M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, permettez-moi de vous remercier de vos interventions. Il ne me sera pas possible de répondre à l’ensemble de vos prises de parole, à ce stade du moins : je vous prie de m’en excuser à l’avance. J’essayerai de me concentrer sur ce qui relève de l’ordre du jour du Conseil des 14 et 15 décembre prochains.
Vous avez été très nombreux, et j’hésite même à vous citer tous – M. del Picchia, M. Menonville, M. Marie, Mme Keller, M. Gattolin, M. Kern, M. Pellevat, Mme Mélot –, à saluer la perspective de la conclusion de la première phase des négociations relatives au Brexit et à vous interroger sur les différents aspects de l’accord trouvé entre les négociateurs.
Pour ce qui est des droits des citoyens, j’ai indiqué dans mon propos liminaire la façon dont seraient considérés les Européens au Royaume-Uni.
Monsieur Gattolin, madame Mélot, vous avez parfaitement raison de le souligner : si plusieurs points de vigilance demeurent, le résultat d’ensemble se révèle protecteur pour les citoyens européens vivant au Royaume-Uni. Ces derniers pourront continuer à y résider, à y étudier et à y travailler comme ils le font aujourd’hui. Il en va de même pour les ressortissants britanniques installés chez nous, notamment les retraités.
Certes, monsieur le vice-président Pellevat, nous aurions souhaité que la Cour de justice de l’Union européenne soit mobilisée systématiquement, et non de manière facultative. Nous aurions aussi souhaité qu’elle puisse agir sans contrainte de temps, et non seulement pendant huit ans. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer la protection qu’apportera le juge britannique.
Nous avons insisté pour que les lignes directrices que le Conseil européen adoptera rappellent bien le rôle de la Cour et son importance transversale.
La solution trouvée pour ce qui concerne les citoyens européens résidant au Royaume-Uni doit être clairement circonscrite à ce cas particulier, dont les implications ne sont pas les mêmes, par exemple, que pour le marché intérieur. Nous veillerons donc à ce que cette solution ne crée pas de précédents dans les autres domaines de la négociation à venir. C’est là un point clef pour éviter d’affaiblir le marché intérieur.
Pour ce qui concerne l’Irlande, M. del Picchia, Mme Keller et M. Pellevat ont souligné que, si la déclaration d’intention va dans le bon sens, les principes retenus semblent s’exclure mutuellement.
Cette ambiguïté devra être levée au cours de la deuxième phase de négociation. Le point important est qu’un éventuel alignement réglementaire entre le Royaume-Uni et l’Union européenne dans les domaines nécessaires à la mise en œuvre des coopérations entre le nord et le sud de l’Irlande ne peut avoir pour conséquence un marché intérieur à la carte : une telle situation serait inacceptable pour nous. J’insiste sur ce point : nous serons très attentifs à un total respect de l’intégrité du marché intérieur.
Pour ce qui concerne le règlement financier, je tiens à rassurer MM. Pellevat, Marie et Menonville : le Royaume-Uni accède bien à la quasi-totalité des demandes européennes. Nous pouvons nous en réjouir. J’ai cité tout à l’heure les grandes masses ; s’y ajoute, par exemple, la participation du Royaume-Uni à la facilité en faveur des réfugiés en Turquie ou au Fonds européen de développement.
Certes, tant que l’accord de retrait n’est pas finalisé, le Royaume-Uni n’est pas engagé juridiquement ; mais il l’est politiquement, comme le sera l’Union européenne si le Conseil européen estime que les progrès sont suffisants.
Madame Keller, la période de transition devra être limitée dans le temps, et elle ne pourra pas être renouvelée.
Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur Gattolin, Michel Barnier l’a dit, nous sommes parvenus à un accord quant aux principes et aux paramètres du règlement financier. Les hypothèses macroéconomiques peuvent fluctuer, et les chiffres avec elles. Je relève tout au plus que le chiffre de 40 à 45 milliards d’euros, avancé par diverses sources britanniques, est un montant net, défalquant les sommes que le Royaume-Uni va continuer à percevoir de la part de l’Union européenne.
