, qui sera déposé au Parlement d’ici à la fin de l’année 2019, comme s’y est engagé le Président de la République dans son discours devant le Congrès, le 9 juillet dernier.
Dans ce projet de loi, nous pourrons introduire, avec une vision globale du sujet, des mesures pour les aidants, en parfaite cohérence et en articulation avec les mesures pour les personnes aidées qui seront issues de la concertation.
C’est pourquoi le Gouvernement, malgré le grand intérêt qu’il porte à ce sujet et la qualité du travail que vous avez accompli, ne peut soutenir aujourd’hui la présente proposition de loi.
M. Philippe Mouiller. N’importe quoi !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Ce texte aborde des sujets importants et présente des pistes de travail intéressantes, qui pourront utilement nourrir la concertation en cours ; je reviendrai dans quelques instants sur son contenu, article par article. Néanmoins, se posent des difficultés de mise en œuvre technique de certaines mesures, comme l’indemnisation du congé de proche aidant. Surtout, comme je l’ai déjà dit, il risque d’être en décalage avec les propositions issues de la concertation « grand âge et autonomie » ou les travaux en cours sur la réforme des retraites. (Protestations sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Mouiller. Donc, on ne fait rien…
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Je m’exprimerai maintenant sur chacun des articles de la proposition de loi, que nous avons attentivement étudiée.
Certains articles me semblent en voie d’être finalisés ; d’autres doivent encore être, comme je l’ai dit, retravaillés.
L’article 1er instaure une négociation collective obligatoire régulière au niveau de la branche sur les mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés proches aidants. Le Gouvernement soutient le dispositif proposé.
Aujourd’hui, près de la moitié des aidants, soit plus de 4 millions de personnes, occupent un emploi. Cela représente près d’un salarié sur cinq. À l’avenir, ces chiffres augmenteront en raison du vieillissement de la population et de l’augmentation de l’espérance de vie. En 2030, près d’un salarié sur quatre pourrait être proche aidant.
La question des salariés proches aidants représente donc un enjeu majeur à un double titre.
Tout d’abord, les aidants doivent pouvoir concilier l’aide qu’ils apportent à un ou plusieurs de leurs proches avec leur activité professionnelle. Or toutes les enquêtes le démontrent : être aidant peut emporter de nombreuses conséquences négatives sur la santé, la vie sociale, mais aussi la vie privée et la vie professionnelle. Stress, fatigue physique et/ou morale, surmenage : les salariés aidants sont davantage exposés que les autres aux arrêts maladie, mais aussi aux renoncements professionnels, à la réduction ou à la cessation totale d’activité, autant de situations ayant des répercussions immédiates sur leur carrière, ainsi que, de manière plus insidieuse, sur le long terme, leurs droits à la retraite se trouvant réduits.
Ensuite, pour les entreprises, l’enjeu des salariés proches aidants s’impose de plus en plus clairement. Cela soulève des questions en termes d’organisation et de management, mais aussi des questions financières.
Il s’agit donc d’une question de responsabilité sociale et sociétale qui prend et prendra de plus en plus d’importance. Nous devons sensibiliser nos entreprises et les accompagner dans une démarche constructive, qui permette d’apporter des solutions adaptées aux besoins de leurs salariés proches aidants, et ce dans l’intérêt de tous, employés comme employeurs.
L’article 1er, tel que modifié par la commission, reprend désormais le cadre de l’article 33 de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui a été censuré par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier législatif. En soumettant expressément et spécifiquement la question de la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle des salariés aidants à la négociation obligatoire régulière de branche, il donne une visibilité sans équivoque à cette question et va dans le bon sens.
L’article 2 prévoit à la fois un assouplissement des conditions du congé de proche aidant, auquel je suis favorable, et une indemnisation de celui-ci par un fonds spécifique, financé par une surprime assise sur certains contrats d’assurance, mesure sur laquelle le Gouvernement est plus réservé. Ses réserves portent non pas sur le principe de l’indemnisation, bien sûr, mais sur ses modalités.
Créé par la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, le dispositif du congé de proche aidant a permis de soutenir la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle pour des millions de proches aidants qui travaillent. Néanmoins, ce congé est, dans les faits, très peu sollicité, et la raison le plus souvent invoquée pour expliquer ce faible recours est l’absence de compensation financière.
C’est pourquoi la création d’une indemnisation du congé de proche aidant est régulièrement évoquée afin de rendre plus effectif ce dispositif. Il s’agit d’une demande forte des aidants. C’est aussi une recommandation formulée par le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, le HCFEA, dans son rapport du 12 décembre 2017 sur la prise en charge des personnes en perte d’autonomie ou, plus récemment, par Mme Dominique Gillot, dans son rapport du 19 juin dernier.
Je ne peux que partager l’objectif de créer de meilleures conditions pour permettre aux aidants qui travaillent de s’occuper de leurs proches sans que cela porte préjudice à leur carrière ou à leur situation financière. Je pense d’ailleurs que le congé de proche aidant n’est pas la seule solution à privilégier et que les entreprises doivent mieux prendre en compte la situation de leurs salariés aidants. Certaines le font déjà par des aménagements d’horaires, des appuis psychologiques ou administratifs. C’est l’objet de l’article 1er que de prévoir des discussions sur ce sujet dans le cadre du dialogue social.
Cette discussion globale sur la conciliation entre vie professionnelle et aide à un proche est au cœur des travaux de l’atelier consacré aux aidants de la concertation « grand âge et autonomie », qui doit nous proposer des solutions globales. Je l’ai dit initialement, le Gouvernement préfère adopter un paquet de mesures législatives après cette concertation.
Par ailleurs, les modalités de financement que vous proposez soulèvent de nombreuses interrogations. Le texte prévoit une taxe de 1,7 % assise sur certains contrats d’assurance. Il s’agit d’une piste de financement nouvelle, qui vise à préserver les finances publiques, mais elle appelle plusieurs observations.
Tout d’abord, si le congé de proche aidant devait être indemnisé, la question des sources de son financement, public ou privé, devrait être discutée dans la perspective plus globale des travaux sur le financement de la dépendance menés dans le cadre de la concertation. La prise en charge de nos aînés en perte d’autonomie et l’accompagnement, y compris financier, des proches aidants constituent un enjeu de société : il s’agit de faire la part entre la solidarité familiale et la solidarité nationale. Cela doit faire l’objet d’un débat national d’ampleur. Il faut mettre sur la table l’ensemble des options possibles, évaluer les dépenses prioritaires et les ressources disponibles, avant d’aboutir à la solution la plus pertinente et soutenable sur le long terme.
La taxe de 1,7 % assise sur certains contrats d’assurance permettrait certainement de garantir des recettes dynamiques, à hauteur de près de 300 millions d’euros par an, selon l’exposé des motifs de la proposition de loi. Outre un risque de thésaurisation inutile, ce haut niveau de taxation ne peut que faire peser la menace d’une répercussion sur nos concitoyens, via une augmentation des tarifs des contrats. À cet égard, je rappelle que, dans le cadre de la réforme « 100 % santé » introduite dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, le Gouvernement a été extrêmement vigilant, au cours des négociations avec les assureurs, à ce qu’il n’y ait aucune augmentation des tarifs des contrats d’assurance complémentaire santé. Le Gouvernement reste attaché à ce principe, et le dispositif proposé présente un risque fort en la matière.
En outre, la gouvernance du fonds telle que prévue par le texte n’apparaît pas pertinente. En particulier, l’intérêt de constituer un conseil de gestion, composé de représentants des employeurs, des salariés et de l’État, n’est pas démontré, dans la mesure où ce conseil n’aura en réalité aucune compétence pour piloter réellement le fonds, dont les règles et les modalités d’indemnisation sont fixées par la loi. De fait, cette disposition est encore entourée de trop d’incertitudes pour que je puisse y être favorable en l’état.
Concernant l’article 3 visant à harmoniser le dispositif de majoration de durée d’assurance retraite, en ouvrant aux aidants de personnes âgées le bénéfice du dispositif, actuellement applicable aux seuls aidants de personnes handicapées, le Gouvernement est aussi sur une position d’attente.
Je salue bien sûr l’effort d’harmonisation des règles proposé en vue d’ouvrir les mêmes droits à tous les aidants sans distinction, que la dépendance de la personne accompagnée soit liée au handicap, à l’âge ou à la maladie. Cependant, vous le savez, le Gouvernement a confié à Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire à la réforme des retraites, la préparation de la mise en place d’un nouveau système universel de retraite, la coordination des travaux et la concertation avec les principaux acteurs concernés. Le Sénat a été associé à ces travaux, qui doivent aboutir à la présentation d’un projet de loi en 2019. Lors du colloque sur l’avenir des retraites organisé ici même le 19 avril dernier, immédiatement après le lancement officiel de la mission, M. Delevoye vous a indiqué les objectifs, le calendrier et la méthode de concertation et de travail retenus. MM. les sénateurs Jean-Marie Vanlerenberghe et René-Paul Savary se sont rendus avec M. Delevoye dans trois pays européens pour observer les « conditions de réussite » des réformes engagées dans les années quatre-vingt-dix. Enfin, hier matin, la commission des affaires sociales a auditionné M. le haut-commissaire.
Une deuxième phase de concertation avec les partenaires sociaux s’est ouverte le 22 octobre dernier. Son calendrier prévoit explicitement des discussions sur les nouvelles solidarités aujourd’hui nécessaires, en particulier à l’égard des aidants.
Dans ce contexte, le Gouvernement considère qu’il est prématuré de modifier les règles en matière de retraites, même si nous devons garder en tête la prise en compte de la question des aidants et adopter une approche harmonisée de leur traitement, indépendamment du profil de la personne aidée.
L’article 4 répond au même objectif que l’article 3, puisqu’il traite lui aussi des droits à retraite, mais au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer, l’AVPF, selon la même volonté d’harmonisation. Aussi ai-je la même position réservée, dans la perspective de la future réforme.
L’article 5 ouvre aux agents publics civils l’expérimentation, prévue à l’article 53 de la loi ESSOC, de la dérogation au droit du travail dans le cadre de prestations de « relayage ». J’y suis favorable, mais il ne me semble pas nécessaire d’en passer par la loi.
L’expérimentation du « relayage », inspirée de l’exemple du « baluchonnage » québécois, a en effet été mise en place par la loi ESSOC, adoptée le 10 août 2018. Il s’agit de répondre au besoin de relayer les aidants dont la charge est la plus lourde, en raison du besoin de présence ou de soins constants à leur domicile requis par la situation de la personne aidée. L’article 53 de cette loi permet à titre expérimental, dans plusieurs départements volontaires qui seront déterminés après appel à candidatures, aux établissements et services d’aide de recourir à des salariés volontaires pour assurer des prestations de suppléance de l’aidant à domicile par un seul et même personnel, sur une période pouvant aller jusqu’à six jours consécutifs. Pour ce faire, il a fallu prévoir des dérogations au droit du travail, qui ne concernent pas les agents publics, puisque les règles relatives à leur temps de travail relèvent non pas du domaine législatif, mais du pouvoir réglementaire autonome.
J’accueille donc avec grand intérêt votre proposition, qui permettrait d’élargir le cadre de l’expérimentation de manière harmonisée aux secteurs public et privé, mais il n’y a pas besoin de la loi pour cela. Il me paraît par ailleurs tout de même nécessaire d’avoir des échanges avec le ministre chargé de la fonction publique, d’une part, et avec les représentants de chaque fonction publique, en particulier des fonctions publiques territoriale et hospitalière, d’autre part.
L’article 6, tel que revu par la commission des affaires sociales, prévoit l’enregistrement sur la carte Vitale de la personne aidée du nom de l’aidant et/ou de la personne de confiance. Son dispositif incite à la déclaration d’une personne de confiance, automatise l’envoi d’un guide de l’aidant et préconise la mise en place d’un portail web d’information et d’orientation à destination des aidants. J’ai aussi quelques réserves sur cet article.
La question de l’identification des aidants et de leur accompagnement est importante. Il faut en effet pouvoir repérer les fragilités des aidants, prévenir les conséquences de la fatigue physique ou psychologique liée à l’activité d’aidant. Cet article dégage des pistes en vue d’identifier les aidants et de pouvoir mieux les accompagner. Je partage cet objectif, et nous devons travailler à cela. Mais, là encore, c’est tout l’enjeu des travaux de l’atelier de la concertation consacré aux aidants.
Sur un autre point soulevé par cet article, le Gouvernement partage bien évidemment l’objectif de renforcer l’information des aidants. Des efforts ont été réalisés sur ce point. La loi du 28 décembre 2015 a consacré et renforcé le droit à l’information des personnes âgées, de leur famille et de leurs proches aidants, pour améliorer l’accès aux droits et aux aides.
Ainsi, au niveau local, les départements, au travers du réseau des centres locaux d’information et de coordination, les CLIC, et d’autres structures, telles que les centres communaux d’action sociale, les CCAS, ou les centres intercommunaux d’action sociale, les CIAS, assurent la mise en œuvre de ces droits. Au niveau national, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, a été chargée de développer un portail d’information, www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr, qui comporte un volet spécifique sur l’information destinée aux aidants.
Certes, ce portail ne s’adresse pas à tous les aidants. C’est pourquoi, à partir de cette expérimentation, le Gouvernement travaille à la création d’un portail national pour améliorer l’information des personnes handicapées et de leurs familles, tel qu’évoqué dans la proposition 7 du rapport du comité Action publique 2022 de juin 2018. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de passer par la loi pour créer ce portail.
La simplification des démarches et des dispositifs que nous devons mener représente également un enjeu fort. C’est pourquoi le Gouvernement a commandité un rapport sur la simplification des démarches pour les personnes handicapées, que le député Adrien Taquet et Jean-François Serres, membre du CESE, ont remis au printemps dernier. Nous en sommes aujourd’hui à la mise en œuvre de ses recommandations. La simplification des parcours et des démarches, la lisibilité des dispositifs seront aussi parmi les enjeux de la concertation « grand âge et autonomie » lancée le 1er octobre dernier.
Enfin, la pertinence ou le caractère opérationnel des autres dispositions de l’article 6 soulèvent quelques interrogations, même si les amendements de la commission les ont améliorées. Par exemple, dès lors que l’information peut être disponible en ligne, se posent les questions de la pertinence de l’envoi systématique d’un « guide de l’aidant » et du coût d’une telle démarche.
Pour toutes ces raisons, et même si les questions abordées devront trouver des réponses dans le cadre des ateliers de la concertation, le Gouvernement ne peut soutenir les dispositions prévues par cet article.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir approfondi tous les sujets traités dans cette proposition de loi. J’ai pris pour cela le temps qu’il fallait.
M. Guillaume Arnell. Oh oui ! (Sourires.)
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Toutes les dispositions exposées ont de l’intérêt ; elles touchent à de vraies questions majeures pour notre société. Mais il me semble important de les améliorer encore et de les insérer dans la stratégie plus complète conduite par le Gouvernement.
Dans ce contexte, le Gouvernement ne peut pas être favorable à cette proposition de loi. Je profite de l’examen de ce texte pour réitérer, madame Guidez, l’invitation du Gouvernement à travailler ensemble, de manière constructive, à l’élaboration d’une politique globale en faveur des proches aidants dans le cadre de la concertation. (Murmures sur les travées du groupe Union Centriste.) Venez apporter vos idées et enrichir les travaux des ateliers !
M. Claude Kern. Le Gouvernement peut aussi enrichir les idées du Parlement !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Cela nous permettra d’aborder de nouveau le sujet lorsque la concertation aura permis d’aboutir à une stratégie complète, avec des solutions entièrement partagées, pragmatiques, efficaces et soutenables financièrement sur le long terme.
M. Jean-Louis Tourenne. Ça fait du bien quand ça s’arrête…
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je commencerai mon intervention en adressant mes félicitations à notre collègue Jocelyne Guidez, qui a eu le courage de s’attaquer à la problématique des proches aidants. (Vifs applaudissements.)
Cette problématique, nous le savons tous, est un serpent de mer des politiques d’accompagnement de la dépendance, alors que 9 millions de Français accompagnent aujourd’hui un proche âgé ou dépendant – ils sont même 9 % à y consacrer plus de quarante heures par semaine. Pour ceux-là et pour tous les autres, il était du devoir du Parlement de se saisir de cette question.
On a parlé d’enjeu sociétal ; je crois qu’il faut parler aussi d’enjeux économiques et sociaux. En effet, pour ces proches aidants, dont le tiers a entre cinquante et soixante-quatre ans, l’accompagnement du parent dépendant signifie souvent l’arrêt de la vie professionnelle et sociale. En se mettant au service de l’autre, ils ne peuvent plus subvenir aux besoins de leur foyer. Sans statut, sans revenu, simplement sans droits, ils ne peuvent pas trouver leur place dans le dispositif actuel d’accompagnement.
La création d’une indemnité associée au congé de proche aidant est donc une étape essentielle pour reconnaître leur contribution au bon fonctionnement de notre société.
Différentes étapes ont jalonné ce parcours vers la reconnaissance des proches aidants. La loi de décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement a posé les bases du régime juridique des aidants, puis la loi dite « Paul Christophe » sur le don de jours de repos aux proches aidants a contribué avec brio, en janvier dernier, à compléter cet édifice. Un décret du 9 octobre dernier a encore amélioré cette situation, en ouvrant le dispositif de don de jours de congé aux fonctionnaires.
Aujourd’hui, il est temps de franchir une nouvelle étape, en instaurant une indemnité pour le proche aidant.
Cette proposition de loi répond à un impératif de société. De fait, le nombre d’aidants en charge de l’accompagnement d’un proche âgé ou dépendant est, cette année encore, en hausse de huit points, et cette charge devient de plus en plus lourde pour les proches : 31 % des aidants familiaux reconnaissent ainsi négliger leur santé, être victimes de stress, de manque de sommeil ou de douleurs physiques.
Si l’État providence doit être repensé, la protection des publics fragiles doit rester sa mission sacrée. Nous ne devons jamais les abandonner !
Pour être à la hauteur du dévouement de ces proches aidants, les auteurs de la proposition de loi souhaitent qu’ils bénéficient d’une indemnisation. C’est une mesure essentielle, et la commission des affaires sociales a su compléter intelligemment ce dispositif. L’ensemble des amendements proposés par le rapporteur a ainsi été adopté, afin de simplifier les mécanismes de financement de l’indemnité, de définir la surcote en taxe et de fixer son taux, mais aussi d’éclairer la situation de fin anticipée de congé d’un proche aidant.
Pour, demain, mettre en œuvre ce nouveau modèle de financement de l’accompagnement, il faudra surveiller la trajectoire financière de ce dispositif, dont la pérennité est la clé de voûte de la fonctionnalité. La proposition de loi y pourvoit, en majorant la durée d’assurance d’un trimestre par période de trente mois, dans la limite de huit trimestres.
Voilà donc une proposition humaine et sociale, à l’écoute des réalités de terrain, financièrement gagée et fiscalement équilibrée pour préserver l’équilibre des comptes publics.
Cet édifice ne serait pas complet sans un volet informatif. Là encore, la proposition de loi prévoit les mesures nécessaires : un portail en ligne d’information, de renseignement et d’orientation sera mis en place.
Gageons, monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, que cette proposition saura contribuer à développer le modèle d’accompagnement des proches aidants, dont le rôle est essentiel à l’avenir durable de notre modèle social. Si nous faisons aujourd’hui l’effort de les accompagner dans cette démarche, nous serons tous gagnants demain !
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires est favorable à la proposition de loi, que je vous appelle, mes chers collègues, à graver dans le marbre dès aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Claude Kern. Très bien !
M. Jean-Pierre Decool. C’est le meilleur moyen d’affirmer une volonté humaniste, celle de porter un regard bienveillant sur les personnes les plus fragiles et de leur tendre la main ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’aide aux personnes vulnérables a de tout temps existé : remémorons-nous l’image fondatrice, héritée de la civilisation gréco-latine, d’Énée, ayant pris la fuite après la chute de Troie, qui porte sur son dos son père aveugle et paralysé.
L’aide apportée à nos aînés est en effet l’un des piliers de notre société. Ce rôle, assumé par les membres de la famille ou par des proches, est à la fois indispensable et éreintant. Comment concilier la vie professionnelle et le quotidien d’aidant ? Comment ne pas céder à l’oubli de soi ? Comment assurer une présence affective lorsque la fatigue arrive, lorsque le sentiment d’« insolitude » se fait sentir, lorsqu’aucun répit n’est finalement autorisé et que la culpabilité s’immisce peu à peu, lorsqu’aucun soutien ou aucun relais n’est envisageable ?
Cette situation appelle une réaction, demandée de longue date par les associations d’aidants. Je tiens donc à saluer le formidable travail réalisé par nos collègues Jocelyne Guidez et Olivier Henno.
Au regard de la pyramide des âges, nous constatons que les baby-boomers aidants de ces deux dernières décennies sont les personnes dépendantes de demain. Leur fort poids démographique doit nous faire prendre conscience que la gestion de la dépendance se fera en renforçant tous les maillons de cette grande chaîne.
La reconnaissance des aidants est une question complexe à plusieurs égards. En particulier, il s’agit de légiférer pour formaliser des comportements ou des droits, dans un domaine qui relève d’une évidente solidarité témoignée à un parent en situation de handicap, et cela sans attente d’un retour. Charge au législateur de trouver la juste distance pour ne pas créer un carcan, tout en accompagnant et protégeant.
Les « proches donnants », si vous me permettez cette expression, souffrent de ne pas pouvoir accéder à des moments de répit, et 56 % d’entre eux admettent subir, en plus de cette détresse psychologique, une dégradation de leur situation financière. C’est pourquoi créer un dispositif d’indemnisation du proche aidant et donner à celui-ci un statut clairement identifié et identifiable est à mes yeux primordial.
En instaurant un statut d’aidant et en permettant des aménagements avec la vie professionnelle et les affiliations au régime général de retraite, cette proposition de loi bâtit peu à peu une reconnaissance essentielle, unanimement demandée par les aidants. À l’heure des comportements trop souvent individualistes, ne pas reconnaître leur action serait un mauvais signal.
Malgré les difficultés de la tâche, épauler quelqu’un est un acte gratifiant, un acte positif, d’une humanité exemplaire : le rappeler, c’est aussi encourager les aidants dans leur engagement.
Mes chers collègues, la proposition de loi fait sens avec notre époque, avec notre société si complexe au regard des âges différents qui la composent. Je vous invite, à mon tour, à adopter ce texte, qui en appelle bien d’autres pour améliorer la situation des proches aidants. Il est temps de regarder les choses en face, avec courage, avec conviction, avec humanité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Philippe Mouiller. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Jocelyne Guidez, modifiée par la commission des affaires sociales, vise l’objectif, largement partagé, d’accroître la reconnaissance et le soutien que notre société doit apporter aux proches aidants, s’agissant notamment de leurs droits sociaux.
Selon les estimations et les statistiques, encore trop lacunaires ou anciennes, 8,3 millions de personnes soutiennent et accompagnent au quotidien un proche en perte d’autonomie en raison d’une maladie, d’un handicap, d’un accident ou de son âge.
Les aidants sont le plus souvent des membres de la famille, des conjoints ou des amis. Les femmes sont les premières pourvoyeuses d’aide au sein de la famille : environ 57 % des aidants sont des femmes, et leur contribution est plus forte, notamment en volume horaire.
Parmi ces 8,3 millions de personnes, on compterait 4 millions de personnes salariées, dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Or, nous le savons, les risques de ruptures professionnelles et d’isolement sont particulièrement importants pour les proches aidants. C’est pourquoi la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement avait innové en substituant le congé du proche aidant au congé de soutien familial.
