Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Sur les amendements identiques nos 72 et 102 rectifié bis visant à supprimer le régime dérogatoire de prescription tel qu’il a été adopté en commission, c’est une demande de retrait au profit de l’amendement n° 139. À défaut, l’avis sera défavorable.
Même demande de retrait pour l’amendement n° 21 rectifié ; à défaut, avis défavorable.
Enfin, la commission demande également le retrait de l’amendement n° 20 rectifié au profit de l’amendement n° 139. À défaut, avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la présidente, si vous le voulez bien, je me prononcerai pour commencer sur l’amendement n° 139 de la commission, qui concerne la prescription du délit de non-dénonciation de mauvais traitements ou d’agressions sexuelles sur mineur.
Le Gouvernement s’était opposé à l’adoption de cette règle de prescription dérogatoire lors des débats à l’Assemblée nationale en faisant notamment observer que cette disposition lui paraissait sans portée juridique. Cet amendement est différent, car il ne traite pas de la prescription, mais il tend à réécrire l’article 434-3 du code pénal afin de faire de ce délit un délit continu : tant que les mauvais traitements se poursuivent et en l’absence de toute dénonciation, le délit sera commis et la prescription ne commencera donc à courir qu’à la cessation des mauvais traitements.
Si, actuellement, le délit de non-dénonciation de mauvais traitements est instantané, il est constitué chaque fois que se commettent des mauvais traitements ou des agressions et que la personne qui en a connaissance ne les signale pas.
Lorsque les violences ou les agressions sont habituelles et répétées dans le temps, chaque fait nouveau crée une nouvelle obligation de dénoncer et, par conséquent, un nouveau délai de prescription, lequel est désormais de six ans. Il n’est donc peut-être pas indispensable d’en faire un délai continu. Cela étant, en cas de mauvais traitements sur un mineur, identifier de façon isolée chaque infraction commise sur la victime n’est pas toujours très simple. Dès lors, il me semble qu’ériger le délit de non-dénonciation en délit continu peut se justifier. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement donnera un avis de sagesse sur l’amendement de la commission.
Par voie de conséquence, et comme Mme la rapporteur, je demande le retrait des amendements nos 72, 102 rectifié bis, 21 rectifié et 20 rectifié.
Mme la présidente. Monsieur de Belenet, l’amendement n° 72 est-il maintenu ?
M. Arnaud de Belenet. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Madame Benbassa, l’amendement n° 102 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Esther Benbassa. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Madame Rossignol, l’amendement n° 21 rectifié est-il maintenu ?
Mme Laurence Rossignol. Oui, madame la présidente.
Il faut qu’on se comprenne bien, tant le sujet est délicat. Par cet amendement, nous proposons que, lorsqu’une victime veut que soient engagées des poursuites contre quelqu’un qui a été témoin de violences ou de mauvais traitements sans intervenir, le délai de prescription soit aligné sur le délai de prescription des mauvais traitements eux-mêmes, par exemple des violences sexuelles. En effet, il est assez logique que la victime dépose plainte en même temps contre l’auteur et contre celui qui s’est abstenu en laissant faire. Il me paraît donc cohérent de faire débuter simultanément les délais de prescription de l’action contre les faits eux-mêmes et de l’action contre la non-dénonciation.
Je ne suis pas totalement convaincue par ce qui m’a été dit, mais peut-être ne maîtrisé-je pas totalement cette question…
Mme la présidente. Madame Lepage, l’amendement n° 20 rectifié est-il maintenu ?
Mme Claudine Lepage. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. L’amendement de la commission, et vous l’avez salué, madame la garde des sceaux, vise effectivement à créer un délit continu. Mais, tout à l’heure, nous avons considéré que certains faits d’infraction sexuelle devaient être prescrits par délai de trente ans.
Imaginez un enfant victime d’actes incestueux que la famille ne dénoncerait qu’au bout de plusieurs années. Cet enfant est victime certes de l’auteur de ces faits, mais aussi de leur non-dénonciation par l’entourage, qui a favorisé ce grave traumatisme. Pourquoi ne ferait-on pas courir le délai de prescription à compter de la connaissance de l’infraction ? Cela supposerait de remplacer, dans l’amendement de la commission, les mots « ou de continuer à ne pas informer ces autorités tant que ces infractions n’ont pas cessé » par les mots « tant que ces infractions ne sont pas prescrites ».
