M. Alain Milon, rapporteur. L’article L. 2262-13 que souhaitent abroger les auteurs de l’amendement n° 91 tire les conséquences d’un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation.
Dans un arrêt du 27 janvier 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées.
En conséquence, il revient à celui qui les conteste de démontrer que ces différences de traitement sont étrangères à toute considération de nature professionnelle. La chambre sociale a étendu cette jurisprudence aux différences de traitement entre salariés exerçant des fonctions distinctes au sein d’une même catégorie professionnelle, puis aux différences de traitement résultant d’accords d’établissement au sein d’une même entreprise.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
S’agissant de l’amendement n° 92, le délai de deux mois pour engager une action en nullité contre un accord collectif est effectivement bref, mais il correspond à celui bien connu pour introduire devant le juge administratif un recours en excès de pouvoir contre un acte réglementaire.
J’ajoute que les salariés conservent la faculté, qui n’est pas limitée dans le temps, d’attaquer indirectement, par voie d’exception, un accord devant le juge judiciaire quand il est lié à un litige individuel.
La commission émet donc également un avis défavorable sur cet amendement.
Concernant l’amendement n° 27, la commission souhaite conserver les trois articles mentionnés dans cet amendement de suppression.
Le premier article porte sur la charge de la preuve en matière de recours contre un accord. Nous venons de le voir avec l’amendement n° 91.
Le deuxième concerne le délai de prescription des actions en nullité, fixé à deux mois. Nous venons d’en parler avec l’amendement n° 92.
Le troisième autorise le juge à moduler dans le temps les effets de sa décision en cas d’annulation d’un accord, en reprenant une jurisprudence du Conseil d’État du 11 mai 2004, Association AC ! et autres.
Tous ces articles améliorent, selon la commission, la sécurisation juridique des normes du droit du travail. Elle émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Enfin, je ne comprends pas ce qui motive l’amendement n° 93, car l’article L. 2262-15 vise à mieux protéger les salariés et les employeurs quand un accord est annulé par le juge.
J’ajoute que le Sénat tient à cette mesure, car c’est notre assemblée qui l’a proposée lors de l’examen de la loi Travail à travers un amendement présenté par Mme Lamure et plusieurs membres de la délégation aux entreprises.
Au total, la commission émet donc un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements en discussion commune.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Concernant l’amendement n° 91, la présomption de conformité des accords est un principe de droit qui fait sens. De surcroît, considérer que les accords majoritaires ne bénéficient pas par principe de cette présomption, c’est introduire de la défiance avant même le début des négociations, même si rien n’empêche l’une des deux parties de former par la suite un recours… Laissons plutôt la confiance s’installer !
Concernant l’amendement n° 92, un délai de six mois serait beaucoup trop long, d’autant que cette durée de deux mois correspond à la pratique. Le cas échéant, l’accord aurait eu le temps de produire ses effets, ce qui ne serait pas forcément l’intérêt ni d’une partie ni de l’autre.
En ce qui concerne l’amendement n° 27, le Gouvernement est évidemment défavorable à suppression des trois articles. Le juge sait parfaitement moduler dans le temps les effets de sa décision en cas d’annulation d’un accord : il prend en compte la nature du sujet et, bien évidemment, la situation des deux parties, notamment celle des salariés dans une petite entreprise.
La question qui se pose, c’est celle d’une rétroactivité complète ou non de la décision du juge. De fait, on n’a observé jusqu’à présent aucune étrange jurisprudence qui rendrait nécessaire de légiférer. Je me permets donc de renvoyer l’ascenseur ! (Sourires.)
Aussi, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces quatre amendements.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article additionnel après l’article 2
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié quater, présenté par MM. Chasseing, Luche et Cigolotti, Mme F. Gerbaud, MM. Longeot, Gabouty et les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le quatrième alinéa de l’article L. 1233-4 du code du travail, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’employeur n’est pas tenu de réaliser des efforts de formation ou d’adaptation qui nécessiteraient l’acquisition de connaissances de base non acquises avant le reclassement. »
La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Le nouvel article L. 1233-4 du code du travail, modifié par l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, prévoit une obligation de formation, imposant à l’employeur des efforts de formation ou d’adaptation du salarié avant qu’un licenciement économique ne puisse intervenir.