Sur cette base, la présente proposition de loi prévoit d’importantes avancées, notamment l’indemnisation du proche aidant, la majoration de la durée d’assurance pour les aidants ayant interrompu totalement ou partiellement leur activité professionnelle et l’expérimentation du « relayage » pour offrir un répit aux aidants.
Ces propositions sont le fruit de l’engagement de notre collègue Jocelyne Guidez, dont je tiens à saluer le travail sur cet enjeu social et sociétal majeur.
Si nous partageons l’objectif d’améliorer au plus vite l’aide financière, matérielle et sociale des aidants, notre groupe émet des réserves sur l’adoption de cette proposition de loi, qui, à notre avis, comporte un risque de fragmentation supplémentaire de la question des proches aidants. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
En effet, la reconnaissance progressive du rôle des aidants a conduit à l’adoption de mesures législatives dispersées et cloisonnées, qu’il s’agisse de projets de loi ou de propositions de loi, comme celle que nous avons récemment adoptée sur le don de jours de congé.
Mme Éliane Assassi. Donc, on ne peut plus rien faire ?
Mme Patricia Schillinger. Nous sommes d’avis que cette technique des petits pas a atteint à la fois son objectif et sa limite : le sujet des aidants est désormais incontournable et transversal. Aussi les mesures proposées par nos collègues devraient-elles alimenter un plan global de soutien aux aidants, plutôt que de constituer un nouveau texte sectoriel traitant en majorité des aidants salariés.
Ce plan global, annoncé par le Gouvernement, devra également actualiser et harmoniser le cadre juridique applicable et améliorer la gouvernance et la cohérence des politiques publiques d’aide aux aidants. Sur le terrain, en effet, les aidants ont cruellement besoin d’un interlocuteur unique pour s’y retrouver dans le maquis des acteurs publics et privés du handicap et de la dépendance.
J’ajoute que le sujet des aidants est indissociable de celui des politiques publiques en matière de perte d’autonomie et de handicap. Là encore, un chantier majeur est en cours, et la question des aidants ne peut être traitée indépendamment de lui. Comme l’a souligné le Haut Conseil de la famille, « le premier droit des aidants est que le plan d’aide de leur proche soit d’un bon niveau et qu’un service public de bonne qualité le mette en œuvre ».
Je partage l’avis émis par notre collègue député Pierre Dharréville dans son rapport de « mission flash » sur les aidants : « Les personnes aidantes fournissent un travail gratuit, un travail informel qui vient au mieux en complément, au pire en palliatif d’une réponse publique qui n’est pas à la hauteur ».
Mme Cathy Apourceau-Poly. Eh oui !
Mme Patricia Schillinger. On ne peut durablement faire reposer une part significative de la prise en charge de la perte d’autonomie sur les épaules des personnes aidantes. Je le répète : si l’action publique doit, bien entendu, venir en aide aux aidants, ce ne peut être sa fin ultime ; c’est aux pouvoirs publics qu’il incombe au premier chef de répondre aux enjeux de la perte d’autonomie et du handicap.
Mme Éliane Assassi. Vous dites tout et son contraire !
Mme Patricia Schillinger. Pour l’ensemble de ces raisons, notre groupe s’abstiendra sur la proposition de loi.
Cette abstention, constructive (Marques d’ironie sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.),…
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Bien entendu !
Mme Patricia Schillinger. … est avant tout un rendez-vous pris avec nos collègues et avec le Gouvernement.
Mme Éliane Assassi. Il y a urgence !
Mme Patricia Schillinger. Nous voulons apporter, ensemble, des solutions cohérentes, volontaristes et globales aux millions d’aidants, ainsi que, bien sûr, aux aidés.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Cathy Apourceau-Poly. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre groupe est investi depuis longtemps sur la question des proches aidants.
Celle-ci a fait l’objet, en janvier dernier, d’une « mission flash » pilotée par Pierre Dharréville, suivie d’une proposition de loi. Ces deux initiatives de l’Assemblée nationale ont permis d’identifier les difficultés rencontrées par les proches aidants et de proposer des solutions. Le constat fait à l’époque est que les proches aidants pallient bien souvent les carences des professionnels de santé et des institutions, en gérant les problématiques liées à la dépendance, dont la responsabilité incombe pourtant à l’État.
Parce que les proches aidants assument un si grand rôle, il est nécessaire de leur assurer des conditions d’existence dignes, pour le présent, mais aussi pour le futur. Afin d’arriver à cet objectif, trois axes de travail ont été dégagés dans le cadre de la « mission flash » : le temps du proche aidant et son droit au répit ; les ressources dont il dispose pendant son congé et ses droits à retraite ; enfin, son encadrement, sa reconnaissance auprès des professionnels de santé et sa réinsertion dans le monde du travail, une fois sa tâche accomplie.
La proposition de loi dont nous débattons semble tenir compte de ces axes de réflexion et prévoit des solutions visant à améliorer le quotidien et le futur des proches aidants. Elle reprend certaines propositions emblématiques de la « mission flash » animée par Pierre Dharréville, comme la création d’une indemnité de proche aidant, la majoration des droits à retraite et la mise en œuvre du concept de « relayage ».
Centrales, ces trois mesures permettent de protéger le proche aidant dans le présent – en lui garantissant les ressources nécessaires pour assurer sa subsistance et en lui accordant un droit au repos via le relayage – et d’assurer son avenir, puisque la majoration des droits à la retraite évite qu’il soit pénalisé.
Nous nous félicitons de ces avancées, mais regrettons que cette proposition de loi ne tienne pas compte de l’ensemble des solutions avancées par la « mission flash ».
Ainsi, il conviendrait d’assouplir les conditions de mise en œuvre du congé, afin de faciliter son articulation avec le temps de travail. En effet, alors que certains aidants ont besoin d’utiliser leur congé de manière très fractionnée, à hauteur d’un ou de deux jours par semaine, le recours fractionné au congé est conditionné à l’accord de l’employeur. Par ailleurs, au-delà d’un « relayage » permettant aux aidants de se reposer, les frais relatifs à leur santé physique et mentale devraient être pris en charge à 100 %, afin d’éviter que leur investissement auprès de leurs proches ne les fragilise.
Enfin, la reconnaissance de la lourde tâche assumée par les proches aidants passe non pas seulement par la majoration de leurs droits à retraite, mais aussi par la mise en place de dispositifs permettant leur réinsertion dans l’emploi après un arrêt prolongé et la reconnaissance des compétences acquises au cours de cette expérience.
Même si nous regrettons que certains aspects de la situation des proches aidants aient ainsi été laissés de côté, cette proposition de loi constitue pour eux une avancée considérable. Certes, elle ne va pas assez loin selon nous, mais elle est créatrice de droits réels et nouveaux. C’est un premier pas.
La création de droits nouveaux pour les citoyens étant une préoccupation majeure de notre groupe, il nous paraît nécessaire de soutenir toute proposition en ce sens, indépendamment de toute considération dogmatique ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste. – Mme Viviane Malet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, d’après le baromètre 2017 des aidants réalisé par la Fondation APRIL, le phénomène de l’« aidance » toucherait près de 11 millions de Françaises et de Français. Le portrait type de l’aidant est majoritairement celui de femmes, qui travaillent et qui, bien souvent, n’ont pas conscience d’être des aidants, du fait du manque d’information et, il faut bien l’admettre, de reconnaissance de l’assistance quotidienne apportée aux personnes en perte d’autonomie, en incapacité ou malades.
Les aidants représentent une véritable alternative solidaire spontanée face aux carences de notre système d’accompagnement des personnes dépendantes. Le service gratuit rendu par ces personnes est gigantesque pour la société : si l’État devait prendre à sa charge l’accompagnement assuré par les aidants, il y consacrerait plusieurs dizaines de milliards d’euros !
À l’heure des restrictions budgétaires, aider les aidants se révèle donc autant une mesure d’épargne publique que de salut public.
C’est d’autant plus vrai que, par ailleurs, les projections démographiques confirment que ce phénomène sociétal va s’amplifier, du fait de l’augmentation exponentielle des maladies chroniques et du vieillissement de la population. D’ici à 2060, le nombre de personnes en perte d’autonomie devrait doubler, pour dépasser les 2,5 millions. Il faut donc saisir à bras-le-corps ce sujet d’avenir, au plus vite ! Cette proposition de loi vous y invite, madame la secrétaire d’État.
Je tiens à saluer notre collègue Jocelyne Guidez, qui a remis l’ouvrage sur le métier après l’initiative prise par notre collègue député Pierre Dharréville, en mars dernier – initiative d’ailleurs repoussée par le Gouvernement dans l’attente d’un projet de loi sur le cinquième risque « perte d’autonomie », dont on attend toujours la première mouture…
Alors qu’une concertation est lancée sur le thème du grand âge et de l’autonomie, le Sénat se donne l’occasion d’apporter sa contribution. Il s’agit également d’inciter le Gouvernement à accélérer ses réflexions, en vue de proposer des solutions concrètes aux aidants, et à se prononcer sur les mesures dont nous aurons à débattre dans quelques instants.
Le législateur n’est pas resté inactif ces dernières années sur la question. Dès 2015, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement a consacré la définition juridique des aidants et transformé le congé de soutien familial en congé de proche aidant. Puis, le don de jours de repos à un collègue a été étendu aux proches aidants par la loi du 13 février 2018. Mais est-ce bien suffisant ? Nous pensons que non, et que l’on peut toujours mieux faire.
Il faut désormais aller plus loin, et, une fois n’est pas coutume, la Commission européenne nous y invite, avec la publication, en avril 2017, du socle européen des droits sociaux, qui comprend un volet spécifique sur les aidants. La prise de conscience est donc bel et bien générale et transpartisane.
Cette proposition de loi participe de cette volonté de répondre à l’urgence sociale. Il ne s’agit pas d’entretenir une vision doloriste de l’aidance, mais de reconnaître pleinement les aidants dans leur solidarité, de faciliter leur quotidien et de les soutenir en développant un écosystème favorable.
Tel est bien l’objet de cette proposition de loi, que nous soutenons dans sa philosophie. En effet, l’indemnisation du proche aidant, pratiquée chez nos voisins européens, notamment en Suède, est une des avancées majeures du texte. Nous y souscrivons.
Par ailleurs, l’extension de la durée du congé, l’assouplissement des modalités de recours, l’intégration de la conciliation des vies personnelle et professionnelle des aidants dans la négociation collective, la meilleure information et la validation de périodes d’assurance pour le calcul des droits à pension sont autant de droits nouveaux essentiels qui faciliteront grandement la vie de l’aidant.
La situation des aidants, qui est souvent vectrice d’inégalités, suscite des conséquences dans leurs vies personnelle, professionnelle et sociale. Toujours sollicité, parfois même accaparé, le proche aidant s’oublie lui-même et relègue au second plan sa santé, mais surtout sa vie. Mésestimé, il souffre, d’une part, de l’absence d’accompagnement et de droits effectifs, et, d’autre part, du manque de personnel au sein des établissements de santé et des structures destinées à l’encadrement des personnes en perte d’autonomie.
La reconnaissance de l’aidant doit permettre à la société dans son ensemble, et au monde de l’entreprise en particulier, de changer de regard sur l’aidance. Les compétences déployées par les aidants en matière d’organisation, d’arbitrage et de décision doivent être valorisées.
Or les études de Michel Naiditch, de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, montrent bien la frilosité des DRH vis-à-vis des aidants et la perception négative qu’ils en ont ; par ricochet, ceux-ci refusent de déclarer leur situation auprès de leur hiérarchie ou de demander des aides existantes – nous en connaissons tous des témoignages.
Le rapport de Dominique Gillot intitulé Préserver nos aidants, une responsabilité nationale est également très pertinent sur la problématique de la désinsertion professionnelle des aidants.
L’aidance est aussi une question de santé publique. En effet, en fin de carrière professionnelle pour un tiers d’entre eux, les proches aidants craignent de perdre l’estime de leur employeur et font face à un tel cumul de tâches – une telle charge mentale, dirait-on aujourd’hui – que la dépression et l’épuisement les guettent bien souvent ; là encore, nous en connaissons tous des exemples.
Dans cette perspective, nous présenterons quelques amendements tendant à lutter contre la désinsertion professionnelle et sociale des proches aidants, afin de compléter cette proposition de loi très attendue par les aidants eux-mêmes.
Nous proposerons également l’ouverture d’une réflexion sur le cas particulier des jeunes aidants, une population estimée à 500 000 personnes, soit environ 10 % des aidants. Plus fragiles encore que leurs aînés, ces jeunes assistent quotidiennement, à l’aube de leur vie, un parent handicapé. Il nous semble plus que nécessaire de les prendre en considération pour leur permettre de réussir leur propre insertion sociale, largement entravée par l’aidance, à commencer par leur scolarité.
Vous l’aurez compris : nous souscrivons aux objectifs de la proposition de loi et aux mesures qu’elle prévoit. Malgré quelques reculs en commission, sur lesquels nous aurons l’occasion de débattre, nous pensons qu’elle tombe à point nommé pour rappeler au Gouvernement ses engagements et souligner la nécessité d’agir vite dans ce domaine, afin de rendre non pas hommage, mais justice à ces piliers invisibles et néanmoins indispensables de la solidarité nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – Mme Marie-Thérèse Bruguière applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de saluer à mon tour l’initiative de notre collègue Jocelyne Guidez, qui s’inscrit dans le prolongement du rapport qu’elle a présenté il y a neuf mois sur la proposition de loi de Paul Christophe ouvrant le don de jours de congé payés entre salariés au bénéfice des proches aidants.
M’exprimant à cette tribune lors de la discussion générale, j’avais alors estimé que cette proposition de loi allait dans le bon sens, tout en reconnaissant qu’elle laissait en suspens un certain nombre de questions, auxquelles votre texte, ma chère collègue, tente de répondre.
Vous proposez notamment que la question des aidants soit intégrée au champ obligatoire des négociations collectives – c’est l’article 1er du texte – et que le congé de proche aidant soit indemnisé – c’est son article 2 –, permettant ainsi d’améliorer la situation de ces personnes plus que jamais indispensables au bien-être des personnes en perte d’autonomie.
Les proches aidants jouent un rôle fondamental, que l’État ne peut entièrement assumer, d’autant moins que, avec le vieillissement de la population, leur nombre est amené à s’accroître dans les années à venir. Il est donc nécessaire de donner sans plus attendre davantage de moyens aux proches aidants pour assumer leur rôle.
Toutefois, il ne s’agit pas uniquement de leur faciliter la tâche. En effet, ces aidants, encore souvent en activité, éprouvent des difficultés à concilier travail et obligations familiales. Or cette situation, source de stress, d’anxiété ou de douleurs physiques, n’est pas sans incidence sur leur santé. Ainsi, selon une récente enquête, 31 % des proches aidants affirment avoir tendance à délaisser leur propre santé à cause de leur rôle ; 22 % déclarent avoir été obligés de reporter des soins qui les concernaient ; 11 % font état de problèmes de santé survenus depuis qu’ils sont aidants.
L’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé a même évoqué un risque de surmortalité des aidants par rapport à la population générale : ainsi, un tiers des aidants décéderaient avant la personne qu’ils soutiennent. C’est pourquoi il est essentiel que les aidants soient à leur tour soutenus, aidés, accompagnés et mieux informés.
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. Guillaume Arnell. À ce titre, l’article 6 de la proposition de loi prévoit la mise en place d’un guide de l’aidant et d’un site internet d’information et d’orientation. C’est très bien, compte tenu de la forte demande des aidants, qui se sentent souvent démunis.
Ce nouveau texte n’est pas sans rappeler la proposition de loi du député Pierre Dharréville en faveur d’une reconnaissance sociale des aidants, examinée à l’Assemblée nationale le 8 mars dernier, mais non adoptée, les députés de la majorité ayant préféré aborder la question dans le cadre d’une stratégie globale sur la dépendance, pour ne pas créer « des dispositifs et des réponses partielles, isolées, parfois concurrentes, au coup par coup ».
Je ne puis souscrire à cet argument : comme je l’ai dit en commission, le législateur ne peut se contenter d’attendre les initiatives du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Union Centriste.)
En outre, consacrer une loi aux seuls proches aidants serait une manière de mettre en lumière leur travail quotidien, me semble-t-il, tout en répondant à l’ensemble des problématiques auxquelles ils sont confrontés. Comme l’a justement expliqué notre rapporteur, « ce texte suggère que nous embrassions d’un seul regard une palette de droits nouveaux pour tous les aidants, leur offrant ainsi le seul vecteur possible de progrès ».
La question de l’accompagnement des personnes en situation de dépendance est encore plus prégnante sur mon territoire, Saint-Martin, au regard du coût des places et de leur nombre limité au sein de l’unique EHPAD existant. À ce problème s’ajoute la question, centrale pour nous, du vieillissement en terre d’immigration : de nombreux immigrés qui se sont installés sur mon territoire vont y finir leur vie, sans proche pour les accompagner dans le vieillissement, donc dans la dépendance.
Parallèlement à l’action en faveur des aidants, il est donc impératif de développer des structures d’accueil de jour, de faciliter l’hébergement temporaire en EHPAD et de favoriser le remplacement des aidants familiaux par des professionnels pendant quelques heures, quelques jours ou quelques semaines.
Bien entendu, cette liste n’est pas exhaustive. Bien des choses restent à accomplir pour valoriser les emplois d’aide à domicile et pour mieux informer sur les aides disponibles.
Parce que je suis sensible à la détresse, à la solitude, à l’épuisement des aidants familiaux, et pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, je n’ai pas hésité une seule seconde à cosigner ce texte.
Madame la secrétaire d’État, nous pouvons évidemment comprendre les contraintes de calendrier du Gouvernement, mais le législateur se doit d’être aussi force de proposition. Par conséquent, le groupe du RDSE apportera unanimement son soutien à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, chère Jocelyne Guidez, quel est donc ce « nouveau monde » qui nous avait été promis et qui a démoli, pierre par pierre, article après article, cette proposition de loi ? (Sourires.)
Aujourd’hui, tout ce qui est d’origine parlementaire est systématiquement refoulé !
M. Michel Canevet. Exactement !
Mme Élisabeth Doineau. Il est totalement impossible d’accepter cela. La démolition à laquelle nous avons assisté, une fois de plus, est intolérable.
Vous semblez ne pas trouver le chemin du nouveau monde, madame la secrétaire d’État. Peut-être avez-vous besoin d’être aidée ?… (Mme Victoire Jasmin rit.) Nous vous proposons aujourd’hui d’être vos aidants, mais vous devrez faire preuve d’un peu d’humilité. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Chaque Français, à un moment de sa vie, est amené à devenir un aidant. Cela sera malheureusement de plus en plus le cas, compte tenu du vieillissement de la population et de l’augmentation des maladies chroniques et neurodégénératives.
S’appuyer sur des proches aidants sera une nécessité croissante. Selon une étude, le travail des aidants familiaux représente entre 0,6 % et 0,8 % de notre PIB. Il s’agit d’un travail non reconnu, dont la valeur atteint chaque année entre 12 et 16 milliards d’euros.
Citer ces chiffres, alors que chaque histoire est unique et personnelle, donner une valeur monétaire à ces actes, alors qu’ils sont des preuves d’amour et de solidarité, me trouble et m’interpelle. À travers la singularité des parcours, ces chiffres jettent un regard froid et direct sur l’universalité de la condition humaine. Je salue donc tout particulièrement l’engagement de notre collègue Jocelyne Guidez, qui, depuis le début de son mandat, a travaillé sans relâche sur cette problématique.
Au moment où nous mettons en place une nouvelle stratégie de santé, plus tournée vers la prévention, cette proposition de loi est une main tendue pour répondre à un enjeu social et sociétal majeur. Il s’agit de favoriser la reconnaissance des proches aidants, de les épauler dans leur mission et de leur apporter le soutien qui leur est dû. Il s’agit, mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, d’être à la hauteur de la situation.
Les proches aidants, eux, le sont inconditionnellement, quitte à en perdre la vie, pour 30 % d’entre eux, qui décèdent avant leur proche.
Cette triste réalité, je tente de la raconter, mais chacun d’entre vous pourrait le faire. L’aidant est une personne naturellement désignée qui accompagne un proche fragilisé. Bien souvent, il ne se rend pas compte qu’il est un aidant, il est le parent, le conjoint, l’enfant, l’ami, le voisin.
Ce proche endossera la responsabilité des démarches administratives de l’aidé au moment où le récent diagnostic affectera profondément ce dernier. Il s’occupera des courses, du lever, du coucher, du repas, de la toilette et, souvent, il s’oubliera lui-même, remettant à plus tard ses propres rendez-vous médicaux, ses loisirs, sa vie, en somme. Le risque d’isolement et de traumatisme psychologique est important.
Les aidants salariés vivent un conflit entre leur obligation professionnelle et leur obligation morale. Pour y mettre un terme, beaucoup quittent leur emploi ou réduisent leur activité. À la fragilité sociale, s’ajoute alors la fragilité économique.
L’aidant se trouvera épuisé par la multiplicité et la dispersion des canaux d’information comme par le manque de temps, et ses interrogations grandiront : puis-je disposer d’un moment de répit ? Si je quitte mon emploi, quid de ma retraite ? Qui peut m’aider ? Dans ces péripéties de la vie, le proche aidant forme un duo avec l’aidé, mais seul ce dernier est visible, reconnu et pris en charge. Est-ce juste ? Non.
Aussi, en prévention, un appui médico-social modulé selon l’intensité de sa charge devra être consacré à l’aidant.
Des associations de soutien émergent ces dernières années, comme l’Association française des aidants et le collectif « Je t’Aide », qui distinguent et référencent les initiatives positives. Les collectivités s’organisent aussi en s’appuyant sur des fondations ; des conseils départementaux à la conférence des financeurs, beaucoup d’initiatives se font jour, sur tous les territoires. Des groupes de parole et des temps forts sont mis en place, mais cela n’est pas suffisant.
Les proches aidants sont au cœur de cette proposition de loi. Notre rapporteur, Olivier Henno, a détaillé le dispositif dont je rappellerai seulement les objectifs : détecter l’aidant le plus rapidement possible ; lui fournir les éléments nécessaires pour qu’il puisse se faire accompagner, ainsi qu’un soutien financier pour qu’il ne mette pas son propre avenir en péril ; lui permettre d’être reconnu sans crainte dans son entreprise et auprès des médecins de l’aidé ; lui garantir l’automaticité d’accès à ses droits, quelle que soit la situation de la personne aidée, dépendante ou handicapée ; assurer, enfin, un lien, identifiable rapidement par les services de secours, entre aidant et aidé.
En commission, plusieurs amendements du rapporteur qui tendaient à améliorer l’efficacité du dispositif sans en changer la philosophie ont été adoptés.
Nous ne pouvons plus remettre cette question à demain. Ce qui se joue aujourd’hui, c’est non pas l’adoption d’un texte par un Sénat d’opposition, mais l’adoption d’un texte par des représentants de la République, unis autour d’une cause commune. Nous devons prendre une décision pour que, à l’avenir, notre société soit juste et humaine, humainement juste et justement humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, 8,3 millions de nos concitoyens répondent à la définition de « proches aidants », en ce qu’ils apportent une aide humaine sans pour autant en tirer un salaire. Cette définition date de la loi du 28 décembre 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement.
En janvier dernier, nous ajoutions une pierre à l’édifice du statut des proches aidants en adoptant la proposition de loi déposée par notre collègue Paul Christophe, dont l’objet était de créer un dispositif de don de jours de repos non pris, à leur bénéfice.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui touche à un enjeu social et sociétal majeur et témoigne de la volonté des parlementaires de leur accorder des droits sociaux.
Notre collègue Jocelyne Guidez, auteur de la proposition de loi, que j’ai d’ailleurs cosignée, s’est attelée à un travail minutieux et précis, en réponse aux attentes légitimes des proches aidants. Je salue sa détermination et les mécanismes innovants qu’elle nous soumet sur ce sujet important. Elle a été secondée dans sa démarche par notre rapporteur Olivier Henno, que je félicite de son travail rigoureux.
