M. Victorin Lurel. Comme quoi, il est bon d’insister…
J’en viens à mes amendements.
Il s’agit d’élargir à la liquidation successorale classique l’application du cantonnement dont bénéficient les successions testamentaires et de permettre la renonciation. J’ai moi-même connu cette situation. En l’occurrence, la renonciation ne correspond pas à une libéralité.
Michel Magras et Guillaume Arnell ont expliqué que, dans bien des successions outre-mer, de nombreux coïndivisaires ainsi que des indivisaires vivent à l’étranger. Or, même quand on le souhaite, il n’est pas toujours possible de payer une soulte. Il est donc préférable, parfois, de cantonner une partie de ses droits ou de ses biens.
Selon la réponse du Gouvernement et de la commission, j’aviserai…
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Ces amendements visent à étendre la procédure de cantonnement en dehors des hypothèses où il existe un testament.
La procédure de cantonnement a été créée par la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, au profit des légataires ou du conjoint survivant. Elle permet au bénéficiaire d’une libéralité de décider de diminuer l’étendue de l’émolument dont il aurait pu se prévaloir en application du testament, et notamment de renoncer à une partie des droits indivis auxquels il avait droit. Cette procédure, prévue à l’article 1002-1 du code civil pour les légataires, n’est pas applicable en l’absence de testament.
Les amendements nos 1 et 2, qui me semblent redondants, visent à permettre l’application de ladite procédure à des successions dans lesquelles il n’y a pas de testament.
Actuellement, en l’absence de testament, si un héritier indivisaire décide de renoncer à ses droits au moment du partage, cette renonciation s’apparente à une libéralité faite aux autres indivisaires, taxés en conséquence. Cette idée mérite d’être approfondie, car, comme le souligne l’auteur des amendements, cette impossibilité pour l’un des indivisaires de renoncer à sa part dans l’indivision ou au versement d’une soulte qui lui serait due est un facteur important de blocage du partage.
Il me semble cependant que la réflexion n’est pas aboutie sur cette question, comme en témoignent les hésitations de rédaction de ces deux amendements et leur insertion, peu opportune, au sein de l’article 2 du texte.
Pour ces raisons, à défaut de retrait, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je partage l’avis de M. le rapporteur.
Le cantonnement est la limitation de l’assiette d’un droit à certains biens. Il est ainsi prévu pour l’exécution d’une libéralité à la demande du gratifié, qu’il soit légataire ou conjoint survivant. Cela lui permet de choisir, au sein des biens indivis auxquels sa libéralité lui donne vocation, ceux qu’il souhaite conserver.
Ici, l’hypothèse visée est tout autre. Il s’agit du cas d’un partage en nature du bien, avec allotissement d’un ou de plusieurs indivisaires du bien contre paiement d’une soulte aux autres indivisaires.
L’amendement vise à permettre à certains de ces autres indivisaires de renoncer à percevoir tout ou partie de leurs droits et de leurs parts pour éviter ou limiter les soultes. On s’éloigne ainsi, me semble-t-il, assez largement de la notion même de cantonnement.
En outre, cet amendement vise tous les copartageants et donne donc l’impression de ne pas viser que les seuls partages consécutifs à une succession. La mention selon laquelle le cantonnement permet d’éviter ou de limiter les soultes n’est ici ni claire ni réellement normative et peut donc prêter à des interprétations différentes.
Il me semble que vous souhaitez traiter le cas d’un bien dont l’attribution à un ou plusieurs indivisaires conduirait à mettre à leur charge une soulte excessive au regard de leurs facultés. Cette situation est réglée par la jurisprudence, qui considère de façon constante que, lorsqu’il est impossible de composer des lots d’égale valeur sans mettre à la charge de certains attributaires des soultes excessives, il y a lieu de vendre les biens de façon à répartir le prix également entre les copartageants.
Doit-on encourager ces renonciations au paiement de la soulte par une disposition générale permettant d’éviter leur assimilation à une libéralité et d’écarter le paiement de droits de mutation à titre gratuit ? Le Gouvernement n’y est pas favorable.
Enfin, sur le plan fiscal, en se limitant aux seuls immeubles situés en outre-mer, cet amendement s’expose, me semble-t-il, à une censure du Conseil constitutionnel pour cause de rupture d’égalité avec la généralité des redevables de droits d’enregistrement et de droits de mutation à titre gratuit qui souhaitent sortir d’une indivision.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Lurel, les amendements nos 1 et 2 sont-ils maintenus ?
