M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, vous vous en doutez, je ferai moins de louanges au libre-échangisme que M. le secrétaire d’État… Mais nous sommes là pour débattre.
Il y a un an jour pour jour, nous dénoncions l’adoption du CETA par le Parlement européen. Ce traité, véritable cheval de Troie, allait ouvrir une voie royale à une nouvelle génération de traités commerciaux qui nient les souverainetés nationales et dessaisissent les gouvernements et les parlements de leur libre administration dans l’intérêt général, par des dispositions d’arbitrage, de coopération réglementaire ou encore de libéralisation des services et d’ouverture des marchés publics.
Une vérité éclatait au grand jour au travers de ces divers traités discutés dans un obscurantisme le plus total : un « capitalisme libre-échangiste » est à l’œuvre dans la quasi-totalité du monde, se traduisant par un dumping social et fiscal qui consiste, pour les propriétaires du capital, à produire là où le travail est au prix le plus bas et à placer, voire à cacher, l’argent là où il est le plus rentable et le moins taxé. Tout cela est fait au détriment des peuples, uniquement pour servir les puissances de l’argent.
Depuis lors, treize traités de libre-échange sont en discussion. Nous voilà donc à discuter de celui qui concerne la Nouvelle-Zélande et l’Australie, deux poids lourds de l’agriculture extensive et de l’exportation de viandes rouges et de produits laitiers, qui ne consomment qu’une – petite – part de leur production, multipliant les accords commerciaux ambitieux pour développer et sécuriser leurs débouchés. Ainsi, quelque 70 % de la production australienne sont exportés.
Les réglementations encadrant les filières animales y diffèrent des exigences européennes : l’utilisation d’hormones de croissance et la décontamination chimique des carcasses y sont ainsi autorisées.
Bien que les produits destinés à l’Union européenne ne doivent avoir recours ni à l’un ni à l’autre, la traçabilité individuelle et les temps de transport des animaux y sont moins stricts qu’en Europe. Nous courons donc le double risque que cette règle ne soit ni respectée ni contrôlable.
Ajoutons que si les opportunités sur ces marchés restent limitées pour l’exportation, les risques, eux, sont évidents pour l’élevage français en cas d’octroi d’accès supplémentaires au marché européen.
Dès lors, du fait de ce déséquilibre, les négociations avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande ne peuvent être considérées comme un partenariat. Car comment oublier que les secteurs de l’élevage et de la production laitière sont déjà en crise dans l’Union européenne ? Comment ne pas souligner que, du fait des importations de Nouvelle-Zélande et d’Australie, notre production ovine peut être totalement démantelée ?
Alors que nous n’avons pas encore réglé les différends à l’OMC sur la répartition des quotas des importations agricoles découlant du Brexit, voilà que nous négocions avec deux géants agricoles parmi les plus compétitifs au monde, alors que tous les contingents tarifaires qui pourraient être accordés à ces pays auront vocation, à l’issue du Brexit, à s’appliquer à un marché communautaire réduit !
Alors que, comme cela a été très justement rappelé lors des débats en commission, les États généraux de l’alimentation viennent à peine de s’achever et qu’un projet de loi nous sera prochainement présenté, comme l’a justement dit M. Gremillet, il sera en totale contradiction avec les accords dont nous débattons. On ne peut pas demander toujours plus de normes pour nos produits et ouvrir largement notre pays à des aliments qui, eux, ne respectent pas les contraintes que nous nous imposons.
Dès lors, poursuivre ces négociations, après le CETA et la volonté affichée de la Commission de lancer un autre traité avec le Mercosur, c’est signer la mort d’une agriculture paysanne, garante d’une alimentation de qualité et de l’emploi.
Or, et ce point est essentiel, tout dans un accord de libre-échange relève de la compétence exclusive de la Commission européenne, sauf le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Cette position a été rappelée par la Cour de justice de l’Union européenne dans un avis du 16 mai 2017.
En conséquence, après conclusion de l’accord et aval du Conseil et du Parlement européen, les parlements nationaux ne seront pas concernés par leur approbation. C’est également le cas de l’accord de libre-échange avec le Japon, qui a été finalisé à la fin de l’année dernière.
Enfin, le Conseil devra se prononcer sur l’accord final non plus à l’unanimité, mais à la majorité qualifiée. Ainsi, les États sont doublement exclus du processus décisionnel, et ce déficit démocratique de l’Union européenne n’est pas acceptable au vu des enjeux que comportent de tels accords.