C’est très bien, mais cette obligation n’est aujourd’hui ni limitée ni précise. Il peut cependant être compliqué de former un salarié pour un poste disponible s’il ne dispose pas de suffisamment de compétences pour accéder à un tel poste ; la formation doit être en rapport avec les possibilités du salarié.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement de notre collègue Daniel Chasseing vise à préciser que l’employeur n’est pas obligé de proposer des actions de formation de base aux salariés avant un licenciement économique.
Il est vrai que la formation professionnelle doit, hélas, souvent pallier les carences de la formation initiale, mais cet amendement risque d’envoyer un mauvais signal, alors même que le Gouvernement veut mettre l’accent sur la formation tout au long de la vie. En outre, la notion de « connaissances de base » me paraît floue et mal définie.
La commission sollicite donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. L’acquisition de connaissances de base n’implique pas de devoir en revenir à une formation initiale complète ; auquel cas, il ne serait pas possible de solliciter l’employeur à cette fin.
En revanche, alors que les mutations professionnelles sont chaque jour un peu plus d’actualité, l’employeur a pour responsabilité essentielle de maintenir l’employabilité de ses salariés, de veiller à leurs compétences ; j’irai presque jusqu’à dire que c’est inscrit dans le contrat. C’est un sujet sur lequel nous aurons l’occasion de revenir lors de l’examen de la prochaine loi.
Le Gouvernement demande donc lui aussi le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettrait un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Chasseing, l’amendement n° 4 rectifié quater est-il maintenu ?
M. Daniel Chasseing. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié quater est retiré.
Article 3
(Non modifié)
L’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales est ratifiée.
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, sur l’article.
M. Dominique Watrin. Je veux revenir sur l’annonce de la rédaction d’une sixième ordonnance, dite « ordonnance balai », qui est – ou serait – censée corriger les erreurs et les incohérences des cinq textes initiaux. En tout cas, c’est ainsi qu’elle est présentée.
Alors que l’article 3 prévoit la fusion des instances représentatives du personnel au sein du nouveau conseil social et économique, le CSE, entraînant au passage la disparition des CHSCT, des comités d’entreprise et des délégués du personnel, cette fameuse ordonnance balai prévoit d’élargir la capacité de négociation du futur conseil d’entreprise. En effet, l’article 3 autorise les entreprises à transformer, par accord majoritaire avec les syndicats, le nouveau CSE en conseil d’entreprise, lequel pourrait même négocier des accords avec les employeurs.
Par exemple, un plan de sauvegarde de l’emploi pourra être négocié par le conseil d’entreprise, et non plus par les organisations syndicales représentatives.
En attendant de discuter de cette sixième ordonnance, celle dont nous débattons à cet article prévoit la disparition des CHSCT et leur remplacement par une commission « santé, sécurité et conditions de travail », mais uniquement dans les entreprises de plus de 300 salariés, alors que les CHSCT étaient créés dans celles de plus de 50 salariés.
En réalité, en supprimant cette instance, vous supprimez l’instance de représentation la plus proche de la réalité de l’activité et du travail. Ses réunions sont en effet l’occasion de discussions, de décisions et d’expertises en faveur de l’amélioration des conditions de travail et l’ordre du jour de cette instance est exclusivement consacré à ce sujet.
D’ailleurs, les CHSCT n’ont cessé de prendre de l’importance ces dernières années pour devenir des acteurs incontournables dans la prévention des risques professionnels, qu’ils soient physiques, chimiques ou organisationnels. Cette montée en puissance s’est faite, alors que se développaient des maladies psychosociales et que les pathologies plus classiques se maintenaient à un niveau élevé.
Malgré leurs limites, les CHSCT remplissaient une fonction spécifique, préventive, que vous prenez la responsabilité de supprimer. Pour notre part, nous nous opposons à cette régression, qui ne tardera pas – nous en sommes convaincus – à montrer des effets négatifs, et cela bien au-delà de l’entreprise.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l’article.
M. Roland Courteau. Au sujet de l’article 3, comme pour l’article 4 d’ailleurs, et quitte à me répéter, je persiste à dire que la fusion prévue des délégués du personnel, du CHSCT et du comité d’entreprise aura pour effet de relativiser les questions de santé au travail.
