M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias. (Mme Michelle Gréaume applaudit.)
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, l’expression « lit de justice » désigne, pour les institutions de l’Ancien Régime, une procédure par laquelle le souverain pouvait imposer sa décision au Parlement. (Sourires.) Celui-ci perdait alors son pouvoir discrétionnaire pour ne plus être qu’une chambre d’enregistrement, selon l’adage adveniente principe, cessat magistratus - quand le Prince vient, le magistrat s’interrompt. (Exclamations amusées.)
À lire le texte de la rapporteur de l’Assemblée nationale sur cette proposition de loi, celui de son collègue président de la commission de la culture et des députés de leur majorité, on peut se demander si sa première et seule légitimation ne réside pas dans l’obligation acceptée de satisfaire, selon la même sentence, un engagement pris par le Président de la République à l’occasion de sa campagne.
Ainsi, avec une certaine ingénuité, la rapporteur de l’Assemblée nationale, Mme Racon-Bouzon, tenait les propos suivants : « Comme vous le savez, cette proposition de loi vient mettre en œuvre un engagement pris par le Président de la République lors de sa campagne ; l’objectif est que cette réforme s’applique à partir de la rentrée scolaire de 2018 sous réserve, bien évidemment, du déroulement de nos débats à l’Assemblée, puis au Sénat. » Nous aurions envie d’ajouter : adveniente principe, cessat magistratus, voire une autre maxime encore plus explicite : « si veut le roi si veut la loi » ! (M. Philippe Pemezec rit.) Nous comprenons bien ici que cette forme de servitude volontaire exprime l’inclinaison vers laquelle est entraînée la réforme constitutionnelle en cours.
La proposition de loi est l’instrument de l’initiative parlementaire en matière législative. En l’occurrence, l’Assemblée nationale l’a mise à disposition de l’expression de la volonté présidentielle. Nous savons gré à notre collègue députée de nous laisser encore la liberté de maîtriser le déroulement de nos débats. En revanche, je m’associe aux remerciements adressés à notre collègue Stéphane Piednoir, qui a tenté de faire la part des choses et de donner un peu de substance juridique à un texte qui en était singulièrement dépourvu.
Qu’on en juge ! L’article L. 511-5 du code de l’éducation dispose que « dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite ». Cette rédaction sans ambiguïté marque une interdiction générale de l’utilisation du téléphone dans les établissements cités, tout en laissant la possibilité aux équipes pédagogiques de définir, par le biais du règlement intérieur, les lieux où elle ne s’exercerait pas.
La nouvelle rédaction proposée pour cet article n’apporte aucune extension ou confortation juridique majeure au dispositif actuel. Ses seules plus-values sont l’ajout de la notion d’« équipement terminal de communications électroniques » à celle de « téléphone mobile », la mention explicite dans la loi de la possibilité d’interdire ces équipements dans les lycées par le biais des règlements intérieurs et de pouvoir en autoriser la confiscation de la même façon.
Ces précisions méritaient-elles l’inscription, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi à l’ordre du jour d’une session extraordinaire déjà surchargée par l’examen de textes qui auraient mérité des débats moins entravés ?
Dans les échanges à l’Assemblée nationale ou au Sénat, au sein de notre commission, ont été évoqués une « défaillance » du droit actuel et un vide juridique. Quels sont-ils ? Dans la pratique, aucun exemple ne nous est rapporté de situations dans lesquelles l’actuel dispositif de l’article L. 511-5 du code de l’éducation se serait révélé inapproprié ou aurait placé les équipes pédagogiques dans des situations de fragilité juridique.
Bien au contraire, il aurait été précieux de dresser un bilan des expériences nombreuses ayant permis aux enseignants, dans nombre d’établissements, de mettre à profit la discussion collective sur le règlement intérieur pour engager un débat très utile, avec les élèves et leurs parents, sur les conditions d’utilisation des téléphones.