Quant au calendrier de versement des sommes que le Royaume-Uni doit à l’Union, il sera similaire à celui que suivent les autres États membres, ni plus rapide, ni plus lent.
Monsieur Kern, monsieur del Picchia, monsieur Pellevat, vous avez mentionné l’association des parlements nationaux à la négociation du Brexit. Il est clair que l’accord sur la relation future sera soumis à la ratification de ces diverses assemblées.
Madame Keller, monsieur del Picchia, vous m’avez interrogée quant à l’avenir des relations dans le domaine de la défense entre la France et le Royaume-Uni. Nous sommes déterminés à poursuivre et à approfondir cette coopération, à la fois à titre bilatéral et avec d’autres partenaires. C’est l’un des aspects qui doivent figurer dans la deuxième phase des négociations.
Monsieur del Picchia, monsieur Kern, monsieur Pellevat, madame Keller, madame Mélot, la coopération structurée permanente, que vous avez analysée, a été lancée lundi dernier à vingt-cinq États membres. Au total, dix-sept projets ont été présentés dans ce cadre.
Nous devrons démontrer que les engagements que nous avons pris seront bien mis en œuvre, et les décisions de lancement des premiers projets seront prises rapidement. Les chantiers les plus urgents seront financés de façon intergouvernementale, directement ou via le fonds européen de défense lorsque ce dernier sera opérationnel. Certains pourraient bénéficier du programme de développement de l’industrie de défense, qui prévoit de premiers financements communautaires dès 2019, pour 500 millions d’euros au titre des années 2019 et 2020.
Madame Keller, vous m’avez posé une question précise au sujet de l’Eurocorps. L’engagement n° 13 de la coopération structurée permanente, la CSP, contient un tiret qui incite les membres de la CSP à rejoindre les structures multinationales, dont l’Eurocorps.
Je rappelle que l’Eurocorps est un projet séparé de la construction européenne, qui peut être utilisé par des coalitions internationales, par l’Union européenne – tel a été le cas au Mali en 2015 ou en Centrafrique en 2016 –, ou encore par l’OTAN – il en fut ainsi en 2000 au Kosovo et en 2012 en Afghanistan.
Monsieur Marie, vous vous êtes inquiété du débat relatif aux migrations prévu à l’agenda des leaders. Laissez-moi vous rassurer : c’est précisément pour réfléchir ensemble à l’avenir de l’Europe, et sans se substituer aux colégislateurs, que les chefs d’État et de gouvernement ont choisi cette forme de débat, durant le dîner, qui ne donnera pas lieu à des conclusions écrites.
Nous sommes nombreux à craindre que l’Europe n’avance à trop petits pas, voire que, parfois, elle ne fasse du sur-place. Il est utile que les chefs d’État et de gouvernement puissent, à chacune de leurs rencontres, parler librement et échanger sur les sujets majeurs qui mettent en jeu l’avenir de l’Union européenne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs d’entre vous, notamment M. Marie, Mme Keller, M. Gattolin et M. de Montgolfier, m’ont interrogée au sujet de la zone euro.
Comme je l’évoquais dans mon propos introductif, les propositions présentées par la Commission européenne le 6 décembre dernier permettent de lancer le débat. Mais il est clair, monsieur Gattolin, monsieur Marie, que nous souhaitons être plus ambitieux.
J’ai évoqué tout à l’heure notre vision d’une capacité budgétaire de la zone euro. À court terme, nous devons cependant commencer par compléter l’union bancaire, par déployer un filet de sécurité pour le fonds de résolution unique. Vous le savez, la France est favorable à une telle action.
Nous soutenons l’idée de doter, à terme, la zone euro d’un ministre des finances, qui pourra contribuer à une meilleure coordination des politiques économiques et à une amélioration du contrôle démocratique de la zone euro. Toutefois, une telle réforme suppose de renforcer la zone euro par des compétences nouvelles, notamment par une capacité budgétaire propre.