Le rôle des proches aidants est essentiel, en ce qu’ils viennent suppléer les manquements de nos politiques sociales dans le domaine du vieillissement, du handicap ou de la maladie. Beaucoup d’entre eux se retrouvent dans des situations difficiles financièrement, parce qu’ils ont été contraints de cesser toute activité professionnelle, moralement, parce qu’ils consacrent tout leur temps à la personne aidée, et physiquement, parce qu’ils ne peuvent pas souffler ou qu’ils ne connaissent pas les gestes professionnels à effectuer.
Le temps qui m’est imparti ne me permet pas d’aborder l’ensemble des articles de ce texte ; j’insisterai donc sur deux points spécifiques.
Tout d’abord, la principale avancée de cette proposition de loi réside selon moi dans l’instauration d’une indemnisation du congé de proche aidant, à l’article 2. Le financement de cette indemnité est assuré et innovant : il repose sur un droit de tirage de l’employeur sur un fonds spécifique alimenté par une surcote portée à un niveau maximum de 1,7 % sur les primes de produits assurantiels. Ainsi, les finances de l’État ne sont pas sollicitées.
Je retiendrai ensuite l’article 4, qui prévoit les modalités d’uniformisation d’affiliation obligatoire à l’assurance vieillesse du régime général de tous les proches aidants, quelle que soit la personne qu’ils accompagnent et leur statut professionnel.
Cet article met fin à une discrimination au regard de la retraite entre les proches aidants de personnes en perte d’autonomie et ceux de personnes handicapées. Je salue cette avancée.
Madame la secrétaire d’État, pendant votre intervention, nous avons appris que vous partagiez un bon nombre des avancées contenues dans cette loi, mais que vous renvoyiez l’ensemble du sujet aux travaux du Gouvernement, aux conclusions de groupes de travail, à des rapports commandés. Aujourd’hui, pourtant, il y a urgence, et vous oubliez fondamentalement le rôle du Parlement et du Sénat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Michel Canevet. Tout à fait !
M. Philippe Mouiller. Le Parlement est force de proposition. Alors que nous aurions dû coconstruire cette loi, vous nous renvoyez sur nos travées, montrant ainsi votre mépris envers nos travaux. C’est à mes yeux une étrange conception de la vie démocratique !
Nous attendrons donc – les aidants attendront – que vous soyez prêts à nous proposer un texte dans les mois qui viennent, en espérant que celui-ci soit à la hauteur des enjeux que nous avons évoqués aujourd’hui.
Au regard de cette situation, pour affirmer son positionnement et l’intérêt qu’il porte à cette proposition de loi, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Viviane Artigalas applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à féliciter M. le rapporteur et Mme Guidez de cette proposition de loi, qui me semble particulièrement intéressante et qui, je le rappelle, a été votée en commission, après l’inclusion de quelques amendements présentés par le rapporteur.
Mes chers collègues, je vous invite à adopter ce texte, si possible à l’unanimité, sans tenir compte des injonctions du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Je souhaite rappeler qu’il existe un droit constitutionnel du Parlement, qui a été mis en place par un président dont on disait qu’il n’était pas un grand démocrate, à savoir Nicolas Sarkozy. Le Parlement a le droit, dans le cadre de la semaine parlementaire, de discuter des propositions de loi ; il peut les voter et, dès lors, elles s’imposent.
Je voudrais également vous présenter, madame la secrétaire d’État, quelques réflexions qui ont été portées par la commission des affaires sociales ; je connais moins bien la situation des autres commissions.
Nous avons travaillé sur les hôpitaux et sur les centres hospitaliers universitaires, les CHU. On nous a répondu : « Attendez, nous allons bientôt vous présenter un projet de loi qui remettra tout cela en place. Vos idées sont bonnes, venez travailler avec nous ; nous nous emparerons de vos idées et vous proposerons un projet de loi à la place de la proposition de loi. »
Nous avons avancé des propositions sur le financement de l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, et on nous a encore répondu, ce matin même : « Ce n’est pas la peine, dans quelques mois ou dans quelques dizaines de mois, nous vous présenterons un nouveau mode de financement et une nouvelle organisation, qui permettra à l’INSERM d’être mieux financé. » Par parenthèse, cela signifie que, aujourd’hui, cet institut est mal financé et que, d’ici là, il risque d’en mourir.
La commission des affaires sociales a mené un travail passionnant sur les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, qui a d’ailleurs été adopté à l’unanimité de ses membres. On nous a dit : « Attendez, nous sommes en train de réfléchir sur ce sujet, vos idées sont bonnes, venez les partager avec nous, nous concocterons un projet de loi au lieu de votre proposition de loi. »
Nous vous avons présenté ce travail sur les aidants, et j’ai entendu votre discours, madame la secrétaire d’État. En gros, vous avez dit : « Madame Guidez, monsieur le rapporteur, vous avez fait un excellent travail, nous sommes d’accord avec vous, mais attendez ! Venez nous donner vos idées, nous préparerons un projet de loi qui reprendra ce que vous proposez. » Et pendant ce temps, les aidants attendent.
Il y a quelques semaines, j’ai présenté une proposition de loi relative à l’autorisation d’analyses génétiques sur les personnes décédées. On m’a répondu : « C’est un excellent texte, la loi de bioéthique interviendra d’ici à un à an, patientez, et les personnes porteuses d’un cancer génétique attendront leur diagnostic, car un projet de loi est préférable à une proposition de loi. »
Depuis quelque temps, les droits du Parlement me semblent particulièrement bafoués ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
J’invite donc, une fois de plus, l’ensemble de nos collègues à voter en fonction de ce qu’ils ressentent et non pas de ce qu’on leur ordonne. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Viviane Artigalas applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants : un enjeu social et sociétal majeur
TITRE Ier
Favoriser le recours au congé de proche aidant
Article 1er
Le titre IV du livre II de la deuxième partie du code du travail est ainsi modifié :
1° Après le 2° de l’article L. 2241-1, il est inséré un 2°bis ainsi rédigé :
« 2°bis Sur les mesures destinées à faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés proches aidants ; »
2° (Supprimé)
3° (nouveau) Après la référence : « L. 3142-16 », la fin du premier alinéa de l’article L. 3142-26 est ainsi rédigée : « une convention ou un accord de branche ou, à défaut, une convention ou un accord collectif d’entreprise détermine : ».
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.
M. Maurice Antiste. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 31 janvier dernier, à l’occasion de la discussion de la proposition de loi créant un dispositif de don de jours de repos non pris au bénéfice des proches aidants de personnes en perte d’autonomie ou présentant un handicap, je confirmais l’importance du sujet des aidants familiaux et la nécessaire évolution législative de leur statut, au regard de leur importance croissante pour nos populations et nos territoires.
Le sujet me préoccupant grandement, j’ai d’ailleurs remarqué que toutes les mesures réglementaires prévues par cette loi avaient été prises par le Gouvernement. Il ne manque que la publication du rapport visant à évaluer la possibilité de réviser l’imposition des sommes versées à titre de dédommagement dans le cadre de la prestation de compensation, afin de soutenir et de valoriser les proches aidants. J’ose espérer, madame la secrétaire d’État, que, eu égard au sujet, ledit rapport paraîtra bientôt.
Je ne suis pas non plus convaincu, à titre personnel, que le développement des maisons de retraite et des EHPAD soit le symbole d’une évolution positive de notre société. Bien au contraire, je considère que l’avenir du bien-être de nos populations âgées réside dans la création d’un réel statut de l’aidant, ainsi que dans la mise en œuvre de mécanismes de protection adaptés et performants à leur endroit, concernant les prestations de compensation, la santé, les retraites, la protection sociale, etc.
C’est d’autant plus vrai que le vieillissement de la population française s’intensifie, notamment aux Antilles, lesquelles se classent parmi les régions les plus âgées de France. En 2014, quelque 92 180 personnes âgées de soixante ans et plus résidaient en Martinique, représentant 24,2 % de la population, soit une proportion équivalente à celle que l’on observe en métropole – 24,4 % –, mais plus élevée que l’on connaît en Guadeloupe, où elle atteint 21,9 %.
En 2030, quelque 145 400 personnes seront âgées de soixante ans et plus. La part des seniors – 39,6 %, contre 30 % au niveau national – fera de la Martinique l’une des régions hébergeant proportionnellement le plus de personnes âgées.
On voit donc bien toute l’importance du sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Mme Guidez, M. Vanlerenberghe, Mme Doineau, MM. Marseille et Delahaye, Mme Létard, MM. Médevielle et Janssens, Mmes Vullien, Vermeillet et Loisier, MM. Le Nay, Moga et Delcros, Mmes Billon et Gatel, MM. Kern, Cadic, Lafon, Cigolotti, Louault, Longeot, Cazabonne et L. Hervé, Mme Morin-Desailly, MM. Dallier, Mouiller et Savary, Mme Noël, MM. Raison et Perrin, Mme Micouleau, MM. A. Marc, Lefèvre, Daubresse, Cuypers et Houpert, Mme A.M. Bertrand, MM. Piednoir et B. Fournier, Mme Garriaud-Maylam, M. Vogel, Mmes L. Darcos et Malet, MM. Paccaud et Decool, Mme Kauffmann, MM. Chatillon, Priou et Huré et Mmes Bonfanti-Dossat et Bruguière, est ainsi libellé :
Compléter cet article par quatre alinéas ainsi rédigés :
…° L’article L. 6323-14 est ainsi modifié :
…) Après le mot : « technologiques », sont insérés les mots : « , les salariés mentionnés à l’article L. 6323-12 » ;
…) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du premier alinéa pour les agents publics civils et militaires. »
La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Cet amendement tend à insérer la possibilité de rendre prioritaires au compte personnel de formation – ou CPF – les salariés qui se seraient absentés au titre des congés sociaux non rémunérés. Il vise clairement les proches aidants, issus aussi bien du secteur privé que du secteur public. De nombreux aidants actifs que j’ai rencontrés m’ont sollicité à ce sujet.
Nous leur devons ce droit de priorité, en raison de leur investissement au quotidien auprès de leur proche, pour qu’ils ne perdent pas pied dans le monde du travail, et, enfin, parce que cette évolution est attendue et souhaitée.
Il s’agit non pas de créer des inégalités entre salariés, mais bien de permettre à ceux qui se sont absentés pour des raisons éminemment humaines, de bénéficier d’abord de ces formations, afin de se remettre à niveau. Une absence d’un an, de deux ans, de trois ans – parfois plus encore – est bien longue, alors que les techniques professionnelles évoluent vite.
J’ai récemment participé à une rencontre dans mon département de l’Essonne avec des salariés et des employeurs sur le thème de la place des proches aidants dans l’entreprise. Les témoignages étaient saisissants et bouleversants, et j’ai été agréablement surprise de voir ces chefs d’entreprise soutenir cette proposition. Ce sujet suscite une véritable attente, et il est temps de combler notre retard. Les droits sociaux doivent prendre en compte ces besoins !
Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, comme vous l’avez noté, l’article 1er reprend le dispositif adopté lors de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui avait alors reçu le soutien de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et celui de votre collègue, Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, compétente sur ce sujet.
Conformément au principe de solidarité gouvernementale, comme vous l’avez précisé, vous soutenez l’objectif de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. J’attends donc l’expression d’un avis favorable du Gouvernement sur l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Henno, rapporteur. Le dispositif proposé renforce la proposition de loi, en n’oubliant pas le cas des fonctionnaires.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Je comprends l’objectif de cet amendement, mais le moyen proposé me semble inadapté. La durée du congé de proche aidant est déjà prise en compte intégralement dans la détermination des avantages liés à l’ancienneté.
S’agissant, en outre, du calcul des heures portées sur le CPF, les partenaires sociaux peuvent, par la négociation collective au sein des entreprises ou des branches, organiser une priorité d’accès aux formations des salariés aidants ou de tout autre public.
Madame Guidez, votre amendement étant satisfait, je vous propose de le retirer ; à défaut, l’avis du Gouvernement serait défavorable.
M. le président. Madame Guidez, l’amendement n° 1 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Jocelyne Guidez. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
La sous-section 3 de la section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la troisième partie du code du travail est ainsi modifiée :
1° Au premier alinéa de l’article L. 3142-16, les mots : « un an » sont remplacés par les mots : « six mois » ;
2° L’article L. 3142-19 est ainsi modifié :
a) Au deuxième alinéa, les mots : « d’un an » sont remplacés par les mots : « de trois ans » ;
b) (Supprimé)
c) Au début du 2°, après le mot : « Admission », il est inséré le mot : « permanente » ;
d) Le 4° est abrogé ;
3° Après l’article L. 3142-20, il est inséré un article L. 3142-20-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 3142-20-1. – Le congé de proche aidant ouvre droit à une indemnité de proche aidant.
« Le dépôt d’une demande de congé de proche aidant par un salarié auprès de son employeur déclenche un droit de tirage de ce dernier sur le fonds mentionné à l’article L. 3142-25-2, qui lui permet d’assurer le versement au salarié de cette indemnité.
« L’indemnité est calculée selon les mêmes modalités que celles mentionnées au premier alinéa de l’article L. 544-1 du code de la sécurité sociale. Elle est versée individuellement dans la même limite que celle mentionnée à l’article L. 544-4 du même code. Dans le cas mentionné à l’article L. 3142-20 du code du travail, cette indemnité peut être cumulée avec la rémunération du salarié pour autant que l’addition de ces deux montants ne dépasse pas le plus petit des deux montants entre la rémunération du salarié et la limite précédemment mentionnée. Elle n’est pas cumulable avec l’ensemble des prestations mentionnées à l’article L. 544-9 du code de la sécurité sociale ainsi qu’avec l’allocation mentionnée à l’article L. 232-1 du code de l’action sociale et des familles.
« Le versement de l’indemnité de proche aidant est intégré par l’employeur à la déclaration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 133-5-3 du code de la sécurité sociale. » ;
4° Le paragraphe 1 est complété par un article L. 3142-25-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 3142-25-2. – Un fonds spécifique, dont les statuts sont définis par décret pris en Conseil d’État, est institué afin d’assurer le financement du congé de proche aidant. Il est administré par un conseil de gestion composé à parité de représentants de l’État, de représentants d’employeurs et de salariés. Sa gestion comptable et financière est assurée par la Caisse des dépôts et consignations.
« Les ressources de ce fonds proviennent notamment d’une taxe sur la prime mentionnée au troisième alinéa de l’article L. 112-1 du code des assurances, telle qu’elle s’applique aux contrats mentionnés aux articles L. 143-1, L. 144-1 et L. 144-2 du même code et à l’article L. 222-3 du code de la mutualité.
« Le taux de la taxe est fixé à 1,7 %. » ;
5° L’article L. 3142-26 est ainsi modifié :
a) Le 1° est complété par les mots : « , sans préjudice du droit à son renouvellement » ;
b) (Supprimé)
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, sur l’article.
Mme Jocelyne Guidez. Madame la secrétaire d’État, je souhaitais rappeler, avant l’examen de l’article 2, que, selon votre administration, le congé de proche aidant aurait profité à moins de dix personnes en 2016, sur 267 000 bénéficiaires potentiels. Même si ce chiffre n’est peut-être pas exhaustif, il montre que le taux de recours est extrêmement faible : 0,004 %… Le constat est saisissant !
Madame la secrétaire d’État, quand un dispositif ne fonctionne pas, on le supprime ou on l’améliore. Le moyen de rendre cette mesure efficace est connu, et sa mise en œuvre est demandée par les associations. Sans indemnisation, les proches aidants ne déclenchent pas ce congé ; pis, ils sont susceptibles de recourir à des congés maladie de complaisance.
Aussi, madame la secrétaire d’État, à la suite de votre intervention, je prends acte de votre soutien à l’évolution des conditions du congé de proche aidant. Je note surtout l’engagement que vous venez de prendre s’agissant de son indemnisation.
Toutefois, je regrette qu’il ne s’agisse que de paroles et non d’amendements du Gouvernement ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. L’amendement n° 18, présenté par M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéas 10 et 12
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Henno, rapporteur. Cet amendement tend à approfondir la cohérence du dispositif et son rapprochement avec l’allocation journalière de présence parentale, en retirant l’employeur du circuit de son versement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Les dispositions de cet amendement vont dans le bon sens et me semblent apporter une meilleure cohérence au dispositif.
Pour autant, compte tenu de la position du Gouvernement sur l’ensemble de l’article 2, je ne puis qu’émettre un avis défavorable.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5, présenté par Mme Grelet-Certenais, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, MM. Kanner et Daudigny, Mmes Féret, Jasmin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 11, dernière phrase
Remplacer cette phrase par deux phrases ainsi rédigées :
Cette indemnité est cumulable avec la rémunération découlant de la situation mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 3142-18 du code du travail. Elle n’est pas cumulable avec l’allocation mentionnée à l’article L. 544-1 du code de la sécurité sociale.
La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Cet amendement vise à rétablir le texte initial de la proposition de loi, en offrant la possibilité au proche aidant de cumuler l’indemnité perçue au titre du congé de proche aidant avec la prestation de compensation du handicap, ou PCH, ou la rémunération versée au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, de la personne aidée.
Parler d’effet d’aubaine pour les aidants me paraît assez inapproprié. Soutenir les aidants est un enjeu d’intérêt général, mais aussi intime. On le sait, être aidant n’est pas un choix, c’est d’abord une situation subie. C’est la raison pour laquelle il faut permettre à l’aidant de faire face à la perte d’autonomie de la personne aidée.
Nous savons quel investissement personnel représente cette tâche. Nous connaissons le chiffrage en milliards d’euros des services accomplis par les aidants et l’importance du taux de non-recours aux aides. Il nous semble juste de permettre aux aidants d’obtenir une prestation compensatoire et de sauvegarder le droit à la PCH ou à l’APA du parent aidé et, ainsi, de faciliter la vie de ceux qui doivent accompagner leurs proches.
On peut enfin considérer que le terme de « cumul » est totalement inapproprié, car les prestations ne s’adressent pas du tout aux mêmes bénéficiaires.
M. le président. L’amendement n° 19, présenté par M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 11, dernière phrase
Remplacer les mots :
L. 232-1 du code de l’action sociale et des familles
par les mots :
L. 544-1 du même code et la rémunération mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 232-7 du code de l’action sociale et des familles
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 5.
M. Olivier Henno, rapporteur. Cet amendement tend à préciser le périmètre de non-cumul de l’indemnité de proche aidant, en ajoutant la rémunération touchée par l’aidant au titre de l’APA.
S’agissant de l’amendement n° 5, la commission s’est montrée soucieuse, tout au long de la discussion, d’éviter les effets d’aubaine liés au cumul de l’indemnité de proche aidant et d’autres indemnités, notamment celles qui sont versées à la personne aidée au titre de l’APA ou de la PCH. L’idée de la proposition de loi est d’assurer l’indemnisation des proches aidants, mais sans pour autant faire double emploi avec les possibilités déjà existantes.
La commission émet donc un avis défavorable sur l’amendement n° 5.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Ce non-cumul est justifié, car il permet d’éviter une potentielle double compensation.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 5.
(L’amendement est adopté.) – (Mme Nadine Grelet-Certenais applaudit.)
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 19 n’a plus d’objet.
L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme N. Delattre, MM. Requier, Arnell, Artano et A. Bertrand, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Dantec, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Guillotin et Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Léonhardt, Menonville, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 14, deuxième phrase
Remplacer les mots :
d’employeurs et de salariés
par les mots et une phrase ainsi rédigée :
d’employeurs, de salariés et de membres d’associations représentatives d’usagers. Les membres d’associations représentatives d’usagers ne sont pas rémunérés et aucun frais lié au fonctionnement de ce conseil de gestion ne peut être pris en charge par une personne publique.
La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. L’article 2 met en place un fonds spécifique pour financer le congé de proche aidant. Il est prévu que ce fonds soit administré par un conseil de gestion composé à parité de représentants de l’État et de représentants d’employeurs et de salariés.
Cet amendement vise à y associer les usagers.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Henno, rapporteur. Cet amendement tend à associer les associations représentatives d’usagers à la gestion du fonds spécifiquement dédiée au financement de l’indemnité de proche aidant.
Toutefois, de quels usagers s’agit-il ? Cette mesure ne concerne pas la gestion d’un établissement de service public, pour laquelle cet amendement se justifierait parfaitement, mais une aide apportée par un proche dans un strict cadre familial ou amical. La notion « d’usagers » ne me semble donc pas devoir s’appliquer.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. J’ai bien compris le sens de l’intervention de M. le rapporteur. Plutôt que d’essuyer un vote négatif, je préfère donc retirer cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 6, présenté par Mme Grelet-Certenais, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, MM. Kanner et Daudigny, Mmes Féret, Jasmin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :
b) Le 2° est abrogé.
La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Cet amendement vise à rétablir la suppression du nombre de renouvellements possibles du congé de proche aidant du champ de la négociation collective, ouvrant ainsi la possibilité d’un nombre de renouvellements non plafonnés dans la limite de trois années.
Les besoins étant compliqués à évaluer et à planifier, ne pas plafonner le nombre de renouvellements possibles sur une durée de trois années permettrait au proche aidant de bénéficier de souplesse dans l’organisation de son emploi du temps professionnel et, ainsi, d’une certaine réactivité face aux aléas de santé de l’aidé.
Déterminer le nombre de renouvellements possibles revient à exiger du proche aidant la capacité d’anticiper sur les périodes de dépendance plus aiguës, d’autant plus qu’une personne ayant assumé la charge d’aidant est souvent amenée à être sollicité une nouvelle fois par la famille ou par les proches.
Il faut également évoquer le cas du cumul des personnes aidées, par exemple un enfant et une personne âgée.
La suppression du nombre de renouvellements possibles du congé de proche aidant du champ de la négociation collective offre une réelle flexibilité et permet, à terme, l’instauration d’un climat plus solidaire et plus propice à l’épanouissement du proche aidant dans l’entreprise.
Par conséquent, restreindre le champ de la négociation collective ouvre de facto le champ de l’apaisement individuel, sans porter préjudice à l’équilibre existant au sein de l’entreprise. Retirer cette charge morale au proche aidant augmentera sa disposition à travailler, la sérénité étant la clé de voûte de sa bonne santé physique, d’une part, et psychologique, d’autre part.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Henno, rapporteur. La commission a souhaité justement que soit maintenue dans le champ de la négociation collective la possibilité de limiter le nombre de renouvellements possibles du congé de proche aidant, afin de ne pas ouvrir pour la branche la possibilité de renouveler ce congé à l’infini.
Cette rédaction non seulement permet une meilleure prévisibilité de la mesure pour les employeurs, mais écarte le risque de sa non-soutenabilité pour les branches qui iraient au-delà du plafond légal de trois ans.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par Mme Grelet-Certenais, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, MM. Kanner et Daudigny, Mmes Féret, Jasmin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au troisième alinéa de l’article L. 6111-6 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, après les mots : « les salariés », sont insérés les mots : « , les personnes en situation de handicap au titre des articles L. 5213-1 à L.5213-3, les salariés atteints de maladie chronique et les proches aidants mentionnés à l’article L. 113-1-3 du code de l’action sociale et des familles ».
La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Le présent amendement tend à préciser que le conseil en évolution professionnelle concerne bien les personnes en situation de handicap et les proches aidants.
Lors de l’examen de cet amendement en commission, on m’a laissé entendre qu’il était satisfait. S’il m’était confirmé que tel est bien le cas, je le retirerais.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Henno, rapporteur. L’amendement est effectivement satisfait. La commission y est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. En effet, cet amendement est satisfait. Je vous demanderai donc de bien vouloir le retirer, madame la sénatrice, faute de quoi j’y serais défavorable.