Pourquoi faudrait-il absolument valider par la loi les bonnes pratiques locales, alors qu’il suffirait de leur donner la publicité qu’elles méritent pour en favoriser la diffusion ? La vérité ne procéderait-elle que du haut vers le bas ? Effaré par la minceur du sujet de cette proposition de loi, je me suis finalement demandé, comme notre collègue Antoine Karam, si son objet inconscient n’était pas de soigner un mal-être général et d’exiger de l’enfant une pondération que l’adulte n’arrivait plus à s’imposer. Quand je vous vois consulter vos téléphones portables, mes chers collègues, je me dis que je suis dans le vrai ! (Sourires.)
M. François Bonhomme. Nous ne sommes plus à l’école !
M. Pierre Ouzoulias. Sur le fond, car il ne faudrait pas que ces ratiocinations nous le fassent oublier, il est urgent d’ouvrir un vaste chantier de recensement, d’évaluation et de confrontation des expériences foisonnantes réalisées dans l’utilisation du numérique pour l’enseignement.
Forte de son indépendance, de ses compétences reconnues dans ce domaine et de son esprit constructif, la Haute Assemblée est à votre disposition, monsieur le ministre, pour engager avec tous les acteurs la réflexion générale sur ces sujets ; c’est peut-être l’utilité de la présente proposition de loi que d’en avoir montré l’urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia de la Provôté. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Sonia de la Provôté. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de prime abord, il peut sembler bien accessoire, au regard des vastes sujets que soulèvent l’école et l’éducation aujourd’hui, de chercher à encadrer l’utilisation, par les élèves, du téléphone mobile dans les établissements d’enseignement scolaire.
À l’heure où se prépare l’évolution de notre Constitution, se pose une fois de plus la question de l’articulation entre la loi et le règlement.
Pour appuyer le paradoxe de la situation, rappelons que la réforme du baccalauréat est, elle, d’ordre réglementaire. Nous n’aurons donc pas – hélas ! – l’occasion d’en débattre dans cette enceinte. Pourtant, quel sujet majeur !
Le texte que nous discutons n’en a pas moins une valeur symbolique importante, puisqu’il rappelle qu’il y a des règles à l’école.
M. Jacques Grosperrin. Exactement !
Mme Sonia de la Provôté. Au travers de cette question de l’usage du téléphone portable, il s’agit bien ici de remettre en évidence la nécessaire organisation de l’autorité à l’école et le rôle tenu par l’éducation nationale et ses représentants, au premier rang desquels les professeurs et les professeurs des écoles.
Le code de l’éducation traite déjà du téléphone portable en son article L. 511-5 : aujourd’hui, son utilisation est autorisée, sauf disposition contraire du règlement. La présente proposition de loi vise à inverser cette règle.
L’entrée du téléphone portable et autres appareils de communication électronique à l’intérieur de l’école représente, bien sûr, un véritable sujet.
On sait que le téléphone portable peut perturber les cours, dissiper et distraire les enfants. On sait que l’émergence d’internet et des réseaux sociaux peut accentuer l’incapacité de certains élèves à se concentrer et à se structurer. Mais on sait aussi que de plus en plus d’établissements et d’enseignants ont pris possession de l’outil numérique dans le cadre des cours. Il faut donc encadrer, mais avec discernement.
Il est une véritable question, qui dépasse de loin celle de l’usage du téléphone portable à l’école : celle de l’éducation au numérique.
Ce texte aborde le sujet via l’utilisation du téléphone portable, mais ce qui constitue l’un des défis majeurs que l’école doit relever aujourd’hui, c’est bien l’éducation au numérique. Néanmoins, cette proposition de loi a le mérite, disons-le, de donner une base à laquelle le corps éducatif pourra se référer pour travailler.
Pour aller plus au fond du texte, on sait que le cadre législatif actuel est incertain et inadapté. Si un nombre élevé d’établissements scolaires pratiquent une interdiction totale du téléphone portable, c’est en l’absence de cadre juridique adapté.
Le code de l’éducation dispose actuellement que « dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite ».
La modification législative qu’il nous est proposé d’adopter s’inscrirait dans un projet éducatif précis et encadré par le personnel éducatif. La voie législative est, d’ailleurs, l’option juridique la plus sûre pour garantir l’effectivité de l’interdiction des téléphones portables.