Madame Keller, monsieur Menonville, puisque vous mentionnez l’harmonisation de la fiscalité des entreprises,…
M. Yvon Collin. C’est très important !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. … permettez-moi de rappeler notre vision à cet égard : celle, le moment venu, d’un budget de la zone euro financé par des taxes nouvelles dans les domaines numérique et environnemental, ou bien encore, à terme, par l’affectation d’une partie des recettes de l’impôt sur les sociétés, lorsque ce dernier sera harmonisé. La France souhaite que ces sujets figurent dans le débat que nous aurons avec nos partenaires européens.
Au-delà des considérations propres à la zone euro, nous avons l’ambition commune, avec l’Allemagne, de parvenir dans les quatre prochaines années à l’harmonisation des bases de l’impôt sur les sociétés.
Par ailleurs, nous avons appelé à une réduction des écarts de taux d’impôt sur les sociétés à l’échelle européenne, en définissant un corridor de taux qui engagerait les États membres.
Monsieur Kern, monsieur Marie, vous avez plaidé pour davantage de convergence sociale. Cet objectif, qui est le nôtre, figure à l’ordre du jour du Conseil des 14 et 15 décembre prochain, et nous veillerons à ce qu’il soit pleinement pris en compte au titre du futur cadre financier pluriannuel.
Je dirai également un mot de l’éducation.
Madame Mélot, vous avez rappelé le projet d’universités européennes, que nous défendons. Ce projet doit permettre à un étudiant de commencer des études dans un pays et de les achever dans un autre de façon très souple.
Nous souhaitons que les conclusions du Conseil européen puissent reprendre cet objectif fondamental pour développer la mobilité européenne. Mais il faut aussi encourager la mobilité des scolaires : c’est ce que nous appelons le processus de la Sorbonne. Nous insisterons certainement sur ce point à Bruxelles et lors de la réunion ministérielle du processus de Bologne, qui aura lieu en mai prochain en France.
J’ajoute que nous redoublerons d’efforts pour que l’Erasmus des apprentis, qui existe sur le papier, devienne une réalité pour un nombre significatif de bénéficiaires.
M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Pour nos jeunes, c’est là une possibilité de bénéficier de nouvelles opportunités, notamment en termes d’emplois.
Il y a quelques instants, M. Ouzoulias a éloquemment rappelé les valeurs qui font l’Union européenne, et en particulier les droits des femmes.
Dès demain, au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, je serai avec Marlène Schiappa pour mettre en valeur ces droits des femmes à travers le continent européen et pour en réaffirmer la force.
En conclusion, je tiens à remercier Mme Keller de ses propos et à la rassurer quant au siège strasbourgeois du Parlement européen.
Strasbourg doit rester le siège de la démocratie européenne. C’est aussi le symbole de la réconciliation franco-allemande. On dit trop souvent que l’Europe se résume à une bulle à Bruxelles. Il faut que l’Europe soit proche des territoires. Il ne doit y avoir aucun doute quant à la détermination du Gouvernement à œuvrer en faveur du respect de la multipolarité des institutions européennes ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre pour deux minutes également.
Dans le débat interactif et spontané, la parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, mes chers collègues, les migrations ont de l’avenir : ce n’est pas une fatalité, c’est une réalité. D’ailleurs, elles sont beaucoup plus fréquemment Sud-Sud que Sud-Nord, même si l’Europe en subit aussi les conséquences.
Nous en conviendrons tous, mieux vaut que la France et l’Europe soient, et restent attractives, en assumant les conséquences de cette attractivité, plutôt qu’elles ne deviennent un espace qui ne fait pas envie : une telle évolution serait néfaste pour l’ensemble de ceux qui vivent sur notre continent.
Toutefois, la manière dont l’Europe fait face à ce que l’on appelle la crise migratoire fragilise aujourd’hui les relations entre l’Union européenne et tous ses voisins. Ce facteur complique nos relations avec l’ensemble de notre voisinage et menace notre sécurité.
Madame la ministre, les images d’esclavage, diffusées par CNN, ont provoqué un choc mondial. Elles ont, en somme, administré la preuve d’un crime contre l’humanité, qui ne peut rester sans suite. Ni l’Europe ni l’Afrique ne peuvent continuer à faire semblant de ne pas voir ce que – passez-moi l’expression – le colonel Kadhafi a eu « l’élégance » de nous cacher pendant plusieurs années.