Ces enjeux portent sur une agriculture paysanne, locale, de taille humaine et respectueuse de l’environnement, que l’on va sacrifier pour lier notre alimentation aux chaînes de productions mondialisées de l’agrobusiness. Là où nous disposions de viandes de qualité, produites localement avec la meilleure traçabilité, nous allons nous lier avec des producteurs à des milliers de kilomètres. D’où nos amendements sur la préservation de la ruralité et l’accord des parlements nationaux.
Certes, la proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui va dans le bon sens, en cohérence avec les différentes positions du Sénat en la matière, en particulier les propositions de résolution que notre groupe a portées.
Certes, il faut plus de transparence et de réciprocité.
Certes, il est nécessaire que les futurs accords incluent un volet environnemental et social opposable.
Certes, nous souscrivons pleinement à la nécessité que les produits d’élevage et les sucres spéciaux puissent être l’objet de contingents limités, ou d’un étalement des périodes de démantèlement tarifaire, et que soient prévues des mesures de sauvegarde spécifiques, mobilisables rapidement en cas de déstabilisation des filières concernées, sous l’effet des importations.
Toutefois, face à des accords aussi importants, les parlements nationaux doivent être saisis aux fins de ratification.
Pour conclure, nous pensons que les produits sensibles doivent purement et simplement être exclus du champ de la négociation. Fondamentalement, la multiplication des accords de libre-échange, alors que les difficultés structurelles de notre agriculture n’ont pas été résolues, est une fuite en avant mortifère.
C’est pourquoi nous ne voterons pas, en l’état, cette proposition de résolution, qui ne fait qu’accompagner un mouvement de mise en concurrence que nous dénonçons de manière systématique sur les travées de cette assemblée. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault.
M. Pierre Louault. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, j’aurai – vous l’imaginez –, au nom du groupe centriste, un discours quelque peu différent de celui que l’on vient d’entendre, simplement parce que je crois que, aujourd’hui, ni la France ni l’Europe ne peuvent être fermées sur elles-mêmes.
Nous ne sommes pas forcément d’accord sur un libre-échange intégral et total, mais il existe des intérêts communs à signer des accords avec un certain nombre de pays à travers le monde, surtout à un moment où les États-Unis se ferment sur eux-mêmes et veulent être les capitalistes, et non plus les économistes, du monde.
L’intérêt de la France est clair : nous devons entretenir des échanges avec les pays de l’océan Pacifique, dont la Nouvelle-Calédonie est physiquement proche.
Ces échanges ne sont d’ailleurs pas tout à fait nouveaux : il y a bien longtemps que le mouton et la laine de Nouvelle-Zélande sont vendus sur le marché européen, même s’il faut bien reconnaître que cela a fragilisé notre agriculture et notre économie. C’est un choc de civilisations entre l’agriculture du Nouveau Monde et celle des vieux pays du continent européen.
Toutefois, notre pays, comme l’Europe tout entière, peut défendre ses intérêts économiques et signer des accords de libre-échange, en étant ferme dans les négociations.
Le risque aujourd’hui vient de la crise que traverse l’agriculture française – cela n’a échappé à personne. Je le rappelle souvent, un tiers des agriculteurs gagnent moins de la moitié du SMIC. Aujourd’hui, ils sont inquiets pour leur travail. L’Europe doit non seulement les rassurer, mais elle doit aussi les protéger.
Nos fonctionnaires et parlementaires européens ont encore une vision un peu trop angélique de la politique libérale et libre-échangiste, me semble-t-il. J’étais, il y a quelques jours, au Canada, avec lequel nous venons de signer un accord de libre-échange : les producteurs laitiers de ce pays voient leur lait payé un tiers plus cher qu’en Europe. Tout en ayant un accord de libre-échange avec l’Europe, le Canada sait protéger son élevage laitier local !
L’Europe doit comprendre qu’elle peut être libérale et avoir des partenaires économiques dans le monde sans être pour autant une passoire. Elle a établi un certain nombre de normes de production destinées à protéger les consommateurs européens, en mettant en avant la santé publique et l’environnement et en démontrant aux agriculteurs que leur avenir passait par des efforts importants sur la qualité, en diminuant les pesticides, en supprimant les OGM, en développant une production animale sans hormones et antibiotiques.
