M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Madame la ministre, mon intervention portera sur la dépendance et l’évolution sociétale qu’elle induit.
À l’occasion de l’examen du projet de loi relatif aux retraites, je reviens d’une mission en Suède et au Danemark, où l’augmentation de l’espérance de vie est tout à fait significative, allongement qui s’accompagne d’une bonne santé. Dans ces pays, on ne semble pas préoccupé, comme nous, par les problèmes de dépendance.
Les différences ne sont pas telles entre nos pays que l’on puisse imaginer des solutions différentes. Il n’empêche que, si l’on veut vieillir en bonne santé, il faudrait améliorer les mesures de prévention. Cela signifie que si l’on parvient à dépister plus tôt, par exemple, les troubles neurovégétatifs ou si l’on arrive à trouver des molécules tout à fait innovantes qui permettent aux personnes de vivre dans une dépendance moindre que celle que l’on connaît aujourd’hui, la durée de vie sera forcément plus longue, tout comme celle de la retraite.
Ma question est donc bien précise : comment articuler une réforme systémique des retraites avec une réforme de la dépendance, sachant que l’une et l’autre sont liées en raison des effets que j’ai signalés en préambule ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Savary, je ne vais pas ouvrir tout de suite le débat sur la réforme des retraites, même si – vous avez raison – nous allons tous vivre plus longtemps et, je l’espère, en meilleure santé. Car, vous l’avez également dit, l’une des spécificités françaises est l’allongement de la vie, mais en mauvaise santé, avec non seulement une mortalité précoce avant 65 ans bien supérieure à celle que connaissent nos voisins européens, mais aussi une durée de vie en bonne santé qui est plus faible que la moyenne des pays européens.
L’un des enjeux pour nous, afin de prévenir cette dépendance, est d’améliorer notre politique de prévention. Je me suis complètement engagée dans cette politique, puisque - vous l’avez vu – j’ai présenté avec le Premier ministre la semaine dernière un grand plan de prévention, qui concerne notamment la prévention de la perte d’autonomie. Cela englobe le reste à charge zéro sur les prothèses dentaires, les lunettes et les prothèses auditives, qui participera à l’accessibilité aux prothèses et donc à la réduction de la perte d’autonomie.
Pour moi, l’engagement principal pour l’avenir, c’est de faire en sorte que nous ayons des comportements plus vertueux pour notre santé en termes d’addiction, que nous marchions davantage et que nous fassions plus d’activités physiques, car cela réduit les maladies neurodégénératives, les troubles cognitifs et la dépendance, en favorisant la socialisation.
L’un des grands enjeux pour accompagner le vieillissement et les réformes à venir, c’est clairement d’améliorer notre capacité à rester longtemps en vie en bonne santé. C’est vraiment la politique que je mène sur le versant de la santé cette fois-ci, mais qui jouera sur la dépendance dans quinze ou vingt ans.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique, en quarante secondes !
M. René-Paul Savary. Madame la ministre, j’ai relu avec attention le plan de prévention qui a été proposé il y a une semaine. Je trouve que, sur le sujet que j’ai abordé, il ne comportait pas suffisamment d’implications, notamment dans le domaine de la recherche, pour lequel des efforts significatifs doivent être faits.
La prévention budgétaire fait également partie du problème de la dépendance, ce qui me paraît tout à fait essentiel. Il faudra se tourner vers des systèmes assurantiels ou, comme l’a proposé le rapporteur de façon très pertinente, faire en sorte que la prise en charge en établissement soit différenciée avec les viagers intermédiés ou d’autres systèmes que le recours sur succession. On le constate, il faut encore faire un nombre important d’efforts si l’on veut vraiment augmenter notre espérance de vie en bonne santé.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, grâce aux progrès de la médecine, nous vivons de plus en plus longtemps, mais malheureusement cet allongement de la durée de vie s’accompagne le plus souvent d’une perte d’autonomie.
On peut regretter que la réforme menée sous le précédent quinquennat ne se soit saisie que de la question du maintien à domicile, reportant celle de la prise en charge en établissement, et donc du délicat problème du reste à charge pour les résidents et leurs familles.