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 72 et 102 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. En conséquence, les amendements nos 21 rectifié et 20 rectifié n’ont plus d’objet.
Mme Laurence Rossignol. Comment cela ? Ils n’ont pas le même objet !
Mme la présidente. Ma chère collègue, l’amendement n° 139 de la commission visait à proposer une nouvelle rédaction pour les alinéas 6 et 7 de l’article 1er, cependant que les amendements nos 20 rectifié et 21 rectifié tendaient, eux, à modifier la rédaction de l’alinéa 7. Par conséquent, je vous confirme bien qu’ils n’ont plus d’objet. Il vous aurait fallu déposer des sous-amendements à l’amendement de la commission pour qu’il en aille autrement.
Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article additionnel après l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 28 rectifié bis, présenté par Mmes de la Gontrie, Lepage, Rossignol, Blondin et Cartron, M. Courteau, Mmes M. Filleul, Jasmin, Monier, Meunier, Conway-Mouret et Lubin, MM. J. Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour, Temal et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale, après la première occurrence du mot : « mentionnés », sont insérés les mots : « à l’article 434-3 du code pénal et ».
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Le monde est bien fait puisque cet amendement traite précisément du délit de non-dénonciation de mauvais traitements.
Pour ce type de délit, l’action publique se prescrit au bout de six ans. Je vous laisse calculer l’âge de la victime. Par cet amendement, nous proposons de prolonger ce délai de prescription de l’action publique en fixant comme point de départ la majorité de la victime, de manière qu’elle puisse à ce moment-là engager des poursuites.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Cet amendement a le même objet que l’amendement n° 21 rectifié, examiné précédemment : faire courir le délai de prescription de l’infraction de non-dénonciation de mauvais traitements ou d’agressions sexuelles sur mineurs ou personnes vulnérables à partir de la majorité des victimes.
Cet amendement manque de clarté. Il n’est pas possible de reporter le point de départ du délai de prescription à la majorité de la victime, sans autre précision, puisque le délit de non-dénonciation est un délit sans victime directe. Il ne faut pas confondre le délit de non-dénonciation avec les délits ou les crimes qui n’ont pas été dénoncés.
Je vous suggère donc de retirer votre amendement ; à défaut, l’avis de la commission sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Nous ne demandions qu’à être convaincus. Pour autant, nous ne le sommes pas. Sans doute une notion de droit doit-elle m’échapper.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ah !
Mme Laurence Rossignol. Merci de le souligner, monsieur le président de la commission, vous qui notez régulièrement nos copies de droit civil…
Donc, le délit de non-dénonciation est un délit sans victime directe…
Faisons simple : dans le cas d’un enfant victime, entre six et neuf ans, d’abus sexuels de la part de son beau-père sans que l’autre parent intervienne, le délit de non-dénonciation serait réalisé. Le délai de prescription étant de six ans, l’action publique s’éteint quand l’enfant atteint l’âge de quatorze ans. Or, dans la mesure où il bénéficie de la possibilité de faire partir le délai de prescription du crime à sa majorité, pourquoi cette faculté ne lui serait-elle pas offerte s’agissant du délit de non-dénonciation de ce même crime ?
Je veux bien être convaincue, mais, pour le moment, je n’ai rien entendu qui me ferait changer d’avis.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.
M. Arnaud de Belenet. J’ai envie de rejoindre Mme Rossignol sur ce point. L’amendement que nous venons d’adopter propose une construction juridique intéressante : le point de départ du délai de prescription pour l’auteur d’un délit court à compter de la cessation d’un crime commis par un autre. C’est assez innovant, mais c’est assez déconcertant. Si nous faisions courir ce délai à compter de la majorité, notre production juridique y gagnerait en qualité.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Je ne comprends pas comment l’on peut affirmer que l’enfant victime de privations, de mauvais traitements, d’agressions ou d’atteintes sexuelles ne serait pas recevable à se constituer partie civile à l’égard de celui qui n’a pas dénoncé ces faits, leur non-dénonciation ayant permis la continuation de ce qu’il subit. L’argument peut être tout simplement de considérer la non-dénonciation comme un délit devant être prescrit dans le temps de sa commission, au bout de six ans en tant que délit continu, sans rouvrir ce délai à la majorité de l’enfant.