Il n’est pas possible d’expliquer aux agriculteurs français et européens que des accords de libre-échange ne doivent pas s’appuyer sur des contraintes concernant les produits importés.
Les produits qui arrivent en Europe doivent respecter les mêmes règles de production. Comment imaginer que les œufs de poules élevées sur un parcours enherbé en France ou en Europe peuvent être produits au même prix que des œufs produits par des poules pondeuses en cages dans des usines en Australie ou en Nouvelle-Zélande ?
Il existe des règles et des normes de sagesse. L’Europe attend des produits de qualité : nous ne pouvons pas laisser entrer n’importe quoi sur le marché. Même si l’Australie n’a pas pris le parti de produire des céréales avec OGM, l’agriculture de ces pays, notamment l’élevage, utilise très largement ces produits qui ne sont pas autorisés en Europe.
Il s’agit d’un véritable débat de compétitivité. Notre agriculture peut être compétitive si on lui fixe des règles de concurrence loyale. Cela a été dit précédemment, l’Europe doit prendre sa place dans le monde, y compris par des accords commerciaux, mais elle doit, en même temps, être un exemple en matière environnementale, au travers de règles de production.
Prenons l’exemple des règles sanitaires applicables à l’agriculture française ou européenne et à l’élevage, et les conditions dans lesquelles celui-ci est pratiqué. Dans les pays du Nouveau Monde, je puis vous dire que les normes environnementales et les normes pour le cheptel – allez voir leurs bovins d’engraissement ! – n’ont rien à voir avec celles qui sont applicables chez nous.
Quand on choisit le libre-échange, il faut avoir des agricultures compétitives, il faut être capable de supporter la concurrence, ou alors imposer aux autres les règles que l’Europe a su exiger de ses agriculteurs et qui protègent les consommateurs.
Est-ce que l’Europe, en négociant des traités de libre-échange, est capable d’avoir en même temps de l’ambition pour son agriculture et pour son économie tout entière ? Aujourd’hui, c’est le véritable défi. L’Europe ne doit pas avoir une guerre de retard, elle doit s’ouvrir sur le monde et comprendre qu’une économie, cela se protège !
Je suis surpris de voir que l’on envoie beaucoup trop facilement des commissaires ou de hauts fonctionnaires européens pour négocier. Je prends l’exemple du Canada : l’ambassadrice du Canada en France est une chef d’entreprise qui s’est mise en disponibilité pendant cinq ans pour ce poste. Elle est chargée de faire comprendre qu’un traité de libre-échange avec son pays peut être négocié avec la France et l’Europe.
Demain, il faudra faire preuve dans les négociations de davantage de tempérament anglo-saxon, alors que nous en perdons un peu avec le départ des Anglais… Nous pensons trop que le libre-échange, c’est ouvrir les portes et ne rien négocier.
Je ne suis pas favorable à des quotas qui protégeraient, mais qui n’apporteraient forcément pas grand-chose. En revanche, les règles imposées par l’Europe à ses producteurs doivent être appliquées de la même manière aux produits qui seront importés en France et en Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite associer à mon intervention mon collègue Marc Daunis, qui est retenu dans sa circonscription.
L’examen aujourd’hui de deux projets de mandat de nouvelles négociations commerciales entre l’Union européenne et respectivement l’Australie et la Nouvelle-Zélande est le fruit d’une victoire dont nous pouvons nous féliciter. Il faut, en effet, nous féliciter d’exercer un droit acquis de haute lutte.
Grâce au combat mené par la France dès l’adoption du mandat sur la négociation pour un partenariat transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis, et poursuivi lors de la phase finale de l’accord CETA conclu avec le Canada, les parlementaires de tous les États membres peuvent désormais officiellement s’exprimer sur le projet de mandat de négociations commerciales que la Commission européenne propose d’engager au nom de l’Union européenne avec, d’une part, l’Australie et, d’autre part, la Nouvelle-Zélande.
Il y a un intérêt stratégique à développer ces partenariats : si l’Union européenne n’y va pas, c’est avec la Chine, le Japon et la Corée du Sud que l’Australie et la Nouvelle-Zélande développeront leurs échanges, selon des règles et des normes que nous ne maîtriserons pas et qui pourraient, si l’on n’y prend garde, s’imposer à nous par la suite.