Aujourd’hui, comment agir pour éradiquer ces crimes, maintenant que nous en sommes conscients ?
Une réforme de l’asile est indispensable. Mais ce qui se passe en Libye nous le rappelle une fois de plus : il ne peut être question d’employer la notion de pays tiers sûr pour réformer l’asile européen. Procéder ainsi, ce serait aller à l’encontre de cette belle idée de l’asile, qui est une obligation conventionnelle pour les pays de l’Union européenne et qui, pour la France, est même une obligation constitutionnelle. Quelles assurances pouvons-nous avoir sur ces sujets ?
Enfin, dans ces conditions, la zone Schengen ne sera stable que si les pays qui la constituent acceptent de faire converger progressivement leurs politiques d’immigration et d’échanger quant à leurs expériences d’intégration.
Quel chemin permettra d’y parvenir, compte tenu des grands décalages qui s’observent aujourd’hui, des différentes expériences, des différentes histoires qu’ont connues les pays de la zone Schengen ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur Leconte, vous avez très bien résumé le drame dont nous sommes tous témoins aujourd’hui et que subissent les migrants en Libye.
À cet égard, la France ne reste pas inactive, loin de là. Dès cet automne, nous avons réuni, à La Celle-Saint-Cloud, les parties libyennes. Faire respecter les droits de l’homme en Libye tant que ce territoire ne dispose pas d’un État stable, c’est une espérance totalement illusoire.
Aussi, nous soutenons les efforts de l’envoyé spécial des Nations unies, Ghassan Salamé, pour une stabilisation de la situation en Libye.
De plus, lors du sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine qui s’est tenu à Abidjan, le Président de la République a pris l’initiative d’une réunion spécifiquement dédiée à cette question. Un groupe de travail s’est formé, entre Africains et Européens, à la fois pour traiter très rapidement du cas des personnes les plus vulnérables en Libye et pour faire en sorte qu’elles puissent être évacuées de ce territoire, soit vers leur pays d’origine, soit vers d’autres États.
Nous-mêmes, nous avons envoyé au Niger une mission de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, pour déterminer si des personnes relevant manifestement du régime de l’asile pouvaient venir directement en France. Nous incitons nos partenaires européens à faire de même.
Vous mentionnez la notion de pays tiers sûr. Toutefois, cette dernière renvoie à l’idée de sûreté. Il est raisonnable de s’interroger sur la possibilité de travailler avec des pays tiers sûrs, mais, à l’heure actuelle, la Libye ne relève évidemment pas de cette catégorie.
Vous avez aussi parlé de la nécessité, au sein de Schengen, de mieux harmoniser nos politiques d’immigration, d’asile et d’intégration.
Côté franco-allemand, nous avons mis en place le conseil franco-allemand de l’intégration, qui s’est réuni pour la première fois il y a quelques semaines à Berlin, en vue d’échanger sur les bonnes pratiques ainsi que sur les difficultés rencontrées. Nous travaillons bien sûr – nous œuvrons très activement en ce sens – à une harmonisation du régime d’asile européen, indispensable pour que les migrants et les demandeurs d’asile ne soient pas ballottés d’un pays à un autre et selon des règles différentes à l’intérieur même de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Les éleveurs français ont manifesté le 28 novembre dernier devant les préfectures pour alerter la population et interpeller les pouvoirs publics. Leur cible : un vaste accord commercial en discussion avec l’Union européenne et le MERCOSUR – Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay –, l’une des régions du monde, vous le savez, les plus compétitives pour la viande bovine.
Sur la table depuis 1999, mais gelé depuis plusieurs années, ce projet d’accord est aujourd’hui relancé. Les plus optimistes prévoient même un accord avant la fin de l’année 2017. Sur ce sujet, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, a déclaré « privilégier le contenu au calendrier ». Selon lui, « il ne faut pas confondre vitesse et précipitation », car, poursuit-il, « nous avons besoin de donner des garanties aux consommateurs européens liées à l’aspect sanitaire et pour s’assurer que les produits conviennent aux standards de l’Union européenne ».