M. le président. Madame Grelet-Certenais, l’amendement n° 7 est-il maintenu ?
Mme Nadine Grelet-Certenais. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 7 est retiré.
L’amendement n° 9, présenté par Mme Grelet-Certenais, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, MM. Kanner et Daudigny, Mmes Féret, Jasmin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa du II de l’article L. 6122-1 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, après les mots : « d’illettrisme, », sont insérés les mots : « de handicap, de proche aidant, d’exclusion professionnelle ».
La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Cet amendement vise à placer les aidants et les personnes en situation de handicap au rang des priorités du programme national prévu à l’article L. 6122-1 du code du travail.
Ce programme prévoit la mise en place d’une politique d’accompagnement professionnel spécifique des jeunes sortis du système scolaire et des personnes à la recherche d’un emploi. L’objectif est de mettre au cœur des politiques publiques de l’emploi la problématique de l’aidance.
Nous l’avons déjà évoqué il y a quelques instants, la prévention évite l’exclusion, au même titre que l’accompagnement favorise l’épanouissement de l’individu qui se trouve dans une situation particulièrement complexe. Faire apparaître explicitement la situation du jeune aidant ne peut que renforcer le besoin qui est le sien d’un accompagnement spécifique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Henno, rapporteur. Lors de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, mon groupe s’est montré extrêmement réservé quant au transfert de la compétence « formation » de la région à l’État.
La loi prévoit désormais la possibilité pour l’État de financer un programme national destiné à répondre à un besoin additionnel de qualification au profit de jeunes décrocheurs ou de personnes n’ayant pas le baccalauréat.
Le public cible de ce programme est défini de manière extrêmement précise. Il ne me paraît donc pas souhaitable d’y intégrer, comme le présent amendement tend à le faire, toutes les personnes handicapées, les proches aidants et les personnes menacées d’exclusion professionnelle. Cette disposition est contraire au principe de compétence régionale et fait également courir le risque d’une concurrence avec les organismes qui sont déjà chargés de la formation de ces publics.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Les catégories de personnes que vous ciblez sont déjà visées par les efforts du plan d’investissement dans les compétences, le PIC, et par sa déclinaison au niveau régional, madame la sénatrice.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
M. le président. Madame Grelet-Certenais, l’amendement n° 9 est-il maintenu ?
Mme Nadine Grelet-Certenais. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 8, présenté par Mme Grelet-Certenais, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, MM. Kanner et Daudigny, Mmes Féret, Jasmin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le second alinéa de l’article L. 6324-1 du code du travail, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, est complété par les mots : « ou dont l’état de santé au travail justifie une réorientation anticipée pour éviter la désinsertion professionnelle ».
La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Toujours inspiré du rapport de Dominique Gillot, le présent amendement a pour objet de veiller à ce que les salariés qui courent un risque de désinsertion professionnelle pour cause de maladie, d’accident ou de handicap diagnostiqué, ou dont l’état de santé au travail le justifie, bénéficient d’une reconversion ou d’une promotion sociale ou professionnelle grâce à des actions de formation spécifiques.
Le proche aidant exerce, d’une certaine façon, et à titre gracieux, des tâches pour lesquelles il n’est ni qualifié ni prédisposé en raison de sa vie privée et de son organisation professionnelle. Nombre de spécialistes, tels que l’interne en médecine Hélène Rossinot, constatent que le proche aidant atteint souvent un point de non-retour, en s’oubliant lui-même et en reléguant sa santé au second plan. Ces reports de soins, fréquents, entravent la détection des maladies graves.
Si préserver la santé des aidants est un enjeu de santé publique aujourd’hui, leur permettre d’être maintenus à un poste qui leur correspond, ou de changer de métier ou de profession, ou encore de bénéficier d’une promotion sociale ou professionnelle, constitue selon nous la réponse la plus efficace. En effet, nous le savons : s’adapter au nouvel état de santé de l’aidant empêche sa mise à l’écart et prévient l’exclusion professionnelle.
Les réflexions doivent s’orienter vers un meilleur encadrement dans le cadre de la reconversion professionnelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Henno, rapporteur. Je trouve l’idée de notre collègue judicieuse et cohérente, puisqu’il s’agit de personnes menacées de désinsertion professionnelle. Leur offrir ce droit est une bonne idée.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. La désinsertion professionnelle dépasse le sujet des aidants, me semble-t-il. Je m’interroge sur la nécessité d’inscrire cette disposition dans le texte.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 2.
TITRE II
Sécuriser les droits sociaux de l’aidant
Article 3
I. – Après l’article L. 351-4-2 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 351-4-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 351-4-3. – L’assuré social assumant, au foyer familial, la prise en charge permanente d’une personne atteinte d’une perte d’autonomie d’une particulière gravité qui est son conjoint, son concubin, la personne avec laquelle il a conclu un pacte civil de solidarité ou son ascendant, descendant ou collatéral ou l’ascendant, descendant ou collatéral d’un des membres du couple bénéficie d’une majoration de durée d’assurance d’un trimestre par période de trente mois, dans la limite de huit trimestres.
« Un décret détermine les conditions d’application de l’alinéa précédent, notamment les critères d’appréciation de la particulière gravité de la perte d’autonomie de la personne prise en charge. »
II. – Le I est applicable aux pensions de retraites liquidées à compter du lendemain de la publication de la présente loi.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, sur l’article.
Mme Jocelyne Guidez. Comme l’article 4, l’article 3 s’attache aux droits sociaux des aidants et, particulièrement, à leur retraite.
Alors que ces dispositions ont notamment été à l’origine du renvoi en commission d’une proposition de loi en début d’année à l’Assemblée nationale, je m’étonne que le Gouvernement n’ait pas déposé un amendement de suppression, par cohérence avec sa propre position. En tout cas, je me félicite que le Sénat ait l’occasion d’adopter ces dispositions aujourd’hui.
Cela étant, madame la secrétaire d’État, doit-on voir dans l’inflexion du Gouvernement un signal à destination du haut-commissaire à la réforme des retraites, afin qu’il intègre les dispositions de ces deux articles, du moins l’objectif qui les sous-tend, dans le cadre du projet de loi sur les retraites qui sera prochainement présenté ?
À l’occasion de nos débats sur les articles 3 et 4, pouvez-vous dès lors nous confirmer que le Gouvernement soutient une politique de protection du public qui est visé par ces articles ?
M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, sur l’article.
M. Michel Canevet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux moi aussi appeler l’attention de l’ensemble de nos collègues sur l’importance de cet article.
Pour ce qui concerne les aidants, il convient effectivement de prendre des dispositions pour l’accompagnement immédiat, mais il ne faut jamais oublier la question des droits ultérieurs et, en particulier, celle de la retraite. On sait bien, en effet, que s’occuper d’une personne en situation d’extrême handicap nécessite du temps, ce qui se fait souvent au préjudice de la carrière professionnelle. Il n’y a pas de raison de pénaliser l’ensemble des aidants. Il faut donc être attentif à ce que ces dispositions soient prises en compte.
Comme l’évoquait à l’instant Jocelyne Guidez, il est important que, à l’orée d’une réforme des régimes de retraite, nous ayons bien à l’esprit que ces mesures devraient pouvoir être intégrées à ladite réforme. Ces mesures représentent un « plus » qui permet aux aidants de sécuriser leurs droits en matière de retraite, alors même qu’ils doivent consentir des efforts lorsqu’ils ont à s’occuper de leurs proches en grande difficulté.
Je tenais vraiment à sensibiliser le Gouvernement sur l’intérêt de cet accès des aidants aux droits sociaux ultérieurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. le président. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
L’article L. 381-1 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le cinquième alinéa est ainsi modifié :
a) La première phrase est ainsi modifiée :
– après la deuxième occurrence des mots : « pacte civil de solidarité », sont insérés les mots : « ou une personne âgée ou handicapée avec laquelle il réside ou avec laquelle il entretient des liens étroits et stables » ;
– sont ajoutés les mots : « jusqu’à ce qu’advienne l’une des situations mentionnées aux cinquième, sixième, septième et huitième alinéas de l’article L. 3142-19 du code du travail » ;
b) À la deuxième phrase, les mots : « d’une année » sont remplacés par les mots : « de trois années » ;
c) (Supprimé)
2° La première phrase du 2° est ainsi modifiée :
a) Les mots : « dont la commission prévue à l’article L. 146-9 du code de l’action sociale et des familles reconnaît que l’état nécessite une assistance ou une présence définies dans des conditions fixées par décret et » sont supprimés ;
b) Après les mots : « ci-dessus rappelé », sont insérés les mots : « ou d’une personne âgée, présentant une perte d’autonomie d’une particulière gravité » ;
c) La deuxième occurrence du mot : « handicapée » est supprimée ;
c bis) (nouveau) Sont ajoutés les mots : « ou une personne avec laquelle il réside ou avec laquelle il entretient des liens étroits et stables » ;
d) (Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
cinquième, sixième, septième et huitième alinéas
par les références :
1°, 2°, 3° et 5°
La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Henno, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Cohen. C’est un miracle ! (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application de l’article 53 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance aux agents publics civils.
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.
M. Maurice Antiste. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettre à un professionnel de remplacer un aidant à domicile plusieurs jours d’affilée, afin que celui-ci puisse partir l’esprit léger et tranquille, se ressourcer, s’occuper de lui, est, à l’heure actuelle, un rêve inaccessible pour la majorité des aidants. La faute en revient à un cadre réglementaire inadapté et à un manque de financements.
En effet, la réglementation en vigueur contraint actuellement à faire se succéder plusieurs relayeurs auprès d’un aidé en cas d’absence de l’aidant principal, conformément aux conventions collectives des services à la personne, qui limitent la durée maximale de présence continue à dix ou douze heures.
Or, comme le soulignait la députée Joëlle Huillier dans son rapport au Premier ministre, « les relayeurs expriment tous le fait qu’ils vivent les temps de présence trop courts comme une forme de maltraitance. […] Le consensus semble se faire sur un idéal a minima d’un seul intervenant sur une durée de trente-six heures ».
Dès lors, il est nécessaire que l’État, les collectivités locales et les partenaires sociaux du secteur de l’aide à domicile se coordonnent et s’engagent dans un échange constructif pour contribuer à faire évoluer cette situation. Pour ce faire, il est également nécessaire de pouvoir s’appuyer sur des travaux documentés et solides, afin d’apporter les modifications législatives nécessaires à l’encadrement du statut de relayeur.
Enfin, il est nécessaire d’harmoniser le coût du service de relayage, afin que le reste à charge pour les familles soit raisonnablement acceptable, grâce à un financement pérenne et régulier prévu dans le cadre d’une politique publique de subventionnement en faveur de l’aide au répit et, plus particulièrement, de l’aidant.
L’expérimentation prévue à cet article est nécessaire pour parvenir à une analyse plus fine et précise de l’ensemble de ces éléments, et apporter des solutions adaptées pour favoriser le développement du relayage.
M. le président. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Article additionnel après l’article 5
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Saury, Cardoux et Brisson, Mmes Deromedi, Micouleau, Berthet et Raimond-Pavero, MM. Lefèvre et Houpert, Mme Bories, MM. Perrin, Raison et Panunzi, Mme de Cidrac, MM. Savary et Bonhomme, Mmes Renaud-Garabedian et Lanfranchi Dorgal et MM. Pierre, Priou, Kennel, B. Fournier et Dériot, est ainsi libellé :
Après l’article 5
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans chaque département, la conférence des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées peut décider d’affecter une partie des ressources qui lui sont allouées par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie à des actions visant à prévenir les difficultés physiques et psychiques auxquelles peuvent être confrontés les proches aidants.
La parole est à M. Hugues Saury.
M. Hugues Saury. Le présent amendement a pour objet de permettre à la conférence départementale des financeurs de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées d’utiliser une partie des ressources qu’elle reçoit de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, au titre de la section V de son budget, pour financer des actions en faveur des proches aidants.
Je rappelle que cette conférence des financeurs a pour objectif de coordonner, dans chaque département, les financements de la prévention de la perte d’autonomie des personnes âgées de soixante ans et plus, autour d’une stratégie commune. Il y a donc une vraie logique à permettre une action globale, coordonnée et partagée pour les acteurs locaux.
Cette faculté qui serait reconnue à la conférence départementale des financeurs pourrait faciliter le financement d’actions de prévention de l’épuisement physique ou psychique auquel sont fréquemment exposés les proches aidants. Elle s’inscrirait en parfaite complémentarité avec la mission première de la conférence des financeurs, qui vise avant tout à financer des actions de prévention de la perte d’autonomie.
Une telle disposition exprimerait une forme de reconnaissance supplémentaire du rôle essentiel joué par les proches aidants, en favorisant le renforcement de l’efficacité de leur présence auprès des personnes âgées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Henno, rapporteur. Monsieur Saury, votre intention est tout à fait louable, mais cet amendement est déjà satisfait par le droit existant, qui prévoit que les crédits de la section IV du budget de la CNSA, abondant les conférences des financeurs, sont destinés à venir en soutien des aidants.
D’ailleurs, la commission des affaires sociales déplore régulièrement que les missions financières de la CNSA soient déployées avec un cloisonnement excessif. Il ne me paraît pas utile d’en rajouter.
C’est pourquoi je sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Les priorités en matière de prévention, les moyens à y consacrer, la répartition des rôles et des financements entre les différents acteurs, dont la CNSA, font l’objet de l’atelier de prévention.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Monsieur Saury, l’amendement n° 3 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Hugues Saury. Quand on prend le guide technique de la conférence des financeurs de la CNSA, par exemple, il est indiqué, à la page 25, que « les actions de soutien aux proches aidants […] ne sont pas éligibles aux concours de la conférence des financeurs ».
Mme Nassimah Dindar. Exactement !
M. Hugues Saury. Par ailleurs, les directeurs généraux adjoints des départements en charge de l’action sociale me confirment qu’ils n’ont pas accès à ces financements dans le cadre de la conférence des financeurs. Celle-ci regroupe l’ensemble des intervenants dans ce domaine, c’est-à-dire qu’elle est au plus proche des besoins dans chaque département. Selon moi, il serait nécessaire qu’une partie de ces financements puissent être utilisés par la conférence.
Je maintiens donc cet amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour explication de vote.
Mme Nassimah Dindar. Je souhaite apporter deux précisions.
À l’échelon local – c’est le cas à La Réunion, par exemple –, la conférence des financeurs exclut les actions de prévention pour les aidants des actions volontaires qui peuvent être menées par les maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH, ou par les départements.
Dans le département de La Réunion, nous avons mis en place un dispositif « répit-repos » il y a six ans. Nous avons également ouvert la Kaz Grand’R et élaboré un projet de « baluchonnage » il y a deux ans. Or, cette année encore, le mois dernier, la conférence des financeurs s’est réunie et a refusé d’ouvrir ses financements à l’appel à projets concernant le soutien aux aidants.
Je veux aussi rappeler à Mme la secrétaire d’État que la conférence de financeurs se réunit souvent en fin d’année, à un moment où ses crédits ne peuvent plus être intégralement mobilisés.
Au fond, les textes ne reconnaissent pas la prévention des aidants dans le cadre des appels à projets lancés par la CNSA. Je puis en témoigner, et mon collègue Hugues Saury a totalement raison de le rappeler.
M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais, pour explication de vote.
Mme Nadine Grelet-Certenais. On sait pertinemment que les conférences des financeurs financent les actions de prévention et que leurs enveloppes budgétaires sont la plupart du temps déjà très sollicitées.
Pour le coup, nous nous sommes demandé si, en favorisant la reconnaissance de ces proches aidants, nous ne courions pas le risque de nous voir refuser des financements et, éventuellement, de voir la CNSA se désengager de ce type d’action. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons l’intention de nous abstenir sur cet amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 5.
Article 6
I. – Après le II de l’article L. 161-31 du code de la sécurité sociale, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
« II bis. – Par dérogation au I, cette carte électronique peut contenir des informations nominatives relatives à la personne qui remplit auprès du titulaire de la carte la qualité de proche aidant au sens de l’article L. 3142-22 du code du travail ou de personne de confiance au sens de l’article L. 1111-6 du code de la santé publique ou de l’article L. 311-5-1 du code de l’action sociale et des familles. Ces informations sont intégrées sur simple demande de la personne titulaire de la carte ou de la personne agissant en son nom, cosignée par la personne désignée. Elles peuvent être retirées à tout moment à la demande de l’une d’entre elles. »
II. – Il est notifié à tout bénéficiaire de l’allocation ou des prestations prévues à l’article L. 821-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 232-1 et L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles, au moment de la reconnaissance de ses droits, la possibilité qu’il a de désigner à sa caisse d’assurance maladie d’affiliation une personne de confiance au sens de l’article L. 1111-6 du code de la santé publique ou de l’article L. 311-5-1 du code de l’action sociale et des familles. Cette désignation est faite par écrit et cosignée par la personne désignée. Elle est révisable et révocable à tout moment à la demande de l’une d’entre elles.
III. – Toute personne ayant la qualité de proche aidant ou de personne de confiance est destinataire d’un guide de l’aidant portant à sa connaissance l’ensemble des droits dont il peut bénéficier ainsi que les ressources disponibles pour l’accompagner.
Un site internet d’information, de renseignement et d’orientation à destination des proches aidants et des aidants familiaux est mis en place.
IV. – Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Henno, rapporteur. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons la discussion d’un article important, qui traite des modalités d’information relatives aux proches aidants.
Plusieurs de nos collègues se sont étonné que la commission des affaires sociales propose d’intégrer à la carte Vitale de la personne aidée des données relatives à l’identité de son proche aidant, et réciproquement.
Je m’interrogeais moi-même sur ce point avant les auditions, mais, après avoir travaillé et y avoir réfléchi, il me semble que la carte Vitale est un vecteur de support pertinent pour ces informations. Elle rassemble certaines données pertinentes relatives au parcours de soins de la personne. Nous estimons que, à ce titre, l’identité de l’aidant y a toute sa place.
Par ailleurs, la proposition que nous formulons est parfaitement conforme au droit en vigueur puisque, aux termes du 7° de l’article 3 de l’arrêté du 14 mars 2007 relatif aux données contenues dans la carte Vitale, cette dernière peut contenir « les données personnelles concernant les coordonnées d’une personne à prévenir en cas de nécessité si le titulaire de la carte y a consenti ». La question du consentement se pose évidemment, comme l’ont rappelé les représentants de la CNIL lorsque nous les avons auditionnés.
L’article 6 ne présente donc aucune menace pour la confidentialité des données personnelles et identifie un support parfaitement pertinent.
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, sur l’article.
Mme Jocelyne Guidez. Les précédents articles de la proposition de loi abordaient, coordonnaient et développaient les droits des proches aidants.
L’article 6 s’intéresse à leur vie, leur existence, leur accompagnement et leur reconnaissance. Il vise à les détecter dès que le diagnostic de la personne qu’il accompagne est posé. Cette détection permettra de leur donner une existence et de ne plus les rendre invisibles. Ainsi identifiés, ils pourront être destinataires des informations nécessaires à leur parcours d’aidant.
Le duo aidant-aidé sera identifié sur les cartes Vitale des deux intéressés. Cela légitimera la place de l’aidant auprès des médecins et pharmaciens de l’aidé, par exemple. Cela évitera le « suraccident » en permettant aux services de secours de détecter que la personne qu’ils ont en charge, potentiellement incapable de s’exprimer sur le moment, apporte un soutien vital à une personne. Ainsi, l’aidé pourra être contacté et pris en charge.
Cet article prévoit également la mise en place d’une plateforme numérique. Celle-ci proposera un parcours personnalisé à l’aidant en lui posant trois questions : qui êtes-vous, où habitez-vous et quel type de personnes aidez-vous ?
L’aidant sera alors renvoyé vers les bons services de sa commune et de son département, l’association de proximité qui pourrait l’assister dans sa vie d’aidant, et l’association la plus pertinente concernant le handicap ou la dépendance de la personne qu’elle assiste.
Madame la secrétaire d’État, trop d’information tue l’information, et l’isolement tue les proches aidants ! Ils doivent être soutenus.
Le guide de l’aidant, payant, de plus de cent pages, n’est pas satisfaisant, pas plus que le site internet pour les personnes âgées, qui ne propose pas de personnalisation. C’est pourtant en proposant un parcours « clé en main » que nous pourrons accompagner efficacement les aidants. Encore une fois, je regrette l’absence de débat avec le Gouvernement qui ne propose aucun compromis.
Détection, accompagnement et reconnaissance, tels sont les enjeux de cet article, madame la secrétaire d’État. Les dispositions concernant la carte Vitale auraient dû vous intéresser. Sans proposition de votre part, ce sera donc l’ensemble du dispositif.
M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais, sur l’article.
Mme Nadine Grelet-Certenais. En commission, nous avions émis quelques réserves sur cette proposition, parce que nous craignions de potentielles dérives liées à l’utilisation de cette carte d’aidant. Nous avions suggéré d’utiliser plutôt le DMP, le dossier médical partagé, qui offre, lui, toutes les garanties en termes de sécurisation des données personnelles.
Toutefois, on nous a rétorqué en commission que le DMP n’était pas encore complètement mis en place et que notre proposition devrait attendre, car il y avait urgence à trouver assez rapidement un support. Nous l’avons entendu, et, même si nous ne sommes qu’à moitié satisfaits par cette mesure, nous allons la voter.
M. le président. L’amendement n° 14, présenté par M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Après les mots :
dérogation au I,
insérer les mots :
et dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État,
La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Henno, rapporteur. Le présent amendement tend à prévoir que la matière visée par l’article 6 soit explicitée par un décret en Conseil d’État, qui préciserait, premièrement, l’organisme destinataire de la demande de la personne aidée d’intégrer le nom de son aidant au sein de sa carte Vitale, et, deuxièmement, les modalités de communication du guide du proche aidant.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Il est déjà prévu au grand IV de l’article 6 qu’un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article.
Cet amendement étant satisfait, le Gouvernement en sollicite le retrait.
M. le président. Monsieur le rapporteur, l’amendement n° 14 est-il maintenu ?
M. Olivier Henno, rapporteur. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 13, présenté par M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
, ou à la personne auprès de laquelle le proche aidant ou la personne de confiance intervient
La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Henno, rapporteur. Cet amendement vise à prévoir une réciprocité dans le mécanisme introduit par le texte sur la possibilité d’intégrer le nom de la personne aidante sur la carte Vitale de la personne aidée. L’amendement tend à élargir le champ du mécanisme, en permettant à l’aidé de figurer sur la carte Vitale de l’aidant.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. La mention sur la carte Vitale de l’aidant est une option intéressante. Néanmoins, cette mesure n’aura de sens que s’il peut exister un mécanisme coordonné entre les différents acteurs, notamment les professionnels médico-sociaux concernés, permettant alors de déclencher automatiquement une alerte et d’assurer une prise en charge de la personne aidée.
Ce sujet est plus complexe qu’il n’y paraît. Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. L’amendement n° 15, présenté par M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 3, première phrase
1° Supprimer les mots :
à sa caisse d’assurance maladie d’affiliation
2° Après les mots :
au sens
insérer les mots :
et selon les modalités
La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Henno, rapporteur. Cet amendement a pour objet de préciser le destinataire de la désignation de la personne de confiance d’une personne qui n’est pas admise en soins hospitaliers ou médico-sociaux. La caisse primaire d’assurance maladie n’étant pas le bon interlocuteur, il est préférable de renvoyer au médecin traitant.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. L’amendement vise à modifier le destinataire de la déclaration de la personne de confiance.
La caisse primaire d’assurance maladie n’étant pas le destinataire le plus pertinent, il est en effet plus judicieux que cette information soit adressée au médecin traitant ou bien, par exemple, la direction de l’établissement accueillant la personne.
Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais, pour explication de vote.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Nous nous sommes interrogés sur l’intérêt de mettre le médecin traitant à la place de la caisse primaire d’assurance maladie. Que se passe-t-il lorsqu’une personne n’a pas de médecin traitant ? J’ai reçu les témoignages d’infirmières relatant plusieurs cas de patients dont l’état de santé était très dégradé et qui n’avaient pas de médecin traitant. Ne faudrait-il pas garder tout de même les deux destinataires de ce type d’informations ?
M. le président. L’amendement n° 16, présenté par M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Supprimer les mots :
ou de personne de confiance
II. – Alinéa 5
Remplacer les mots :
et des aidants familiaux
par les mots :
leur proposant un parcours individualisé et territorialisé
La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Henno, rapporteur. Cet amendement vise à préciser l’objet du site internet créé par le texte, afin que ce dernier remplisse réellement et pratiquement la mission de soutien individuel que le législateur lui assigne.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Nous partageons l’objectif de renforcer l’information des aidants mais, dans les faits, comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, les outils et dispositifs existent déjà. Ils vont évoluer et permettre de répondre concrètement aux différents besoins, à la suite de la concertation.
Je tiens à rappeler que les centres locaux d’information et de coordination, ainsi que les CCAS, les centres communaux d’action sociale et les CIAS, les centres intercommunaux d’action sociale, sont également investis dans l’information et l’orientation des aidants.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 6, modifié.
(L’article 6 est adopté.)
Article additionnel après l’article 6
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mme Grelet-Certenais, M. Jomier, Mmes Lubin et Meunier, MM. Kanner et Daudigny, Mmes Féret, Jasmin et Rossignol, M. Tourenne, Mme Van Heghe, M. Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain et apparentés, est ainsi libellé :
Après l’article 6
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er février 2019, un rapport sur la mise en place d’une politique publique spécifique de soutien et d’accompagnement notamment scolaire à l’égard des jeunes aidants.
La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Même si je sais que ce type de demandes ne reçoit jamais de réponse très favorable, cet amendement tend à demander au Gouvernement de remettre un rapport au Parlement.
En effet, une enquête inédite, réalisée par Ipsos Public Affairs et Novartis en octobre 2017, et commanditée par l’association Jeunes AiDants Ensemble et APF France handicap, a montré la nécessité de se saisir de la problématique des jeunes aidants, qui a un impact décisif dans le développement et l’insertion scolaire et sociale des enfants et des adolescents dans cette situation.
Nous demandons un rapport au Gouvernement visant à définir les contours d’une politique publique capable d’accompagner les jeunes aidants dans leur quotidien. Être proche aidant adulte est déjà une situation pour le moins difficile à gérer sur les plans personnel et professionnel, mais être jeune aidant scolarisé ou en études l’est d’autant plus.
Pour le jeune qui se trouve en situation d’aidant, il s’agit d’un enjeu crucial pour sa vie personnelle, scolaire ou professionnelle. Quelle égalité des chances pour ces enfants ? Près de la moitié d’entre eux affirment apporter leur aide quant à la gestion de la maison ou l’aide à la toilette, par exemple. Ces tâches quotidiennes ne sont pas sans incidence, vous le savez, sur le parcours scolaire de ces jeunes, qui se retrouvent bien souvent isolés et en décrochage.
Près d’un jeune aidant sur deux est favorable à ce que l’on lui propose de l’aide pour s’occuper de la personne aidée. Trois champs d’aides sont évoqués prioritairement : des temps d’échange avec d’autres jeunes aidants, tout d’abord, l’appui d’une aide familiale, ensuite, et l’aménagement du temps scolaire ou universitaire, enfin.
Ce rapport pourrait servir de base à l’intégration de mesures dédiées aux jeunes proches aidants, notamment dans le cadre de l’examen parlementaire du projet de loi pour une école de la confiance, présenté il y a peu au Conseil supérieur de l’éducation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Henno, rapporteur. L’argumentation de notre collègue est intéressante et assez pertinente. Toutefois, la jurisprudence constante de la commission est de ne pas multiplier les demandes de rapports.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, pour tenter de vous rassurer, je précise que la question des jeunes aidants est bien prise en compte dans la concertation.
Le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 7
I. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour les organismes de sécurité sociale de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
II. – Les éventuelles conséquences financières résultant pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L’amendement n° 17, présenté par M. Henno, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer les mots :
: un enjeu social et sociétal majeur
La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Henno, rapporteur. Cet amendement vise à simplifier l’intitulé de la proposition de loi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Il me semble que le titre du présent texte reprend les mots prononcés par Agnès Buzyn lors de l’examen de la proposition de loi de M. le député Pierre Dharréville, le 8 mars dernier. Cet amendement vise à les supprimer.
Sur cette proposition, je ne puis que m’en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi modifié.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Jocelyne Guidez, pour explication de vote.
Mme Jocelyne Guidez. Madame la secrétaire d’État, vous ne pouvez pas mesurer mon désarroi, au moment où le Sénat s’apprête à adopter ma proposition de loi.
Votre intervention, et l’expression de vos positions sur chaque amendement et chaque article montrent l’absence de réelle considération de ce gouvernement pour l’initiative parlementaire. Les aidants ne s’y tromperont pas.
Vous n’avez présenté aucun amendement. Ce discours stérile n’est pas plus à la hauteur de l’enjeu que le renvoi en commission que vous aviez fait adopter au début de l’année 2018 sur le texte du député Pierre Dharréville.
Malgré la présentation en juin dernier de mon initiative auprès du cabinet de Mme la ministre des solidarités et de la santé, votre collègue avouait, au début du mois d’octobre, devant mon groupe politique, qu’elle n’avait pas connaissance de son contenu. Pourtant, mes demandes de coconstruction étaient régulières. J’ai dû attendre quarante-huit heures avant la séance publique, et après que les arbitrages ont été rendus, pour que le Gouvernement me propose d’en discuter ! C’est tout bonnement de l’amateurisme et de l’irrespect pour le Parlement et, plus encore, pour les proches aidants.
Ce texte sera examiné le 6 décembre prochain à l’Assemblée nationale. Oserez-vous tenir votre majorité pour qu’elle le retoque ? Oserez-vous asservir à ce point l’Assemblée nationale ? Oserez-vous expliquer à votre majorité qu’il faudra, la veille du Téléthon, refuser d’apporter le soutien, l’assistance et l’accompagnement réclamés par les proches aidants ? Oserez-vous inscrire dans le projet de loi Dépendance des mesures identiques, ayant la même finalité, que celles que vous avez balayées d’un revers de main, une année auparavant ? Oserez-vous donc, pour des raisons politiques de recherche de paternité d’un texte, ne pas entendre la détresse des proches aidants et prendre cette population en otage, au point de les laisser dans l’isolement ?
Madame la secrétaire d’État, si ce projet est le vôtre, je vous souhaite bien du courage ! Du courage pour regarder en face les personnes concernées, et leurs représentants, en leur disant que vous entendez leurs préoccupations, alors que vous avez bloqué l’adoption des mesures qu’ils demandent !
J’en appelle donc à la raison. J’en appelle surtout à l’intime conviction des députés de votre majorité, pour qu’ils comprennent que le courage politique, c’est de se battre pour ses convictions et l’intérêt général. S’ils n’arrivent pas à nous rejoindre sur cet enjeu humain et transpartisan, alors la démocratie meurt à petit feu, car les Français, eux, soutiennent ces mesures.
Ici, il ne s’agit pas d’ouvrir la boîte de Pandore, bien au contraire. Il s’agit d’apporter simplement des mesures de justice, attendues, souhaitées, désirées et salutaires.
Sachez, madame la secrétaire d’État, que je suis déterminée. Trop de proches aidants attendent cette loi. Aujourd’hui, le Gouvernement n’a pas été capable de me démontrer que mes propositions n’étaient pas acceptables.
Mes chers collègues, votons d’une seule voix ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera cette proposition de loi, car, comme cela a été souligné, c’est un combat que notre collègue Pierre Dharréville a mené à l’Assemblée nationale, à la suite d’une « mission parlementaire flash ».
D’ailleurs, sa proposition de loi a été rejetée, sous le prétexte fallacieux qu’il manquait des données suffisamment précises quant au coût des mesures proposées. Je me réjouis que le Sénat n’ait pas pris en compte cette dimension au moment d’examiner la proposition de notre collègue Jocelyne Guidez.
Hélas, une même unanimité ne s’est pas exprimée, hier, sur notre proposition de loi concernant l’allocation aux adultes handicapés. Pourtant, le but de ce texte était aussi d’apporter une aide et d’améliorer les conditions de vie des personnes en situation de handicap.
Au sein du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, nous n’avons ni a priori ni position dogmatique ; quand une proposition de loi nous semble juste, nous la votons, et avec un certain enthousiasme !
En revanche, je tiens moi aussi à regretter l’attitude du Gouvernement, qui me rend extrêmement perplexe quant au rôle attribué à nos deux assemblées, à l’Assemblée nationale comme au Sénat.
Le président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, l’a dit avec beaucoup de force et de gravité, mais je pourrais ajouter un exemple à ceux qu’il a cités. Nous avons été à l’initiative d’une bataille portant sur les retraites agricoles ; sur ce sujet, nous avons recueilli, ici, l’unanimité ; le Gouvernement nous a alors promis d’élaborer un texte de loi qui, tout en allant dans le même sens, serait bien meilleur… Résultat : les retraités agricoles attendent encore ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Cette attitude doit absolument cesser. Le dogmatisme se trouve du côté du Gouvernement, qui se moque pas mal des parlementaires et ne légifère que pour mener des réformes à sa guise, en convoquant des sortes de collectifs – lesquels regrouperaient des experts – et en ne donnant pas la parole aux parlementaires, qu’ils siègent à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Or, cela, ce n’est pas possible dans un pays démocratique ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour féliciter ma collègue Jocelyne Guidez de sa détermination et de son engagement pris – et tenu – à l’endroit de ces milliers d’aidants familiaux, pour lesquels nous formons une pensée et dont nous partageons le quotidien.
Madame la secrétaire d’État, vous avez ici, au Sénat, la chambre de la représentation des territoires, autrement dit des élus nationaux en lien direct avec la proximité. Vous êtes témoin ce soir d’un fait exceptionnel, d’une belle unanimité : le pays entier vous parle à travers nos voix ! (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Contrairement aux membres du Gouvernement, nombreux sont, ici, ceux qui ont occupé des fonctions d’élu local : conseiller municipal, maire, conseiller départemental, conseiller régional. (Applaudissements sur les mêmes travées. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
Ils ont été confrontés à ceux qui ne sont rien. Leur quotidien ne ressemble pas au vôtre, celui du monde de la rationalité et de l’efficacité, où l’humanité se traite au moyen de tableurs Excel. Aussi, écoutez-les, madame la secrétaire d’État ! Écoutez ces élus qui savent, qui connaissent et qui touchent du doigt une réalité difficile à percevoir d’en haut !
Cette loi, vous auriez pu l’accepter comme un moyen, comme un texte vous facilitant la recherche de solutions visibles, palpables et emblématiques, comme une façon de dire aux oubliés de votre « nouveau monde » que vous pensez à eux, comme une belle occasion de faire taire l’idée que votre premier de cordée serait le « président des riches ».
Un immense Martiniquais, d’envergure universelle, qui me guide au quotidien – je veux parler d’Aimé Césaire –, nous rappelait tous les jours cette belle formule : « […] Un pas, un autre pas, encore un autre pas et tenir gagné chaque pas ! » Cette proposition de loi colle à cette maxime raisonnable ; elle est pleine de bon sens.
Les aidants souffrent, madame la secrétaire d’État. Entendez-les ! Écoutez-les ! Ils sont, eux, les derniers de cordée, et il ne faudrait pas qu’ils dévissent. Ils apportent un soutien indéniable, humain et, par leur travail, ils soulagent l’État d’un « pognon de dingue », qu’il aurait fallu mettre dans des politiques publiques de la dépendance.
Cette loi mérite notre soutien. Ces citoyens en souffrance aussi ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour explication de vote.
Mme Nassimah Dindar. Permettez-moi tout d’abord de féliciter, comme l’ensemble de mes collègues, Jocelyne Guidez et Olivier Henno de tout le travail réalisé lors des auditions, au cours desquelles nous avons entendu de nombreuses associations.
Choquée par votre discours introductif, madame la secrétaire d’État, j’ai souhaité dire ces quelques mots, moi, jeune sénatrice. Si l’aptitude du Sénat à créer des droits nouveaux est autorisée, alors votre discours a été particulièrement heurtant pour les élus que nous sommes.
Simone de Beauvoir, que nous avons tous lue, écrivait en 1960 : « L’individu ne reçoit une dimension humaine que par la reconnaissance d’autrui ». Je crois que, aujourd’hui, la politique gouvernementale gagnerait en dimension humaine par la reconnaissance de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, pour explication de vote.
M. Philippe Mouiller. Bien entendu, le groupe Les Républicains votera cette proposition de loi.
Je remercie de nouveau Mme Jocelyne Guidez de la qualité de son travail et, comme je l’ai indiqué précédemment, de la minutie de ses interventions. Ce texte est véritablement réfléchi.
Je ne reviendrai pas sur le sujet, madame la secrétaire d’État, mais je regrette moi aussi votre intervention et la position retenue par le Gouvernement.
Néanmoins, étant de nature optimiste, je soulignerai aussi que, quelle que soit la suite des événements, le sujet est sur la table. Aux associations représentant les nombreux aidants qui, aujourd’hui, nous écoutent, je veux dire que le combat continue et qu’il y aura d’autres échéances ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais, pour explication de vote.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Je tiens, bien évidemment, à remercier nos collègues de tout le travail accompli et des riches échanges que nous avons eus autour de cette proposition de loi.
C’est une vraie reconnaissance pour ses aidants, qui, dans la situation où ils se trouvent, ont besoin d’un statut et d’un message fort. Le texte est aussi un moyen de sensibiliser les employeurs et les directeurs des ressources humaines qui, dans les milieux professionnels, n’ont pas la possibilité d’apporter une réponse officielle à ces travailleurs en grande difficulté.
L’objectif est donc bien d’offrir une réelle possibilité de choix à la personne qui veut, à un moment donné, pouvoir aider l’un de ses proches. Évidemment, il faut réunir les conditions pour cela, étant rappelé – cela a été dit – qu’il s’agit, non pas de déconnecter ces personnes du monde de l’emploi, mais bien au contraire de les aider à concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle.
Donc bravo à tous, mes chers collègues, et, bien évidemment, nous voterons en faveur de la proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.
Mme Laure Darcos. À mon tour, je souhaite remercier Jocelyne Guidez et Olivier Henno de cette proposition de loi, dont la valeur symbolique est très forte. La prise de conscience est là ! Je déplore moi aussi la position du Gouvernement, mais je pense que notre vote de ce soir aura un écho bien au-delà de notre assemblée.
Je voudrais relier le présent débat à celui que nous allons avoir, tout de suite après, sur la scolarisation des enfants atteints de handicap. En effet, combien d’entre nous, élus locaux, ont eu face à eux certains de ces aidants, en l’occurrence des parents désespérés de voir que l’un ou plusieurs de leurs enfants ne pouvaient pas encore accéder à une scolarisation normale ?
Prenons le cas d’un restaurateur – Jocelyne Guidez et moi-même en connaissons un – qui se rend le matin à l’école, à qui l’on explique que l’on ne peut pas accueillir son enfant ce jour-là et qui, pourtant, doit tenir son restaurant… De tels exemples, madame la secrétaire d’État, ne peuvent pas nous laisser totalement insensibles.
Je ne sais pas dans combien de temps vous allez légiférer sur les aidants. Mais, aujourd’hui – mon collègue Philippe Mouiller l’a souligné –, ces aidants nous écoutent. Combien de situations personnelles et professionnelles sont en jeu ? Nous parlons de personnes qui se battent pour leurs parents ou leurs enfants, pour leur permettre d’avoir une vie décente et d’être accompagnés.
Bien évidemment, je voterai cette proposition de loi, et des deux mains, en espérant que toute l’assemblée ici présente fera de même. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Je ne dirai que quelques mots, monsieur le président, en tant que seul représentant du RDSE, mais je me suis longuement exprimé à la tribune lors de la discussion générale.
Mes chers collègues, il est des moments où l’on se sent bien au sein de cet hémicycle ; et nous en vivons un !
Je suis ému d’avoir pu prendre part longuement à ce débat, pour avoir été, comme d’autres, j’en suis certain, personnellement concerné par cette situation. Je crois que l’exemple que nous donnons aujourd’hui, par-delà nos différentes formations politiques, est un bel exemple de ce que nous pouvons faire ensemble, pour les autres, sans dogmatisme, stigmatisation ou consigne.
Le groupe du RDSE adresse ses félicitations à Jocelyne Guidez et au rapporteur, qui nous a éclairés tout au long de ces débats, et, bien entendu, nous voterons la proposition de loi à l’unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.
Mme Colette Mélot. Je voudrais à mon tour féliciter ma collègue Jocelyne Guidez, ainsi que le rapporteur Olivier Henno, de cette proposition de loi. C’est une lumière pour toutes les personnes en souffrance ayant besoin d’un aidant et pour les aidants eux-mêmes, qui s’investissent dans une tâche souvent très lourde. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
Comme mon collègue Jean-Pierre Decool l’a indiqué lors de la discussion générale, le groupe Les Indépendants – République et Territoires, s’associant à l’ensemble des groupes qui se sont déjà exprimés, votera la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour explication de vote.
M. Antoine Karam. Ma collègue du groupe La République En Marche ayant dû se retirer, elle m’a demandé d’exprimer, au nom de mon groupe, une abstention positive.
Néanmoins, mes chers collègues, vous aurez observé que, depuis le début de l’après-midi, je porte, à la place du cœur, ce badge. (M. Antoine Karam désigne le badge du collectif « Je t’Aide » épinglé sur sa veste.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Votez le texte, alors !
M. Antoine Karam. Pour ma part, à titre personnel, je vais voter pour. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
En effet, je me considère comme un proche aidant. Voilà quatre jours, mon frère aîné, atteint d’une maladie irréversible, la maladie d’Alzheimer, a fêté ses soixante-douze ans. C’était un homme fort, puissant, un animateur hors pair, qui dirigeait les maisons de la culture sur mon territoire ; aujourd’hui, c’est un homme couché, qui ne reconnaît plus personne.
Je me considère comme un bénévole, un proche aidant, et, lorsque je retournerai ce week-end sur mon territoire, je lui dirai que des femmes et des hommes, aujourd’hui, contribuent à aider ceux dont on pense qu’ils ne pourront jamais retrouver une vie normale.
C’est pour cette raison que, pour ma part, à titre personnel, je voterai en faveur de ce texte – avec vous, mes chers collègues. (Applaudissements prolongés. – Mme Victoire Jasmin, M. Guillaume Arnell, M. Pierre Ouzoulias et Mmes et MM. les sénateurs du groupe Union Centriste se lèvent pour saluer l’orateur.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Je voudrais revenir sur quelques propos qui ont été tenus.
Venant tout juste d’être nommée au Gouvernement, peut-être est-il nécessaire que je rappelle d’où je viens. J’ai été élue locale : adjointe sur une commune, vice-présidente d’un centre communal d’action sociale et conseillère communautaire. J’ai travaillé dans la fonction publique et dans le secteur privé, ayant reçu une formation de travailleur social. J’ai donc plus de vingt-cinq ans d’expérience professionnelle, au contact, notamment, de publics âgés et de personnes handicapées. Je suis également ancienne députée, fonction que j’ai quittée voilà quinze jours.
Je veux également rappeler que le travail parlementaire porte ses fruits. Voilà deux semaines, une proposition de loi relative au don du sang déposée sur l’initiative du groupe Les Républicains a été adoptée. Il en est allé de même pour une proposition de loi relative aux dons de jours pour les aidants familiaux. Pourtant, ces deux textes émanaient de l’opposition.
Il ne s’agit donc absolument pas d’un jeu de positions. Dès lors que les idées sont utiles et que la rédaction convient, nous adoptons les propositions de loi.
Je ne puis non plus laisser dire que le travail des parlementaires est limité. J’en veux pour preuve le travail de coconstruction que j’ai pu mener, en tant que rapporteur pour l’Assemblée nationale, sur le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dit « ÉLAN », avec Mme Dominique Estrosi Sassone. Nous sommes partis d’un texte comportant 65 articles pour aboutir à une CMP conclusive à 234 articles. Le travail parlementaire existe donc bien.
Enfin, le Gouvernement n’est pas opposé à cette proposition de loi. (Protestations.) Il y a, autour de la question des proches aidants, un enjeu social et sociétal réel, majeur, appelant une méthode de travail…
M. Pierre Ouzoulias. Comme si nous n’en avions pas !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. … et des solutions qui soient globales, mais surtout d’envergure. La façon de travailler de notre gouvernement repose, en effet, sur la concertation et l’écoute de l’ensemble des acteurs. (Nouvelles protestations.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Bien sûr ! Nous ignorons ces méthodes, au Sénat !...
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour explication de vote.
M. Hervé Marseille. À mon tour, je remercie nos collègues Jocelyne Guidez et Olivier Henno, ainsi que toutes celles et tous ceux qui les ont accompagnés dans cette démarche, ayant abouti à un travail reconnu, comme en témoignent les réactions sur l’ensemble des travées de cette assemblée.
J’ai bien écouté les propos de Mme la secrétaire d’État. Je n’en suis pas étonné – malheureusement, ici, au Sénat, nous avons l’habitude de ce genre de positionnements –, mais ils ne me convainquent pas pour autant.
Rares sont les textes qui passent en première lecture au Sénat. C’est un signe, mes chers collègues. Il n’y en a eu pratiquement aucun et, à ce titre, d’ailleurs, nous avons eu un mois de septembre extrêmement sympathique. (Sourires.)
Malheureusement, nous sommes habitués à ne pas être entendus, même quand une unanimité se dessine sur un texte. Pourquoi ? Tout simplement parce que la majorité à l’Assemblée nationale voudra élaborer son propre texte et que l’on s’y conforme.
Nous savons très bien que ces décisions ne sont pas prises au ministère ou au sein de la majorité, qui n’aura qu’à voter. Elles sont prises ailleurs, principalement à Bercy. Je suis désolé, je dois le dire, de cette situation. Dans ce pays, il y a un Parlement, et il cherche à travailler. Nous avons tendu la main à de nombreuses reprises. Nous n’arrivons pas à obtenir le dialogue que nous demandons et, pour le bien public, je le regrette.
On nous annonce une réforme institutionnelle ; soyez assurée, madame la secrétaire d’État, que nous y serons particulièrement attentifs.
Cette réforme consiste à diminuer le nombre de parlementaires. C’est tellement ennuyeux, les parlementaires ! Rendez-vous compte, ils discutent, ils présentent des amendements, ils ne votent pas… (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.) Pourtant, ce n’est pas compliqué : il suffit de voter les textes apportés par le Gouvernement. Pourquoi perd-on du temps à discuter ?
Heureusement, à l’Assemblée nationale, un groupe de trois cents et quelques députés vote les textes sans même les regarder ! Et l’on n’en parle plus ! (Sourires.)
La loi ÉLAN est évoquée. Bien sûr ! On a commencé par diminuer le montant des aides personnalisées au logement et, ensuite, on a discuté du reste… Franchement, tout cela est désolant ! Pour des problèmes d’esthétique et de cosmétique politiques, on passe à côté de décisions qui rassemblent et vont dans le sens du bien public.
J’en suis désolé pour vous, madame la secrétaire d’État, mais c’est vous qui êtes présente aujourd’hui pour répondre, et voyez que ce texte fait l’unanimité. Les conditions dans lesquelles nous avons travaillé dessus avec ma collègue Jocelyne Guidez ne sont pas convenables. Il n’y a pas de respect !
