M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Je veux dire à M. Bonhomme que ce sont justement des propos comme les siens qui nous poussent à rejeter une telle proposition de loi. Ainsi, il tombe dans la caricature et dans les amalgames douteux entre les manifestants et les groupes violents que nous condamnons. M. Bonhomme devrait donc faire attention aux propos qu’il peut tenir.
M. Vincent Segouin. Il appréciera le conseil !
Mme Éliane Assassi. Madame la rapporteur, je connais votre sérieux et votre rigueur intellectuelle, tout comme je connais le sérieux et la rigueur intellectuelle de la commission des lois pour y avoir siégé pendant de longues années. Toutefois, je pense qu’il aurait été intéressant pour la bonne tenue de nos travaux de préciser, comme vous venez de le faire, que la note qui a été remise par le Défenseur des droits l’avait été avant que la commission n’apporte des modifications au texte initial.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Bien sûr !
Mme Éliane Assassi. Ainsi, nous aurions évité cet échange.
L’article 1er confère aux préfets des pouvoirs disproportionnés en matière de sécurité publique. Les mesures ici adaptées au cadre particulier des manifestations risquent en outre d’en favoriser une application discriminatoire, dès lors que les fouilles ne requièrent aucune base objective. Sur quels critères s’opéreront les contrôles visuels et les palpations de sécurité, alors que la problématique bien réelle des contrôles au faciès, par exemple, reste aujourd’hui sans réponse de la part des gouvernants successifs de notre pays ?
Mon intervention vaudra aussi défense de l’amendement de suppression que nous avons déposé. Nous voulions simplement rappeler avec cette parole sur article ce que j’ai dit en substance lors de la discussion générale : nous ne pouvons pas accepter cette proposition de loi et donc son article 1er !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Le présent article vise à instaurer un contrôle des effets personnels des passants lors des manifestations. Il s’agit d’une mesure conditionnée à l’existence de troubles à l’ordre public.
Cet article prévoit également la mobilisation des agents de la police judiciaire chargés de procéder aux contrôles administratifs. Cette mesure coercitive, en plus de conférer un pouvoir arbitraire aux forces de l’ordre, est contraire aux libertés fondamentales.
Ce contrôle est de surcroît impraticable et populiste : impraticable, car l’examen d’un rassemblement de 25 000 personnes, par exemple, durerait des heures ; populiste, car l’État suggère que nous pourrions endiguer les violences avec ce procédé.
Une telle mesure avait déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme dans sa jurisprudence Austin contre Royaume-Uni du 15 mars 2012, selon laquelle « compte tenu de l’importance fondamentale de la liberté d’expression et de la liberté de réunion dans toute société démocratique, les autorités nationales doivent se garder d’avoir recours à des mesures de contrôle des foules afin, directement ou indirectement, d’étouffer ou de décourager des mouvements de protestation ».
Mes chers collègues, on se sert de quelques centaines de casseurs pour chercher à dissuader les Français de se mobiliser, alors qu’il suffit d’étudier l’histoire dans la longue durée pour voir que toutes nos libertés sont nées dans la rue.
Le contrôle des foules est un procédé liberticide. (Mme Sophie Primas s’exclame.) Si nous ne nous opposons pas à une telle mesure répressive, la France pourrait subir une énième condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme.
Parce que le droit de manifester est consubstantiel à l’exercice d’une citoyenneté et d’une société démocratique en bonne santé, nous ne saurions tolérer l’autoritarisme et la répression des cortèges !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 2 est présenté par MM. Durain, Kanner, Sueur, J. Bigot et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 9 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Benbassa, Apourceau-Poly, Cohen et Cukierman, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli et Collombat et Mme Lienemann.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 2.
M. Jérôme Durain. Même si nous reconnaissons le travail intéressant de Mme la rapporteur sur cet article, nous avons déposé un amendement de suppression, et ce pour trois raisons.
Tout d’abord, sur le plan opérationnel, la présente mesure est déjà encadrée par le droit et appliquée sur le terrain. Le droit permet d’ores et déjà la mise en place d’un dispositif de filtrage des manifestants. Ce dispositif figure parmi un ensemble de mesures préparatoires, qui ont lieu en amont de la manifestation, et peut être mis en œuvre sur le site et aux abords du site. Il vise à détecter les individus interdits de manifestation et à limiter les risques de détention d’armes.