Mais ce texte vise également à renforcer la formation des élèves à l’utilisation des outils et ressources numériques, qui constitue, je le redis, l’un des principaux défis pour l’éducation au XXIe siècle.
Les chiffres sont éloquents. L’usage des téléphones mobiles se développe de façon exponentielle chez les jeunes : 86 % des jeunes âgés de douze à dix-sept ans possèdent un smartphone ; 63 % des jeunes âgés de onze à quatorze ans sont inscrits à au moins un réseau social ; un collégien passe en moyenne 7 heures et 48 minutes par jour devant un écran…
L’interdiction de l’usage du téléphone portable au sein des établissements scolaires répond à la fois à des enjeux éducatifs et à des enjeux de vie scolaire. Il s’agit de permettre aux enfants et aux jeunes d’évoluer sereinement dans le milieu éducatif.
En effet, l’usage du téléphone portable peut contribuer à l’amplification de situations de harcèlement, ainsi qu’à la diffusion de contenus violents ou d’images pornographiques auprès des plus jeunes. Il peut s’avérer néfaste concernant les temps de récréation, en réduisant l’activité physique, en limitant les interactions sociales entre les élèves et en étant à l’origine d’une part importante des perturbations au sein des établissements – casse, racket ou vol.
L’interdiction de l’usage du téléphone portable au sein des établissements scolaires permettra de garantir aux élèves un environnement favorisant l’attention et la concentration, indispensables à l’activité, à la compréhension et à la mémorisation. De nombreuses études, notamment en neurophysiologie, montrent ainsi que l’utilisation abusive du téléphone portable a une incidence sur le fonctionnement cérébral, notamment sur la capacité de mémorisation et de concentration.
Les articles 3 et 4 de la proposition de loi introduisent le sujet, en remplaçant le terme « sensibilisation » au numérique par le terme « éducation ». Mais encore faut-il donner un contenu à cette éducation… Ce n’est pas notre présidente de la commission de la culture, Mme Catherine Morin-Desailly, qui a de nombreux éclairages à nous fournir sur le sujet, qui dira le contraire !
L’école du XXIe siècle doit former au numérique, en le prenant comme outil d’apprentissage et instrument de vie, qu’il faut savoir manier avec discernement. Nul doute que cette question sera débattue dans cette enceinte à l’avenir ; en tout cas, nous y comptons fortement.
Le groupe Union Centriste apporte son soutien aux avancées que la commission de la culture du Sénat est parvenue à obtenir, s’agissant notamment de l’extension du champ de l’interdiction aux lycées et des modalités de la confiscation, qui ont été précisées.
Nous pouvons nous féliciter que le rapporteur, Stéphane Piednoir, ait retiré du texte des précisions qui transformaient véritablement le code de l’éducation en règlement intérieur d’établissement.
Dans un souci de cohérence et d’exhaustivité, les membres de la commission de la culture ont donc étendu le champ de la proposition de loi aux lycées, en prévoyant un régime d’encadrement spécifique, distinct du régime défini pour les écoles et les collèges.
Afin de sécuriser la pratique de la confiscation et dans le respect de l’autonomie des établissements, ils ont par ailleurs récrit les dispositions relatives à la confiscation, notamment en étendant la faculté d’y procéder aux personnels d’éducation et de surveillance.
Privilégiant l’autonomie des établissements et l’appropriation de la règle par l’ensemble de la communauté éducative, ils ont supprimé les précisions inutiles qui affaiblissaient le rôle du règlement intérieur.
Enfin, fidèle aux orientations du Sénat en matière de qualité de la loi, la commission de la culture a supprimé plusieurs dispositions inutiles ou superfétatoires, dont celles de l’article 2.
Ayons donc ce débat sur l’usage encadré du téléphone portable à l’école, mes chers collègues, mais formulons l’espoir qu’il en appelle un plus vaste ! Nous abordons ici le sujet du numérique à l’école ; il reste plein et entier… Notre groupe est favorable à l’adoption de cette proposition de loi, mais il attend la suite, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Mme Colette Mélot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Jacques Lozach. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous avons à examiner aujourd’hui a été accueillie par nombre d’entre nous avec une certaine circonspection.
