compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
M. Dominique de Legge,
M. Victorin Lurel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi relatif à l’élection des représentants au Parlement européen est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Candidatures à deux éventuelles commissions mixtes paritaires
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein des éventuelles commissions mixtes paritaires chargées d’élaborer un texte commun, d’une part, sur la proposition de loi relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération et, d’autre part, sur la proposition de loi portant transposition de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites, que nous allons examiner.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Protection des savoir-faire et des informations commerciales
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, portant transposition de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites (proposition n° 388, texte de la commission n° 420, rapport no 419 et rapport d’information n° 406).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez aujourd’hui débattre de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale qui transpose en droit interne la directive européenne sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales des entreprises.
Il s’agit d’un texte important, car il propose l’introduction dans notre législation d’un dispositif adapté et équilibré de protection du secret des affaires, attendu depuis de longues années. La proposition de loi qui vous est soumise est en effet le fruit d’une réflexion ancienne, très approfondie, au cours de laquelle toutes les parties prenantes auront été en mesure de s’exprimer.
À l’échelon européen, tout d’abord, la directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués a été adoptée en 2016, après la réalisation par la Commission européenne d’une large consultation publique et d’une solide étude d’impact. Les débats devant le Parlement européen ont permis de faire évoluer la proposition de directive afin que soient adoptées des mesures fortes de protection des droits fondamentaux.
En France, ensuite, de nombreux rapports et plusieurs initiatives parlementaires ont porté sur ce sujet au cours des quinze dernières années. Au-delà des clivages politiques, ces différentes initiatives ont mis en exergue l’importance du sujet pour l’attractivité du droit économique de notre pays et pour la préservation de nos intérêts.
Je relève aussi que, sur ce sujet sensible, le Conseil d’État a été consulté à deux reprises. Dans un premier avis, daté du 31 mars 2011, il avait souligné les obstacles juridiques auxquels se heurterait la mise en œuvre d’une nouvelle infraction réprimant pénalement l’atteinte au secret des affaires. Saisi de l’examen de l’actuelle proposition de loi, qui comporte un dispositif civil de protection du secret des affaires, le Conseil d’État a rendu, le 15 mars dernier, un avis très éclairant sur l’opportunité pour le législateur national de se saisir des marges de manœuvre offertes par la directive afin, en particulier, de renforcer la protection accordée au secret sur le plan procédural devant les juridictions judiciaires ou administratives.
Ainsi, contrairement à certaines opinions exprimées lors des débats devant l’Assemblée nationale, ce sont non pas l’opacité et le secret qui ont présidé à l’adoption de la directive puis au dépôt de la proposition de loi au Parlement, mais, bien au contraire, l’analyse économique, la réflexion juridique, la transparence et le débat d’idées.
Vous ne l’ignorez pas, cette réforme est, depuis plusieurs années, très attendue des entreprises ; la protection des informations relevant du secret des affaires est évidemment essentielle pour nos acteurs économiques, pour encourager l’innovation et préserver les stratégies industrielles et commerciales. C’est par l’innovation ainsi protégée que seront créés les emplois attendus par nos concitoyens.
L’enjeu est donc fort : il s’agit de lutter contre l’espionnage industriel et de garantir la compétitivité de nos entreprises au sein du marché intérieur. L’enjeu est aussi de renforcer l’attractivité de notre système juridique pour les investisseurs étrangers. Il faut permettre à l’ensemble des acteurs économiques d’empêcher, de faire cesser ou de réparer toute atteinte à un secret des affaires, en agissant, le cas échéant, très rapidement, devant un juge en requête ou en référé.
Jusqu’à présent, notre législation ne comportait aucune définition de cette notion de secret des affaires, alors que celle-ci figure déjà dans de nombreux textes avec d’autres notions équivalentes telles que le secret industriel et commercial. La protection du secret des affaires reposait en France sur le droit commun de la responsabilité civile, qui est principalement d’origine jurisprudentielle.