M. Victorin Lurel. Je vais retirer mes amendements non pas en raison des propos que j’ai entendus – je ne partage pas du tout l’analyse juridique développée par notre collègue rapporteur et par Mme la garde des sceaux –, mais par souci de cohérence avec mon groupe.
Si vous me le permettez, madame la présidente, je ferai l’économie du temps de parole dont je dispose sur l’article 2 bis en disant dès à présent que je ne suis pas étonné d’entendre que mes amendements peuvent souffrir d’inconstitutionnalité, puisque ce même argument est avancé par le Gouvernement pour justifier son amendement de suppression de l’article 2 bis. Cela signifie que la notion d’adaptation n’existe plus dans les outre-mer !
Quoi qu’il en soit, je retire mes amendements.
Mme la présidente. Les amendements nos 1 et 2 sont retirés.
Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Mme la présidente. Je rappelle que nous devons interrompre l’examen de ce texte au terme du délai de quatre heures réservé au groupe socialiste et républicain, soit à dix-huit heures quarante-six.
Je me permets donc de demander à chacun de faire preuve de concision pour que nous puissions achever l’examen de ce texte.
Article 2 bis (nouveau)
I. – Le D du V de la section II du chapitre premier du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts est ainsi modifié :
1° Dans l’intitulé, le mot : « Mayotte » est remplacé par les mots : « Collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon » ;
2° À l’article 750 bis C, la date : « 2025 » est remplacée par la date : « 2028 » et les mots : « à Mayotte » sont remplacés par les mots : « dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, dans les collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon ».
II. – La perte des recettes résultant pour l’État du I du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
Mme la présidente. Monsieur Lurel, si j’ai bien compris, vous renoncez à votre intervention sur l’article 2 bis ?
M. Victorin Lurel. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.
M. Maurice Antiste. L’article 2 bis cristallise la préoccupation qui m’anime.
L’auteur de cette proposition de loi a opté pour une rédaction scrupuleuse, à la suite de ses échanges longs et nourris avec des spécialistes du sujet, afin que le texte proposé recueille l’adhésion de l’ensemble de la classe politique. Pour ce faire, il a logiquement écarté toute mesure hasardeuse et compliquée qui pourrait mettre à mal le vote de ce texte dans les deux assemblées, avec l’objectif d’une application rapide eu égard à l’urgence de la situation dans nos territoires.
Aussi, j’aimerais qu’on m’explique pourquoi il a été ajouté par amendement une mesure fiscale d’exonération de droit de partage. Pour rappel, ce taux de 2,5 % est appliqué lors d’une rupture d’indivision entre héritiers au cours d’une succession, ou entre époux après un divorce.
De plus, à la suite d’une question d’un député qui évoquait la possibilité de réduire ce pourcentage à 1 % en cas de partage rapide – réalisé en moins d’un an –, dans le but d’inciter les particuliers à accélérer les procédures, le ministre des finances a révélé que cette taxation procurait un rendement annuel de 500 millions d’euros et que, en conséquence, il était inenvisageable de diminuer cette recette.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas s’intéresser à cette question et, le cas échéant, la traiter. Je considère sincèrement qu’une telle mesure n’a pas lieu d’être dans un texte traitant de solutions urgentes à mettre en œuvre face aux difficultés liées à l’immobilisation du foncier. En effet, les blocages de successions en indivision sont de plus en plus nombreux et impactent fortement l’ensemble de nos territoires ultramarins.
C’est pourquoi, indépendamment du bien-fondé ou non de la mesure instituée par cet article, je voterai pour l’amendement de suppression déposé et défendu par ma collègue Catherine Conconne.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 8 est présenté par Mme Conconne, M. Antiste, Mme Jasmin, MM. Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 10 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Catherine Conconne, pour présenter l’amendement n° 8.
Mme Catherine Conconne. Je ne saurais commencer sans constater que ceux qui auront été les plus présents aujourd’hui dans notre hémicycle sont les notaires. L’histoire marche à l’envers : généralement, c’est nous qui faisons la loi, et ce sont eux qui sont chargés de la mettre en œuvre. Aujourd’hui, cela a été le contraire : nous avons été sous leur dictée, hélas !
La commission des lois a adopté un amendement qui prévoit une exonération de droit de partage jusqu’en 2028 des immeubles situés dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon. Or les auteurs de la proposition de loi ont volontairement ôté de leur texte toute disposition d’ordre fiscal. Notre argumentaire va donc dans le même sens que celui défendu pour la majorité applicable aux actes de gestion : la mesure adoptée par la commission des lois va faire obstacle à l’adoption définitive de ce texte.