Il s’agit, certes, d’une promesse de campagne du Président de la République et il n’est jamais de bon ton de critiquer la volonté de respecter ses engagements, de mettre en accord ses discours et ses actes. Pour autant, nous pouvons sérieusement douter de l’utilité d’une telle démarche, alors que des dispositions de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement fournissent déjà une base juridique appropriée pour l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les établissements scolaires.
L’article L. 511-5 du code de l’éducation dispose ainsi que, « dans les écoles maternelles, les écoles élémentaires et les collèges, l’utilisation durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur, par un élève, d’un téléphone mobile est interdite ».
S’agit-il d’élargir la notion de téléphone mobile pour inclure les appareils électroniques qui n’existaient pas à l’époque de l’adoption de la loi précitée ? Il faut saluer la judicieuse initiative de Mme Racon-Bouzon, rapporteur du présent texte à l’Assemblée nationale, visant à élargir le champ d’application des dispositions de cette proposition de loi, élément oublié dans la rédaction initiale.
S’agit-il de revenir sur la souplesse qu’offre le cadre des règlements intérieurs des établissements scolaires ? Le Gouvernement ne fait malheureusement pas la démonstration de l’irrépressible nécessité de rogner ainsi l’autonomie des établissements scolaires, jetant une pierre supplémentaire dans le jardin de la décentralisation, après que le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a retiré aux conseils régionaux la compétence en matière d’apprentissage.
Peut-être s’agit-il, plus prosaïquement, de la simple volonté d’effectuer une opération de communication politique, au risque d’engendrer une charge administrative supplémentaire ?
Cette proposition de loi va à l’encontre de la simplification législative et réglementaire que nous appelons tous de nos vœux. Le renversement du principe d’autorisation assorti de règles d’interdiction risque de provoquer une inflation des règlements intérieurs, sans parler de la nécessité de prendre en compte l’ensemble des situations susceptibles de permettre un usage encadré de ces dispositifs électroniques.
Je suis bien plus enclin à accorder ma confiance à la capacité d’initiative des communautés éducatives des établissements, permettant une mise en œuvre contextualisée de l’encadrement de l’usage des dispositifs de communication électronique. Par exemple, concernant les règles de saisie des appareils, chaque établissement peut actuellement définir sa politique au regard des considérations locales. Pourquoi priver les acteurs de terrain de leur capacité d’adaptation ?
Par ailleurs, on ne peut que le constater, il ne reste plus grand-chose de la rédaction initiale de la proposition de loi. La commission saisie du texte à l’Assemblée nationale en a même modifié le titre ! L’urgence semble toute particulière pour l’examen de cette proposition de loi, alors même que, selon des propos tenus par un député de la majorité durant les débats à l’Assemblée nationale, un nouveau texte relatif à l’école dans la société du numérique devrait être présenté d’ici à quelques mois. Le Gouvernement serait-il dans l’obligation de se prévaloir de l’instauration de nouvelles dispositions à chaque rentrée scolaire ? Cette proposition de loi, au mieux, n’ajoute rien à l’existant ; au pire, elle risque de complexifier les tâches de régulation au sein des établissements. Pendant les auditions, je n’ai pas noté un grand enthousiasme de la part des représentants des fédérations de parents d’élèves ou des principaux syndicats de chefs d’établissement.
Je ne peux que saluer la suppression, sur l’initiative du rapporteur, de l’article 2, dont le mérite principal était de creuser encore un peu plus le sillon, décidément fertile, des déclarations de principe sans portée normative, alimentant avec allégresse l’inflation législative.
De même, la suppression, à l’article 3, de l’expression « citoyenneté numérique » est une bonne chose, le concept semblant pour le moins évasif, voire problématique. L’apprentissage de la citoyenneté apparaît en effet comme un ensemble cohérent, auquel il ne semble pas nécessaire d’adjoindre des qualificatifs, sauf à estimer que l’on pourrait encourager l’apprentissage des comportements citoyens dans certaines circonstances ou dans certains espaces, et pas dans d’autres.