Enfin, à l’exception des actions en dommages et intérêts liées à des pratiques anticoncurrentielles, aucune règle écrite n’encadrait la protection du secret des affaires au cours des procédures judiciaires.
La proposition de loi qui vous est aujourd’hui soumise permet indéniablement de répondre au besoin de sécurité juridique des acteurs économiques.
Elle définit le secret des affaires et procède à une harmonisation, dans différents codes, de terminologies employées pour désigner les mêmes catégories d’information ; il s’agit là d’une réelle mesure de simplification.
Elle répond aussi au besoin d’harmonisation des pratiques mises en place au sein des juridictions pour prévenir le risque d’obtention illégitime, au cours d’une instance, d’un secret des affaires. Je souligne d’ailleurs ici la convergence de vues entre les commissions des lois des deux assemblées pour élargir la portée des mesures de protection du secret des affaires prévues à l’article 9 de la directive à l’ensemble des instances civiles, commerciales ou administratives. Comme l’a indiqué le Conseil d’État dans son avis du 15 mars dernier, cette solution présente « l’avantage d’harmoniser les procédures applicables devant le juge, quel que soit leur objet, ce qui va dans le sens d’une simplification et d’une plus grande lisibilité du droit ainsi que d’une protection plus effective du secret des affaires conforme aux objectifs de la directive ».
Le texte adopté par l’Assemblée nationale me paraît reposer sur un équilibre satisfaisant entre, d’une part, la protection du secret des affaires et, d’autre part, le respect des principes fondamentaux de la procédure civile, au premier rang desquels se trouve le principe du contradictoire.
Enfin – c’est d’une très grande importance –, la proposition de loi permet de poser des limites au droit à la protection du secret des affaires, puisque ce droit ne saurait être absolu. Il est en effet indispensable, dans une société démocratique, que certains secrets puissent être divulgués, dans un but d’intérêt général. Ces secrets peuvent être révélés par des journalistes exerçant leur liberté d’information. Ils peuvent être révélés pour l’exercice des droits des salariés au sein de l’entreprise. Ils peuvent également être divulgués par un lanceur d’alerte qui, au sens de la directive, révèle une faute, un acte illégal ou un comportement répréhensible.
Les juridictions gardiennes des libertés individuelles feront la balance des intérêts en présence en veillant notamment à ce qu’aucune condamnation ne puisse intervenir à l’encontre d’un lanceur d’alerte au sens de l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II. Nous aurons l’occasion, au cours des débats, d’aborder plus particulièrement la protection des lanceurs d’alerte, puisque votre commission des lois a souhaité apporter, à la proposition de loi, une modification qui me paraît poser une difficulté au regard du texte de la directive.
Si l’introduction dans notre droit d’une définition du secret des affaires et d’un encadrement normatif de sa protection suscite de nombreuses inquiétudes ou critiques – vous avez pu les lire dans différents journaux –, je crois que les débats devant la représentation nationale sont essentiels pour expliquer aux Français les réels enjeux de la proposition de loi, faire ainsi œuvre de pédagogie et, par voie de conséquence, apaiser les craintes.
Je l’affirme de nouveau devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, la protection du secret des affaires en Europe et en France, qui n’est pas nouvelle, sera désormais mieux encadrée, au bénéfice de tous, et cette protection ne conduira à aucune restriction des droits fondamentaux.
Je veux à ce titre remercier M. le sénateur Christophe-André Frassa, votre rapporteur au nom de la commission des lois. La qualité de nos échanges a été réelle sur ce texte important, et vos travaux, monsieur le rapporteur, auront indéniablement contribué à enrichir de façon très constructive le débat, dans la continuité de l’important travail réalisé par M. le député Raphaël Gauvain. Même si, sur certains sujets, nos points de vue divergent, je sais que nous partageons le même objectif de lisibilité et d’intelligibilité de la norme, de transposition fidèle de la directive et de recherche d’un équilibre satisfaisant entre différents intérêts en présence, comme en témoignent les amendements que vous avez proposés et qui ont été adoptés par la commission des lois.
