Mme Sophie Joissains, rapporteur. Il s’agit ici de la nouvelle procédure d’affectation des bacheliers dans l’enseignement supérieur, dite « Parcoursup ».
On se souvient du scandale provoqué par la précédente procédure, dite « Admission post-bac », qui utilisait à la fois des algorithmes de classement des candidatures, notamment dans les filières non sélectives en tension, et un algorithme d’appariement. Les paramètres utilisés par les algorithmes de classement reposaient sur une base légale extrêmement fragile. Jusqu’à l’an dernier, ils n’avaient été ni explicités dans un texte réglementaire ni publiés sous quelque forme que ce soit. La communication du ministère était même délibérément trompeuse à ce sujet. Je crois que tout le monde le reconnaît aujourd’hui. Cela explique que nous n’hésitions pas, désormais, à tirer la sonnette d’alarme en temps et en heure.
Avec Parcoursup, il ne sera plus fait appel à un algorithme d’appariement du type de celui que comportait APB. En revanche, les formations devront examiner et classer un nombre de dossiers beaucoup plus élevé que précédemment et auront recours, pour ce faire, à des algorithmes de classement.
Mme Esther Benbassa et M. Pierre Ouzoulias. Bien sûr !
M. Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État. Oui, mais on expliquera avec quels critères ils fonctionnent !
Mme Sophie Joissains, rapporteur. Or, le 7 février dernier, lors de l’examen du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, le Gouvernement a fait adopter un amendement de dernière minute, déposé en séance publique sans que la commission de la culture ait pu en faire un examen approfondi, qui exonère ces algorithmes de classement des obligations de transparence prévues par le code des relations entre le public et l’administration. Le rapporteur de la commission de la culture, Jacques Grosperrin, avait, au contraire, déposé un amendement imposant dans tous les cas la publication des règles de l’algorithme et des principales caractéristiques de sa mise en œuvre.
La commission des lois a choisi de revenir sur cette première entorse aux règles de transparence définies par la loi pour une République numérique.
Écartons d’emblée l’un des griefs avancés par le Gouvernement : la suppression du dernier alinéa du I de l’article L. 612-3 du code de l’éducation ne prive nullement de base légale les délibérations des équipes pédagogiques.
Nous voulons bien faire crédit au Gouvernement qu’aucun dossier ne sera accepté ou rejeté sans examen, sur le simple fondement du résultat produit par l’algorithme de classement.
Cependant, la loi n’empêche pas une telle dérive : le critère de la cohérence entre le profil du candidat et les attendus de la formation demandée est tout de même extrêmement large, pour ne pas dire vague.
Si tous les dossiers doivent être réexaminés par les équipes pédagogiques, pourquoi les préordonnancer au moyen d’algorithmes de classement ? Il y a tout lieu de craindre que l’examen humain ne soit, au mieux, que superficiel, et a minima pour certains dossiers très bien ou très mal classés. Dès lors, il nous paraît légitime que les bacheliers puissent savoir quels critères de classement leur ont été appliqués par voie d’algorithme, conformément au droit commun.
Toutefois, je peux entendre la crainte que les établissements d’enseignement supérieur soient déstabilisés au cours de la première année d’application de Parcoursup, alors qu’ils l’ont déjà été avec le système APB il y a très peu de temps.
L’application des règles de transparence de droit commun a attiré l’attention sur l’usage fait par les établissements d’algorithmes de classement, sur les différences entre les résultats produits par un algorithme et le classement issu des délibérations des équipes pédagogiques. Cela pourrait évidemment encourager les recours.
Dans ces conditions, les enseignants-chercheurs pourraient être encore plus réticents qu’ils ne le sont déjà à l’égard de la nouvelle procédure.
Mes chers collègues, je crois nécessaire que le Sénat réaffirme une position de principe à ce sujet. Il n’y a aucune raison que les garanties de transparence offertes à l’ensemble des administrés ne s’appliquent pas à l’accès à l’université, d’autant qu’il y a aussi une vertu pédagogique à cela : un étudiant qui aura échoué à entrer dans un établissement d’enseignement supérieur aura besoin de connaître les critères appliqués, ne serait-ce que pour mieux se préparer en vue de l’année suivante.
Cela étant, par souci de pragmatisme, je prends l’engagement, au nom de la commission des lois, de rechercher un terrain de compromis, en commission mixte paritaire, en vue de reporter au 1er janvier 2019 l’entrée en vigueur du III de l’article 14. Cela obligera le Gouvernement à revenir sur le sujet dans la perspective de la rentrée 2019, mais laissera tout de même une année d’apaisement aux établissements d’enseignement supérieur.
