M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Jacques Grosperrin. J’entends les réserves formulées, selon lesquelles il s’agirait d’un simple coup de communication, les règlements intérieurs pouvant assurer l’encadrement souhaité et le code de l’éducation étant déjà précis sur ce sujet, mais j’estime pour ma part que cette proposition de loi est bien plus que cela : c’est un signal fort adressé aux élèves, aux parents, à la communauté éducative, à la société, sur la place de l’école, sur la transmission du savoir, sur le rôle de l’autorité. L’école est un lieu de travail !
Enfin, si l’inscription de cette interdiction dans la loi peut garantir son effectivité, le pragmatisme doit primer sur les postures politiques, qui nous desservent trop souvent. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos.
Mme Laure Darcos. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, notre assemblée examine aujourd’hui une proposition de loi émanant du groupe La République en Marche de l’Assemblée nationale, qui est la traduction d’un engagement de campagne du Président de la République.
La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a amendé ce texte afin de l’expurger des dispositions qui ne sauraient relever du domaine de la loi et d’y inscrire la possibilité d’interdire l’usage du téléphone portable via les règlements intérieurs des lycées. Ces précisions étaient, de mon point de vue, nécessaires, car, monsieur le ministre, ce n’est pas à un juriste comme vous qu’il faut rappeler l’adage romain : plurimae leges pessimae leges. Quand les lois sont trop nombreuses, elles perdent en qualité.
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
Mme Laure Darcos. Fallait-il avoir recours à un tel arsenal législatif quand une circulaire aurait pu suffire ? Les sanctions en cas d’infraction à la loi ne créeront-elles pas des lourdeurs nouvelles et des contentieux inutiles dans ce qui touche à l’éducatif, au pédagogique, à la vie scolaire ? Je ne vous cache pas que je m’interroge sur ce point.
Je sais toutefois que notre droit positif prévoit déjà, depuis la loi de 2010 portant engagement national pour l’environnement, une telle interdiction pour les enfants des écoles maternelles et élémentaires, ainsi que pour les collégiens.
Je ne souhaite pas polémiquer sur la portée concrète de cette interdiction ni entrer dans une opposition stérile. Espérons que cette discussion parlementaire servira à sensibiliser les familles sur les conséquences d’un usage excessif ou inapproprié du téléphone portable par les enfants et les adolescents.
Il est urgent d’agir. Quelques chiffres le prouvent : 86 % des jeunes âgés de douze à dix-sept ans possèdent un smartphone, soit un taux d’équipement supérieur à celui de l’ensemble de la population ; les jeunes âgés de sept à douze ans sont connectés à internet plus de six heures par semaine, ceux âgés de douze à dix-neuf ans plus de quinze heures par semaine, ces chiffres étant d’ailleurs contestés, car jugés sous-estimés ; enfin, 93 % des collégiens sont au-delà du seuil de sédentarité défini par les recommandations internationales.
Nos jeunes sont donc de plus en plus exposés aux écrans. Cette situation n’est pas sans conséquence. De nombreuses études l’ont montré, qu’elles émanent de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, de l’Académie des sciences ou de professionnels de santé reconnus. Toutes pointent les effets désastreux de la surexposition aux écrans : troubles du sommeil, de l’attention, voire difficultés cognitives ou état dépressif.
Nous sommes ici pour nous interroger sur les risques liés à une exposition à des contenus inappropriés dans l’enceinte des établissements scolaires, notamment à l’heure de la récréation et lors de la pause méridienne. En effet, il est à craindre que ces temps partagés puissent être l’occasion d’émulations malsaines liées à des phénomènes de groupe.
Je pense à la consultation de vidéos pornographiques librement accessibles sur les plateformes de téléchargement et de streaming, de sites véhiculant des thèses complotistes, de blogs communautaristes incitant à la violence religieuse et propageant la haine antisémite la plus virulente, ou encore au cyberharcèlement, qui, bien souvent, se prolonge au domicile, ne laissant aucun répit à sa victime.