Je l’avais dit l’été dernier ici même et je le redis aujourd’hui encore une fois, il s’agit d’une grave régression, notamment en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés.
On nous avait promis qu’une commission traiterait les questions d’hygiène et de santé et celles liées aux conditions de travail et qu’elle bénéficierait de la personnalité morale pour pouvoir ester en justice. Comme l’a fait remarquer Jean-Louis Tourenne, seules les entreprises de plus de 300 salariés seront obligées d’instaurer cette commission qui, d’ailleurs, n’aura pas de personnalité morale… Et quid des autres entreprises ?
Je veux encore rappeler que chacune des trois instances que vous voulez fusionner a une histoire, et surtout une raison d’exister. Elles permettent aux salariés d’intervenir et de s’exprimer. Par exemple, les CHSCT ont un rôle irremplaçable pour vérifier que les lois et règlements ayant un rapport avec la sécurité et la santé au travail sont bien respectés. Ces comités sont aussi des lanceurs d’alerte dans le domaine de l’environnement et pour bien d’autres questions encore.
Comme l’écrivait un sociologue du travail, les élus du CHSCT constituent la mauvaise conscience de l’employeur, lui rappelant sans cesse les conséquences de ses décisions sur les salariés. Voilà qui explique que certaines organisations patronales considèrent bon nombre de ses prérogatives comme exorbitantes. Le contre-pouvoir que constituent les CHSCT semblait en effet les gêner. « Cachons ces conditions de travail que nous ne saurions voir ! », pourrait-on dire pour expliquer cette position… (Sourires.)
Je persiste : fusionner toutes ces instances en une seule, c’est enlever de l’efficacité et de la force à chacune d’elles, à commencer par le CHSCT, dont le remplacement par une hypothétique commission dans les entreprises de moins de 300 salariés ne saurait suffire. Je m’opposerai donc à une telle fusion.
Pour conclure, je rappellerai qu’il n’y a pas de fatalité à ce que le Parlement du XXIe siècle vote des lois dont le XXe siècle n’a pas voulu. Et si le XXe siècle n’en a pas voulu, c’est que ces lois n’étaient pas fidèles aux promesses de justice de la République.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, sur l’article.
Mme Sophie Taillé-Polian. Je ne reviendrai pas en détail sur les dispositions de cet article, parce que mes deux collègues Watrin et Courteau l’ont fait brillamment.
Cet article acte effectivement la disparition du CHSCT, mais, au-delà de cette mesure, je dois dire que la politique actuellement mise en place par le Gouvernement contient toute une série de mesures, qui fragilisent les dispositifs et les acteurs de la prévention des risques professionnels.
Pourtant, ces problématiques émergent aujourd’hui dans la société, souvent à la suite – malheureusement – de scandales, comme l’amiante ou les vagues de suicides qu’ont connues de grandes entreprises.
Malgré cela, le Gouvernement ne se saisit pas de ce sujet. Au contraire, madame la ministre, vous êtes gravement, et presque inexplicablement, à contre-courant. C’est pourquoi je vous appelle, ainsi que votre collègue en charge de la santé, à écouter les acteurs et les parlementaires.
Plusieurs exemples concrets montrent ce décalage : le budget de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail connaît encore une diminution et des suppressions de postes vont être mises en œuvre ; à l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, 58 postes de chercheurs vont également être supprimés, alors qu’ils ont pour objectif de trouver des solutions aux problèmes graves que rencontrent les salariés dans leurs conditions de travail ; les CARSAT – les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail – auront 80 postes en moins, alors que la branche AT-MP est excédentaire.
De leur côté, les ordonnances entraînent la disparition du CHSCT et une moindre prise en charge des expertises. Or, ces expertises, dont le financement est mis en danger, touchent directement la prévention des risques professionnels, y compris lorsqu’elles concernent la question des réorganisations. Il faut aussi citer, bien évidemment, le compte professionnel de prévention, qui remplace le compte personnel de prévention de pénibilité dont on retire, au passage, quatre facteurs de risques, notamment l’exposition à des agents chimiques dangereux.