Permettez-moi d’évoquer plus particulièrement deux évolutions importantes apportées au texte adopté par l’Assemblée nationale.
Tout d’abord, votre commission des lois a souhaité supprimer la disposition relative à l’amende civile pour recours abusif introduite par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Rappelons que cette mesure visait à prévenir et, le cas échéant, à sanctionner les procédures abusives qui, en la matière, peuvent porter une atteinte particulièrement forte à l’exercice de ce droit fondamental qu’est la liberté d’expression. Le risque de « procédures bâillons » – pour reprendre un terme souvent employé – ne peut être totalement ignoré.
À cet égard, vous nous interrogez sur plusieurs points. Les sanctions prévues par le droit commun sont-elles suffisamment dissuasives au regard de l’atteinte qui peut être portée, notamment, à l’encontre des journalistes et des lanceurs d’alerte exposés à des demandes volontairement excessives en dommages et intérêts ? Vous nous demandez également si les sanctions prévues sont ou non disproportionnées au regard du principe constitutionnel de proportionnalité des peines, qui s’applique à toute sanction ayant le caractère d’une punition.
On peut estimer que la mesure adoptée par l’Assemblée nationale permet, au contraire, d’apporter une réponse équilibrée aux risques dénoncés de procédures abusives ayant pour seul objectif d’empêcher la révélation de faits intéressant l’intérêt général. Le groupe La République en Marche propose de rétablir ce dispositif de l’Assemblée nationale ; le Gouvernement soutiendra cette démarche. (Exclamations ironiques sur diverses travées.)
M. Michel Savin. Ah bon ? Quelle surprise ! (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Votre surprise n’a d’égale que ma propre assurance… (Nouveaux sourires.)
Ensuite, votre commission des lois a souhaité introduire au sein du code pénal un nouveau délit de « détournement d’une information économique protégée », afin de sanctionner d’une peine d’emprisonnement de trois ans et d’une amende de 375 000 euros toute atteinte à un secret des affaires commise dans le but d’en retirer un avantage exclusivement économique. Je comprends, bien entendu, votre légitime préoccupation d’introduire dans notre droit un dispositif suffisamment complet et efficace de protection du secret des affaires, dans un contexte de concurrence exacerbée entre les acteurs économiques. Toutefois, je crois qu’il n’est pas nécessaire, à cette fin, de compléter l’arsenal juridique qui résultera de la transposition de la directive.
Au-delà des réelles difficultés juridiques soulignées par le Conseil d’État dans son avis du 31 mars 2011, et qui demeurent pertinentes, l’opportunité de surtransposer la directive en créant une nouvelle sanction pénale ne me paraît pas démontrée.
D’une part, le dispositif civil résultant de cette transposition répondra au besoin des entreprises de pouvoir agir rapidement en justice afin de prévenir toute atteinte imminente ou de faire cesser toute atteinte illicite au secret des affaires, mais permettra aussi d’obtenir la réparation intégrale des préjudices subis.
D’autre part, il est d’ores et déjà possible de sanctionner pénalement une entreprise qui s’approprie frauduleusement le secret des affaires d’une entreprise concurrente, soit dans le but d’en tirer profit, soit dans un but de déstabilisation. Des faits d’atteinte à un secret des affaires peuvent notamment être qualifiés de vol, d’abus de confiance ou d’extraction de données dans un système informatisé de données. Je pense par conséquent que, dès lors que l’insuffisance du droit pénal n’a pas été démontrée, l’introduction d’un nouveau délit n’est pas nécessaire.
Pour l’ensemble de ces raisons, je présenterai au nom du Gouvernement un amendement revenant sur l’article instaurant ce nouveau délit réprimant l’atteinte à un secret des affaires. Je présenterai également quelques amendements destinés à apporter au texte qui vous est soumis des corrections techniques qui me paraissent utiles.