Par ailleurs, il nous paraît important de faire apparaître clairement dans le code de l’éducation que les décisions d’inscription ou de refus d’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur ne peuvent être prises sur le fondement exclusif d’un algorithme.
En conclusion, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement. (Mmes Esther Benbassa et Catherine Morin-Desailly, M. Loïc Hervé applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Je souhaite répondre à l’interpellation de Mme la rapporteur et, plus généralement, aux propos que nous venons d’entendre.
Je dois avouer que mes collègues de groupe et moi-même avons été extrêmement frustrés de ce qui s’est produit à la fin de l’examen du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants. Je fais référence à la question du secret des délibérations et à cet amendement, présenté beaucoup trop tardivement pour que nous puissions véritablement l’examiner en commission.
En plus de l’urgence à mettre en œuvre Parcoursup et les nouvelles politiques d’orientation des étudiants, en plus de l’urgence en matière de financement et du contexte ayant prévalu à l’examen du projet de loi, voilà que nous découvrions un angle mort !
Cet amendement nous a donc laissés sur notre faim, et je suis très heureuse, aujourd’hui, que nous puissions reprendre ce débat, à la faveur du présent texte de loi et de cet amendement du Gouvernement. Comme vous l’imaginez, mes chers collègues, nous ne souscrivons pas à son contenu, mais l’intervention de Mme la rapporteur nous a au moins permis de relancer le sujet.
Je serai très brève. Je peux tout à fait entendre qu’un délai de quelques semaines – la CMP et la promulgation sont prévues, je crois, pour le mois d’avril prochain – mette les universités en difficulté, la loi ayant « abandonné » aux établissements le traitement des dossiers en vue du classement des candidats.
Néanmoins, nous savons tous que les universités vont mettre en place des algorithmes « maison » – c’est ainsi que je les appelle. C’est obligatoire au vu du nombre de dossiers à traiter et de la situation extrêmement difficile à laquelle elles sont, et continueront à être, confrontées.
Vous êtes forcément attachés, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, à la question de la transparence, car celle-ci participe de la confiance de nos concitoyens, à la fois dans l’outil mis en place et, plus généralement, dans le recours aux algorithmes.
Si, comme Mme la rapporteur l’a souligné, nous avons l’assurance que de tels principes seront bien inscrits dans la loi, avec un compromis en CMP permettant d’envisager une mise en œuvre pour Parcoursup seulement au début de l’année 2019, nous pourrons trouver un accord, me semble-t-il.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Sylvie Robert. Je terminerai en soulignant que cette question n’est vraiment pas anodine. On parle d’orientation et au-delà, vous l’avez bien vu, de sélection. C’est cela aussi qui a brouillé les cartes.
M. le président. Mes chers collègues, compte tenu du nombre de demandes d’explication de vote, je vais devoir interrompre nos travaux (Exclamations.) ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la protection des données personnelles.
Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons, au sein de l’article 14, les explications de vote sur l’amendement n° 99.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Ce sera, mes chers collègues, une intervention en deux temps.
Sur la forme, tout d’abord, vous nous opposez une nouvelle fois le problème du temps, monsieur le secrétaire d’État, en évoquant la pression suscitée par la nécessité d’assurer une rentrée sans ombrage.
Vous savez parfaitement, pour l’avoir appris, que c’est le dispositif tactique mis au point par la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation durant toute la discussion du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, laquelle est même allée jusqu’à promulguer un arrêté avant l’examen du texte au Sénat.
À cette occasion, nous lui avons indiqué avoir les plus grandes craintes quant à la précipitation avec laquelle les différents dispositifs étaient mis en place. Malheureusement, les remontées du terrain nous donnent aujourd’hui raison ! Il aurait fallu prendre un peu plus de temps, afin de réaliser un travail législatif plus approfondi.
Sur le fond, ensuite, je comprends parfaitement votre raisonnement in abstracto, consistant à prendre devant nous l’engagement absolu que tous les dossiers bénéficieront d’un examen individuel et que les algorithmes, s’ils sont employés, seront uniquement constitutifs de la prise de décision pédagogique des jurys.
Toutefois, cela, c’est la théorie ; la pratique, telle qu’elle se dévoile aujourd’hui dans les universités, est tout autre ! Nos collègues universitaires – vous le savez, car vous disposez des mêmes informations que nous – sont confrontés à une avalanche de dossiers que, matériellement, ils ne peuvent pas traiter de manière individuelle. C’est absolument impossible ! Ils ont donc bien évidemment recours à des traitements automatisés.