En effet, le reste à charge des résidents est bien souvent trop élevé au regard de leurs ressources. Cette question est particulièrement prégnante dans mon département, où le revenu moyen est l’un des plus faibles de France.
À la suite des différentes mobilisations de personnels d’établissements, notre commission des affaires sociales s’est penchée sur une réforme ambitieuse de la dépendance, mais s’est surtout attachée à chercher des solutions immédiatement exploitables face à l’urgence.
S’agissant du reste à charge, elle propose notamment d’autoriser les établissements à pratiquer des prix différenciés en fonction du niveau de ressources des résidents, afin de diminuer le reste à charge des plus modestes.
Pensez-vous, madame la ministre, que cette proposition puisse être mise en place rapidement afin d’accompagner au mieux nos aînés et de mettre fin à une situation qui n’est pas, selon le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, « digne d’un pays aussi riche que le nôtre » ? (MM. Olivier Léonhardt et Jean-Pierre Corbisez applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Josiane Costes, je rappellerai comment fonctionne le coût de l’hébergement : aujourd’hui, un résident en EHPAD paye un tarif hébergement et un tarif dépendance. Il peut bénéficier d’aides assumées par les départements pour payer sa facture : l’aide sociale à l’hébergement – l’ASH– et l’allocation personnalisée d’autonomie – l’APA.
Selon une étude de 2016 de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, le coût médian d’une place en EHPAD est de 1 949 euros par mois pour le résident. Ce coût médian prend en compte le coût de l’hébergement et le tarif dépendance correspondant au tarif GIR 5-6 dont on parlait précédemment. Les aides publiques ne couvrent donc que 40 % des dépenses. Le reste à charge pour les résidents aujourd’hui, en prenant en compte l’ASH, est de 867 euros par mois auxquels s’ajoutent les 720 euros de gîte et de couvert, soit un reste à charge globale de 1 587 euros. Ce montant dépasse les revenus courants d’un résident sur deux qui ont donc un reste à vivre négatif.
Il s’agit par conséquent d’une préoccupation forte à la fois pour les familles et les individus, mais également pour le Gouvernement, puisque nous avons demandé un rapport. Le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge a rendu ses conclusions, qui vont servir de base à la réflexion collective.
Concernant la proposition que vous faisiez, madame la sénatrice, nous souhaitons l’expertiser plus à fond, parce que certains nous ont fait remarquer que cela pourrait en réalité conduire à augmenter le reste à charge des résidents. Il convient donc aujourd’hui, avant de prendre une décision, d’être certain de l’impact individuel de telles préconisations.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, pour la réplique.
Mme Josiane Costes. Ce problème du reste à charge est une angoisse pour les personnes âgées et pour les familles dans des départements où les revenus sont très bas.
Je connais personnellement dans mon département des personnes qui restent seules, à domicile, dans des villages éloignés, car la question du reste à charge les freine et retarde la mise en établissement. Ces personnes sont souvent seules et dépendantes et vivent dans des conditions très difficiles.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier.
Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous pouvons tous nous réjouir de l’amélioration globale de la qualité de la vie et de la santé de chacun. Le système de la sécurité sociale mis en place en France après la Seconde Guerre mondiale a incontestablement permis aux plus fragiles d’être mieux soignés et de mieux vieillir à une époque où l’espérance de vie était de soixante-trois ans pour les hommes et soixante-neuf ans pour les femmes.
Le vieillissement de la population entraîne des conséquences qu’il nous faut gérer afin de mieux vivre ce phénomène.
Tous, dans notre famille ou dans notre entourage, nous avons été confrontés à la perte d’autonomie d’un proche. Cette perte d’autonomie, liée à des difficultés grandissantes de mobilité ou à une maladie neurodégénérative, nous interroge. Car arrive le moment où la famille n’est plus en capacité d’assurer seule la prise en charge. La question du placement en EHPAD se pose alors. Il s’agit souvent d’une vraie question pour les familles, car le reste à charge pour le résident est très lourd lorsque celui-ci est de condition modeste. Après déduction des différentes contributions publiques – APA, APL, ASH et la réduction d’impôt –, il restera en moyenne au résident plus de 73 % des frais à régler à l’établissement. Il n’est donc pas rare que la famille du résident soit mise à contribution.