Ensuite, il nous semble que la judiciarisation du maintien de l’ordre fournit aux forces de l’ordre un cadre juridique sécurisant au niveau procédural. On sait que les réquisitions sont généralement délivrées la veille pour des lieux et des périodes déterminés.
Enfin, le présent article nous paraît présenter un caractère disproportionné, car celui-ci tend à introduire dans le droit commun un recours au dispositif des périmètres de protection et de sécurité de l’état d’urgence, prévu à l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure.
Si le Conseil constitutionnel reconnaît un caractère spécifique lié à la menace terroriste justifiant des atteintes fortes aux droits et libertés individuels, il ne saurait en être de même avec la prévention des actes délictuels commis à l’occasion d’une manifestation.
D’une manière générale, le problème ne réside pas dans les textes, mais dans la doctrine d’emploi des forces de l’ordre.
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Ces deux amendements identiques visent à supprimer l’article 1er et sont par conséquent contraires à la position de la commission des lois.
Cette dernière considère que la mise en œuvre des périmètres de contrôle aux abords d’une manifestation présente un certain intérêt dans la mesure où elle permettra, grâce au filtrage des passants, de mieux sécuriser les manifestations.
En raison des risques d’inconstitutionnalité que présentait le texte initial, la commission a complété l’article 1er de plusieurs garanties que je vais énumérer.
Il y a d’abord l’encadrement dans le temps et l’espace des périmètres de contrôle, qui ne pourront désormais être instaurés que six heures au lieu de douze heures avant la manifestation. Ensuite, nous avons veillé à adapter les mesures de contrôle pour les personnes résidant ou travaillant dans le périmètre. Enfin, la commission a supprimé – j’y reviendrai plus tard – l’intervention des agents de police municipale et des agents de sécurité privée dans ces périmètres.
Grâce à ces modifications, mes chers collègues, nous avons abouti – j’en suis personnellement convaincue – à un texte équilibré, qui écarte toute atteinte disproportionnée aux droits et libertés constitutionnellement garantis.
Je voulais en outre répondre à Mme Assassi que l’on ne risque pas de basculer vers le délit de faciès, dans la mesure où il s’agira de fouilles systématiques, comme à l’entrée des grands magasins, par exemple.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. S’agissant de ces deux amendements de suppression, je voudrais redire que le périmètre de protection permettant d’écarter de la manifestation des personnes qui refusent de se soumettre à certaines vérifications ou détiennent des objets constituant une arme présente à l’évidence un intérêt. Toutefois, comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, une telle mesure porte plusieurs atteintes à la liberté d’aller et venir et au droit constitutionnel de manifester. Il convient donc de l’encadrer très strictement.
Le Gouvernement propose de poursuivre le travail de réflexion engagé sur ce sujet, afin d’atteindre un équilibre satisfaisant entre les objectifs d’ordre public et la garantie des libertés fondamentales. Le groupe de travail mis en place par le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice, visant à mieux détecter, interpeller et sanctionner les fauteurs de trouble lors des manifestations, constitue le cadre idéal pour cette réflexion. Il rendra ses conclusions au mois de janvier de l’année prochaine.
Le Gouvernement est néanmoins défavorable à ces amendements de suppression.
M. le président. Si j’ai bien compris, monsieur le secrétaire d’État, vous êtes, tout à la fois, opposé à l’article et aux amendements visant à le supprimer…
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. L’article 1er de la proposition de loi tend à instaurer un dispositif de périmètre de protection, d’où pourraient être écartés certains individus. Nous menons actuellement un travail, au sein du ministère, pour encadrer ce dispositif et apporter les meilleures garanties pour sa mise en œuvre.
M. Bruno Retailleau. Nous avions compris, monsieur le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Le Gouvernement est donc défavorable à ces amendements, visant à supprimer purement et simplement l’article, étant précisé que nous fournirons, en janvier, les résultats d’un travail juridique que nous menons sur des dispositifs identiques à celui-ci.
M. Jean-François Husson. Si c’est pareil en janvier, autant le faire tout de suite !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 9 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Grand, n’est pas soutenu.
Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
La section 1 du chapitre Ier du titre Ier du livre II du code de la sécurité intérieure est complétée par un article L. 211-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 211-4-1. – Le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté motivé, interdire de prendre part à une manifestation déclarée ou dont il a connaissance à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public et qui soit s’est rendue coupable, à l’occasion d’une ou plusieurs manifestations sur la voie publique, des infractions mentionnées à l’article L. 211-13, soit appartient à un groupe ou entre en relation de manière régulière avec des individus incitant, facilitant ou participant à la commission de ces mêmes faits.
« Le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut imposer, par le même arrêté, à la personne concernée par cette mesure de répondre, au moment de la manifestation, aux convocations de toute autorité ou de toute personne qualifiée qu’il désigne. Cette obligation doit être proportionnée au comportement de la personne.
« L’arrêté précise la manifestation concernée ainsi que l’étendue géographique de l’interdiction, qui doit être proportionnée aux circonstances et qui ne peut excéder les lieux de la manifestation et leurs abords immédiats ni inclure le domicile ou le lieu de travail de la personne intéressée. La durée de l’interdiction ne peut excéder celle de la manifestation concernée.
« L’arrêté est notifié à la personne concernée au plus tard quarante-huit heures avant son entrée en vigueur.
« Le fait pour une personne de participer à une manifestation en méconnaissance de l’interdiction prévue au premier alinéa du présent article est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende.
« Le fait pour une personne de méconnaître l’obligation mentionnée au deuxième alinéa est puni de trois mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende. »
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.
M. Guillaume Gontard. L’article 2 tend à autoriser les préfets et, à Paris, le préfet de police, à prononcer, à l’encontre de toute personne susceptible de représenter une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, une interdiction de manifester, assortie, le cas échéant, d’une obligation de « pointage » auprès d’un représentant de l’autorité publique.
Il s’agit là encore, comme pour l’article 1er, d’une retranscription de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
Cette dernière prévoyait, en son article 3, des mesures de surveillance « à l’encontre de toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ». Autrement appelé « interdiction de séjour prononcée en vertu de l’état d’urgence », ce dispositif avait été censuré par le Conseil constitutionnel, puis réécrit pour être réintroduit dans la loi, avec des garanties contre les atteintes à la vie privée et familiale des personnes visées par la mesure.
Il est intéressant de noter que la rapporteur a introduit les mêmes modifications pour contourner le caractère anticonstitutionnel de la mesure initiale. Pourtant, comme Éliane Assassi l’indiquait dans son intervention générale, et bien qu’un des articles les plus problématiques, l’article 7, ait été vidé de sa substance, cette proposition de loi semble s’affranchir, dans son ensemble, des exigences constitutionnelles et conventionnelles.
L’amendement que nous présentons à cet article 2, défendu par cette intervention, vise à s’opposer à la transposition de la législation antiterroriste pour l’encadrement des manifestations. La disproportion des mesures de police administrative choisies ne permet pas d’assurer un équilibre entre maintien de l’ordre public et respect du droit constitutionnel de manifester.
Et pour cause… Vous avez très bien rappelé, madame la rapporteur, les propos sévères du Défenseur des droits : « Cette proposition de loi vise, d’une part, à restreindre la liberté de manifester en créant des contrôles administratifs systématiques à l’abord des manifestations et en favorisant des interdictions de manifester personnelles sans en définir les critères ni prévoir de recours effectifs et, d’autre part, à s’affranchir des exigences légales en matière de preuve. »
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous proposerons la suppression de cet article 2 et de ses dispositions particulièrement attentatoires au droit fondamental de manifester.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 3 est présenté par MM. Durain, Kanner, Sueur, J. Bigot et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 10 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Benbassa, Apourceau-Poly, Cohen et Cukierman, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli et Collombat et Mme Lienemann.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 3.
M. Jérôme Durain. Nous avons bien compris que l’article 2 de la proposition de loi tend à créer une interdiction administrative individuelle, et non générale, de manifester.
Trois raisons ont motivé le dépôt de cet amendement de suppression.
Premier point, il nous semble que la faculté de prononcer une interdiction de manifester existe déjà dans notre droit. Elle s’applique au moyen du recours à une peine complémentaire pouvant être prononcée par le juge pénal, peine complémentaire prévue par l’article L. 211-13 du code de la sécurité intérieure.
