M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je veux me réjouir que nous puissions nous prononcer ce soir sur les orientations à donner aux deux mandats de négociation en vue d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Australie, d’une part, et la Nouvelle-Zélande, d’autre part.
Je tiens à remercier tout particulièrement nos collègues Pascal Allizard et Didier Marie, à l’origine de cette proposition de résolution, et M. le secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne, qui suit ces dossiers avec vigilance et une grande ouverture d’esprit.
Si, à l’instar du Président de la République et du Gouvernement, nous ne cessons de prôner le retour à une approche multilatérale des échanges économiques, et pas uniquement de ces derniers, nous sommes aussi conscients que l’inertie actuelle de l’OMC ne doit pas pousser l’Union européenne à la paralysie.
L’Europe doit continuer de s’affirmer comme une puissance économique et utiliser l’existence d’accords bilatéraux de libre-échange comme un levier pour promouvoir des normes européennes ambitieuses, aussi bien sur le plan sanitaire et environnemental que sur celui, que l’on oublie souvent de citer, du respect des droits fondamentaux.
La Nouvelle-Zélande et l’Australie sont pour nous des partenaires historiques, dotés d’institutions démocratiques, avec lesquels nous ne devons cesser de renforcer nos relations, tant pour notre bien réciproque que pour celui de l’ordre mondial.
Ces dernières années, ces deux pays ont, chacun de leur côté, multiplié les accords commerciaux avec d’autres partenaires. La Chine, le Japon et la Corée du Sud sont devenus des fournisseurs et des clients de premier ordre pour ces deux nations. Récemment, vous le savez, les États-Unis ont renoncé à développer leurs relations commerciales avec la zone Pacifique, mais pas seulement avec elle.
Plus récemment encore, la décision britannique de quitter l’Union pourrait avoir des conséquences majeures sur les échanges commerciaux importants qui subsistaient, notamment entre le Royaume-Uni et ces deux membres historiques du Commonwealth. Il importe donc que l’UE puisse maintenir des relations économiques étroites avec ces deux pays.
Le Premier ministre australien, en visite à Londres en juillet dernier, a d’ailleurs rappelé que, s’il était « très désireux de nouer des accords commerciaux avec le Royaume-Uni après sa sortie de l’UE », il souhaitait en premier lieu conclure un accord avec l’Union européenne.
De fait, nos pays bénéficient d’une balance commerciale nettement excédentaire avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ce que je n’ai pas entendu jusqu’à présent, mais cette situation est loin d’être acquise compte tenu des bouleversements en cours dans le commerce mondial.
Aussi, même si ces deux projets d’accord se profilent sous de bons auspices et dans des perspectives globalement positives, nous devons cependant être vigilants, tant sur le fond que sur les modalités des négociations à ouvrir, car l’hostilité manifestée par nombre de nos concitoyens à l’égard du TAFTA, des accords CETA ou des négociations actuelles avec le Mercosur crée un climat de défiance fort à l’endroit de tous les traités en cours de discussion ou à venir.
L’Union européenne semble en avoir tiré les conséquences, au moins en partie. Les engagements pris par la Commission dans son nouveau paquet « commerce » de septembre dernier sont plutôt encourageants, même s’ils méritent certainement d’être encore approfondis, comme le préconisent les auteurs du texte que nous examinons. Une véritable transparence devrait être imposée quant au mandat de négociations confié à la Commission.
Toutefois, ces négociations doivent être menées avec lucidité et sans naïveté. Aussi, je me félicite de l’action offensive menée par notre gouvernement à travers son plan d’action pour la mise en œuvre du CETA, qui pousse la Commission européenne à adopter une posture plus ambitieuse, lors de prochaines négociations commerciales, en faveur d’une meilleure prise en compte des enjeux sanitaires et de développement durable, ainsi que de la lutte en faveur de la préservation du climat.
Je veux saluer ici l’ambition du Gouvernement d’intégrer dans les futurs accords commerciaux un renvoi explicite à l’accord de Paris et à la coopération dans la lutte contre les changements climatiques.