Je ne doute pas un instant de la qualité des discussions qui vont suivre. Je souhaite de nouveau remercier tout particulièrement M. le sénateur Christophe-André Frassa et les membres de la commission des lois pour le travail accompli. Je remercie aussi l’ensemble des membres de votre assemblée qui contribueront à nos débats afin d’introduire, dans notre droit, un dispositif complet, efficace et équilibré de protection des informations relevant du secret des affaires. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste, sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer, en votre nom, la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation de la Chambre des Conseillers du Royaume du Maroc, conduite par M. Abdessamad Kayouh, président du groupe d’amitié Maroc-France de la Chambre des Conseillers. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent, ainsi que Mme la garde des sceaux.)
La délégation est accompagnée par M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et président du groupe d’amitié sénatorial France-Maroc, et par des membres de son groupe.
Le Maroc est engagé, depuis de nombreuses années, dans une politique ambitieuse de réformes – politiques, économiques, sociales –, notamment dans le domaine de l’environnement. Le Maroc a d’ailleurs accueilli avec succès en 2016 la COP 22 à Marrakech, à la suite des accords de Paris.
Cette visite s’inscrit dans ce cadre, puisque la délégation marocaine s’intéresse tout particulièrement, au cours de ce déplacement, aux questions d’approvisionnement et de traitement de l’eau. Nous formons le vœu que cette visite conforte l’excellence des relations entre nos deux pays, relations tout à la fois historiques et tournées vers l’avenir qui, vous le savez, me tiennent particulièrement à cœur.
Nous souhaitons à nos collègues marocains la bienvenue au Sénat français. (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent, ainsi que Mme la garde des sceaux.)
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Protection des savoir-faire et des informations commerciales
Suite de la discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi portant transposition de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans un rapport d’information rédigé avec notre ancien collègue Michel Delebarre en avril 2015, j’avais souligné les risques, en dépit des atouts du droit français des entreprises, pouvant résulter de la confrontation entre le système juridique français et certains systèmes juridiques étrangers, en particulier anglo-saxons.
De ces travaux, il ressortait notamment que tant les innovations que le savoir-faire des entreprises françaises paraissaient vulnérables, faute d’un régime efficace de protection du secret des affaires, et que, à la différence de ses concurrentes anglo-saxonnes, une entreprise française ne pouvait opposer la confidentialité des avis juridiques internes de ses juristes. Ces constats demeurent malheureusement valables.
Toutefois, la présente proposition de loi devrait permettre de surmonter la première de ces difficultés majeures pour les entreprises françaises, connue depuis longtemps, dans des conditions d’égalité avec les autres entreprises de l’Union européenne. Je déplore qu’il ait fallu attendre la transposition d’une directive – qui plus est, à la fin du délai de transposition, la directive datant de juin 2016 – pour se doter enfin d’un régime de protection légale du secret des affaires en droit français.
Il faut par ailleurs relever ce paradoxe : alors qu’il a fallu attendre des années pour que notre pays puisse se doter d’un tel régime, nous devons aujourd’hui examiner dans des délais extrêmement contraints le texte qui concrétise cette longue attente.
La création d’un tel régime de protection du secret des affaires, attendue depuis longtemps, n’ignore pour autant pas le rôle des journalistes, des lanceurs d’alerte ou encore des représentants de salariés dans l’information de la société civile. Un équilibre a été trouvé entre les exigences également légitimes de protection du secret des affaires des entreprises et d’information tant des salariés que des citoyens.
La directive considère que « les secrets d’affaires sont l’une des formes de protection de la création intellectuelle et des savoir-faire innovants les plus couramment utilisées par les entreprises, et, en même temps, ils sont les moins protégés par le cadre juridique existant de l’Union contre l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite par d’autres parties ».