Dans son récent rapport d’information consacré à la protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles, notre collègue Marie Mercier relève que, dans un contexte d’hypersexualisation via les smartphones, on constate de plus en plus « le développement de comportements sexuels de la part de jeunes enfants, parfois de très jeunes enfants, qui tentent de reproduire entre mineurs des scènes pornographiques, de plus en plus “extrêmes” ».
Oui, mes chers collègues, il est nécessaire de réfléchir à l’usage des terminaux connectés, aux contenus accessibles et aux effets d’une surexposition aux écrans pour les plus jeunes, que ce soit pendant le temps scolaire ou en dehors. Je soutiendrai donc toute initiative qui contribuera à protéger nos élèves. Même si la loi ne me paraît pas être le véhicule le plus souple, l’intention des auteurs de ce texte mérite notre respect.
Enfin, je rappellerai ici que la responsabilité première, en matière éducative, incombe aux familles. L’école ne doit pas être le seul recours. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes unanimes sur la nécessité d’encadrer l’utilisation du téléphone portable à l’école. Dont acte.
S’interroger sur ce sujet, c’est en fait se poser la question, beaucoup plus importante, de la sanctuarisation de l’école et des moyens de la protéger des tyrannies de l’instant.
En effet, si l’école est un lieu de transmission des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être, elle est aussi un lieu de prise de distance par rapport au quotidien, au bruit de la rue, une sorte de sanctuaire laïque et républicain. Comme le disait Jean Zay, « les querelles des hommes doivent rester aux portes de l’école ».
C’était déjà une évidence pour les chefs d’établissement, dont un grand nombre ont interdit l’utilisation des smartphones à l’école.
Pourtant, il a semblé à nos collègues députés que les seuls règlements intérieurs des établissements n’avaient pas une portée suffisante et qu’il était nécessaire de s’appuyer sur un cadre plus sécurisé.
Pour autant, mes chers collègues, monsieur le ministre, légiférer était-il nécessaire ? Le règlement n’aurait-il pas suffi ? Arguments contre arguments, nous ne parviendrons pas à nous convaincre, mais ce qui est sûr, c’est que l’interdiction des téléphones portables dans les établissements relevant d’une promesse de campagne du Président de la République, il fallait que son édiction se sache ! Or un simple décret serait peut-être passé inaperçu…
Vous l’aurez compris, je suis dubitatif quant à l’intérêt d’en passer par la loi. Je m’associe pourtant volontiers à cette démarche, qui envoie un signal d’ordre à une école pouvant apparaître parfois confrontée à une crise d’autorité.
Je veux donc saluer les apports de notre collègue Stéphane Piednoir, qui ont permis de renforcer la cohérence de ce texte. Je pense à l’introduction d’un régime particulier pour les lycées ou à la suppression de mesures bavardes, détaillant par exemple les procédures de confiscation.
Toutefois, monsieur le ministre, mes plus vives interrogations portent sur l’intérêt de débattre quelques heures sur ce sujet alors que tant de grandes réformes que vous portez, avec un réel succès d’ailleurs, ne donneront pas lieu à une seule heure d’échanges dans cet hémicycle.
Mme Sonia de la Provôté. Exactement !
M. Max Brisson. Je veux parler, notamment, de la réforme du baccalauréat, de ses effets sur la réorganisation des lycées ou de la rénovation de la voie professionnelle. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
M. Max Brisson. Certes, ce n’est pas vous qui décidez de ce qui relève du champ réglementaire – les examens, les programmes, l’organisation des filières, c’est-à-dire l’essentiel – ou de ce qui relève de la loi et qui est, en l’occurrence, anecdotique.
Enfin, je m’interroge sur l’ordre des facteurs, monsieur le ministre. Nous avons réorganisé l’accès à l’université avant d’avoir réfléchi sur le baccalauréat. Nous avons renversé l’apprentissage sans avoir accompli un travail de fond sur la voie professionnelle. Nous interdisons aujourd’hui le téléphone portable à l’école, sans avoir examiné de texte sur le numérique ou les effets de l’exposition aux écrans.
Ce dernier sujet est pourtant essentiel. La présidente de notre commission de la culture y attache avec juste raison une grande importance et a rendu un rapport riche en préconisations.