Madame la ministre, vous l’aurez compris, les éleveurs français sont inquiets des conséquences de ces accords dont les discussions sont en cours, car, vous le savez, cette filière est en souffrance, en crise. Que pouvez-vous nous dire sur l’avancée et le contenu de ces négociations, dont l’échéance est particulièrement redoutée par les éleveurs de nos terroirs ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, vous pointez du doigt un sujet sur lequel la France est très engagée au sein de l’Union européenne, au-delà même de la négociation d’un accord commercial avec le MERCOSUR, à savoir la réciprocité des avantages acquis dans un accord commercial et la réalité des concessions supportées par tel secteur ou tel autre de nos économies.
Nous avons demandé avec insistance à la Commission de nous fournir des éléments statistiques sur les profits retirés ou les concessions acceptées par les différents secteurs de l’économie au fil des accords conclus ou en cours de négociation, de manière à savoir clairement qui y gagne et, le cas échéant, qui y perdrait.
Bien sûr, dans le cadre d’un accord comme celui du MERCOSUR, des secteurs seront gagnants. N’oublions pas de le dire, nous avons beaucoup à attendre d’une baisse des droits de douane et des obstacles non tarifaires consentis par les pays du MERCOSUR.
Vous l’avez parfaitement résumé, nos éleveurs craignent l’arrivée de viande bovine à des prix compétitifs. Nous avons fait part de notre préoccupation au président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls ; un certain nombre d’autres États membres de l’Union européenne ont insisté pour que les propositions formulées par la Commission en matière de quotas d’importation de viande bovine soient raisonnables. Cette discussion est en cours à Buenos Aires. À cet égard, vous l’avez mentionné, le secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne, actuellement en déplacement dans cette capitale, est extrêmement vigilant sur les questions à la fois de quotas et d’exigences sanitaires s’agissant des produits qui seront importés dans l’Union européenne.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que notre mobilisation sur cette question est totale.
M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la ministre, quelles garanties ont vraiment été obtenues sur la question irlandaise ?
Les éléments de l’équation sont connus : respect des accords dits du Vendredi saint, qui prévoient la liberté de déplacement et d’échanges entre l’Irlande et l’Irlande du Nord et, bien sûr, le retrait du Royaume-Uni du marché unique. Est venu au dernier moment se rajouter le prérequis d’une identité de régime entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni, qui ressemble beaucoup, madame la ministre, à un cheval de Troie.
Nous vous avons écoutée à plusieurs reprises, ainsi que Michel Barnier, développer l’idée suivant laquelle le Royaume-Uni ne pouvait obtenir des conditions équivalentes à celles dont il bénéficiait avec le marché unique – vous venez d’ailleurs de le rappeler dans votre réponse aux orateurs.
L’ambiguïté des termes de l’accord sur la partie irlandaise fait pourtant courir le risque d’aboutir à une union douanière qui pourrait être très proche du marché unique.
Au risque d’insister, et tout en vous ayant écoutée bien sûr avec grand soin il y a quelques minutes, j’aimerais savoir si vous pouvez nous donner une garantie sur ce point, avant d’aborder le deuxième round des négociations. (Mme Michèle Vullien applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, vous avez parfaitement raison, la question de l’Irlande est aujourd’hui réglée sur les principes, mais elle devra trouver sa traduction dans la deuxième partie de la négociation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
En réalité, le rapport conjoint du Royaume-Uni et de notre négociateur Michel Barnier préconise une solution en trois étapes.
Soit l’accord futur règle globalement la question. Imaginons, par exemple, que la Première ministre britannique revienne sur la position qu’elle avait affirmée précédemment – on a vu beaucoup d’allées et venues dans les positions britanniques ! – et décide que, finalement, le Royaume-Uni reste dans le marché intérieur et dans l’union douanière ; alors la question ne se poserait évidemment plus.
Soit une solution spécifique est trouvée, sur laquelle il revient aux Britanniques de faire des propositions : ce sont eux qui sortent, ce sont eux qui proposent.