On peut vouloir refuser une prolongation du délai de prescription, mais qu’on ne dise pas que l’enfant n’est pas victime : il est incontestablement une victime ! Ou alors, franchement, je désespère de la justice française. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Article 1er bis (nouveau)
L’article 706-48 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Une telle expertise peut également être ordonnée pour apprécier l’existence d’un obstacle de fait insurmontable rendant impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, en application de l’article 9-3 du code de procédure pénale. »
Mme la présidente. L’amendement n° 128, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. La commission a introduit cette disposition visant à permettre une expertise pour apprécier l’existence d’un obstacle de fait insurmontable pendant la prescription, par exemple une amnésie post-traumatique. Nous proposons sa suppression, car elle ne présente pas, selon nous, d’utilité juridique.
En effet, l’article 9-3 du code de procédure pénale prévoit que l’existence d’un obstacle de fait insurmontable rendant impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique est une cause de suspension de la prescription. Il est inutile de préciser dans l’article 708-48 du code de procédure pénale qu’une expertise peut être ordonnée pour vérifier l’existence d’un tel obstacle ; cette possibilité va de soi. Une telle disposition n’est pas normative.
Au surplus, l’article 708-48 ne traite que des expertises diligentées dans des procédures qui portent sur des crimes ou délits de nature sexuelle ou violente commis contre les mineurs prévus à l’article 708-47. Or l’existence d’un obstacle de fait insurmontable rendant impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique peut se présenter dans n’importe quelle affaire. Il est dès lors injustifié de faire référence à cette hypothèse uniquement pour certaines procédures.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Avis défavorable.
Il est maladroit de considérer cette disposition comme inutile juridiquement, ce qu’elle n’est pas, alors même que le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale comportait, avant son passage devant notre commission, plusieurs dispositions qui avaient davantage leur place dans une circulaire que dans une loi pénale.
Mme la présidente. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.
M. François-Noël Buffet. Nous avons déjà voté cette disposition lors de l’examen, voilà quelques mois, de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles. À l’époque, le Gouvernement l’avait rejetée, en disant vouloir y revenir « plus tard » – je reprends les termes employés. Présentement, le Gouvernement n’en veut toujours pas.
Quelle est la réalité ? L’amnésie post-traumatique peut être aujourd’hui scientifiquement établie. C’est une période pendant laquelle la victime est dans l’impossibilité absolue de pouvoir révéler ce qu’elle a vécu. Cette révélation interviendra à un moment indéterminé à la faveur d’un événement particulier que nous ne sommes pas capables de définir précisément. Au moment où cet événement intervient, la victime revit immédiatement l’ensemble du drame dont elle a été victime.
Ce que nous demandons, c’est que le juge saisi du procès puisse saisir les médecins compétents en la matière – un, deux ou trois, peu importe – pour se faire confirmer l’existence ou non de ce traumatisme, qui, je le répète, peut aujourd’hui être établi sur des critères scientifiques – je n’entre pas dans le détail, mais l’accord sur ce point est assez clair.
À la faveur de cette expertise judiciaire, si l’amnésie post-traumatique est établie, elle constitue ce qu’on appelle « un obstacle insurmontable » qui suspend la prescription. La procédure d’information judiciaire peut alors continuer et les poursuites être engagées. C’est très important pour les victimes d’amnésie post-traumatique. C’est la raison pour laquelle je voterai contre cet amendement du Gouvernement tendant à supprimer un dispositif qui constitue en tout état de cause une avancée.
Je profite des quelques secondes qui me restent pour revenir sur l’amendement n° 127 du Gouvernement qui a été adopté : la prescription, qu’elle soit glissante ou suspendue, constitue dans les faits – qu’on le veuille ou non – un chemin vers l’imprescriptibilité.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 128.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 190 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 345 |
Pour l’adoption | 21 |
Contre | 324 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’article 1er bis.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 191 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 308 |
Contre | 36 |
Le Sénat a adopté.