L’enjeu du financement de la dépendance et des EHPAD est par conséquent hautement stratégique. Élue d’une ville frontalière de la Belgique, j’ai pu constater comment l’accueil des personnes âgées était organisé avec plus de simplicité, plus d’humanité. Beaucoup de Français envient cet hébergement moins frayeux et surtout moins aseptisé et plus chaleureux.
Madame la ministre, alors que les retraités, d’ordinaire si résignés, ont été poussés à défiler massivement dans la rue en réaction à la baisse de leur pouvoir d’achat par prélèvement au titre de la CSG, pouvez-vous nous assurer, malgré toutes ces raisons, que le Gouvernement ne délaisse pas nos aînés ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Lherbier, vous parlez de la CSG : je rappelle que cette augmentation de CSG ne touche pas les 40 % de retraités les plus modestes, fort heureusement. Il convient de le rappeler systématiquement.
Pour revenir à vos propos, vous avez raison, le modèle de l’EHPAD est aujourd’hui non pas à bout de souffle, comme l’ont dit certains, car il répond parfois à certains besoins, mais probablement trop rigide par rapport aux besoins et aux attentes des personnes âgées et même de leurs familles, qui demandent parfois du répit ou des places d’hébergement temporaire, et donc plus de souplesse.
Lors des consultations que j’ai pu mener avec l’ensemble des représentants de ce secteur, tous ont proposé des modèles beaucoup plus évolutifs, plus agiles, plus souples. C’est ce modèle-là qu’il nous reste à inventer, et c’est sur cela que nous commençons à construire une feuille de route pour le Gouvernement, de façon à éviter un choix binaire entre le maintien à domicile, avec les difficultés que nous connaissons pour les familles et les aidants qui sont parfois épuisés, et le placement – parfois terrible pour les familles – en EHPAD, quelquefois distant de leur domicile, ce qui peut engendrer de la culpabilité.
Nous cherchons des modèles alternatifs, progressifs, dans lesquels l’EHPAD pourrait être parfois une plateforme d’appui pour des services multiples. C’est cette souplesse que nous allons, je l’espère, inventer ensemble dans les mois qui viennent avec, je l’espère, un consensus général.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Madame la ministre, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a prévu des mesures de soutien pour les EHPAD, pour un montant total de 160 millions d’euros, dont 72 millions d’euros supplémentaires pour recruter du personnel cette année.
La question du taux d’encadrement dans les EHPAD est récurrente. Elle est actuellement d’environ 0,6 équivalent temps plein pour un résident. Cette moyenne recouvre une variété de situations, mais on peut néanmoins en extraire quelques observations générales : le taux d’encadrement est plus élevé en fonction du degré de dépendance, et le taux d’encadrement dans les EHPAD privés commerciaux est plus faible que dans les EHPAD publics.
Nous souhaitons évidemment que le taux d’encadrement actuel continue d’augmenter pour le bénéfice de tous les résidents et le bien-être des professionnels. Cependant, comme la DREES l’a souligné dans sa publication de septembre dernier, plus d’un tiers des EHPAD déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement.
Aussi, madame la ministre, dans le cadre des réflexions et travaux en cours sur les EHPAD, quelles pistes envisagez-vous pour inciter, voire contraindre, à un taux d’encadrement adapté pour chaque établissement, et également pour promouvoir les professions d’aides-soignants, infirmiers, personnels éducatif et social et agents des services hospitaliers, qui ont en charge un travail difficile, sont soumis à des horaires contraignants, et ont besoin de formation continue et de reconnaissance ? Il faudrait aussi accompagner les bénévoles qui font un travail formidable sans avoir de formation.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Patricia Schillinger, nous n’avons pas aujourd’hui l’intention de contraindre. Pourquoi ? Parce que contraindre voudrait dire que les EHPAD ont aujourd’hui les mêmes organisations, les mêmes modes de gestion, les mêmes types de résidents. Or il est clair, quand on visite ces établissements, que certains sont très bien structurés, travaillent en réseau et ont déjà rationalisé un certain nombre de fonctions de support, tandis que d’autres, au contraire, ont besoin d’être accompagnés dans leurs organisations.