Il suffit de reprendre la proposition exprimée par le Gouvernement à l’Assemblée nationale. La ministre Annick Girardin a plusieurs fois émis une fin de non-recevoir sur toute question fiscale – je crois que c’est la règle de la mandature.
Encore une fois, j’appelle votre attention, mes chers collègues : à vouloir en faire trop, ce texte restera lettre morte. Reportons le débat de l’exonération de droit de partage à l’automne prochain, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 ! Notre amendement, qui tend à supprimer l’article 2 bis, je le redis, relève du pragmatisme.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 10.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’article 2 bis de la présente proposition de loi a pour objet d’étendre l’exonération de droit de partage de 2,5 % des immeubles situés à Mayotte à l’ensemble des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ainsi qu’aux collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon et de prolonger cette exonération jusqu’en 2028.
Le Gouvernement n’est pas favorable à une telle disposition, qui soulève notamment des difficultés de nature constitutionnelle. C’est la raison pour laquelle il a déposé un amendement identique à celui qui vient d’être présenté tendant à supprimer l’article 2 bis.
Une disposition de même nature a été censurée par le Conseil constitutionnel, au motif que le maintien d’un régime d’exonération applicable aux successions des immeubles situés dans une zone spécifique – au cas d’espèce en Corse – méconnaissait le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques. Il s’agit d’une décision de 2012.
En outre, il est signalé que la mesure adoptée dans la loi du 28 décembre 2017 consistant à accorder une exonération temporaire de droit aux seuls immeubles situés à Mayotte n’a pas fait l’objet d’un examen au fond par le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, cette exonération était alors motivée par l’objectif de favoriser la constitution ou reconstitution du titre de propriété, compte tenu de la situation de désordre cadastral propre à Mayotte.
Il me semble donc que nous risquons une censure du Conseil constitutionnel en raison d’une rupture injustifiée d’égalité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Les amendements nos 8 et 10 visent à supprimer l’exonération de droit de partage pour les immeubles situés dans les territoires ultramarins concernés par le dispositif dérogatoire de sortie d’indivision.
Cette incitation fiscale a été mise en place par la commission afin d’encourager les indivisaires à sortir de ces situations problématiques, car leur généralisation dans les territoires ultramarins aboutit à une paralysie du foncier qui n’est pas sans conséquences économiques, sanitaires et sociales.
Cette dérogation au régime de droit commun est prévue pour une durée strictement nécessaire au règlement des désordres fonciers ultramarins. L’exonération, comme le dispositif de sortie d’indivision, prendrait fin le 31 décembre 2028.
J’émets donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques, c’est-à-dire sur la remise en cause de cette exonération qui existe déjà au bénéfice de Mayotte et de la Corse.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, pour explication de vote.
M. Victorin Lurel. Je voterai ces amendements de suppression, mais pas pour les motifs invoqués. Autant je souscris à ce que notre collègue Catherine Conconne a dit – il faudrait peut-être examiner le dispositif dans le cadre de la loi de finances –, autant j’avoue que je suis un peu surpris d’entendre Mme la garde des sceaux avancer l’argument que cet article pourrait souffrir d’inconstitutionnalité.
Dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, nous avons une TVA immobilière différente, une fiscalité différenciée, qui a toujours été autorisée par le Conseil constitutionnel. Pourquoi ce qui est possible à Mayotte ne le serait-il pas ailleurs, sous prétexte que le Conseil constitutionnel n’aurait pas examiné au fond la loi de finances ? Il me semble pourtant que ce texte a été validé par le Conseil, qui, en vertu de la règle de l’ultra petita, s’est saisi de toute la question.
Aujourd’hui, j’entends par votre voix, madame la garde des sceaux, que la notion d’adaptation, qui figure à l’article 73, n’existerait plus. Cela signifierait, comme l’a dit ma collègue, que l’on ne pourrait plus examiner cette différenciation fiscale dans la prochaine loi de finances. Vous avez vous-même soutenu que, dans le texte de la révision constitutionnelle que vous préparez et qui nous sera soumis, il y aura peut-être une dose, une instillation de différenciation…
Je voterai par cohérence avec mon groupe, mais, je l’avoue, je suis assez inquiet quant aux motivations qui président à votre amendement de suppression.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Conconne, pour explication de vote.
Mme Catherine Conconne. Je rejoins les propos de mon collègue Victorin Lurel.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.