Dans certains domaines bien circonscrits, le droit français ne connaît que la notion traditionnelle de secret industriel et commercial et, dans de rares cas, la notion de secret des affaires. Quelques dispositifs épars et sectoriels ne constituent pas une protection générale et transversale contre l’obtention illicite de secrets d’entreprises non légalement protégés. Le constat est clair : il manque à la législation française un dispositif général et transversal de protection du secret des affaires garantissant une vraie protection des informations confidentielles détenues par les entreprises françaises.
Le constat de la carence du droit français en matière de protection du secret des affaires est connu depuis longtemps, de sorte que les initiatives n’ont pas manqué ; aucune, toutefois, n’a pu aboutir jusqu’à présent.
En novembre 2011, notre ancien collègue député Bernard Carayon, que j’ai entendu en audition, déposa une proposition de loi visant à sanctionner la violation du secret des affaires, qui fut adoptée en janvier 2012 par l’Assemblée nationale, juste avant la fin de la législature. Cette proposition de loi ne comportait qu’une dimension pénale visant à dissuader plus fortement la captation illicite de secrets d’entreprises par leurs concurrentes. Controversé dans les milieux économiques, ce texte est demeuré sans suite devant notre assemblée.
En juillet 2014, quelques mois après la présentation de la proposition de directive, notre ancien collègue député Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, déposa une proposition de loi relative à la protection du secret des affaires, comportant à la fois un volet civil et un volet pénal. Quelques mois plus tard, les dispositions de cette proposition de loi furent introduites par l’Assemblée nationale, en première lecture, au stade de la commission, dans la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, avant d’en être retirées dès la séance, au vu de la vive controverse médiatique qu’elles suscitèrent.
Je relève que le contexte n’est plus le même aujourd’hui, a fortiori avec l’obligation de transposition d’une directive européenne.
Venons-en maintenant au texte qui nous est soumis. Sur mon initiative, votre commission des lois a adopté 24 amendements visant à assurer la conformité de la proposition de loi à la directive, à préciser et à clarifier les procédures judiciaires mises en place par le texte, à garantir la protection accordée, par dérogation au secret des affaires, aux journalistes, aux lanceurs d’alerte et aux représentants des salariés, et à créer un délit de détournement à des fins économiques d’une information protégée au titre du secret des affaires, afin de mieux sanctionner les atteintes frauduleuses aux intérêts des entreprises françaises par des concurrents.
Tirant les conséquences des modifications et ajouts apportés au texte initial de la proposition de loi par l’Assemblée nationale puis par elle-même, votre commission l’a renommée « proposition de loi relative à la protection du secret des affaires ».
Votre commission a veillé à la conformité de la proposition de loi à la directive. En particulier, elle a distingué, à l’instar de la directive, les notions de « détenteur légitime » et d’« obtention licite » du secret des affaires, alors que la proposition de loi confond ces deux notions, en retenant le critère du contrôle sur le secret pour définir le détenteur légitime.
Elle a aussi précisé que l’ingénierie inverse constituait un mode licite d’obtention, mais sous réserve de stipulations contractuelles interdisant ou limitant l’obtention du secret.
Elle a également retenu une formulation plus conforme à la directive de l’obtention illicite d’un secret, caractérisée notamment par un accès non autorisé à un support contenant le secret, et non par une interdiction d’accès ou par le contournement d’une mesure de protection du secret.
Concernant les exceptions au secret des affaires bénéficiant aux autorités administratives et juridictionnelles ainsi qu’aux journalistes, aux lanceurs d’alerte et aux représentants des salariés, tandis que la directive dispose que, dans cette hypothèse, les demandes en justice doivent être rejetées, la proposition de loi énonce que le secret « n’est pas protégé », rédaction soulevant de nombreuses interrogations quant à sa portée juridique effective. Par conséquent, votre commission a préféré indiquer que le secret n’est pas opposable en cas d’instance relative à une atteinte au secret des affaires, en précisant clairement qu’il reste protégé ultérieurement dans les cas où il n’a pas été divulgué au public par un journaliste ou par un lanceur d’alerte.