Deuxième point, notre attention a été attirée par l’aspect opérationnel de cette mesure. Dans la pratique, la mise en œuvre d’une telle disposition nous semble très compliquée. Une mesure de cet ordre se traduirait par une charge de travail supplémentaire pour les forces de police, surtout si l’interdiction vise quantité de personnes.
En outre, comment déterminer ab initio que telle ou telle personne pourrait participer à telle ou telle manifestation ? Une pratique facile à mettre en œuvre pour des supporters de football, qui peuvent être individualisés, nous apparaît beaucoup plus complexe dans le cas d’une manifestation sur la voie publique.
Enfin, il nous semble qu’il faut faire confiance aux forces de l’ordre dans l’application de nouvelles techniques de désescalade face aux émeutiers. Là encore, on en revient à la doctrine d’emploi des forces de l’ordre.
Troisième et dernier point, comme pour l’article 1er, la mesure préconisée est disproportionnée. Elle conduit, de fait, à transposer dans le droit commun l’interdiction administrative de séjour de l’état d’urgence, en la concentrant sur les manifestations se déroulant sur la voie publique.
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. La commission des lois a adopté l’article 2. Elle a considéré que la création d’une interdiction administrative de manifester compléterait utilement le champ des prérogatives aux mains de l’autorité préfectorale pour prévenir les débordements à l’occasion d’une manifestation.
De même que l’interdiction de stade, dont elle s’inspire d’ailleurs, cette mesure permettra d’écarter, avant même le début de la manifestation, les individus animés par la seule volonté de commettre des dégradations. Il s’agit de garantir l’exercice de la liberté de manifester pour les manifestants pacifiques.
Comme pour l’article 1er, la commission a apporté plusieurs modifications à cet article 2, et je souhaite également décliner ces différentes garanties.
Premièrement, elle s’est efforcée de mieux caractériser les cas dans lesquels une personne peut faire l’objet d’une interdiction de manifester.
Deuxièmement, elle a également encadré l’étendue géographique de l’interdiction de manifester.
Troisièmement, elle a introduit une obligation de notification de l’interdiction à l’intéressé, afin de lui permettre de saisir, le cas échéant, le juge des référés. Il s’agit de garantir un droit au recours effectif.
Grâce à ces apports, la commission des lois est parvenue à un texte utile, équilibré et proportionné. C’est la raison pour laquelle elle a réservé un avis défavorable à ces deux amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. La mesure d’interdiction administrative proposée à l’article 2 présente, de toute évidence, un intérêt opérationnel très fort pour les forces de l’ordre. Le texte de la commission des lois a apporté des restrictions importantes à ses modalités de mise en œuvre.
Là encore, il nous semble qu’une réflexion s’impose. Pour vous donner un exemple, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous interrogeons sur la possibilité de renvoyer, pour prendre une mesure de police administrative, à un critère de condamnation pour l’une des infractions mentionnées à l’article L. 211-13 du code de la sécurité intérieure.
Au vu de ce qu’est le travail de préparation des services de renseignement en amont des manifestations, et même si, s’agissant d’une mesure de police, il faut une notification, nous nous demandons également si un délai de notification de 48 heures est pertinent.
Je ne vous cache pas non plus que la possibilité de décider d’une interdiction valable pour une ou plusieurs manifestations est aussi à l’étude au sein des services du ministère de l’intérieur.
Voilà donc quelques exemples très concrets des questions abordées dans le cadre de la réflexion que nous avons engagée.
Au risque de vous paraître à nouveau un peu contradictoire, monsieur le président, je confirme donc que la mesure présentant un intérêt opérationnel, le Gouvernement émet, sur ces deux amendements, un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 et 10 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 21, présenté par Mme Troendlé, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
à l’article L. 211-13
par les mots :
aux articles 222-7 à 222-13, 222-14-2, 322-1 à 322-3, 322-6 à 322-10 et 431-9 à 431-10 du code pénal
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
La section 1 du chapitre Ier du titre Ier du livre II du code de la sécurité intérieure est complétée par un article L. 211-4-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 211-4-2. – Le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice sont autorisés à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel, afin d’assurer le suivi, au niveau national, des personnes faisant l’objet d’une interdiction de participer à une manifestation sur la voie publique en application de l’article L. 211-4-1 du présent code ou de l’article 131-32-1 du code pénal.