Nous sommes tous conscients des enjeux inhérents à la diffusion massive des téléphones « intelligents » et des dérives qu’une pratique irraisonnée peut engendrer : problèmes relationnels, isolement, captations vidéo inappropriées, dégradation du climat dans l’établissement, cyberharcèlement, etc.
Les chiffres, souvent rappelés, sont connus : 92 % des jeunes âgés de douze à dix-sept ans possèdent un téléphone portable et 86 % d’entre eux un smartphone. C’est une situation sans précédent, dont les effets débordent très largement le cadre strictement scolaire et interrogent l’évolution de notre société.
Les dérives dans l’usage de ces appareils technologiques ne doivent pas atteindre l’enceinte éducative. C’est néanmoins parfois le cas, et la modification législative aujourd’hui soumise à notre examen semble s’égarer dans une forme de discours performatif. Mais, en l’occurrence, dire n’est pas faire ! On ne voit pas en quoi ce texte et les changements qu’il tend à opérer sont de nature à faciliter la mise en œuvre de la régulation de l’usage de ces appareils électroniques. Le renversement de la logique vers une interdiction générale assortie d’exceptions ne remédiera pas, comme par enchantement, à l’existence de situations potentiellement conflictuelles.
Les difficultés d’application des règles, rencontrées avec certains élèves, voire parents d’élèves, récalcitrants, militent très nettement pour le maintien d’une gestion décentralisée de ces situations. Cela manifesterait, en outre, la confiance placée dans les équipes de chaque établissement au regard de leur capacité à faire vivre et à appliquer concrètement ces principes.
L’absence de réflexion en amont sur le sujet plus vaste de l’éducation au numérique et de l’usage responsable des nouvelles technologies est regrettable, d’autant que Mme la présidente de la commission sénatoriale de la culture, de l’éducation et de la communication vient de présenter un excellent rapport sur cette question. L’Assemblée nationale elle-même travaille sur le thème de l’école dans la société du numérique. Les dispositions de cette proposition de loi auraient certainement été bien plus utilement discutées et travaillées dans le cadre d’une initiative législative plus large, permettant d’appréhender toutes les dimensions de la question. Cela aurait pu être, également, l’occasion d’associer les parlementaires à des travaux préparatoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au travers de l’examen de cette proposition de loi, nous sommes invités à nous prononcer sur notre vision de l’éducation à l’ère du numérique.
Comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, le texte répond à un engagement pris par le Président de la République pendant sa campagne électorale. En posant le principe d’une interdiction de l’utilisation des téléphones portables dans les établissements scolaires, tout en ouvrant la voie à des autorisations possibles, il offre une clarification juridique salutaire et pose, pour reprendre les propos de Mounir Mahjoubi, des « règles pour éviter le pire ».
Les deux plus grandes figures du numérique, Bill Gates et Steve Jobs, avaient déjà tiré la sonnette d’alarme.
En 2007, l’ancien PDG de Microsoft avait lui-même instauré une durée limitée d’exposition aux écrans pour ses enfants et leur interdisait l’usage d’un téléphone portable avant l’âge de quatorze ans. Pour le reste de la société, l’âge moyen de possession d’un premier téléphone est de dix ans. Tous les enfants ne sont pas égaux face aux risques que représente l’usage incontrôlé des nouvelles technologies… « J’échangerai toute ma technologie pour un après-midi avec Socrate », disait pour sa part Steve Jobs.
Nous connaissons déjà les risques, pour les enfants, d’une exposition excessive aux écrans : troubles de l’attention et du comportement, myopie, troubles de l’apprentissage, risques d’exposition aux contenus violents ou pornographiques, cyberharcèlement… La liste est longue, et les jeunes victimes de harcèlement via les réseaux sociaux sont nombreuses. L’école doit rester un sanctuaire !
Nous savons également que les risques de dépression augmentent pour un adolescent avec la fréquentation des réseaux sociaux. Le recul de l’exercice physique et la diminution du temps de lecture sont aussi des effets collatéraux de la dépendance des enfants aux écrans.
Inversement, la London School of Economics a démontré que les résultats scolaires progressaient après l’application d’une interdiction des téléphones portables dans les écoles.