Il est vrai que la révolution numérique transforme l’accès à la connaissance, interroge comme jamais le métier de professeur, bouscule le rapport maître-élève, oblige à repenser la formation initiale des enseignants et rend nécessaire la relance de la formation continue.
C’est de ces sujets, monsieur le ministre, que nous espérons pouvoir un jour débattre, car nous sommes persuadés que vous avez beaucoup de choses à nous dire et un cap à fixer. Quant au Sénat, il aura lui aussi une puissante envie de nourrir ce débat, au travers notamment du rapport sur le métier d’enseignant.
En attendant, puisqu’il faut légiférer sur le téléphone portable à l’école, eh bien légiférons, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais simplement revenir sur deux points.
Tout d’abord, faut-il ou non élaborer une loi sur ce sujet ? Je relèverai, dans ce débat récurrent, un paradoxe.
Vous avez été nombreux à souligner l’importance de la question tout en considérant qu’elle était trop mineure pour mériter de retenir votre intérêt. Cela m’inspire une adaptation d’un autre adage latin : de minimis non curat senator, le sénateur remplaçant le préteur… (Sourires et applaudissements.) Cette attitude contradictoire me surprend. J’estime pour ma part que ce sujet est extrêmement important et qu’en parler est une très bonne chose !
Sortons donc de ce paradoxe et intéressons-nous au fond, à ce sujet de société que constitue la présence des écrans dans nos écoles et nos collèges. J’ai écouté avec beaucoup d’attention tous les intervenants : je tiens à dire que cette discussion parlementaire sera extrêmement utile. Les sujets qui ne relèvent pas de la loi ont vocation à trouver place dans le vade-mecum. Nous aurons à l’avenir un débat législatif plus large sur le numérique. Les travaux accomplis sur ce thème tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat seront pris en compte à ce titre. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne constitue pas l’alpha et l’oméga en ce qui concerne le numérique. D’autres sujets touchant à l’éducation sont importants. La hiérarchie des normes en matière éducative est en effet parfois surprenante, mais cela ne dépend ni de vous ni de moi. Quoi qu’il en soit, ni la réforme du baccalauréat ni celle de l’enseignement professionnel ne sauraient ne pas être discutées au Sénat. J’ai eu de nombreuses occasions, ces derniers temps, de répondre à vos questions sur ces sujets, en séance ou en commission.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements d’enseignement scolaire
Article 1er
Le chapitre unique du titre Ier du livre V de la deuxième partie du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° L’article L. 511-5 est ainsi rédigé :
« Art. L. 511-5. – L’utilisation d’un téléphone mobile ou de tout autre équipement terminal de communications électroniques par un élève est interdite dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges et pendant toute activité liée à l’enseignement qui se déroule à l’extérieur de leur enceinte, à l’exception des lieux et des circonstances dans lesquels le règlement intérieur l’autorise expressément.
« Dans les lycées, le règlement intérieur peut interdire l’utilisation par un élève des appareils mentionnés au premier alinéa dans tout ou partie de l’enceinte de l’établissement ainsi que pour les activités se déroulant à l’extérieur de celle-ci.
« Le présent article n’est pas applicable aux équipements que les élèves présentant un handicap ou un trouble de santé invalidant sont autorisés à utiliser dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre V du livre III.
« La méconnaissance des règles fixées en application du présent article peut entraîner la confiscation de l’appareil par un personnel de direction, d’enseignement, d’éducation ou de surveillance. Le règlement intérieur fixe les modalités de sa confiscation et de sa restitution. » ;
2° (Supprimé)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. L’interdiction du portable dans les écoles est une mesure de bon sens, qui nous conduit à nous interroger sur un sujet plus vaste et plus profond, celui de la place du numérique à l’école.
L’école doit être préservée. Elle doit être un sanctuaire à l’abri de l’air du temps et de la société, qui peut, dans ses diverses évolutions, menacer l’école en tant que lieu de transmission de la connaissance. La violence, la pornographie, la pression du groupe, le mimétisme grégaire sont des illustrations de cette menace.
Internet est une formidable invention, mais nous savons tous qu’il fragilise le rapport forcément vertical, donc inégal, et légitimement hiérarchique entre le professeur et l’élève. Le téléphone portable est son cheval de Troie. Il est donc urgent de préserver et de sacraliser cette indispensable verticalité de l’école, tellement mise à mal en quelques années.