Même si nous ne pouvons que partager votre volonté que se mette en place un traitement personnalisé de chaque dossier, il faudra bien admettre que, dans certaines situations, les équipes pédagogiques seront contraintes de procéder autrement. Dans de tels cas – exceptionnels selon vous, ordinaires selon nous –, il y a nécessité, sur les fondements juridiques que notre rapporteur a explicités, de rendre possible un examen des algorithmes permettant un traitement automatisé.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je veux rebondir sur les propos de Mme Sylvie Robert, que je partage tout à fait. Je suis également d’accord avec vous, cher Pierre Ouzoulias, sur l’urgence que l’on nous impose sans cesse dans notre travail de législateur. Or pour bien légiférer, pour réaliser les études, mener la réflexion, conduire les concertations, il faut du temps. Je partage tout à fait ce constat.
La contrainte, dans le cadre du projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants, c’était l’organisation de la rentrée scolaire, prise dans l’étau de la fin du système Admission post-bac, dit « APB », déclaré illégal, et d’une nouvelle procédure à mettre en place. On ne pouvait se permettre une année blanche.
La loi que nous avons votée est désormais en application. Elle a été promulguée voilà quelques jours, après, d’ailleurs, que le Conseil constitutionnel s’est prononcé, validant le travail réalisé dans nos assemblées – je tiens à le dire pour rassurer ceux qui nous écoutent.
Néanmoins, on sait très bien que cette année sera nécessairement une année d’adaptation et de transition, après la disparition d’un ancien système, qui, je le rappelle, était hautement critiquable et que nous avions critiqué à l’époque. C’était un dispositif complètement opaque, dans lequel la décision humaine ne semblait plus avoir sa place pour garantir une orientation utile de nos étudiants.
Je soutiens complètement Mme la rapporteur dans sa proposition consistant, dans le cadre de la CMP – cela nous laissera un peu de temps pour approfondir le sujet –, à rassurer les présidents d’université, les universitaires et les enseignants dans les lycées, qui finalisent actuellement la procédure avec les élèves et les parents accompagnateurs, tout en prenant en compte une exigence accrue de transparence des algorithmes. En effet, notre rapporteur l’a bien dit, il est absolument nécessaire que nous puissions savoir précisément comment ces boîtes noires fonctionnent.
Par ailleurs, n’oublions pas l’élément humain dans cette affaire, car les principaux concernés sont les étudiants.
Pour ma part, je plaide pour que ces outils numériques ne soient que des outils d’aide, éventuelle, à la prise de décision dans le cadre des commissions pédagogiques, mais aussi à l’organisation des vœux et à la réussite de l’orientation. Oui, ils ne doivent être que des outils au service de la réussite des étudiants, afin que leurs aspirations soient bien respectées dans les vœux finaux, pour le succès de leur vie future.
Je me fie donc entièrement à Mme la rapporteur, qui nous indique qu’elle réfléchira d’ici à la CMP pour dégager des solutions pratiques. Nous pouvons ainsi avancer utilement, et je crois que les collègues de la commission de la culture ici présents ne verront rien à y redire. (Mme Sylvie Robert acquiesce.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Catherine Morin-Desailly.
Monsieur le secrétaire d’État, il faut cesser de nous décrire, comme vous venez de le faire, une version idéale de Parcoursup. Nous avons plus ou moins discuté dans les universités et nous sommes conscients que nous ne pourrons pas gérer les dossiers. Nous passerons par des algorithmes, et vous le savez bien. Nous ne disposons tout simplement pas des moyens en personnel, sachant que nous avons aussi notre travail d’enseignement à assurer.
Peut-être faut-il chercher des solutions pratiques pour que l’on puisse, l’année prochaine, travailler sur ces dossiers d’une manière beaucoup plus humanisée, et pas uniquement à base d’algorithmes. Pour l’heure, nous allons choisir les meilleurs, et pour les autres, on verra…
C’est la vérité ! Il ne faut pas la cacher. Nous sommes les praticiens de Parcoursup. Les mots ne suffisent pas à gérer les problèmes. Nos dirigeants semblent naviguer dans un monde quelque un peu idéalisé, mais nous, nous faisons le travail. Certes, le système que vous proposez est mieux qu’avant, mais ne prétendez pas, monsieur le secrétaire d’État, que ce sera fait par des humains. Hormis une partie des dossiers, peut-être, c’est impossible !
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Sur cet amendement n° 99 du Gouvernement, dont M. le secrétaire d’État a largement développé l’objet, je soutiens complètement l’avis circonstancié de la commission des lois. Je partage aussi les propos de Mme la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, qui a rappelé à quel point la loi que nous avons examinée voilà quelques semaines a constitué un temps fort pour l’enseignement supérieur et la recherche. Différents problèmes ont été abordés et, naturellement, il faut saluer le travail des membres des deux commissions compétentes.