Je puis vous dire – je m’exprime ici, aussi en ma qualité de président de groupe – que, pour le bien public, pour le respect du Sénat et du Parlement, c’est très regrettable.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Hervé Marseille. Aucune de vos explications ne permettra de comprendre comment, sur un texte comme celui-là, porteur d’une volonté générale et commune, il a été impossible d’aboutir aujourd’hui ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 7 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 323 |
Pour l’adoption | 323 |
Le Sénat a adopté. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement.)
Mme Jocelyne Guidez. Merci à tous !
4
Scolarisation des enfants en situation de handicap
Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat portant sur la scolarisation des enfants en situation de handicap, organisé à la demande du groupe Union Centriste.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce débat a été inscrit au sein d’un espace réservé et que je devrai, quoi qu’il arrive, lever la séance à vingt heures quinze.
La parole est à Mme Annick Billon, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Annick Billon, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, mes chers collègues, aujourd’hui, en France, près de 320 000 enfants en situation de handicap sont scolarisés ; ils étaient seulement 100 000 en 2006.
Nous pouvons nous féliciter de l’impact positif qu’a eu la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, loi que le groupe centriste d’alors avait votée à l’unanimité au Sénat.
Cette grande question de la scolarisation des enfants en situation de handicap est fondamentale. En effet, elle nous interroge bien au-delà du monde éducatif et du monde des accompagnants spécialisés. Elle vient questionner la capacité d’inclusion de notre société, notre rapport à ce qui est différent. En cela, la réponse des pouvoirs publics aux défis qui restent à relever sera légitimement scrutée avec attention.
Je tiens, à ce titre, à remercier la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, Catherine Morin-Desailly, d’avoir encouragé la tenue de ce débat aujourd’hui.
Si le nombre d’enfants et d’adolescents en situation de handicap a beaucoup progressé au cours des dernières années, il convient toutefois de regarder par-delà les chiffres, toujours nécessaires, mais jamais suffisants.
De quoi parlons-nous quand nous parlons de la scolarisation d’un enfant handicapé ? Nous parlons non seulement d’enfants, mais aussi de parents et de familles et de leur vie quotidienne. Nous nous devons, mes chers collègues, de toujours garder à l’esprit leur difficile réalité.
Lorsque nous parlons d’enfants en situation de handicap, n’oublions pas qu’il existe de multiples situations en la matière : handicaps moteurs, troubles « dys », autisme, et bien d’autres encore. Très différentes, ces situations nécessitent des réponses adaptées.
Lorsque nous parlons de scolarisation, veillons à considérer l’école dans son ensemble. Il s’agit en effet d’adapter les établissements, quels que soient leur implantation et leur degré, afin qu’ils puissent accueillir le plus grand nombre d’enfants à même de bénéficier de l’enseignement ordinaire.
Enfin, lorsque nous parlons de ces situations, nous nous devons aussi de prendre en compte ce qui se passe au-dehors des murs de l’école, mais en affecte la vie quotidienne.
Je souhaite mentionner ici la place des familles et des aidants, tous deux essentiels à l’équilibre de l’enfant, donc à son intégration scolaire et sociale.
J’ai été personnellement interpellée, dans mon département de Vendée, sur la place accordée aujourd’hui aux enfants handicapés à l’école. Ainsi, une chef d’établissement de Fontenay-le-Comte m’a alertée sur les difficultés que rencontre au quotidien le corps enseignant : manque de moyens, manque d’encadrement, manque d’instituts médico-éducatifs. Cette addition de manques se révèle préjudiciable à tous les enfants, avec ou sans handicap, comme aux enseignants.
Elle m’a également mise en garde sur la difficile coordination entre les classes ordinaires et les dispositifs ULIS, les unités localisées pour l’inclusion scolaire. Les élèves ULIS sont en effet intégrés dans les classes, mais sans être comptabilisés dans les effectifs, ce qui pose des problèmes d’ouverture ou de fermeture de classes. Je suis sûre que nombre de mes collègues ici présents seraient facilement à même de nous présenter des exemples similaires.
Cette même chef d’établissement m’a également fait part de son indignation quant à la situation salariale des AESH, les accompagnants des élèves en situation de handicap, qui ont remplacé les AVS, les auxiliaires de vie scolaire. C’est là un point crucial de la question du handicap en milieu scolaire. En effet, comment imaginer qu’un enfant en situation de handicap puisse s’intégrer à l’école sans l’aide d’une personne spécialisée ?
Or comment recruter un nombre suffisant de ces personnes de manière pérenne – j’insiste sur l’importance de la pérennité de l’accompagnement, source de stabilité pour l’enfant –, en proposant des salaires aussi bas et un statut aussi précaire ? De fait, les contrats à durée déterminée et les temps partiels de vingt-quatre heures hebdomadaires leur permettent difficilement d’accéder à un emploi complémentaire.
Je note que le Gouvernement a engagé des mesures pour rendre plus attractif le métier d’AESH. Au demeurant, plus que d’« attraction », il devrait avant tout être question de décence.
Au-delà de la question des personnels accompagnants, nous pensons qu’il convient aujourd’hui de poser les bases d’une nouvelle réflexion sur l’amélioration des structures existantes et la mise en place de solutions personnalisées. Il est en effet important d’améliorer, tant quantitativement que qualitativement, l’accompagnement des élèves handicapés. Scolariser les enfants en situation de handicap sans leur apporter le soutien dont ils ont besoin, c’est fragiliser l’ensemble du système éducatif. Il convient donc d’encourager la coopération entre les secteurs médico-social et scolaire, pour être au plus près des différents besoins de l’enfant ou de l’adolescent.
Les instituts médico-éducatifs peuvent à cet égard jouer un rôle intéressant dans la mise en place de solutions personnalisées. Or la mise à disposition d’enseignants à laquelle s’est engagée l’éducation nationale se révèle très variable selon les régions et souffre d’une sous-estimation chronique des besoins. Ces structures méritent d’être mieux épaulées dans leurs missions, car elles offrent des services spécialisés et sont bien souvent une solution nécessaire à la prise en charge adaptée de l’enfant et à son épanouissement, en complément bien sûr du rôle des familles et de l’école.
La stratégie du Gouvernement en matière de handicap à l’école, menée conjointement par M. Jean-Michel Blanquer et Mme Sophie Cluzel, présente certes des éléments intéressants. Ainsi, le principe de l’intégration du numérique et des dernières innovations technologiques au service de l’intégration des personnes en situation de handicap dans la société nous paraît aller dans le bon sens. De même, le coup de projecteur accordé à l’autisme permettra, je l’espère, de mieux prendre en compte les multiples facettes de cette maladie complexe et encore trop méconnue.
Toutefois, monsieur le secrétaire d’État, quelles conclusions tirer de la mise en place de telles mesures, alors que, dans le même temps, le Gouvernement et la majorité de l’Assemblée nationale réduisent à seulement 20 % la part des logements adaptés dans les constructions de logements neufs, malgré les efforts déployés par le Sénat ?
Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste sera extrêmement attentif à ce que les mesures que prendra le Gouvernement permettent une amélioration significative de la situation des élèves en situation de handicap. Nous veillerons de façon tout aussi exigeante à ce que s’améliore la vie de leurs familles et des personnels qui les accompagnent au quotidien.
Je sais pouvoir compter sur Mme Catherine Morin-Desailly, qui veillera à ce que la commission de la culture et de l’éducation poursuive le travail de contrôle qu’elle a souhaité engager au lendemain de la rentrée.
Il y va, monsieur le secrétaire d’État, de la société dans laquelle nous voulons vivre. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tous les élus ont un jour été confrontés au désarroi de parents à la recherche d’une structure d’accueil pour leur enfant porteur d’un handicap. Nous sommes évidemment très sensibles à la requête des familles, qui souhaitent le meilleur pour leurs enfants.
Depuis la loi du 11 février 2005, les chiffres sont encourageants au niveau national : le nombre d’enfants scolarisés en situation de handicap a plus que triplé. Le nombre d’élèves accueillis est passé d’environ 100 000 en 2006 à près de 350 000 en 2018. Dans 98 % des cas, les demandes d’accompagnement sont satisfaites. Certes, quantitativement, la réponse est bien réelle. Mais correspond-elle toujours aux attentes ? À quel sort sont livrés les 2 % qui restent sur la touche ?
Nous devons analyser l’effectivité du droit à l’éducation et mesurer la portée et les limites de l’universalité des droits de l’enfant. En effet, derrière ces chiffres se cachent de grandes disparités entre les situations, mais aussi entre les départements, disparités à la mesure de la pluralité des handicaps.
Les questions liées aux délais de prise en charge et à la continuité de l’accompagnement sont particulièrement saillantes. L’attente est insoutenable pour les familles, d’autant que le délai de réponse de quatre mois imposé à la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées est une gageure, qui dissimule de fortes disparités entre les départements.
Les auteurs de la proposition de loi examinée récemment à l’Assemblée nationale prévoyaient de diviser par deux ce délai. Sans moyen supplémentaire peut-on y parvenir ? Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un chantier prioritaire.
Je m’attarderai sur la situation en Mayenne, territoire que je connais bien. Dans mon département, la direction de l’autonomie s’est structurée pour répondre au mieux et au plus près des personnes en situation de handicap. Grâce à un partenariat et une coordination exemplaire entre les différents intervenants que sont le conseil départemental, l’éducation nationale, les collectivités et les institutions, quelque 2 400 élèves en situation de handicap ont accès à l’éducation.
Certes, pour 32 enfants de notre département, seul un plan B a pu être mis en œuvre, aucun enfant ne devant rester sans accueil. Admettons-le, certaines solutions ne sont pas à la hauteur des attentes des parents. Ce préjudice scolaire est vécu comme un préjudice moral, psychologique, voire physique.
Pour toutes les situations rencontrées, l’objectif prioritaire est de favoriser l’inclusion scolaire dans le milieu dit « ordinaire ». C’est le cas de 89 % des enfants en situation de handicap en Mayenne. Pour 11 % d’entre eux, la nécessité de soins thérapeutiques n’est pas compatible avec l’inclusion scolaire.
La prise en charge du handicap appelle des solutions innovantes. Dans mon département, il a été créé une unité localisée pour l’inclusion scolaire, une ULIS, intitulée « Appui en milieu ordinaire ».
Les adolescents sont accueillis en CAP au sein de trois établissements scolaires différents. Un enseignant répartit son temps entre les trois établissements, afin de répondre aux difficultés rencontrées par les élèves et d’apporter les adaptations nécessaires, en lien avec les enseignants. Cette success story résulte d’une initiative qui n’est pas d’origine « académique », mais qui se révèle donner d’excellents résultats puisque ces élèves ont pu accéder au diplôme du CAP et, par conséquent, à l’emploi.
Un tel exemple illustre la nécessité de faire preuve d’imagination pour répondre à toutes les situations, dans l’intérêt exclusif de l’enfant.
Les résultats intéressants obtenus en Mayenne sont le fruit d’une volonté politique de coopération efficace de tous les acteurs concernés, au bénéfice des enfants en situation de handicap.
L’enfant en situation de handicap est à la fois un enfant, un patient et un élève. L’approche transversale des politiques publiques sur la question du handicap est à approfondir pour gommer les rigidités et ne pas pénaliser encore davantage les enfants et leurs familles.
La recherche du bien-être de l’enfant est une quête du bonheur par la famille. Je conclurai donc par ces mots de Jacques Prévert :
« Le bonheur, en partant, m’a dit qu’il reviendrait…
Que quand la colère hisserait le drapeau blanc, il comprendrait… » (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le droit à l’éducation pour tous les enfants est un droit fondamental. En adoptant la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, la France a adopté le modèle de l’école inclusive. La scolarisation des élèves en situation de handicap dans les établissements scolaires a ainsi connu une forte augmentation de 2006 à 2017, en passant de 100 000 enfants à plus de 320 000 enfants.
La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République de 2013 a réaffirmé la dimension inclusive de l’école et annoncé une transformation profonde du système éducatif et médico-social : « Réaliser l’École inclusive suppose le déploiement de moyens humains importants, un effort de formation de tous les personnels et l’exploitation des potentialités offertes par le numérique. » Malheureusement, la réalité est tout autre.
La France n’est pas un pays précurseur en la matière. Nous étions en retard, monsieur le secrétaire d’État, et nous le sommes encore.
Le Conseil national d’évaluation du système scolaire fait état de fortes discriminations dans l’enseignement secondaire, dont pâtissent les élèves handicapés. Au-delà du baccalauréat, ces différences deviennent insupportables : seulement 6 % des jeunes handicapés sont diplômés de l’enseignement supérieur. Et le fossé se creuse lorsque l’étudiant vient d’un milieu défavorisé. Ce que nous observons en fin de scolarité résulte des dysfonctionnements de l’ensemble du système. L’école inclusive n’est pas encore une réalité tangible, et de nombreux défis restent à relever.
Nous déplorons le manque de moyens humains et le faible niveau d’imbrication des actions en faveur de la réussite scolaire des enfants handicapés.
La coopération entre éducation nationale et secteur médico-social, essentielle pour la continuité des parcours des élèves handicapés, est marginale.
Force est de le constater, l’éducation nationale ne met pas suffisamment d’enseignants à disposition des structures spécialisées pour couvrir les besoins croissants, alors que les effectifs des classes s’établissent en moyenne à vingt-cinq élèves par enseignant. Il faut ajouter à une telle situation des délais d’admission désespérément longs pour les parents d’élèves. Si les foyers les plus aisés peuvent se tourner vers des écoles privées ou scolariser leurs enfants à l’étranger, les chances pour les familles les plus précaires sont minimes.
Si, au sein de l’éducation nationale, le nombre d’unités localisées et d’auxiliaires de vie scolaire pour l’inclusion scolaire augmente chaque année, leur déploiement ne s’appuie pas sur une connaissance fine des besoins, faute de statistiques et d’évaluations. Or de plus en plus d’enfants sont diagnostiqués en situation de handicap. Il s’agit notamment d’enfants présentant des troubles cognitifs spécifiques, des déficits chroniques de l’attention ou des retards de développement.
Si le nombre de structures est insuffisant, la qualité de l’accompagnement dispensé l’est aussi. Je voudrais tout de même saluer les efforts réalisés récemment en faveur, d’une part, d’une meilleure formation des enseignants et des personnels d’encadrement, d’autre part, de la création d’ULIS et d’UEE, les unités d’enseignement externalisées, et de postes d’accompagnants d’élèves en situation de handicap. J’ai pu constater une évolution dans mon département de Seine-et-Marne lors de la dernière rentrée scolaire.
Toutefois, les enseignants et les accompagnants de vie scolaire ne disposent pas des compétences spécifiques nécessaires lorsqu’il s’agit de certains handicaps, tels que les troubles du spectre de l’autisme. Entre 2004 et 2014, le Conseil de l’Europe a condamné la France à cinq reprises pour violation de la Charte sociale européenne, jugeant les AVS, aujourd’hui AESH, précaires, peu formés et inefficaces pour l’accompagnement scolaire des enfants autistes.
Monsieur le secrétaire d’État, l’exil de ces élèves vers la Belgique est inadmissible. La loi consacre l’existence d’un principe de réponse éducative adaptée pour chaque élève. Le seul accès de droit à l’école de la République n’est pas suffisant. La complexité de chaque situation appelle des réponses adaptées, souples et modulables, pour sauver ces enfants de leur exil intérieur.
Monsieur le secrétaire d’État, avec M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, vous avez lancé une concertation auprès du Conseil national consultatif des personnes handicapées, des parents, des organisations syndicales et des accompagnants pour rénover le dispositif d’accompagnement des élèves en situation de handicap à partir de la rentrée 2019. L’initiative est louable ; il faut espérer qu’elle débouche sur des mesures concrètes.
Des pôles inclusifs d’accompagnement localisés, ou PIAL, sont également expérimentés dans chaque académie depuis la rentrée. Je ne doute pas qu’une évaluation sera réalisée avant la fin de l’année scolaire.
Monsieur le secrétaire d’État, c’est une transformation profonde et pérenne que les parents attendent. J’entends par là des actions concrètes dignes d’un grand pays comme la France. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapée a posé le principe d’une scolarisation en milieu ordinaire des enfants et adolescents présentant un handicap ou, à titre exceptionnel, en milieu spécialisé.
Ce principe a été érigé par le Conseil d’État en obligation de résultat. Cela signifie que tout doit être mis en œuvre pour donner un caractère « effectif » au droit à l’éducation des enfants handicapés.
Nous abordons ce débat dans un contexte politique particulier, compte tenu d’une actualité chargée en la matière.
Je veux tout d’abord évoquer la proposition de loi déposée par notre collègue Olivier Paccaud, ici présent, proposition de loi que j’ai eu l’honneur de cosigner et dont l’objet est d’inclure dans la formation initiale des futurs enseignants une période durant laquelle ils prendront en charge un élève en situation de handicap.
Je tiens également à évoquer le non-débat, à l’Assemblée nationale, de la proposition de loi d’Aurélien Pradié et la polémique qui a suivi, ce que j’ai vivement regretté. Par ailleurs, le Gouvernement a lancé, le 22 octobre dernier, la concertation « Ensemble pour une école inclusive », qui durera quatre mois et concernera le métier des AESH et l’accompagnement pédagogique des élèves. Permettez-moi également de rappeler les annonces, aujourd’hui même, du Comité interministériel du handicap concernant l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé et les efforts menés en matière de nouvelles technologies.
Depuis 2006, le nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire a progressé sans conteste. Ainsi, de 100 000 élèves scolarisés en 2006, nous sommes passés à plus de 340 000 à la rentrée 2018.
L’objectif est de parvenir à scolariser en milieu ordinaire toujours plus d’enfants en situation de handicap, mais à condition qu’ils bénéficient d’un accompagnement de qualité. En 2018, les crédits consacrés à l’accompagnement en milieu scolaire ordinaire ont considérablement augmenté. En effet, comme le souligne notre collègue Gérard Longuet, rapporteur spécial de la commission des finances, ils sont passés de 800 millions d’euros à 1,2 milliard d’euros.
Toutefois, la réussite scolaire de ces enfants passe non seulement par un accompagnement humain de qualité, mais aussi et surtout par un changement d’état d’esprit de la part des parents, du monde éducatif, des acteurs du handicap et de la société tout entière, pour bâtir une école réellement inclusive. Il reste du travail ! Rappelons en effet que nous manquons d’AESH, plus de 12 000 enfants n’ayant pas de solution à cette heure.
De plus, il y a urgence à se pencher sur le statut des AVS et des AESH. Ce métier manque d’attractivité. Cela tient au faible nombre d’heures travaillées, à une rémunération modique, à un travail à temps partiel, à une succession de CDD et à un déficit de formation.
À cet égard, je suis favorable à l’instauration d’un statut unique d’accompagnant, lequel doit devenir un véritable professionnel, formé, disposant d’un emploi stable et pérenne, rémunéré à sa juste valeur par l’éducation nationale. L’orientation prise par le Gouvernement et tendant à convertir, sur cinq ans, les contrats aidés d’AVS en contrats d’AESH, va dans le bon sens, mais n’est pas suffisante.
L’accompagnement des enfants en situation de handicap en milieu scolaire ordinaire ne concerne pas seulement les AESH. Aussi, dans mon rapport intitulé Repenser le financement du handicap pour accompagner la société inclusive, j’ai suggéré de prévoir une formation obligatoire à destination de tous les enseignants du premier et second degré, relative à l’accompagnement des élèves en situation de handicap, quel que soit le handicap. Aucune structure ne doit tenir les enfants en situation de handicap éloignés de l’environnement scolaire.
Toutefois, certains enfants, compte tenu de leur handicap, ne peuvent être scolarisés qu’en milieu adapté ou grâce à un accompagnement scolaire spécifique. Là aussi, il convient de revoir les dispositions concernant le financement, car les parents de ces enfants sont souvent contraints de solliciter la PCH, la prestation de compensation du handicap, pour bénéficier de tous les services.
Une telle dichotomie du financement de la scolarisation en milieu adapté ne se justifie pas et mérite une clarification. Elle est potentiellement constitutive d’une rupture d’égalité entre enfants handicapés scolarisés et méconnaît le principe même de la compensation, qui n’a pas vocation à se substituer aux obligations incombant aux pouvoirs publics.
Pour ces raisons, j’ai proposé que, quel que soit le mode de scolarisation, les accompagnants soient directement rémunérés par les pouvoirs publics. Seuls les services complémentaires comme l’aide aux devoirs pourront être financés par la PCH.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le secrétaire d’État, le Sénat a beaucoup travaillé sur ce sujet, que ce soit au sein de la commission de la culture ou de la commission des affaires sociales, en formulant des mesures concrètes et pragmatiques.
Alors que les concertations sont lancées, que les groupes de travail sont mobilisés, j’espère que le Gouvernement saura s’inspirer de ses travaux, afin de faire progresser rapidement l’école inclusive. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la scolarisation des enfants en situation de handicap a fait l’objet, nous le savons, de vives polémiques ces dernières semaines à l’Assemblée nationale. Gageons que nous saurons ici, au Sénat, débattre dans le respect des uns et des autres, mais aussi – j’ose le dire – dans l’unité que ce sujet exige.
Pour commencer, je voudrais saluer l’engagement quotidien de l’ensemble des acteurs – familles, associations, professionnels et enseignants – investis dans l’accueil et la prise en charge des enfants en situation de handicap dans nos établissements scolaires.
Le service public d’éducation doit veiller à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. Quels que soient les besoins particuliers de l’élève, c’est à l’école de s’assurer que l’environnement est adapté à sa scolarité. C’est un devoir de justice, d’équité et de solidarité.
Face à ces enjeux, le débat proposé par nos collègues de l’Union Centriste, dont je salue l’initiative, intervient à un moment opportun, puisqu’il nous permet de faire un état des lieux de la rentrée 2018. Qu’en est-il ? Plus de 340 000 élèves en situation de handicap sont aujourd’hui scolarisés, c’est 20 000 élèves de plus que l’an dernier. Par ailleurs, 253 nouvelles unités localisées pour l’inclusion scolaire, les ULIS, ont été créées, dont 38 en lycée.
Il faut le dire, ce progrès est le fruit d’efforts consentis depuis une dizaine d’années. Le droit à la scolarisation institué par la loi du 11 février 2005 a d’abord permis des avancées majeures, avant que le principe de l’école inclusive ne devienne en 2013 une priorité nationale. C’est ainsi que, en un peu plus de dix ans, le nombre d’élèves scolarisés en milieu ordinaire a été multiplié par trois.
La situation reste néanmoins imparfaite et inégale sur le territoire national. Aussi, j’aimerais attirer l’attention de notre Haute Assemblée sur la situation en outre-mer, où le droit à l’éducation lui-même est souvent mis à mal.
En 2016, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies y a constaté que les enfants en situation de handicap sont plus souvent scolarisés dans une classe spécialisée, en particulier en Guyane, où moins d’un élève sur six est en milieu ordinaire, et à Mayotte, où moins d’un élève sur huit est concerné. Ces chiffres vont à contre-courant de la tendance observée dans l’Hexagone.
En Guyane, le manque de places dans les dispositifs d’accueil de l’éducation nationale, les unités spécialisées et les structures associatives, implique que de nombreux enfants ne sont pas scolarisés ou ne le sont que partiellement. Commence alors une bataille interminable pour les parents, qui n’ont souvent que leur courage pour lutter contre une nébuleuse administrative étourdissante. Pendant ce temps, l’enfant se retrouve seul, fragilisé, face au rejet que notre société lui impose.
Si un effort a été consenti par le rectorat ces dernières années avec la création d’ULIS supplémentaires, la situation est particulièrement difficile pour les personnes à mobilité réduite, dont l’autonomie est fragilisée par l’inadaptation d’une grande partie de l’espace public et des transports, notamment des pirogues.