Ne nous racontons pas d’histoire : l’école, et toute la société, ont été prises de vitesse par la technologie. Croire que l’on pourra s’en rendre maître est un leurre, une illusion.
Cela a été rappelé, l’usage du téléphone portable en classe est déjà réglementé, au moins durant toute la durée des enseignements, mais tout le monde fait le constat des dégâts qu’il provoque : problèmes relationnels, troubles de la concentration et de la mémorisation, troubles des apprentissages. Tout cela rend la classe et le milieu scolaire invivables. Nous pouvons tous observer le spectacle affligeant de ce que sont devenues les cours de création du fait de l’omniprésence du portable.
La classe doit être un lieu de silence, préservé de toutes les dérives de la société, sauf à accepter une dénaturation profonde de l’école. L’utilisation du téléphone portable à l’école est donc une véritable calamité. C’est un sujet de société : il suffit de voir combien de parents sont désarmés devant l’ampleur du phénomène. Il n’est plus aucun milieu social où la transmission du goût de la lecture ne soit devenue très difficile, car enfants et adolescents passent des heures de loisir devant des écrans avec leurs copains. Or ce n’est que dans la solitude que peut s’épanouir le goût de la lecture. C’est précisément cette solitude qu’internet fait disparaître.
C’est surtout une grave menace pour l’école, pour l’enseignement. L’école doit être par excellence le lieu de la déconnexion. C’est à l’écart et à l’abri d’internet que peuvent se former les élèves. Ils ont besoin d’être soustraits au monde environnant, à son agitation, à son brouhaha. Plus généralement, l’omniprésence du téléphone portable, c’est le règne de l’image au détriment de l’écrit, le flux de l’information immédiatement disponible, sans prise de distance possible, au détriment de la réflexion. Le professeur, ainsi concurrencé, devient malgré lui animateur pour sauvegarder sa classe.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. François Bonhomme. M. Piednoir parlait de la nécessité, pour l’école, de ne pas être dans la même temporalité que la société. J’irai plus loin en disant que l’école se doit d’être anachronique.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Chacun fait le constat des bouleversements liés au rapport aux écrans que peuvent entretenir nos enfants et nos adolescents, à l’école mais aussi en dehors. À cet égard, il serait illusoire de croire, mon cher collègue Bonhomme, que l’école puisse et doive se couper du monde.
Le simple fait d’interdire ou d’encadrer l’utilisation des téléphones portables à l’école et au collège permettra-t-il de résoudre la problématique soulevée par ce texte ? Je ne le pense pas.
D’ailleurs, le vrai problème, c’est celui du respect de la règle. Pourquoi respecte-t-on ou pas la règle quand on est à l’école primaire ou au collège ? Celles et ceux d’entre nous qui ont été enseignants savent que certaines choses ne se décrètent pas ou ne s’imposent pas d’en haut, par une loi ou une circulaire ; on l’a vu à propos d’autres sujets. On peut demain décider d’interdire le téléphone portable à l’école, mais la question est de savoir pourquoi des enfants vont défier la règle et comment faire face à cette attitude.
Je ne suis donc pas sûre que l’interdiction du téléphone portable soit forcément la réponse aux difficultés des enseignants confrontés à une utilisation non autorisée de cet appareil pendant les heures de cours.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Cécile Cukierman. Ce débat reste à construire si nous voulons réellement répondre à l’enjeu de société que représente l’usage des écrans par les plus jeunes.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 4, présenté par Mme Brulin, M. Ouzoulias et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 511-5. - Dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite.
II. – Alinéa 6, seconde phrase
Remplacer cette phrase par les mots et une phrase ainsi rédigée :
si cette sanction est prévue par le règlement intérieur de l’établissement. Au plus tard à l’issue de la journée, l’appareil confisqué est remis à un des responsables légaux de l’élève ou, à défaut, à ce dernier.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. N’ayant pas du tout utilisé mon téléphone portable cet après-midi, j’ai été très attentif au débat ! (Sourires.)