Je tiens donc simplement à apporter un témoignage de soutien. Cet amendement vient à point pour rappeler la nécessité d’une intervention humaine – vous avez longuement évoqué le sujet, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État –, pour faire évoluer les choses positivement. Il faut rassurer, parce que la situation suscite tout de même des inquiétudes et parce le devenir de la jeunesse et de nos étudiants doit être une priorité.
M. le président. Je mets aux voix l’article 14, modifié.
(L’article 14 est adopté.)
Article additionnel après l’article 14
M. le président. L’amendement n° 24 rectifié bis, présenté par M. A. Marc, Mme Deromedi, M. Bonhomme et les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’article 14
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 121-4-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 121-4-… ainsi rédigé :
« Art. L. 121-4-… – Les établissements d’enseignement scolaire mettent à la disposition du public, dans un format accessible à tous et aisément réutilisable, la liste des traitements automatisés de données à caractère personnel effectués sous leur responsabilité. »
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement déposé, puis retiré, en première lecture à l’Assemblée nationale vise à inscrire dans le code de l’éducation nationale le principe de la transparence du traitement des données scolaires.
Il s’inscrit dans la perspective d’une meilleure protection des élèves du premier et du second degrés et les prémunit du traitement automatisé de leurs données. À l’heure de l’accélération de l’école du numérique, il est primordial de protéger les jeunes publics d’une utilisation frauduleuse de leurs données et d’assurer, par tous les moyens possibles, la préservation de leur vie privée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Sophie Joissains, rapporteur. Au regard des débats que nous venons d’avoir, cet amendement m’apparaît plutôt comme un amendement d’appel. En toute sincérité, il n’est pas très réaliste… Néanmoins, par conviction, je laisserai la Haute Assemblée se prononcer.
Sagesse !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement a conscience, bien entendu, des exigences parfaitement légitimes des parents d’élèves et des enseignants en matière de transparence et de sécurité dans le traitement des données collectées dans le cadre scolaire. Il s’agit d’ailleurs d’une priorité du ministre de l’éducation nationale, dans le cadre de la politique qu’il conduit dans le domaine du développement des outils numériques, en association avec la CNIL.
Néanmoins, il me semble que le RGPD, le règlement général sur la protection des données, impose aux responsables de traitement, pour les établissements publics locaux d’enseignement, les EPLE, et pour les écoles, de tenir un registre des activités de traitement effectuées sous leur responsabilité. Ces registres constitueraient une garantie fondamentale de transparence, d’autant que, comme tout document administratif, ils pourront être communiqués à toute personne intéressée qui en fera la demande.
Ces précautions paraissent d’autant plus nécessaires au vu du texte de l’amendement, imposant la publication d’une liste des traitements à tous les établissements d’enseignement scolaire. Cette imprécision et la multiplicité des établissements visés ne nous permettent pas de garantir que les exigences posées par l’amendement pourront être remplies.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Decool. Je vous remercie, madame la rapporteur, d’avoir bien voulu vous en remettre à la sagesse du Sénat. Notre jeunesse a besoin d’être protégée ! Cet amendement tend à s’inscrire, d’une certaine manière, dans la lignée de ceux que j’ai présentés tout à l’heure : il est novateur.
Parce qu’il faut donner un signe fort à l’endroit de cette jeunesse que nous devons protéger, je maintiens cet amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. J’entends les explications de Mme la garde des sceaux sur ce sujet, que nous avons déjà abordé – pas plus tard qu’hier, je crois –, à la faveur de l’examen d’un autre amendement. C’est un vrai sujet, et vous avez raison, monsieur Decool, de poser la question.
Les explications du Gouvernement sont partiellement rassurantes. Je crois tout à fait à la volonté du ministre de l’éducation nationale de sécuriser les données personnelles des élèves. Pour autant, il faudrait – peut-être ici, ce soir – que le Gouvernement prenne l’engagement définitif de sortir de l’ambiguïté, car, comme je l’indiquais hier, il a passé des marchés, que ce soit avec Google ou Microsoft, n’apportant strictement aucune garantie.
Les dysfonctionnements liés aux contrats passés avec les géants américains de l’Internet commencent à apparaître. Je ne citerai que la plus récente affaire : l’affaire désastreuse de Cambridge Analytica et des données utilisateurs de Facebook, qui fait beaucoup de bruit en ce moment.
Les conditions générales d’utilisation proposées par ces géants, d’ailleurs établies unilatéralement par eux-mêmes, ne sont pas de nature à clarifier les situations. De ce fait, il y a toujours une possibilité de dysfonctionnements ou d’utilisations frauduleuses, à l’insu des propriétaires de données.