Votre commission a apporté d’autres corrections plus ponctuelles pour assurer la conformité du texte à la directive.
En outre, puisque la directive permet une transposition plus protectrice du secret des affaires dans les législations nationales, elle a également prévu que l’information protégée devait avoir une valeur économique et non pas une valeur seulement commerciale, pour couvrir plus largement les informations non protégées, en l’état du texte, mais utiles pour une entreprise concurrente.
Votre commission a veillé à la précision, à la clarté et à la cohérence des procédures judiciaires mises en place par le texte et, plus largement du texte dans son ensemble. Elle a ainsi expressément prévu les règles de prescription en matière d’action civile pour atteinte au secret des affaires. Elle a harmonisé, par cohérence, les règles d’évaluation des préjudices avec celles qui sont prévues en matière de propriété industrielle et de contrefaçon. Elle a également précisé et clarifié les dispositions relatives à la protection du secret dans les procédures portées devant les juridictions civiles et commerciales, en veillant à leur conformité à la directive.
En outre, votre commission a veillé à la constitutionnalité du texte en supprimant le mécanisme d’amende civile prévu en cas de procédure abusive engagée pour atteinte au secret des affaires, en raison de sa contrariété avec le principe de proportionnalité des peines. D’ailleurs, compte tenu de la pratique judiciaire, les juges n’auraient jamais appliqué cette sanction civile.
Votre commission a approuvé les exceptions au secret des affaires ouvertes au bénéfice des journalistes, des lanceurs d’alerte et des représentants des salariés, au nom de la liberté d’expression et d’information, tout en clarifiant la portée juridique des dispositions proposées par le texte. L’équilibre doit être conservé entre les exigences également légitimes de protection du secret des affaires des entreprises et de libre information des citoyens.
En ce qui concerne les journalistes, votre commission a, à l’issue d’un débat, adopté le texte sans modification, considérant que l’amendement que j’avais présenté pour clarifier le texte pouvait susciter des incompréhensions.
En ce qui concerne les lanceurs d’alerte, votre commission a distingué plus clairement l’existence d’un double régime d’alerte, celui qui est issu de la directive et celui qui a été instauré en 2016 par le législateur français. La transposition de la directive ne doit en effet pas conduire à la remise en cause du régime français, plus protecteur des lanceurs d’alerte.
Les incriminations pénales existantes ne permettent pas de prendre correctement en compte toutes les hypothèses de violation du secret des affaires à des fins purement économiques. En conséquence, votre commission a créé un délit de détournement d’une information économique protégée consistant à obtenir, à utiliser ou à divulguer de façon illicite une information protégée par le secret des affaires en contournant sciemment les mesures de protection mises en place par son détenteur légitime, afin d’en retirer un avantage de nature exclusivement économique. Les peines encourues seraient les mêmes que pour l’abus de confiance, c’est-à-dire trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende.
La conformité du dispositif au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines serait assurée par la définition précise de ses éléments matériel – le fait de contourner sciemment les mesures de protection mises en place par le détenteur légitime du secret – et intentionnel – le but d’en retirer un avantage de nature exclusivement économique.
Les journalistes, les lanceurs d’alerte et les représentants des salariés seraient clairement exclus du champ de ce délit, puisqu’il vise l’obtention d’un avantage de nature exclusivement économique.
Il s’agit ainsi de renforcer la portée dissuasive de la nouvelle législation française en matière de secret des affaires, à l’égard notamment de certains intérêts étrangers qui pourraient considérer que la simple action civile ne représente pas une réelle menace de sanction en cas d’obtention illicite d’une information confidentielle d’entreprise protégée par la loi.
Enfin, votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée, en retenant un nouvel intitulé, beaucoup plus parlant : « Proposition de loi relative à la protection du secret des affaires. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)