Les parlementaires ont également gagné, ces dernières années, un droit de suivi des négociations, grâce notamment à la mise en place d’un comité stratégique de suivi des négociations commerciales, qui fonctionne bien. En revanche, dans le même temps, ils ont perdu le droit de voter a posteriori ces accords, ce que nous pouvons effectivement regretter.
Cette implication progressive des parlementaires est essentielle, alors que la Cour de justice de l’Union européenne, dans son avis sur l’accord Union européenne-Singapour, a conforté la Commission européenne dans sa compétence exclusive en matière de négociations commerciales.
Je voudrais toutefois souligner ici que la question de la conclusion d’accords de libre-échange relevant de la compétence exclusive de la Commission européenne fait toujours débat et n’a toujours pas été tranchée. La Commission européenne s’est pour l’instant engagée à ce que cette compétence exclusive ne soit pas automatique.
Ces premières expériences de contrôle et de suivi nous permettent aujourd’hui de mieux anticiper pour défendre les intérêts européens et nationaux, d’être mieux armés sur la scène commerciale internationale, mais aussi d’entrer plus sereinement dans le débat démocratique. En même temps, nous devons absolument répondre aux inquiétudes de nos concitoyens, qui sont légitimes.
La première réponse repose sur une plus grande transparence et le renforcement du contrôle démocratique sur ces négociations commerciales, mais nous devons aller plus loin encore en assurant un véritable équilibre entre protection et ouverture. C’est ce pour quoi nous nous battons depuis des années, notamment au Sénat. L’expérience des dernières négociations commerciales vient conforter cette position, cette conviction qu’il faut continuer à se battre et à promouvoir notre modèle de développement.
En réalité, que devons-nous retirer de l’échec des négociations du TTIP ? À un moment donné, un État membre, comme la France, peut dire qu’il n’a pas obtenu assez d’avancées pour faire des concessions supplémentaires et que l’Union européenne ne peut pas aller plus loin.
Que dire de la réouverture in extremis de la négociation de l’accord CETA ? Lorsque l’on porte des propositions légitimes, on peut peser, et même réformer, faire évoluer les mentalités. Sans cette conviction, nous n’aurions pas de mécanisme d’arbitrage susceptible de préserver le droit, de réguler les États membres et de les protéger par des recours ; nous n’aurions pas les exigences que nous développons dans cette proposition de résolution européenne.
Aussi, ne nous replions pas ! L’Union européenne a les moyens et la responsabilité de peser sur les normes commerciales internationales. C’est d’ailleurs le bilan que nous pouvons faire des débats dans nos commissions respectives. Il faut aller plus loin dans nos exigences, pour que l’Union européenne puisse aborder les négociations commerciales en défendant au mieux les intérêts européens, c’est-à-dire ceux des citoyens, ceux des consommateurs, et, bien sûr, ceux des producteurs.
Ces accords de nouvelle génération ne sont plus seulement des accords commerciaux. Ils doivent nous permettre de défendre des valeurs, un modèle de régulation commerciale et de border des mandats de négociation.
Nous saluons cette proposition de résolution européenne, qui porte une exigence de transparence de l’ensemble du processus de négociation, et nous comptons bien que le Gouvernement nous rende régulièrement compte de son avancée, notamment sur le caractère contraignant et opposable des dispositions communes en matière de développement durable environnemental et social, qui, s’il était validé, constituerait une avancée majeure.
Nous voudrions ajouter que toutes ces demandes constituent pour nous une ligne rouge. À notre sens, il faudrait aller plus loin encore au niveau européen, et imposer un travail d’évaluation en amont des négociations, afin d’anticiper et de mieux prévenir les effets économiques et sociaux des accords commerciaux.
Notre principale préoccupation a été de travailler à l’anticipation et à la prévention des compétences négative de l’ouverture de nos marchés, plutôt que de seulement tenter de les réparer.
Je crois que la Commission européenne n’a pas assez œuvré dans ce sens. C’est un travail essentiel qu’elle doit mener et que les États membres doivent soutenir. Le Gouvernement doit faire des propositions en ce sens. Tel est l’objet des amendements que nous présenterons tout à l’heure et qui ont reçu un accueil favorable en commission des affaires économiques. Ils visent, notamment, à renforcer le poids et les exigences de cette proposition de résolution européenne.
Nous avons un modèle à porter dans ces négociations commerciales ; à nous de savoir le défendre et le promouvoir. Pour cela, un travail reste à engager au niveau européen, et nous comptons, nous, parlementaires, y être associés et en prendre toute notre part. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Didier Rambaud applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons cette proposition de résolution dans un contexte particulier, tant pour la construction européenne que pour le processus de mondialisation économique que nous connaissons depuis plusieurs décennies.