M. Michel Magras. Je soutiendrai l’amendement de Mme Conconne, pour une raison très simple : il ne faut pas oublier que Saint-Barthélemy, qui est une collectivité régie par l’article 74, dispose de la compétence fiscale. C’est donc à nous de décider des impôts, des droits et des taxes, et à nous seuls.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Je veux prolonger ce qu’a dit mon collègue Michel Magras.
À Saint-Martin, la collectivité dont j’ai l’honneur d’être le représentant aujourd’hui, on applique déjà cette fiscalité incitative. Je suis donc partisan de voter ces amendements.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8 et 10.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas les amendements.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2 bis.
(L’article 2 bis est adopté.)
Articles additionnels après l’article 2 bis
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 3, présenté par M. Lurel, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le 14° ter de la section IX du chapitre IV du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts est ainsi modifié :
1° À la fin de l’intitulé, les mots : « à Mayotte » sont remplacés par les mots : « dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution » ;
2° À l’article 1135 ter, les mots : « à Mayotte » sont remplacés par les mots : « dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution » et la date : « 2025 » est remplacée par la date : « 2028 ».
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
L’amendement n° 4, présenté par M. Lurel, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Après le 14° ter de la section IX du chapitre IV du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts, il est inséré un 14° … ainsi rédigé :
« 14° … Droits de mutation à titre gratuit. Exonération des immeubles et droits immobiliers situés en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et en Martinique.
« Art. 1135 … – Sont exonérés de droits de mutation à titre gratuit, les immeubles et droits immobiliers situés en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et en Martinique, lors de la première transmission postérieure à la reconstitution des titres de propriété y afférents, sous réserve que ces titres de propriété aient été constatés par un acte régulièrement transcrit ou publié entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2028. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
L’amendement n° 5, présenté par M. Lurel, est ainsi libellé :
Après l’article 2 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après le 14° bis de la section IX du chapitre IV du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts, il est inséré un 14° … ainsi rédigé :
« 14° … Droits de succession. Exonération des immeubles et droits immobiliers situés en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et en Martinique.
« Art. 1135… – I. – Pour toute succession ouverte depuis plus de dix ans, les immeubles et droits immobiliers situés en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et en Martinique sont exonérés de droits de mutation par décès.
« Pour les successions ouvertes à compter du 31 décembre 2028, les immeubles et droits immobiliers situés en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion et en Martinique sont soumis aux droits de mutation par décès dans les conditions de droit commun.
« II. – Ces exonérations ne sont applicables aux immeubles et droits immobiliers pour lesquels le droit de propriété du défunt n’a pas été constaté antérieurement à son décès par un acte régulièrement transcrit ou publié qu’à la condition que les attestations notariées mentionnées au 3° de l’article 28 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière relatives à ces biens soient publiées dans les vingt-quatre mois du décès. »
II. – La perte de recettes résultant pour l’État du I est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Victorin Lurel, pour présenter ces trois amendements.
M. Victorin Lurel. Je les retire, madame la présidente.
Mme la présidente. Les amendements nos 3, 4 et 5 sont retirés.
Articles 3 et 4
(Suppression maintenue)
TITRE II
(Division et intitulé supprimés)
Article 5 A (nouveau)
Pour l’application en Polynésie française de l’article 827 du code civil, le partage judiciaire se fait par souche, lorsqu’il ne peut pas s’opérer par tête. Le tribunal autorise ce partage s’il ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires.
Mme la présidente. L’amendement n° 11, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cet amendement vise à supprimer l’article 5 A portant sur le partage par souche en Polynésie française. Je m’en suis déjà expliquée dans mon propos introductif.
Je rappelle que la souche est un mode de partage du patrimoine quand l’héritier légal est lui-même décédé, permettant que les petits-enfants succèdent à leurs grands-parents par représentation de leur père ou de leur mère prédécédés. Ces héritiers, qui viennent en représentation de leur auteur prédécédé, constituent donc une souche. Pour autant, ils ne se représentent pas entre eux et ils sont tous parties au partage de la succession.
L’article 5 A, en affirmant un principe de partage par souche, manque son objectif, qui est de pouvoir permettre un partage judiciaire sans besoin d’identifier ni d’appeler tous les héritiers à la cause. Je le répète, un partage par souche n’induit aucune représentation procédurale des héritiers au sein d’une même souche et chacun des héritiers a le droit d’être appelé au partage. Permettre la réalisation d’un partage judiciaire à l’insu de l’un des intéressés est une atteinte directe au droit au recours et à l’accès aux juges, qui sont des principes dont la protection est assurée, vous le savez, tant par la Constitution française que par la convention européenne des droits de l’homme.
Par ailleurs, l’article 5 A n’a aménagé aucune garantie ni aucun garde-fou destiné à préserver les droits des héritiers omis du partage judiciaire, alors même que les successions sont justement un domaine dans lequel les divergences d’intérêts entre les parties sont fréquentes.
Il sera relevé que le rapport sénatorial du 23 juin 2016 avait, à juste titre, insisté sur la nécessité d’établir des garde-fous pour garantir les droits des indivisaires omis et d’éviter que « l’introduction d’une présomption de représentation au sein d’une souche dispense de rechercher le plus d’indivisaires possible pour les attraire au partage, et aboutissent à des partages iniques à l’insu de certains indivisaires ».
L’organisation d’une présomption de représentation au sein de la même souche suscite également un certain nombre de questions auxquelles il n’est apporté aucune réponse. Par exemple, comment et par qui le représentant de la souche est-il désigné ou choisi ? Quel rôle exact joue le membre de la souche choisi par le demandeur au partage pour représenter procéduralement cette souche ? Doit-il aussi être considéré comme représentant d’autres membres de la souche dans la gestion du lot revenant à celle-ci, etc. ?
En l’état, vous l’aurez compris, la disposition envisagée dans la proposition de loi se heurte à de nombreuses difficultés juridiques qui rendraient son application impossible. Le Gouvernement propose donc de la supprimer. Néanmoins, comme je vous l’ai déjà dit, je souhaite que la question de l’indivision en Polynésie française et du partage par souche soit examinée sérieusement par mes services, en lien avec ceux du ministère des outre-mer. Mon cabinet a donc déjà commencé ce travail avec les élus polynésiens.
Je crois nécessaire que nous allions plus loin rapidement pour mesurer clairement les enjeux juridiques et apporter des solutions concrètes aux difficultés rencontrées en Polynésie. Il serait utile que nous avancions dans cette réflexion que le rapport Pastorel, en lien notamment avec le tribunal foncier qui vient d’être créé à Papeete, avait soulevée. Il s’agit d’un sujet sérieux, sur lequel nous devons trouver un équilibre entre le respect des principes, comme le droit de propriété et l’efficacité.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement tend à revenir sur une disposition introduite dans le texte par la commission, sur l’initiative de notre collègue Lana Tetuanui.
L’article 5 A consacre la possibilité de procéder, en Polynésie française, à un partage du bien par souche, quand le partage par tête est impossible. Il fait écho à la proposition n° 25 du rapport d’information de 2016 de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, qui souligne que, en Polynésie française, le partage par tête tel qu’il est prévu à l’article 827 du code civil est bien souvent soit impossible, soit dénué de sens au regard de l’étroitesse des parcelles et du nombre d’héritiers.
La cour d’appel de Papeete a validé le principe d’un partage par grande souche familiale, quitte à enregistrer ultérieurement, lorsque cela est possible, des demandes de partage par tête au sein de chaque souche. Cette construction prétorienne vise à admettre la représentation, dans la procédure de partage, des indivisaires, qui ne peuvent être appelés à l’instance par un parent issu de la même souche. Néanmoins, l’objet de cet amendement le rappelle, la Cour de cassation invalide systématiquement tous les arrêts de la cour d’appel retenant cette solution juridique, qui élargit libéralement la notion de représentation. Cette position de la Cour de cassation, aussi juste et juridiquement rigoureuse soit-elle, entraîne de lourds préjudices et retarde le traitement de la question foncière en Polynésie.
Il faut admettre qu’il n’y a bien souvent pas d’autre choix que le partage par souche, comme l’ont unanimement reconnu tous les magistrats rencontrés par la délégation sénatoriale et par les membres de la commission des lois lors de leur déplacement à Papeete et dans les archipels. D’ailleurs, malgré la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le tribunal de première instance et la cour d’appel de Papeete maintiennent leur solution prétorienne. Peu de pourvois en cassation sont constatés, bien que l’invalidation soit assurée et constitue un motif général d’insécurité des partages.
L’article 5 A donne donc un fondement légal à cette construction prétorienne de la cour d’appel de Papeete.
Le dispositif est-il perfectible ? Très certainement. Est-ce une raison pour les supprimer purement et simplement, alors qu’il répond à un véritable besoin et à une demande très ancienne des magistrats en exercice en Polynésie ? Je ne le pense pas. Mettons à profit la navette pour l’améliorer, plutôt que de ne rien faire en arguant des travaux en cours sur la question.
J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement de suppression de cet article.