Soit un alignement réglementaire est assuré entre la République d’Irlande et le Royaume-Uni sur les sujets qui relèvent de l’accord du Vendredi saint, et exclusivement. En l’espèce, vous avez parfaitement raison, il est hors de question que cet alignement réglementaire se résume à une équivalence – un terme que les Britanniques aiment beaucoup ! – : ils voudraient voir remplacer le respect d’intégrité du marché intérieur, par, en fait, une forme de pick and choose au travers du sujet irlandais, c’est-à-dire le contraire de ce que nous acceptons dans l’accord futur. De ce point de vue, nous serons évidemment extraordinairement vigilants.
Si l’accord devait se traduire par cet alignement réglementaire partiel, cela nécessiterait bien évidemment que soient mis en place des contrôles à l’entrée dans le marché intérieur. Cette question est évidente, mais elle n’est pas écrite, et c’est toute l’ambiguïté du rapport conjoint de Michel Barnier et de David Davis. Cependant, tout est clair dans l’esprit de Michel Barnier, tout comme ce l’est évidemment dans le nôtre.
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. L’Europe, d’un club d’États, doit devenir une Europe des citoyens. Dans ce cadre, je souhaite vous interroger, madame la ministre, sur la position du Gouvernement quant à la conditionnalité des aides – un thème abordé de plus en plus souvent et qui nous préoccupe.
Ainsi, bien sûr, il n’est pas bien que des États ne respectent pas les critères sociaux et fiscaux. Il n’est pas bien que des États ne veuillent aucune réforme structurelle ou, plus grave, ne respectent pas les valeurs de l’État de droit. En ce moment, l’État espagnol fait beaucoup parler de lui compte tenu de son comportement en Catalogne. Mais les citoyens ou les territoires de ces pays doivent-ils en subir les conséquences, en ne bénéficiant plus, par exemple, des aides des fonds structurels, alors qu’ils ne sont pour rien dans l’action de leurs dirigeants, pour lesquels ils n’ont souvent pas forcément voté ?
Si les citoyens européens et les territoires ne sont plus respectés, le risque est important que se creuse encore plus le fossé avec Bruxelles et les institutions européennes ? Les Européens convaincus que nous sommes tous ici ne pourraient alors que le regretter.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, nous parlons de l’Union européenne, nous parlons des États de l’Union européenne, nous parlons d’États démocratiques où les citoyens choisissent librement leurs dirigeants, sur la base de programmes qu’ils peuvent rejeter à l’élection suivante. Cela signifie très simplement qu’ils doivent affronter les conséquences du non-respect par leur gouvernement de l’État de droit ou de critères constitutifs de ce qui forme l’Union européenne.
De mon point de vue, il est indispensable que, à l’occasion de la discussion du prochain cadre financier pluriannuel, la question de conditionnalité soit posée. D’ailleurs, elle a déjà été posée en novembre dernier lors du conseil affaires générales : nous avons eu une première prédiscussion avec le commissaire Oettinger et l’ensemble des États membres de l’Union européenne sur le prochain budget européen. Personne, pas même ceux qui se revendiquent d’une « démocratie illibérale », car ce sont bien eux qui sont visés quand on parle de non-respect de l’État de droit – en Catalogne, c’est l’initiative catalane qui ne respectait pas l’État de droit ; je sais que je ne vous convaincrai pas et que nous ne sommes pas d’accord sur ce point, mais il faut tout de même rappeler ce principe –, personne, disais-je, pas même la Pologne ni la Hongrie, n’a contesté le bien-fondé de l’existence de conditionnalités.
Ensuite, nous ne serons pas forcément d’accord – en tout cas, ce ne sera pas facile – sur les conditionnalités et la manière dont on les applique. Mais dès lors que l’on sollicite des fonds de cohésion, cela signifie que l’on décide de participer à la convergence entre les économies, mais aussi les systèmes sociaux au sein de l’Union européenne. On n’est pas obligé de les solliciter, mais, si on le fait, c’est que l’on respecte une forme de pacte entre les États de l’Union européenne. Voilà ce que le prochain budget européen devrait réussir à traduire.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.