En matière de santé, on sait bien que l’exposition à certains risques chimiques provoque des cancers et la traçabilité dans l’entreprise est essentielle, car elle permet de comprendre l’origine de la maladie, et donc d’assurer la prévention et de traiter le problème.
On le voit, bien des décisions prises par le Gouvernement ne peuvent que susciter un regard non seulement critique, mais surtout extrêmement inquiet, en ce qui concerne la situation de la prévention des risques professionnels.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, sur l’article.
M. Martial Bourquin. Madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes en pleine curiosité législative, puisque nous discutons d’un texte qui s’applique déjà en grande partie. Avouez tout de même que c’est assez singulier ! C’est pourtant la réalité.
L’article 3 du projet de loi, qui concerne la fusion des différentes instances représentatives dans l’entreprise, pose un véritable problème. En effet, nous serons certainement les seuls, en Europe, à pratiquer de la sorte.
L’Allemagne est souvent présentée comme un exemple sur le plan économique et en termes de consensus entre directions des entreprises et organisations syndicales. Or ce consensus s’exprime notamment dans des instances comme le CHSCT, tout simplement parce que ce comité joue un rôle fondamental en matière de santé au travail.
Les élus qui siègent dans les CHSCT se sont formés durant des années. Ils ont la possibilité de dialoguer avec la direction et de faire des suggestions pour améliorer la santé au travail, les conditions de travail, donc la productivité.
Vous décidez de fusionner tout cela et, à terme, les missions réalisées aujourd’hui par les CHSCT vont disparaître. En effet, les organisations syndicales sont unanimes pour dire que siéger efficacement dans un CHSCT nécessite d’être formé. Il faut connaître le droit du travail, mais aussi les questions de santé et de dangerosité, tous sujets qui nécessitent bien évidemment une formation.
Pourquoi fusionner ces organismes, alors que chez nos voisins européens, ils sont utilisés pour discuter et élaborer des consensus ? Cette décision me paraît dommageable, car une telle fusion risque d’empêcher l’émergence publique de nombre de problèmes de santé au travail.
Parmi ces ordonnances, qui, disons-le, sont antisociales (Exclamations sur les travées du groupe Union Centriste.), la disparition du CHSCT constitue certainement le recul social le plus emblématique !
Mme Françoise Gatel. Ce n’est tout de même pas la fin du monde !
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de respecter vos temps de parole.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 28 est présenté par M. Watrin, Mme Cohen et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 94 est présenté par MM. Tourenne et Daudigny, Mmes Féret, Grelet-Certenais et Jasmin, M. Jomier, Mmes Lienemann, Lubin, Meunier, Rossignol, Van Heghe, Taillé-Polian et G. Jourda, MM. Courteau, Kerrouche, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 28.
Mme Laurence Cohen. Les collègues qui se sont exprimés sur cet article en ont bien montré la nocivité. Pour nous, la fusion des instances représentatives du personnel ne va pas du tout dans le bon sens. Je veux insister sur le fait que chacune de ces instances joue un rôle bien différencié et nécessaire à la démocratie sociale en entreprise.
Qu’il s’agisse des revendications du quotidien, de la santé ou des conditions de travail, chaque élu a un rôle spécifique, tout en restant ancré dans la réalité de son entreprise.
La création par ces ordonnances du comité social et économique détricote ce maillage au plus près de la réalité du travail et des salariés. Ces ordonnances prétendument destinées à renforcer le dialogue social font en fait l’inverse, et j’y vois trois raisons.
Tout d’abord, la fusion dans une seule instance introduira une grande complexité pour les représentants du personnel, ce que tous les syndicalistes auditionnés par notre groupe ont dénoncé.
Ensuite, la suppression du CHSCT en tant qu’institution autonome est très grave, car elle contribue à diluer les questions de santé au travail, qui sont pourtant fondamentales à l’heure où les techniques managériales augmentent les risques psychosociaux. Les accidents du travail sont nombreux, et les CHSCT conservent plus que jamais toute leur place. Vous parlez de prévention et d’amélioration des conditions de travail, mais vous cassez l’outil qui est au cœur de ces questions.
Enfin, la fusion de ces instances va diminuer le nombre d’élus, et ceux qui seront élus devront assumer plus de missions avec autant d’heures de délégation. Là encore, comment imaginer que cette mesure constitue un atout pour le dialogue social ? C’est l’inverse ! Comment ignorer que, de fait, ces délégués du personnel vont devenir, faute de temps, des professionnels éloignés des problématiques de terrain ?