Vous le savez, je vous invite régulièrement, mes chers collègues, à venir en Guyane toucher du doigt nos réalités. Allons ensemble à Trois-Sauts, village le plus reculé du territoire, et certainement de France, où le premier collège est à sept heures de pirogue ! Vous verrez qu’un enfant dont le diagnostic aurait préconisé une scolarisation dans une classe spécialisée ne peut y accéder, sauf à s’éloigner dès le plus jeune âge de son foyer familial. Pourtant, vous en conviendrez, lui aussi a droit à la scolarisation.
Les chiffres encourageants précédemment évoqués ne sauraient donc se suffire à eux-mêmes, tant la réussite de l’école inclusive repose également sur une amélioration qualitative des conditions d’accueil et d’accompagnement des élèves. À cet égard, la grande consultation Ensemble pour une école inclusive, lancée ce lundi 22 octobre, va dans le bon sens.
Premièrement, l’écoute attentive des familles et des associations est en effet indispensable. Ce sont elles qui vivent au quotidien le processus de scolarisation des enfants. Il est important de les soutenir, de leur donner toute leur place au sein de l’école, à travers des échanges nourris avec les équipes éducatives et l’aide de la MDPH.
Deuxièmement, la transformation du métier d’accompagnant est aussi fondamentale. Pour cette rentrée, 29 000 emplois aidés et 43 000 accompagnants des élèves en situation de handicap, les AESH, sont mobilisés sur le terrain. Le projet de loi de finances pour 2019 prévoit également le financement de 12 400 nouveaux emplois d’accompagnants : 6 400 au titre de la poursuite du plan de transformation des contrats aidés et 6 000 AESH supplémentaires.
Soulignons ici la volonté du Gouvernement de renforcer ces contrats, dont nous connaissons la précarité. Là encore, il nous faudra aller plus loin, en formant mieux les accompagnants, pour améliorer leurs conditions d’exercice et leur permettre d’intervenir dans les activités éducatives périscolaires et extrascolaires des élèves, proposées notamment dans le cadre du plan Mercredi.
Troisièmement, j’aimerais insister sur la nécessité d’améliorer le dépistage, en particulier dans les outre-mer. Il nous faut développer les outils de diagnostic, afin d’éviter les repérages tardifs et les mauvaises orientations.
Je pense à l’adaptation des outils d’évaluation au contexte plurilingue, à la visite médicale scolaire pour tous les élèves, au renforcement de la formation et à la sensibilisation des enseignants au handicap, mais aussi au développement de la PMI et du centre d’action médico-sociale précoce. Autant de pistes de travail pour adapter l’école inclusive aux réalités de nos territoires.
La volonté et les initiatives sont là. Reste maintenant à faire vivre ce beau principe de l’école inclusive, grâce à une écoute attentive des familles, des associations et des syndicats, afin que les élèves et les personnels bénéficient des améliorations qu’ils attendent impatiemment. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin.
Mme Céline Brulin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Gouvernement affirme vouloir réaliser une école pleinement inclusive, sans aucune discrimination à l’égard des enfants en situation de handicap, d’ici à 2022. Bien évidemment, notre groupe partage pleinement cette ambition. Mais encore faut-il s’en donner les moyens !
En effet, si le nombre de jeunes en situation de handicap scolarisés a triplé depuis la grande loi handicap de 2005, la réalité reste insupportable pour nombre d’enfants et de familles. Outre le fait de devoir faire face au handicap, ils sont souvent confrontés à des situations de détresse. Nous avons tous des exemples en tête.
Ainsi certaines administrations sont-elles allées jusqu’à proposer des solutions à l’étranger, notamment en Belgique. Pour d’autres familles, il ne reste plus qu’à se tourner vers l’enseignement privé, qui propose une prise en charge que le public n’offre pas toujours.
Il y a surtout des enfants déscolarisés ou scolarisés à la maison, parfois pendant plusieurs années, faute de solutions adaptées, avec toutes les conséquences que cela entraîne, pour les enfants, mais aussi pour les parents – ces derniers doivent souvent cesser de travailler et vivre avec une allocation journalière de présence parentale inférieure au SMIC.
Cette ambition nécessite d’accélérer la mise en accessibilité des établissements. C’est une véritable urgence, rappelée par le Conseil d’État en 2011 et par le Défenseur des droits un an plus tard. Mais les baisses successives des dotations des collectivités mettent ces dernières en difficulté lorsqu’il s’agit de répondre à cet enjeu. On sait combien d’écoles, maternelles ou élémentaires, de collèges ou de lycées nécessitent encore des investissements en ce sens !
Il faut aussi évoquer les plus de 12 000 enfants qui ne relèvent pas d’une scolarisation en milieu ordinaire et qui sont en attente d’une place dans une structure adaptée, tel un SESSAD, un service d’éducation spéciale et de soins à domicile, ou un IME, un institut médico-éducatif.
Tel est par exemple le cas du jeune Élouan, qui attend depuis 2016 une place en IME. C’est le parcours du combattant pour sa maman, qui doit multiplier les démarches pour lui en obtenir une, avant qu’il n’entre au collège, l’an prochain. En effet, si Élouan peut suivre quatre matinées à l’école élémentaire, le collège lui est formellement déconseillé.
Oui, il faut créer de nouvelles places dans les établissements médico-sociaux adaptés, et il faut recruter des enseignants intervenant dans ces structures – or, dans certains départements, leur nombre est en baisse.
Les ULIS, ou unités localisées pour l’inclusion scolaire, doivent être prises en compte dans les effectifs des établissements. Il est indigne que les enfants en situation de handicap ne soient pas comptabilisés dans les effectifs – et je ne parle pas du caractère extrêmement pénalisant d’une telle situation s’agissant des décisions de maintien ou de suppression de postes.
Je veux évidemment évoquer aussi la question des AESH, les accompagnants des élèves en situation de handicap, et des AVS, les auxiliaires de vie scolaire.
Vous êtes prompts à communiquer sur les 10 900 AESH supplémentaires dans les effectifs d’accompagnement à la rentrée 2018. Mais 21 000 contrats aidés ont été supprimés. Résultat, nous avons vécu, en Seine-Maritime – c’est malheureusement vrai dans beaucoup d’autres départements –, la rentrée 2018 la plus désorganisée depuis la loi de 2005. Des enfants ont vu leurs heures d’accompagnement brusquement réduites ; des AVS ont changé d’élèves alors qu’ils suivaient les précédents depuis des années ; d’autres AVS sont restés sans affectation, et des élèves sans AVS.
J’évoquais la détresse des familles. Elle conduit une mère de famille d’une commune de mon territoire à menacer d’observer une grève de la faim pour espérer faire valoir les droits de son fils, Cyliann, âgé de dix ans, toujours en attente, depuis la rentrée, de l’affectation d’un AESH. Un tel cas n’est malheureusement pas isolé.
Au problème du nombre des personnels accompagnants se conjugue la plus grande sélectivité dans l’attribution de cet accompagnement, qui en écarte certains enfants ; j’ajoute que la formation, la qualification, le statut et les conditions de travail des AVS posent également question.
En abaissant l’expérience demandée aux AVS, le décret du 27 juillet dernier ne résoudra malheureusement pas la crise de recrutement que connaît ce secteur. Le choix a été fait de nier toute notion pédagogique dans l’accompagnement scolaire des élèves en situation de handicap et de réduire le niveau d’exigence lors des recrutements, au détriment des enfants accompagnés.
De la même façon, c’est presque un événement lorsque l’on daigne accorder aux accompagnants des formations leur permettant de mieux comprendre le handicap des élèves suivis, en particulier l’autisme – de nombreuses familles nous saisissent de ce problème.
Des volontés diverses s’expriment pour tenter d’améliorer la situation. Et le refus même d’en débattre véritablement, constaté à l’Assemblée nationale il y a quelques jours, a choqué de nombreuses familles.
Nous nous réjouissons que, sur l’initiative de nos collègues du groupe Union Centriste, ce débat puisse avoir lieu aujourd’hui au Sénat. Nous y versons pour notre part l’idée qu’il est nécessaire d’offrir des formations de qualité aux AVS, je le répète, et de mettre fin à la précarité de leur statut, notamment en transformant en temps pleins tous les contrats qui peuvent l’être. En effet, les AESH ne sont pas rémunérés 1 300 euros par mois, comme cela a pu être dit : moins de 5 % d’entre elles – ce sont souvent des femmes – sont à temps complet.
Nous veillerons à ce que la généralisation des accompagnements mutualisés, que les pôles inclusifs d’accompagnement localisés, les PIAL, vont encore favoriser, ne conduise pas à une baisse de la qualité de l’accompagnement des enfants.
La solidarité nationale et l’égalité républicaine commandent que notre pays accueille et scolarise dignement les enfants et les jeunes en situation de handicap. De ce point de vue, les décisions annoncées après le comité interministériel d’aujourd’hui nous laissent sur notre faim.
Il est essentiel qu’un tel accueil soit rendu possible, car ce sont en grande partie les problèmes de scolarisation, puis de qualification, qui expliquent l’importante pauvreté des personnes en situation de handicap à l’âge adulte.
C’est d’ailleurs notamment en raison de cette grande pauvreté que nous avons présenté cette semaine une proposition de loi visant à supprimer la prise en compte des revenus du conjoint dans la base de calcul de l’allocation aux adultes handicapés, que trop d’entre vous, mes chers collègues, ont refusé de voter. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord me faire le porte-voix de toutes ces familles, notamment dans le Calvados, qui se mobilisent depuis la rentrée pour défendre l’accompagnement scolaire des enfants en situation de handicap.
En effet, malgré les annonces gouvernementales – le Gouvernement s’est engagé à ce que tous les enfants en situation de handicap qui en ont besoin aient accès à un auxiliaire de vie scolaire –, force est de constater que, en cette dernière rentrée scolaire, plusieurs de ces enfants sont encore dépourvus d’un tel accompagnement.
Comment ne pas comprendre le désarroi de ces parents d’élèves handicapés qui, faute de s’être vu attribuer un AVS par l’éducation nationale, n’ont aucune solution de scolarisation, ne font bénéficier leur enfant que d’un temps d’école faible ou doivent patienter sur les listes d’attente des établissements spécialisés ?
En 2018, en France, le droit à l’éducation pour tous les enfants, quel que soit leur handicap, devrait être un droit effectif. C’est une question de justice sociale et de solidarité.
Le Gouvernement a lancé, lundi dernier, une concertation visant à « rénover les dispositifs d’accompagnement pour les écoliers ayant des besoins spécifiques tout au long de leur scolarité ». Des sujets centraux comme ceux de la formation des enseignants ou du statut des accompagnants d’élèves handicapés vont être abordés. C’est une bonne chose, et je salue cette volonté.
En même temps, je regrette qu’il n’ait pas été possible de débattre, très récemment encore à l’Assemblée nationale – cela a été évoqué –, d’une proposition de loi relative à l’inclusion des élèves en situation de handicap.
Ce soir, je souhaite profiter de ce débat pour vous alerter, monsieur le secrétaire d’État, sur la nécessaire remise à plat des dispositifs d’accompagnement existants, au regard de la situation actuelle des enfants atteints de troubles spécifiques du langage et des apprentissages, de troubles cognitifs spécifiques, de dyspraxie, de dysphasie, de dyslexie, de dyscalculie, de trouble du déficit de l’attention, avec ou sans hyperactivité, de troubles des fonctions exécutives, en somme, des enfants « dys » et TDAH – ils sont nombreux.
Conséquence de l’adoption de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013 et de la publication de la circulaire du 22 janvier 2015, un plan d’accompagnement personnalisé, ou PAP, peut être proposé aux enfants présentant des troubles des apprentissages. Dans les faits, ce dispositif se substitue à celui du projet personnalisé de scolarisation, ou PPS. Les enfants « dys » et TDAH sont donc placés en dehors du champ de la politique du handicap et privés ainsi du bénéfice de l’accès à un certain nombre d’aides et de droits.
Pour cette raison – vous le savez –, le PAP est à l’origine d’une profonde division dans le monde du handicap, s’agissant des « dys » en particulier.
Le PAP, en tant qu’il est, aux termes de la loi, un dispositif pédagogique, et non un dispositif de compensation, est interne à l’école ; contrairement au PPS, il n’est pas opposable en droit et n’offre donc aux familles aucune voie de recours.
Surtout, il est basé sur la notion peu claire et approximative de « difficultés scolaires » et n’est donc pas adapté à des enfants en situation de handicap, « dys » ou TDAH, ces troubles nécessitant une connaissance fine du tableau cognitif de l’enfant, qui permettra d’identifier les fonctions déficitaires mais aussi et surtout celles qui sont préservées.
De plus en plus de MDPH, ou maisons départementales des personnes handicapées, renvoient les « dys » et TDAH vers le PAP, y compris lorsque les troubles sont importants et multiples et lorsque les dossiers de demande d’aide des familles sont complets et fondés.
Ainsi écartés du champ du handicap et des mesures dédiées, les familles ne peuvent se voir attribuer l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, allocation compensatoire qui permet de financer les indispensables bilans complémentaires et d’aider à faire face aux coûts des rééducations non remboursables par la sécurité sociale.
Hors reconnaissance MDPH, les « dys » ne peuvent ainsi bénéficier des notifications de matériel informatique, et donc, entre autres, des ordinateurs et des logiciels spécifiques fournis par l’éducation nationale. Quant aux coûts des bilans, des rééducations ou des matériels pédagogiques adaptés, ils reposent uniquement sur les familles. Enfin, l’enfant « dys » ne disposera évidemment pas d’un AVS.
Monsieur le secrétaire d’État, pour toutes ces raisons, il est urgent d’entendre les arguments de ces familles ainsi que des professionnels, qu’ils soient orthophonistes, psychomotriciens ou ergothérapeutes. C’est la lettre et l’esprit de la loi Handicap de 2005, et sa promesse d’égalité des chances fondée sur la compensation du handicap, qui sont bafoués, avec le PAP, pour les enfants « dys » et TDAH.
Je souhaite donc que la concertation que vous avez lancée lundi dernier mette définitivement un terme à cette situation hautement préjudiciable aux enfants atteints de troubles spécifiques du langage et des apprentissages, « dys », TDAH et à leurs familles.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à titre de préambule, je tiens à dire que je regrette moi aussi, comme un certain nombre de parlementaires, le rejet préalable du texte d’Aurélien Pradié relatif à l’inclusion des élèves en situation de handicap, le 11 octobre dernier à l’Assemblée nationale.
Vous le savez, notre groupe, le RDSE, est particulièrement attaché à la qualité du débat parlementaire ; j’espère que le Sénat, dans sa grande sagesse, mènera la discussion à son terme et la fera prospérer sous forme législative.
En avril dernier, le Gouvernement a annoncé vouloir mettre l’accent sur le diagnostic et sur la scolarisation des enfants dans le cadre du quatrième plan Autisme, qui a pour objectif le triplement du nombre d’unités d’enseignement en maternelle, la création de cent postes d’enseignants spécialisés, la multiplication du nombre d’ULIS et la création d’équipes mobiles supplémentaires.
Malheureusement, l’approche retenue dans ce plan fait que la question de l’inclusion scolaire reste une affaire de moyens, d’ajustement et de gestion des structures. Il reste donc à trouver une stratégie plus globale associant les différents acteurs du soin et de la scolarisation pour faire face à la demande croissante des élèves en situation de handicap, qui reste, à ce jour, non entièrement satisfaite.
Toutefois, je profite de cette tribune pour féliciter le service d’éducation spéciale et de soins à domicile pour le travail accompli à Saint-Martin ; ce travail, en effet, a permis d’intégrer graduellement des enfants en situation de handicap dans le système scolaire, via les CLIS, ou classes pour l’inclusion scolaire, et les ULIS, alors que ces enfants, il y a seulement quelques années, n’étaient même pas scolarisés.
Néanmoins, un travail important doit être conduit pour dépister plus efficacement et surtout plus précocement un certain nombre de troubles, tels l’autisme ou la dyslexie ; cela passe nécessairement par une meilleure sensibilisation des professionnels de santé, des parents et de la société.
Toutefois, il n’y a pas qu’à Saint-Martin que ce travail doit se poursuivre : malgré le développement continu de l’aide mutualisée et de la création d’ULIS, entre 30 et 1 500 élèves par département attendent toujours un accompagnement. Aujourd’hui, malgré plusieurs plans Autisme et plans quinquennaux concernant le handicap, les contraintes budgétaires ne nous permettent pas de rattraper le retard accumulé.
Un rapport sénatorial de décembre 2016 nous enseignait par exemple que, en 2015, quelque 1 500 enfants français en situation de handicap étaient pris en charge en Belgique et conventionnés par l’assurance maladie. Faut-il voir dans cette sous-traitance le signe de défaillances en matière de planification ?
Monsieur le secrétaire d’État, les objectifs inscrits dans le plan 2017-2022 en matière de transformation de l’offre médico-sociale sont très ambitieux, puisqu’il est envisagé que, en 2020, quelque 50 % des enfants accompagnés en établissements spécialisés soient scolarisés à l’école. Mais ce volontarisme nécessitera une étroite articulation entre tous les services.
De ce point de vue, je porte à votre attention trois interrogations.
Premièrement, quelle est votre stratégie pour opérer ce grand changement, associant les différents acteurs du soin et de la scolarisation et décloisonnant les interventions et les dispositifs, pour faire de l’école ce lieu institutionnel effectivement central de la prise en compte des besoins de tous les enfants ?
Je rappelle que, en juillet dernier, l’IGAENR, l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, l’IGAS, l’Inspection générale des affaires sociales, et l’IGEN, l’Inspection générale de l’éducation nationale, remettaient un rapport définissant une stratégie globale et cohérente, renforçant les liens entre les établissements de soins et de scolarisation.
Les unités d’enseignement externalisées et les unités de soins mobiles devraient pouvoir être décuplées et pilotées au sein d’une plateforme de services à l’échelon départemental.
L’urgence est aussi de répondre à la situation de ceux que nous appelons les « invisibles de l’éducation nationale », à savoir les auxiliaires de vie scolaire, les AVS, et les accompagnants des élèves en situation de handicap, les AESH. Sans ces personnes qui, très investies dans leur mission, exercent malheureusement dans des conditions difficiles et souvent précaires, l’inclusion scolaire n’aurait jamais pu progresser comme elle l’a fait.
Deuxièmement, que proposez-vous pour simplifier la gestion de ces métiers et créer pour eux un parcours pérenne et attractif ?
Troisièmement, quel est votre regard sur la situation des enseignants référents ? Ces derniers peuvent aujourd’hui accompagner jusqu’à 350 élèves en situation de handicap, alors que le CNCPH, le Conseil national consultatif des personnes handicapées, recommandait que le nombre d’élèves suivi n’excède pas 120, afin que le projet personnalisé de scolarisation puisse être mis en œuvre dans de bonnes conditions.
Par ailleurs, comment lutter contre la forte inégalité des situations entre les territoires, les solutions et les services proposés aux enfants en situation de handicap variant selon les établissements ?
Enfin, le Gouvernement a annoncé l’ouverture de 250 ULIS à l’horizon 2022. Mais, dans un récent rapport, l’IGAS a précisé que, au rythme actuel de progression du nombre d’enfants devant être pris en charge en ULIS, il faudrait ouvrir non pas 50 unités supplémentaires par an d’ici 2022, mais 240 en moyenne.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi de 2005 a marqué un tournant décisif en direction de l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap – c’est indéniable. Les effets qu’elle a produits apparaissent extrêmement positifs. Cependant, de nombreux défis subsistent sur le chemin qui doit permettre à l’école d’instruire et d’éduquer tous les enfants et adolescents en situation de handicap, sans distinction aucune.
Nous vous invitons, monsieur le secrétaire d’État, à un travail de concertation avec le Parlement, pour apporter à cette loi, ensemble et rapidement, les améliorations nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar.
Mme Nassimah Dindar. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, reconnaissons aujourd’hui, plus de dix ans après la loi de 2005, le saut de géant quantitatif réalisé en matière de scolarisation des élèves en situation de handicap. Ces derniers – ce chiffre a été rappelé tout à l’heure – sont aujourd’hui 340 000 à être scolarisés, et la demande s’accroît, surtout en structures spécialisées.
Toutefois, reconnaissons aussi que la réussite n’a pas été au rendez-vous de cette rentrée scolaire ; celle-ci a été très difficile dans nombre de départements, à La Réunion notamment, vu le nombre de contrats aidés qui, alors qu’ils permettaient de pourvoir des postes d’AVS, n’avaient pas été reconduits. La situation, cette année, a donc été difficile à gérer.
Où en est-on en matière de scolarisation des enfants en situation de handicap, sachant que ceux-ci ont des besoins éducatifs particuliers ?
Des disparités existent entre les territoires – elles ont été rappelées –, selon que ceux-ci ont structuré ou non des MDPH au sein desquelles les CDAPH, les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, répondent aux besoins des personnes en situation de handicap. Depuis 2005, en effet, c’est à la CDAPH d’élaborer un PPS, un projet personnalisé de scolarisation, pour chaque enfant atteint d’un handicap.
Une fois accepté par la famille, ce PPS s’impose aux établissements scolaires, donc aux enseignants, lesquels, en milieu ordinaire, n’ont pas été impliqués dans le projet.
Là est le hiatus : malgré l’obligation inscrite dans la loi de désigner un référent, la coordination ne fonctionne pas toujours, et, actuellement, peu d’académies disposent d’un nombre suffisant d’enseignants référents.
La loi de 2005 a permis de grandes avancées. Toutefois, le PPS peut créer des conflits entre la famille, la CDAPH et l’éducation nationale, qu’il y ait ou non un enseignant référent ; souvent, c’est l’inspecteur d’académie qui doit régler ces conflits. Résultat, beaucoup de temps perdu, beaucoup de va-et-vient, beaucoup de paperasse, beaucoup de difficultés.
Tels sont, selon moi, les véritables problèmes auxquels se heurte, d’un point de vue pragmatique, la vie quotidienne des parents qui demandent une place en milieu ordinaire, à l’école ordinaire ou au collège.
Parole d’une mère : « Mon PPS, c’est beaucoup de papier, d’incompréhension et de pleurs. » Néanmoins, mes collègues l’ont rappelé, il existe aussi des success stories, là où l’éducation nationale est fortement présente et impliquée dans les équipes des CDAPH.
En revanche, les enseignants, eux, restent démunis et isolés ; ils font du mieux qu’ils peuvent pour prendre en compte ces besoins particuliers – je pense surtout aux handicaps mentaux. Souvent, à l’occasion de la journée départementale des personnes en situation de handicap, on aime montrer les réussites ; mais celles-ci – il en existe de belles – concernent souvent des personnes en fauteuil roulant. Les charges qui pèsent sur la scolarisation des enfants atteints de handicaps mentaux, quant à elles, sont beaucoup plus lourdes ; par conséquent, les réussites en la matière sont moins faciles à afficher.
J’ajouterai que les CLIS et les UPI, ou unités pédagogiques d’intégration, manquent souvent du soutien nécessaire dans leurs relations avec les SESSAD. Lorsqu’ils sont présents sur un territoire, les SESSAD peuvent collaborer avec les établissements médico-sociaux, mais moins facilement avec les écoles, par défaut de coordination entre l’éducation nationale et toutes les unités d’accompagnement médical. Une coordination véritable reste donc à mettre en œuvre.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Nassimah Dindar. Convenons que le sujet n’est pas simple et que la feuille de route du Gouvernement, qui va dans le bon sens, rencontre une adhésion certaine de la part des acteurs impliqués.
Pour ma part, je soutiens la création de postes d’AESH et la formation des enseignants, qui permettraient une meilleure intégration de ces enfants et amélioreraient la continuité de leur accompagnement.