Avant de contraindre, je préférerais que nous disposions d’un diagnostic précis sur les EHPAD. C’est la raison pour laquelle j’ai confié aux ARS la mission d’aller, au cas par cas, examiner ceux qui sont les plus en difficulté. Je l’ai dit, une enveloppe dédiée de 50 millions d’euros doit permettre de les aider. Au-delà, dans l’ONDAM, nous avions déjà affecté 28 millions d’euros à l’accompagnement des EHPAD. Ainsi, 78 millions d’euros seront consacrés à cet accompagnement pour la seule année 2018.
Il faut aussi les accompagner sur le plan technique avec l’ANAP, parce que c’est seulement quand nous aurons amélioré ou harmonisé un certain nombre d’organisations en EHPAD que nous pourrons nous poser la question du taux d’encadrement et de son uniformité, qui est aujourd’hui parfois clairement liée à des différences d’organisation.
Par ailleurs, vous l’avez dit, il convient d’adapter l’encadrement au cas par cas en fonction de l’état de dépendance des résistants, pardon des résidents. Ces résidents, lorsqu’ils sont par exemple atteints de la maladie d’Alzheimer, ont des taux d’encadrement qui sont proches de 1 pour 1 dans les unités spécialisées.
D’ores et déjà, quand les résidents sont en état de très grande dépendance, ce taux d’encadrement est donc pratiquement atteint.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Les EHPAD publics ne survivent que grâce à l’abnégation et au dévouement de leurs personnels, pourtant sous-payés, et malgré le peu de reconnaissance morale ou matérielle qu’ils reçoivent. Le principe de convergence tarifaire, séduisant en soi, aboutit dans le cadre d’une enveloppe financière fermée à ce paradoxe que des personnels soignants sont retirés de trop nombreux EHPAD publics, déjà en tension, au profit des EHPAD lucratifs, dont la vocation est d’abord de satisfaire le retour sur investissement des actionnaires. Il vous a fallu des mois de dénégation, madame la ministre, avant d’admettre que ce constat était loin d’être marginal.
Il faut maintenant aller plus loin : ayez le courage de stopper cette réforme désastreuse que certains départements, soucieux du bien-être de leurs personnes âgées, gèlent à coup de centaines de milliers d’euros !
Écoutez l’appel au secours des personnels et directeurs d’établissements. Ils vous rappellent les promesses du plan Villepin : 1 personnel pour 1 pensionnaire en EHPAD, administratifs compris, soit 6 soignants pour 10 résidents. (M. Michel Savin s’exclame.) C’était il y a dix ans, et ce serait trop coûteux aujourd’hui ?
La question qui est posée en réalité, ce n’est pas l’adaptation des moyens au dogme de la réduction des dépenses publiques, c’est celle du financement pérenne de la perte d’autonomie : aide à domicile, hébergements intermédiaires et, c’est vrai, EHPAD. Ce sont en fait des dizaines de milliards d’euros qu’il faudra trouver si notre société veut faire face dignement au défi du vieillissement. Et cela ne sera possible, selon nous, qu’en revenant aux principes fondateurs de la sécurité sociale : le financement de tous les aléas de la vie par la cotisation sociale, c’est-à-dire là où se créent les richesses dans l’entreprise, n’en déplaise à M. Bonne.
C’est possible dès maintenant en s’attaquant par exemple à la fraude sociale, en revoyant les exonérations massives de cotisations sociales ou en taxant les revenus des actionnaires et des grandes fortunes au même niveau que les salaires. C’est effectivement un choix de société, vous l’avez dit, madame la ministre.
M. le président. Votre question mon cher collègue !
M. Dominique Watrin. Il faut choisir entre les 5 milliards d’euros de cadeaux supplémentaires aux plus riches prévus dans les budgets pour 2018, par exemple, et la satisfaction des besoins sociaux, que vous pensez combler avec seulement 430 millions d’euros sur sept ans ! (Mmes Laurence Cohen et Michelle Gréaume applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Watrin, je rappellerai quelques chiffres : aujourd’hui, la France dédie 34 milliards d’euros de budget à la prise en charge des personnes dépendantes. Cela représente un des taux les plus élevés en termes de pourcentage du PIB de l’ensemble des pays de l’Union européenne. Nous devons peut-être, plutôt que de choisir systématiquement d’augmenter le budget, nous demander comment cet argent est utilisé et comment font nos organisations.