J’ai bien compris que nous étions tous d’accord sur le fait que les téléphones portables ne devaient absolument pas être utilisés dans les classes. Monsieur Grosperrin, l’étude anglaise que vous avez citée porte précisément sur ce sujet. Je le rappelle, aujourd’hui, les téléphones portables sont déjà interdits dans les classes, au titre de l’article L. 511-5 du code de l’éducation, qui prévoit que l’utilisation par un élève d’un téléphone mobile est interdite dans les écoles maternelles et dans les écoles élémentaires « durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur ». Ma question est simple, monsieur le ministre : comment se fait-il que, aujourd’hui, 50 % des établissements n’appliquent pas la loi ?
M. le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Karam et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après les mots :
par un élève est
insérer les mots :
, sauf pour des usages pédagogiques,
La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Cet amendement a pour objet de rétablir une exception, supprimée par la commission de la culture du Sénat, au principe général d’interdiction de l’usage du téléphone portable dans l’enceinte des établissements scolaires et d’autoriser l’utilisation des appareils électroniques dans un cadre pédagogique, pour l’apprentissage et la formation aux outils numériques.
Il s’agit de remédier à une faille de la rédaction actuelle de l’article L. 511-5 du code de l’éducation, lequel dispose que l’usage des téléphones portables est interdit pendant toute activité d’enseignement. Si une telle interdiction a pu avoir un sens, ce n’est plus le cas aujourd’hui, tant les outils numériques font partie du quotidien de chacun. Il est nécessaire de former les jeunes à leur usage et de considérer les plus-values qu’ils apportent pour l’enseignement.
Ainsi, autoriser l’usage des appareils électroniques dans un cadre pédagogique permettrait d’inscrire dans la loi le renforcement de l’éducation des jeunes au regard des enjeux numériques, en vue de les responsabiliser et de les former aux nouvelles technologies.
Cela a été dit, près de 90 % des jeunes âgés de douze à dix-sept ans possèdent un smartphone. Leur apprendre à utiliser ces outils avec discernement, les accompagner et leur permettre de développer un esprit critique quant à leur usage est de mon point de vue indispensable.
On ne peut méconnaître les plus-values des appareils électroniques sur le plan éducatif. De nombreux professeurs y ont recours dans les enseignements qu’ils dispensent. Pour les élèves, ces outils facilitent les recherches et l’accès à des contenus interactifs. Ils constituent un atout pour les enseignants, qui disposent d’une palette d’outils plus large pour préparer et animer leurs cours. Enfin, l’éducation au numérique est essentielle en vue de l’insertion des élèves dans le monde professionnel.
Nous souhaitons donc rétablir cette exception, afin d’affirmer la dimension éducative de l’usage des appareils électroniques à l’école.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Stéphane Piednoir, rapporteur. La première partie de l’amendement n° 4 vise à revenir à l’esprit de l’article L. 511-5 du code de l’éducation, dont on a expliqué dans quelle insécurité juridique il plaçait certains chefs d’établissement. Il me semble qu’elle est satisfaite par le texte proposé par la commission de la culture.
La seconde partie de l’amendement tend à apporter des précisions relatives à la confiscation. Ses dispositions ne me semblent pas relever de la loi. Il ne paraît pas utile d’inscrire un tel luxe de détails dans un texte de loi.
La commission sollicite donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
L’amendement n° 7 tend à autoriser les téléphones portables à l’école pour des usages pédagogiques. Cet amendement est contraire à la position de la commission, qui a souhaité supprimer cette exception. Cela étant, la rédaction proposée par la commission, qui mentionne des « lieux et des circonstances dans lesquels l’utilisation du téléphone portable peut être autorisée par l’établissement », peut viser les usages pédagogiques. Cela peut être précisé dans le règlement intérieur : l’article 1er, tel qu’il est actuellement rédigé, n’interdit absolument pas de recourir aux téléphones portables pour des usages pédagogiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Michel Blanquer, ministre. L’amendement n° 4 a deux objets, comme l’a rappelé le rapporteur : rétablir l’article L. 511-5 du code de l’éducation dans sa rédaction issue de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement ; prévoir que l’utilisation d’un téléphone portable en méconnaissance des règles fixées à cet article ne peut entraîner sa confiscation que si cette sanction est prévue par le règlement intérieur.
