M. le président. La parole est à M. le président de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je suis heureux de voir enfin discutés ces projets de loi qui encadrent l’action du Gouvernement en matière de justice sur la durée du quinquennat.
Je suis également heureux que le Sénat ait été saisi en premier, ce qui est suffisamment rare pour être relevé.
Je prends acte, par ailleurs, de la volonté du Gouvernement d’aller dans le sens d’une remise à niveau progressive – à notre sens insuffisante, il est vrai – des moyens de la justice et de réformer les procédures et les méthodes.
Nous avons fait le constat de l’embolie des tribunaux et de la sous-capacité carcérale. Nous mesurons aussi les difficultés d’accès à la justice. Nous avons constaté, en outre, la stagnation du recours aux alternatives à l’incarcération et aux peines de prison au cours des six dernières années. Nous mesurons la difficulté de la tâche, pour nous être plongés dans cette matière pendant de longs mois.
Nous avons fait, je le répète, le constat de l’embolie de la justice : 1,2 million de nouvelles affaires pénales et 2,7 millions de nouvelles instances civiles chaque année. Pour réunir une cour d’assises, il faut plus de quarante mois. Le délai moyen d’obtention d’un jugement pour des affaires civiles est passé en deux ans de onze à douze mois.
Quant aux prisons, chacun connaît la situation actuelle : il y a un peu moins de 60 000 places, pour un peu plus de 70 000 détenus. Après l’interruption du plan de construction de places de prison lancé par Michel Mercier en 2011, aucun nouveau chantier n’a été ouvert au cours des années récentes.
D’où la nécessité d’un fort redressement des moyens et de réformes profondes, l’un n’allant pas sans les autres. L’idée est que la justice doit être l’objet d’une politique constante et durable, au-delà des alternances, comme c’est déjà le cas depuis longtemps pour la politique de défense et la politique étrangère. C’est d’ailleurs dans cet esprit que le Sénat travaille depuis plusieurs années. Nous avons établi notre propre constat et élaboré nos propres propositions au sein d’une mission transpartisane, qui a conduit un travail approfondi, avec de multiples auditions et de nombreux déplacements en France.
Ce travail a débouché sur l’adoption, le 24 octobre dernier, de deux propositions de loi que le Gouvernement n’a malheureusement pas souhaité modifier à l’Assemblée nationale, préférant élaborer son propre texte, quitte à prendre davantage de temps. En effet, ce texte ne pourra pas être adopté avant 2019, alors qu’il a vocation à traiter de l’effort de redressement de la justice pour les cinq années du mandat.
La programmation budgétaire proposée suscite de profondes interrogations, malgré un effort pluriannuel dont nous prenons acte. L’année 2018 s’achève, et 2019 sera engagée avant l’adoption de cette loi, qui constitue donc un objet législatif singulier, à savoir une loi de programmation rétrospective à hauteur de 40 %, les années 2018 et 2019 n’étant pas budgétairement dotées.
Or, si l’on rapproche la programmation proposée des besoins recensés dans notre rapport intitulé « Cinq ans pour sauver la justice », mais aussi du budget voté sur l’initiative de Jean-Jacques Urvoas pour la dernière année du quinquennat socialiste – un budget supérieur à celui prévu par le gouvernement actuel pour les années 2018 et 2019 –, on se rend compte que l’effort proposé par le Gouvernement, même s’il est réel, reste malheureusement insuffisant pour permettre une remise à niveau du service public de la justice. La commission des lois a donc rétabli sa propre trajectoire budgétaire, adoptée par le Sénat en 2017, qui comporte une hausse des crédits de 5 % par an en moyenne, tandis que celle prévue par le Gouvernement est en deçà de 4 %.
En ce qui concerne la justice du quotidien, la commission des lois considère qu’elle ne fait pas l’objet d’une priorité suffisante. Au contraire, le texte organise son repli par des mesures éparses de déjudiciarisation. C’est la justice des personnes les plus vulnérables qui risque ainsi d’être fragilisée. Certaines mesures transfèrent des compétences du juge à d’autres services publics : la commission les a supprimées ou strictement encadrées. D’autres vont plus loin encore en supprimant purement et simplement l’intervention du juge, sans aucun transfert de compétences judiciaire : la commission les a aussi supprimées.