Aussi cette proposition de loi nous apparaît-elle à tout point de vue bénéfique pour préserver l’équilibre des élèves et la qualité de l’apprentissage.
Je me félicite de l’adoption en commission d’un amendement visant à laisser à l’établissement la liberté de définir le mode de restitution de l’objet confisqué. J’avais moi-même déposé un amendement allant dans ce sens. L’adoption de cette disposition permettra de ne pas alourdir le dispositif.
Pour autant, l’utilisation des téléphones et des tablettes à des fins pédagogiques reste possible. Je pense, d’ailleurs, que le numérique est la voie de prédilection vers l’auto-apprentissage et offre des possibilités d’enseignement illimitées ! Ainsi, aux États-Unis, la plateforme dématérialisée HarvardX met à disposition du monde entier des cours de très haut niveau.
Les possibilités de partenariats internationaux, d’échanges de pratiques et de savoirs sont démultipliées avec le numérique. À ce titre, le rapport intitulé « Vers une société apprenante », remis par François Taddei en avril dernier, préconise la mise en place d’un campus national numérique pour fédérer les apports de chaque établissement d’enseignement.
Pour limiter les effets néfastes sur les enfants de l’exposition aux écrans dans le cadre des activités pédagogiques, je défendrai un amendement visant à équiper les écrans utilisés par les élèves de filtres à lumière bleue. Nous le savons, la rétine des élèves les plus jeunes est particulièrement vulnérable à cette lumière émise par les écrans. Cette mesure protectrice pour les enfants serait facile à mettre en œuvre, puisqu’il s’agirait simplement d’installer une application libre et gratuite sur les appareils.
L’adoption de cette proposition de loi sera une première étape vers un équilibre qu’il reste à trouver entre développement technologique et capacité de la société à en faire bon usage.
Aussi, au-delà du texte en lui-même, il s’agira de veiller à sensibiliser l’ensemble de la société à une utilisation maîtrisée des outils numériques, afin de ne pas donner raison à Albert Einstein quand il disait qu’« il est hélas devenu évident aujourd’hui que notre technologie a dépassé notre humanité ». (Applaudissements sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la percée du smartphone parmi les jeunes s’est avérée fulgurante, bien plus rapide encore que celle que l’on constate dans l’ensemble de la population. En 2017, cela a été dit, 86 % des jeunes de douze à dix-sept ans possédaient un smartphone ; surtout, ce taux a quadruplé en six ans. C’est un chiffre inquiétant !
Le téléphone portable ne sert plus uniquement à téléphoner. Une multitude d’usages se sont développés : navigation sur internet, prise de photos, réalisation de films, visionnage de vidéos, jeux et, bien sûr, échange de messages. Ces smartphones soulèvent donc des enjeux pédagogiques et disciplinaires, tout particulièrement au collège, mais pas seulement. Ainsi, la possession de ces outils de communication est de plus en plus fréquente dès l’école élémentaire, ce qui me semble particulièrement inquiétant. Le climat scolaire s’en trouve trop souvent altéré.
Plusieurs raisons m’amènent à me prononcer en faveur de l’interdiction des téléphones dans les écoles et collèges.
Les téléphones portables, tout comme les vêtements, peuvent affirmer des disparités sociales entre enfants. À l’instar de l’initiative prise par certains établissements d’instaurer des tenues obligatoires afin de gommer ces différences, je suis favorable à l’interdiction de ces appareils, pouvant être perçus comme des signes extérieurs de richesse, susceptibles de créer un climat de comparaison malsain et frustrant entre camarades. L’école doit être un lieu d’apprentissage dans lequel les inégalités ne se creusent pas.
J’ajoute que les téléphones portables sont des objets fragiles et onéreux. Ayons donc à l’esprit la responsabilité conférée à un enfant qui en détient un. Racket et responsabilité en cas de détérioration risquent de causer des problèmes dont la communauté éducative, les enfants et les parents d’élèves se passeraient bien volontiers.