De même, il faut reconnaître que les engagements pris d’associer le Parlement à ses travaux et de le tenir informé tout au long de la conduite des négociations commerciales vont dans le bon sens. J’espère seulement que cette volonté sera reprise non seulement par les autres États membres, mais aussi par la Commission.
Comme nos collègues rapporteurs de cette proposition de résolution, je ne vous cache pas que le groupe La République En Marche du Sénat est lui aussi très sensible à la délicate question des secteurs précisément qualifiés de sensibles.
Nous nous inquiétons, comme d’autres, de l’insuffisante prise en compte des impacts négatifs de la libéralisation des échanges. En l’état actuel, les pays de l’Union sont dans une situation de faiblesse compétitive face à la Nouvelle-Zélande et à l’Australie dans un certain nombre de secteurs, notamment agricoles, puisque nos filières sont tenues de respecter des exigences environnementales, sanitaires et phytosanitaires, ainsi que des normes en matière de bien-être animal, qui sont bien plus élevées.
L’Australie est notamment un producteur significatif de sucre, tandis que la Nouvelle-Zélande est actuellement le plus grand exportateur de produits laitiers au monde. Dès lors, il apparaît essentiel de veiller à protéger nos produits agricoles sensibles, qu’il s’agisse des filières bovines, ovines, laitières, ou encore des produits des régions ultrapériphériques, en particulier les sucres. Et cette sensibilité doit absolument être prise en compte dès le mandat de négociation.
À ce sujet, et compte tenu des diverses négociations en cours, nous demandons que l’UE adopte une approche fondée sur le cumul des concessions effectuées dans les négociations passées avec celles qui sont en passe de l’être dans d’autres négociations à venir, produit sensible par produit sensible, au regard de la capacité d’absorption du marché intérieur. Une telle approche à la fois cumulative et panoptique serait une partie du remède face à des inquiétudes bien légitimes.
Pour conclure, au-delà de ces points de vigilance et sous réserve du sort qui sera réservé à ses amendements, le groupe La République En Marche votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, applaudit.)
M. Cyril Pellevat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans quelques jours, le Conseil de l’Union européenne se prononcera sur les projets de mandats sollicités par la Commission européenne pour entamer la négociation d’accords commerciaux avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Permettez-moi en préambule de me féliciter, à l’instar de M. Bizet et d’autres orateurs, que la Commission ait, pour la première fois, accepté de mettre immédiatement ces documents à la disposition du public. Cet engagement en faveur d’une plus grande transparence était profondément attendu. Il était en effet indispensable, pour renforcer la légitimité de la politique commerciale européenne, de répondre à l’émotion, la défiance, voire la suspicion suscitée chez nos concitoyens par le secret qui entoure d’habitude les négociations commerciales.
Ce changement de méthode permet également aux parlements nationaux de se saisir très en amont de ces projets d’accord pour marquer, dès le début du processus de négociation, leur attachement à certaines exigences fondamentales, comme celles que rappelle la présente proposition de résolution.
Je souligne néanmoins que cet effort de transparence devra se poursuivre tout au long des discussions. Étant donné l’impact potentiel de ces accords sur notre économie et nos territoires, il est essentiel que, à chaque étape, les parlementaires soient tenus pleinement informés par le Gouvernement du développement des négociations.
Il ne sera d’ailleurs pas moins primordial, à l’avenir, de contrôler davantage la mise en œuvre des exigences mises en avant par ces accords et de surveiller plus étroitement encore leurs impacts économiques cumulés.
Si nous devons naturellement exercer une vigilance exigeante et constante, tâchons également de considérer les accords commerciaux pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des sources d’opportunités, et pas seulement de menaces. Rappelons-nous que, à ce jour, l’Union européenne demeure la principale puissance commerciale au monde.
L’Europe et la France disposent d’atouts tout à fait considérables à faire valoir sur les marchés mondiaux, y compris d’ailleurs dans le secteur agricole et agroalimentaire, qui cristallise tant d’inquiétudes.
M. Cyril Pellevat. N’oublions pas que certaines de nos filières seront clairement à l’offensive dans ces négociations et qu’elles bénéficieront grandement de la levée des diverses barrières tarifaires et non tarifaires de nos partenaires, pourvu, bien sûr, que nos différentes normes ne soient pas battues en brèche.