En ce qui concerne l’Union européenne, les crises sont connues : crise du Brexit, crise démocratique, crise migratoire, crise morale, même. Je n’y reviendrai pas.
En ce qui concerne la mondialisation des échanges, qui prévaut depuis les années quatre-vingt-dix, la crise est plus insidieuse : remise en question du multilatéralisme par les grandes puissances ; mise en place de stratégies commerciales agressives ; rejet du libre-échange. Nous sommes à un tournant, où le retour du protectionnisme et les blocages de l’Organisation mondiale du commerce menacent un système économique mondial fondé sur la libre circulation des biens, des capitaux et des hommes.
La politique commerciale de l’Union européenne est au cœur de cette double crise, à la fois crise de légitimité de l’Union et crise du système économique mondial. Nous l’avons vu avec les débats autour du TTIP, l’accord de libre-échange avec les États-Unis, mais également avec les débats autour du CETA, l’accord de libre-échange avec le Canada.
La crise de légitimité, tout d’abord, est due à un déficit de transparence et de démocratie dans la négociation des accords commerciaux. Il faut néanmoins se féliciter des mesures prises par la Commission pour remédier à ces critiques depuis quelques mois.
Ainsi, la création d’un groupe consultatif sur les accords commerciaux, ainsi que la publication des directives de négociation et des études d’impact sont des pas importants en direction d’une meilleure visibilité pour les citoyens. Nous nous associons à l’appel lancé par les auteurs de cette proposition de résolution européenne pour que la Commission accentue son effort de transparence en direction des parlements nationaux et du Gouvernement.
L’Union européenne subit une crise d’efficacité, d’autre part, dans un contexte de concurrence mondiale, où la naïveté se paie comptant.
Face à des blocs économiques puissants, disposant souvent d’arsenaux réglementaires et tarifaires performants, la Commission européenne est souvent accusée de sacrifier les intérêts commerciaux des États membres. Le principe de réciprocité, notamment, doit faire partie des lignes directrices de nos négociations commerciales, en particulier en matière de marchés publics.
Comment expliquer que les États de l’Union européenne aient ouvert 90 % du volume de leurs marchés publics, contre seulement 32 % pour les États-Unis, 28 % pour le Japon et 16 % pour le Canada ? Nos concitoyens ne comprennent plus ces différences. Il est heureux que le texte de cette proposition de résolution rappelle cette exigence.
Il y a une crise, enfin, dans la protection de nos standards élevés en matière environnementale, sociale et culturelle. Ces derniers font notre fierté et fondent un modèle de société que nous devons promouvoir dans le monde. La Commission européenne doit en être la garante et veiller à ce que les accords commerciaux préservent un niveau de protection important pour nos concitoyens. Une Europe qui protège n’est pas une Europe protectionniste ; c’est une Europe plus juste et plus forte.
Nous saluons ainsi le texte de la proposition de résolution en ce que celle-ci vise à demander que les futurs accords incluent un volet environnemental et social opposable aux parties. Nous appuyons les mécanismes de protection de nos éleveurs face à la puissance agricole de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande.
Nous sommes d’accord, enfin, avec les appels à lier libre-échange et renforcement du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation pour protéger les travailleurs les plus fragiles. Je vous proposerai moi-même un amendement visant à appeler les négociateurs du futur accord à respecter la réglementation européenne en matière de protection des données personnelles dans les dispositions relatives aux services numériques et à l’e-commerce.
Mme Colette Mélot. Sous la présidence de Jean-Claude Juncker, la Commission européenne a tenu compte de cet enjeu de maîtrise de la mondialisation dans ses réflexions. Le modèle européen, équilibré entre un laisser-faire à outrance et un protectionnisme dangereux, est une chance pour une mondialisation plus juste. Cette proposition de résolution sur les accords commerciaux avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande est l’occasion de réaffirmer cet espoir.
Pour toutes ces raisons, et parce que nous nous battons pour cet espoir d’une Europe plus forte dans un monde plus juste, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé. (M. Guillaume Arnell applaudit.)
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, madame la présidente de la commission des affaires économiques, madame la rapporteur – je rappelle que vous officiez pour la première fois dans ce rôle –, je voudrais saluer la proposition de résolution européenne qui nous est soumise aujourd’hui et qui nous permet de débattre de ce sujet d’une haute importance.