Dans la même veine, l’absence de toute prise en considération de la situation de l’aide juridictionnelle nous inquiète. La mission judiciaire de soutien aux plus fragiles est ainsi affaiblie. Le projet de loi comporte, selon nous, une grave lacune de ce point de vue, alors que, chaque année, un million de personnes ont recours à l’aide juridictionnelle. La proposition de loi d’orientation et de programmation pour le redressement de la justice que nous avions présentée visait à réformer en profondeur l’aide juridictionnelle et à assurer la pérennité de son financement. Il nous semble que l’on ne peut pas laisser de côté cette question dans une loi de programmation pour la justice.
La commission veut aussi que la protection des libertés dans la procédure pénale soit renforcée par rapport à ce que prévoit le texte du Gouvernement. M. Buffet s’étant longuement exprimé sur ce point, je n’y reviens pas, mais c’est la vocation même du Sénat que d’être attentif au respect de la vie privée et à la garantie des droits fondamentaux de nos citoyens. L’efficacité des enquêtes est une cause que nous défendons dans la limite où elle ne met pas en péril les droits fondamentaux et les libertés fondamentales. La commission a ainsi veillé à ne pas marginaliser le juge d’instruction et a maintenu la collégialité des travaux de la chambre d’instruction.
J’en viens enfin à la politique pénitentiaire et à l’exécution des peines. La situation de nos prisons, mise en lumière par l’important mouvement social du début de cette année, n’est pas digne d’une grande démocratie. Au cours des six dernières années, le recours aux solutions alternatives à l’emprisonnement a stagné ou reculé, contrairement à ce que voudraient donner à croire les discours officiels. Les peines prononcées ne sont pas correctement exécutées, et elles ne le sont pas non plus dans des délais acceptables. Les condamnés ne sont pas suffisamment préparés à la réinsertion, ce qui aggrave les risques de récidive et l’insécurité pour la société française.
La sous-capacité carcérale n’est plus traitée depuis l’abandon, en 2012, du programme de construction de places voté en 2011. Au cours de la campagne présidentielle de 2017, l’engagement de construire 15 000 places de prison en cinq ans a été pris devant les Français par plusieurs candidats, dont Emmanuel Macron. L’une des principales informations apportées par ce projet de loi, c’est l’abandon de cet engagement. La programmation ramène en effet l’objectif à 7 000 places d’ici à 2022. De plus, la commission des lois a mis en évidence qu’il n’y avait pratiquement aucune chance que cet objectif réduit de plus de moitié par rapport aux engagements qui avaient été pris soit atteint. En effet, à ce jour, aucun site n’a été officiellement désigné pour la construction de ces 7 000 places.
Par ailleurs, la réforme de l’exécution des peines nous paraît insuffisamment lisible. La commission des lois a supprimé le caractère automatique de la libération sous contrainte aux deux tiers de la peine.
Madame la garde des sceaux, il y a matière à renforcer les ambitions de ce texte. Nous voulons le faire en bonne collaboration avec vous, car nous avons en réalité les mêmes objectifs. C’est ce que la commission des lois s’est attachée à faire. Je salue à cet égard le travail considérable accompli par les deux rapporteurs, qui comptent parmi les meilleurs spécialistes français de la justice. Je suis confiant dans notre capacité de progresser avec le Gouvernement dans cette voie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les propos tenus par les différents orateurs sont extrêmement précieux, qu’ils m’amènent à réagir de manière assez vive ou qu’ils témoignent au contraire que nous convergeons sur le constat ou, parfois, sur un certain nombre de mesures.
Monsieur le rapporteur Buffet, vous estimez que, avec ce projet de loi, je suis restée à mi-chemin de ce qu’il faudrait faire. Voyez-vous, je préfère avoir emprunté le chemin que marcher à rebours ! Je continuerai à aller de l’avant.
Il est inacceptable, dites-vous, d’empêcher un justiciable d’avoir accès à son juge. Mais je suis parfaitement d’accord, monsieur le rapporteur ! Il reste à savoir à quoi sert un juge. L’intervention d’un juge, me semble-t-il, doit apporter une plus-value. Or, dans un certain nombre de cas, nous constatons que les juges sont sollicités pour simplement enregistrer une décision ou constater un accord. Quelle est alors la plus-value ? Il est vrai que, dans un certain nombre d’hypothèses, nous proposons d’autres solutions. Mais nous prévoyons, pour l’ensemble des situations, des recours qui permettent à tous les citoyens d’avoir accès au juge.