Peut-être que le secteur des EHPAD, avec son modèle très spécifique, mérite d’être questionné dans son ensemble. C’était ma réponse à Mme la sénatrice Lherbier : je pense que nous devons inventer un modèle plus évolutif, plus agile, pour répondre à la volonté des personnes âgées de rester entre le domicile et des structures qui les accompagnent. C’est ce que nous allons aujourd’hui inventer.
La question du financement de la dépendance va nous être posée, et c’est la feuille de route que nous allons ouvrir à la discussion dans les semaines à venir.
S’agissant de la réforme que vous remettez en cause, elle était vertueuse puisqu’elle a permis de passer d’une dotation globale qui n’était pas du tout liée à l’état de dépendance et à la gravité des malades ou des résidents hébergés, à un financement prenant en compte la part « soins » et la part « dépendance », plus adapté au niveau de dépendance des personnes.
La réforme, je le répète, était vertueuse. Il se trouve que, en pratique, l’impact individuel par EHPAD n’avait pas été travaillé. C’est une réforme dont j’ai hérité et que j’ai prise en cours, alors qu’elle commençait à être appliquée. Nous avons mis en place un comité de suivi avec l’ensemble des fédérations et nous travaillons avec un médiateur qui nous fera des propositions pour rétablir des équilibres si l’on voit que certains EHPAD sont en trop grande difficulté. Nous mettons de côté des sommes afin d’accompagner les EHPAD.
Nous mettons donc tout en œuvre pour que cette réforme aboutisse de façon apaisée, parce qu’elle répond à un véritable besoin de clarification.
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce débat était attendu par le personnel des EHPAD, parfois à bout de souffle, parfois épuisé ; par les résidents, qui sont quelquefois, pour reprendre votre sympathique lapsus, madame la ministre, des résistants au bonheur ; par les familles, qui doivent placer un membre de leur famille, leur père ou leur mère – c’est mon cas, et je peux vous dire que cela engendre un certain stress – ; et par l’opinion.
Ce débat soulève deux types de questions.
D’abord, celle de l’adaptation des EHPAD et des moyens. La sémantique parle d’elle-même : on est passé des maisons de retraite aux établissements pour personnes âgées dépendantes.
Ensuite, celle de l’innovation, de la recherche de nouvelles réponses que l’on peut conceptualiser par l’expression « EHPAD hors les murs ».
Ces EHPAD hors les murs peuvent se traduire par le maintien à domicile, par l’accueil familial, mais aussi par des structures adaptées. C’est l’innovation que nous lançons dans le département du Nord, notamment en faisant en sorte de rassembler des personnes isolées dans des appartements de trois ou quatre chambres, avec une gouvernante.
Ces innovations soulèvent la question de la téléassistance, des équipes soignantes, de l’accueil d’urgence pour ne pas encombrer les urgences de l’hôpital, de la vidéoassistance ou du dossier médical partagé.
Mon interrogation est simple : comment l’État compte-t-il stimuler ces innovations et accompagner ces réflexions et évolutions ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Henno, c’est une excellente question puisque ces innovations organisationnelles sont les expérimentations qui permettront de tracer la feuille de route de demain.
Des dispositifs innovants se multiplient dans plusieurs départements. Nous avons, lors de notre échange avec les fédérations hospitalières et les fédérations qui gèrent les services à domicile, évoqué toutes ces pistes.
Vous avez raison, aujourd’hui, les financements pour ce type d’expérimentations ne sont pas très clairs. Il nous faut probablement mettre en place un centre de ressources pour accompagner le maintien à domicile. Il est clair que l’EHPAD pourrait être un centre de ressources avec une plateforme d’appui proposant de nombreux services.
Au-delà, la formule du regroupement de personnes permettrait de mieux accompagner celles-ci en les logeant au sein de résidences autonomie, de résidences seniors ou de nombreux modèles qui existent dans d’autres pays.