La fusion de ces instances est donc dangereuse et contribue encore un peu plus à faire pencher la balance toujours du même côté, celui qui n’est pas favorable aux salariés.
Si les conditions de travail sont bonnes, la productivité du travail s’améliore ; tout le monde est donc gagnant : les salariés comme les directions des entreprises. Avec cet article, nous sommes au contraire dans un mouvement « perdant-perdant » !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour présenter l’amendement n° 94.
M. Jean-Louis Tourenne. Tout ce qui vient d’être dit dénote la gravité de la décision qui a été prise par l’intermédiaire de l’ordonnance n° 2017-1386, ratifiée à l’article 3 du projet de loi, et qui aboutira à une dégradation grave des conditions de l’exercice professionnel dans l’entreprise.
Je ne vais pas reprendre l’ensemble des arguments, puisque je les ai déjà évoqués dans la discussion générale et qu’ils viennent d’être rappelés.
Les effets toxiques de la fusion, qui plus est, brutale, de l’ensemble des instances représentatives du personnel en une instance unique ont été démontrés. En outre, cette mesure risque de créer une nouvelle complexité des tâches et des responsabilités pour les élus du personnel, qui seront moins nombreux pour les assumer.
Je note également la volonté de réduire le nombre de mandats à trois. Or les accords de branche fixent souvent la durée de ces mandats entre deux et quatre ans, ce qui pourrait entraîner une période totale de six ans seulement.
M. Martial Bourquin. Oui, c’est d’une bêtise incroyable !
M. Jean-Louis Tourenne. Pour ma part, je suis sénateur depuis trois ans et je n’ai pas encore appris tous les arcanes du métier. Exercer de telles fonctions demande des compétences, des connaissances et une sensibilité particulière.
Qui plus est, vous allez interdire aux représentants du personnel – j’espère que ce n’est pas voulu – de disposer des moyens nécessaires pour remplir leurs missions.
La suppression du CHSCT et son remplacement par une hypothétique commission dans les entreprises de moins de 300 salariés constituent, à notre sens, une régression grave en matière de conditions de travail et de prévention de la santé et de la sécurité des salariés. Cela aboutira inévitablement à la dilution de ces questions, pourtant primordiales, dans l’ensemble des compétences du nouveau CSE, notamment les considérations économiques. Je note d’ailleurs que les ordres du jour de ces conseils seront particulièrement chargés…
Cela a été dit, ces commissions spécialisées n’auront pas la personnalité juridique et ne pourront pas ester en justice, aspect qui donnait de l’indépendance aux CHSCT et leur permettait de juger en toute objectivité et de s’adresser éventuellement aux instances compétentes afin de régler les difficultés.
En ce qui concerne la liberté du conseil social et économique de décider du transfert de l’excédent du budget de fonctionnement vers les activités sociales et culturelles, le projet de loi de ratification revient sur un droit du CSE : selon les informations disponibles, ce transfert serait limité à 10 %. Ainsi, en cas d’excédent de fonctionnement, seuls 10 % des fonds pourraient être utilisés en plus pour les activités culturelles et sportives.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Louis Tourenne. Ce seuil est particulièrement bas et conduit à s’interroger sur la volonté de réduire, à terme, le budget des CSE.
Enfin, en ce qui concerne le financement des frais d’expertise, sujet traditionnellement conflictuel, le projet de loi de ratification ajoute une nouvelle restriction aux droits du CSE. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Jean-Louis Tourenne. Pour l’ensemble de ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 3.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission est favorable au maintien de l’article 3. Elle est donc défavorable à ces amendements identiques de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Je voudrais revenir un instant sur la question de la santé au travail.
Nous en sommes tous d’accord, il s’agit d’un sujet très important.
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Martial Bourquin. Tellement important que vous supprimez les CHSCT !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le désaccord que nous pouvons avoir avec certains d’entre vous ne porte donc pas sur l’intention, mais sur l’efficacité et les moyens.