Pour justifier le rétablissement de l’article L. 511-5 du code de l’éducation, les auteurs de l’amendement soutiennent que la quasi-intégralité des établissements interdiraient déjà l’utilisation du téléphone portable dans leurs locaux. L’objet de la proposition de loi est justement de sécuriser ces interdictions, dont la légalité pourrait être contestée, dès lors que si le règlement intérieur peut évidemment encadrer l’utilisation du téléphone portable dans l’enceinte des établissements scolaires, il ne peut pas, en revanche, édicter une interdiction générale et absolue.
Par ailleurs, le Gouvernement souhaite que le principe de l’interdiction de l’utilisation du téléphone portable s’impose dans toutes les écoles et dans tous les collèges, sans qu’il faille s’en remettre à la volonté de l’autorité chargée d’adopter le règlement intérieur, à savoir le conseil d’école ou le conseil d’administration pour les collèges. Ces derniers pourront néanmoins décider, le cas échéant, des lieux et des circonstances dans lesquels l’utilisation du téléphone portable pourrait éventuellement être autorisée.
Les auteurs de l’amendement entendent par ailleurs sécuriser le droit à la confiscation d’un téléphone portable en précisant que cette sanction ne peut intervenir que si elle est prévue par le règlement intérieur. Or l’objet de la proposition de loi n’est pas d’ériger la confiscation du téléphone portable en sanction disciplinaire, au sens de l’article R.511-13 du code de l’éducation. La confiscation représente en l’espèce une simple punition scolaire, constitutive d’une mesure d’ordre intérieur, qui peut être décidée par tout personnel de direction, d’enseignement, d’éducation ou de surveillance de l’établissement.
Dans ces conditions, il semble plus adapté de renvoyer au règlement intérieur le soin de préciser les modalités concrètes de sa mise en œuvre – durée, information des parents, restitution –, plutôt que de les inscrire dans la loi.
La confiscation de l’appareil ne fera par ailleurs pas obstacle, dès lors qu’il s’agit, comme cela a été dit, d’une simple punition, et non d’une sanction disciplinaire, à l’engagement d’une procédure disciplinaire susceptible d’aboutir au prononcé d’une des sanctions prévues à l’article R.511-13 lorsque les circonstances le justifieront, par exemple en cas de récidive ou d’utilisation portant atteinte à l’image et à la dignité d’un élève ou d’un membre de la communauté éducative.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à l’amendement n° 4.
L’amendement n° 7 a pour objet de rétablir une exception au principe général d’interdiction de l’usage du téléphone portable.
En effet, bien que l’article 1er de la proposition de loi vise à récrire l’article L. 511-5 du code de l’éducation en faisant de l’interdiction le principe général, il paraît opportun de préciser que ces appareils peuvent être utilisés à des fins pédagogiques au regard des évolutions technologiques que connaît la société. Ces usages pédagogiques doivent être encadrés, construits par les enseignants dans le cadre de démarches pédagogiques au service de l’apprentissage des élèves.
C’est une des vertus de cette proposition de loi que d’être beaucoup plus explicite sur la question. Il s’agit de faciliter le travail des équipes de direction et des enseignants, en leur donnant un point d’appui législatif, un repère clair et une base juridique solide.
Nombre d’écoles et d’établissements d’enseignement scolaire ont mené ou mènent des expériences incluant l’utilisation pédagogique des téléphones portables par des élèves, par exemple en tant que simples outils d’enregistrement audio en langues vivantes ou de photographie dans le cas de travaux pratiques en sciences de la vie et de la Terre. Les élèves peuvent également utiliser certaines fonctions de communication par le biais de recherches sur internet. Toutefois, il s’agit là de démarches pédagogiques qui doivent être strictement encadrées, et c’est donc uniquement sous l’autorité du professeur que cela peut se concevoir.
Enfin, le Gouvernement souhaite non seulement ne pas remettre en cause ces expérimentations, mais aussi les encourager, dès lors qu’elles permettent d’associer les représentants de la communauté éducative.
Pour l’ensemble de ces raisons, je suis favorable à l’amendement n° 7.