Pour les secteurs qui seront structurellement plus vulnérables à la libéralisation des échanges, des mesures d’encadrement et d’accompagnement seront bien entendu nécessaires. Au-delà d’un soutien financier adapté et d’un classement en tant que produits sensibles, qui doivent notamment permettre l’offre de contingents tarifaires aussi limités que possible, je souhaiterais insister sur la question des clauses de sauvegarde. Là où les États-Unis n’hésitent généralement pas à agir en quelques jours avec des mesures massives, la mobilisation de telles clauses en Europe souffre généralement du syndrome du « trop peu, trop tard ».
Cela n’exonère évidemment pas les filières concernées d’une nécessaire réflexion sur leur organisation, leur position sur les marchés et la mise en place de stratégies plus offensives à l’export.
Cependant, si l’Union européenne veut éviter les procès en naïveté commerciale qui lui sont régulièrement intentés, il est indispensable que la Commission évolue dans ses pratiques. Elle a, certes, commencé à le faire dans d’autres domaines avec la modernisation bienvenue de nos outils de défense commerciale, mais il faut désormais que nous soyons extrêmement attentifs à ce qu’elle agisse plus vite et de manière appropriée face aux perturbations de marché qui pourraient résulter de l’application de ce futur accord, comme d’ailleurs de ceux qui ont été conclus par le passé.
Si nous devons, à l’évidence, nous montrer moins frileux à l’égard de la mondialisation, nous ne pouvons pas non plus rester passifs face aux dégâts qu’elle peut provoquer, alors même que des outils de protection sont à notre disposition. Le refus de la protection légitime mènerait alors inévitablement au protectionnisme, qui ne ferait qu’affaiblir l’Europe.
Or, dans un contexte international marqué par le recul du multilatéralisme, par l’effacement relatif des États-Unis et par la montée en puissance de la Chine, l’Europe ne peut rester en retrait et doit se montrer conquérante et offensive pour s’affirmer comme la grande puissance commerciale qu’elle est.
C’est d’autant plus vrai qu’il s’agit de conclure des accords, donc de renforcer nos relations avec des pays qui partagent nos valeurs et nos modes de vie. À ce titre, ils ont vocation à compter parmi nos plus proches alliés dans un monde chaque jour un peu plus incertain. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Yannick Botrel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons à débattre de la proposition de résolution européenne sur les directives de négociation en vue d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Australie, d’une part, et la Nouvelle-Zélande, d’autre part.
Ce texte a vocation à nourrir les négociations de deux accords disjoints, mais concomitants, qui vont s’ouvrir avec ces deux pays.
Sans exagérer outre mesure l’importance du moment, il convient de le relever : c’est la première fois que le Parlement est amené à évaluer un mandat de négociation avant que celle-ci ne soit engagée, du moins officiellement, si l’on excepte l’initiative prise pour le TTIP par notre regrettée collègue Nicole Bricq en 2013.
Cela renvoie tout d’abord à un contexte particulier qu’il faut souligner, car il explique le premier point majeur de cette proposition de résolution européenne : nous nous prononcerons ce soir non pas sur le contenu d’un futur accord de libre-échange, mais sur le mandat que nous entendons voir les États membres accorder à la Commission européenne.
En effet, depuis l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 mai 2017, la quasi-totalité d’un accord de libre-échange relève de la compétence exclusive de la Commission. Si cette situation peut très probablement interroger, pour des raisons d’ailleurs diverses, certains d’entre nous, telle est bel et bien la réalité à laquelle nous sommes confrontés. L’enjeu, éminemment politique, de nos débats est donc de déterminer dans quelle mesure nous arriverons, malgré ce cadre contraignant, à peser sur le contenu d’un éventuel futur accord de libre-échange.
Nous devons choisir entre deux positions : soit rejeter cette réalité et, par voie de conséquence, ce texte, ce qui nous empêcherait de transmettre à la Commission des directives de négociation ; soit décider de faire part de nos points de vue à la Commission européenne quant à l’ouverture de ces négociations, qui ne vont pas sans poser plusieurs questions.