« Sont enregistrées dans le traitement, dans la stricte mesure où elles sont nécessaires à la poursuite de la finalité mentionnée au premier alinéa du présent article, les données concernant les personnes faisant l’objet d’un arrêté d’interdiction de manifester sur la voie publique en application de l’article L. 211-4-1 du présent code ou condamnées à la peine d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique en application de l’article L. 211-13.
« Les modalités d’application du présent article, y compris la nature des informations enregistrées, la durée de leur conservation ainsi que les autorités et les personnes qui y ont accès, sont déterminées par décret en Conseil d’État pris après avis publié et motivé de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 4 est présenté par MM. Durain, Kanner, Sueur, J. Bigot et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 11 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Benbassa, Apourceau-Poly, Cohen et Cukierman, M. Bocquet, Mme Brulin, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, MM. Savoldelli et Collombat et Mme Lienemann.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 4.
M. Jérôme Durain. L’article 3 de la proposition de loi a pour objet d’autoriser la création d’un fichier destiné à répertorier les mesures individuelles d’interdiction de manifester.
On serait tenté de dire : un fichier de plus ! À ce jour, ce sont effectivement 106 fichiers qui sont mis à la disposition des forces de sécurité, et encore, c’est sans compter les fichiers utilisés ou gérés par la préfecture de police de Paris.
L’article 3 est d’autant plus inutile, selon nous, que les personnes condamnées à une peine complémentaire d’interdiction de manifester font déjà l’objet d’une inscription au traitement des antécédents judiciaires et sont également enregistrées au fichier des personnes recherchées, ce qui permet aux forces de sécurité intérieure de les identifier comme telles, par exemple à l’occasion d’un contrôle dans une manifestation.
Les fichiers mis à la disposition des forces de sécurité, trop nombreux, forment un ensemble complexe, ce qui nuit à leur utilisation optimale. Plutôt que d’adopter cet article, nous vous proposons donc d’engager une réflexion globale en vue d’une rationalisation des fichiers existants, fondés sur des dispositions législatives éparses et fréquemment modifiées, ainsi que sur de multiples dispositions réglementaires.
Voilà pourquoi nous demandons la suppression de cet article 3.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 11 rectifié.
Mme Esther Benbassa. L’article 3 de la proposition de loi faisant, aujourd’hui, l’objet de nos débats tend à la création d’un fichier de personnes interdites de manifestation.
Avec cette mesure, deux écueils se présentent à nous.
Tout d’abord, se pose la question du fichage. Au regard de l’histoire de notre Nation, ce procédé ne vous interpelle-t-il pas, mes chers collègues ? Le régime de Vichy (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)…
Laissez-moi parler ! C’est incroyable !
M. le président. Un peu de calme, mes chers collègues.
Mme Esther Benbassa. Le régime de Vichy n’a-t-il pas été précurseur en matière de création de registres dès 1940, avec, notamment, le fameux « fichier Tulard », constitué par la préfecture de police de Paris ? (Nouvelles exclamations.)
M. François Grosdidier. Nous parlons des casseurs !
Mme Esther Benbassa. Pour cela, et à raison, le Conseil constitutionnel a toujours été réticent à la mise en place de tels listings.
M. François Grosdidier. C’est insupportable !
Mme Esther Benbassa. En atteste notamment sa décision du 22 mars 2012 contre le fichage de traces biométriques.
M. François Grosdidier. Cela n’a aucun rapport !
Mme Esther Benbassa. Nous ne doutons pas que le Conseil constitutionnel « retoquera » une telle mesure si elle vient à être adoptée par notre assemblée.
Cet article pose ensuite le principe de la restriction du droit à manifester.
Ce droit, en France, n’est certes pas constitutionnel, mais il est protégé par l’article X de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, découlant du principe de la libre manifestation des opinions.
M. François Grosdidier. Il ne s’agit pas du droit de casser !
Mme Esther Benbassa. S’il a pu être encadré par le passé, notamment en 1934 à la suite des manifestations de l’Action française, les actuelles protestations de l’opposition de gauche contre la politique antisociale du Gouvernement ne sauraient être assimilées au péril fasciste d’antan. Cela va de soi.
Cet article est non seulement attentatoire au respect de la vie personnelle et des libertés individuelles, mais il pourrait aussi être frappé d’inconstitutionnalité, d’où notre volonté, par cet amendement, d’en demander la suppression.