Si vous entendiez affirmer que la numérisation des procédures empêcherait l’accès au juge dans tel ou tel désert numérique – Mme Benbassa, me semble-t-il, a évoqué ce sujet –, je rappellerai ici ce que j’ai déjà eu l’occasion d’indiquer à de nombreuses reprises : notre résolution à développer la numérisation des procédures ne nous amènera en aucun cas à empêcher les procédures « papier » de subsister. Par ailleurs, nous souhaitons mettre en place dans tous les tribunaux un service unique d’accueil du justiciable. En effet, il est essentiel que les justiciables puissent avoir un accès physique à leur justice.
Vous avez souligné, comme l’ont fait après vous un certain nombre d’autres orateurs, notamment M. le président de la commission des lois, que le Sénat est le garant des libertés individuelles. J’espère que l’Assemblée nationale l’est aussi ! En tout cas, soyez certain que le Gouvernement l’est tout autant… (Sourires.)
J’ai veillé, en élaborant ce projet de loi, à respecter les exigences constitutionnelles et conventionnelles qui s’imposent à nous. En aucune manière, nous ne portons atteinte aux libertés individuelles. Lorsque nous renforçons le pouvoir des enquêteurs, nous veillons à le placer toujours sous le contrôle d’un juge, celui des libertés et de la détention, qui est un magistrat statutaire. Je ne vois donc pas, monsieur le rapporteur, pourquoi vous avez évoqué un rôle « formel » du juge des libertés et de la détention. Il me semble qu’il y a là une forme de prévention qui ne se justifie pas, mais nous aurons l’occasion d’en discuter plus avant.
Monsieur le rapporteur, vous avez en outre insisté sur l’équilibre des droits dans la procédure pénale, en indiquant qu’il ne fallait pas marginaliser le juge d’instruction. Mais je ne crois pas que le projet que je porte aille en ce sens ! Il n’y a pas de rupture par rapport à la situation actuelle du juge d’instruction, dont je voudrais rappeler ici qu’il ne traite aujourd’hui que 3 % des poursuites. On ne peut donc pas dire que le texte que je vous soumets marginalise son rôle : au contraire, nous le recentrons sur les dossiers les plus lourds, à savoir les crimes, la criminalité organisée, les infractions économiques et financières, les atteintes graves aux personnes. Je le redis, nous entendons non pas marginaliser le juge d’instruction, mais recentrer son action sur son cœur de métier.
Monsieur le rapporteur, si vous m’y autorisez, je terminerai par un petit clin d’œil. Vous avez indiqué que vous n’étiez pas favorable au développement de la vidéo-audience. Pourtant, vous avez été, me semble-t-il, rapporteur du projet de loi Immigration et asile, qui prévoyait que l’on puisse passer outre le refus de l’étranger pour la tenue d’une vidéo-audience devant le tribunal administratif et le juge des libertés et de la détention. Je ne crois pas me souvenir que vous ayez déposé d’amendement visant à supprimer ou à modifier les dispositions en cause…
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Je m’en expliquerai !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Au contraire, votre rapport, rédigé au nom de la commission des lois, saluait l’adaptation bienvenue que constituait la vidéo-audience.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ce n’est pas le même cas ici !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Lors de la séance du 21 juin 2018, vous avez indiqué à Mme Benbassa que « le recours à la vidéo-audience est justifié par la particularité du contentieux et par des motifs d’intérêt général. […] Par ailleurs, il est assorti de garanties appropriées pour le demandeur que je tiens à rappeler : confidentialité de la transmission, aménagement spécial de la salle, double publicité et double procès-verbal, salle d’audience relevant du ministère de la justice et non du ministère de l’intérieur », etc. Monsieur le rapporteur, je vous propose la même chose !
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Pas tout à fait !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur Marc, vous avez évoqué un manque d’investissements et un sous-effectif. J’aurai l’occasion de revenir sur ce sujet longuement, aussi me permettrez-vous de m’en tenir, pour l’heure, à ce que j’ai indiqué dans mon propos introductif.
Vous avez par ailleurs souhaité que la peine de détention à domicile sous surveillance électronique que nous introduisons soit supprimée et que l’on en revienne à la proposition de la commission des lois. Nous croyons important que cette peine soit prononcée comme une véritable peine, une peine autonome. Il ne faut pas que l’on continue à prononcer des condamnations à des peines de prison, avant finalement de placer les personnes concernées sous bracelet électronique. Agir ainsi relève, selon moi, d’une forme d’hypocrisie, or je suis pour que l’on dise la réalité des choses ! C’est la raison pour laquelle j’estime que la détention à domicile sous surveillance électronique, la DDSE, doit être considérée comme une peine autonome. Elle concerne aujourd’hui 11 000 personnes, et nous souhaitons développer le recours à cette mesure.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, comme nombre de vos collègues, vous avez évoqué la création de 15 000 places de prison. Je comprends que ce sujet puisse être exploité, faire l’objet d’un jeu…
M. François Bonhomme. Non, c’est dans le programme du candidat Macron !
M. François Bonhomme. Je l’ai ici, c’est écrit noir sur blanc !
M. François Bonhomme. C’est notre bible ! (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C’est très bien, je transmettrai !
Dans ce programme, il est fait mention de 15 000 places.
M. François Bonhomme. Précisément !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, 15 000 places de prison ne se construisent pas d’un claquement de doigts, et vous le savez très bien !
M. François Bonhomme. Nous n’avons pas écrit ce programme !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je livrerai 7 000 places d’ici à 2022 et j’engagerai la construction des 8 000 autres d’ici à cette date. Vous savez très bien, en tant qu’élu du territoire, qu’il n’est pas simple de trouver des terrains, qu’il y a des procédures à respecter, des analyses de terrain à effectuer, des dossiers à monter ! Pour cela, il faut du temps ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, un peu de calme, s’il vous plaît ! Laissez Mme la garde des sceaux s’exprimer !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je maintiens que 15 000 places de prison seront livrées, dont 7 000 d’ici à 2022 ; la construction des 8 000 autres aura commencé à cette échéance.
Monsieur Mohamed Soilihi, je vous remercie d’avoir salué notre méthode de travail. À vous qui avez, comme d’autres orateurs, insisté sur les moyens humains, je veux dire que le travail que nous conduisons vise précisément à les accroître, aussi bien dans l’administration pénitentiaire que dans la magistrature. Je citerai simplement quelques chiffres : en 2008, il y avait 8 164 magistrats ; aujourd’hui, ils sont 8 400 et ils seront 8 500 l’année prochaine. L’effectif de magistrats augmentera chaque année. Nous pourrons ainsi améliorer la position de la France dans le classement européen réalisé par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, la CEPEJ. Notre pays n’est effectivement pas bien classé aujourd’hui, mais le travail que nous conduisons vise à améliorer cette situation ; je vous remercie de l’avoir relevé.
Vous avez également fait part, monsieur le sénateur, de votre intérêt pour la libération sous contrainte, qui est l’une des peines à propos desquelles la commission des lois a émis une proposition différente. Nous tenons à cette peine parce qu’elle répond un objectif de fond : éviter les sorties sèches de prison. Bien entendu, c’est en rendant obligatoire ce type de dispositif que nous pourrons éviter ces dernières, et donc la récidive.
Madame Benbassa, selon vous, le projet de loi sacrifierait l’intérêt supérieur des justiciables les plus fragiles sur « l’autel du libéralisme économique ». Ce n’est pas du tout le cas, et vous le savez bien : en effet, nous renforçons la justice de proximité.
Vous dites que nous dévitalisons les tribunaux de proximité. C’est exactement l’inverse ! Nous les maintenons tous, ainsi que les contentieux qui y sont jugés. Nous créons même la possibilité, pour les juges et les chefs de cour qui le souhaiteraient, d’intégrer aux tribunaux de proximité des juges aux affaires familiales, si cela correspond à un besoin du territoire. Vous le voyez, nous densifions, au contraire, les tribunaux de proximité, parce que c’est dans leur ressort que se nouent les contentieux du quotidien. (Mme Éliane Assassi proteste.) Nous en discuterons, madame Assassi, et j’espère que j’arriverai à vous convaincre. Rien, dans ce texte, ne va dans le sens du libéralisme économique.
Madame Benbassa, vous avez également critiqué la forfaitisation, qui relèverait, selon vous, d’une volonté d’être plus sévère. Ce n’est pas le cas : il s’agit simplement d’être plus efficace, au bénéfice de la santé publique.
Monsieur Bigot, je vous remercie d’avoir souligné que notre plan pluriannuel est ambitieux, même si vous estimez que, sur un certain nombre d’aspects, il pourrait l’être davantage.