Article additionnel après l’article 1er bis
Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 22 rectifié, présenté par Mmes Rossignol, de la Gontrie, Lepage, Blondin et Cartron, M. Courteau, Mmes M. Filleul, Jasmin, Monier, Meunier, Conway-Mouret et Lubin, MM. Jacques Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche, Leconte, Marie, Sueur, Sutour, Temal et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article 41 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Si des faits pouvant constituer une infraction relevant des articles 221-1 à 221-5-5, 222-1 à 222-6-1, 222-6-3 à 222-12, 222-14, 222-14-1, 222-14-3 à 222-15, 222-22 à 222-31-2 et 227-25 à 227-27-2-1 du code pénal sont signalés après l’extinction du délai de prescription, le procureur de la République peut diligenter une enquête visant à s’assurer que l’auteur présumé des infractions dénoncées n’a pas commis d’autres infractions dont le délai de prescription n’est pas écoulé. »
La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Le présent amendement vise à traduire la recommandation n° 7 du rapport d’information de la délégation aux droits des femmes en modifiant l’article 41 du code de procédure pénale pour donner la possibilité au procureur d’ouvrir une enquête, même en cas de prescription, en matière d’infraction sexuelle. Comme l’a souligné Mme la rapporteur, Marie Mercier, « c’est déjà la pratique dans nombre de parquets, notamment à Paris ».
En la matière, nous affirmons que la loi peut généraliser les bonnes pratiques, d’autant que l’amendement prévoit une disposition non pas obligatoire, mais bien facultative : le procureur de la République « peut » diligenter une enquête. L’emploi du verbe « pouvoir » et non du verbe « devoir » souligne bien qu’il s’agit d’une possibilité ouverte aux parquets. Il s’agit donc d’inscrire dans le code de procédure pénale une méthode d’investigation déjà existante, mais encore contingente selon les territoires et les politiques pénales menées par chaque procureur.
Cet amendement ne crée pas un « effet a contrario » en sous-entendant « qu’il n’est pas possible de diligenter des enquêtes en cas de prescription », comme cela a pu être affirmé en commission des lois. Il ne prévoit pas qu’une victime de faits prescrits n’a plus le droit de porter plainte en dehors des infractions listées. Simplement, en matière d’infractions sexuelles, comme le recommande le rapport annexé au projet de loi, le fait de mener des investigations pour vérifier que l’agresseur n’a pas fait d’autres victimes est encouragé. Cet amendement participe donc à la lutte contre l’impunité des agresseurs sexuels.
Mme la présidente. Les trois amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 73 rectifié bis est présenté par Mmes Billon et Vullien, MM. Henno, Laugier, Bockel, Janssens, Longeot et Delahaye, Mme de la Provôté, MM. Canevet et Kern, Mme Goy-Chavent, M. Cazabonne, Mme Dindar, MM. Louault, Delcros, Moga et Médevielle, Mmes Tetuanui, Létard, Joissains, Garriaud-Maylam, Vérien, Boulay-Espéronnier, L. Darcos et de Cidrac, M. Brisson, Mme Jasmin, M. Cadic et Mme Bonfanti-Dossat.
L’amendement n° 85 rectifié est présenté par Mme Laborde, M. Arnell, Mme M. Carrère, MM. Collin et Corbisez, Mme Costes, MM. Gabouty et Guérini, Mme Jouve et MM. Labbé, Léonhardt, Menonville et Requier.
L’amendement n° 103 rectifié bis est présenté par Mmes Cohen et Benbassa, M. Collombat, Mme Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud, M. Savoldelli et Mme Apourceau-Poly.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 1er bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le deuxième alinéa de l’article 41 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Dans les cas où des faits semblant constitutifs des infractions relevant des articles 221-1 à 222-10, des articles 222-14 à 222-14-1, des articles 222-22 à 222-31-2 et des articles 227-25 à 227-27-2-1 du code pénal sont signalés après l’extinction du délai de prescription, il peut diligenter une enquête visant à s’assurer que l’auteur présumé des infractions dénoncées n’a pas commis d’autres infractions dont le délai de prescription n’est pas écoulé. »
La parole est à Mme Annick Billon, pour présenter l’amendement n° 73 rectifié bis.
Mme Annick Billon. Le présent amendement vise à modifier l’article 41 du code de procédure pénale pour donner explicitement la possibilité au procureur d’ouvrir une enquête, même en cas de prescription, en matière d’infractions sexuelles.