Ces dernières années, l’Union européenne a multiplié les accords de libre-échange afin de conforter sa place d’acteur majeur des échanges internationaux. Les plus récents, à savoir le TTIP-TAFTA, le CETA et l’accord Mercosur ont fait et font l’actualité, provoquant au passage une énorme mobilisation de l’opinion publique.
Ces accords successifs nous interrogent tant sur les aspects démocratiques de leur négociation que sur leurs impacts sociaux et environnementaux.
Tout d’abord, la compétence exclusive de la Commission et le manque de transparence des négociations posent un problème démocratique. Nous sommes aujourd’hui en position d’observateurs, car je crains que, pour ces accords avec la Nouvelle-Zélande et avec l’Australie, le Parlement ne soit privé de ratification, puisqu’il s’agit d’accords non mixtes. Nous proposerons d’ailleurs un amendement pour contester cet abandon.
S’agissant de l’opacité des négociations, rappelons qu’il a fallu, à l’occasion du TTIP-TAFTA, que l’opinion publique et les parlements nationaux, notamment en France, se saisissent du problème et contraignent la Commission à plus de transparence.
En ce qui concerne les impacts sociaux et environnementaux, nous reprochons à la Commission européenne de ne pas exiger suffisamment de réciprocité des partenaires, en particulier dans les domaines sanitaires et phytosanitaires. Nous l’accusons également de sacrifier certains secteurs pour obtenir un bénéfice global pour l’Union européenne.
C’est le cas, dans chacun de ces traités, des productions agricoles et alimentaires, trop souvent considérées comme des variables d’ajustement. Le secteur de la viande bovine, déjà extrêmement fragile, sera nécessairement déstabilisé par les contingents massifs prévus par les accords du CETA et avec le Mercosur. Ce même problème sera encore aggravé par l’accord qui fait l’objet de notre discussion pour les viandes ovines et bovines, le lait, mais aussi les sucres spéciaux produits dans les territoires ultramarins.
Face à ces enjeux, les exigences formulées par ce texte sont tout à fait pertinentes. Nous saluons en particulier la demande d’une plus forte transparence. En ce qui concerne la limitation des impacts sociaux et environnementaux, nous sommes favorables à l’exigence d’un volet environnemental et social opposable, ainsi qu’aux propositions sur la réciprocité. Enfin, le texte vise à protéger les secteurs sensibles, notamment par la limitation des contingents pour les produits d’élevage et les sucres spéciaux.
Je le répète, nous saluons cette initiative de résolution et la qualité des échanges qu’elle a suscités. En tant qu’écologiste rattaché au groupe du RDSE, j’ai le plaisir d’annoncer que notre groupe approuve ce texte à l’unanimité.
En conclusion, je voudrais vous dire que, au fond de moi, je crois vraiment que ces accords de libre-échange intégrant les productions alimentaires vont faire long feu. On ne va pas pouvoir continuer ainsi !
Le grand marché international des denrées alimentaires nous conduit au bord du gouffre, car il est en train de laminer l’ensemble des petits producteurs, chez nous comme ailleurs, alors que, à l’échelle de la planète, un travailleur sur deux est encore un paysan. Je crois vraiment en la relocalisation de l’alimentation, et ce dans l’intérêt des paysans, d’ici et d’ailleurs, des territoires, des consommateurs, de la santé et de la biodiversité.
Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de la prochaine loi sur l’agriculture et l’alimentation. Des réflexions particulièrement intéressantes sont menées sur cette relocalisation de l’alimentation.
À cet égard, madame la présidente de la commission des affaires économiques, je vous invite à solliciter pour une audition M. Olivier de Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, qui mène actuellement un travail sur une nouvelle PAC –PAC comme « politique alimentaire commune ». Je vous propose également d’auditionner le cabinet Solagro pour la présentation de son scénario Afterres 2050, lequel définit des trajectoires de transition agricole, alimentaire et climatique, qui nous sont indispensables.
Je tenais à vous en parler, car j’ai le blues, tant le modèle de développement annoncé me déprime. Il est temps de remplacer l’économie de la surabondance par une économie de la résilience. Pour cela, je fais partie de celles et ceux, de plus en plus nombreuses et nombreux, qui plaident pour une gouvernance mondiale démocratique de l’alimentation. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)