J’ai demandé à la CNSA de réfléchir à la question. Pour les innovations en matière de perte d’autonomie, c’est la conférence des financeurs qui est capable de financer un certain nombre d’innovations, mais il faut que nous soyons capables d’expérimenter. Nous n’avons pas de sources de financement dédiées à l’expérimentation pour les organisations innovantes. L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale va permettre un certain nombre d’expérimentations, mais probablement pas celles de structures nouvelles.
Il faudra que nous progressions pour être en capacité d’offrir des solutions adaptées aux besoins des personnes, car aujourd’hui notre système est trop rigide entre l’EHPAD et le domicile.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président Milon, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’aide sociale départementale à l’hébergement vise à prendre en charge une partie ou la totalité du coût de l’hébergement d’une personne résidant dans un établissement ayant signé une convention d’aide sociale. Elle est versée sous condition de revenus et est récupérable sur succession. Les établissements peuvent être habilités à recevoir l’aide sociale pour l’ensemble de leurs places ou pour une partie seulement de celles-ci.
D’après la dernière enquête de la DREES, 58 % des établissements privés à but lucratif n’ont pas signé de convention d’aide sociale : ils n’hébergent donc pas de bénéficiaires de l’aide sociale départementale, alors que les places manquent pour ces publics, que les temps d’attente sont parfois longs et que, dans certains EHPAD privés, des chambres restent vides pendant un certain temps.
La part des EHPAD privés à but lucratif dans l’offre globale connaît par ailleurs de très fortes disparités selon les territoires. Dans trois régions – Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse –, ces établissements représentent plus de 28 % du total des places. Certains départements, comme les Alpes-Maritimes et les Bouches-du-Rhône, dépassent même la barre des 50 %. Alors que pour les personnes âgées modestes, les places manquent et les temps d’attente sont longs…
À l’instar de certains plans locaux d’urbanisme qui obligent les programmes immobiliers à intégrer une part de logements locatifs sociaux, ou de la Caisse d’allocations familiales, la CAF, qui réserve une part des places en crèche à des enfants ayant des difficultés particulières dans les établissements qu’elle finance, ne serait-il pas souhaitable d’obliger les EHPAD privés à but lucratif à réserver une quote-part de leurs places aux bénéficiaires de l’aide départementale, afin de réduire le temps d’attente d’une place pour ces personnes ?
Madame la ministre, quelles propositions portez-vous pour garantir une juste répartition territoriale des places d’accueil accessibles à tous, y compris en envisageant une modulation des tarifs en fonction des revenus, afin que toutes les personnes accueillies puissent y accéder, quand on sait que certains groupes d’EHPAD privés à but lucratif sont cotés en bourse et se révèlent être de très juteux placements pour les investisseurs ? (Mme Nadine Grelet-Certenais applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Sophie Taillé-Polian, vous avez raison de pointer qu’un département en difficulté financière peut être incité à adopter des tarifs d’hébergement à la baisse pour avoir à payer le moins de frais d’hébergement possible dans les cas où les places habilitées sont occupées par des bénéficiaires de l’aide sociale à l’hébergement.
Par effet domino, la pression financière se reporte alors sur les gestionnaires qui se voient contraints de demander une « déshabilitation », ce qui limite l’accès aux places habilitées pour les personnes âgées modestes et conduit à une augmentation mécanique du tarif d’hébergement.
Il est donc nécessaire de garantir une accessibilité financière des EHPAD aux personnes disposant de revenus modestes sur l’ensemble du territoire, tout en permettant aux gestionnaires de disposer de certaines marges financières.
Dans la loi, il n’y a pas d’obligation, vous l’avez dit. Il nous faut donc réinterroger les mécanismes qui activent l’aide sociale à l’hébergement.
Par ailleurs, on estime que plus de la moitié des résidents qui pourraient prétendre à l’aide sociale n’y ont pas recours. En effet, il est fait appel aux ressources ; or ces personnes ne veulent pas du recours sur la succession : elles évitent donc le placement en EHPAD et restent à domicile, isolées.
Il faut donc aborder clairement cette question dans le cadre de la concertation à venir sur la feuille de route que nous allons écrire. La concertation se fera avec les fédérations et avec les associations représentant les personnes retraitées. Ce sujet ne peut pas être simplement réglé par la loi puisqu’il a un impact financier non négligeable sur les départements. Nous devons donc prendre le temps de la concertation.