Même si elle n’aboutit pas sur le plan pénal, l’ouverture d’une enquête peut avoir un caractère réparateur pour les victimes, quand elle leur permet d’entendre des aveux, voire de recevoir des excuses de la part de leur agresseur, dans un contexte où ce dernier ne peut pas être poursuivi en raison de la prescription de l’action publique. Elle permet aussi, dans certaines circonstances, de vérifier que l’auteur présumé des faits dénoncés n’a pas commis d’autres infractions dont le délai de prescription ne serait pas écoulé. L’enjeu peut donc être également d’éviter l’impunité d’éventuels prédateurs sexuels.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour présenter l’amendement n° 85 rectifié.
Mme Maryse Carrère. Il est défendu.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 103 rectifié bis.
Mme Laurence Cohen. Un élément me paraît important à ajouter pour la défense de cet amendement identique : lors des auditions menées par la délégation aux droits des femmes, il a été souligné – le procureur de la République de Paris, François Molins, l’a également dit – que l’écoute de la parole des victimes leur permet aussi de se reconstruire.
Si la parole des femmes s’est libérée, comme le montre l’augmentation des plaintes pour viol et agression sexuelle – 25 % entre septembre et décembre 2017 et 36 % entre janvier et avril 2018 –, le dépôt de plainte relève tout de même d’un véritable parcours du combattant, plus exactement de la combattante.
Cela étant, il faudrait améliorer la formation des professionnels et accorder une attention toute particulière à l’aménagement des locaux des commissariats pour préserver un minimum d’anonymat et d’intimité.
En outre, la répétition étant pédagogique, dit-on, je ne m’en priverai pas : il est important d’allouer des moyens aux associations qui aident les victimes.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. Ces amendements visent à inscrire dans la loi la possibilité pour le procureur de diligenter des enquêtes sur des faits d’infractions sexuelles prescrits. Nous comprenons la volonté des auteurs de ces amendements. Néanmoins, comme cela a été souligné, c’est déjà la pratique dans nombre de parquets, notamment à Paris. Le rapport d’information du groupe de travail de la commission des lois propose d’ailleurs que tous les parquets suivent ce même protocole. Cela prouve bien qu’il n’est pas besoin d’une quelconque modification du code de procédure pénale pour l’envisager.
Surtout, cette disposition serait contre-productive, puisqu’elle créerait un effet a contrario : cela sous-entendrait qu’il n’est pas possible de diligenter des enquêtes en cas de prescription. Or, tous les jours, des enquêteurs diligentent des actes d’enquête sur des faits prescrits, justement pour vérifier que d’autres faits, eux, ne le sont pas !
Dans la mesure où, de surcroît, les amendements limitent l’application de cette possibilité aux infractions sexuelles, une telle mesure constituerait vraiment un signal contre-productif.
La commission a donc émis un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. J’entends les propos de Mme la sénatrice Cohen concernant la formation et l’adaptation des locaux pour accueillir les victimes.
Je comprends la motivation de ces amendements. Pour autant, d’un point de vue purement juridique, leur apport ne me paraît pas absolument nécessaire. En effet, la prescription n’empêche ni le dépôt de plainte ni la réalisation d’une enquête : en application de l’article 15-3 du code de procédure pénale, « la police judiciaire est tenue de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infraction à la loi pénale ».
L’officier de police judiciaire ne peut donc pas refuser de recevoir une plainte pour un motif qui serait tiré de la prescription des faits et devra mener une enquête. La question d’une éventuelle prescription ne sera appréciée que dans un second temps, non par le policier, mais par le procureur de la République, qui pourra ainsi décider, soit de classer la plainte sans suite, soit de la retenir puis de la classer s’il estime que les faits sont prescrits.
De plus, cette solution va évoluer du fait de l’adoption de l’amendement n° 127 du Gouvernement, car celui-ci prévoit que la commission de nouveaux crimes sera une cause d’interruption de la prescription des crimes les plus anciens. Il sera désormais indispensable d’enquêter sur les faits les plus anciens et apparemment prescrits, pour vérifier si leur prescription n’a pas été interrompue.
Ces amendements étant satisfaits par l’amendement n° 127, j’en sollicite le retrait ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
J’ajoute que la direction des affaires criminelles pourra élaborer un guide des bonnes pratiques pour les enquêtes sexuelles, qui ne relève pas, me semble-t-il, du niveau législatif.