Vous avez notamment indiqué que la numérisation que j’appelle de mes vœux relève davantage de l’organisation et des méthodes que de la loi. Vous avez absolument raison ! C’est pourquoi j’ai installé une gouvernance très serrée au sein de mon ministère sur ce sujet, avec un calendrier et des objectifs, afin que nous puissions déployer cette numérisation qui, me semble-t-il, sera l’une des conditions de l’amélioration du travail des magistrats, des personnels de greffe et également des avocats, avec lesquels nous travaillons en permanence.
Vous avez soulevé la question du coût de la représentation obligatoire, en relevant qu’il n’y avait rien sur l’aide juridictionnelle dans le projet de loi. C’est d’ailleurs un reproche qui m’a également été adressé par d’autres sénatrices et sénateurs. Il n’y a aucune disposition relative à l’aide juridictionnelle, je l’admets. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que je souhaite pouvoir dialoguer avec les avocats et construire avec eux un système qui soit pérenne et stable. C’est la raison pour laquelle il eût été précipité d’inscrire des dispositions définitives dans ce texte. Elles figureront sans doute dans la prochaine loi de finances, mais le financement est assuré, y compris celui de la représentation obligatoire. Pour vous donner un chiffre, monsieur le sénateur, dans le projet de loi de finances pour 2019, les crédits de l’aide juridictionnelle augmentent de près de 28 millions d’euros par rapport à 2018. Cela permettra de financer la représentation obligatoire.
Vous vous êtes félicité d’avoir fait voter en commission la suppression de l’extension de la possibilité de recourir aux techniques spéciales d’enquête, les TSE, aux crimes de droit commun. Aujourd’hui, le recours aux TSE est effectivement réservé aux crimes et délits commis en bande organisée et au terrorisme. Nous avons prévu de l’étendre aux crimes de droit commun, car cela peut, me semble-t-il, être extrêmement utile dans des affaires telles que celles qui, récemment, ont choqué la population. Une telle extension ne me semble pas radicalement inacceptable. Je vous proposerai donc de la rétablir, sachant que les TSE seront évidemment toujours utilisées sous le contrôle du juge des libertés et de la détention.
Enfin, monsieur le sénateur, vous avez conclu votre intervention en affirmant que les services de Bercy auraient « préparé des dispositions dans l’objectif de faire des économies budgétaires ». Je ne peux vraiment pas laisser dire cela ! Je n’ai pas le moindre contact avec Bercy, sauf lorsque je négocie mon budget. Du reste, dès lors qu’il existe une loi de programmation, la discussion dure assez peu… Bercy ne me parle jamais, absolument jamais, des questions qui ont trait à la justice !
M. Yves Détraigne, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ne vous fâchez pas !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous allons essayer de vous réconcilier !
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Nous allons organiser une médiation ! (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Gratuite, alors ! (Nouveaux sourires.)
Madame Costes, je partage votre constat, notamment sur l’épuisement des magistrats et des personnels, lié à la fois à la succession des réformes et aux difficultés de travail. Vous avez raison. J’ai essayé de répondre au travers de ce projet de loi, qui témoigne d’un certain pragmatisme, à un certain nombre de demandes et d’attentes exprimées lors des consultations que j’ai menées sur le terrain.
Nous mettons ainsi en place des équipes qui épauleront les magistrats. Vous le savez, cela répond à une demande forte. On compte aujourd’hui 356 juristes assistants ; nous allons en créer 50 de plus par an durant le quinquennat, ainsi que 102 assistants spécialisés et 250 greffiers assistants. Prendre en compte les difficultés de travail est indispensable.
Vous avez également évoqué un autre sujet qui me touche beaucoup, celui des détenus en difficulté psychiatrique. Je vais le prendre en compte dans le cadre du plan pénitentiaire que j’aurai l’occasion de présenter prochainement. J’ai mis en place avec ma collègue Agnès Buzyn un groupe de travail sur cette question. Néanmoins, comme vous le savez, nous peinons à recruter des médecins psychiatres ou pédopsychiatres ; c’est une véritable difficulté, que je ne puis résoudre seule.
Enfin, nous consentons les efforts budgétaires importants pour l’insertion et la probation que vous appelez de vos vœux, puisque je propose la création de 1 500 conseillers d’insertion et de probation supplémentaires durant le quinquennal.
Madame Joissains, je ne répéterai pas ce que j’ai dit à propos de Bercy : ce projet de loi a été conçu non pas selon un « prisme gestionnaire », mais selon un prisme d’efficacité et de simplicité. Cela m’amène à recentrer chacun des acteurs de la procédure – les enquêteurs, les procureurs, les magistrats du siège – sur son cœur de métier. Le mouvement de déjudiciarisation, quand il existe, porte sur certains points sur lesquels il me semble que l’intervention d’un magistrat n’apporte pas de plus-value.