C’est le moment crucial de nous exprimer : les accords commerciaux n’étant dorénavant plus obligatoirement soumis à ratification des parlements nationaux, il s’agit peut-être de la seule occasion que nous aurons de le faire.
Cette proposition de résolution européenne me semble équilibrée, dans la mesure où elle prend en considération différents aspects sensibles et différents points de vue en matière de commerce international et d’accords de libre-échange.
Elle reflète, à cet égard, la sagesse de cette assemblée. Comme d’autres l’ont fait avant moi, je veux saluer le travail remarquable de nos collègues rapporteurs Pascal Allizard et Didier Marie.
Je retiens tout d’abord de ce texte le choix d’une approche globale, et non plus uniquement centrée sur le commerce stricto sensu. Ainsi, la nécessité de l’intégration de dispositions contraignantes sur les volets environnementaux et sociaux, ainsi qu’en matière de développement durable me semble novatrice et fondamentale. Il s’agit d’une avancée.
Cette démarche est d’autant plus importante que, comme il est souligné dans l’exposé des motifs, ce ne sont pas les barrières douanières qui posent le plus de questions, mais bel et bien l’ensemble de facteurs non tarifaires existant encore à ce stade.
Par ailleurs, le texte accorde une place importante à la problématique des produits sensibles. En tant que rapporteur spécial du budget de l’agriculture pour la commission des finances, je suis convaincu de l’intérêt d’une telle prise en compte. Disons-le nettement : c’est absolument nécessaire.
La filière bovine et celle des sucres spéciaux dans nos outre-mer ne peuvent être balayées d’un revers de main. Je suis particulièrement satisfait de voir notre assemblée le rappeler explicitement à la Commission européenne à travers ce mandat de négociation.
Dans le même esprit, je suis également sensible à l’évocation du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, même s’il ne saurait constituer l’alpha et l’oméga des politiques publiques en la matière.
Avant de conclure, je voudrais souligner que la mise en place, dans un contexte d’essor sans précédent du poids des multinationales dans l’édiction mondiale des normes, d’un tribunal bilatéral chargé du règlement des différends entre États et acteurs privés, que cette proposition de résolution appelle de ses vœux, me semble de nature à garantir le droit des États à réguler. Une telle disposition permettrait de répondre aux inquiétudes légitimes qui ont pu se faire jour lors de l’examen du TTIP et du CETA.
Nous allons, je le crois, dans le bon sens. Comme vous le constatez, mes chers collègues, je suis favorable à cette proposition de résolution européenne, qui nous donne les moyens de peser dans les négociations qui vont s’ouvrir.
Pour autant, il ne s’agit pas d’empêcher le débat. Je sais que nous discuterons avec profit des différents amendements, particulièrement ceux qui visent à préciser le degré de contrainte que nous entendons fixer aux négociateurs.
Certains amendements ont d’ores et déjà été adoptés en commission. Je pense notamment à ceux qui tendent à permettre de réaliser une évaluation ex ante des effets économiques et sociaux des accords. Il s’agit d’une disposition tout à fait opportune.
Mes chers collègues, nous ne sommes pas à côté du monde. En ce sens, je ne puis que vous inviter à réserver une issue favorable à ce texte, qui nous permettra de peser sur la séquence de discussions qui va s’ouvrir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Daniel Gremillet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires économiques, je voudrais tout d’abord saluer le président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, ainsi que les rapporteurs, pour le travail qu’ils ont réalisé, notamment eu égard au contexte dans lequel ils ont travaillé. En effet, la commission des affaires européennes a voté cette proposition de résolution européenne le 18 janvier dernier ; depuis lors, les choses se sont accélérées.
Je me félicite, comme tous ici, que le Parlement puisse débattre, pour la première fois, de telles négociations. La France doit s’exprimer. La France doit faire entendre sa voix sur des sujets d’une telle importance, avant que l’Europe ne s’en empare.