M. le président. Il faut vraiment conclure !
Mme Nassimah Dindar. Tous les problèmes semblent avoir été identifiés.
J’ajoute simplement que je souhaite l’ouverture de postes destinés aux diplômés du CAPA-SH, ou certificat d’aptitude professionnelle pour les aides spécialisées, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap : il en manque !
M. le président. Votre temps de parole est écoulé.
Mme Nassimah Dindar. L’enjeu est d’attirer des enseignants, sachant la difficulté de telles missions. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, veillons à ce que M. le secrétaire d’État ait le temps nécessaire pour répondre. À défaut, à quoi sert-il de débattre ?
La parole est à M. Olivier Paccaud. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Olivier Paccaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, de toutes les révolutions qu’a connues notre pays depuis 1789, la plus heureuse et peut-être la plus importante est la « révolution scolaire ».
C’est avec les lois dites « Jules Ferry » instaurant la gratuité, la laïcité, mais aussi l’obligation de la scolarité, dans les années 1880, que s’est réellement développé et démocratisé l’enseignement, d’abord au niveau primaire. La République offrait ainsi à tous ses enfants l’accès au savoir, leur permettant d’espérer une progression sociale à travers la réussite scolaire et la reconnaissance des mérites de chacun. À tous ses enfants, dis-je – ou presque, devrais-je ajouter.
Au fil des décennies et des Républiques, l’esprit desdites lois a été décliné et complété, avec une démocratisation de l’accès au collège, puis au lycée, enfin à l’université. Mais cette belle œuvre de diffusion du savoir dans toutes les couches de la société a longtemps, trop longtemps, oublié les enfants en situation de handicap.
Avec la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, dont beaucoup de nos collègues ont parlé, la scolarisation des élèves handicapés en milieu scolaire est devenue un principe de droit. On a ainsi fait beaucoup pour accueillir ces élèves différents et pour les intégrer au mieux au sein des classes.
L’instauration, en 2000, des auxiliaires de vie scolaire, AVS, désormais accompagnants des élèves en situation de handicap, AESH, a été une étape charnière. Aujourd’hui, il est d’ailleurs difficilement envisageable d’imaginer la scolarisation des enfants handicapés sans l’aide des AESH.
A contrario, bien des parents, mais aussi des enseignants, déplorent le nombre insuffisant de ces personnels dont le statut et la formation sont à préciser. La récente rentrée scolaire a d’ailleurs eu son lot de déceptions et de mécontentements, avec de nombreux enfants sans AESH, mais aussi beaucoup d’AESH prérecrutés, mais finalement remerciés sans explication, le lendemain ou la semaine suivante – de nombreux exemples pourraient être cités dans mon département de l’Oise.
Afin d’améliorer encore cette insertion des élèves en situation de handicap au cœur des classes « traditionnelles », il pourrait être précieux de permettre aux enseignants de mieux appréhender et comprendre les difficultés spécifiques et toujours particulières de ces enfants. En effet, le code de l’éducation prévoit très précisément, dans son article L. 721-2, que « les écoles supérieures du professorat et de l’éducation […] organisent des formations de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations, à la scolarisation des élèves en situation de handicap. »
Or, dans la réalité, même si chaque ESPE, ou école supérieure du professorat et de l’éducation, présente ses particularités, la prise en considération de la problématique des enfants handicapés est au mieux rare et insuffisante, au pire inexistante.
Aussi pourrait-il être pertinent et formateur d’inclure dans le cursus des futurs professeurs une période consacrée exclusivement à l’accompagnement d’élèves handicapés. C’est d’ailleurs l’objet d’une proposition de loi que j’ai déposée le 13 juin dernier, qu’a évoquée mon collègue et ami Philippe Mouiller et qui a été cosignée par près de cent sénateurs siégeant sur tous les travées, ou presque, de l’hémicycle.
L’idée est simple : durant sa formation, l’apprenti enseignant remplirait pour plusieurs semaines – pourquoi pas pour un mois, voire pour un trimestre ? – la même mission qu’un AESH, afin de bien intégrer les attentes et les besoins de l’élève qui se trouve sous sa responsabilité. L’expérience ainsi acquise serait évidemment utile aux futurs « maîtres » lorsqu’ils auront à gérer des effectifs comprenant un ou plusieurs élèves en situation de handicap, que ces derniers soient ou non « tutorés » par un AESH.
L’autre intérêt de ce dispositif serait de permettre la prise en charge individuelle d’enfants handicapés en bien plus grand nombre qu’aujourd’hui. Le coût d’une telle mesure serait par ailleurs très raisonnable. D’autres pistes sont aussi à creuser dans le cadre de la formation continue des enseignants titulaires. C’est une question d’imagination, mais surtout de volonté gouvernementale.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, s’il est essentiel de renforcer les effectifs d’AESH, ainsi que d’améliorer leur statut et leur formation en les professionnalisant, il est tout aussi indispensable de former les enseignants eux-mêmes à cet accueil des élèves en situation de handicap.
C’est au soin qu’elle apporte aux plus fragiles qu’on mesure la grandeur et la dignité d’une société. En matière de scolarisation des élèves en situation de handicap, des progrès ont été réalisés, mais il reste beaucoup à faire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Nassimah Dindar et Colette Mélot applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin. (M. Guillaume Arnell applaudit.)
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à remercier mes collègues d’avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour de nos travaux, tant cette problématique est importante à nos yeux.
Le handicap affecte aujourd’hui près de 10 millions de Français, dont de nombreux enfants et adolescents qu’on ne peut se résoudre à laisser hors de l’institution scolaire. L’inclusion sociale des enfants atteints de handicap constitue donc une absolue nécessité.
En 2002 déjà, interpellai-je la communauté éducative, au sein du conseil de l’éducation nationale de la préfecture de Guadeloupe, sur les problématiques liées au handicap. En 2004, en ma qualité de présidente d’une fédération de parents d’élèves, je fus à l’initiative de la mise en place d’une classe dédiée à l’accueil des enfants autistes, en Guadeloupe, à l’école mixte Grand Camp 1 des Abymes.
Au fil des années, les gouvernements successifs ont étoffé l’arsenal juridique et réglementaire.
Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, un inventaire statistique et un état des lieux précis portant sur les différents dispositifs existants serait salutaire, afin d’adapter au mieux le projet de loi annoncé par votre gouvernement à la réalité des besoins des enfants, des parents, des associations et des territoires.
Permettez-moi de vous soumettre quelques propositions, qui se veulent des orientations concrètes et techniques, d’ores et déjà applicables, à partir de la législation en vigueur, destinées à faciliter l’inclusion de tous ces enfants et à répondre ainsi aux attentes des familles.
Face à l’augmentation des besoins, il devient indispensable de repenser la scolarité de ces enfants comme un parcours continu d’apprentissage personnalisé, à la fois sur le temps scolaire et sur le temps péri-périscolaire.
Cette transformation passe par une mobilisation de tous : l’État bien sûr, les collectivités locales, les conférences régionales de santé et de l’autonomie, les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, les maisons départementales du handicap, ainsi que tous les acteurs médico-sociaux libéraux et associatifs, avec le soutien des familles, afin de favoriser une prise en charge effectivement transversale et inclusive.
Je préconise des personnels de l’éducation, les enseignants et les non enseignants, tels que les ATSEM, les animateurs, les personnels d’orientation, plus nombreux et mieux formés, grâce à des modules obligatoires sur le handicap dans le cadre de leur formation initiale et continue, comme l’apprentissage des fondamentaux de la langue des signes, par exemple.
Les accompagnants d’élèves en situation de handicap doivent disposer d’un statut unifié et être mieux rémunérés, avec un référentiel des métiers clair et mieux valorisé.
Il faut un accompagnement des collectivités locales sur l’accessibilité du bâti et des outils pédagogiques, par exemple, pour les élèves du second degré, des espaces de lecture au sein de tous les centres de documentation et d’information, avec des fonds en braille et des écouteurs pour l’audiodescription.
L’éducation nationale doit prendre en charge des ressources et outils pédagogiques numériques, tels que des tablettes ou des téléphones portables mis à la disposition exclusive – j’y insiste – des élèves sourds ou malentendants sachant lire et pouvant communiquer par écrit, afin notamment de leur permettre de transmettre et de recevoir les messages d’alerte et d’urgence.
Il faut mettre en place un référentiel national applicable sur l’ensemble du territoire de la République, notamment pour les aménagements nécessaires pour le passage des diplômes et examens par des personnes en situation de handicap.
Pour favoriser l’utilisation de l’alternance et de l’apprentissage dans les différentes branches professionnelles, pour les jeunes en situation de handicap, il serait également utile de renforcer l’accompagnement spécifique pour les entreprises et les établissements scolaires, en créant de nombreuses interfaces de dialogue. Certes, les modalités de prises en charge de chaque jeune sont différentes en fonction du handicap et des capacités cognitives, mais il faut valoriser les dispositifs au sein d’un environnement sécurisé, différent et adapté.
Mieux former, accompagner et informer les différents acteurs : telles sont mes recommandations pour améliorer les conditions d’accueil des enfants et adolescents en situation de handicap au sein de nos écoles et de nos établissements du second degré. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Cuypers. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Cuypers. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 22 mai dernier, en prévision de la rentrée scolaire 2017-2018, j’ai interrogé le Gouvernement sur la situation précaire des AVS et des AESH. Aucune réponse acceptable ne m’a été apportée, si ce n’est l’annonce d’un décret censé structurer davantage la profession, dont la parution était imminente.
J’ai attendu naïvement. Hélas ! Le décret du 27 juillet ne règle en rien la situation des personnels concernés. Il n’améliore pas les conditions de travail et les salaires. De plus, il porte atteinte au droit de nombreux élèves souffrant de handicap à recevoir une éducation la plus adaptée possible. Il ne contient pas de mesure de reconnaissance et, encore moins, de pérennité de l’emploi. Faudra-t-il qu’un drame survienne pour que, enfin, l’on considère ces personnels ?
« Ensemble pour une école de la confiance », déclarez-vous… Oui, nous sommes tous tout à fait d’accord ; c’est une belle priorité, mais encore faudrait-il qu’elle se traduise dans les faits et sur le terrain.
Des progrès ont été accomplis depuis le vote de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, que nous devons à notre excellent collègue Philippe Bas, président de la commission des lois.
Dois-je rappeler que le nombre des enfants en situation de handicap est en constante augmentation ? Le recrutement sera encouragé, comme le prévoit le décret de juillet 2018.
Sera-t-il suffisant pour contenter toutes les demandes des parents ? Le salaire des personnels sera-t-il revalorisé ? Je le souligne, le salaire moyen d’un assistant est de 700 euros par mois. Ces personnels sont mal rémunérés, en sous-effectifs et en manque de reconnaissance, sans parler de l’absence de formation préalable pour la plupart d’entre eux.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous soumettre un cas concret rencontré en Aquitaine, mais il en existe évidemment bien d’autres ailleurs. À la fin du mois de septembre dernier, un nombre important de personnels en renouvellement de CDD ou bénéficiant d’un contrat nouveau n’ont pas touché l’intégralité de leur salaire. Le rectorat de Bordeaux invoque une transmission tardive de leur dossier, ce qui est faux !
Les salaires ne sont pas versés intégralement par l’éducation nationale. Certains accompagnants, sans être avertis, n’ont perçu à la mi-octobre que 70 % de leur salaire de septembre, le reste devant être versé avec le salaire d’octobre. Ils n’ont toujours rien reçu à ce jour. Qu’en sera-t-il ?
Au-delà de la situation financière difficile que vivent la majorité des AVS ou AESH, se pose le problème de leur statut. Les contrats existants ne pérennisent pas les emplois et fragilisent la relation de confiance qui s’établit entre les enfants, les enseignants et la famille. Les enseignants reconnaissent eux-mêmes que, sans ces accompagnants, il leur serait difficile de gérer une classe accueillant un enfant handicapé.
Monsieur le secrétaire d’État, les recruter, comme le prévoit le décret de juillet, c’est bien ; les payer et leur proposer un contrat sérieux, c’est mieux !
Il semble que, par la force des choses, et sans doute en raison du mécontentement exprimé à la rentrée par les parents des élèves concernés, le Gouvernement esquisse un plan en faveur des AVS et des AESH sur la base de l’expérimentation de pôles inclusifs d’accompagnement localisés, à coup d’annonces dans la presse.
Vous évoquez de prétendues mesures concrètes que vous n’annoncerez que le 11 février 2019, date anniversaire de la loi de 2005. On croit rêver. De qui se moque-t-on ? Est-ce une promesse ou une future nouvelle reculade ? Existe-t-il au moins une ligne budgétaire dans le projet de loi de finances pour 2019 ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Pierre Cuypers. Quand allez-vous enfin donner les moyens aux parents de ces enfants de leur offrir le meilleur environnement scolaire possible ? Si nous devons, nous tous ici réunis, respecter un des principes fondateurs de la République, l’école pour tous, il serait stupéfiant que vous ne le respectiez pas aussi.
Quelles dispositions supplémentaires comptez-vous prendre dans l’immédiat ? C’est maintenant que les familles et les enfants ont besoin de vous. Monsieur le secrétaire d’État, c’est urgent ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État. J’en suis désolé, monsieur le secrétaire d’État, mais il ne reste que neuf minutes de temps de parole.
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le groupe Union Centriste d’avoir choisi d’organiser un débat sur la scolarisation des élèves en situation de handicap.
Le sujet me tient particulièrement à cœur. Je me réjouis donc d’intervenir pour la première fois au Sénat sur ce thème, même si je suis un peu frustré de n’avoir que quelques instants pour vous répondre, comme M. le président vient de le rappeler. J’espère que vous me pardonnerez la rapidité de mon propos. Avec ma collègue Sophie Cluzel, je suis tout à fait disposé à vous apporter des réponses plus fournies par écrit si vous nous en faites la demande.
Le sujet est fondamental et complexe à la fois. Tous ceux qui affirment le contraire détournent la juste émotion que soulève cette question chez les familles et ne sont à la hauteur ni des enjeux ni de ce que nous voulons réaliser ensemble. Je suis heureux que nous ayons ce débat au Sénat, connaissant la capacité de la Haute Assemblée à aborder les sujets sur le fond, de manière dépassionnée au plan politique.
Je souhaite revenir quelques instants sur le débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale, auquel vous êtes plusieurs à avoir fait référence. Il est faux de prétendre qu’il n’y a pas eu de discussion sur la proposition de loi du député Aurélien Pradié ! Nous avons examiné ce texte – à l’époque, j’étais encore député – pendant quatre heures en commission, et la discussion a été extrêmement fournie.
Certes, une motion a bien été déposée en séance. Mais je rappelle que le texte prévoyait la mise en place d’un diplôme d’État existant déjà, la reconnaissance d’une validation des acquis de l’expérience déjà effective, la possibilité d’accorder un brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur aux AESH, ce que ces personnels ne demandent pas, puisqu’il s’agit d’accompagnants et non d’animateurs.
En outre, le terme « aidants » figurait à plusieurs reprises dans la proposition de loi alors qu’il est refusé par tous les collectifs d’AESH. D’ailleurs, un certain nombre de députés de même sensibilité politique que les orateurs qui viennent de s’exprimer avaient déposé des amendements de suppression, et d’autres groupes avaient aussi déposé une motion.
Je me réjouis de la manière dont les sénatrices et les sénateurs qui sont intervenus ont abordé le sujet. Je pense évidemment d’abord à Mme Billon, que je remercie d’avoir salué la « stratégie intéressante » du Gouvernement en la matière, même si elle a souligné que beaucoup restait à faire et formulé des propositions. Mme la sénatrice a notamment abordé la question du numérique et de l’intégration. Avec d’autres, comme Mme Féret, M. Arnell ou Mme Jasmin, elle a évoqué la stratégie nationale pour l’autisme ; sachez que la volonté du Gouvernement d’avancer avec vous sur ces sujets est totale.
Mme Mélot a eu raison de dénoncer le retard de la France. En tant que député, j’ai eu la chance d’accompagner Jean-Michel Blanquer et Sophie Cluzel au Danemark une journée. J’y ai vu ce qu’est une vraie école inclusive et combien il est possible d’inclure des enfants en situation de handicap dans l’école, avec les autres élèves, en organisant un parcours d’accueil. Il est donc possible d’avancer.
Cela a été rappelé, la création d’une école toujours plus inclusive nécessite une révolution des esprits et une transformation de notre système scolaire. C’est notre ambition, qui a été réaffirmée ce matin encore au comité interministériel du handicap, où il a été rappelé que la grande priorité, avec l’emploi, est la scolarisation des enfants en situation de handicap.
Néanmoins, il faut aller vite. Avant d’être membre du Gouvernement, j’étais député ; et avant d’être député, j’ai été élu local. Je sais comme vous combien la pression sur le terrain est forte. La détresse des familles et les attentes sont là. Vous êtes en première ligne auprès des élus locaux, qui sont eux-mêmes en première ligne auprès d’administrés parfois confrontés à des situations très difficiles, voire dramatiques.
Une telle transformation ne peut pas s’effectuer en un jour. Elle nécessite de traiter un nombre considérable de questions, dont, bien entendu, l’accompagnement des familles, l’accueil personnalisé des élèves, la transformation du métier d’accompagnant, l’adaptation des locaux et du matériel pédagogiques ou encore la coordination de tous les acteurs. C’est pour relever l’ensemble de ces défis que le Gouvernement a fait une priorité de la scolarisation des élèves en situation de handicap.
Depuis 2005, les progrès ont été considérables, ainsi que Mme Doineau l’a rappelé. Certes, monsieur Karam, s’il faut se réjouir de ces progrès, dans un certain nombre de territoires, dont le vôtre, la Guyane, la situation demeure difficile. Il reste beaucoup à faire. La question de l’inclusion des élèves en situation de handicap en outre-mer revêt évidemment une dimension spécifique et fait l’objet d’un suivi tout particulier de la part du Gouvernement. Soyez assuré que des progrès seront réalisés.
Il reste du chemin à faire à l’échelon national, d’autant que les prescriptions de handicap ne cessent d’augmenter. Notre objectif, qui a déjà été affirmé, est clair : nous voulons que l’école française soit pleinement inclusive en 2022.
Il est ambitieux, mais nous allons l’atteindre. Nous travaillons depuis un an à sa réalisation concrète. Cela implique notamment un investissement massif dans le recrutement des accompagnants. Car, pour répondre à M. Cuypers, le projet de loi de finances pour 2019 prévoit le financement de 12 400 nouveaux emplois d’AESH.
L’enjeu, Mme Billon l’a rappelé, c’est la pérennité. Je vous suis totalement : l’aspect quantitatif ne suffit pas. La pérennité implique d’améliorer la qualité des contrats offerts aux accompagnants. Pour la première fois depuis dix ans, le nombre d’accompagnants ayant le statut d’ASH dépasse celui des emplois aidés, qui étaient majoritaires jusqu’alors ; c’est bien la preuve qu’il y a un saut qualitatif.
Monsieur Paccaud, le recrutement des ASH s’effectue tout au long de l’année en fonction des notifications des MDPH. Une analyse fondée sur la seule rentrée scolaire me paraît donc un peu biaisée.
À la rentrée 2018, quelque 29 000 emplois aidés et 43 041 AESH en équivalents temps plein accompagnaient les élèves en situation de handicap. Je veux le rappeler, aucun contrat aidé dédié à l’accompagnement du handicap n’a été supprimé, que ce soit en cette rentrée ou à la rentrée précédente.
Nous savons qu’il y a eu une politique en matière de réduction des contrats aidés. Vous connaissez la position du Gouvernement. Des priorités avaient été fixées. Je pense notamment à l’accompagnement des élèves en situation de handicap. Il n’y a pas eu de suppression de contrats liés à l’accompagnement. Ces chiffres traduisent concrètement la volonté du Gouvernement d’offrir un statut stable et pérenne aux accompagnants.
La pérennité passe également par l’amélioration de la formation des professeurs et des accompagnants. Je rejoins totalement M. Mouiller, qui a évoqué la nécessité de renforcer la formation des enseignants. Un grand chantier nous attend. Le texte qui sera défendu par Jean-Michel Blanquer aborde la question de la refonte de la formation des enseignants. L’objectif est que tous les enseignants bénéficient dans le cadre de leur formation de modules sur l’accueil des élèves en situation de handicap. Cet engagement, qui est très fort, sera au cœur de la réforme.
La hausse de la scolarisation des élèves en situation de handicap est une réussite collective. Elle implique désormais une évolution de la fonction d’accompagnant de ces élèves. Nous avons réalisé un progrès quantitatif formidable. Nous devons désormais répondre à un enjeu qualitatif. La nécessité d’un changement de paradigme est un constat aujourd’hui partagé par tous : parents d’élèves, professionnels et associations.
C’est pourquoi les ministres ont lancé ce lundi 22 octobre devant le Conseil national consultatif des personnes handicapées, ou CNCPH, une large concertation. L’objectif est d’établir une relation de confiance entre l’école et les familles, à partir du projet personnalisé de scolarisation, le PPS, qui deviendra l’outil d’organisation de la scolarité.
Je rejoins plusieurs des orateurs qui sont intervenus, notamment Mme Doineau et M. Mouiller, sur la nécessité de réduire les délais et de simplifier le lien entre les MDPH et les écoles. Nous y travaillons beaucoup. Certains éléments ont été annoncés ce matin lors du comité interministériel. Je pense notamment à la simplification des procédures liées à l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé.
Dans son rapport, le député des Hauts-de-Seine Adrien Taquet propose également des mesures très intéressantes, qui seront reprises. Je pense ainsi au fait que 100 % des MDPH soient équipées d’ici à la fin de l’année 2019, afin de venir au bout des démarches administratives et de la paperasserie que plusieurs intervenants ont décrites. L’important, c’est la fluidité et la simplification des démarches.
Nous souhaitons également développer l’attractivité du métier d’accompagnant.
M. le président. Je suis contraint de vous demander de conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Je prends cela comme une séance de bizutage pour ma première intervention devant le Sénat, monsieur le président. (Sourires.)
Les pôles inclusifs d’accompagnement localisés concrétisent la mise en œuvre d’une nouvelle organisation pédagogique permettant de mieux coordonner les moyens d’accompagnement, en les modulant dans le temps comme dans l’espace. Cela répond à l’objectif de pivot que Mme Brulin décrivait tout à l’heure, et cela apportera une souplesse organisationnelle bénéfique pour conduire les projets pédagogiques propres à chaque établissement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai été heureux, pour cette première intervention rapide, d’aborder un sujet aussi fondamental, qui est aussi un sujet du quotidien pour nombre de Français. Cela fait partie, je le sais, des questions sur lesquelles nous serons jugés à la fin du quinquennat. Soyez assurés de la détermination du Gouvernement, de Jean-Michel Blanquer, de Sophie Cluzel et, désormais, de la mienne, à leurs côtes, pour avancer dans cette direction. (Applaudissements.)
M. le président. Merci de votre concision, monsieur le secrétaire d’État. Il n’était pas facile de répondre en une dizaine de minutes à l’ensemble des orateurs.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur la scolarisation des enfants en situation de handicap.
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 30 octobre 2018 :
À quatorze heures trente :
Explications de vote, puis vote sur la proposition de loi relative à la représentation des personnels administratifs, techniques et spécialisés au sein des conseils d’administration des services départementaux d’incendie et de secours (procédure accélérée ; n° 601, 2017-2018) ;
Rapport de M. Loïc Hervé, fait au nom de la commission des lois (n° 71, 2018-2019) ;
Texte de la commission (n° 72, 2018-2019).
Ce texte sera examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq : débat sur le thème « La crise migratoire : quelle gestion européenne ? », à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et de la commission des affaires européennes.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD