Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Éric Bocquet, Michel Raison.
2. Ouverture de la seconde session extraordinaire de 2017-2018
3. Démission et remplacement d’un sénateur
4. Questions d’actualité au Gouvernement
M. Jean-Yves Leconte ; M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur ; M. Jean-Yves Leconte.
projet de simplification de la carte départementale
M. Jean-Pierre Decool ; M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Alain Joyandet ; M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur ; M. Alain Joyandet.
situation des sapeurs-pompiers volontaires
M. Olivier Cigolotti ; M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Mme Noëlle Rauscent ; M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Noëlle Rauscent.
exonération de charges pour les saisonniers agricoles
M. Didier Guillaume ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Didier Guillaume.
projet de loi de finances pour 2019
M. Éric Bocquet ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
M. Michel Savin ; Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports ; M. Michel Savin.
M. Frédéric Marchand ; M. Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
relations des élus locaux avec le gouvernement
Mme Sylviane Noël ; Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Vincent Éblé ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Vincent Éblé.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
6. Demande par une commission des prérogatives d’une commission d’enquête
7. Communication relative à une commission mixte paritaire
8. Candidatures et nominations de membres de commissions
9. Candidatures à deux commissions mixtes paritaires
10. Relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire – Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi
Discussion générale :
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation
M. Michel Raison, rapporteur de la commission des affaires économiques
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur de la commission des affaires économiques
Clôture de la discussion générale.
12. Ordre du jour
Nomination de membres de deux commissions
Nomination de membres de deux commissions mixtes paritaires
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Éric Bocquet,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mardi 31 juillet 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Ouverture de la seconde session extraordinaire de 2017-2018
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 27 août 2018 portant convocation du Parlement en session extraordinaire.
Acte est donné de cette communication.
Ce décret a été publié sur le site internet du Sénat.
En conséquence, la seconde session extraordinaire de 2017-2018 est ouverte.
3
Démission et remplacement d’un sénateur
M. le président. M. Jean-Claude Carle a fait connaître à la présidence qu’il se démettait de son mandat de sénateur de la Haute-Savoie, à compter du 6 août 2018, à minuit.
En application de l’article L.O. 320 du code électoral, il est remplacé par Mme Sylviane Noël, à qui, en votre nom à tous, mes chers collègues, je souhaite la plus cordiale bienvenue. (Applaudissements.)
Je tiens également à saluer notre nouveau collègue Damien Regnard, qui est devenu sénateur le 28 juillet dernier. (Applaudissements.)
4
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat, sur notre site internet et sur Facebook.
Chacun veillera, au cours de nos échanges, à faire preuve de courtoisie et à respecter son temps de parole.
aquarius
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le Premier ministre, le navire humanitaire Aquarius a demandé hier à la France, « à titre exceptionnel », de pouvoir débarquer à Marseille les 58 migrants secourus à son bord, dont 18 enfants.
Les autorités maritimes panaméennes ont annoncé samedi qu’elles allaient retirer son pavillon à l’Aquarius, déjà privé de pavillon par Gibraltar, l’État de Panama indiquant que la principale plainte émanait des autorités italiennes. Les ONG SOS Méditerranée et Médecins sans frontières ont dénoncé « la pression » exercée par le gouvernement italien sur le Panama.
Dans ce contexte, le ministre Bruno Le Maire, interrogé ce matin, a rappelé la « position de fermeté du Gouvernement ».
Très préoccupé par ce sujet, le groupe socialiste et républicain demande qu’un débat sur la politique de la France au regard de cette urgence humanitaire soit inscrit à l’ordre du jour du Sénat. Mais, dans l’immédiat, nos questions sont les suivantes.
Depuis 2014, des milliers de migrants trouvent la mort chaque année en Méditerranée, et désormais l’Italie et Malte ont décidé de fermer leurs ports. Quelle va être la réponse définitive du Gouvernement à la demande de l’Aquarius de débarquer à Marseille ces 58 naufragés ? Quelle est, également, l’appréciation du Gouvernement de la demande italienne faite au Panama de retirer le pavillon au dernier bateau humanitaire assurant des sauvetages en Méditerranée ?
Face à cette pression, qui s’exerce à l’encontre des ONG et de leurs actions, n’est-ce pas une façon de se défausser que d’attendre qu’une « solution soit trouvée au niveau européen », pour reprendre les éléments de langage diffusés largement par plusieurs ministres ce matin ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Un sénateur du groupe Les Républicains. Il est encore là ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Jean-Yves Leconte, du 20 au 23 septembre, le navire Aquarius 2 a recueilli, au total, 58 migrants en mer, au large des côtes libyennes. Ces interventions de l’Aquarius ont été menées en devançant les garde-côtes libyens, qui se dirigeaient eux aussi vers les embarcations signalées, pour leur porter secours.
La nuit dernière, l’Aquarius s’est une nouvelle fois dirigé vers une embarcation transportant 120 migrants, alors même que les garde-côtes libyens ont finalement pu leur porter assistance.
L’Aquarius 2 s’est désormais éloigné des côtes libyennes et est à la recherche d’un port de débarquement. Or, comme vous l’avez dit, nous apprenons que le Panama lui a retiré son pavillon.
Le navire se situe actuellement à 100 milles nautiques au sud de l’île de Malte. Il entre dans la zone de sauvetage sous la responsabilité de Malte.
Comme vous le savez, le droit de la mer prescrit que les navires ayant recueilli des naufragés en mer doivent les débarquer dans le port sûr le plus proche. L’Aquarius doit respecter cette exigence, afin d’épargner aux hommes, aux femmes et aux enfants présents à bord que la navigation se prolonge inutilement.
Il va de soi que la solidarité européenne devra s’exercer avec Malte. D’ailleurs, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le Président de la République s’en est entretenu avec le Premier ministre maltais.
Comme nous le faisons chaque fois, nous ferons notre devoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Vincent Éblé applaudit également.)
Mme Éliane Assassi. Comment ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le ministre d’État, il n’est pas acceptable que les États européens surfent avec le droit de la mer, lequel est très strict.
La question est : où vont débarquer ces naufragés ? Il s’agit non pas de négocier une nouvelle directive européenne, mais de sauver des vies, des vies en danger. Or ce navire est le seul qui reste.
Nous avons une ambition pour notre pays : qu’il soit un « premier de cordée » en matière d’humanisme et de fraternité, pas seulement en paroles, mais aussi en actes ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
projet de simplification de la carte départementale
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le ministre de l’intérieur, depuis quelques semaines bruissent des rumeurs sur un projet d’absorption des compétences départementales par les métropoles. Comme je me méfie des rumeurs, qui sont souvent irréversibles et incontrôlables, je préfère m’adresser directement à vous pour connaître leur bien-fondé.
Ce ne serait pas la première fois qu’un gouvernement ambitionne une grande réforme territoriale. On se souvient des plans de décentralisation, de la volonté de fusionner département et région. Nous gardons en mémoire le big bang territorial de Manuel Valls.
M. François Bonhomme. Quel succès ça a été !
M. Jean-Pierre Decool. Chaque gouvernement a sa nouvelle géographie de la France.
Lors de sa campagne électorale, l’actuel Président de la République a inscrit dans son programme l’idée de supprimer les départements dont les compétences seraient transférées aux métropoles. Il s’agirait, en s’inspirant des districts métropolitains du Royaume-Uni, de concentrer les efforts autour de quelques pôles, sortes de locomotives dont la vocation serait de tirer les territoires vers le haut. Mais qu’est-ce qui nous garantit que les wagons suivront ? Quels sont les rouages qui permettront aux territoires les plus reculés de bénéficier du rayonnement économique, social, culturel de ces nouvelles mégapoles ?
Le Grand Lyon a avalé, depuis 2015, les compétences du département du Rhône. Aujourd’hui seraient concernés les villes de Lille, Nantes, Nice, Toulouse et Bordeaux et, donc, les départements du Nord, de Loire-Atlantique, des Alpes-Maritimes, de Haute-Garonne et de Gironde.
Sans préjuger du bien-fondé de cette réflexion et de l’opportunité d’une réforme, l’ancien conseiller général que je suis formule trois interrogations fondamentales : quelle représentativité accorderiez-vous aux zones rurales ? Pensez-vous que les métropoles aient la culture sociale chère aux départements ? Quel serait le mode opératoire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Decool, il n’y a pas de rumeur : il y a effectivement une discussion qui est menée avec les présidents de cinq métropoles.
Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui opposent les zones rurales et les zones métropolitaines. Je pense qu’il y a la place pour les unes et pour les autres.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Lorsque nous regardons la région d’Île-de-France, nous voyons qu’elle représente 31 % du PIB français.
M. Roger Karoutchi. Oui !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Lorsque nous regardons les cinq métropoles que vous avez citées, nous voyons qu’elles peuvent supporter la comparaison avec les autres grandes villes européennes. La France a besoin que ces métropoles puissent se développer et exercer un certain nombre de compétences.
M. Marc-Philippe Daubresse. Et les compétences sociales ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Vous avez raison – je vous renvoie, à ce sujet, à une étude du CGET, le Commissariat général à l’égalité des territoires –, certaines de ces métropoles diffusent la richesse, tandis que d’autres sont centrées sur elles-mêmes. C’est cela, le véritable problème ! Il faut donc construire des partenariats entre les métropoles et l’ensemble des territoires qui les environnent. C’est cela, l’ambition du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Joyandet. Ma question s’adresse à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre d’État, plus de 1 000 agressions sont déclarées chaque jour dans les commissariats et les gendarmeries de notre pays ; elles sont en augmentation de 20 % à la RATP.
Le week-end dernier, le centre-ville d’Angers a été saccagé ; les forces de l’ordre ont été prises en étau, si je puis dire, à La Roche-sur-Yon ; 26 % des femmes n’osent plus sortir, par crainte d’une agression – c’est l’Observatoire national de la délinquance qui le dit.
Pendant ce temps-là, nos forces de l’ordre manquent cruellement de moyens. Des gendarmes me disaient récemment qu’ils n’ont même plus de gazole à mettre dans leur véhicule pour effectuer leurs sorties quotidiennes.
M. Bruno Sido. C’est vrai qu’il augmente…
M. Alain Joyandet. Quand allez-vous donner enfin des moyens à nos forces de l’ordre ? Je suis même tenté de vous demander : comment allez-vous faire pour reprendre en main une situation qui semble cruellement vous échapper ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Alain Joyandet, le Président de la République avait annoncé, pendant sa campagne électorale, que nous allions, durant ce quinquennat, créer 10 000 postes dans la police et la gendarmerie, quand d’autres en avaient supprimé 12 000 pendant le leur. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Il faut arrêter ! C’est fini, Sarkozy !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Nous tenons cette promesse. En 2018, cet engagement s’est concrétisé, notamment, par le recrutement de 2 000 policiers et gendarmes.
Le projet de budget pour 2019 s’inscrit dans la même ligne : dans un contexte financier que vous savez difficile, le budget des forces de sécurité intérieure atteindra 13,1 milliards d’euros, en augmentation de 335 millions d’euros.
M. François Grosdidier. Vous gelez les crédits !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Pour la police nationale, le budget sera de 7,7 milliards d’euros, soit une hausse de 2,9 %, avec le recrutement de 1 735 équivalents temps plein. Pour la gendarmerie nationale, le budget s’élèvera à 5,4 milliards d’euros, soit une augmentation de 2,2 %, avec le recrutement de 459 équivalents temps plein. C’est peut-être cela, la différence entre les paroles et les actes !
Dans le même temps, nous allons équiper notre police et notre gendarmerie : immobilier, tablettes numériques, qui seront 64 000 à la fin de l’année, et 5 500 caméras-piétons.
M. François Grosdidier. Et les voitures ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Avec ces moyens, nous pourrons assurer la sécurité des Français ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour la réplique.
M. Alain Joyandet. Monsieur le ministre d’État, donc, tout va bien… Pourtant, quand je croise un gendarme au volant de son véhicule, qui me dit : « Je rentre à la caserne, parce que j’ai déjà dépassé les 100 kilomètres auxquels j’ai droit aujourd’hui », je me dis que, décidément, tout ne va pas bien. (Exclamations sur les travées du groupe La République En Marche.)
De plus, vous n’avez pas répondu à la seconde partie de ma question : comment allez-vous faire pour reprendre la situation en main ? Vous m’avez lu un certain nombre de chiffres budgétaires, mais la question, au fond, c’est comment allez-vous reprendre cette situation en main à titre personnel ? Vous savez bien que votre mission nécessite une disponibilité vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec une seule obsession : la sécurité des Français. (Exclamations sur les travées du groupe La République En Marche.) C’est comme ça qu’on réussit ! C’est place Beauvau qu’on donne l’exemple !
La sécurité, c’est une question de moral. Aujourd’hui, le moral des troupes n’y est pas, parce qu’elles attendent un chef qui soit à leur disposition vingt-quatre heures sur vingt-quatre et qui n’ait pas la tête ailleurs… (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
situation des sapeurs-pompiers volontaires
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Olivier Cigolotti. Ma question s’adresse également à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur. (Exclamations ironiques sur diverses travées.)
Monsieur le ministre d’État, ma collègue Catherine Troendlé et moi-même souhaitons conjointement vous interroger sur la situation de nos sapeurs-pompiers.
Depuis le début de l’année 2018, plus de 300 agressions, simples ou avec armes, ont été constatées à l’encontre des sapeurs-pompiers. Pourtant, ces soldats du feu, ces hommes et ces femmes dont le courage et le dévouement sont exemplaires, n’ont pas choisi de s’engager au service de nos concitoyens pour être pris pour cibles, menacés ou agressés.
La menace qui pèse sur nos sapeurs-pompiers ne se limite pas à l’atteinte à leur intégrité physique : leur statut pourrait également être remis en cause. En effet, nos sapeurs-pompiers volontaires sont visés par une directive européenne portant sur le temps de travail, dont la transposition en droit français remettrait en cause le volontariat comme engagement altruiste et généreux.
Dans ce contexte, l’efficacité de notre modèle de sécurité civile serait profondément réduite, ce qui condamnerait irrémédiablement le travail réalisé dans le cadre de la mission volontariat, à laquelle notre collègue Catherine Troendlé a participé en tant que rapporteur.
Monsieur le ministre d’État, une initiative forte auprès des instances de l’Union européenne semble urgente et indispensable pour exempter le volontariat de cette directive, ou éventuellement obtenir des dérogations adaptées. Faut-il rappeler que le Président de la République avait pris l’engagement « de défendre farouchement le modèle reposant sur le volontariat des sapeurs-pompiers, qui n’est ni du salariat ni du bénévolat » ? L’assimilation à un statut de salarié ne tarderait pas à s’étendre des sapeurs-pompiers volontaires aux réservistes opérationnels de la police et de la gendarmerie.
Le Sénat s’est mobilisé fortement en cosignant très majoritairement une motion qui sera adressée prochainement à Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne.
Ainsi, à la veille du congrès national des sapeurs-pompiers de France, quelles mesures ou initiatives concrètes entendez-vous prendre pour préserver notre modèle de sécurité civile, le volontariat, et assurer la protection de nos sapeurs-pompiers et de nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Olivier Cigolotti, vous avez totalement raison : les agressions visant les sapeurs-pompiers, qui viennent porter secours à nos concitoyens, sont graves et elles méritent d’être sanctionnées et d’être sanctionnées durement. Ces sapeurs-pompiers sont des femmes et des hommes qui s’engagent bénévolement au service des autres.
Vendredi et samedi prochains, je serai au congrès national des sapeurs-pompiers et j’apporterai un certain nombre de réponses aux questions qu’ils peuvent se poser.
Vous évoquez la directive de 2003. La semaine dernière, j’étais avec les sapeurs-pompiers, et nous observions que, depuis 2003, nous avons changé d’époque.
En 2003, on ne se posait pas encore de manière aussi aiguë le problème du changement climatique.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si, c’était déjà le cas !
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Aujourd’hui, un pays comme la Suède est atteint par ce genre de problématique. Or il n’a pas de sapeurs-pompiers volontaires, et nous sommes donc obligés de lui venir en aide.
En 2003, le problème du terrorisme n’était pas aussi aigu.
Voilà pourquoi il faut sans doute faire évoluer cette directive européenne ; nous faisons d’ailleurs de même dans d’autres domaines. Ainsi, pour les géants d’internet, la Commission européenne va présenter au Parlement européen un projet imposant qu’ils retirent certains contenus dans des temps très limités.
Oui, la Commission et le Parlement européens peuvent évoluer, et nous les ferons évoluer ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, pour le groupe La République En Marche.
Mme Noëlle Rauscent. Face à l’aggravation de la sécheresse, unique par son ampleur, agriculteurs et éleveurs tirent la sonnette d’alarme.
Ce phénomène de sécheresse, qui a débuté en juin, touche particulièrement les éleveurs. Il a fallu nourrir le bétail dans les prés dès le mois de juillet, et les stocks de fourrage, alors qu’ils sont destinés à l’hiver, sont déjà bien entamés : 20 % à 40 % des prairies naturelles, qui sont autant de réservoirs à fourrage, ont été brûlées par le soleil. Pour ce qui concerne les cultures de soja et de maïs, le manque d’eau a engendré jusqu’à 40 % de perte de rendement. Pour de nombreux exploitants agricoles, le colza a été incapable de lever faute d’une pluviométrie suffisante.
Éleveurs et agriculteurs, aux quatre coins du pays, se trouvent aujourd’hui dans une situation intenable. Afin d’éviter une catastrophe économique dans les territoires ruraux, il est urgent que l’État mette en œuvre des dispositifs pour les aider, sans faire porter la solidarité uniquement par l’Europe ou par les agriculteurs eux-mêmes.
M. le ministre de l’agriculture a déjà annoncé que des avances sur la PAC seront touchées dès la mi-octobre, à hauteur de 70 % sur le premier pilier et de 80 % sur le second pilier. Il a également annoncé un dégrèvement de la taxe sur le foncier non bâti et un report des paiements des cotisations sociales auprès des caisses de la MSA, la mutualité sociale agricole.
L’Allemagne a mis en œuvre un plan d’urgence avec 340 millions d’euros dans la balance. Afin d’amortir les pertes engendrées pour les agriculteurs français, le Gouvernement prévoit-il une action identique à l’échelle nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Noëlle Rauscent, je tiens à excuser Stéphane Travert, qui ne peut être avec nous cet après-midi, puisqu’il est au conseil informel des ministres de l’agriculture à Vienne.
Le sujet que vous évoquez, qui concerne cette année l’ensemble des territoires français et certains, comme le vôtre, avec une acuité toute particulière, est lié à l’épisode de sécheresse particulièrement long que nous avons connu.
Les services de l’État ont anticipé cette situation. Dès le mois de juillet, Stéphane Travert a annoncé la mise en œuvre de mesures nationales activables dans tous les départements, de façon individualisée selon l’aléa climatique : exonération de la taxe additionnelle sur le foncier non bâti sur les parcelles touchées, report éventuel de cotisations sociales et reconnaissance de calamité agricole, sous l’autorité des préfets. Le ministre de l’agriculture porte à ce sujet une attention particulière.
Parallèlement, Stéphane Travert a obtenu de la Commission européenne des mesures visant à réellement soulager la trésorerie des agriculteurs. Vous avez évoqué le versement anticipé et majoré des aides européennes, à l’échéance du 16 octobre, soit dans quelques jours, à hauteur de 70 % pour les paiements directs et de 85 % pour les paiements au titre du développement rural. Des autorisations telles que la possibilité de faire pâturer ou faucher les surfaces en jachère ont également été accordées. Les autres aides de soutien en cas d’aléas climatiques seront versées au fur et à mesure de la reconnaissance des situations individuelles.
Madame la sénatrice, sachez que Stéphane Travert a donné des instructions précises aux préfets, afin d’établir un état des lieux département par département. Ce retour aura lieu dans quelques jours, début octobre. Bien entendu, il faudra que le Gouvernement reste, comme il l’a été jusqu’à présent, totalement mobilisé face à la récurrence des aléas climatiques.
J’insiste également sur le fait que les agriculteurs doivent s’assurer de façon plus automatique encore ; bien sûr, des dispositifs d’accompagnement financier sont nécessaires. Mais le risque d’aléa ne cessera d’augmenter : il faut à la fois le prévenir et réparer les dommages par le biais des assurances. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, pour la réplique.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué les assurances. Il est certain que les agriculteurs doivent s’assurer ; mais il s’agit également d’un coût supplémentaire, qui exige un accompagnement. Aujourd’hui, l’État doit absolument accompagner le monde agricole, où l’on déplore énormément de suicides : c’est une véritable problématique.
exonération de charges pour les saisonniers agricoles
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Didier Guillaume. L’une des orientations essentielles du projet de loi ÉGALIM, c’est une meilleure rémunération des agriculteurs. L’une des mesures essentielles du projet de loi de finances pour 2019, c’est une meilleure rémunération du travail par la baisse des charges.
J’approuve ces orientations, mais je suis au regret de constater que le budget du ministère de l’agriculture fait tout le contraire. En supprimant l’exonération des charges patronales sur les emplois saisonniers, on signe la fin de l’agriculture, en particulier de la petite agriculture ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Monsieur le Premier ministre, cette mesure est vraiment inacceptable. C’est une erreur monumentale, mais on peut la corriger. Ce sont 900 000 personnes qui sont concernées. Cette mesure représente une augmentation de 1,40 euro par heure par salarié au SMIC. Pour les agriculteurs, elle entraînerait une chute de revenus d’environ 15 000 euros par an, soit, souvent, la totalité de leur rémunération.
Allez-vous revenir sur cette mesure technocratique et mortifère, qui va mettre à mal les agriculteurs employeurs de main-d’œuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur Didier Guillaume, depuis quinze mois, ce gouvernement est à l’écoute des agriculteurs (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.),…
Mme Sophie Primas. Comment peut-on dire des choses pareilles ?
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. … comme il l’a montré lors des États généraux de l’agriculture et de l’alimentation.
La suppression des mesures d’allégement de charges pour ce qui concerne les travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi, ou TODE, s’est inscrite dans le cadre de la réforme globale qui pérennise le CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Cette réforme assure une baisse durable des charges et une amélioration des allégements généraux qui bénéficient aux bas salaires.
M. Claude Bérit-Débat. Ce n’est pas la question !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Dans ce contexte, il était logique de remettre à plat les dispositifs spécifiques. C’est pourquoi le régime TODE a été concerné : dans le cadre du renforcement opéré au titre du régime général, ce régime gagne en attractivité, et les dispositifs spécifiques deviennent moins justifiés.
L’impact global de la réforme générale est positif en année pleine, avec un gain de 60 millions d’euros nets pour l’agriculture, les coopératives et les industries agroalimentaires françaises. Cet impact global recouvre des réalités différentes : un gain important pour la coopération et la transformation affiliées au régime agricole, mais, dans certains secteurs, en particulier le maraîchage, l’arboriculture et la viticulture, la suppression du dispositif TODE aura – et nous ne l’ignorons pas – des conséquences.
M. François Bonhomme. Eh oui !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. C’est pourquoi, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, nous proposerons de mettre en œuvre, dès le 1er janvier, l’allégement supplémentaire de charges de 4 points pour l’ensemble de la production agricole ; cet allégement ne bénéficiera aux autres entreprises qu’à partir du mois d’octobre.
L’analyse d’ensemble doit tenir compte des gains induits par les autres mesures annoncées la semaine dernière : la réforme de la fiscalité agricole ; la mesure relative à l’épargne de précaution, permettant de mieux appréhender la variabilité du revenu des agriculteurs ; l’exemption des agriculteurs de la hausse de la TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, appliquée au gazole. C’est dans le cadre de cette analyse d’ensemble que nous recevrons les représentants des organisations professionnelles, afin d’envisager des mesures spécifiques pour répondre aux inquiétudes qui subsistent. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour la réplique.
M. Didier Guillaume. Quand je vois un ministre de Bercy répondre à une question sur l’agriculture, je m’inquiète terriblement… (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) Je m’inquiète d’autant plus que, j’ai le regret de vous le dire, madame la secrétaire d’État, vous n’avez pas répondu à la question que je vous ai posée.
Les coopératives et autres, pour vous, tout va bien ! Vous m’avez parlé de millions ; je vous ai parlé, moi, de femmes et d’hommes en détresse, de la fin du maraîchage, de la viticulture ou encore de l’arboriculture.
Monsieur le Premier ministre, l’erreur est facile à corriger. Il faut se remettre autour d’une table avec les organisations professionnelles agricoles, qui y sont prêtes. Vous le savez très bien : vous n’êtes pas loin d’un accord avec elles.
Répondre macroéconomie à une question sur les territoires ruraux, c’est ne pas répondre à la question. Aujourd’hui, il y a quelques mois à tenir. Le CICE et le TODE, c’est la double peine ! Monsieur le Premier ministre, je crois possible que votre écoute pour les agriculteurs soit positive. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
projet de loi de finances pour 2019
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Éric Bocquet. Au lendemain de la présentation du projet de budget pour 2019, alors que la mousse abondante de la communication est retombée, nous jugeons utile d’interroger le Gouvernement sur ses choix budgétaires pour l’an prochain.
Notre société est minée par des inégalités croissantes – les rapports successifs de nombreux observateurs le démontrent régulièrement. Du côté de la distribution de dividendes, les groupes français – les plus généreux au monde – ont versé 47 milliards d’euros au deuxième trimestre de cette année. (M. David Assouline opine.) Sur 100 euros de bénéfices, 67 vont aux actionnaires, 5 seulement aux salariés !
Vous avez annoncé hier vouloir redistribuer du pouvoir d’achat aux salariés et retraités de ce pays, mais, dans le même temps, vous annoncez 4 100 suppressions de postes de fonctionnaires, dont 1 800 dans la seule éducation nationale. En matière d’éducation, on ne dépense pas : on investit pour l’avenir et pour la productivité ! Quant aux 2 227 suppressions de postes annoncées dans l’administration fiscale, ce seront autant de moyens de contrôle en moins pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale.
M. le ministre de l’économie a dit hier en commission : on ne peut pas distribuer la richesse que l’on n’a pas. Le constat est fait que la richesse, nous l’avons. Ce qui manque, c’est la redistribution !
Gel du point d’indice des fonctionnaires, hausse des retraites bloquée à 0,3 %, qui entraînera d’office une baisse du pouvoir d’achat, déjà amputé cette année par la hausse de la CSG, et hausse des prix du tabac et du carburant – cette liste n’est pas exhaustive.
Redonner du pouvoir d’achat passe d’abord par une augmentation sensible du SMIC, une revalorisation des pensions et une mise à contribution des dividendes en croissance forte. La suppression de l’ISF et la création de la flat tax à 30 % n’ont, à l’évidence, pas permis de s’attaquer frontalement aux inégalités.
La théorie du ruissellement, à laquelle vous semblez croire encore, n’a jamais fait, nulle part, la preuve de son efficacité : Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?
Mesdames, messieurs les ministres, quand allez-vous enfin tourner le dos aux politiques d’austérité ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur Bocquet, vous m’interrogez sur le budget que le Gouvernement a l’honneur de proposer au Parlement et qui sera bientôt discuté. Vous indiquez que, d’emblée, ce budget ne vous paraît pas aller dans le bon sens. Je n’en suis pas surpris. J’assume pourtant le texte qui vous sera présenté, car il correspond exactement aux engagements pris par le Président de la République au moment de la campagne présidentielle, puis par les candidats aux élections législatives.
Le budget que nous présentons traduit les priorités que nous fixons pour l’action de l’État et les défis que nous devons relever.
Le premier bloc à connaître une augmentation réelle des moyens qui lui sont affectés est celui qui concerne la sécurité des Français. La défense nationale, les armées bénéficieront ainsi d’une augmentation considérable l’année prochaine, comme cette année. Cet effort se poursuivra en 2020 et au-delà, parce que nous vivons dans un monde dangereux.
L’intérieur et la justice sont aussi concernés. En effet, comme chacun ici en a bien conscience – certaines questions précédentes l’ont montré –, les enjeux de sécurité publique, de protection contre le terrorisme et d’amélioration de notre système judiciaire sont au cœur de notre pacte républicain. Je crois, monsieur le sénateur, que, sur ce point, vous êtes d’accord avec nous.
Le deuxième grand bloc de mesures qui vont voir leurs moyens augmenter, ce sont les investissements pour l’avenir.
L’éducation nationale, dont le budget s’élève à 50 milliards d’euros, aura à sa disposition l’année prochaine 850 millions d’euros en plus. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Oui, madame la sénatrice : 850 millions d’euros en plus ! Parce que nous savons que le sujet est essentiel et parce que nous voulons mettre le paquet – pardonnez-moi cette expression triviale – sur l’école primaire et la rémunération des enseignants. Vous verrez dans le budget, monsieur le sénateur, que nous tenons sur 2018, 2019 et 2020 notre engagement d’augmenter de 1 000 euros chaque professeur enseignant en zone REP ou REP+ ; je pense que vous mesurez ce que représente cette augmentation considérable et nécessaire, que nous assumons parfaitement.
Outre l’éducation nationale, il y a aussi l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation. Sans oublier les infrastructures de transport, essentiellement, d’ailleurs, dans l’aspect rénovation du réseau existant, qui est un investissement pour l’avenir, ni la transition écologique, dont les moyens sont aussi en augmentation.
Je pense, monsieur le sénateur, que, sur ces sujets-là, vous n’êtes pas en désaccord avec nous.
Dans d’autres domaines, il est vrai, nous faisons des choix. Parce que nous ne croyons pas que, pour tenir nos finances publiques et respecter les engagements pris par la France, nous pourrions indifféremment augmenter l’ensemble des budgets. Parce que gouverner, c’est choisir, nous faisons des choix et nous les assumons.
Pour plusieurs politiques publiques, les résultats ne sont pas au rendez-vous ; nous en transformons donc les instruments.
Ainsi, en matière de politique du logement, la décision que nous avons prise de passer à la juste prestation, c’est-à-dire à la « contemporanéisation » du versement des APL, nous permettra d’économiser sur la dépense, sans revenir sur les droits. C’est un choix, et nous l’assumons.
En matière de politique du travail, nous nous reposions jusqu’à présent sur une utilisation massive – et souvent indexée sur le cours des consultations électorales – des contrats aidés. Nous réduisons ces contrats, nous les avons transformés et nous faisons en sorte qu’ils puissent effectivement permettre un retour à l’activité durable.
Monsieur le sénateur, ce budget traduit des choix, des choix cohérents avec ceux que nous avons faits l’année dernière et avec ceux que nous ferons l’année prochaine, des choix cohérents avec les priorités qui ont été présentées aux Français. Cette cohérence, vous pouvez la saluer.
Je tiens à insister sur un élément que, je le crains, seuls les spécialistes des finances publiques comprendront – mais ils sont nombreux au Sénat – : l’importance que nous avons accordée à l’estimation des sommes, à ce qu’on appelle la « sincérisation », à laquelle la Cour des comptes nous avait vivement encouragés, après, peut-être, des relâchements trop prononcés dans le passé – remarquez que je le dis avec mesure. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
Monsieur le sénateur, nous aurons l’occasion de débattre de ce budget, et vous verrez qu’il respecte les engagements que nous avons pris devant les Français et ceux que la France a pris, que le déficit diminue et que la dépense publique est modérée. Je me réjouis que nous puissions bientôt débattre de ce budget que nous assumons ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
sport
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour le groupe Les Républicains.
M. Michel Savin. Madame la ministre des sports, le gouvernement auquel vous appartenez est le champion du monde : champion du monde de la communication dans beaucoup de domaines !
M. Jean-Marc Todeschini. Eh oui !
M. Michel Savin. Pour le sport, vous ambitionnez quatre-vingts médailles pour 2024, trois millions de nouveaux pratiquants, une nouvelle gouvernance et un budget préservé. Nous partageons ces ambitions, mais nous faisons face aussi à vos contradictions : le budget des sports représente moins de 0,2 % du budget national et diminue fortement, de 510 millions d’euros en 2017, 481 millions d’euros en 2018 et 451 millions d’euros en 2019. Sans oublier la suppression de la réserve parlementaire, qui finançait nombre de manifestations et équipements sportifs sur notre territoire. (Marques d’approbation sur plusieurs travées.) Telle est aujourd’hui la triste réalité de votre politique sportive !
Madame la ministre, vous avez demandé au mouvement sportif de vous faire confiance, mais, face à vos annonces, ce sont désormais des milliers de bénévoles et de clubs, soutenus, je le rappelle, à hauteur de 12 milliards d’euros par an par les collectivités territoriales, qui se retrouvent dans l’incertitude.
Les solutions existent ; le Sénat les a déjà proposées voilà un an. Il s’agit que le sport finance le sport et que les taxes affectées soient enfin déplafonnées, contrairement aux choix que vous nous proposez. L’ensemble des groupes politiques du Sénat, hormis bien sûr les sénateurs du groupe En Marche, ont voté ces propositions l’année dernière, et nous sommes prêts à les soutenir à nouveau.
Aussi ma question est-elle simple : accepterez-vous de déplafonner les taxes sur les jeux et la taxe Buffet, afin que le budget des sports retrouve son niveau de 2017 ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des sports, à qui je souhaite la bienvenue au Sénat.
Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports. Monsieur le sénateur Savin, je vous remercie de votre question et de l’intérêt que vous portez au budget du ministère des sports.
Je vous rejoins sur un point : les enjeux de la politique sportive sont nombreux. Je porte, moi aussi, cette ambition, tant pour le rayonnement du haut niveau que pour l’accès aux pratiques sportives pour tous les publics et sur tout le territoire.
Je ne vous rejoins pas, en revanche, quand vous affirmez que le budget du ministère des sports est en baisse. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je l’ai annoncé, et je le répète devant vous : le budget des sports sera préservé en 2019, et nous conserverons les mêmes moyens d’intervention qu’en 2018, une capacité d’action intacte et la même volonté d’agir en faveur du sport français.
Monsieur Savin, vous savez, j’en suis sûre, que, dans le budget pour 2018, le poste relatif à la compensation de l’exonération des cotisations salariales des arbitres a été surévalué de 40 millions d’euros. Dans le projet de loi de finances, dont la première caractéristique, que vient de rappeler M. le Premier ministre, est d’être sincère, 30 millions d’euros apparaissent en effet en différentiel, et je l’assume. Nous conservons 10 millions d’euros de crédits, qui seront consacrés à des mesures nouvelles. À ces 10 millions d’euros s’ajoutent 30 millions d’euros supplémentaires issus de redéploiements divers, notamment du lissage des dépenses sur les grands événements sportifs et de la fin des programmes d’investissement, par exemple pour la restructuration de l’INSEP.
Cette enveloppe globale de 40 millions d’euros – 10 millions, plus 30 millions – sera dirigée, d’une part, vers la haute performance et, d’autre part et surtout, vers le développement des pratiques : 25 millions d’euros pour la haute performance et 15 millions d’euros supplémentaires alloués à la réduction des inégalités d’accès à la pratique sportive sur les territoires carencés, notamment à travers le renforcement du savoir nager, un sujet qui, vous le savez, me tient à cœur.
À ce propos, mesdames, messieurs les sénateurs, j’attire votre attention sur le fait que nous poursuivons les discussions afin d’obtenir des financements supplémentaires pour réduire encore les inégalités territoriales.
M. le président. Il va falloir penser à conclure !
M. Roger Karoutchi. Et à répondre à la question !
Mme Roxana Maracineanu, ministre. J’accompagnerai mon collègue Gérald Darmanin au banc du Gouvernement de l’Assemblée nationale lors du vote du budget. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.
M. Michel Savin. Madame la ministre, premièrement, vous n’avez pas répondu à ma question.
Deuxièmement, les faits sont terribles, et les chiffres restent des chiffres : votre budget baisse de 30 millions d’euros. Une nouvelle fois, ce sont les arbitrages de Bercy qui ont eu gain de cause, et non le budget du sport.
M. Jean-Marc Todeschini. Eh oui !
M. Michel Savin. Le Sénat fera donc son travail, en réaffectant les crédits nécessaires pour qu’une politique sportive sur l’ensemble des territoires puisse perdurer : c’est ce qu’attendent le milieu sportif et l’ensemble de ses bénévoles ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
assises de l’eau
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour le groupe La République En Marche.
M. Frédéric Marchand. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Le 25 septembre 2015, voilà trois ans, 193 États membres adoptaient à l’ONU le programme de développement durable à l’horizon de 2030, dit Agenda 2030. Cet agenda est porteur d’une vision forte : transformer le monde en affichant l’éradication de la pauvreté comme une nécessité et se donner les moyens d’une transition vers un développement durable.
Dix-sept objectifs de développement durable et 169 cibles ou sous-objectifs forment le cœur de cet agenda, qui engage ses signataires. Une partie de ces engagements porte sur la question, cruciale, de l’eau.
Sur ce sujet, la France est en première ligne. Le 24 novembre dernier, à l’occasion du congrès des maires, le Président de la République annonçait le lancement des assises de l’eau, afin notamment de renouveler et de moderniser nos infrastructures. En avril dernier s’ouvrait la première séquence de ces assises, consacrée à la relance des investissements sur les réseaux et l’assainissement.
Dans ce cadre, et pour répondre au mieux aux attentes des territoires, une concertation très large et inédite a été engagée avec les élus locaux, notamment via une consultation en ligne des maires et des échanges sur le terrain au sein des comités de bassin. Cette méthode était claire : s’appuyer sur les élus locaux pour être au plus proche des préoccupations de nos concitoyens. En parallèle, un diagnostic détaillé révélait notamment qu’un litre sur cinq se perd dans les réseaux d’eau, avec de forts contrastes selon les services d’eau et d’assainissement.
Il ressort des assises de l’eau que, pour améliorer la qualité de service et optimiser les investissements, il faut améliorer la connaissance des services d’eau sur l’ensemble du territoire.
En définitive, ces assises de l’eau, en s’appuyant particulièrement sur les élus locaux, ont été riches d’enseignements. Elles sont d’ailleurs amenées à se poursuivre sur la question, cruciale, du rapport entre le changement climatique et les ressources en eau.
Dans l’attente de cette deuxième séquence, pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, quelles mesures seront prises pour concrétiser les conclusions de ces assises et si les financements nécessaires seront bien au rendez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Sébastien Lecornu, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Marchand, la consultation à laquelle 2 500 maires de France ont participé a en effet permis d’établir deux constats assez clairs.
Premièrement, si la gestion de l’eau et de l’assainissement est une compétence phare de la décentralisation, les élus locaux expriment le besoin d’un accompagnement de l’État, notamment en matière d’ingénierie financière et technique.
Deuxièmement, à l’évidence, nos collègues élus locaux ont des difficultés pour connaître leur patrimoine et leurs réseaux d’eau. C’est là aussi une question de méconnaissance en matière d’ingénierie.
Les assises de l’eau, auxquelles ont participé tous les acteurs du monde de l’eau, en particulier toutes les associations d’élus, mais également les entreprises de la filière et les ONG, ont permis de réaffirmer un certain nombre de principes forts et un investissement inédit, sur lequel le Premier ministre lui-même a présenté des annonces dans les Hautes-Alpes, au début de ce mois.
Le premier principe, c’est l’attachement collectif au principe et au modèle des agences de l’eau, avec à leur côté leur conseil d’administration et les différents comités de bassin.
Le deuxième principe, c’est l’affirmation des solidarités dans trois dimensions. D’abord, la solidarité de l’urbain vers le rural, avec un effort financier inédit pour le rural, puisque 2 milliards d’euros vont être débloqués sur six ans, ce qui représente 50 % en plus par rapport à la période précédente. Ensuite, la solidarité pour les outre-mer, où la question de la ressource en eau est parfois préoccupante. Je pense évidemment au plan Eau-DOM et aux contrats de progrès – nous serons amenés à y revenir avec le Président de la République dans quelques jours. Enfin, la solidarité avec les personnes les plus fragiles.
L’accompagnement portera également sur l’innovation. Ainsi, 300 millions d’euros supplémentaires serviront à financer l’innovation, notamment pour les grandes villes. La Caisse des dépôts et consignations mettra sur la table 2 milliards d’euros en prêts pour les cinq années à venir.
Au total, l’effort pour l’eau passera de 36 milliards à 41 milliards d’euros entre 2009 et 2024.
Monsieur le président Larcher, je tiens à remercier l’ensemble des sénateurs, de tous les groupes politiques, qui ont participé à cette œuvre consensuelle, notamment pour nos territoires ruraux. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
relations des élus locaux avec le gouvernement
M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël, pour le groupe Les Républicains. C’est la première question de notre collègue, à qui nous souhaitons le meilleur ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sylviane Noël. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur.
Monsieur le ministre d’État, c’est la première fois que je prends la parole dans l’hémicycle depuis mon entrée au Sénat, en août dernier. Pendant dix ans, j’ai exercé le beau mandat de maire dans une petite commune de montagne. Très présente sur le terrain, je constate la résignation qui gagne les maires et, plus largement, l’ensemble des élus municipaux.
Baisse des dotations, suppression de la taxe d’habitation, diminution des contrats aidés, changements incessants des lois et réglementations, inflation des normes techniques coûteuses, fermeture des services publics, irrespect des lois et violences par les gens du voyage : la liste est longue des problèmes qui expliquent le ras-le-bol des maires. Des maires qui souffrent de ne pas se sentir considérés par l’État, dont ils sont pourtant les premiers serviteurs. Des maires qui, eux, établissent et font voter des budgets en équilibre, quand l’État, lui, n’a pas présenté un budget en équilibre depuis 1974. Des maires qui en ont assez d’être pointés du doigt par l’État pour leur gestion, alors qu’ils gèrent leur commune en bons pères de famille.
Cet été, un chiffre est passé inaperçu : plus de 1 000 démissions de maires ont été recensées depuis 2014. Gageons que, en 2020, malheureusement, ils seront nombreux à ne pas se représenter.
Aujourd’hui, monsieur le ministre d’État, les maires se posent des questions sur l’avenir du mandat municipal, et nous avec eux. Quand un député parisien de votre majorité déclare cet été qu’il suffit de regrouper les communes, que cherche-t-on : une République de « technotables » ?
Demain, comment le Gouvernement pourra-t-il réformer le pays sans le concours des communes et de leurs élus, alors que l’État n’a plus assez de services sur le terrain ? Comme le répète inlassablement le président du Sénat, l’État ne peut se réformer contre les territoires !
Notre République a besoin des communes, qui constituent le terreau de la démocratie. Les maires en sont les vigiles autant que les fantassins.
Monsieur le ministre d’État, ma question est simple : le Gouvernement est-il prêt à changer d’attitude et de cap pour renouer le dialogue avec les maires de France et leur redonner leur place, leur rôle et leurs moyens d’action légitimes au service du pays ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, permettez-moi de vous féliciter pour votre élection au Sénat de la République.
Je connais bien votre département, pour y être allée régulièrement. J’ai de nombreux amis élus en Haute-Savoie, et j’y pensais en écoutant la réponse précédente, car j’étais tout à fait dans votre secteur au mois de mars, à Cluses, dans la vallée de l’Arve. Nous avons beaucoup travaillé avec le fondateur du syndicat mixte d’aménagement de l’Arve et de ses abords, le SM3A. C’est aussi grâce à Martial Saddier, sur le terrain, que nous avons pu, dans le cadre des assises de l’eau, dont Sébastien Lecornu vient de parler, travailler avec les élus locaux et construire des politiques avec eux.
C’est en effet dans le dialogue, madame la sénatrice, que le Gouvernement agit sur le terrain et négocie au sein de la Conférence nationale des territoires (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), ainsi bien sûr qu’avec les associations d’élus et les élus qui veulent bien être présents.
Par ailleurs, vous ne pouvez pas parler de baisse des dotations. (Rires et exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Non, vous ne le pouvez pas ! (M. Martin Lévrier applaudit.) En effet, comme vous le savez, c’est la première fois depuis de longues années que la dotation globale de fonctionnement a une enveloppe stable et que les dotations d’investissement aux collectivités territoriales augmentent par rapport à l’année précédente – vous constaterez dans le prochain budget qu’elles s’établissent à 2,1 milliards d’euros.
Enfin, vous parlez de la lassitude des élus. On peut, bien entendu, démissionner pour plein de raisons,…
M. François Grosdidier. Voyez Collomb ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut conclure !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … que deux phénomènes ont joué cette année : l’instauration des nouvelles règles de cumul des mandats – vous-même avez été obligée de démissionner de votre mairie (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) –…
M. le président. Il faut conclure !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. … et les communes nouvelles.
Madame la sénatrice, on démissionne pour des raisons multiples et variées, mais, par lassitude, je ne crois pas que ce soit la réalité. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Huées sur les travées du groupe Les Républicains.)
budget 2019
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Vincent Éblé. Le projet de loi de finances pour 2019 a été présenté hier en conseil des ministres, puis devant les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le travail des semaines à venir sera utile pour lever les interrogations qu’un document aussi déterminant ne manquera pas de susciter chez bon nombre d’entre nous et chez nos concitoyens.
Il est de tradition de faire porter la communication gouvernementale sur quelques mesures phares, mais le parlementaire expérimenté s’efforcera de reconstituer par consolidation la réalité des grands équilibres et de gommer les effets de périmètre et de transferts, importants cette année, en particulier entre l’État et la sécurité sociale.
Il en est de même en matière de fiscalité, directe ou indirecte, et de prélèvements sociaux, entre réformes antérieures qui s’appliquent désormais en année pleine – impôt de solidarité sur la fortune devenu impôt sur la fortune immobilière, prélèvement forfaitaire unique, impôt sur les sociétés, fiscalité locale, fiscalité énergétique – et réformes nouvelles propres à l’année 2019.
À l’évidence, les analyses convergent : sauf pour les catégories sociales à fort revenu, la note sera salée ! Je pense aux familles, aux ménages, aux consommateurs. Je pense, bien entendu, aux retraités : avec la hausse de la CSG combinée au rabot sur les retraites, 4,5 millions de retraités sur les 7 millions qui ont subi cette hausse resteront perdants en 2019. Je pense aussi aux ruraux et périurbains confrontés pour leurs déplacements à une hausse soutenue de la fiscalité énergétique et indirecte, qui pèsera sur leur pouvoir d’achat l’an prochain à hauteur de 3,5 milliards d’euros. (Eh oui ! sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Madame la secrétaire d’État, dans une période où notre croissance économique reste supérieure à la croissance potentielle, des marges de manœuvre existent que nous n’avions pas par le passé : n’est-ce pas l’occasion de mener une politique fiscale plus juste entre les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président Éblé, je suis moi aussi heureuse de la perspective de pouvoir travailler en détail sur ce budget avec vous et au sein du Sénat. Je suis persuadée que vous vous rendrez compte, dans la discussion, à quel point ce budget est sérieux, équilibré,…
M. Philippe Dallier. Équilibré ? Juste un léger déficit… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. … et marque une direction claire.
C’est d’abord un budget sincère, dont les hypothèses ont été reconnues comme vraisemblables et crédibles par le Haut Conseil des finances publiques et qui a été construit sur des bases clarifiées en 2018.
C’est aussi un budget fidèle à notre cap, à nos engagements et à nos priorités. Il nous permet de tenir nos engagements européens en matière de finances publiques, avec un déficit pour la troisième année consécutive en dessous des 3 % du PIB, et de tenir les engagements du Gouvernement en matière de trajectoire pluriannuelle, avec des allégements d’impôts et de prélèvements significatifs, en particulier sur les ménages, qui bénéficieront d’un allégement de prélèvements de 6 milliards d’euros en 2019.
M. David Assouline. C’est faux !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Il est fidèle, en particulier, à notre priorité consistant à encourager et à récompenser le travail, avec la poursuite des baisses de cotisations, l’augmentation de la prime d’activité, les allégements de charges salariales sur les heures supplémentaires à compter du 1er septembre et, dans le cadre de la future loi Pacte, la suppression du forfait social sur l’intéressement pour les PME.
Ce budget renforce la compétitivité de nos entreprises en poursuivant la baisse de l’impôt sur les sociétés et la conversion du CICE en baisse de charges.
J’ajoute, comme vous avez insisté sur ce point, qu’il permet aussi de protéger les plus modestes et les plus vulnérables, qui bénéficieront de la suppression de la deuxième tranche de la taxe d’habitation, ainsi que de la revalorisation du minimum vieillesse et de l’allocation aux adultes handicapés, qui complètent le plan Pauvreté également inclus dans notre budget, avec le reste à charge zéro.
Sur ces éléments, je pense, monsieur le président Éblé, que nous aurons une discussion équilibrée en commission.
M. le président. La parole est à M. Vincent Éblé, pour la réplique.
M. Vincent Éblé. Madame la secrétaire d’État, vous pouvez tenter de masquer la réalité en rendant les évidences invisibles, mais les contribuables français modestes savent compter : ils ne sont pas dupes des jeux de bonneteau où l’on reprend d’une main le double de ce que l’on a donné de l’autre ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mardi 2 octobre prochain, à seize heures quarante-cinq.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Décès d’anciens sénateurs
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de nos anciens collègues Josy Moinet, qui fut sénateur de la Charente-Maritime de 1973 à 1989, Robert Vizet, qui fut sénateur de l’Essonne de 1986 à 1995, et Philippe Arnaud, qui fut sénateur de la Charente de 1996 à 2008.
6
Demande par une commission des prérogatives d’une commission d’enquête
M. le président. Par lettre en date du 19 septembre 2018 et conformément à l’article 22 ter du règlement, M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, a indiqué à M. le président du Sénat que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable demande au Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de lui conférer les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête pour une durée de six mois, afin de mener sa mission d’information sur la sécurité des ponts.
Cette demande sera examinée par la conférence des présidents lors de sa réunion de ce soir.
7
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
8
Candidatures et nominations de membres de commissions
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de la commission de la culture et de la commission des affaires économiques ont été publiées.
Aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement ne s’étant manifestée, ces candidatures ont été ratifiées.
9
Candidatures à deux commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein des commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi et de la proposition de loi organique relatives à la lutte contre la manipulation de l’information.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
10
Relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire
Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (projet n° 714, résultat des travaux de la commission n° 716, rapport n° 715, avis n° 719).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Travert, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le président, madame, monsieur les rapporteurs, monsieur le rapporteur pour avis, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, mesdames, messieurs les sénateurs, je rentre tout juste du conseil européen Agripêche, qui se tenait à Vienne. Je n’ai donc pu arriver à temps pour la séance de questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous retrouve dans cette enceinte pour débattre en nouvelle lecture du projet de loi dit « ÉGALIM ». Je le sais, il ne s’agira que d’un simple échange de vues, à la fois sur la méthode, que vous regrettez, et sur le fond du projet de loi que, visiblement, vous jugez insuffisant, inopérant et trop contraignant. Le débat ne se poursuivra donc pas au-delà de la discussion générale. Sachez que je le regrette et que j’aurais souhaité vous convaincre que nous avons choisi la bonne méthode, celle qui prévaut depuis le lancement des États généraux de l’alimentation, c’est-à-dire celle de la concertation et du dialogue.
La semaine dernière, la commission des affaires économiques a adopté une motion tendant à opposer la question préalable. Nous n’entrerons donc pas dans le détail des dispositions du texte. Or cette nouvelle lecture était utile. Elle a mobilisé l’Assemblée nationale en séance publique plus de trente-trois heures la semaine passée. Notons d’ailleurs que près d’une trentaine d’articles ont été votés conformes par l’Assemblée nationale et le Sénat, soit plus d’un quart des articles du projet de loi. Une soixantaine d’articles restaient encore ouverts à la discussion, mais vous n’avez pas souhaité prolonger les débats. J’en prends acte.
J’entends votre message depuis l’échec de la commission mixte paritaire au mois de juillet. Madame la rapporteur, monsieur le rapporteur, dans votre motion, vous dénoncez le déséquilibre de ce texte. Les inquiétudes que vous formulez sont de deux natures : il y a d’abord le caractère selon vous inopérant du titre Ier, destiné à transformer durablement les relations commerciales au sein de la chaîne de production alimentaire ; il y a ensuite les surcoûts et charges induits par le titre II relatif à la qualité de notre alimentation.
J’entends que ce projet de loi ne serait pas assez volontariste dans son volet économique, c’est-à-dire dans son titre Ier. J’entends aussi sur certaines travées que le titre II n’irait pas assez loin par rapport aux attentes sociétales alors que, dans le même temps, sur d’autres travées, comme par un curieux effet de stéréo mal réglée, on accuse le Gouvernement d’imposer trop de charges nouvelles aux agriculteurs et aux collectivités territoriales. (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains opinent.)
M. Laurent Duplomb. Ça, c’est sûr !
M. Stéphane Travert, ministre. Ces deux types de critiques montrent, à mon sens, que le positionnement du curseur est peut-être, en définitive, assez équilibré entre, d’une part, les attentes de la société, qui voudrait des réponses immédiates sur tous les sujets, et, d’autre part, une capacité de transformation de nos modèles agricoles qui doit tenir compte du contexte économique et social.
En ce qui concerne le titre Ier, votre majorité dénonce un recul, un manque d’ambition. Je ne suis évidemment pas d’accord et n’ai pas changé d’avis.
Le projet de loi, je le rappelle, traduit les conclusions des États généraux de l’alimentation, les résultats des ateliers 5 à 7 au sein desquels tous les acteurs présents avaient parfaitement en tête un certain nombre de contraintes juridiques et économiques. Il importe de les garder à l’esprit, y compris au moment de légiférer.
Je l’ai déjà indiqué ici même, et nous en avons déjà largement débattu en première lecture : si l’idée est de fixer les prix agricoles ou d’imposer des prix planchers, je le reconnais bien volontiers, le Gouvernement ne le fera pas ! En effet, jusqu’à preuve du contraire, nous sommes intégrés dans une économie de marché.
Si l’idée est de contraindre vendeurs et acheteurs à utiliser tel ou tel indicateur dans la construction des prix, je le dis là encore : le Gouvernement ne s’est pas engagé dans cette voie, car il est le garant du respect du droit national et européen, du droit de la concurrence et de la liberté contractuelle.
Alors, de quoi est-il question ? Ce qui se joue en vérité, c’est une transformation en profondeur de la culture contractuelle dans les filières agricoles. Se convaincre de l’intérêt de la contractualisation, de la mise par écrit des engagements réciproques, de l’objectivation des coûts de production et des valorisations de marché, c’est cela le changement de paradigme que je recherche au travers de ce projet de loi ! Il s’agit de s’en convaincre, puis de se donner les moyens d’y parvenir grâce à un cadre juridique nouveau, celui que pose la loi, et un travail de fond entre les différents acteurs économiques.
J’ai bien compris que c’est ce travail qui inquiète beaucoup. C’est la responsabilité qui est donnée aux interprofessions de trouver les bons indicateurs, de les mettre en partage, d’encourager leur utilisation. Des indicateurs, il en existe déjà beaucoup aujourd’hui. Souvent, l’enjeu est d’ailleurs plutôt de faire le tri que d’en inventer de nouveaux, encore que, lorsqu’on repense la segmentation d’un marché, on se rende parfois compte qu’il manque souvent un ou deux indicateurs pour valoriser un effort de montée en gamme, une production sous label rouge ou bio. Avoir conscience de ce qui existe et de ce qui manque, c’est déjà progresser.
Il faut ensuite se fixer une méthode et un calendrier pour combler les lacunes et avancer.
Les filières, que j’ai rencontrées durant les semaines passées, se confrontent actuellement à ce questionnement. Elles posent des questions techniques. Elles essaient aussi de construire du consensus entre leurs maillons sur les déterminants économiques de leur fonctionnement : qu’est-ce qui pèse sur les coûts de production de l’éleveur ? Le coût de l’alimentation animale, bien sûr ! Quoi d’autre ? Qu’est-ce qui vient peser sur les prix au stade de l’abattage ? Et aux stades suivants ?
Loin de moi l’idée de dire que ce travail est facile. Il ne l’est pas, et je vois bien les efforts que font l’ensemble des acteurs pour avancer. Il y a néanmoins une chose qui est sûre, et qui correspond à la ligne défendue par le Gouvernement et par moi-même depuis le début : ce sont les interprofessions qui sont les mieux placées et les plus à même de mener à bien cette réflexion et de faire leur le nouveau cadre légal de contractualisation, afin d’offrir aux opérateurs les outils dont ils ont besoin pour garantir un minimum de revenus, un revenu décent aux agriculteurs.
L’État ne se désintéresse évidemment pas du sujet des indicateurs. Au contraire, le Président de la République a rappelé dès cet été que le volet économique des plans de filière et le projet de loi devaient avancer du même pas. Tout se tient : l’inversion de la contractualisation, qui est dans la loi, le choix des indicateurs, qui incombe aux professionnels, et la régulation de l’aval – l’encadrement des promotions et le seuil de revente à perte –, qui se fera par voie d’ordonnance.
Si chacun fait son travail et défend ce projet commun, celui qui faisait consensus pendant les États généraux de l’alimentation, celui d’un rééquilibrage des relations commerciales et d’une meilleure rémunération des maillons les plus faibles de la chaîne alimentaire, je peux vous dire que ce projet ira à son terme !
Je dis régulièrement, et je veux insister sur ce point encore aujourd’hui, que la loi n’est que l’un des outils de mise en œuvre de la politique de l’alimentation présentée par le Premier ministre en clôture des États généraux le 21 décembre dernier. Il y en a d’autres, et pas seulement les plans de filière. C’est cet ensemble d’outils que nous devons construire simultanément pour pérenniser et transformer notre agriculture, et enfin répondre aux attentes de nos concitoyens.
Jour après jour, nous avançons. Je voudrais vous donner quelques exemples de caps franchis collectivement depuis l’examen du projet de loi en première lecture.
Le 22 juin, nous avons lancé le plan de sortie du glyphosate en trois ans, avec la création d’une task force et d’une banque de solutions. Nous avons également décidé la limitation à trois ans du renouvellement des autorisations de mise sur le marché des produits contenant cette substance.
Le 25 juin s’est tenu un grand conseil d’orientation de l’agriculture biologique et a été présenté le nouveau programme « Ambition bio 2022 », doté d’un budget de 1,1 milliard d’euros, et destiné à atteindre les objectifs fixés dans la loi : 15 % de la surface agricole utile en mode bio et 20 % de bio dans la restauration collective d’ici à 2022.
Le 4 juillet a été lancé le plan de préservation de la biodiversité, avec un volet agricole important.
Le 13 juillet, nous avons réactivé le CORENA, le Comité de rénovation des normes en agriculture, pour travailler sur les projets de normes ayant un impact dans le domaine agricole.
Le 27 juillet, lors de la réunion du comité d’orientation stratégique Écophyto, a été lancé le plan Écophyto II+, qui contribuera à la réduction de la consommation des produits phytopharmaceutiques.
D’autres actions ont été mises en œuvre. Je pense, par exemple, à la réforme fiscale que nous avons engagée avec Bruno Le Maire en février dernier, à laquelle des parlementaires de toutes les sensibilités ont été associés. Celle-ci permettra d’améliorer sensiblement la résilience économique des exploitations grâce à un dispositif d’épargne de précaution adapté à la fluctuation des revenus agricoles. La semaine dernière, nous avons en outre eu l’occasion de présenter bien d’autres outils.
Je pense aussi à l’ingénierie financière pour mettre en place, avec le Fonds européen d’investissement, un fonds de garantie de 800 millions d’euros. Ce fonds permettra de garantir les prêts aux exploitations agricoles, afin de faciliter leur octroi par les banques, tout en sécurisant l’exploitant agricole en cas de défaillance, en lui évitant d’hypothéquer ses biens personnels.
Quel est le point commun entre tous ces chantiers ? C’est ma volonté farouche de redonner de la fierté à nos producteurs, un environnement d’action porteur, un cadre juste et équitable à tous les maillons de la chaîne alimentaire. C’est une volonté tout aussi ferme d’assurer à tous nos concitoyens une alimentation toujours plus saine et répondant à leurs attentes légitimes.
Promouvoir la performance économique, environnementale, sanitaire et sociale de l’agriculture, comme je le fais à chacun de mes déplacements en France comme à l’étranger, c’est concret. C’est travailler sur la viabilité économique des exploitations, leur résilience, la qualité de l’eau et de l’air, la préservation des sols et de la biodiversité, l’atténuation du changement climatique, la sécurité sanitaire du producteur au consommateur. C’est aussi veiller à ce que les efforts sur la qualité de l’alimentation bénéficient à tous, y compris aux plus modestes de nos concitoyens. Cette quadruple performance s’applique à tous les maillons, dont les industries agroalimentaires.
Vous connaissez maintenant la méthode qui est la mienne : elle n’est pas celle du clivage, de la stigmatisation ou de l’agitation des peurs, comme certains voudraient le faire croire. Ma méthode est celle du dialogue permanent (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.) et de l’accompagnement, celle de la construction de compromis, en impliquant tous les acteurs dans leurs responsabilités.
Changer les pratiques peut faire peur, c’est humain. Notre rôle, celui du Gouvernement, mais aussi le vôtre, est de mobiliser, de faire connaître, de diffuser d’autres méthodes pour montrer que la transformation de nos systèmes agricoles vers des modèles plus durables et plus résilients est possible, mais qu’elle ne se fera pas sans ceux qui travaillent la terre au quotidien, entretiennent nos paysages, font vivre nos territoires.
Nous le savons, nous devons conduire cette transformation durable de notre agriculture en dépit des aléas économiques, climatiques ou sanitaires, et des difficultés induites. Nous devons garder le cap. C’est ce que le Gouvernement s’attache à faire en reprenant les débats parlementaires de la session extraordinaire sur ce projet de loi.
Concernant le titre Ier, mon message aux opérateurs n’a pas varié : saisissez-vous des outils qu’offre la loi. Elle est un cadre d’action, il vous appartient de l’occuper. Regroupez-vous en organisations de producteurs et en associations d’organisations de producteurs pour être plus forts. Agissez au sein de votre interprofession pour qu’elle élabore et diffuse les indicateurs les plus adaptés à vos filières. Appuyez-vous sur ces indicateurs de référence dans vos propositions de contrat et sur le poids que leur conférera la validation de l’interprofession. C’est comme cela que vous pourrez faire bouger les lignes dans vos relations contractuelles. C’est bien là l’esprit des États généraux de l’alimentation.
S’agissant du titre II, ramener du revenu dans les exploitations passera aussi par la création de valeur, la segmentation et la transformation de nos systèmes agricoles en vue de répondre aux enjeux sociétaux, sanitaires et environnementaux. Certains d’entre vous appellent cela des charges supplémentaires ; pour nous, il s’agit d’une montée en gamme ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Plus dure sera la chute !
M. Stéphane Travert, ministre. Je voudrais m’arrêter quelques instants sur des sujets importants, qui ont été l’objet d’intenses discussions dans cette enceinte. Je pense au bien-être animal et à la transition écologique.
En ce qui concerne le bien-être animal, nos discussions ont été vives, mais respectueuses, qu’il ait été question du porc, des œufs, de la volaille ou de l’abattage. Ma ligne est simple : il nous faut avancer ! Il faut que les filières prennent ces sujets à bras-le-corps : c’est indispensable ! Elles se sont engagées dans les plans de filière, et je les suis au plus près. J’attends d’elles qu’elles soient au rendez-vous. L’article 13 bis du projet de loi prévoit d’ailleurs que le Gouvernement remette au Parlement un rapport relatif à la mise en œuvre des plans de filière sur cette thématique précise.
En matière d’enjeux environnementaux, les filières agricoles ont un rôle majeur à jouer, de par leurs choix de production et la maîtrise de leur consommation d’intrants. La démarche agroécologique offre la réponse systémique adaptée.
En effet, pour progresser de manière décisive, il nous faut cesser une bonne fois pour toutes d’opposer agriculture et environnement, reconnaître les efforts consentis jour après jour, année après année, par tous les agriculteurs, mais aussi avoir conscience de l’importance du chemin restant à parcourir et de la complexité de la transition, notamment dans un contexte où les exigences ne sont pas les mêmes dans d’autres pays. Ces difficultés ne doivent pas nous arrêter, bien au contraire.
Les agriculteurs sont des chefs d’entreprise. Ils ont besoin de trouver leur équilibre économique avec les nouvelles pratiques toujours plus respectueuses des ressources naturelles, plus économes en intrants et en énergie, mais qui requièrent des changements et induisent d’autres types de coûts en termes d’investissements, de main-d’œuvre ou de carburant. Ils ont besoin de recherche et d’innovation. Ils ont besoin de la bienveillance de leurs concitoyens et de la confiance des consommateurs. Les agriculteurs ont besoin d’un environnement porteur. Ils ont besoin d’être accompagnés et soutenus par les transformateurs et les distributeurs, les chambres d’agriculture, les collectivités territoriales, ainsi que par les financeurs, les banquiers et les assureurs. C’est toute l’approche du risque, de la rentabilité, du temps et de l’importance des biens collectifs qu’il faut revoir pour être à la hauteur de ce que la société attend de son agriculture.
Au moment de passer au déploiement de tous les outils que nous avons patiemment construits depuis un an, ce dont nous avons besoin, au fond, c’est d’un retour à l’esprit des États généraux, un état d’esprit dans lequel chacun sait qu’il a sa part à prendre dans la transformation, pour qu’elle assure la pérennité de notre agriculture, sécurise notre souveraineté alimentaire et soit bénéfique à tous.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire en première lecture, le projet de loi fera gagner l’agriculture si nous jouons collectif. Je regrette donc que vous ne vous associiez pas à cet élan.
M. Jackie Pierre. Hou !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Michel Raison, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la première lecture de ce projet de loi au mois de juin, le Sénat avait, je le crois, porté haut la voix de nos agriculteurs et de nos territoires. Le message avait été très bien entendu dans nos campagnes, mais il n’est manifestement pas arrivé jusqu’à la rue de Varenne, et encore moins au Palais-Bourbon ! Il est vrai que, tout au long de la procédure, le Gouvernement et sa majorité ont paru atteints d’une forme de surdité qu’il faut dénoncer. Cela étant, cela pourra peut-être s’arranger avec l’amélioration du remboursement des prothèses auditives… (Rires.)
M. Jean Bizet. Pas sûr ! (Sourires.)
M. Michel Raison, rapporteur. Ceux-ci sont d’abord restés sourds à la volonté de compromis des sénateurs.
La première alerte a eu lieu en commission mixte paritaire. De mémoire de parlementaire – et j’en ai un peu ! -, c’est la première fois que j’assistais à une commission mixte paritaire échouant sur un point d’accord…
Alors que nous tentions de présenter des compromis sur les quelques lignes rouges restant en discussion, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, tenu par le mandat que le Gouvernement, et peut-être même le Président de la République, lui avait donné, refusait d’entendre la moindre de nos propositions pour centrer les débats sur un nouveau front créé de toutes pièces par la majorité : je veux bien entendu parler des modalités d’élaboration des indicateurs dans les formules de prix des contrats agricoles.
Vint ensuite la nouvelle lecture, qui fut l’occasion pour l’Assemblée nationale de rétablir son texte dans sa quasi-intégralité et de balayer d’un revers de main presque tous les apports du Sénat : création d’un fonds d’indemnisation des victimes professionnelles des produits phytopharmaceutiques, pérennisation du modèle coopératif, lutte contre les pratiques des centrales d’achat européennes, protection contre le chantage à la collecte, encadrement des promotions et du seuil de revente à perte directement dans la loi, pour n’en citer que quelques-uns.
Plus largement, l’appel du Sénat à la retenue n’a pas été entendu. Au contraire, en nouvelle lecture, les députés ont réalisé le tour de force d’ajouter de nouvelles contraintes, non seulement pour les producteurs, mais aussi pour les industriels et les collectivités territoriales. Ma collègue Anne-Catherine Loisier vous en parlera dans un instant.
L’impression donnée peut se résumer en quelques mots : faisons la loi le plus vite possible, comme bon nous semble, comme si la sagesse du Sénat était une sorte de frein à la législation… Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, qu’au contraire, tout au long de la Ve République, quelle que soit la majorité à l’Assemblée nationale, le Sénat a démontré la pertinence de son existence en améliorant la qualité de la loi. Je vous ferai grâce des événements récents qui démontrent encore une fois que le Sénat est un formidable contre-pouvoir. Le bicamérisme est une chance pour notre République, et aucun sénateur sur ces travées ne dira le contraire.
Le Gouvernement et sa majorité ont ensuite été sourds – et c’est le plus grave ! – aux appels de nos agriculteurs, qui se trouvent pourtant dans une véritable situation de détresse avec un suicide tous les deux jours. Ceux-ci sont sans doute sensibles aux attentes sociétales dont vous nous avez parlé, mais ils le sont aussi à leurs revenus.
Lors des États généraux de l’alimentation, les agriculteurs ont insisté sur la nécessité de revaloriser leur métier en augmentant leurs revenus, notamment par le renforcement de leur pouvoir de négociation contre une grande distribution trop concentrée et quelques acheteurs pas toujours bien intentionnés. Le texte prend le risque de faire l’inverse.
À défaut d’accord des interprofessions et sans l’intervention de l’Observatoire de la formation des prix et des marges, les distributeurs pourront imposer aux producteurs les indicateurs qu’ils auront eux-mêmes créés, ce qui déséquilibrera encore la relation commerciale au détriment des agriculteurs. Ce texte pourrait aggraver la situation en incitant les acheteurs à fixer des prix plafonds en fonction des prix de revient qu’ils auront eux-mêmes déterminés pour les agriculteurs.
Je pourrais aussi parler d’un texte menaçant l’efficacité de la médiation en introduisant la procédure du « nommer et dénoncer », qui porte atteinte à l’esprit de la coopération agricole en facilitant la sortie des associés coopérateurs au détriment du principe d’engagement, alors que rien n’assure que la hausse du seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions qu’il prévoit se retrouveront bien dans le prix des produits.
Il en résulte un texte auquel le Sénat ne saurait souscrire. Compte tenu de l’attitude de la majorité des députés en première lecture, aucun compromis ne sera trouvé sur les désaccords de fond restant entre nos deux chambres. Vous l’avez d’ailleurs admis vous-même à propos de l’article 1er, monsieur le ministre, en affirmant être « allé au bout de ce que l’on pouvait faire en droit ». Ce n’est donc peut-être pas la peine de continuer !
M. le président. Il faut conclure !
M. Michel Raison, rapporteur. Je conclus, monsieur le président.
Il s’agit, par ce geste fort de la commission des affaires économiques, qui vous propose d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable, mes chers collègues, de signifier au Gouvernement et à sa majorité qu’il est plus que temps de répondre au désarroi de nos agriculteurs. Nous ne nous arrêterons du reste pas là, car nous créerons prochainement un groupe de suivi au sein de la commission.
M. Jacques Grosperrin. Très bonne idée !
M. Michel Raison, rapporteur. C’est en effet le travail du législateur de suivre l’application des textes et d’en faire l’évaluation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mmes Nicole Bonnefoy et Nelly Tocqueville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a connu un cheminement assez inédit.
Sur la forme, en début de première lecture au Sénat, nous avons engagé avec vous, monsieur le ministre, un dialogue qui m’a semblé constructif. Vous étiez, comme nous tous, soucieux d’avancer dans le sens des solutions et des perspectives esquissées par les États généraux de l’alimentation. Mais, rapidement, cette bonne volonté s’est heurtée à l’intransigeance, puis aux revirements, d’une majorité gouvernementale qui s’est elle-même désavouée en revenant en CMP sur les positions qu’elle avait adoptées en première lecture. La navette parlementaire, en ce qui concerne l’Assemblée nationale, a donc fonctionné à l’envers, en marche arrière…
Sur le fond, les divergences se sont accentuées pour aboutir, à l’issue de la deuxième lecture à l’Assemblée nationale, à un texte qui alourdit dangereusement la charge des agriculteurs, mais aussi celle des industriels et des collectivités chargées de la restauration publique, aggravant les difficultés qu’il était censé corriger.
L’échec de la commission mixte paritaire sur une disposition pourtant votée à l’identique dans les deux assemblées est injustifiable. La deuxième lecture à l’Assemblée nationale, au cours de laquelle les députés ont ajouté de nouveaux points de désaccord, au mépris de nos institutions, a confirmé cette volonté de refuser le dialogue, volonté préjudiciable au texte et qui trahit les engagements pris lors des États généraux de l’alimentation.
Est-il besoin de rappeler que le revenu agricole, ce sont des prix, bien sûr, mais aussi des charges ? Or, non seulement la mécanique prévue au titre Ier n’améliorera pas le prix payé au producteur, mais le titre II ajoute de nouvelles charges.
C’est particulièrement vrai en matière de produits phytopharmaceutiques. Chacun, ici et ailleurs, est convaincu de la nécessité de limiter l’usage de ces produits, à commencer par l’agriculteur lui-même : il en connaît le coût et les risques, auxquels il est le premier exposé. Mais n’oublions pas que la France est un des pays au monde qui en utilise le moins à l’hectare : moins que les principaux producteurs européens et mondiaux. Les mesures imposées, comme l’interdiction des remises, rabais et ristournes, pèseront lourdement sur les charges des agriculteurs, sans pour autant assurer une réelle réduction de l’usage des produits phytosanitaires.
Ce texte fait craindre une déstabilisation d’un système vertueux de maîtrise des usages mis en place dernièrement dans le cadre des certificats d’économies de produits phytopharmaceutiques – les CEPP –, puisqu’en séparant tout conseil de la vente de produits phytosanitaires, il fait courir le risque qu’il n’y ait plus de conseil du tout.
L’obligation, introduite en nouvelle lecture, de signer des chartes départementales avec les riverains pour définir des zones de non-traitement contraint, elle aussi, de façon inopportune, alors que de nombreuses démarches adaptées et fondées sur le volontariat se diffusent déjà sur tout le territoire.
Ces décisions sont stigmatisantes et culpabilisantes. Elles sont en contradiction totale avec l’esprit de responsabilisation qui a prévalu lors des États généraux de l’alimentation. Sur ces questions, le dogmatisme l’a emporté, sans considération pour les agriculteurs, sans prise en compte des réalités auxquelles ils sont confrontés, voire de leur sécurité.
Deux mesures en témoignent .
L’usage des drones en terrain dangereux sera réservé à l’épandage des seuls produits autorisés en agriculture biologique ou dans le cadre d’une exploitation certifiée sur le plan environnemental, au mépris de la sécurité des autres agriculteurs, soumis aux mêmes risques. Quant à la création du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, que le Sénat, je le rappelle, avait adoptée à l’unanimité sur proposition de Nicole Bonnefoy, elle est écartée dans l’attente d’un nouveau rapport – le dernier datant de janvier 2018 –, alors qu’il y a urgence à agir. À l’heure où la justice américaine condamne Monsanto, il y a de quoi s’interroger sur ce report décidé par les élus du « nouveau monde » !
Les agriculteurs ne sont pas les seuls affectés par l’inflation des contraintes introduites dans la seconde partie du texte.
Les gestionnaires de services de restauration collective publique, et donc les collectivités, devront faire face, « dans le même temps », à l’obligation d’améliorer la qualité des repas servis, de proposer au moins un menu végétarien par semaine – mesure pourtant rejetée par les deux assemblées en première lecture – et de renouveler tout le matériel de cantine dès 2020, pour se conformer à l’interdiction des ustensiles en plastique les plus divers, y compris lorsqu’ils ne sont pas à usage unique, comme les boîtes ou les plateaux-repas. Je rappelle que l’objectif prioritaire affiché était de lutter contre l’usage d’ustensiles en plastique jetables !
Cette nouvelle interdiction, ajoutée au détour de la deuxième lecture, sans aucune évaluation de son impact et sans lien avec le texte, vaut pour la restauration collective, mais aussi pour tous les autres usages, qu’il s’agisse de restauration commerciale, de livraison de repas ou de distribution alimentaire et non alimentaire. Tous ces secteurs vont devoir réinvestir dans l’urgence. Les usagers paieront la facture, et que dire des industries françaises et des emplois dont l’existence est menacée à brève échéance ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.) Il est irresponsable de légiférer dans de telles conditions, sans étude d’impact, sans considération des conséquences concrètes, de l’explosion des coûts et des suppressions d’emplois.
Tout laisse à penser, mes chers collègues, que la majorité gouvernementale n’acceptera pas plus, en nouvelle lecture, ce qu’elle a rejeté lors de la première, et qu’elle confirmera le durcissement du texte.
Devant l’inflation des contraintes nouvelles, sans rapport avec le projet initial, la présentation d’une motion tendant à opposer la question préalable s’impose. Il s’agit, pour nous, de marquer notre désaccord, tant sur la méthode que sur le fond, face à un texte qui débouche sur un échec et ne répond pas aux espoirs suscités par les États généraux de l’alimentation.
Cependant notre travail ne s’arrêtera pas là. Il se poursuivra par la constitution d’un groupe de suivi et se prolongera, dès après le vote du texte définitif, par une saisine du Conseil constitutionnel sur les dispositions évoquées qui sont contraires à notre Constitution. J’appelle chacun d’entre vous, mes chers collègues, à la cosigner. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Médevielle, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les conditions dans lesquelles s’est déroulée la CMP, dont l’échec nous conduit à siéger aujourd’hui. Les rapporteurs de la commission des affaires économiques les ont clairement exposées, et je partage pleinement leur avis et leur sentiment de gâchis !
Je souhaiterais concentrer mon propos sur quelques sujets dont nous nous étions saisis en première lecture.
Concernant tout d’abord l’article 11 ter, je regrette fortement que l’Assemblée nationale soit allée plus loin qu’en première lecture, notamment sur la question de l’utilisation par la restauration collective scolaire des contenants alimentaires de cuisson, de réchauffe et de service en matière plastique. En les interdisant purement et simplement au 1er janvier 2025, ou au 1er janvier 2028 pour les collectivités de moins de 2 000 habitants, elle adopte une méthode qui me semble tant intellectuellement insuffisante que trop radicale. Intellectuellement insuffisante, car s’il est avéré que ces contenants sont nocifs, pourquoi attendre 2025 pour les interdire ? Trop radicale, dans la mesure où nous n’avons pas, à ce jour, la preuve de leur nocivité, ni celle de l’innocuité des contenants qui viendront les remplacer.
Quant à l’interdiction des bouteilles d’eau plate en plastique dans la restauration collective scolaire, mon sentiment est que nous devrons réfléchir de manière beaucoup plus approfondie et globale – et moins « au coup par coup » – aux problèmes immenses que la production de ce plastique pose aujourd’hui dans le monde.
Je me réjouis en revanche que l’Assemblée nationale ait conservé l’interdiction, dès 2020, des pailles et des bâtonnets mélangeurs en plastique pour boissons, que nous avions adoptée au Sénat. Je suis par contre réservé sur l’extension, à mon sens un peu trop générale, de cette interdiction aux couverts, piques à steak, couvercles à verre jetables, plateaux-repas, pots à glace, saladiers et boîtes en plastique.
Je regrette que l’Assemblée nationale ait supprimé, sur votre initiative, monsieur le ministre, l’article 11 quater A, qui avait été introduit par le Sénat et visait à permettre aux parlementaires de saisir l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, de manière encadrée. Que craigniez-vous donc de la représentation nationale, monsieur le ministre, quand les associations peuvent déjà bénéficier de cette expertise de qualité ?
J’en viens maintenant aux dispositions relatives aux produits phytopharmaceutiques. Sur ce sujet, notre commission avait défendu une position pragmatique, pour répondre aux inquiétudes de nos concitoyens sur les risques sanitaires et environnementaux associés à ces produits, tout en cherchant des solutions de nature à préserver l’activité des agriculteurs.
Je regrette vivement que l’Assemblée nationale ait systématiquement fait le choix de rétablir les dispositions qu’elle avait adoptées en première lecture, sans aucun égard pour les améliorations objectives que nous avions apportées au texte. Je pense notamment aux articles 14, 14 bis et 15 traitant des pratiques commerciales relatives aux produits phytopharmaceutiques et biocides, pour lesquels notre commission avait proposé des solutions particulièrement équilibrées.
À l’article 14 septies, l’Assemblée nationale a inséré une disposition nouvelle relative à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones habitées, qui reprend partiellement la proposition défendue par notre commission en première lecture, privilégiant une concertation préalable avant d’éventuelles restrictions administratives. Toutefois, la rédaction adoptée vise l’intégralité du territoire national, alors que notre commission proposait de mettre à disposition des acteurs de terrain un outil mobilisable selon les circonstances locales.
Enfin, je regrette profondément la suppression de fait de l’article 14 sexies A, inséré sur l’initiative de notre collègue Nicole Bonnefoy et créant un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques. Cet article avait été adopté par notre assemblée à l’unanimité en séance plénière, à l’issue d’un scrutin public, et nous nous étions félicités sur toutes les travées de cette avancée significative. La majorité à l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont proposé, comme seule solution, que la production d’un énième rapport sur le sujet, avec un vague objectif de création d’un tel fonds à l’horizon 2020, dépourvu de toute valeur juridique. Cette décision constitue un vrai recul, monsieur le ministre, mais soyez certain que le Sénat continuera à se mobiliser pour trouver une vraie solution à ce grave problème.
En définitive, nous ne pouvons que déplorer le manque d’ouverture de la majorité gouvernementale sur de nombreux sujets. Nous espérions le maintien de davantage d’améliorations concrètes apportées par le Sénat, ce qui aurait permis de renforcer un texte peu ambitieux depuis l’origine. Faute de moyens et de mesures d’accompagnement suffisants, cette loi ne contribuera que de façon très modeste à la transition vers un modèle d’agriculture plus durable. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Nicole Bonnefoy applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons donc pour examiner en nouvelle lecture le projet de loi ÉGALIM, dont l’objet premier, après les États généraux de l’alimentation, était de rééquilibrer le partage de valeur dans les filières agricoles. Il s’agissait de répondre à une question simple : les agriculteurs pourront-ils enfin vivre décemment de leur travail ? Il semble, malheureusement, que la réponse à cette question soit négative, surtout après l’examen en deuxième lecture du texte par l’Assemblée nationale : le débat et la position du Gouvernement nous ont éloignés de cet objectif.
Aujourd’hui, nous ne pouvons que constater cet échec. Encore une fois, l’urgence que connaît le monde paysan n’est pas traitée de manière satisfaisante, et nous continuerons, au travers de débats, de missions d’information, à faire le constat d’un monde agricole qui se meurt. Car, ne nous y trompons pas, ce projet de loi sans saveur ne pose en aucun cas les bases d’un revenu paysan, alors même que cet élément apparaissait comme prioritaire à l’issue des États généraux de l’alimentation…
Le rétropédalage du Président de la République et du Gouvernement remet en cause une transition agricole que tout le monde semblait vouloir. Je dis bien « semblait », car comme l’a souligné mon ami André Chassaigne lors de son intervention dans la discussion générale à l’Assemblée nationale, le « verbatim » des discours de la majorité présidentielle a grandement évolué et montre une dilution des engagements.
Concernant l’article 1er, tout d’abord, le Président avait affirmé, dans son discours de Rungis, qu’« afin de permettre aux agriculteurs de peser dans les négociations, des indicateurs de marché, des coûts de production et des contrats types par filière doivent être définis ». Aujourd’hui, le verbe « devoir » est remplacé, dans le texte que nous étudions, par le verbe « pouvoir » : nous y lisons en effet que les organisations interprofessionnelles « peuvent » élaborer ou diffuser ces indicateurs, qui « peuvent » servir d’indicateurs de référence, et qu’elles « peuvent », le cas échéant, s’appuyer sur l’observatoire. On en conviendra, entre « devoir » et « pouvoir », le champ des possibles est immense !
Alors que les paysans ont besoin d’être protégés des griffes d’un modèle économique qui les tue un peu plus chaque jour, l’État refuse de s’immiscer dans la construction des prix. Pour les syndicats – y compris la FNSEA –, « en envoyant aux acteurs économiques des injonctions à faire, l’État leur renvoie la responsabilité et refuse d’assumer son rôle de régulateur ».
Ainsi, rien dans ce texte ne permettra la mise en place d’un prix plancher d’achat défini collectivement et prenant directement en compte les coûts de production régionaux. L’interdiction de la revente à perte et la définition d’un prix abusivement bas, ainsi que la prise en compte du revenu paysan dans la construction des indicateurs, ont été systématiquement rejetées. Il en est de même du déclenchement d’un encadrement des marges de la distribution en cas de crise. Que dire aussi du silence qui entoure la question du foncier agricole, en dépit du caractère fondamental de ce sujet ?
De plus, si la commission d’enquête chargée de tirer les enseignements de l’affaire Lactalis recommande aux pouvoirs publics de mieux encadrer et de contraindre davantage les acteurs économiques en matière de sécurité sanitaire, il doit en être de même en ce qui concerne l’équilibre des relations commerciales. En effet, ces mêmes acteurs, de l’industrie à la distribution, ne s’embarrasseront pas de scrupules dans la recherche de la maximisation de leurs profits, qu’il s’agisse de la sécurité alimentaire ou des relations commerciales, au détriment des paysans et des citoyens. Compter sur une responsabilisation des différents acteurs est illusoire. Les agriculteurs n’y croient plus, tant la discussion interprofessionnelle est tronquée du fait du déséquilibre des forces en présence, et ce n’est pas le seul médiateur qui pourra inverser la tendance ; nous le savons toutes et tous.
Nous regrettons aussi que ce texte, de manière grossière, dresse les agriculteurs contre les consommateurs, alors même que la révolution que doit connaître le monde agricole profitera à tous.
Comment accepter le refus de l’étiquetage, qui renforcera la traçabilité et mettra en valeur les modes de production vertueux ? Comment accepter le refus d’inscrire dans la loi l’interdiction du glyphosate, dont on connaît la nocivité pour les agriculteurs et les consommateurs ? Malgré la remise en cause pure et simple du principe de précaution par le rapporteur en première lecture, nous ne pouvons minimiser la condamnation de Monsanto par la justice américaine cet été.
Ce projet de loi ne fait qu’illustrer, une fois de plus, les stratégies de communication du Gouvernement, les promesses trahies, ainsi que la frilosité de la majorité sénatoriale, pour ne pas dire son entêtement à ne pas prendre la mesure des défis climatiques, écologiques et sanitaires auxquels doivent faire face nos agriculteurs.
C’est un énorme gâchis, tant pour la première partie du texte que pour la seconde. Nous n’attendions pas grand-chose de la CMP, si ce n’est un peu de respect pour les travaux du Sénat, qui avaient permis, notamment pour la première partie, quelques avancées… Nous nous abstiendrons sur la motion présentée par la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Franck Montaugé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nouvelle lecture de ce texte par l’Assemblée nationale a été à l’image de la CMP, où aucune discussion n’a été possible, malgré nos propositions et notre volonté de compromis au bénéfice premier des agriculteurs et des consommateurs, comme si les bonnes idées, les propositions originales, justes, pragmatiques, en phase avec les attentes de la société en matière de qualité et du monde paysan en termes de partage de la valeur, ne pouvaient émaner que du Gouvernement et de sa majorité à l’Assemblée nationale. Comme s’il fallait démontrer que la Haute Assemblée est inutile, voire gênante, elle qui représente au Parlement les territoires, sources par excellence de nos productions nourricières de base !
En définitive, cette conception pour le moins restrictive du dialogue aboutit à un texte plat, sans souffle, qui ne réglera rien ou presque. C’est une occasion manquée de répondre au malaise et à la déconsidération que ressentent les agriculteurs.
Que restera-t-il des États généraux de l’alimentation, dont l’organisation était une bonne idée au départ ? Une loi, qui ne règle rien avec certitude pour les agriculteurs ; des plans de filière, en réalité davantage tournés vers la transformation et l’aval que vers la production…
En examinant le texte qui nous a été soumis en nouvelle lecture, nous avons le sentiment de ne pas avoir été entendus sur l’essentiel.
Nous n’avons pas été entendus sur les mécanismes de définition de la juste valeur économique qui doit être reconnue aux producteurs. Nous voulions que ces indicateurs soient validés par l’Observatoire de la formation des prix et des marges et que cet organisme public puisse en proposer lorsque les interprofessions ne le font pas. En définitive, les interprofessions agricoles seront à l’initiative de ces indicateurs, mais, en cas d’échec des négociations, il reviendra à la grande distribution et aux industriels d’en établir. Une fois de plus, ce sera le pot de terre contre le pot de fer, et rien n’aura donc changé !
Nous n’avons pas plus été suivis sur l’instauration du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques – Nicole Bonnefoy y reviendra – ni sur la traçabilité des produits, exigence pourtant croissante des consommateurs.
Vous nous direz peut-être, monsieur le ministre, pourquoi vous n’avez pas retenu notre amendement visant à mieux informer le consommateur ou l’acheteur, par un étiquetage clarifié, sur le pays où le raisin a été récolté et vinifié. C’est une demande récurrente des viticulteurs de France.
La législation sur les relations entre coopératives et associés coopérateurs, que nous souhaitions discuter au Parlement, a été renvoyée à des ordonnances, tout comme la réforme des seuils de revente à perte.
En première lecture au Sénat, 15 de nos amendements, sur 140, avaient été adoptés. La plupart d’entre eux ont été rejetés par l’Assemblée nationale.
En définitive, pour le titre Ier, nous en restons à des aménagements de lois votées précédemment : rien de plus, rien de moins !
De plus, nous craignons que les hypothétiques bénéfices apportés par le présent texte ne soient annihilés par la baisse annoncée du budget de la PAC. Sur ce sujet, nos inquiétudes restent vives.
S’agissant du titre II, les déceptions sont grandes au regard de la nécessité de prendre en compte les attentes fortes de la société.
Je note comme un fait positif, malgré tout, que, contre l’avis du Gouvernement, les députés aient introduit dans le texte notre proposition de mener une étude de la définition et de la mise en œuvre d’une prestation pour services environnementaux rendus par l’agriculture à la société. Nous en reparlerons à propos de la PAC, mais il est grand temps que l’agriculture soit reconnue pour ses externalités positives, pour sa contribution au règlement des grandes questions de société, la transition climatique n’étant pas la moindre d’entre elles.
A contrario, quelle déception que, une fois de plus, le Gouvernement et la majorité de l’Assemblée nationale n’aient pas voulu entendre la détresse des éleveurs des zones défavorisées, où l’exclusion du dispositif des indemnités compensatoires de handicaps naturels, les ICHN, va condamner l’élevage sur des territoires ancestraux de polyculture-élevage. C’est un pur déni de réalité, qui affaiblit économiquement des territoires déjà en difficulté et qui renforce le sentiment des citoyens d’être abandonnés par la République.
À la quasi-unanimité de ses membres, le Sénat demandait que le Gouvernement étudie aussi la possibilité de mettre en place, pour ces territoires, des zones intermédiaires spécifiques, comparables aux zones de piémont. Nous n’avons pas été entendus, et je vous renouvelle, monsieur le ministre, notre invitation à venir vous rendre compte de la réalité du terrain et de la dimension sociale du problème.
Sur le fond, le texte qui nous est soumis aujourd’hui en nouvelle lecture reste très décevant. Il est bien en deçà du minimum que les agriculteurs étaient en droit d’attendre. Il n’améliorera pas significativement leur revenu. Il ne répondra pas non plus aux attentes sociétales de nos concitoyens en matière de qualité, de traçabilité et de sécurité de l’alimentation.
Sur la forme, les débats en CMP ont démontré l’absence de volonté de dialogue constructif avec le Sénat de la part du Gouvernement. C’est une belle occasion ratée, qui engendrera de la déception dans les campagnes, ou pire… Nous attendons de voir comment le Gouvernement défendra l’agriculture française dans la perspective de la nouvelle PAC. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, je tiens à remercier personnellement les excellents rapporteurs de ce projet de loi, Michel Raison, Anne-Catherine Loisier et Pierre Médevielle, ainsi que tous ceux d’entre nous qui ont pris part au travail réalisé en commission et en séance.
L’agriculture et l’alimentation doivent être l’affaire de tous. La discussion de ce projet de loi s’annonçait, après les États généraux de l’alimentation, dans un esprit de dialogue et de conciliation. Parce qu’elle concerne plus d’un million d’agriculteurs qui animent nos campagnes, et chaque Français qui en bénéficie, la valorisation du monde agricole et de la ruralité dans son ensemble est une question vitale pour la France.
Concernant ce projet de loi, les principaux objectifs fixés par le Gouvernement étaient de garantir la souveraineté alimentaire de la France et d’assurer à chacun l’accès à une alimentation saine et durable. Le texte, que nous avons longuement examiné, est le premier jalon de la mise en œuvre de sa stratégie agricole.
Tout d’abord, pour préserver la capacité de production de nos filières et garantir à la France sa souveraineté alimentaire, nous devons renverser la logique de construction des prix, favoriser le regroupement des producteurs, limiter les pratiques commerciales déloyales, telles que la revente à perte, en complément des initiatives législatives européennes.
Tout au long de l’examen du texte au Sénat, le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’est mobilisé pour défendre un modèle agricole économiquement viable pour l’ensemble des acteurs et écologiquement responsable. L’un ne va pas sans l’autre.
Si l’agriculture française doit évoluer, nous devons veiller à accompagner chaque transition pour ne pas heurter une économie déjà fragile et très concurrentielle. Le titre Ier du projet de loi devait tout mettre en œuvre pour permettre aux agriculteurs de vivre décemment de leurs revenus : il s’agit d’une impérieuse nécessité.
À titre d’exemple, notre groupe avait proposé plusieurs orientations.
Tout d’abord, nous avions défendu les enjeux propres à la filière viticole, secteur économique majeur. Nous savons qu’il est le deuxième contributeur à la balance commerciale de la France, après l’aéronautique. Malheureusement, l’Assemblée nationale a décidé de revenir sur une mesure que nous croyons pourtant juste et efficace.
Le même sort a été réservé à l’amendement, adopté au Sénat de façon consensuelle, visant à lutter contre le « chantage à la collecte » du lait et le déréférencement des producteurs.
Dans un deuxième temps, il s’agissait d’assurer à chacun l’accès à une alimentation de qualité, respectueuse de la santé des consommateurs et de l’environnement.
Dans un climat consensuel, le Sénat avait rétabli l’objectif de 20 % de produits issus de l’agriculture biologique dans les repas de la restauration collective. Toutefois, il ne s’agit pas de sacrifier notre agriculture locale au profit d’une production certes sans pesticides, mais parcourant des milliers de kilomètres avant de parvenir dans nos assiettes. Aussi, en complément de cette mesure, avions-nous souhaité favoriser l’approvisionnement local dans la restauration scolaire, pour promouvoir l’ancrage territorial de l’alimentation. La promotion des circuits de proximité, prenant en considération le bilan carbone, est un objectif de la PAC depuis l’adoption, en juin dernier, de la proposition de résolution européenne sur l’avenir de la politique agricole commune.
Il s’agit, à la fois, d’une question de souveraineté alimentaire et d’une garantie de qualité au regard des législations agricoles des pays extérieurs.
L’accès à une alimentation saine nécessite une éducation suffisante du consommateur et une information lisible, fiable et accessible. Aussi ma collègue Colette Mélot a-t-elle défendu un amendement visant à rétablir à 2019 l’entrée en vigueur de l’obligation d’indication de l’origine du miel. C’était une mesure de bon sens !
Comme nous avons eu l’occasion de le dire en première lecture, nous pensons qu’il convient de clarifier l’étiquetage des denrées alimentaires contenant du minerai de viandes, qui représente plus de 15 % de la viande bovine commercialisée en France.
Enfin, l’agriculture étant un sujet éminemment européen, nous avons défendu une disposition visant à évaluer les engagements de la France concernant les finalités de sa politique européenne et internationale en faveur de l’agriculture et de l’alimentation.
Je regrette sincèrement l’échec de la commission mixte paritaire du 10 juillet dernier. Elle aurait pu permettre d’aboutir à un texte équilibré entre les deux assemblées. Nous ne pouvions pas faire l’impasse sur le dialogue s’agissant d’un projet de loi aussi important. Or la majorité des dispositions adoptées au Sénat, soutenues par l’ensemble des sensibilités politiques, ont été supprimées à l’Assemblée nationale, si bien que le texte que l’on nous soumet aujourd’hui est une copie presque conforme de celui que nous avons examiné voilà quelques mois.
Nous ne sommes pas dupes. Clemenceau disait que « le Sénat est la raison de la République » ; perdez la raison, et la République suivra ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi aujourd’hui soumis à notre examen manque cruellement d’ambition : cela a déjà été dit et répété, tant dans cet hémicycle qu’en dehors, les syndicats agricoles et les ONG environnementales ayant affirmé leur déception devant ce texte.
En ce qui concerne la rémunération des agriculteurs, l’État refuse d’assumer le rôle de régulateur de la puissance publique. Il s’agit pourtant d’une impérieuse nécessité !
À l’heure où, force est de le constater, de nombreux agriculteurs se trouvent en situation de détresse, où la biodiversité s’effondre, où les études sur l’impact des pesticides sur la santé s’accumulent, ce texte ne trace aucune grande orientation, aucune ligne claire pour amorcer la transition de notre agriculture vers un système vertueux, propre à rémunérer les agriculteurs et à respecter les équilibres environnementaux.
Certes, il y a eu quelques avancées. On a longuement discuté dans cet hémicycle, il y a quelques mois, de l’introduction de 50 % de produits d’origine locale, dont 20 % de produits bio, dans les repas servis par la restauration collective. Cet objectif a été entériné, c’est un point important.
Par ailleurs, je me réjouis que les députés aient voté en faveur d’une obligation d’étiquetage des huîtres permettant de distinguer les huîtres naturelles de celles nées en écloserie. C’est un combat que je soutenais depuis des années dans cet hémicycle.
L’extension de l’interdiction des néonicotinoïdes est également un pas dans la bonne direction pour nos apiculteurs, dont la situation est périlleuse.
Cependant, en dépit de ces petits pas, ce projet de loi entérine des renoncements inadmissibles à nos yeux.
Le refus d’inscrire dans la loi l’interdiction du glyphosate ne nous convient pas. On ne sortira pas des pesticides en se contentant d’incantations.
Il en va de même du refus de définir une distance minimale par rapport aux habitations pour l’épandage de produits phytosanitaires.
Tout aussi incompréhensible est le recul concernant les préparations naturelles peu préoccupantes, l’autorisation de ces solutions alternatives naturelles et sans danger continuant d’être bloquée.
Malgré cette immense déception, refuser le débat en votant cette motion tendant à opposer la question préalable ne me paraît pas souhaitable : on gagne toujours à débattre,…
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. Encore faut-il qu’il y ait un débat !
M. Joël Labbé. … d’autant que la pause estivale a apporté de nouveaux éléments, qui auraient mérité d’être discutés ici. Je pense bien sûr au procès perdu par cette société empoisonneuse qu’est Monsanto contre ce jardinier dont le cancer a été reconnu comme étant en lien avec l’utilisation du glyphosate.
À défaut de débat, j’espère que le projet de loi de finances nous permettra de corriger le tir et de nous orienter enfin de manière forte et déterminée vers une nécessaire et urgente transition. Cependant, les annonces que vous avez faites hier, monsieur le ministre, sont quelque peu inquiétantes : les financements des mesures agroenvironnementales et climatiques et de la conversion vers l’agriculture biologique seraient amenés à diminuer de près de 20 %. Si l’on ajoute à cela les retards de paiement des aides environnementales, l’annonce d’une baisse du budget de l’Agence Bio et la fin du financement des aides au maintien, on pourrait presque croire à une volonté de porter un coup d’arrêt au mouvement vers l’agriculture de demain, pourtant soutenu par de plus en plus d’agriculteurs et de consommateurs.
Enfin, monsieur le ministre, où en êtes-vous de la mise en place des paiements pour services environnementaux, tant attendus ? (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous commençons cette nouvelle session parlementaire en abordant un sujet qui m’est cher : l’agriculture et l’avenir de nos agriculteurs.
Nous devons penser une nouvelle France agricole si nous ne voulons pas que les agriculteurs disparaissent et si nous souhaitons leur permettre de viser des marchés d’excellence en France et à l’export.
Une transformation est nécessaire, car le modèle dans lequel nous sommes aujourd’hui enfermés n’est plus soutenable : le solde extérieur de l’agriculture reste certes positif, mais il est passé de 12 milliards d’euros à 8 milliards d’euros, et les Français doutent de leur alimentation.
Mon groupe l’a rappelé tout au long de nos débats, le projet de loi que nous pourrions examiner aujourd’hui propose cette réforme ambitieuse dont l’agriculture française a besoin.
Depuis le début des États généraux de l’alimentation, l’année dernière, nous affirmons des objectifs clairs, qu’il nous incombe de graver dans le marbre : d’abord, faire en sorte que chaque agriculteur puisse vivre dignement et sereinement du fruit de son travail ; ensuite, rétablir la confiance entre l’ensemble des membres des filières et des interprofessions, afin de sortir des postures et d’aller vers de véritables négociations et compromis ; enfin, répondre aux nouvelles attentes des consommateurs, qu’elles soient sanitaires ou environnementales.
La version du texte adoptée au Sénat nous éloigne de la concrétisation de ces objectifs. Certains articles essentiels ont été supprimés. Toutefois, au regard du bon déroulé des débats au sein de notre hémicycle et de l’ouverture d’esprit dont avait fait preuve le ministre de l’agriculture, le groupe La République En Marche s’était abstenu sur le texte, dans l’espoir d’une commission mixte paritaire conclusive.
Je ne retracerai pas l’intégralité des débats qui ont lieu en juin dernier, mais il me paraît utile de rappeler quelques points dont le souvenir a pu s’estomper à la faveur de la trêve estivale.
En ce qui concerne le titre Ier, j’entends les critiques de certains, qui estiment qu’il faudrait aller dans le sens d’une économie administrée, où l’État se substituerait au marché pour fixer les prix.
Ce que nous proposons, au contraire, c’est que les interprofessions se coordonnent, s’organisent et se responsabilisent pour établir un partage plus juste de la valeur. Nous croyons profondément que ce sont les filières qui sont le mieux à même de construire les outils économiques adaptés à leur activité. Sans consensus au sein des interprofessions, nous n’arriverons jamais à renverser le rapport de force entre les producteurs et la grande distribution. Nous souhaitons donner aux interprofessions le pouvoir de choisir leurs indicateurs et ainsi mettre en place un cadre afin de rendre le marché plus efficace et plus juste pour les producteurs. Ce n’est pas à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires de le faire. L’État ne peut pas imposer d’indicateurs dans le cadre d’une relation contractuelle entre deux entreprises privées.
C’est cette responsabilisation des acteurs qui guide notre philosophie de l’action publique et politique. Nous avons des positions profondément divergentes sur le sujet, mais, afin de rassurer les opérateurs représentés dans les interprofessions, les députés ont adopté un amendement permettant à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires d’évaluer a posteriori l’effet des indicateurs sur les prix payés aux producteurs.
Sur le titre II, j’entends d’autres critiques, selon lesquelles le texte n’irait pas assez loin en matière de politique environnementale et de prise en compte des attentes du consommateur.
Pourtant, le titre II ouvre la voie à la construction d’une véritable éthique de l’alimentation, assortie d’un pacte pour la préservation de l’environnement et pour le respect du bien-être animal.
Si nous nous félicitons de l’accord sur l’introduction de 20 % de produits biologiques dans la restauration collective, nous regrettons vivement la suppression par le Sénat de l’une des mesures phares pour permettre une véritable refonte environnementale de notre modèle agricole : je veux parler de l’interdiction des remises, rabais et ristournes et de la séparation capitalistique du conseil et de la vente des produits phytosanitaires.
Oui, nous pourrions refaire le débat sur le glyphosate : ce serait la septième fois depuis le début de l’examen du texte. Nous sommes tous d’accord ici pour affirmer qu’il faut en finir avec cette substance. Inscrire son interdiction dans la loi servirait-il à quelque chose ? J’en doute.
Le Président de la République a été très clair avec ses homologues européens : la France sortira du glyphosate d’ici à trois ans. C’est encore une fois en nous appuyant sur notre philosophie de responsabilisation des acteurs que nous souhaitons y arriver. Cette méthode trouve sa traduction concrète dans le plan de sortie du glyphosate que vous avez proposé en juin dernier, monsieur le ministre, conjointement avec l’ancien ministre de l’environnement, Nicolas Hulot.
Enfin, je tiens à rappeler que, malgré le caractère passionnel des sujets qui ont été abordés, nous avons tous contribué, dans cet hémicycle, à ce que nos débats se tiennent dans un climat apaisé et fait preuve de sagesse. Nous ne nous sommes pas laissé enfermer dans des débats enflammés qui n’auraient pas fait avancer les choses ; nous sommes restés paisibles et constructifs, ce qui a favorisé la qualité des débats. Nous pouvons nous en féliciter.
C’est confiant en cette sagesse et à la lumière de nos débats que le groupe La République En Marche s’était abstenu en juillet dernier, dans l’espoir que les deux chambres trouvent un accord en commission mixte paritaire. Aujourd’hui, la majorité sénatoriale refuse un nouveau débat sur le texte et s’enferme dans une posture à l’égard de l’Assemblée nationale. Pourtant, près de 40 articles sur 110 ont été adoptés conformes durant la navette parlementaire. Ce débat est donc avant tout instrumentalisé à des fins politiques (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), ce que je déplore. C’est pourquoi nous voterons contre la motion tendant à opposer la question préalable.
Monsieur le ministre, nous vous soutenons et déplorons la posture adoptée par le Sénat. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Didier Rambaud applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Françoise Férat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui en nouvelle lecture est décevant à plus d’un titre.
Il est décevant sur le fond, car ce texte devait être l’expression des conclusions des États généraux de l’alimentation. Ce long moment d’échanges a été apprécié par tous ses participants. Leurs conclusions étaient ambitieuses et avaient suscité de l’envie et de l’espoir, non seulement pour les citoyens, mais aussi pour les agriculteurs.
Comme trop souvent avec ce gouvernement, monsieur le ministre, les discours sont volontaristes et rassurants, mais les textes qui suivent sont minimalistes, voire contradictoires avec la politique annoncée. Vous allez même jusqu’à détricoter ce qui fonctionne, par exemple la sécurisation des pratiques contractuelles et des engagements pluriannuels adaptés à la filière viticole.
Ce texte est décevant aussi sur la forme, en particulier au regard des échanges avec l’Assemblée nationale. En première lecture, les rapporteurs et les sénateurs de tous les groupes ont apporté leur contribution, en tenant compte du fait que les compromis sont essentiels au bicamérisme. Mais, comme c’est le cas pour presque tous les textes, la commission mixte paritaire n’a pas été conclusive, car la majorité de l’Assemblée nationale est restée figée sur les positions du Gouvernement, parfois même en contradiction avec ses propres votes.
Nous ne pouvons pas accepter que notre travail soit sans cesse balayé d’un revers de main par les députés. Alors que, initialement, notre regard était constructif et bienveillant, le texte issu de nos débats a été totalement ignoré. Pourquoi continuer à chercher à améliorer le texte, si nos efforts sont voués à être vains ?
Enfin, ce texte est décevant, voire alarmant, pour notre économie. Je suis inquiète, et mon groupe avec moi, pour nos agriculteurs et pour notre industrie. Je le disais au début de mon propos : vos actes sont trop souvent en contradiction avec vos discours. Les effets économiques de la mise en œuvre des dispositions de ce projet de loi seront nuls, voire dangereux.
Ce rendez-vous devait être l’occasion de revaloriser le revenu de nos agriculteurs. Il devait permettre d’inverser le rapport de force entre producteurs et grande distribution. Ce n’étaient là que des paroles, et les effets attendus de la mise en œuvre de ce projet de loi sont chimériques. En somme, c’est de la poudre de perlimpinpin !
Les députés se sont éloignés de ces objectifs. Ils ont ainsi refusé aux agriculteurs le droit de s’appuyer sur des indicateurs incontestables pour la construction de leur prix grâce à l’intervention de l’Observatoire de la formation des prix et des marges en cas de défaut de l’interprofession : c’est une erreur.
Au rebours des a priori de votre majorité, les agriculteurs réagissent face aux enjeux et portent l’ambition d’un « contrat de solutions ». Mais, monsieur le ministre, vous ne les écoutez pas.
Ce contrat, associant plus d’une trentaine d’organisations agricoles et d’organismes de recherche, intègre toutes les productions, tous les territoires et toutes les filières. Il vise à développer l’innovation, le conseil, la formation et l’adoption des alternatives pour la protection des cultures afin de répondre concrètement aux attentes sociétales en matière d’utilisation des produits phytosanitaires, tout en garantissant la compétitivité de la ferme France.
Au travers de ce contrat, plus de 250 solutions d’avenir ont d’ores et déjà été identifiées en matière de pratiques agronomiques, de recours au numérique, d’innovation variétale ou encore de techniques de pulvérisation et de mécanisation. La proposition de partenariat de ses parties prenantes n’est pas, elle, décevante, mais vous n’en tenez compte nulle part !
Comme je n’en ai pas trouvé trace dans ce texte, j’imagine que vous n’avez pas eu communication de ce contrat, monsieur le ministre. Je vous le remettrai donc tout à l’heure, de la part des agriculteurs. Vous en ferez un bon usage, je n’en doute pas !
Hier, lors de notre déplacement en compagnie de Mme la présidente de la commission des affaires économiques dans la Marne, sur le site du pôle de compétitivité Industries et Agro-ressources, le pôle de la bioéconomie, l’idée de former dans les écoles supérieures de ce territoire les élites de la Nation a été avancée. Cela leur permettrait de mieux connaître les spécificités et les enjeux du monde agricole. Je vous assure qu’elles ne seraient pas déçues ! Les agriculteurs et les techniciens seraient ravis de travailler avec elles sur les perspectives de la ferme France pour les dix prochaines années.
Monsieur le ministre, l’État devrait plus souvent s’appuyer sur les territoires pour accomplir un véritable travail en partenariat. On le voit bien, ce texte en a manqué ! Pour ces raisons, le groupe Union Centriste soutiendra la position de nos rapporteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, je tiens à saluer la détermination de nos rapporteurs, qui ont réalisé un travail remarquable pour traduire de façon lisible la volonté du Sénat et, surtout, son ambition pour la « ferme France », une ambition partagée par les citoyens et les consommateurs français.
Monsieur le ministre, les États généraux de l’alimentation, lancés le 20 juillet 2017, ont fait naître beaucoup d’espoirs parmi les producteurs, les entreprises de commercialisation et de transformation, les consommateurs, notamment en termes d’amélioration des relations commerciales entre distributeurs et entreprises de transformation.
On pouvait imaginer, à l’issue de ces états généraux, que vous alliez véritablement donner des perspectives à la ferme France en promouvant une ambition agricole au sein de l’Union européenne, en pleine négociation du Brexit, à un moment où la France et l’Europe ont besoin de conforter leur positionnement international. Tous les grands pays ont une politique stratégique agricole et une politique d’indépendance alimentaire à moyen terme.
Ensuite sont venues les annonces du Président de la République aux paysans, le 11 octobre 2017 à Rungis : « rassurez-vous, vous allez vivre du juste prix », le but étant « de permettre à tous dans la chaîne de valeur de vivre dignement ». Il ajoutait : « Je le redis très clairement, nous devons permettre aux agriculteurs ne plus dépendre des aides », grâce à des prix rémunérateurs « construits à partir des coûts de production », l’ambition étant à terme de se passer d’un budget agricole qui, je le rappelle, contribue largement au revenu des agriculteurs. Le Président de la République concluait qu’il s’agissait de « permettre à chacune et à chacun d’avoir accès à une alimentation saine, durable, sûre ».
Lors des débats de première lecture au Sénat, une très forte volonté de consensus avait été affichée. Monsieur le ministre, vous ne pouvez pas dire le contraire : dans la perspective de la CMP, le Sénat a élaboré des propositions sur l’ensemble des points en discussion ; l’Assemblée nationale n’en a pas fait autant, elle qui a refusé de débattre. La manière dont cette commission mixte paritaire s’est déroulée est bien éloignée de l’esprit du bicamérisme, de l’affirmation d’une ambition pour l’agriculture de la France… Nous sommes passés de la naissance d’un espoir à l’avortement d’un projet, des annonces fermes du Président de la République à la renonciation aux engagements pris.
Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure, à juste titre, que nous étions intégrés à une économie de marché et soumis au droit européen. Le problème, c’est qu’il y a une incohérence complète entre vos affirmations, que l’on peut partager, et le contenu de ce texte à l’issue de sa deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
Nous partageons totalement le jugement de notre rapporteur sur le titre Ier : il manifeste un véritable renoncement. Ses dispositions concernant les indicateurs régionaux, nationaux et européens sont moins puissantes que celles qui avaient été votées par le Sénat dans le cadre de la discussion de la loi Sapin 2.
Si le Sénat s’apprête à voter une motion tendant à opposer la question préalable, c’est qu’il entend rester fidèle aux positions qu’il a adoptées en première lecture, contrairement à l’Assemblée nationale, qui revient en deuxième lecture sur les votes qu’elle avait précédemment émis ! Par exemple, le Sénat persiste dans sa volonté d’en finir avec la surtransposition des textes européens. On ne peut pas affirmer une position politique puis la renier le lendemain. Les conséquences de la mise en œuvre de ce texte seront terribles pour nos territoires, nos paysans, nos entreprises, nos filières économiques, nos savoir-faire : les surtranspositions les fragiliseront.
Nous partageons également le jugement porté par Anne-Catherine Loisier sur les dispositions du titre II : elles aussi fragiliseront notre économie, nos entreprises, nos territoires. Monsieur le ministre, la majorité du Sénat a voulu que les exigences sanitaires, environnementales et de production auxquelles sont soumis les produits français s’appliquent également aux produits d’importation, faisant suite en cela aux propos du Président de la République. Ce choix du Sénat, il faut le respecter ! L’absence de volonté politique du Gouvernement me surprend vraiment…
Le groupe Les Républicains votera la motion tendant à opposer la question préalable. C’est une question de respect pour les agriculteurs, pour les femmes et les hommes qui travaillent sur nos territoires, pour les consommateurs. On ne peut pas continuer à fragiliser l’indépendance alimentaire de la France. Nous allons établir la facture que représentera la mise en œuvre de ce texte pour la ferme France, pour les consommateurs, pour les agriculteurs, pour notre économie. Comme le disait Charles Péguy, « le triomphe des démagogies est passager, mais les ruines sont éternelles ». (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Françoise Férat a exposé avant moi la déception de notre groupe devant le contenu du texte qui nous est soumis aujourd’hui. Je ne m’attarderai donc pas sur le manque d’ambition économique et sur l’éloignement de la réalité des difficultés des agriculteurs qu’il reflète. Nos doutes sur l’efficacité des dispositions du projet de loi, tel qu’issu de la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, pour revaloriser le revenu des agriculteurs sont plus que sérieux.
Je souhaite exprimer ici les regrets du groupe Union Centriste quant à la méthode adoptée par les députés de la majorité et le Gouvernement.
Au Sénat, les deux rapporteurs au fond, le rapporteur pour avis et l’ensemble des groupes ont travaillé sérieusement en première lecture : qu’ils en soient remerciés. Nous avons eu des débats de fond et nous avons fait des propositions sur tous les titres du texte. L’objectif était clair : amender le projet de loi, mais sans trop l’éloigner des choix des députés, afin qu’il soit ensuite possible de construire ensemble un compromis. Quelle déception de devoir constater que, tant en commission mixte paritaire qu’en nouvelle lecture, la majorité gouvernementale n’a même pas étudié les positions du Sénat.
Je prendrai quelques exemples de mesures qui auraient mérité davantage de considération.
Tout d’abord, nous avions souhaité donner un rôle important à l’Observatoire des prix et des marges dans la construction des indicateurs de prix. C’était une garantie de professionnalisme et d’indépendance dans cette démarche si importante pour le revenu des agriculteurs et si cruciale dans les relations entre les producteurs et les distributeurs. Au lieu de cela, les indicateurs de prix seront élaborés et diffusés par les interprofessions, et l’observatoire n’interviendra qu’a posteriori.
Un autre point de discorde tout à fait regrettable tient à la suppression par l’Assemblée nationale de la création d’un fonds d’indemnisation des victimes professionnelles des produits phytopharmaceutiques. Cette création était une proposition mesurée, adoptée à l’unanimité par la Haute Assemblée. Comment pouvait-on imaginer qu’elle serait rejetée par les députés ?
La volonté de la majorité de l’Assemblée nationale d’interdire sans discernement et dans la précipitation nombre d’objets en plastique, sans même en mesurer les conséquences pour l’emploi, les collectivités, notre industrie, constitue un autre sujet de désaccord.
Sur d’autres points encore, les députés ont eu des intentions contradictoires, et en discuter avec le Sénat les aurait sans doute aidés à retrouver le chemin de la cohérence et de la mesure. Comment comprendre que l’on veuille interdire la production de produits phytosanitaires en 2022 tout en supprimant le fonds d’indemnisation que je viens de mentionner ? Comment comprendre, enfin, que l’on affirme vouloir simplifier les normes tout en en créant de nouvelles encore plus contraignantes ? Manifestement, les positions de l’Assemblée nationale sont fragiles et changeantes. Les discussions sur ce texte ne sont plus possibles aujourd’hui.
En conclusion, à quoi bon débattre de nouveau de tous les articles de ce projet de loi ? À quoi bon adopter des amendements que les députés ne liront peut-être pas ? Cette situation est plus que regrettable pour nos institutions. Le bicamérisme est le garant de la bonne construction de la loi. Pour qu’il puisse jouer son rôle, il faut un respect mutuel entre les deux chambres. C’est dans l’intérêt des Français.
Ainsi, adopter une motion tendant à opposer la question préalable n’est pas renoncer à nos positions ; ce n’est pas non plus abandonner nos prérogatives : c’est surtout tirer une sonnette d’alarme pour nos institutions. Le groupe Union Centriste votera cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Patrick Kanner applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Brexit, la diminution annoncée des dotations de la PAC, les conséquences possibles de l’application du CETA ou du Mercosur soumettent notre agriculture à rude épreuve. Aussi est-il urgent de lui donner les moyens d’affronter ces défis.
Les États généraux de l’alimentation ont suscité beaucoup d’espoirs chez les agriculteurs, qui s’étaient vu promettre un rééquilibrage des relations commerciales et, au fond, la perspective d’une amélioration de leur revenu.
En première lecture, le Sénat a recherché le compromis et l’équilibre sur bien des points. Comme nos collègues rapporteurs l’ont rappelé, la commission mixte paritaire a voulu revenir, de manière totalement inédite, sur des dispositions votées conformes dans les deux chambres : je pense bien sûr à l’article 1er, mesure phare de ce texte sur laquelle elles étaient parvenues à s’accorder.
En effet, s’agissant de la construction des prix, l’Assemblée nationale a opéré un net retour en arrière, en ne garantissant pas l’obligation d’accords interprofessionnels sur les indicateurs, d’une part, et en affaiblissant le rôle de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, d’autre part.
C’est là une occasion manquée d’assurer la détermination d’indicateurs neutres, objectifs et indiscutables. Sans une rédaction plus contraignante, le juste retour de la valeur vers les agriculteurs risque d’être difficile : ceux-ci resteront à la merci de la grande distribution, toujours trop concentrée.
Monsieur le ministre, vous risquez de susciter une grande déception au sein du monde agricole, qui attendait beaucoup de ce texte. Les agriculteurs seront d’autant plus déçus que l’objectif initial de leur garantir un revenu décent est noyé dans un amas d’articles additionnels dont certains vont créer de nouvelles charges, normes et contraintes, parfois irréalistes et souvent sources de déficit de compétitivité.
Par exemple, s’il est souhaitable d’encourager le développement de la filière bio, imposer que 15 % de la surface agricole utile lui soit affectée au 31 décembre 2022 risque de créer de lourds déséquilibres alors qu’elle se développe déjà très bien.
À ce stade, notre seule consolation réside dans le fait que ce texte ne traite que d’une part de la politique agricole. C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous attendons aussi beaucoup d’autres chantiers tels que ceux de la fiscalité, de l’installation, de l’innovation et, bien sûr, des négociations sur la nouvelle PAC, qui devra être porteuse d’une véritable ambition pour l’agriculture européenne et sa stratégie alimentaire.
Espérons que, sur ces sujets, l’horizon sera plus clément pour nos agriculteurs, qui ne demandent qu’à vivre de leur métier, rien de plus… (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous parlons ici d’économie agricole, mais nous parlons avant tout de vies humaines, d’histoires humaines, et, à cet instant, j’ai une pensée émue et reconnaissante pour Paul François, céréalier charentais de 54 ans, président de l’association Phyto-Victimes, empoisonné en 2004 par le Lasso, un herbicide interdit en 2007, et qui se bat seul, depuis plus de dix ans, devant les tribunaux français, pour obtenir d’abord la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie, puis la réparation intégrale par Monsanto du préjudice que lui et sa famille ont subi. Paul François vient en outre d’être durement frappé par un drame familial. Je veux ici rendre hommage à toutes les femmes d’agriculteurs qui, en silence, soutiennent leur mari ou leur compagnon, et qui, très souvent, permettent la libération de la parole de leur conjoint malade. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)
J’ai aussi une pensée pour Fabian Tomasi, ouvrier agricole argentin de 53 ans, chargé de remplir de glyphosate les réservoirs des avions d’épandage et décédé il y a quelques jours des suites d’une neuropathie toxique sévère ; Fabian, que j’avais eu au téléphone, ici au Sénat, le 1er février dernier, alors que nous venions d’adopter la proposition de loi portant création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques ; Fabian qui me disait alors : « Remerciez le Sénat français pour ce qu’il a fait, je suis heureux. Moi, je vais mourir bientôt, mais je pense à tous les autres malades victimes qui pourront en bénéficier. »
J’ai une pensée pour Dewayne Johnson, jardinier municipal américain de 46 ans, atteint d’un cancer incurable du système lymphatique en phase terminale après avoir vaporisé quotidiennement des centaines de litres de Roundup et de Ranger Pro, deux poisons fabriqués par Monsanto, et qui a obtenu en première instance la condamnation de cette firme à lui payer 290 millions de dollars de dommages et intérêts.
J’ai une pensée pour les salariés de Triskalia, coopérative agricole bretonne, qui se battent depuis une dizaine d’années pour obtenir la reconnaissance de leur maladie professionnelle, puis la réparation de leur préjudice, et dont l’histoire avait bouleversé tous les membres de la mission d’information sénatoriale en 2012.
J’ai une pensée pour Dominique Marchal, agriculteur de 60 ans, qui souffre d’un cancer du sang et qui fut le premier exploitant agricole à obtenir la reconnaissance de son cancer en tant que maladie professionnelle.
J’ai, enfin, une pensée très forte pour les familles de Yannick Chesnais, de Frédéric Ferrand, d’Alain Terrade et de Stéphane Sardin, que j’ai personnellement connus et qui sont tous les quatre décédés, victimes des pesticides, dans des souffrances atroces.
Mes chers collègues, ces histoires humaines témoignent du combat que mènent seuls ces hommes et ces femmes pour obtenir reconnaissance et réparation. Leur douleur et celle de leurs familles nous obligent ; ils ne peuvent plus attendre.
Monsieur le ministre, j’ai en tête les propos de campagne du Président de la République, qui annonçait l’interdiction par la loi de l’utilisation du glyphosate mais qui ne tient pas sa promesse aujourd’hui.
J’ai en tête les propos d’Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, qui avait repris en ces lieux, en janvier dernier, sans la moindre gêne, les argumentaires et les éléments de langage des firmes, en défendant des théories qui confinent au négationnisme scientifique.
Je n’ai pas non plus oublié, monsieur le ministre, les propos que vous avez tenus lors de la première lecture de ce texte, quand vous vous êtes opposé, avec des arguments inacceptables, à la création de ce fonds d’indemnisation. Pourtant, c’était possible, car tout était prêt ! Le travail parlementaire avait été réalisé en amont depuis plusieurs années, et corroboré en janvier dernier par un rapport conjoint de l’Inspection générale de la santé, de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’agriculture qui concluait à la pertinence de la création d’un tel fonds d’indemnisation et proposait un mécanisme pour le mettre en place.
Et vous, monsieur le ministre, au lieu de vous appuyer sur ce travail considérable, vous le bafouez en demandant la rédaction d’un énième rapport, parfaitement inutile. C’est d’autant plus grossier que vous m’avez refusé, en première lecture de ce texte, un rapport pourtant ô combien nécessaire sur les « effets combinés » – ou effets cocktails – des produits, qui représentent, nous le savons tous, une véritable bombe à retardement.
Pardonnez-moi, monsieur le ministre, mais on voit bien que tout cela n’a pas de sens, ou plutôt que tout ce qui ne vient pas d’un élu de La République En Marche est rejeté sans aucune bienveillance ! Il s’agit là d’une posture politicienne parfaitement indigne, car les malades n’ont plus le temps d’attendre. Il se pourrait même que, un jour prochain, la responsabilité de l’État soit engagée.
En ce qui nous concerne, monsieur le ministre, sachez bien que nous interviendrons inlassablement jusqu’à la création effective du fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques que nous appelons de nos vœux.
Pour toutes ces raisons, nous voterons la motion tendant à voter la question préalable. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi par Mme Loisier et M. Raison, au nom de la commission des affaires économiques, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (n° 714).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole est à Mme la présidente de la commission, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la commission des affaires économiques a décidé, lors de sa réunion du 19 septembre dernier, sur proposition de ses deux rapporteurs, de déposer une motion tendant à opposer la question préalable à ce projet de loi.
Aux termes de notre règlement, l’adoption d’une telle motion a pour objet de prendre acte que le Sénat s’oppose à l’ensemble du texte ou qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération. Eh bien, le présent projet de loi réussit l’exploit de répondre à ces deux motivations : non seulement le texte qui nous a été transmis ne peut nous convenir, mais tout effort pour l’amender serait inutile, puisque nous savons désormais, à l’issue de la commission mixte paritaire, qu’aucun de nos apports ne serait repris !
Je regrette cet état de fait, car le dialogue est toujours riche, cher Joël Labbé, et la confrontation des convictions source d’amélioration des textes – nous l’avons d’ailleurs démontré à propos du projet de loi ÉLAN. Mais dialoguer avec une assemblée sourde n’est d’aucune efficacité. Nous ne souhaitions pas allonger le processus législatif, ce qui aurait conduit à une troisième lecture à l’Assemblée nationale et aurait ainsi retardé l’adoption de dispositions auxquelles nous croyons certes peu, mais qui seront inscrites dans votre loi et qui sont censées être utiles en vue des négociations de cette fin d’année.
Je vous dois la vérité, monsieur le ministre, et pardonnez-moi d’être directe : le mépris avec lequel le texte du Sénat a été caricaturé, en opposant l’« ancien monde », qui serait englué dans un obscurantisme coupable et vendu aux lobbys, au « nouveau monde », pétri de modernisme, de bonne conscience et de savoir, a été très variablement apprécié au sein de notre hémicycle, y compris par les plus modérés d’entre nous. Heureusement que, lors de la première lecture, le dialogue avec vous n’était pas de cette nature : peut-être y a-t-il, monsieur le ministre, un peu d’ancien monde en vous… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Tous les sénateurs partagent les objectifs assignés à ce texte : augmenter le revenu des agriculteurs et améliorer la qualité de l’alimentation.
En première lecture puis en commission mixte paritaire, nos rapporteurs auront tenté de remédier aux angles morts du texte tout en en préservant les grandes lignes, certes sans enthousiasme débordant ni adhésion aveugle, mais avec une volonté d’ouverture et de compromis qui aurait dû nous permettre d’aboutir. Cela n’a pas été le cas, en raison de l’intransigeance dont ont fait preuve le Gouvernement et sa majorité tout au long du processus.
Cela a été dit à maintes reprises, le rapporteur de l’Assemblée nationale a tout d’abord, de manière sans doute inédite, fait échouer la commission mixte paritaire sur des alinéas qui avaient été adoptés conformes par les deux chambres. Permettez-moi de rappeler qu’une commission mixte paritaire n’est pas censée créer des désaccords ; elle a au contraire pour vocation d’en résoudre. Le Sénat avait joué le jeu, ses rapporteurs proposant de nombreuses rédactions de compromis, qui n’ont même pas pu être présentées…
L’Assemblée nationale a ensuite rétabli en nouvelle lecture la quasi-intégralité de son texte, sans tenir compte des apports essentiels du Sénat. Notre assemblée avait pourtant rééquilibré ce texte sans remettre en cause sa philosophie générale, au terme d’un débat de fond de grande qualité. Je salue l’ensemble de nos collègues qui, sur toutes les travées de cet hémicycle, ont pris part à cette discussion passionnante.
Une lecture attentive du nouveau texte de l’Assemblée nationale révèle même l’ajout de mesures complémentaires substantielles. Outre qu’ils accentuent encore les points de désaccord entre nous, ces ajouts sont clairement contraires à la règle de l’entonnoir et nuisent à la qualité de la loi en la rendant illisible ; il est donc temps que cela cesse.
Sur le fond, monsieur le ministre, le texte transmis au Sénat révèle que les deux chambres ont une vision très différente de l’agriculture.
Le Sénat a formulé des propositions fortes pour l’instauration d’un véritable revenu agricole, contre la hausse des charges imposées aux agriculteurs, contre la surtransposition des normes, pour la sauvegarde de nos coopératives agricoles, pour la mise en place rapide d’une vraie et juste indemnisation des victimes professionnelles des produits phytopharmaceutiques – je salue à cet égard l’intervention très émouvante de notre collègue Nicole Bonnefoy, qui traduisait bien l’état d’esprit du Sénat –, contre l’adoption d’une vision binaire opposant les différentes formes d’agriculture. Je crois que le Sénat s’est ainsi fait l’écho de nos campagnes. Je constate que ses appels n’ont pas été entendus.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ces conditions, vous comprendrez que nous ne souhaitions pas engager une nouvelle lecture de ce projet de loi : la position du Sénat a été largement détaillée en première lecture ; ce n’est pas celle de la majorité, et nous ne sommes pas en mesure de faire évoluer le texte.
Comme l’ont précisé les rapporteurs, la commission des affaires économiques ne baisse pas la garde pour autant. Elle sera extrêmement attentive à la constitutionnalité du texte, à son application et à l’évaluation de celle-ci dans le temps – la commission créera un groupe de suivi dédié –, s’agissant en particulier du revenu des agriculteurs, mais aussi des effets des décisions prises sans recul ni étude par l’Assemblée nationale, enfin à l’écriture des ordonnances – je pense notamment à l’ordonnance relative aux coopératives et à celle qui portera sur l’encadrement des promotions.
En conséquence, mes chers collègues, prenant acte que le Sénat s’oppose au projet de loi et qu’il n’y a plus lieu d’en poursuivre la discussion, la commission des affaires économiques vous invite à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Noëlle Rauscent, contre la motion.
Mme Noëlle Rauscent. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je ne vous le cacherai pas, je regrette de devoir discuter de cette motion tendant à opposer la question préalable.
Sans revenir sur ce que j’ai dit précédemment, j’aimerais rappeler quelques chiffres.
Lors de son dépôt, le projet de loi ÉGALIM comportait dix-sept articles, contre un peu plus d’une centaine à son arrivée au Sénat. Vingt-huit articles ont été votés conformes en première lecture, soit plus d’un quart du texte. Il faut y ajouter une quinzaine d’articles introduits par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. Ce sont donc près de quarante articles qui ont été adoptés conformes pendant la navette parlementaire.
Chers collègues, je ne siège parmi vous que depuis un an, mais je trouve ce ratio plutôt encourageant, et je ne qualifierai pas nos travaux d’« inutiles ». Le dialogue entre nos deux assemblées a bien eu lieu, on ne peut pas le nier. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
Malgré ces éléments chiffrés, vous vous apprêtez à adopter une motion tendant à opposer la question préalable, et ainsi à rejeter le texte sans l’examiner en nouvelle lecture. Si ce n’est là un mépris du bicamérisme, c’est à tout le moins un refus du dialogue et du principe de la navette parlementaire ; c’est comme si le travail effectué en première lecture au Sénat n’avait pas eu lieu, comme si nos équipes avaient travaillé pour rien. (Nouveaux murmures sur les mêmes travées.)
Pourtant, regardons ce qu’il s’est passé en juin dernier ; lorsque la discussion a lieu, nous pouvons arriver à un accord et à un consensus. Je pense à la réforme des coopératives par voie d’ordonnance davantage encadrée, à la possibilité de saisir le juge en référé en cas d’échec de la médiation, à l’incorporation de 20 % de produits bio dans les repas servis en restauration scolaire, à nos débats sur le bien-être animal, à l’interdiction des importations agricoles ne respectant pas les mêmes normes que celles qui sont imposées aux produits français, à diverses mesures issues des travaux des commissions du développement durable des deux assemblées. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Sur d’autres sujets – les indicateurs de prix, la réforme des coopératives, la séparation capitalistique du conseil et de la vente concernant les produits phytosanitaires –, nous avions certes des désaccords, mais ce n’est pas une raison pour refuser de débattre. Sur toutes les travées, mes chers collègues, vous avez salué l’attitude d’ouverture de M. le ministre lors des débats de juin dernier. Pour moi, choisir de ne pas examiner ce texte, c’est nier notre rôle dans la procédure parlementaire ; c’est nier notre travail d’analyse et d’approfondissement ; c’est nier, enfin, l’importance des débats dans notre démocratie. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Une sénatrice du groupe socialiste et républicain. On cherche le responsable !
Mme Noëlle Rauscent. On peut être en désaccord avec la politique du Gouvernement, mais on ne peut pas dénigrer ainsi le débat parlementaire et s’en exonérer. Certes, l’Assemblée nationale a retoqué un certain nombre de dispositions introduites par le Sénat ; vous considérez que le désaccord est si profond qu’il vaut mieux ne pas s’y pencher de nouveau.
Je dois vous le dire, mes chers collègues : j’ai plutôt l’impression que la Haute Assemblée a fait le choix de couper court à toute discussion et décidé de s’enfermer dans une posture déraisonnable de refus du dialogue à coups de communiqués de presse. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
M. Michel Raison, rapporteur. C’est ce qu’a fait l’Assemblée nationale en première lecture ! Ne dites pas n’importe quoi, c’est scandaleux !
Mme Noëlle Rauscent. Est-il souhaitable de s’enfermer dans une telle posture à une époque où le citoyen se pose la question du rôle des élus, et en particulier des sénateurs ? (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe Les Républicains.)
Mme Cécile Cukierman. On ne voit pas beaucoup les parlementaires de La République en Marche sur le terrain !
M. le président. Mes chers collègues, veuillez laisser l’oratrice poursuivre !
Mme Noëlle Rauscent. Est-il opportun de faire des parallèles entre CMP du projet de loi ÉGALIM, CMP du projet de loi ÉLAN et projet de réforme constitutionnelle ? Est-ce à notre avantage de refuser la discussion ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. Nous ne la refusons pas !