Par ailleurs, l’utilisation du portable pendant les cours porte atteinte à la capacité d’attention et de concentration des élèves. Elle conduit à une dispersion peu propice à la réflexion, à la compréhension et à la mémorisation des enseignements. En outre, elle peut favoriser la paresse – les élèves ne cherchant plus les réponses dans leurs connaissances personnelles –, le plagiat et, bien sûr, la « triche » lors des contrôles.
La nouvelle génération dispose d’un accès facilité aux réseaux sociaux sans avoir forcément une maîtrise intelligente de ces nouvelles technologies.
Dans un rapport, les députés ont rappelé les conclusions spectaculaires d’une étude de 2015 de la London School of Economics and Political Science. Selon cette étude, les résultats scolaires augmentent une fois l’usage du téléphone interdit, cette amélioration étant d’autant plus marquée chez les élèves en grande difficulté. Ses auteurs ont conclu que la limitation de l’usage du téléphone portable à l’école pouvait constituer un moyen de réduire les inégalités dans l’éducation.
Mais cette mesure n’aura pas uniquement des effets bénéfiques sur la réussite scolaire. Elle permettra d’engager une politique de prévention des risques du smartphone pour la santé. L’adoption de ce texte s’inscrit également dans une démarche de santé publique.
L’enfance et l’adolescence sont des périodes charnières en termes de construction psychique, physique, physiologique, cognitive. Outre la dépendance aux écrans, on évoque de plus en plus des troubles de l’attention et de la concentration, ainsi qu’une forte agitation en dehors des heures de classe. Du fait de la fameuse lumière bleue des écrans, l’endormissement devient plus difficile et le sommeil perd en qualité.
Les effets des radiofréquences sur la santé des enfants restent mal connus, mais, dans un rapport de 2016, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a déjà souligné que les enfants pouvaient être plus exposés à ces radiofréquences que les adultes, en raison de leurs spécificités morphologiques, anatomiques et physiologiques.
Nous pouvons aussi inclure, dans les impacts sur la santé, les répercussions psychologiques du cyberharcèlement à l’encontre d’un élève ou d’un professeur qui serait filmé ou photographié à son insu, ainsi que celles du visionnage d’un contenu inadapté à un public jeune auquel les enfants pourraient avoir accès en naviguant sur internet hors du contrôle d’un adulte.
Il me semble donc judicieux que l’institution scolaire se fasse un devoir de contrôler l’usage du téléphone lorsque les enfants se trouvent sous sa responsabilité. L’école doit s’adapter à la société numérique ; elle doit également être un garde-fou. Un encadrement par les établissements scolaires est plus que nécessaire pour faire entrer un usage raisonnable du smartphone dans les mœurs des jeunes et retarder ainsi l’âge de détention du premier téléphone portable.
L’école est là pour donner l’exemple aux enfants, mais aussi aux parents. Bien souvent, la prévention assurée dans le cadre scolaire produit ses effets au-delà de l’école et s’étend au cercle familial par la voix de l’enfant. Ne pas agir pour réguler l’usage du smartphone dès le plus jeune âge, c’est peut-être aussi favoriser des retards cognitifs, psychomoteurs et sociaux. Que des enfants sachent utiliser le téléphone de leurs parents avant même de savoir écrire, voire parler, ne me semble pas constituer une avancée. Malheureusement, si ces petits savent partiellement utiliser une tablette ou un portable, c’est parce que les parents ont cédé à une certaine facilité. Un enfant « happé » par un jeu ou une vidéo ne pleure plus, ne s’énerve plus sur le moment, mais il parle moins, joue moins, apprend moins, s’éveille moins et, en définitive, engramme moins. On a peut-être négligé cet aspect des choses dans le plan numérique pour l’éducation lancé en 2015…
Il me semble donc que l’on ne se préoccupe pas assez de la prévention des risques liés au numérique. Les rapports médicaux sont sans appel : il est urgent de prévenir, car nos jeunes, très au fait des nouvelles technologies, sont beaucoup moins informés de leurs méfaits.
Dans cet esprit, il pourrait être intéressant d’envisager le lancement d’une campagne de sensibilisation par les ministères de la santé et de l’éducation nationale. L’expérience menée dans une classe de CM2 en Alsace – « 10 jours sans écran » – avait donné des résultats très positifs et tangibles.