Je vous le dis très officiellement, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, il faut vraiment sortir de l’ambiguïté. Les affaires récentes le montrent, nous sommes à un tournant !
Selon moi, c’est la fin d’un modèle économique de l’Internet fondé sur la gratuité, la publicité et l’utilisation des données – et je ne parle même pas de surveillance massive. Nous allons avoir le devoir impérieux de refonder notre système de l’Internet sur des valeurs européennes !
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 14.
Article 14 bis
Le III de l’article 32 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les données à caractère personnel sont collectées auprès d’un mineur de moins de seize ans, le responsable de traitement transmet au mineur les informations mentionnées au I dans un langage clair et facilement accessible. » – (Adopté.)
Article 15
(Non modifié)
L’article 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est complété par un III ainsi rédigé :
« III. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixe la liste des traitements et des catégories de traitements autorisés à déroger au droit à la communication d’une violation de données régi par l’article 34 du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 précité lorsque la notification d’une divulgation ou d’un accès non autorisé à ces données est susceptible de représenter un risque pour la sécurité nationale, la défense nationale ou la sécurité publique. La dérogation prévue au présent III n’est applicable qu’aux seuls traitements de données à caractère personnel nécessaires au respect d’une obligation légale qui requiert le traitement de ces données ou à l’exercice d’une mission d’intérêt public dont est investi le responsable de traitement. »
M. le président. L’amendement n° 140, présenté par Mme S. Robert, MM. Durain, Sutour, Sueur, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Au début de cet article
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – À la première phrase du premier alinéa du II de l’article 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, les mots : « lorsque la personne concernée était mineure au moment de la collecte » sont supprimés.
La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. J’ai retenu cette phrase de l’écrivain Kazuo Ishiguro, que vous connaissez sûrement, mes chers collègues : « Quand faut-il se souvenir, quand est-il préférable d’oublier ? »
Les données personnelles sont un rempart contre l’oubli. Elles sont la trace de chacun et elles peuvent révéler l’état civil, les préférences, les intérêts, en somme tout ce qui constitue l’identité d’un individu. Si ce dernier livre des informations à un moment donné, il peut légitimement vouloir qu’elles n’apparaissent plus ultérieurement, au motif, notamment, du respect de sa vie privée.
En ce sens, la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a représenté une vraie avancée, en créant un droit à l’oubli. Bien évidemment, ce droit n’est pas absolu ; il doit être concilié avec d’autres considérations tout aussi importantes : le droit à l’information, le droit à la recherche scientifique et d’autres finalités d’intérêt public.
Néanmoins, ce droit a aujourd’hui une portée limitée, car il est soumis à une condition de minorité. Pour être plus précis, si tout un chacun peut s’en prémunir, il ne peut le faire que pour des données collectées lorsqu’il était mineur.
Certes, cette disposition permet de gommer certaines erreurs de jeunesse, pourrait-on dire, mais elle semble incomplète et difficilement justifiable sur le fond.
Pourquoi une personne pourrait-elle effacer des données personnelles collectées quand elle avait 17 ans et 9 mois, lorsqu’une autre ne pourrait pas le faire pour des données collectées quand elle avait 18 ans et 3 mois ? L’âge comme conditionnalité décisive à l’exercice du droit à l’oubli me semble d’une faible valeur discursive.
À titre personnel, je ne conçois pas pleinement le fondement de cette logique. Je ne qualifierai pas celle-ci d’arbitraire, mais, à l’heure où nous recourons tous de plus en plus au numérique afin de remplir nos tâches administratives, d’effectuer des achats en ligne, de bénéficier de services divers et variés, d’avoir accès à l’information par des abonnements à des newsletters, notamment, nous avons besoin de protection, de droits effectifs ayant une portée réelle, et non partielle.
Le droit à l’oubli en est un. Nous devons avoir le droit, indépendamment de notre âge au moment de la collecte des données, d’effacer les empreintes que nous laissons sur la toile, dès lors que cette volonté ne porte pas atteinte à d’autres enjeux rappelés précédemment et qui figurent, d’ailleurs, à l’article 40 de la loi Informatique et libertés.
En définitive, ce qui me paraît étrange, c’est que les modalités d’encadrement de ce droit sont déjà inscrites dans la loi. En faire usage ne risque donc pas de limiter d’autres droits et d’autres libertés fondamentales. En revanche, ne pas lui conférer une pleine portée est regrettable, car cela revient à affaiblir la protection des données et, par conséquent, le respect de la vie privée.