Toutefois, on ne peut que souligner le complet décalage qui existe entre le texte que nous avons adopté le 18 janvier et les événements qui ont suivi : l’Europe se retire de plus en plus, dans tous les domaines, et se prive de filets de sécurité ; un projet de texte issu des États généraux de l’alimentation impose de nouvelles contraintes aux producteurs nationaux ; enfin, encore plus récemment, la France ne s’est pas clairement positionnée sur les craintes que suscite le projet de révision de la politique agricole commune – certains scénarios évoquent une baisse de plus de 15 % de ce budget.
Parallèlement, l’Australie et la Nouvelle-Zélande affichent clairement leur ambition. Celle de l’Australie est très libérale, même si elle n’hésite pas à augmenter son soutien aux agriculteurs de 14 % en matière de contraintes environnementales. La Nouvelle-Zélande, quant à elle, annonce une augmentation de plus de 55 % de ses exportations de produits laitiers d’ici à 2025.
Comme l’ont souligné Jean Bizet et Anne-Marie Bertrand, on ne peut discuter de ces négociations en faisant abstraction du contexte international. Il faut tenir compte des accords du CETA et des discussions en cours avec le Mercosur pour bien appréhender les négociations avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, notamment pour ce qui concerne les filières bovine et ovine.
Les coûts de production sont une autre illustration du décalage que j’évoquais voilà quelques instants. La France et l’Union européenne doivent prendre leurs responsabilités : en Australie, les coûts de production peuvent être inférieurs de 70 % aux nôtres dans certains secteurs.
J’aimerais, monsieur le secrétaire d’État, trouver une cohérence entre les discours tenus par le Président de la République respectivement à Rungis et à la Sorbonne. Entre l’affirmation d’une ambition européenne et l’affichage d’une politique française, la contradiction est totale avec les négociations en cours sur les accords de libre-échange.
On ne peut demander toujours plus de normes à nos producteurs et ouvrir plus largement nos frontières à des produits qui ne respectent pas les contraintes que nous nous imposons.
La France et l’Europe doivent affirmer leur ambition, comme le font la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Il n’est pas question de nous refermer sur nous-mêmes : les travaux de la commission des affaires économiques et de la commission des affaires européennes, comme l’a rappelé le président Bizet, s’inscrivent dans la transparence, dans l’équilibre, dans la réciprocité et dans l’exigence normative.
Respecter nos choix est une nécessité. On ne peut avoir des exigences normatives toujours plus élevées pour nos paysans et nous plaindre de nous retrouver en situation de distorsion.
Il s’agit aujourd’hui d’une première : le Parlement est associé au débat sur les négociations en cours. À un an des élections européennes, vouloir retrouver une envie d’Europe et de partage, vouloir recréer une ambition européenne peut avoir du sens.
Toutefois, il y a là aussi un défi, monsieur le secrétaire d’État : il appartient maintenant à la France d’être claire, d’afficher ses ambitions européennes et agricoles et d’assurer la cohérence entre cette envie et la capacité de nos territoires à la supporter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. René Danesi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. René Danesi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos trois commissions compétentes ont adopté la proposition de résolution européenne relative aux directives de négociation en vue d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Australie, d’une part, et la Nouvelle-Zélande, d’autre part.
À travers cette résolution, le Sénat demande à faire valoir son point de vue le plus en amont possible. Il exercera une vigilance constante tout au long des négociations à venir. Il veillera aussi aux conditions de mise en œuvre des accords déjà conclus et de ceux qui le seront, et ils sont nombreux !
L’accord le plus emblématique est celui signé avec le Canada, communément appelé CETA, entré en vigueur à titre provisoire le 21 septembre dernier. D’autres ont été signés, ou sont en cours de discussion, avec Singapour, le Japon, le Vietnam, l’Indonésie, le Mexique, le Mercosur.
Devant la frénésie de l’Union européenne à signer des accords commerciaux tous azimuts, le Président de la République française a demandé à ses homologues un débat sur la stratégie commerciale de l’Union, et cela dans la perspective d’une Europe qui protège enfin les Européens.
Pour y arriver, le président Macron veut non seulement freiner la signature de ces nouveaux accords de libre-échange, mais surtout mieux armer l’Europe contre le dumping social. Force est de constater que notre président n’a rencontré qu’un succès d’estime avec cette proposition, et quelques autres…
Pourtant, le président Macron ne demande qu’une politique commerciale fondée sur l’équité et la réciprocité. Si le Président de la République veut tempérer la frénésie libre-échangiste de l’Union européenne, c’est qu’il a des raisons.
Il s’agit tout d’abord d’une question de forme : l’accord avec les États-Unis communément appelé TAFTA a été négocié dans le plus grand secret, suscitant méfiance et défiance. L’Union européenne affiche une volonté de transparence nouvelle pour les accords à venir avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
Toutefois, en raison de l’aide bienvenue de la Cour de justice de l’Union européenne, les parlements nationaux n’auront plus à approuver ces accords, car on prendra la précaution de ne pas y inclure les investissements directs et les cours d’arbitrage… L’accord étant soumis au seul Parlement européen, aucun parlement national ne pourra plus en bloquer la ratification dans ce nouveau format.
Soit dit en passant, il n’est pas très malin d’écarter les représentations nationales en pleine ratification du CETA, comme vient de le faire le Parlement européen à travers l’adoption, le 26 octobre dernier, d’une résolution allant dans ce sens. Et si la Commission et le Parlement européen veulent écarter les parlements nationaux de la ratification des traités, c’est parce qu’il y a de sérieux problèmes de fond, à commencer par la vive contestation dont les traités commerciaux font l’objet de la part d’organisations syndicales, d’organisations non gouvernementales et de représentants politiques, qui les accusent de négliger les normes sociales, la santé et l’environnement.
Le CETA concentre sur lui toutes les critiques, y compris celles, sévères, de la commission d’experts indépendants mise en place par le président Macron. Selon eux, cet accord est en totale contradiction avec les ambitions affichées par la France pour la protection du climat.
Comme le défunt TAFTA, le CETA et les accords en cours de discussion ont pour objectif non pas de supprimer les petites barrières douanières existantes, mais de liquider les barrières non tarifaires, c’est-à-dire les normes des pays d’Europe qui traduisent notre histoire économique, nos rapports sociaux et notre conception de la protection du consommateur. Tout cela pour le plus grand bénéfice des multinationales de l’agroalimentaire et de l’industrie.
L’accumulation, depuis des années, des accords de libre-échange, qu’ils soient multilatéraux ou bilatéraux, a fait à ce jour le bonheur de la Chine et des multinationales, mais certainement pas celui de la classe moyenne européenne ni des agriculteurs, sans cesse sommés de s’adapter, en particulier les éleveurs.
Certes, l’Union européenne commence enfin à se protéger contre la Chine, mais cela donne tout de même l’impression que les multinationales arrivent progressivement à imposer un nouvel ordre mondial dans lequel les États sont réduits à l’impuissance et les citoyens au rôle de consommateurs.
En conclusion, il faut qu’une majorité de parlements nationaux veille à ce que l’Union européenne ne fasse pas, en matière de libre-échange, l’erreur déjà commise avec son élargissement vers l’est, à savoir se précipiter d’abord et réfléchir ensuite.
La résolution européenne approuvée par nos trois commissions montre la lucidité de notre assemblée en la matière. Nous pouvons donc l’adopter en l’état, éventuellement enrichie d’amendements allant dans son sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. J’ai bien entendu les prises de position fortes des uns et des autres. J’ai aussi constaté qu’un relatif consensus se dégageait sur le texte que nous examinons. Cette proposition de résolution européenne me semble équilibrée et témoigne d’une forte convergence de vue entre le Parlement et le Gouvernement.
M. Gay a évoqué la nouvelle génération des traités. Toutefois, la France ne considère pas que le CETA constitue le summum de cette nouvelle génération. Au contraire, le Gouvernement pousse à l’éclosion d’une nouvelle « nouvelle génération d’accords », qui tienne compte à la fois d’enjeux environnementaux ou sociaux, par exemple, pour soutenir notre ambition.
Par ailleurs, le Gouvernement est intransigeant sur les questions de traçabilité. Nous avons dépêché, voilà quelques semaines, une mission d’audit sanitaire dans les pays du Mercosur. Nous avons tous en tête ce qui s’est passé il y a quelques mois ou quelques années. Dans son discours de la Sorbonne, le Président de la République appelait de ses vœux la création d’outils renforcés en matière d’inspection et d’audit.
L’accord de libre-échange avec le Japon va nous permettre de marquer des points pour un certain nombre de filières. Ne soyons pas défensifs ! Vous parlez des puissances de l’argent, mais cet accord va permettre à de petits producteurs, qui n’ont rien à voir avec les grands groupes que vous évoquez, de trouver des débouchés.
Une fois ces accords signés, tout l’enjeu est de faire connaître leur existence aux entreprises présentes sur nos territoires. Je m’y efforce auprès des chambres de commerce et de toute instance représentative du monde entrepreneurial. Il est nécessaire de faire connaître ces nouveaux débouchés, faute de quoi d’autres s’en empareront au sein de l’Union européenne.
Je veux dire à Pierre Louault et à Cyril Pellevat, qui ont évoqué le monde agricole, que la France n’a pas à rougir. Notre agriculture et notre industrie agroalimentaire, au sens large, sont très offensives : les exportations ont augmenté de plus de 6 % en 2017, pour un excédent de 6,2 milliards d’euros – le léger déficit sur les produits agricoles bruts est dû aux mauvaises récoltes de 2016, en raison des intempéries.
Que serait notre agriculture sans certains débouchés internationaux ? Certains animaux de l’Yonne sont exportés en Iran ; on pourrait trouver d’autres exemples très concrets dans tous nos territoires. J’ai rencontré Christiane Lambert, voilà quelques semaines, pour lui dire combien je souhaitais œuvrer pour toutes ces filières. J’ai ainsi obtenu, en décembre dernier, la levée d’un embargo sur les exportations de volaille française en Irak : c’est un marché de 200 millions d’euros qui s’ouvre de nouveau.
Je souhaite mener un travail avec toutes les filières ayant des groupes exports pour identifier les barrières à lever. C’est important pour nos agriculteurs et nos terroirs.
Plusieurs d’entre vous, notamment Colette Mélot et André Gattolin, ont évoqué l’Europe qui protège. Ce dernier a mis le Gouvernement en garde contre toute naïveté. Je peux vous affirmer, monsieur Gattolin, que la France fait très clairement entendre sa voix, notamment à Bruxelles, pour demander, par exemple, que les investissements étrangers fassent l’objet d’un examen très attentif. Des discussions sont actuellement conduites sur ce sujet, et nous avons réussi à rallier nos amis allemands.
Par ailleurs, toute anomalie détectée dans l’application des accords de libre-échange doit faire l’objet de sanctions, de mesures fortes. À cet égard, nous plaidons pour la création d’un procureur commercial européen – en bon français, un chief enforcement officer–, chargé de suivre quotidiennement l’application des accords comme le lait sur le feu.
La France a une vision des choses non pas angélique, mais réaliste. Nous sommes lucides : le monde est un vaste théâtre d’opérations économiques, dans lequel nous devons nous battre à armes égales avec nos adversaires. Nous ne sommes pas dans une logique de désarmement, mais bien plutôt de réarmement.
En ce qui concerne le règlement des différends en matière d’investissement, la formule inscrite dans le CETA est meilleure que l’ancien dispositif de règlement des différends entre investisseurs et États, plus communément appelé l’ISDS, et qui avait fait l’objet de débats dans cette assemblée. Toutefois, le mieux selon nous serait d’instituer une cour permanente internationale pérenne, dont les membres seraient nommés et suivraient des règles déontologiques bien établies. Il s’agit donc de passer une étape encore supérieure, et nous menons ce combat.
Monsieur Gremillet, le Président de la République a rappelé le 25 janvier dernier qu’il souhaitait défendre une politique agricole commune aux ambitions préservées. Il n’est pas question d’une PAC au rabais !
Stéphane Travert a également eu l’occasion de rappeler qu’il voulait doter la future PAC d’un budget fort. Nous n’entrons pas dans la négociation en baissant pavillon, loin de là. Nous allons travailler avec l’ensemble des filières et nous avons bon espoir d’être à l’offensive.