Vous avez évoqué, ainsi que le président Bas, la question du juge unique. J’y suis moi aussi très sensible. C’est la raison pour laquelle je présenterai un amendement relatif à la collégialité en appel, suivant ainsi les propositions de la commission des lois.
Enfin, sur l’important sujet du tribunal criminel départemental, pourquoi supprimer les jurés populaires, avez-vous demandé, alors même que la justice est rendue au nom du peuple français ? Madame la sénatrice, que je sache, tous nos magistrats professionnels, et pas uniquement les jurés d’assises, rendent la justice au nom du peuple français ! La procédure entièrement orale des cours d’assises permet une justice de grande qualité, mais elle est extrêmement chronophage. La procédure que nous proposons d’instaurer pour le tribunal criminel départemental permettra aux magistrats d’auditionner tous témoins utiles, mais également de disposer du dossier écrit. Ainsi, la procédure sera sans doute un peu plus simple, et donc plus rapide. Quant aux appels, ils continueront de relever exclusivement de la compétence des cours d’assises, ainsi que les crimes punis de plus de vingt ans d’emprisonnement.
M. le sénateur Lefèvre a évoqué un sujet important. Améliorer la répartition des moyens humains sur le territoire est effectivement l’une des difficultés auxquelles nous nous heurtons. Certaines fonctions peuvent apparaître moins attractives que d’autres : je pense notamment à celles des surveillants pénitentiaires ou des personnels de greffe. Nous allons mettre en place, pour les surveillants pénitentiaires, des concours déconcentrés à affectation locale, ce qui permettra de résoudre cette difficulté. Nous instaurons en outre des primes de fidélisation, et nous accroissons les moyens consacrés à la prise en charge sociale du personnel.
Monsieur le président Bas, je suis largement d’accord avec les constats que vous dressez. Vous les aviez d’ailleurs déjà établis lors des travaux que vous avez conduits et sur lesquels je me suis appuyée. En revanche, je ne pose pas toujours le même diagnostic et nous divergeons parfois quant aux solutions à mettre en œuvre, mais j’ai, comme vous, confiance dans notre capacité à progresser ensemble au cours de ce débat.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je remercie Mme le garde des sceaux du soin qu’elle prend toujours à répondre avec précision et dans le détail à chacune de nos interventions.
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Cela permet effectivement de faire progresser le dialogue entre nous.
Madame le garde des sceaux, je dois dire que j’ai été vivement impressionné par vos propos sur les engagements du Président de la République en matière de création de places de prison. En effet, si ces engagements portent sur dix ans, cela signifie qu’il enjambe allègrement l’échéance du renouvellement éventuel de son mandat, en 2022… (Sourires.)
Mme Françoise Laborde. Ce ne serait pas le premier à le faire…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Quelque peu surpris de vos propos, j’ai voulu revenir à la source, à savoir le programme du candidat Emmanuel Macron, très facilement accessible sur internet. Il y est écrit : « nous construirons 15 000 places de prison supplémentaires sur le quinquennat » – et non pas sur le décennat.
Je tenais à apporter cette précision, car si le Président de la République n’est pas en mesure de tenir ses engagements, il suffit qu’il nous le dise en toute sincérité, en toute franchise. Du reste, je considère comme fondé votre argument selon lequel construire des places de prison prend beaucoup de temps. C’est d’ailleurs tellement vrai que vous aurez du mal à atteindre votre nouvel objectif de créer 7 000 places de prison d’ici à 2022, sachant que le foncier nécessaire n’a pas encore été réservé et que nous n’en sommes qu’à l’amorce du plan. J’entends bien que vous souhaitez faciliter les acquisitions, à l’instar de ce qui a été fait pour l’organisation des jeux Olympiques, et assouplir les réglementations régissant ces constructions. Je sais aussi que vous comptez diversifier les structures de détention, ce qui est une très bonne chose, mais je vous souhaite bon courage pour réussir à construire 7 000 places de prison à l’échéance annoncée en commençant en 2019. Soyez assurée de tout notre soutien, mais nous tenons à vous mettre en garde contre les difficultés que vous rencontrerez. Vous aurez du mal à atteindre votre objectif, même ramené à 7 000 places ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)