En ce qui concerne la fusion des instances, que certains estiment judicieuse, d’autres non, je voudrais revenir sur le cas de l’Allemagne : la commission où les sujets de santé au travail sont discutés fait partie du Betriebsrat, équivalent du futur comité social et économique. L’intégration d’une telle commission au sein d’un conseil plus large ne signifie donc pas moins d’efficacité.
Je rappelle d’ailleurs que, en matière d’accidents du travail, la France a aujourd’hui de mauvais résultats. On ne peut donc pas dire que le dispositif en vigueur donne pleinement satisfaction… Et l’une des raisons qui expliquent ces résultats tient justement au fait que la santé et les conditions de travail dans l’entreprise ne sont pas considérées comme l’affaire de tous.
L’absence d’un comité unique, qui s’intéresse à la fois à l’économie générale de l’entreprise, à son organisation, au temps de travail, à la formation et aux conditions de sécurité, explique que nous nous situions davantage dans le curatif que dans la prévention primaire.
Je puis vous dire que je parle d’expérience. Lorsque Christian Larose, Henri Lachmann et moi-même préparions, en 2010, notre rapport sur le bien-être et l’efficacité au travail, nous imaginions déjà un rapprochement des instances pour que la santé au travail devienne l’affaire de tous, au niveau tant du management que des partenaires sociaux.
Il est évidemment nécessaire que quelques personnes se spécialisent plus avant du fait de la technicité des sujets. Cela existe d’ailleurs aujourd’hui dans les entreprises avec les personnes responsables de la prévention, parfois appelées « préventeurs ». Les ordonnances ne modifient pas cet aspect.
Pour autant, un comité social et économique, qui s’attaque à l’ensemble des questions, permet de faire en sorte que la santé au travail devienne l’affaire de tous.
Vous le savez, il est prévu qu’une commission spécialisée sera créée dans les entreprises de plus de 300 salariés et dans tous les secteurs sensibles – on pense naturellement à la chimie, mais il y a aussi la construction et bien d’autres. C’est une occasion de mettre ces questions à l’agenda de tout le monde.
Par ailleurs, je rappelle que les membres du CHSCT ne sont pas élus directement par le personnel et ne sont donc pas considérés par les salariés comme des représentants au sens direct. Dorénavant, ceux qui s’occuperont de ces sujets seront élus, ce qui devrait créer un lien et une dynamique plus forts.
En ce qui concerne la pénibilité, et comme je l’ai indiqué dans la discussion générale, nous avons eu pour objectif de transformer un droit formel en un droit réel qui s’applique à la totalité des salariés, même dans les petites entreprises. Cela n’aurait pas été le cas si nous en étions restés aux textes précédemment en vigueur.
Pour autant, je suis d’accord avec vous pour dire que la question des risques chimiques reste pendante. C’est un sujet très difficile, puisque, par définition, l’effet est considérablement différé. C’est pourquoi Agnès Buzyn et moi-même avons confié une mission au professeur Frimat. Et il est évident que nous devrons revenir sur ce sujet, pour mettre en place un outil qui soit efficace à la fois en termes de prévention et de réparation.
Toujours avec Agnès Buzyn, j’ai lancé une mission sur la santé au travail pour faire le point sur le renforcement de la prévention et j’ai demandé que la prévention primaire soit intégrée dans les priorités. Cette mission approfondira aussi les questions liées à la médecine du travail, dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle rencontre de graves difficultés – on le voit, entre autres, au déficit de candidatures – et que ses métiers doivent évoluer.
Vous le voyez, la prévention comme la santé et la sécurité au travail font partie de nos priorités. En ce sens, faire en sorte que l’ensemble du comité social et économique s’empare de ces sujets et s’en sente responsable est une bonne chose.
Bien sûr, certains membres se spécialiseront et apporteront leur expertise propre, mais intégrer la prévention dans toutes les compétences du comité – contexte économique, organisation et aménagement du travail… – est positif. Aujourd’hui, une instance est chargée de négocier un accord, tandis qu’une autre en évalue les conséquences, ce qui est clairement un obstacle à la prévention.
Contrairement aux craintes que certains d’entre vous ont exprimées, le CSE permet de progresser sur le terrain de la santé au travail et de la prévention. Les représentants continueront d’être formés et aucune obligation existante en matière de santé au travail n’est diminuée du fait des ordonnances.