Mme Noëlle Rauscent. Vous parlez de stigmatisation du Sénat, mais n’êtes-vous pas en train de stigmatiser l’Assemblée nationale et sa majorité élue il y a à peine un an ? (Vives protestations sur les travées du groupe Les Républicains et sur les travées du groupe socialiste et républicain.) J’ai la désagréable impression que, plutôt que de débattre du fond,…
M. Michel Raison, rapporteur. On touche le fond…
Mme Noëlle Rauscent. … de l’avenir de notre agriculture et de notre alimentation, des conditions de vie de nos agriculteurs, qui font nos campagnes et nos territoires, du virage environnemental que nous souhaitons prendre et de notre rapport aux animaux, vous préférez parler de la forme et utiliser ce débat à des fins purement politiciennes. (Non ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. C’est inacceptable !
Mme Noëlle Rauscent. Je vous ai écoutés, je vous demande maintenant de me laisser parler ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
Les rapporteurs l’ont souligné en commission : « De plus en plus de commissions mixtes paritaires n’aboutissent pas ; ce n’est pas acceptable, et c’est le message fort que nous devons adresser à nos collègues députés. » Le projet de loi ÉGALIM est donc bien pris en otage par la majorité sénatoriale. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Comment peut-on oser dire que le bicamérisme est en cause lorsque les deux chambres n’arrivent pas à se mettre d’accord ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Parlez d’agriculture !
Mme Noëlle Rauscent. Les lignes rouges étaient connues dès l’origine. Les franchir peut rendre difficile un travail commun, mais ne remet pas en cause le bicamérisme.
M. Jean-François Husson. Parlez d’agriculture !
Mme Noëlle Rauscent. Ce n’est pas parce que les idées du Sénat n’ont pas été retenues que l’on peut dire que le Gouvernement et l’Assemblée nationale sont illégitimes. (Protestations sur les mêmes travées.) Le bicamérisme doit rester l’art de la controverse, et non celui du consensus mou.
M. Jean-François Husson. Merci pour la leçon !
Mme Noëlle Rauscent. Le Sénat va-t-il s’enfermer dans une posture de rejet systématique des textes pour « peser » dans les débats à venir ? (Mme Cécile Cukierman s’exclame.) Permettez-moi de croire que cela n’est pas une bonne stratégie… (Parlez d’agriculture ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. Hors sujet !
Mme Noëlle Rauscent. Le bicamérisme doit servir à construire, par étapes successives et dans la confrontation des points de vue, une voie de compromis. Cela a été possible pour d’autres textes – je pense notamment au projet de loi ÉLAN – sur lesquels les désaccords étaient pourtant profonds : ils ont été surmontés grâce à des discussions approfondies, au terme d’une commission mixte paritaire d’une durée inédite,…
M. Jean-François Husson. Grâce aux sénateurs !
Mme Noëlle Rauscent. … comme vous l’avez fait remarquer, madame la présidente de la commission des affaires économiques.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe La République En Marche votera contre cette motion tendant à opposer la question préalable. Je vous invite à faire de même. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Stéphane Travert, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous rassurer : le Gouvernement est très attaché au bicamérisme et j’ai pour vous le plus profond respect. J’en veux pour preuve, s’il en était besoin, nos plus de trente heures de débat en première lecture. Si nous avions voulu faire l’impasse sur les travaux et les réflexions du Sénat, je n’aurais pas pris la peine de vous répondre parfois un peu longuement, comme on a pu m’en faire le reproche…
Nous avons essayé d’avancer ensemble dans un esprit constructif. Il ne nous a pas toujours été possible de nous mettre d’accord, mais cela est bien normal. C’est aussi de cette manière que le débat parlementaire doit progresser. Je ne regrette donc pas les discussions que nous avons eues en première lecture.
Je déplore en revanche que nous ne puissions continuer à avancer aujourd’hui, comme cela a été le cas à l’Assemblée nationale en deuxième lecture, et enrichir encore le texte, notamment sur le sujet essentiel des indicateurs.
À cet égard, j’ai reçu, avant et durant la période estivale, l’ensemble des filières pour connaître l’état d’avancement de leurs travaux sur la définition des indicateurs, afin que nous puissions les diffuser, les partager et les utiliser lorsque le cadre législatif aura été mis en place.
Nous serons à l’heure pour les négociations commerciales. Nous l’avons toujours dit : nous souhaitons que les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, bref tous les acteurs des interprofessions et des filières, puissent se saisir des outils à leur disposition pour créer des prix justes et rémunérateurs.
J’entends bien que cela puisse poser question aujourd’hui, mais si nous ne faisons rien, si nous restons les bras ballants en attendant que la grande distribution impose ses tarifs comme elle a l’habitude de le faire depuis un certain nombre d’années, nous n’en sortirons jamais ! (M. Daniel Gremillet s’exclame.) Nous fixons un cadre assorti de réponses graduées et de sanctions, dans lequel les interprofessions pourront demain évoluer, et nous nous appuyons sur les engagements pris par les filières lors de la signature d’une charte, le 14 novembre dernier : je saurai les leur rappeler au moment opportun ! Nous verrons qui assumera ses responsabilités, et qui aura le courage de dire en face aux agriculteurs qu’il ne respectera pas sa signature ! Nous utiliserons alors un certain nombre d’outils et de verrous que nous avons mis en place au travers de ce texte.
J’avais apprécié nos échanges lors de la première lecture,…
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur. Nous aussi !
M. Stéphane Travert, ministre. … empreints de respect et d’esprit constructif, mais je prends acte, tout en le déplorant, de votre choix de ne pas les poursuivre aujourd’hui. Il reste à voter définitivement le texte à l’Assemblée nationale, demain, et à parfaire un certain nombre de feuilles de route, qu’il s’agisse de la sortie du glyphosate et des produits phytosanitaires – nous l’avons entamée et nous tiendrons le calendrier prévu –, du plan pour la bioéconomie et du plan Ambition bio – nous serons au rendez-vous de 2022 pour le passage de 6,5 % à 15 % de la surface agricole utile consacrée à l’agriculture biologique – ou de la légitime indemnisation des victimes des produits phytosanitaires. Je comprends votre émotion, madame Bonnefoy, et nous partageons l’objectif, même si nous divergeons peut-être sur la manière de l’atteindre. Nous avons retenu une méthode plus agile, qui nous permettra d’être plus efficaces en matière d’indemnisation. Cela étant, je suis prêt à retravailler avec vous sur ce sujet, qui nous importe à tous et qu’il n’a jamais été question de traiter à la légère.
Au regard des échanges qui se sont tenus dans cette noble et belle assemblée, le Gouvernement émet bien évidemment un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Henri Cabanel. Quel rendez-vous raté ! Je croyais pourtant très fort aux États généraux de l’agriculture et de l’alimentation, auxquels j’ai participé avec un enthousiasme sincère. Rassembler autour d’une même table tous les maillons de la filière agricole pour cerner les enjeux, poser un diagnostic et élaborer ensemble les solutions : c’est comme cela que je conçois l’élaboration de la loi.
Les objectifs affichés m’ont donc séduit, car je suis profondément attaché à la coconstruction et à la démocratie participative, mais les états généraux se sont arrêtés en cours de route aux portes du Sénat. La loi n’a pas été coconstruite, puisque le Gouvernement n’a tenu compte que de quelques-unes de nos préconisations, revenant au vieux clivage pourtant condamné via une parodie de concertation. Nous ne nous attendions pas à voir tout point de vue divergent écarté par le Gouvernement. La commission mixte paritaire a échoué, car la volonté de ne pas avancer sur les propositions faites était évidente.
Nous aurions aimé qu’une ligne claire se dégage dans la loi définitivement adoptée. Sinon, à quoi bon légiférer ou susciter des espoirs ? Cela ne fait qu’accentuer la défiance des citoyens envers leurs gouvernants. Quelle vision étriquée du bicamérisme ! Nous éprouvons donc de la déception, au regard de notre engagement, de notre travail, de celui de nos collaborateurs, mais aussi de la lassitude, à force de travailler pour rien, d’être méprisés, alors que de l’intelligence commune naît la meilleure des adhésions, à savoir l’acceptation des réformes.
Lors de la convention des chambres d’agriculture, mercredi dernier, j’ai entendu le Premier ministre annoncer la fin de l’allégement des charges pour les travailleurs saisonniers. Résultat : vendredi dernier, dans mon département, l’Hérault, des pomiculteurs ont tronçonné deux hectares de pommiers pour crier leur désarroi. Des centaines d’emplois saisonniers locaux vont disparaître. En effet, outre les arboriculteurs, les maraîchers et les viticulteurs sont également fortement touchés.
Prendre unilatéralement des décisions sans en analyser l’impact, sans expliquer a minima les mutations : est-ce cela, la coconstruction ? Est-ce cela, l’objectif des États généraux de l’alimentation ?
Vous qui vous targuez de représenter la société civile, vous vous êtes bien rapidement dégagés de la réalité du terrain ! Même si les motivations de notre groupe sont différentes de celles de la majorité sénatoriale – notre vision est axée sur l’agroécologie, mes collègues l’ont expliqué dans la discussion générale –, nous voterons cette motion tendant à opposer la question préalable, car nous ne cautionnons pas l’enlisement de notre politique agricole,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Henri Cabanel. … nous ne cautionnons pas la vision timorée et les reniements qui ont abouti à ce texte et aux déceptions qu’il engendre déjà. Nous ne cautionnons pas votre volonté de ne pas écouter le Sénat ! (Applaudissements les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Nathalie Delattre. Mes collègues Franck Menonville et Joël Labbé ont énuméré un certain nombre de dispositions qui devaient absolument être revues, selon nous, avant que le projet de loi n’entre en vigueur. Le Sénat avait réalisé un travail tout à fait remarquable sur ce texte en première lecture.
Je pense, comme la majorité de mes collègues du groupe du RDSE, au nom duquel j’interviens, que nous devions remettre ce texte à l’endroit et sur ses deux pieds, pour qu’il soit en cohérence avec la philosophie et les espoirs exprimés lors des États généraux de l’alimentation.
Je comprends mais regrette profondément le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable, car son adoption ne nous permettra pas de sécuriser les dispositifs de fixation des prix, par exemple, ni d’entendre le Gouvernement sur les raisons profondes qui ont poussé la majorité de l’Assemblée nationale à introduire des dispositions nouvelles dans des articles qui avaient pourtant été adoptés en des termes identiques par les deux assemblées.
Je prendrai un exemple de débat que nous aurions dû avoir, qu’il nous faut avoir, car cette question ne peut se régler en catimini, par l’introduction d’une disposition boiteuse.
Je vise ici les alinéas 8 à 10 de l’article 14 septies relatifs aux zones de non-traitement. En clair, il s’agit de jouer le sort de l’agriculture et de la viticulture et l’avenir de milliers d’emplois à la roulette russe, en invitant autour de la table des associations aux revendications parfois outrancières et jusqu’au-boutistes pour réfléchir à un règlement départemental de traitement, qui s’opposera aux exploitations et qui sera à géométrie variable d’un département à l’autre.
Pourtant, monsieur le ministre, il existe aujourd’hui une agence détenant cette compétence : l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. L’ANSES conduit en effet les actions d’évaluation des risques pour l’homme, l’animal ou l’environnement et édicte des prescriptions qui s’imposent aux exploitants.
Au travers de cette disposition, c’est la direction d’évaluation des produits réglementés de l’ANSES que vous discréditez. Si vous avez le moindre doute, interdisez purement et simplement la commercialisation et l’utilisation des produits ! Il faut cesser de faire planer la peur ! Nous devons avancer sur ce sujet. J’ai des propositions à vous faire, à l’instar de votre task force.
Pour toutes ces raisons, et d’autres encore, le groupe du RDSE votera contre motion tendant à opposer la question préalable. Nous estimons que les débats doivent avoir lieu. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Guillaume Gontard. La majorité sénatoriale nous propose d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable et, ainsi, de ne pas discuter une nouvelle fois de ce texte si attendu. Nous sommes surpris et navrés que le débat démocratique aboutisse à une telle impasse.
Pourtant, avec les États généraux de l’alimentation, le Gouvernement avait placé haut la barre de nos espérances démocratiques. Cette grande consultation avait rencontré un vif succès et abouti à un riche vade-mecum de propositions ambitieuses.
Malheureusement, dès le conseil des ministres, le projet de loi décevait ces espoirs. Malgré les tentatives de certains députés de la majorité, la première version adoptée par l’Assemblée nationale n’était guère plus à la hauteur des enjeux.
Lors de l’examen du texte par le Sénat, nous avions trouvé un large compromis pour améliorer les mécanismes du titre Ier, notamment pour lutter contre le « chantage à la collecte » ou définir un seuil de revente à perte. Le Gouvernement, marquant une nouvelle fois le peu de cas qu’il fait du travail parlementaire, n’a pas cherché à construire sur ce compromis. Ce refus nous conduit à cette impasse démocratique et pourrait nous inciter à voter en faveur de l’adoption de cette motion.
Cependant, les débats qui se sont tenus au Sénat sur le titre II n’ont pas du tout été à la hauteur des enjeux. Pour l’essentiel, les minces avancées introduites par l’Assemblée nationale ont été balayées par la majorité sénatoriale. Je pense à l’encadrement de l’utilisation des pesticides, à la transparence de l’étiquetage alimentaire, à l’emploi des ustensiles en plastique dans l’alimentation, ainsi qu’à des mesures qui visaient à la reconnaissance des spécificités de nos territoires : reconnaissance des petites fermes, encadrement de l’usage de l’appellation « fromage fermier », semences paysannes…
L’histoire est parfois cruelle. J’ai encore en tête les mots de notre rapporteur pour avis : « Le caractère cancérigène du glyphosate paraît improbable » ! Le verdict historique du procès Dewayne Johnson/Bayer-Monsanto bat en brèche cette affirmation. Demain s’ouvrira en Isère le procès intenté à cette même multinationale par la famille Grataloup, dont le fils Théo est atteint de malformations congénitales transmises par la mère, qui a manipulé du Roundup durant sa grossesse. Et je ne parle pas des nombreux autres agriculteurs empoisonnés ! Combien de drames faudra-t-il pour que l’on dise enfin « stop » ?
Comme pour le plomb ou l’amiante, prendre une décision rapide et courageuse s’impose. Sortir en trois ans de l’utilisation de ce poison, ce n’était pourtant pas une proposition déraisonnable. Incompréhensible posture de la majorité, qui refuse d’entendre les aspirations de la société ! Plutôt que Monsanto, nous voulons des coquelicots !
Le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable est aussi le moyen, pour la majorité sénatoriale, de ne pas rouvrir un débat qu’elle n’assume pas et qui la gêne. Le Gouvernement ne soulèvera pas d’objection sur ce point.
Pour dénoncer le mépris démocratique du Gouvernement, sans pour autant donner à la majorité sénatoriale la possibilité de se défausser de sa responsabilité, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Duplomb, pour le groupe Les Républicains.
M. Laurent Duplomb. Au terme de ce débat, je me sens doublement méprisé : en tant qu’agriculteur et en tant que sénateur.
En tant que sénateur, je me sens méprisé eu égard au traitement réservé au travail du Sénat par l’Assemblée nationale et sa majorité. Ayant participé à la commission mixte paritaire, j’ai vu à l’œuvre la tactique qui consiste à tout refuser, à ne rien écouter, à rester complètement dogmatique, à s’arc-bouter sur des principes. Tout a été fait pour que la commission mixte paritaire échoue, de façon à pouvoir revenir non pas au texte initial, mais à celui issu de la première lecture à l’Assemblée nationale, tout en ajoutant encore de nouvelles contraintes pour les agriculteurs.
En tant qu’agriculteur, j’ai ressenti du mépris lors de la discussion de presque tous les articles. Vous serez dans l’incapacité de rééquilibrer les rapports de force entre les cinq centrales d’achat, les 12 000 fournisseurs et les 600 000 agriculteurs. Comment croire que la simple entente au sein de l’interprofession permettra d’y parvenir ? Comment croire que Leclerc et les autres acteurs de la grande distribution renonceront du jour au lendemain à leurs pratiques mafieuses actuelles, simplement parce que le ministre Travert leur aura demandé d’adopter des méthodes plus vertueuses ?
Comment vous justifierez-vous devant tous ces agriculteurs que vous bafouez au travers de multiples articles de ce texte, par exemple en interdisant les remises, rabais et ristournes ou en remettant en cause leur façon de cultiver et les moyens à leurs dispositions pour soigner les plantes malades ? Comment expliquerez-vous aux éleveurs, comme moi, et à leurs épouses qui se lèvent tous les matins pour s’occuper des animaux que vous allez leur imposer votre conception du bien-être animal ?
Les agriculteurs en ont marre, parce qu’ils ne gagnent plus leur vie, parce qu’ils ne sont plus respectés par la société !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Laurent Duplomb. Les discours et les centaines d’amendements des députés de La République en Marche n’auront servi qu’à manifester un complet mépris pour les agriculteurs ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 232 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l’adoption | 276 |
Contre | 49 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi est rejeté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
11
Ajournement du Sénat
M. le président. Mes chers collègues, je constate que le Sénat a épuisé son ordre du jour.
M. le président du Sénat prendra acte de la clôture de cette session lorsque nous aurons reçu le décret de M. le Président de la République portant clôture de la session extraordinaire du Parlement.
Cette information sera publiée au Journal officiel et sur le site internet de notre assemblée.
12
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 2 octobre 2018, sous réserve des conclusions de la conférence des présidents :
À quatorze heures trente :
Ouverture de la session ordinaire de 2018-2019.
Proposition de résolution, en application de l’article 34-1 de la Constitution, sur le pastoralisme (n° 723, 2017-2018).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq :
Explications de vote puis vote sur la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes (n° 489, 2017-2018) ;
Rapport de M. Jean Sol, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 724, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 725, 2017-2018) ;
Ce texte sera examiné conformément à la procédure de législation en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission.
Débat sur la politique énergétique, à la demande du groupe Les Républicains.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
nomination de membres de deux commissions
Le groupe Les Républicains a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et une candidature pour la commission des affaires économiques. Ces candidatures ont été affichées le 14 septembre 2018.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 du règlement, ces candidatures ont été ratifiées. M. Damien Regnard est devenu membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Mme Sylviane Noël est devenue membre de la commission des affaires économiques.
nomination de membres de deux commissions mixtes paritaires
Proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information
La liste des candidats établie par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement, cette liste est ratifiée.
Les représentants du Sénat à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information sont :
Titulaires : MM. Philippe Bas, Christophe-André Frassa et Jean-Pierre Leleux, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Jérôme Durain et David Assouline, Mme Maryse Carrère ;
Suppléants : MM. François Bonhomme, André Gattolin, Michel Laugier, Pierre Ouzoulias, Olivier Paccaud et François Pillet, Mme Sylvie Robert.
Proposition de loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l’information
La liste des candidats établie par la commission des lois a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement ne s’étant manifestée, cette liste a été ratifiée.
Les représentants du Sénat à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi organique relative à la lutte contre la manipulation de l’information sont :
Titulaires : MM. Philippe Bas, Christophe-André Frassa et Jean-Pierre Leleux, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Jérôme Durain et David Assouline, Mme Maryse Carrère ;
Suppléants : MM. François Bonhomme, André Gattolin, Michel Laugier, Pierre Ouzoulias, Olivier Paccaud et François Pillet, Mme Sylvie Robert.
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD