Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Victorin Lurel, Michel Raison.
2. Loi de finances pour 2018. – Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
Adoption, par scrutin n° 43 à la tribune, du projet de loi de finances, modifié.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
4. Modification de l’ordre du jour
5. Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2017
M. Cyril Pellevat, vice-président de la commission des affaires européennes
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances
Mme Nathalie Loiseau, ministre
M. Jean-Yves Leconte ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.
M. Yvon Collin ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.
M. Philippe Bonnecarrère ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.
M. Simon Sutour ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.
M. Yannick Vaugrenard ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.
Mme Laurence Harribey ; Mme Nathalie Loiseau, ministre.
COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Victorin Lurel,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Loi de finances pour 2018
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2018, adopté par l’Assemblée nationale (projet n° 107, rapport général n° 108).
Nous en sommes parvenus aux explications de vote et au vote sur l’ensemble.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de passer au vote sur l’ensemble du texte, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits par les groupes pour expliquer leur vote.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
La parole est à M. Claude Raynal, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Claude Raynal. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ayant déjà rejeté la première partie du projet de loi de finances, nous ne pourrons que voter contre le PLF dans son ensemble.
M. Jackie Pierre. Oh !
M. Claude Raynal. Nous aurions, bien sûr, voté contre le texte transmis par l’Assemblée nationale. Nous voterons doublement contre celui qui est proposé par la majorité sénatoriale ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il est pourtant meilleur !
M. Claude Raynal. Le projet de budget du Gouvernement fait le choix assumé de bousculer notre modèle social pour lancer toujours plus notre pays dans la compétition d’une économie libérale mondialisée : suppression de l’impôt sur la fortune,…
M. Jean-Paul Émorine. Oh !…
M. Claude Raynal. … prélèvement forfaitaire unique,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Claude Raynal. … suppression de la tranche maximale de la taxe sur les salaires, avantages significatifs donnés aux revenus du capital par rapport à ceux du travail, toute la théorie économique de Friedrich Hayek y est, ou presque ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Un sénateur sur les travées du groupe Union Centriste. Et Karl Marx ?…
M. Claude Raynal. S’il est logique de faire en sorte que la taxation des entreprises se situe dans une moyenne européenne, permettant à celles-ci de bénéficier d’un environnement concurrentiel favorisant l’innovation et le développement, l’idée qu’il faudrait donner toujours plus aux seuls détenteurs de capitaux est particulièrement choquante, pour au moins trois raisons principales.
Premièrement, parce que cette course à la moindre taxation des dividendes est sans fin, la compétition entre nations devant se poursuivre inexorablement jusqu’au Graal des investisseurs, le « zéro taxe » ! Je note d’ailleurs que le ministre Bruno Le Maire s’inquiète déjà de la réforme fiscale américaine…
Deuxièmement, parce qu’aucune règle ne garantit que les sommes ainsi rendues seraient réinvesties dans les entreprises françaises, ni même dans les entreprises en général.
Plutôt que de se priver de 5 milliards d’euros de recettes dès 2018, ne vaudrait-il pas mieux doter l’Agence des participations de l’État ou la Banque publique d’investissement, la BPI, pour qu’elles investissent directement dans l’économie de demain ?
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Claude Raynal. Il est tout de même invraisemblable de se priver de 5 milliards d’euros de recettes et, en même temps, de céder des actifs sur les marchés pour investir dans des projets jugés stratégiques pour le pays !
Troisièmement, parce que le monde financier bénéficie déjà de redistributions de dividendes en France parmi les plus élevées au monde, avec pour conséquence une répartition de la richesse toujours plus inégalitaire d’année en année. Quelqu’un peut-il d’ailleurs me dire où vont majoritairement ces dividendes que ce PLF envisage de faire grossir encore ?
Enfin, parce que cette perte de recettes pour le budget de l’État exige des efforts toujours plus importants de la part des collectivités locales, du monde associatif mais aussi des plus défavorisés, via la baisse des emplois aidés ou les efforts demandés aux organismes de logement social.
Comme si le projet gouvernemental ne suffisait pas, la majorité sénatoriale a trouvé utile d’en aggraver encore les effets, en première comme en seconde partie. D’abord, en supprimant l’impôt sur la fortune immobilière, dans le but de supprimer enfin en totalité l’impôt sur la fortune ; ensuite, en confirmant la baisse des contrats aidés et en ressortant quelques vieilles lunes, sur le temps de travail ou les jours de carence des fonctionnaires, ou encore en proposant une baisse massive des crédits de l’aide médicale de l’État.
La majorité sénatoriale n’a par ailleurs rien trouvé de mieux que de refuser de voter, sous un prétexte futile, les crédits de la mission « Sécurités », et donc les salaires des policiers et des gendarmes, et de supprimer la seule mesure fiscale en faveur de nos concitoyens, à savoir le dégrèvement de 30 % de la taxe d’habitation.
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Claude Raynal. Les 3 milliards d’euros rendus font pourtant suite aux 5 milliards d’euros décidés en 2016 et 2017 par le gouvernement précédent.
Pour les collectivités locales, la suppression à terme de la taxe d’habitation peut pourtant être un vecteur utile de changement de l’ensemble de la fiscalité locale, celle-ci étant totalement obsolète et particulièrement injuste du fait précisément de sa territorialisation.
La contractualisation visant à contraindre, sur des bases irréalistes, pour ne pas dire surréalistes, la dépense de fonctionnement des collectivités nous paraît bien plus problématique, tant ses conséquences apparaissent pour ce qu’elles sont : une recentralisation à marche forcée, remettant notamment la politique d’investissement sous la coupe de l’État.
Enfin, le PLF a été, une fois encore, ce moment rare où chacun essaie de remettre en question diverses mesures : communes nouvelles, DSIL versus DETR, composition de commissions départementales, FPIC, etc., sur la base d’amendements plus ou moins pertinents, rarement chiffrés, bien entendu…
M. Loïc Hervé. Oh !
M. Claude Raynal. Heureusement, le Sénat a su, mais à de trop rares reprises, défendre à la quasi-unanimité le FISAC, le réseau des établissements français à l’étranger, les exploitants agricoles ou le Fonds stratégique pour les forêts. Il a pu aussi, grâce à une réflexion bien menée par plusieurs de nos collègues, rechercher un compromis utile pour conserver le modèle économique français du logement social.
Au fond, c’est dans ces moments-là, quand nous recherchons des solutions d’intérêt général pour notre pays, où nous laissons de côté nos postures et renonçons parfois à certaines facilités, que, dans cette assemblée, nous pouvons faire œuvre utile et apporter des améliorations au budget qui nous est présenté.
Plus que jamais, mes chers collègues, dans cette configuration politique unique d’aujourd’hui, alors que, dans leur quasi-totalité, les sénateurs n’appartiennent pas à la majorité présidentielle, nous devons apprendre à travailler entre groupes, davantage en transversalité, sur des contre-propositions que nous pourrions mettre en débat à l’occasion de la discussion d’un projet de loi de finances.
M. Loïc Hervé. Illusion !
M. Claude Raynal. C’est sans doute à cette condition que notre travail législatif pourrait à l’avenir bénéficier d’une meilleure écoute, face à un gouvernement indéniablement en mouvement et à une Assemblée nationale encore trop peu aguerrie pour se poser comme un véritable contre-pouvoir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. –Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le premier projet de loi de finances du quinquennat était attendu avec impatience – je dirais même, pour certains, avec gourmandise.
M. Philippe Dallier. Oh !
M. Claude Malhuret. Il est en effet le premier test permettant de juger si le Gouvernement commence à tenir les engagements pris par le Président de la République lors de sa campagne électorale : entamer le redressement économique et social du pays, redéfinir en profondeur le rôle de l’État et afficher des priorités politiques en faveur de ses missions régaliennes, trop longtemps délaissées.
La première priorité, à nos yeux, consistait à repenser les mesures fiscales punitives, complexes et inefficaces héritées du précédent quinquennat, pour favoriser l’investissement, la compétitivité de nos entreprises et le pouvoir d’achat des plus modestes.
Une deuxième priorité était de refonder les relations entre l’État et les collectivités territoriales sur une base nouvelle, faite de confiance et de responsabilités partagées, rompant avec la hache budgétaire aveugle des années précédentes.
Ce budget était également l’occasion, nous disait-on, d’entrer dans le « nouveau monde » annoncé par le Président de la République, fait de sincérité budgétaire, de responsabilité financière et de respect des engagements européens de la France.
Depuis dix ans, le courage politique a rarement aussi peu coûté qu’aujourd’hui. Le Gouvernement, comme le Parlement, n’a plus l’excuse de la conjoncture : la croissance est de retour, les taux d’intérêt sont au plus bas, la menace déflationniste s’éloigne, le taux de marge des entreprises s’améliore, le chômage et les faillites diminuent, la confiance semble revenir.
Une fenêtre d’opportunité est ouverte pour réformer fermement la France. La responsabilité du Gouvernement pour les cinq ans qui viennent est donc immense.
Mais la responsabilité de la représentation nationale, et singulièrement du Sénat, n’est pas moins grande.
Cette amélioration de la conjoncture est en effet propice aux surenchères, aux postures et au jusqu’au-boutisme. Nous devrons nous en garder collectivement si nous voulons être force de proposition tout au long de ce quinquennat, au service de l’intérêt national. C’est le message principal, un message de modération, d’apaisement des antagonismes et de préférence pour les propositions constructives plutôt que pour les oppositions systématiques et les extrêmes, qu’ont envoyé les Français à la classe politique, lors de l’élection présidentielle.
Je pense d’ailleurs que ceci n’est pas pour déplaire au Sénat, qui, depuis longtemps, et en tout cas sous l’égide de son président actuel, pratique largement ces vertus.
C’est donc avec en main la seule boussole de l’intérêt national que nous avons examiné ce texte.
Nous avons voté les mesures qui nous paraissaient justes et en phase avec l’intérêt du pays. À l’inverse, nous avons critiqué les dispositifs inefficaces, les efforts insuffisants consentis en matière de sécurité, de justice ou de lutte contre l’immigration irrégulière, par exemple.
Au terme de cet examen, le premier constat est que ce budget aborde de front plusieurs grandes questions fiscales et que plusieurs de ses dispositions vont dans le bon sens.
Par exemple, nous soutenons la rupture avec une logique de fiscalité insensée sur les entreprises et vos efforts, monsieur le secrétaire d’État, pour nous rapprocher des niveaux européens. Baisse de l’impôt sur les sociétés, mise en place de la flat tax, transformation du CICE en baisse des charges : ces mesures donneront de l’air à nos entreprises pour investir et créer des emplois dans les années à venir.
De la même façon, nous approuvons la suppression des trois quarts de l’ISF, qu’aucun des gouvernements précédents n’a eu le courage de faire depuis trente ans. Sa suppression totale par notre assemblée nous a semblé, pour cette raison, être une curieuse leçon d’audace politique à laquelle nous avons préféré ne pas nous associer.
Si certains points de ce texte sont de vraies avancées par rapport à l’inertie et aux renoncements des années précédentes, plusieurs autres, au contraire, nous laissent un goût d’inachevé.
Premièrement, les efforts budgétaires consentis, qui sont réels, restent modestes. La reprise économique que j’ai évoquée arrive à point nommé pour masquer un effort structurel faible et une dépense publique qui demeure inquiétante. Nous émettons des doutes sur les moyens mis en place pour respecter les objectifs annoncés et, surtout, dans plusieurs domaines, il est procédé encore trop souvent par coups de rabot, sans vision d’ensemble.
Il est vrai, à votre décharge, monsieur le secrétaire d’État, que vous avez dû poser dans l’urgence plusieurs rustines à un édifice budgétaire bien endommagé par votre prédécesseur.
Ma deuxième critique porte sur vos priorités politiques.
Bien que les budgets de la défense, de la sécurité, de l’action extérieure et de la justice augmentent globalement, ces efforts sont timides pour un budget de transformation censé rendre à l’État les moyens de ses missions régaliennes. Nous constatons ainsi la timidité du plan Action publique 2022 et des baisses d’effectifs dans la fonction publique qui sont loin d’être alignées sur les objectifs fixés par le Président de la République sur la durée du quinquennat.
Enfin, le jeu du chat et de la souris depuis le mois de juin entre l’État et les collectivités territoriales ne sera pas mis au crédit du Gouvernement.
Le gel des baisses de dotations pour 2018 et l’annonce d’un dialogue contractuel en vue d’économies futures sont bienvenues, mais elles arrivent bien tard après des annonces abrasives, notamment sur la fiscalité locale, et contradictoires avec l’annonce d’une conférence des territoires pour laquelle le président de cette chambre vous avait pourtant indiqué qu’il était disposé à coopérer.
Par ailleurs, le report de la réforme de la taxe d’habitation par le Sénat annule la principale mesure de pouvoir d’achat de ce budget et bouleverse son équilibre politique. Nous regrettons que notre proposition visant à préserver les effets de cette mesure pour les plus modestes, tout en protégeant l’autonomie financière des collectivités, n’ait pas fait l’objet d’un examen plus approfondi.
Quant à la baisse, mal préparée, de l’APL, elle nous paraît l’exemple même de la théorie du rabot, sans réflexion sur ce que doit être une réforme sérieuse de la politique du logement, qui reste à venir.
Mes chers collègues, bien qu’il n’aille pas assez loin, ce premier budget posait de bonnes questions. Il posait aussi les fondements de réformes d’envergure, trop longtemps repoussées.
Néanmoins, à l’issue de son examen par le Sénat, son équilibre politique a été rompu. Ce budget n’est plus seulement trop timide, il risque désormais de devenir inéquitable.
Pour cette raison, le groupe des Indépendants, s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de budget présente un certain nombre d’aspects très positifs - je ne les recenserai pas - et nous devons nous en réjouir.
Mais il présente aussi des aspects négatifs, parmi lesquels je voudrais évoquer le projet de suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des Français. C’est, à mon avis, complètement aberrant !
Ne nous faisons pas d’illusions, même si le Sénat a légèrement contribué à améliorer le texte, nous savons très bien qu’il ne faut surtout pas voter ce projet de loi, qui aboutira, in fine, à la suppression de la taxe d’habitation.
Je suis opposé à cette mesure démagogique, prise en période électorale. Contrairement à ses prédécesseurs, M. Macron souhaite tenir ses engagements, mais certaines promesses électorales se révèlent parfois complètement aberrantes : comment peut-il s’inquiéter de l’ardoise de 8 milliards d’euros que lui a léguée son prédécesseur – c’est absolument scandaleux, soyons clairs ! – quand il est lui-même, et pour des raisons purement électoralistes, en train d’en créer une nouvelle de 10 milliards d’euros ?
Je ne comprends pas : quand on n’a pas d’argent et que l’on doit faire des économies, on ne commence pas par réduire les recettes. Il faut plutôt réduire les dépenses !
Il faut donc regretter cette mesure prise dans l’enthousiasme des élections.
De plus, il est tout à fait farfelu de justifier cette mesure en disant que la taxe d’habitation est un impôt injuste !
M. Jean-Marc Todeschini. Jean Louis !… (Sourires.)
M. Jean Louis Masson. Si cet argument était valable, pourquoi ne pas supprimer totalement la taxe d’habitation, au lieu de la maintenir pour 20 % des habitants ?
À moins que l’argument de l’injustice de cette taxe ne soit finalement une fausse raison, un prétexte farfelu, pour se « faire plaisir » en exonérant une partie des Français et en faisant des autres les dindons de la farce…
Il me semble, au contraire, que la taxe d’habitation est un impôt pertinent, parce qu’elle permet de faire payer les services des collectivités par ceux qui en sont les usagers.
M. Loïc Hervé. Exactement !
M. Jean Louis Masson. Si on la supprime, les collectivités feront payer ceux qui s’acquittent de la taxe foncière !
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Jean Louis Masson. Et, quoi qu’on en dise, si M. Martin, qui habite Nice, loue la maison qu’il possède à Lille, c’est le locataire qui coûtera à la collectivité, pas M. Martin ! (Marques d’impatience sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.) Il est donc normal que ce soit l’habitant qui paye l’impôt local, et non le propriétaire foncier. (Mme Christine Herzog et M. Jean-Marie Mizzon applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le radical Édouard Herriot disait (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) – eh oui, chers collègues, les radicaux sont là : « La tradition, c’est le progrès dans le passé, et le progrès, dans l’avenir, ce sera la tradition ! » (Sourires.)
Ayant terminé hier soir l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2018, le Sénat s’apprête à se prononcer sur l’ensemble du premier budget de la législature.
Avec près de 1 400 amendements déposés et plus d’une centaine d’heures de débats, on peut dire que la Haute Assemblée aura eu à cœur d’étudier en détail ce premier budget du quinquennat et de la nouvelle majorité.
Les membres du groupe du RDSE ont, pour leur part, déposé près d’une centaine d’amendements et peuvent s’enorgueillir d’en avoir fait adopter dix-sept. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.) Et notre petit groupe a fait preuve d’une présence assidue et régulière en séance, en semaine, et même le week-end ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Ce texte, fortement modifié par la majorité sénatoriale, fait la part belle à la fiscalité des entreprises et du capital. Au RDSE, nous nous sommes efforcés de faire entendre aussi la voix des petits entrepreneurs, des petits propriétaires, des collectivités rurales et des terroirs. (Bravo ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
Je salue ainsi la fin de la baisse des dotations aux collectivités, qui a fortement pesé lors du précédent quinquennat. Nous avons apporté notre pierre à la défense de la ruralité, avec l’affectation d’une part de la dotation de soutien à l’investissement local aux communes rurales, le maintien de la dotation de solidarité rurale pour les communes nouvelles et l’assouplissement du calcul de la DSR des bourgs-centres.
Notre soutien au tissu local passe aussi par la défense des réseaux consulaires, chambres de commerce et d’industrie et, surtout, chambres de métiers et d’artisanat.
Je salue également l’augmentation des crédits de la mission « Économie » affectés au FISAC pour revitaliser les centres-villes et centres-bourgs, ainsi que le maintien des ressources des agences de l’eau.
Sur la réforme de la taxe d’habitation, j’émets des réserves, même si la suppression pure et simple décidée par la majorité sénatoriale n’apporte pas vraiment de solution de rechange.
En matière d’écologie, le passage au Sénat a enrichi le texte de la territorialisation de la contribution climat-énergie et de l’augmentation des crédits en faveur des territoires à énergie positive.
En revanche, on ne peut que regretter le rejet des crédits de cinq missions, dont ceux du travail et de l’emploi, de la sécurité routière et de l’agriculture, où nous avions pu faire adopter des amendements utiles. La majorité sénatoriale se prive ainsi de présenter un budget complet.
Après ces explications, parce que mon groupe soutient globalement (Exclamations amusées.) la politique de ce gouvernement, mais qu’il tient à garder sa liberté de vue, d’expression et de vote, et qu’il ne peut, par ailleurs, souscrire aux profondes modifications adoptées par la majorité sénatoriale, ses membres se partageront (Nouvelles exclamations.) entre une majorité d’abstentions et une minorité de votes contre. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. François Grosdidier. Limpide !
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour le groupe Les Républicains. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, le premier budget d’un quinquennat donne forcément le ton des années à venir.
Le Président de la République avait promis un monde nouveau. Force nous est de constater, à l’aune de ce budget, que celui-ci ressemble assez étonnamment à l’ancien.
Ni révolution fiscale – ou si peu –, ni bouleversement structurel, ni véritable choc de compétitivité !
Si nous devions résumer ce projet de budget, nous pourrions le qualifier de « décevant », au regard des attentes et des besoins du pays, mais aussi des promesses du candidat Macron.
En effet, certaines promesses électorales ont tout simplement disparu, comme la défiscalisation des heures supplémentaires.
M. François Patriat. Cela viendra !
M. Philippe Dallier. D’autres ont été reportées en 2019, comme la transformation du CICE en baisse de charges et la diminution de l’impôt sur les sociétés pour toutes les entreprises.
Quant aux efforts d’économies sur le périmètre de l’État, avec seulement 1 600 postes supprimés en 2018 sur les 50 000 promis sur la durée du quinquennat, mes chers collègues, nous verrons plus tard…
Les 10 milliards d’euros de baisses d’impôts et les 20 milliards d’euros d’économies annoncés cet été, c’est-à-dire voilà trois mois à peine, sont devenus 7 milliards de baisses d’impôts et 14 milliards d’économies. Certes, cela n’est pas rien, monsieur le secrétaire d’État, mais ce manque d’audace est d’autant plus regrettable que le contexte économique plus favorable devrait au contraire pousser à davantage d’efforts, lesquels sont moins difficiles à supporter en période de meilleure croissance.
Le principal des efforts d’économies est ainsi reporté sur la seconde moitié du quinquennat, et beaucoup d’économies annoncées sont encore peu documentées, comme l’a souligné le Haut Conseil des finances publiques. Cela nous rappelle, non sans inquiétude, les débuts du quinquennat de François Hollande, où l’on nous répétait sans cesse : c’est pour plus tard !
Quant à l’effort structurel, il est insuffisant et six fois inférieur aux exigences européennes. Aucune réelle réforme structurelle, pourtant les plus à même de produire des économies, n’est engagée.
M. François Patriat. Qu’auriez-vous fait ?
M. Philippe Dallier. Sur le logement, nous attendons de voir au printemps, mon cher collègue Patriat… Quant aux retraites, une nouvelle réforme aurait dû être une priorité.
Conséquence de ces choix : en 2018, le déficit de l’État continuera de se creuser de 6,4 milliards d’euros.
M. Bruno Sido. C’est la cata !
M. Philippe Dallier. Ce budget n’est pas pour autant celui du pouvoir d’achat, qui est l’un de vos leitmotivs, monsieur le secrétaire d’État, puisqu’il comporte de nombreuses mesures de hausse de fiscalité : augmentation massive de la fiscalité énergétique, hausse du tabac, hausse de la CSG, fiscalisation des PEL, diminution de 5 euros des APL pour tous, la mesure ayant été pérennisée en 2018.
En réalité, ce PLF « déshabille Pierre pour habiller Paul » et stigmatise certaines catégories de Français, qu’il s’agisse des retraités, des classes moyennes ou supérieures, des propriétaires ou des Français qui veulent accéder à la propriété.
Par ailleurs, s’il comporte des avancées pour les entrepreneurs, à travers les mesures en faveur du capital, il ne contient aucune mesure en faveur des entreprises, hormis la suppression de la taxe sur les dividendes, laquelle a été imposée par le Conseil constitutionnel, et une baisse ciblée de l’impôt sur les sociétés programmée sous le quinquennat précédent.
Aucun choc de compétitivité n’est ainsi prévu en 2018, aucune mesure autre que celles résultant de la mise en œuvre du pacte de responsabilité de… François Hollande ! Mes chers collègues socialistes, voilà au moins qui devrait vous faire plaisir.
C’est la raison pour laquelle la majorité sénatoriale a formulé et fait adopter différentes mesures pour corriger le tir.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Philippe Dallier. Celles-ci sont bien sûr limitées dans leur ampleur, car il est difficile de bâtir un véritable contre-budget, et ce pour une raison technique tout d’abord : nous ne disposons pas des outils de simulation de Bercy. Je ne peux donc que me réjouir, monsieur le président de la commission des finances, de l’amendement que nous avons adopté, qui permettra peut-être de nous doter de ces outils. Pour une raison juridique ensuite : les règles de la LOLF réduisent la capacité d’amendement des parlementaires.
Nous avons toutefois, contrairement à l’an dernier, choisi d’examiner en séance l’ensemble du projet de loi, car les hypothèses macroéconomiques sur lesquelles il a été bâti nous semblent raisonnables, et il ne comporte pas de sous-budgétisations manifestes, même si, sur certains programmes, comme l’hébergement d’urgence, nous savons que le compte n’y est pas.
Nous avons donc adopté plusieurs mesures en faveur du pouvoir d’achat des catégories de Français qui ont été les grands oubliés du quinquennat précédent et de ce début de quinquennat.
Ainsi, pour les familles, nous avons relevé le plafond du quotient familial et supprimé dans le PLFSS l’alignement par le bas de certaines aides familiales.
Nous avons également préservé le pouvoir d’achat des retraités, en supprimant la hausse de CSG les concernant.
Nous avons encouragé la propriété et soutenu le logement privé, en supprimant l’impôt sur la fortune immobilière. L’investissement immobilier constitue en effet un investissement productif, avec des effets d’entraînement importants sur la croissance et l’emploi, comme l’a démontré le rapport de notre rapporteur général, dont je tiens à saluer la qualité du travail.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Philippe Dallier. Toujours sur le logement, je regrette que nous n’ayons pas pu aboutir à un compromis sur l’article 52. Cependant, nous avons fait la moitié du chemin avec une hausse de la TVA, qui rapportera 700 millions d’euros. Par ailleurs, mes chers collègues, je ne résiste pas au plaisir de vous informer qu’il semble que les propositions de l’USH reprennent maintenant l’amendement que j’avais déposé ; les négociations avec Matignon vont peut-être avancer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) Eh oui, cela me fait plaisir de le dire à cette tribune !
Concernant les entreprises, le choc de compétitivité n’ayant pas eu lieu, nous avons proposé plusieurs mesures de soutien aux PME et à l’innovation : l’amortissement accéléré pour les robots, imprimantes 3D et logiciels ; le suramortissement de 40 % des investissements des PME ; le renforcement de l’IR-PME et le maintien des abattements pour le départ à la retraite des patrons de PME, afin de favoriser la transmission.
Nous avons également voté plusieurs mesures reprenant nos travaux sur l’économie collaborative.
Enfin, concernant les collectivités territoriales, nous avons reporté la réforme de la taxe d’habitation d’une année, pour nous donner le temps de travailler le sujet.
Nous avons par ailleurs voté des économies courageuses : trois jours de carence ; encadrement de l’aide médicale de l’État, qui ne cesse de déraper ; alignement du temps de travail dans la fonction publique sur le privé.
Voilà, mes chers collègues, le projet de budget pour 2018 tel que nous l’avons amendé. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains le votera. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour le groupe La République En Marche. (M. André Gattolin applaudit.)
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la France n’est plus le pays qui résiste encore et toujours à sa transformation. Au-delà des enquêtes d’opinion, par définition volatiles, il y a des attentes fortes de la part de nos concitoyens pour remettre notre République en état de marche. L’élection du Président de la République, en mai dernier, a révélé la nécessité tout à la fois de redonner confiance aux Français et d’incarner la promesse républicaine de politiques publiques justes et efficaces sur nos territoires.
La situation économique est favorable, comme le montrent les statistiques de la Banque de France : les carnets de commandes sont au plus haut depuis dix ans dans l’industrie et dans le bâtiment ; l’activité s’accélère dans les services. Or c’est justement quand l’horizon est dégagé qu’il faut, passez-moi l’expression, mettre le paquet pour transformer le pays.
M. Philippe Dallier. Très juste !
M. Julien Bargeton. Ce n’est ni un budget fataliste – nous avons quatre ans pour agir – ni défaitiste – nous avons quatre ans pour réussir ! Ce budget est, comme tous les budgets, mais plus encore cette année, un texte politique, c’est-à-dire qu’il fait des choix et qu’il s’appuie sur des réalités : il faudra bientôt l’équivalent d’une année entière de production pour rembourser notre dette publique.
Nous nous distinguons par un niveau particulièrement élevé de prélèvements obligatoires, qui reflète en miroir un niveau singulièrement important de dépenses publiques. Il y a eu des tentatives de corriger cela, mais elles furent timides, si l’on en juge par l’évolution de notre situation économique et financière depuis quinze ans. Mais, ayons l’honnêteté de le reconnaître, nous n’avons pas toujours eu – référence obligée, mais bienvenue – « l’envie d’avoir envie ».
Ce budget est une chance pour la France. Il répond à un certain nombre de défis majeurs : redonner du pouvoir d’achat aux Français, en particulier aux classes moyennes, qui se sentent parfois délaissées, voire déclassées ;…
M. Pierre-Yves Collombat. Mais que c’est beau !
M. Julien Bargeton. … aider nos entreprises à se développer et à monter en gamme ; assurer avec force la transition énergétique de notre pays, notamment dans le domaine des transports et du logement ; réorienter nos politiques publiques, légitimes dans leur principe, coûteuses, parfois, dans leur application, et frustrantes dans leurs résultats. C’est notamment le cas de la politique de l’emploi et de la politique du logement.
En somme, il s’agit d’un budget solide et solidaire.
Le projet de loi issu de l’examen en première lecture à l’Assemblée nationale était un texte évidemment perfectible, mais bien charpenté. Cet édifice, au Sénat, a été très vite…
M. Antoine Lefèvre. Amélioré !
M. Julien Bargeton. … mis à mal, et notre groupe n’a pu infléchir le sens des votes. Mais quelle satisfaction pour un groupe minoritaire que de voir certains de ses engagements – j’insiste sur le mot « certains » – défendus par d’autres groupes.
Nous avons été heureux du soutien de nos collègues socialistes sur la réforme de la taxe d’habitation, qui est, avec la réduction des cotisations sociales, une forte mesure de pouvoir d’achat.
Mme Sophie Primas. Mensonge !
M. François Grosdidier. Et la CSG ?
M. Julien Bargeton. Nous avons été ravis de l’appui de la majorité sénatoriale aux dispositions relatives à la fiscalité des entreprises, par exemple la trajectoire de l’impôt sur les sociétés ou les mesures visant à accroître l’attractivité de la place financière de Paris, ou encore la fiscalité de l’épargne, avec la mise en place du prélèvement forfaitaire unique.
Si le film de nos débats s’arrêtait à cette bande-annonce, tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais la majorité sénatoriale a rapidement changé le scénario : le rejet de la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages a sonné comme un clap de fin douloureux. En revoyant les rushes de nos débats, je me suis rendu compte que le remake du budget pour 2018 version Sénat ne tenait pas debout.
M. Jacques Grosperrin. Quel cinéma !
M. Julien Bargeton. On aurait pu s’attendre à d’autres pistes pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages ; on aurait aimé entendre des contre-propositions bienvenues ; on aurait apprécié, en quelque sorte, plus de projections et moins de protestations.
Ce reproche, je le concède, est parfois exagéré, notamment en ce qui concerne la politique du logement social. Je salue ici l’engagement sincère et l’expertise du sénateur Philippe Dallier (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.) sur ce sujet très technique, mais quotidien.
Je file encore un peu la métaphore cinématographique.
M. Jacques Grosperrin. On a compris !
M. Julien Bargeton. Après tout, je suis rapporteur spécial des crédits de la mission « Culture »…
On souhaite faire jouer le mauvais rôle au Gouvernement, qui n’aurait pas réussi, dit-on, à trouver un compromis. Seulement, dans un accord, chacun doit faire des pas, et je regrette que la version jusqu’au-boutiste l’ait emporté dans la majorité sénatoriale. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Le statu quo était, il est vrai, plus confortable. La politique du logement social, c’est le « qui perd perd ! » de Coluche : l’État dépense ; les bailleurs sociaux dépensent ; le mal-logement progresse ; les délais d’attente explosent.
Il est baroque de voir que ceux qui reprochent au Gouvernement de ne pas avoir trouvé un accord en dix jours sont les mêmes qui n’ont pas réussi à avancer en dix ans. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Grosperrin. Macron a des caprices d’enfant gâté !
M. Julien Bargeton. Ce sont les Français qui attendent les réformes !
Le groupe La République En Marche aurait préféré que les crédits de missions budgétaires aussi stratégiques que l’agriculture, la sécurité ou encore l’immigration soient également adoptés par notre assemblée. Certes, ce rejet a optiquement amélioré le solde budgétaire, mais c’est en s’en prenant toujours aux mêmes, de façon démagogique, notamment aux fonctionnaires. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je ne pense pas que ce jeu politique soit à la hauteur des attentes de nos concitoyens, mais je note une amélioration par rapport à l’an passé, où le Sénat avait carrément refusé d’examiner le texte.
M. Jean-François Husson. Vous n’étiez pas là !
M. Jacques Grosperrin. Où étiez-vous ?
M. Julien Bargeton. En conclusion, je dirai que ce budget a été bâti pour sortir des impasses, tracer une direction à nos politiques publiques, mais aussi ouvrir des chantiers.
Un mot, très important, est revenu de manière récurrente sur toutes les travées, et je m’en réjouis : l’évaluation. Cette exigence se traduit souvent par le dépôt d’amendements réclamant des rapports, mais, plus que de lire du papier, nous avons besoin de rencontrer ceux qui mettent en œuvre les politiques publiques, de comprendre leurs attentes et leurs inquiétudes. Le Sénat peut jouer un vrai rôle d’évaluateur de certaines politiques publiques, non seulement en amont de la discussion des textes budgétaires, mais aussi sur l’application, la réception, par exemple des dispositions fiscales. Le vote du budget ne revient pas à lancer une bouteille à la mer pour le Parlement ; le contrôle de son exécution doit davantage occuper notre ordre du jour, par exemple sur le sujet passionnant de l’économie numérique.
Le budget pour 2018, tel qu’il est issu de nos débats, n’est pas à la hauteur de nos ambitions pour ce pays. Il sera sans nul doute rétabli dans son esprit initial par l’Assemblée nationale. C’est pourquoi le groupe La République En Marche votera, hélas, contre ce texte, qui aurait sans doute mérité mieux que des postures. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Grosdidier. Ce n’est pas constructif !
M. Marc-Philippe Daubresse. La République en marche arrière !
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mettons fin au suspense : notre groupe refuse cette loi de finances pour 2018 (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.),…
Mme Éliane Assassi. Bravo !
M. Éric Bocquet. … parce qu’elle inaugure, d’une certaine manière, un nouveau quinquennat de sacrifices et de difficultés pour nos concitoyens, sans que cela se traduise pour autant par une amélioration durable des comptes publics et de la situation économique et sociale.
Ce projet de loi de finances s’inscrit dans un système idéologique et non pas, comme cela est claironné régulièrement depuis des mois, dans un esprit de pragmatisme hors sol qui ne serait ni de droite ni de gauche.
Avez-vous oublié que cela fait plus de trente ans que les salariés de ce pays goûtent aux délices de la flexibilité de l’emploi, avec pas moins d’une bonne trentaine de types de contrat de travail existant sur le marché ? Cela fait plus de trente ans que, sensibles aux scenarios du libéralisme ambiant, les gouvernants successifs ont estimé qu’il était temps de réduire les cotisations sociales, « d’alléger les charges », pour reprendre l’expression officielle de la pensée unique, et ce afin de créer de l’emploi.
Nous en connaissons tous le résultat. Trente ans après les premiers textes de loi sur la flexibilité, nous « offrons » à 6 millions de nos compatriotes l’insécurité de périodes de chômage entrecoupées de petits boulots, de contrats à durée déterminée et autres missions d’intérim.
Voilà, mes chers collègues, comment mon amie Éliane Assassi avait commencé de motiver la question préalable déposée par notre groupe à l’orée de cette discussion budgétaire. Force est de constater que la suite des événements a donné corps à ce que nous avions annoncé.
Prenons la première partie. Ce qui a dominé les débats, c’est la mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital, véritable évasion fiscale autorisée. Après, vous pouvez toujours annoncer de brillants résultats dans la lutte contre la fraude fiscale : un peu plus de 3 milliards d’euros récupérés auprès des exilés fiscaux repentis en 2016, soit 4 % du total perdu chaque année par la République. Cette mesure constitue pour nous un retour en arrière vers les pires années du giscardisme. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ce qui a dominé, c’est la course entre le Gouvernement et la droite sénatoriale, qui sont un peu les deux faces de la même médaille, pour savoir s’il suffisait de supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune ou s’il fallait aussi supprimer le paravent de l’impôt sur la fortune immobilière.
Notons que, dans son acharnement à obtenir pour les détenteurs de capitaux et de patrimoines les meilleures conditions fiscales, la droite sénatoriale a aussi annulé la mesure « leurre de gauche » avancée par le Gouvernement, celle de la baisse de la taxe d’habitation, qui met tellement en péril l’autonomie financière des collectivités, principe fondamental de notre Constitution.
Pour faire bonne mesure, et tenir tous les bouts de la chaîne, il fallait, comme nous l’avons vu en seconde partie, donner une nouvelle vigueur au dispositif d’investissement Madelin. La disparition de l’ISF-PME nécessitait que l’optimisation fiscale trouve encore sa voie, de manière toujours renouvelée. Cette optimisation concernait 65 000 foyers fiscaux redevables de l’ISF, soit environ un sur cinq, mais surtout moins de 0,2 % des ménages français. Allégements pour une ultra-minorité, alourdissements pour tous les autres, de surcroît sous forme d’impôts parfois « verdis » pour tenter de les rendre plus acceptables et aussi sous forme de dépenses publiques en moins !
Même si cela figure dans le collectif budgétaire, comment ne pas faire une sorte de lien entre les 1 600 millions d’euros de fraude fiscale épongés par HSBC et les 2 milliards d’euros d’aides au logement supprimés dans la mission « Cohésion des territoires » ?
Comment ne pas mettre en balance les jours de carence imposés aux fonctionnaires pendant qu’on allège la taxe sur les salaires des cadres dirigeants des sociétés financières britanniques que l’on espère attirer à Paris après le Brexit ? Rappelons que le niveau de salaire des cadres concernés est supérieur à 12 000 euros mensuels, mes chers collègues.
Plus de 50 milliards d’euros de crédits ont été rejetés par le Sénat, qui a montré, en certains domaines précis, une certaine propension à la surenchère, comme le montre le rejet des crédits de la mission « Asile, immigration, intégration », dont l’essentiel est pourtant constitué par l’aide médicale de l’État et le financement des allocations d’attente des demandeurs d’asile, illustrations de l’attachement de la France aux valeurs républicaines d’accueil des victimes de persécutions.
Et je ne reviens pas sur le débat concernant la fiscalité des entreprises, où Gouvernement et majorité du Sénat se sont retrouvés, sans la moindre difficulté, sur tous les fondamentaux : poursuite de la baisse du taux de l’impôt ; maintien sans contrôle du CICE et du crédit d’impôt recherche ; croyance quasi théologique aux vertus des allégements de cotisations, et j’en passe.
Dans la France de M. Macron, tempérée par la majorité du Sénat, il ne fait pas bon être salarié, fonctionnaire, occupant d’un logement HLM, travailleur d’origine étrangère, ni même travailleur handicapé ou éloigné du monde du travail par une longue période de chômage. Il ne fait pas bon appartenir, en fait, à la majorité de notre peuple, celle qui étudie, celle qui travaille, celle qui produit les richesses ensuite plus ou moins justement partagées, celle qui enrichit la France et ne songe pas à l’exil fiscal.
Parlementaires du groupe CRCE, nous ne voterons pas la loi de finances pour 2018 telle qu’elle ressort des débats caricaturaux menés ici. Nous ne voterons pas ce budget, qui ne s’attaque pas radicalement aux inégalités flagrantes qui fragilisent notre République et le vivre ensemble. Nous ne voterons pas cette insulte au monde du travail et de la création. Nous ne voterons pas non plus les reculs sur les garanties collectives des travailleurs, sur les droits des chômeurs, sur ceux des demandeurs de logement et des locataires de logements HLM. Nous ne voterons pas ces mesures récessives sur le logement, sur le pouvoir d’achat, qui détériorent les conditions de vie du plus grand nombre.
Au bout de six mois, mes chers collègues, le brouillard se lève enfin sur le nouveau monde promis au printemps dernier ; l’équivoque commence à se dissiper. Le « nouveau monde » de la politique conserve beaucoup des travers de l’ancien, et la politique du Gouvernement s’insère parfaitement dans le moule conçu pour ses prédécesseurs. Ce n’est sans doute pas ce que voulaient et espéraient les Françaises et les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État – je salue la présence au banc d’un membre du Gouvernement, ce qui n’a pas toujours été le cas ces derniers jours (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.) –, mes chers collègues, nous voilà arrivés au terme de la discussion budgétaire. Je saisis cette occasion pour saluer tout particulièrement notre rapporteur général, Albéric de Montgolfier (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.), ainsi que l’assiduité radicale du président Requier. (Sourires.)
Moment toujours important, l’examen de la loi de finances revêt une importance peut-être plus grande encore en début de quinquennat, comme l’a souligné notre collègue Dallier, alors que doivent être traduits les premiers engagements de campagne du Président de la République et que doit être proposé aux Français un nouveau cap, d’autant plus attendu après les cinq années que nous avons traversées.
Le premier marqueur notable de ce budget réside dans la sincérité des prévisions sur lesquelles il a été bâti. Les conjoncturistes ont en effet reconnu la crédibilité des hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement. Cette sincérité s’est notamment retrouvée dans l’effort significatif réalisé pour l’évaluation des sous-budgétisations : plus de 3 milliards d’euros ! L’abandon de ces artifices comptables nous apparaît d’autant plus louable qu’il est un préalable indispensable au redressement de nos comptes publics et, par là même, au rétablissement de notre capacité d’influence sur la scène européenne.
Les grandes lignes directrices de ce premier projet de loi de finances ont suscité en grande partie l’adhésion de notre groupe. Si nous soutenons certains efforts du Gouvernement, nous n’en sommes pas moins exigeants. La conjoncture économique favorable que nous connaissons nous invite d’ailleurs à redoubler de vigilance, la situation demeurant malgré tout fragile. Certes, la croissance est solide – probablement 1,8 % pour 2017 –, les taux d’intérêt sont incroyablement bas et le prix du baril de pétrole reste faible. Cependant, nous devons garder à l’esprit que, dans l’hypothèse d’une hausse des taux d’intérêt de seulement 1 point, notre dette augmenterait mécaniquement de 14 milliards d’euros.
Nul relâchement, nulle mesure différée, nul revirement ne sont permis si nous voulons que la France retrouve enfin le chemin de l’indépendance à l’égard des marchés financiers.
Monsieur le secrétaire d’État, le retour de la croissance doit nous conduire à amplifier nos efforts en matière de réduction de la dépense et des déficits publics.
Un certain nombre de réformes structurelles ne se traduisent pas dans le présent budget. Elles sont pourtant indispensables. À ce titre, nous avons tenu à vous envoyer quelques signaux ponctuels, tels que le passage de un à trois jours de carence ou le relèvement du temps de travail pour les agents de la fonction publique.
Ce premier budget du Gouvernement doit être le préambule aux réformes annoncées par le Président de la République.
Pour nécessaires qu’ils soient, l’assainissement de nos finances publiques et le relèvement de notre économie ne doivent pas sacrifier la justice sociale. La justice sociale commence par la justice fiscale. Et la justice fiscale commande une lutte implacable contre l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale la plus agressive.
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. Hervé Marseille. Ciblées sur les grandes entreprises du numérique, certaines mesures adoptées sur l’initiative du groupe Union Centriste contribuent opportunément au renforcement de la transparence et de l’équité fiscale.
Nous nous réjouissons par ailleurs du rétablissement par le Sénat des crédits des maisons de l’emploi, dont le budget avait injustement été divisé par deux.
Si nous approuvions l’orientation générale du projet de budget initial, certaines de ses mesures nous ont laissés perplexes.
Sur le plan fiscal, vous avez fait le choix, conformément à ce qu’avait annoncé le Président de la République pendant la campagne présidentielle, de concentrer sur les seuls actifs mobiliers les baisses d’impôt sur le revenu et sur la valeur du patrimoine. Mais peut-on réellement assimiler l’investissement immobilier locatif à une rente non productive ? Pénaliser l’investissement immobilier à travers l’IFI, n’est-ce pas pénaliser l’offre locative ? Et n’est-ce donc pas pénaliser un grand nombre de nos compatriotes ? Nous le pensons ! L’absence de cohérence de certaines situations provoquées par ce nouvel impôt sur la fortune immobilière nous a ainsi conduits, au sein de la majorité sénatoriale, à voter la suppression intégrale de l’ISF, IFI compris.
Autre sujet majeur de ce budget pour les représentants des collectivités locales que nous sommes : la taxe d’habitation.
Devant le congrès des maires de France, face à des élus inquiets quant à la pérennité des recettes locales, le Président de la République a confirmé le dégrèvement progressif de la taxe d’habitation pour plus de 80 % des ménages. Le chef de l’État a laissé entendre que cet impôt pourrait à terme disparaître. Comment pourrait-il en être autrement, alors que tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’un impôt obsolète et injuste ? Dans sa très grande majorité, le groupe Union Centriste rejoint ce diagnostic, mais s’inquiète de la méthode retenue.
Un mécanisme de limitation des hausses de taux doit être discuté dans le cadre de la prochaine Conférence nationale des territoires. Le flou subsiste donc quant à la pérennité de la compensation financière dont bénéficieront les communes, à moyen et long terme.
Nous l’avons dit et répété : nous ne pouvons pas faire l’économie d’une réflexion sur la refonte globale de notre fiscalité locale. C’est pourquoi notre groupe a, dans sa très grande majorité, voté le report de la réforme de la taxe d’habitation.
M. Vincent Capo-Canellas. Très bien !
M. Hervé Marseille. Lorsque le Gouvernement ouvrira cet immense chantier, le Sénat souhaite y être associé. Vous avez la conviction, monsieur le secrétaire d’État, que vous pouvez faire confiance aux territoires et à ses acteurs.
Ce que veulent les élus locaux, c’est une fiscalité cohérente avec leurs missions, stable, pérenne et lisible. Ils veulent des recettes dynamiques et motivantes au regard des efforts qu’ils accomplissent. Aucune réforme d’envergure ne peut ni ne doit être engagée sans que soient associés les acteurs concernés. Contre les excès de la centralisation, vous le savez, le groupe Union Centriste a toujours été vigilant.
Le projet pour la France ne s’arrêtera pas au vote solennel de ce budget. La refonte de la fiscalité locale, mais aussi la réforme de la politique du logement devront se poursuivre au-delà du texte que nous nous apprêtons à adopter.
Monsieur le secrétaire d’État, notre groupe a eu l’occasion de manifester sa très vive inquiétude sur le financement du logement social. Nous regrettons les mesures prématurées prises par le Gouvernement et l’approche exclusivement comptable qui a été développée.
Pour une politique du logement efficace, il faut retenir une approche différenciée prenant en compte la situation singulière des territoires. Avec Valérie Létard, Philippe Dallier, Marie-Noëlle Lienemann, nous vous avons proposé d’autres solutions susceptibles, tout à la fois, de favoriser les économies budgétaires et de recueillir l’assentiment des collectivités et des bailleurs sociaux. Nous espérons être entendus.
Ce budget de transition préfigure les prochains débats que nous aurons dans cet hémicycle. Pour l’heure, le groupe Union Centriste votera ce budget tel qu’il a été amendé ici même ces derniers jours. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Le Sénat va maintenant procéder au vote sur l’ensemble du projet de loi de finances pour 2018, modifié.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.
Conformément à l’article 60 bis du règlement, il va être procédé à un scrutin public à la tribune, dans les conditions fixées par l’article 56 bis du règlement.
J’invite MM. Victorin Lurel et Michel Raison, secrétaires du Sénat, à superviser les opérations de vote.
Je vais tirer au sort la lettre par laquelle commencera l’appel nominal.
(Le sort désigne la lettre A.)
M. le président. Le scrutin sera clos après la fin de l’appel nominal.
Le scrutin est ouvert.
Huissiers, veuillez commencer l’appel nominal.
(L’appel nominal a lieu.)
M. le président. Le premier appel nominal est terminé. Il va être procédé à un nouvel appel nominal.
(Le nouvel appel nominal a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Mme et M. les secrétaires vont procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote, le résultat du scrutin n° 43 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 303 |
Pour l’adoption | 181 |
Contre | 122 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
La parole est à M. le président de la commission, que je tiens à remercier de s’être livré pour la première fois à cet exercice à deux voix. (Sourires.)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi, à l’issue du vote auquel nous venons de procéder, de souligner l’importance du travail qui a été réalisé sur le projet de loi de finances pour 2018. J’ai pu l’observer en continu, comme vous venez de le souligner, monsieur le président : pour être précis, son examen a occupé 97 heures de séance publique, auxquelles il faut ajouter 123 heures de réunion en commission pour les auditions, les travaux préparatoires et l’examen des 1 363 amendements déposés sur ce texte.
Permettez-moi, au regard de cette réalité, de remercier et de féliciter toutes celles et tous ceux qui ont apporté leur concours à ce travail. Je veux singulièrement remercier les 76 rapporteurs pour avis des commissions réglementaires et les 48 rapporteurs spéciaux de la commission des finances, mais aussi notre administration, toujours disponible et vigilante, experte et efficace, ainsi que nos collaborateurs et les professionnels de nos groupes politiques.
L’opinion est prompte à épingler la classe politique et à suspecter des dysfonctionnements dans nos processus de travail ; nous avons, pour notre part, le souci d’équilibrer les choses en relevant l’importance du travail accompli lorsqu’il le mérite. (Applaudissements.)
M. le président. J’associe à ces remerciements les vice-présidents de notre assemblée, qui ont été très sollicités, ainsi que nos collaborateurs au plateau.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il n’y aura dans mon propos aucune explication sur les amendements. Je veux simplement remercier à mon tour les vice-présidents du Sénat qui se sont succédé au fauteuil de la présidence tout au long de nos débats, tous ceux de nos collègues qui ont participé à nos travaux, qu’ils soient rapporteurs spéciaux, rapporteurs généraux ou rapporteurs pour avis, et le Gouvernement, dont les membres se sont succédé au banc, sauf pendant une demi-heure… Je me félicite que nos débats se soient tenus dans une certaine sincérité.
Je remarquerai simplement, sans revenir sur le fond de la discussion, que certains des amendements ont été adoptés à l’unanimité. Je pense, par exemple, à l’amendement ayant pour objet la responsabilité solidaire des plateformes dans le paiement de la TVA. J’ai la conviction que, lorsque le Sénat adopte des dispositions à l’unanimité, il fait avancer le débat ; très souvent, il est alors précurseur en la matière.
Merci donc à tous pour la qualité de ces débats ; nous avons bien fait, monsieur le président, d’aller au bout de l’examen de ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur la plupart des travées.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Je souhaite moi aussi m’associer aux remerciements adressés par M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général à l’ensemble des sénatrices et des sénateurs qui ont participé aux débats budgétaires.
La contribution des uns et des autres a été essentielle. Elle a certes mis au jour des différences, mais elle a aussi montré des convergences non seulement entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, mais aussi avec le texte que vous proposait le Gouvernement. Il est évident – vous le savez toutes et tous – que le projet de loi de finances que vous venez d’adopter comporte un certain nombre de nuances, de divergences avec les priorités retenues par le Gouvernement et, à l’Assemblée nationale, par la majorité présidentielle.
Je ne forme qu’un vœu, celui que la suite de la procédure parlementaire permette d’aplanir le plus grand nombre de différences possible entre nous, de surmonter et de résorber le plus grand nombre d’écarts possible entre les versions de ce texte. Ainsi, le débat parlementaire permettra au Gouvernement et aux deux chambres de trouver un maximum de points de convergence. Merci encore pour votre travail ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. Didier Guillaume applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux. Nous les reprendrons à dix-neuf heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à dix-neuf heures, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
Décès d’un ancien sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Gilbert Chabroux, qui fut sénateur du Rhône de 1995 à 2004.
4
Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé de compléter l’ordre du jour du lundi 18 décembre par l’inscription de la proposition de loi relative à l’exercice des compétences des collectivités territoriales dans le domaine de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations, initialement prévue le mardi 19 décembre, et de compléter l’ordre du jour du mercredi 20 décembre par l’inscription, sous réserve de leur dépôt, des conclusions de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi.
Le Gouvernement a également demandé de compléter l’ordre du jour du mardi 19 décembre par l’examen du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la sécurité, initialement prévu le lundi 18 décembre.
Acte est donné de ces demandes.
5
Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2017
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2017.
Dans le débat, la parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est la première fois que je participe à ce débat préalable à la réunion du Conseil européen. Je suis heureuse de pouvoir bénéficier de vos remarques, qui nous aideront à préparer au mieux cette échéance importante.
Je commencerai par ce qui sera le dossier central de ces deux jours de Conseil européen : le Brexit.
Les chefs d’État ou de gouvernement devront se prononcer sur la recommandation de la Commission européenne de passer à la deuxième phase des négociations avec le Royaume-Uni, de façon de commencer à négocier le cadre de nos relations futures.
Les progrès effectués sont très significatifs. Nous serons extrêmement attentifs à ce que nos priorités politiques soient pleinement prises en compte dans les lignes directrices que le Conseil européen adoptera le 15 décembre, puis dans le mandat de négociation révisé qui sera confié à Michel Barnier, si possible en mars 2018.
Sur les droits des citoyens, les négociateurs ont considérablement progressé. Tous les citoyens européens arrivés au Royaume-Uni – parmi lesquels 300 000 Français – ainsi que les citoyens britanniques arrivés dans l’Union européenne avant le retrait britannique pourront continuer à y résider, travailler et étudier comme aujourd’hui, notamment les infirmières et les médecins, dont les qualifications professionnelles resteront reconnues. Les membres de leurs familles conserveront leur droit à rejoindre leurs proches dans le futur, s’ils ne vivent pas aujourd’hui déjà au Royaume-Uni. Les citoyens européens conserveront leur droit aux soins de santé, à la retraite et aux prestations de sécurité sociale.
Un des enjeux majeurs de la négociation est de s’assurer du plein respect de ces droits, ce qui suppose que la Cour de justice de l’Union européenne puisse jouer son rôle. Le recours à une question préjudicielle devant la Cour de justice de l’Union européenne sera possible pendant huit ans. D’ici à la transcription juridique du rapport conjoint dans l’accord de retrait, nous veillerons à maximiser les garanties dont pourront bénéficier les citoyens européens pour le plein respect de leurs droits.
S’agissant de l’Irlande, la solution trouvée pose des principes, comme l’absence de frontière physique sur l’île d’Irlande et, le cas échéant, un « alignement » du Royaume-Uni sur le marché intérieur et l’union douanière dans les secteurs nécessaires à la bonne coopération entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Le fait que cela convienne à la fois au Royaume-Uni et à l’Irlande est très positif, mais nous serons bien entendu extrêmement vigilants pour nous assurer du respect de l’intégrité du marché intérieur et de l’union douanière.
Sur le règlement financier, le résultat est très satisfaisant. En effet, la quasi-totalité des dépenses qui doivent être prises en charge par le Royaume-Uni le seront : contribution au budget européen jusqu’en 2020, reste à liquider, passifs, retraite des fonctionnaires, etc.
La discussion portera aussi sur les autres sujets de la première phase, qui sont parfois très importants, comme les marchés publics, la négociation du cadre des relations futures entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ou encore la période de transition. Cette dernière doit être limitée dans le temps et fondée sur des principes simples, tels que l’application par le Royaume-Uni de toutes les règles européennes, en dehors de toute participation de Londres aux institutions.
Le maintien de l’unité des Vingt-Sept sera plus que jamais déterminant. Nous n’avons pas encore fait le plus dur ; en réalité, seul le plus facile est derrière nous !
J’évoquerai plus rapidement les autres thèmes ; nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.
Le Conseil européen fera le point sur les avancées de l’Europe de la défense et, notamment, sur le lancement par le Conseil « Affaires étrangères », hier, de la coopération structurée permanente, qui rassemble désormais vingt-cinq États membres. C’est une véritable avancée. Nous sommes parvenus à un niveau d’ambition tout à fait acceptable.
Au-delà, nous voulons accélérer le lancement du Programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense, qui doit pouvoir financer de premiers projets capacitaires dès le début de 2019 ; nous souhaitons également progresser sur le fonds européen de défense. Le Conseil européen devrait y revenir dès juin 2018 pour conserver la dynamique actuelle.
Le thème des migrations sera traité lors du dîner des chefs d’État ou de gouvernement, dans le cadre des réflexions sur l’avenir de l’Europe. Le contexte préélectoral en Italie n’a en effet pas permis de prévoir des conclusions écrites du Conseil sur le sujet, mais nous souhaitons aboutir sur la réforme du régime européen de l’asile au premier semestre de 2018. Nous avons déjà progressé, à la fois sur le système d’entrée-sortie, ou EES, qui a été approuvé par les colégislateurs le 20 novembre, et sur le système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages, ou ETIAS, sur lequel un accord politique devrait être trouvé d’ici à la fin de l’année.
La discussion portera sur les meilleures modalités d’action pour l’Union européenne, ainsi que sur le financement de la politique migratoire de l’Union européenne. Le président du Conseil européen a avancé l’idée de créer un instrument spécifique dans le cadre des prochaines perspectives budgétaires.
Nous voulons mobiliser l’ensemble de nos partenaires sur le plan politique comme du point de vue financier, en particulier sur la dimension externe des questions migratoires. La stabilisation du Sahel et celle de la Libye sont des priorités de premier rang. Le Président de la République organise d’ailleurs demain un sommet à cet effet autour du G5 Sahel.
Le sommet qui se tient aujourd’hui à propos du climat, le One Planet Summit, aura tout juste eu lieu ; nous aimerions à ce propos que le Conseil européen revienne, par exemple, sur la nécessité de renforcer les financements verts destinés à lutter contre le dérèglement climatique. L’Union européenne doit rester pleinement mobilisée pour faire appliquer l’accord de Paris, malgré la décision américaine de retrait. Cela suppose de conclure rapidement la négociation de l’ambitieux paquet énergie-climat 2030 que la Commission a proposé.
Sur les questions sociales, après le succès de la négociation au Conseil sur le détachement des travailleurs, nous voulons continuer à démontrer que l’Europe permet de converger vers le haut. Le Conseil européen saluera le Socle européen des droits sociaux, qui a été proclamé au sommet social de Göteborg du 17 novembre dernier. Il faudra à l’avenir renforcer les volets « jeunesse » ou « formation » de ce socle, mais aussi, et surtout, veiller à sa pleine mise en œuvre, en utilisant pour cela le semestre européen.
Dans le domaine de l’éducation et de la culture, le débat portera sur le projet d’universités européennes proposé par le Président de la République et sur la façon de s’y préparer. Il faudrait pour cela renforcer les partenariats entre universités et la connaissance des langues européennes ainsi que mettre en place un statut européen de l’étudiant. Nous voulons que le travail sur les universités soit lancé dès mai 2018, dans le cadre du processus de Bologne pour le supérieur et, s’agissant du secondaire, de ce que nous appelons le processus de la Sorbonne.
Les chefs d’État ou de gouvernement se retrouveront également à vingt-sept en formation « sommet zone euro ». La Commission a présenté, le 6 décembre dernier, ses idées pour l’approfondissement de la zone euro. Nous accueillons de façon très positive le démarrage de ce débat indispensable, même s’il n’est pas question d’aboutir à une décision en décembre. Les propositions de la Commission représentent un premier pas intéressant, mais nous souhaitons nous montrer plus ambitieux. Nous souhaitons notamment mettre en place une capacité budgétaire de la zone euro qui permette une véritable stabilisation contracyclique et une fonction d’investissements communs dans des politiques qui soutiennent la productivité en zone euro, qu’il s’agisse du capital humain ou des innovations de rupture.
Après avoir discuté avec de nombreux États membres et les institutions européennes, le Président de la République présentera à ses homologues ses propositions pour donner la parole aux citoyens sur l’Europe depuis le printemps jusqu’au début de novembre 2018. Notre objectif est d’écouter ce que les Européens ont à nous dire dans tous les pays qui souhaiteront participer à ces « consultations citoyennes ». Celles-ci supposent que nous nous mettions d’accord tant sur un même calendrier, notamment pour ne pas interférer avec la campagne pour les élections européennes de 2019, que sur des règles communes. Il faudrait en particulier que soit retenue une approche transpartisane.
Enfin, les chefs d’État ou de gouvernement évoqueront les dossiers internationaux les plus sensibles, notamment la situation au Proche-Orient après l’annonce par le Président Trump de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël et du déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem. Vous n’ignorez pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Président de la République et de très nombreux autres responsables ont indiqué que cette décision était regrettable et qu’ils ne l’approuvaient pas. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – Mme Fabienne Keller et MM. Jean-Yves Leconte et René-Paul Savary applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le prochain Conseil européen se déroulera dans un contexte de crise majeure de l’idée européenne ; la volonté du Royaume-Uni de quitter l’Union n’en est qu’un des symptômes. De traité en traité, d’élargissement en élargissement, de renoncement en renoncement, l’Europe tend à se réduire à ce par quoi elle a commencé : un marché, un espace économique au service de la libre circulation des produits. Nous éviterons au moins le retour à la Communauté européenne du charbon et de l’acier, l’Europe en produisant de moins en moins !
Dans l’esprit de certains des signataires du traité de Paris, cette première institution supranationale devait préparer l’avènement d’une fédération fondée sur une « communauté plus large et plus profonde », selon les mots de Robert Schuman, et favoriser in fine l’émergence d’une citoyenneté qui garantirait les principes fondamentaux de justice, de paix et des droits de l’homme.
Cet horizon d’attente généreux devient une utopie de plus en plus inaccessible quand l’Union renonce à défendre ces principes alors qu’ils ont été consacrés par les derniers traités. Notre conscience européenne et humaniste est blessée quand le gouvernement d’un État membre de l’Union tente de fermer une université qu’il ne contrôle pas, quand la liberté de la presse est bafouée, quand la séparation des pouvoirs est violée, quand les droits des oppositions ne sont pas respectés, quand les minorités sont désignées comme les boucs émissaires de pouvoirs de plus en plus personnels et, enfin, quand les femmes ne sont plus considérées que comme des corps servant à fabriquer du vivant.
Le Conseil de l’Europe, dans un rapport publié la semaine dernière, a dénoncé avec force les « restrictions rétrogrades » qui réduisent, dans un grand nombre de pays européens, l’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse. Alors que les femmes, dans un mouvement planétaire de grande ampleur, ont dénoncé avec force le pouvoir de la domination masculine et toutes les formes de prédation sexuelle dont elles sont les victimes, il est urgent que l’Union, à son plus haut niveau, les entende et leur donne les moyens législatifs de se protéger et de se défendre.
Plus grave encore, en Europe, chaque jour, depuis trop longtemps, des femmes meurent sous les coups de leur conjoint. Ces crimes sont des atteintes insupportables aux valeurs de la démocratie européenne. La France s’honorerait de les dénoncer lors du Conseil européen à venir et de promouvoir un plan européen de lutte contre les violences faites aux femmes.
Cet ardent devoir s’imposerait d’autant plus à l’Union européenne qu’elle n’est pas inactive quand il s’agit d’imposer aux États membres leur conduite économique. Tout est possible quand il s’agit de faire respecter le dogme des 3 % du déficit public ! Plus généralement, pourquoi refuser des droits universels aux citoyennes et aux citoyens de l’Europe lorsque les marchandises, les capitaux et les opérations financières bénéficient de protections qui leur confèrent un statut transnational ?
Cette particulière mansuétude est coupable quand elle pousse les États à se condamner à l’impuissance face aux 1 000 milliards d’euros de fraude fiscale. Cette dernière n’est pas organisée uniquement à partir de pays dont l’Union européenne vient de dresser une liste bien indulgente : elle s’est installée au cœur de l’Europe et dresse les États les uns contre les autres, dans une course au moins-disant fiscal qui met en danger leur budget et celui de l’Union européenne.
Par pragmatisme et comme un pari, l’Europe a été construite autour d’un projet libéral. Le ver s’est tranquillement installé dans le fruit et a tellement prospéré qu’il l’a dévoré presque complètement, ne laissant aux peuples qu’un trognon indigeste de quotidiens toujours plus difficiles et des rêves d’une Europe dont l’économie servirait le progrès social.
Sans conscience pleine de ce qui est en jeu, madame la ministre, vous placez aujourd’hui vos espoirs dans un gouvernement économique de la zone euro, qui se situerait au-dessus de celui des parlements. Ce projet porte en germe un affaiblissement des États-nations, que vous continuez pourtant de considérer comme la base de l’organisation de l’Union européenne. Il est pourtant manifeste que le développement de l’ordo-libéralisme européen fragilise les États dans leurs missions de protection sociale, de redistribution de la richesse, notamment par le biais des services publics. Dépossédés de leur rôle de garant du contrat social, les États voient leurs prérogatives contestées par l’émergence d’entités régionales qui réclament toujours plus de pouvoirs et souhaitent maintenant dialoguer directement avec les institutions européennes, sans l’entremise des États.
Pour la Catalogne, le refus absolu d’une intermédiation oblige l’Union européenne à regarder avec beaucoup de mansuétude la dégradation des comptes publics de l’Espagne et son manquement aux critères de Maastricht. Quel paradoxe !
M. Simon Sutour. C’est vrai !
M. Pierre Ouzoulias. Les futures élections ne changeront rien à la crise catalane sans une volonté réelle du pouvoir central de trouver une solution négociée à la demande d’une plus large autonomie. Cette situation de blocage risque d’accroître la crise économique actuelle et d’imposer in fine à l’Europe d’intervenir tôt ou tard, dans une situation bien plus périlleuse.
D’autres forces centrifuges menacent l’équilibre institutionnel de l’Europe. En effet, comment sera-t-il possible de refuser à l’Écosse un statut particulier dans l’Union européenne, comme elle le souhaite, si celui-ci est accordé à l’Irlande du Nord, pour éviter l’instauration d’une frontière physique, qui ruinerait tous les efforts de paix entre les deux communautés ? La revendication écossaise n’est pas seulement nationale, elle est aussi sociale.
Ces deux exemples montrent bien que la crise de l’État-providence porte les germes d’un affaiblissement des États-nation et, dans un mouvement, incertain, l’essor de nouvelles entités qui réclament toute leur place dans l’Union européenne.
À plusieurs reprises, à propos de la crise catalane, il nous a été répondu que l’Union européenne se devait de ne traiter qu’avec les États. On nous opposait le contre-exemple théorique d’une relation directe entre la Corse et l’Union européenne. Or, depuis dimanche, l’île est administrée par une collectivité qui demande, grâce à la large majorité dont dispose son exécutif, le droit de légiférer et, si la France le lui concède, celui de négocier directement avec les institutions européennes leurs applications.
M. Simon Sutour. C’est le sens de l’histoire !
M. Pierre Ouzoulias. Un parallèle est ainsi établi entre la situation de la Corse et celle de la Catalogne et nous oblige à repenser totalement le projet européen.
L’intégration économique, de plus en plus poussée, soumet les États à des forces centrifuges incontrôlables. Nous avons le devoir de refonder la construction européenne sur ses bases humanistes, en accordant la priorité aux citoyennes, aux citoyens et à leurs droits sociaux. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Kern, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Claude Kern. Comme vous l’avez exposé, madame la ministre, le programme du prochain Conseil européen ainsi que l’actualité internationale et européenne sont extrêmement denses. Permettez-moi, avant d’en venir à l’ordre du jour du Conseil européen, d’aborder quelques points d’actualité internationale qui sont de nature à nous inquiéter tous et dont les réponses doivent avoir une résonance européenne. Je pense en particulier à l’attitude et aux positionnements toujours plus belliqueux du Président Trump. Ses prises de position sont en effet de plus en plus inconséquentes.
Après la gradation des échanges avec la Corée du Nord, dont les réactions sont imprévisibles, après l’annonce de la sortie historique de l’accord de Paris sur le climat, mortifère pour la planète, c’est désormais au cœur du conflit israélo-palestinien que la diplomatie expéditive et irréfléchie du Président des États-Unis est en train de sévir. Au-delà du règlement d’un conflit qui ne supporte pas la simplification des enjeux – j’oserais dire, le simplisme des vues –, c’est toute la zone qui est fragilisée par la position américaine de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël.
Nous sommes au bord d’un embrasement dont je n’ose imaginer les conséquences internationales. Pour y répondre, la France doit avoir une voix forte, et je tiens à saluer la réaction du Président de la République, qui doit entraîner toute l’Union européenne. Notre histoire et nos origines mêmes nous poussent à être des artisans de paix.
Il n’y a pas d’autres solutions que la paix, il n’y a pas d’autre avenir possible. Pour cela, l’Union européenne doit être forte et unie. Nous devons rapidement renforcer notre diplomatie européenne et unifier nos positions. Cela implique aussi des visions communes en matière de défense. On le voit, notre allié historique américain choisit des chemins de plus en plus difficiles à suivre. Nous devons construire notre propre défense, et les États membres, au moins ceux qui le souhaitent, doivent pouvoir se fixer des objectifs en matière de stratégie et de budget européen.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Claude Kern. On évoque souvent l’idée que chaque État membre y consacre 2 % de son PIB. Il est possible aujourd’hui de convaincre nos amis européens d’être ambitieux en la matière, d’autant que la défense est le premier point du Conseil européen des 14 et 15 décembre.
Cela m’amène à aborder quelques autres sujets de l’ordre du jour du Conseil européen en lien avec l’avenir de l’Union européenne et sa refondation.
Tout d’abord, en matière de questions sociales et de luttes contre les pratiques illégales, il faut saluer l’initiative lancée par la France sur la révision de la directive dite « Travailleurs détachés ». C’est un marqueur fort. Aujourd’hui, la situation n’est convenable ni pour les salariés ni pour les entreprises, tant sont déséquilibrées les conditions de travail et de protection sociale. Nous devons aller vers plus de justice et d’équité ; c’est une condition pour conforter l’image d’une Europe protectrice de ses citoyens.
Dans le même ordre d’idées, le Conseil européen abordera les questions de transparence fiscale, d’échange d’informations et de lutte contre les paradis fiscaux. Dans ce domaine, deux champs d’action nous semblent possibles.
D’une part, il faut évoquer une nécessaire refonte des bases de la fiscalité des entreprises. La convergence fiscale doit être recherchée pour limiter le dumping entre les différents États membres.
D’autre part, il faut se lancer rapidement dans une lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales, deux domaines où les frontières sont parfois fines. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2018, notre groupe a souhaité défendre un certain nombre d’amendements en la matière. Compte tenu de la nature du texte, ces amendements avaient un caractère national, mais leur vocation était bien européenne.
Nous savons bien qu’une partie des États membres ne souhaite pas évoluer sur ces sujets, alors qu’ils sont primordiaux. L’Union européenne doit nous permettre de nous protéger des stratégies fiscales et anticoncurrentielles de certaines multinationales, qui pénalisent les citoyens, mais aussi les autres entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises.
Ensuite, en matière de culture et d’éducation, et en tant que membre de la commission permanente compétente au sein de notre assemblée, je souhaite rappeler combien l’espace européen est une zone d’apprentissage et d’épanouissement pour les élèves et les étudiants. On dit souvent que le programme Erasmus est l’une des réalisations les plus concrètes de l’Union européenne, c’est une réalité. Étant élu d’une région située au cœur de l’Europe, à la frontière entre l’Allemagne et la France, je mesure régulièrement combien ces échanges sont enrichissants.
Nous pourrions cependant aller plus loin et mettre en œuvre ce qu’il est commun d’appeler un Erasmus de l’apprentissage, tel que le prévoit le député européen Jean Arthuis. Madame la ministre, où en sont les échanges sur ce sujet ? C’est une manière d’élargir le programme d’échanges, de le confirmer dans sa vocation européenne et de remettre enfin à l’honneur les formations par apprentissage, qui en ont besoin dans notre pays. Notre groupe vous accompagnera dans cette réforme.
Pour finir, j’aborderai naturellement la question du Brexit. Notre groupe l’a affirmé : l’avenir de l’Union européenne se joue en partie sur ce retrait, et nous ne pouvons laisser les Britanniques décider seuls de notre avenir en commun. Sur les modalités de cette sortie, il faut rester ferme : le Royaume-Uni doit comprendre qu’il doit consentir des sacrifices en sortant de l’Union européenne et qu’il ne peut plus bénéficier des avantages qu’il y a à être dedans à partir du moment où il est dehors. C’est un signe de justice pour les États membres restants et de réalisme pour le Royaume-Uni.
Un accord a été trouvé la semaine dernière. Il est le fruit des différents négociateurs qu’il faut saluer, notamment Michel Barnier, qui, voilà quelques jours, est venu faire le point sur son travail devant la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères.
Madame la ministre, comment comptez-vous associer plus encore les parlements nationaux dans les évolutions à venir de l’Union européenne, compte tenu du départ des Britanniques, compte tenu des nécessaires et encore longues négociations avec ce pays ?
Vous l’aurez compris, madame la ministre, le groupe Union Centriste a beaucoup d’envies pour l’Union européenne. Il a envie de projets, d’ambitions, de concrétisations et de renaissance. Nous soutenons à cet égard sans réserve les démarches entreprises par le Président de la République pour refonder l’Europe et lui redonner tout son sens. Nous avons besoin d’Europe et, surtout, d’une Europe forte qui puisse jouer un rôle de pivot et de stabilisateur. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Simon Sutour applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Marie. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, le Conseil européen des 14 et 15 décembre prochain nous propose un ordre du jour « matriochka », c’est-à-dire quatre en un. En plus d’une partie classique, qui traitera notamment des questions de défense, des relations extérieures et des suites à donner à l’accord de Göteborg sur le pilier social, ce rendez-vous sera l’occasion d’un débat d’un nouveau type, « l’agenda des leaders », établi par Donald Tusk au mois d’octobre 2017, en l’occurrence sur la politique migratoire, format qui ne manque pas de susciter des inquiétudes.
Cette rencontre sera aussi l’occasion d’une réunion en format « vingt-sept plus un » sur le Brexit, après l’accord trouvé dans la nuit du 7 au 8 décembre dernier entre l’Union européenne et le gouvernement de Theresa May, pour clore le premier round de négociations et engager le second.
Enfin, un sommet informel de la zone euro débattra des récentes propositions de la Commission européenne pour réformer l’Union économique et monétaire.
La tonalité et les décisions de ce Conseil européen seront particulièrement suivies. Elles illustreront ou non le volontarisme des États membres pour ce qui sera la dernière année utile avant les élections européennes de 2019.
Madame la ministre, l’Europe a besoin d’ambition pour surmonter les défis de 2018, retrouver les voix des électeurs et dessiner l’avenir d’une Europe forte.
Si les récentes déclarations du Président de la République, du président Juncker et de plusieurs responsables européens ainsi que l’unité des Vingt-Sept pendant la première phase du Brexit sont des signes positifs, la crainte des petits pas demeure. La France a donc un rôle moteur à jouer, à l’heure où notre partenaire allemand, en mal de coalition, se préoccupe plus de politique intérieure que de politique européenne.
Je ne pourrai en quelques minutes aborder tous les sujets. Aussi me concentrerai-je sur quelques questions.
Le premier sujet, la priorité, c’est la dimension sociale. L’Europe souffre de n’avoir pas su ou pas voulu accompagner la libéralisation des échanges d’une plus grande protection de ses citoyens, laissant les nationalistes et les populistes assurer qu’ils étaient les seuls à pouvoir protéger le peuple. On peut donc se féliciter de l’adoption d’un socle de droits sociaux lors du sommet de Göteborg du 17 novembre dernier.
Le rapport rendu public à cette occasion ouvre des pistes de progrès permettant de lutter contre le dumping social. Il n’est cependant pas contraignant, il faut donc maintenant lui donner une suite concrète. Nous attendons qu’à l’occasion du prochain Conseil européen la France plaide pour que des décisions soient prises et qu’un calendrier soit arrêté pour poser des règles communes en matière de sécurité et de santé au travail, coordonner la sécurité sociale, assurer l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, éliminer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes et instaurer des règles équitables pour la mobilité des travailleurs.
À cet égard, je souhaite insister sur la question des travailleurs détachés : si un accord a été trouvé, rien n’est acquis, et la France devra être vigilante pour le consolider, vérifier ses conditions d’application et préparer la négociation du « paquet routier ».
Le second sujet que j’aborderai suscite une inquiétude que je souhaite vous faire partager. À l’occasion de ce sommet sera en effet inaugurée cette nouvelle méthode de travail baptisée « l’agenda des leaders », qui permet aux chefs d’État des États membres de se saisir de tout dossier d’importance. Il s’agit clairement d’un contournement des processus de décision consacrés par les traités, qui, au nom de la recherche d’un accord sur la politique migratoire, modifie l’équilibre institutionnel. En soumettant le domaine de l’asile au consensus, le Conseil européen s’arroge un pouvoir dévolu au Parlement et au conseil des ministres et impose la règle de l’unanimité dans un domaine qui relève de la codécision, autrement dit de la majorité qualifiée.
La conséquence est prévisible, le consensus, quand il ne bloque pas la prise de décision, n’autorise la plupart du temps qu’un alignement sur le moins-disant, ne permet pas une politique commune visant un processus d’intégration.
Madame la ministre, nous craignons que la centralité croissante du Conseil européen et la règle de l’unanimité ne bénéficient davantage aux adversaires de la méthode communautaire qu’aux tenants d’une intégration plus poussée. La définition d’une politique migratoire commune est urgente, mais elle ne peut se faire par un alignement sur la position des pays les plus frileux en la matière.
Le Brexit constitue le troisième point important à l’ordre du jour. Le Conseil européen devrait conclure que des progrès suffisants ont été accomplis au cours de la première phase des négociations pour passer à la seconde.
Nous saluons le résultat du long et intense travail de négociation de Michel Barnier et de son équipe ; nous nous félicitons de l’unité dont a fait montre l’Union européenne. Qu’il s’agisse des droits des citoyens européens vivant au Royaume-Uni et de ceux des citoyens britanniques installés dans l’Union européenne, du compromis sur la frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord et des conditions financières du divorce, l’Union européenne a fait preuve de la fermeté nécessaire pour que toutes nos lignes rouges soient respectées.
Le résultat de ces négociations confirme que celui qui part perd. Si la détermination de l’Union européenne ne fait aucun doute, de leur côté, les Britanniques ne semblent pas encore assumer la voie qu’ils ont choisie. Il n’est d’ailleurs pas évident que cet accord de sortie, très éloigné des promesses du référendum, obtiendrait aujourd’hui l’accord des citoyens britanniques.
Toutefois, madame la ministre, nous appelons votre vigilance sur les nombreuses ambiguïtés qui persistent, notamment sur les engagements financiers et sur le maintien in fine du Royaume-Uni dans le marché unique. Si l’Union européenne a imposé ses vues, il reste à traduire cela en termes juridiques. Or nous savons que le diable se cache dans les détails. La suite des négociations ne devrait pas plus être un long fleuve tranquille que la première phase.
Restons donc très vigilants sur la consolidation de ce premier accord, sur son respect pendant la seconde phase et la phase de transition. Il est primordial de rester sur cette même ligne pour que, comme le dit le rapport conjoint des négociateurs, il n’y ait d’accord sur rien tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout !
Enfin, à l’occasion du sommet de la zone euro, qui se tiendra en marge du Conseil européen, les États membres auront un premier débat autour des propositions de réforme de la zone euro que vient de faire la Commission européenne. Sans être exhaustif à ce stade, on peut s’étonner de ces propositions, qui manquent d’ambition et qui ne répondent pas au sursaut démocratique que l’on nous promettait depuis des mois.
Ainsi, si l’on peut se féliciter de retrouver la proposition d’un super ministre des finances, on ne peut être que déçu, sinon inquiet, de voir la perspective d’une véritable capacité budgétaire pour la zone euro réduite à une ligne dans le budget européen. Cela pose la question du contrôle démocratique de ce budget, puisque son montant et ses objectifs seraient décidés à vingt-sept, sans être discutés et amendés par les parlements nationaux.
Par ailleurs, le fonds monétaire européen, tel qu’il est proposé, ne sortirait pas de la logique punitive qui conditionne l’accès à ses financements au respect du pacte de stabilité et reproduirait et institutionnaliserait ce qui a été appliqué à la Grèce. Nous aurions espéré un véritable Trésor européen, outil de stabilisation financière et de solidarité qui vienne compléter et soutenir les efforts des États membres en difficulté.
Nous avons besoin de moyens supplémentaires pour mettre en œuvre de véritables politiques de convergences économiques et sociales et pour investir. Nous avons besoin aussi d’une gouvernance renforcée et d’un Parlement dédié à la zone euro pour donner sens à tout l’édifice. La crise économique est derrière nous : il est plus que temps de tourner la page de l’austérité et d’engager l’Europe dans la voie de la croissance.
Madame la ministre, s’il est bon d’affirmer pour convaincre, s’il est utile de communiquer, il faut surtout des actes forts : il faut consolider l’existant et bâtir des politiques nouvelles qui rétablissent la confiance dans l’Union européenne.
Les forces conservatrices et néo-libérales ont mené l’Europe au bord de la fragmentation et du déclin, alimentant de nouvelles forces populistes, nationalistes et xénophobes, qui réclament un retour aux frontières et aux solutions nationales au nom de la protection du peuple. Pour les faire reculer, nous devons sortir d’une logique technocratique et budgétaire et redonner corps à l’idée européenne, protéger nos concitoyens, garantir à tous les jeunes un égal accès à une éducation de qualité, réussir la transition écologique, accompagner la révolution numérique, faire vivre les valeurs de fraternité et de solidarité.
L’Europe mérite mieux que ce qu’elle est ; elle a besoin de la France, et la France a besoin d’elle. Nous attendons donc de l’exécutif des paroles fortes et des actes de même nature. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 14 et 15 décembre prochain sera une nouvelle occasion pour l’Union européenne de se pencher sur son avenir et de définir de nouvelles priorités politiques.
Bien que l’Allemagne soit encore paralysée par des questions de politique interne, bien que le Royaume-Uni s’éloigne de plus en plus chaque jour de l’Union européenne, bien que les crises qui frappent notre continent soient encore vives et dangereuses, nous avons encore des raisons de croire en une Europe plus forte et plus protectrice.
Sur le plan des avancées concrètes, l’actualité nous montre que la méthode des « petits pas » de Jean Monnet et de Robert Schuman est plus que jamais d’actualité pour faire avancer la construction européenne.
Hier, à Bruxelles, vingt-cinq pays européens ont lancé une coopération structurée permanente en matière de défense et de sécurité, autour de dix-sept projets concrets à mettre en œuvre dans les mois à venir. Plusieurs d’entre eux sont, à bien y regarder, des avancées majeures dans la mutualisation de nos moyens et la constitution d’une culture stratégique et tactique partagée à l’échelon européen. En ce sens, l’établissement d’un commandement médical européen ou la création d’un centre d’entraînement conjoint pour préparer les militaires avant un déploiement sont les bienvenus.
D’autres projets ont une dimension industrielle vitale pour un continent doté d’entreprises de défense d’excellence, lesquelles restent pourtant pénalisées par leur taille trop faible et l’atomisation des marchés nationaux. Pour espérer pouvoir constituer des groupes de défense de taille mondiale, les États membres doivent rendre possible la concentration des moyens financiers sur des programmes stratégiques communs permettant in fine de garantir l’autonomie stratégique européenne.
Pour ce faire, il est nécessaire que l’Union européenne conduise enfin une politique industrielle de défense active. En ce sens, la constitution d’un fonds européen de défense, doté à partir de 2020 de 1,5 milliard d’euros par an pour des projets de recherche, pour des achats en commun ou pour le développement de prototypes, est une grande avancée, que nous saluons.
Néanmoins, nous pouvons aller encore plus loin. Les pays européens doivent enfin jouer collectif en matière d’armement et adopter la préférence communautaire, à l’instar de celle qui est en vigueur aux États-Unis : le fait que la Suède choisisse le Patriot américain plutôt que le SAMP/T proposé par l’Italie et la France pour sa défense antiaérienne est un mauvais signe envoyé aux défenseurs d’une base industrielle et technologique de défense européenne robuste et compétitive à l’échelon mondial.
Soixante ans après l’échec de la Communauté européenne de défense, six ans après la dissolution de l’Union de l’Europe occidentale, l’Union européenne a enfin l’occasion de faire avancer sérieusement la politique européenne de sécurité commune. Madame la ministre, nous espérons que votre engagement et celui du Président de la République en la matière seront sans faille.
Un autre point à l’ordre du jour de ce Conseil européen est pour nous fondamental et concerne l’âme même du projet européen. Je veux parler de l’Europe sociale. Je veux parler de l’Europe de l’éducation. Je veux parler, bien sûr, de l’Europe de la culture. Ces trois sujets sont vitaux pour l’Union européenne, car ils sont l’émanation des valeurs d’humanisme, de solidarité et de savoir, qui sont l’ADN de notre civilisation commune.
Malraux résumait l’humanisme par ces quelques mots : « Vouloir retrouver l’homme partout où nous avons trouvé ce qui l’écrase ». Nous pensons que l’Union européenne peut et doit contribuer à ce projet millénaire d’émancipation. Nous pensons que l’Union européenne peut et doit redevenir cette promesse d’humanité qui attirait les peuples et rassurait ses citoyens. Nous pensons enfin que l’Union européenne peut et doit être en première ligne des combats contemporains contre l’ignorance, contre l’intolérance, contre l’exploitation, contre le populisme et contre la haine de l’autre.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a compris que cet enjeu était vital pour le projet européen. Il a compris que la vision technocratique et mercantile du « grand marché unique » ne suffirait plus à fédérer les Européens.
Nous saluons ainsi son projet de « socle de droits sociaux ». Nous saluons les projets d’extension d’Erasmus aux apprentis et aux jeunes artistes. Nous saluons la volonté d’avancer dans le sens d’universités européennes plus intégrées et la reconnaissance commune des diplômes. Bologne et Montpellier, la Sorbonne et l’université Humboldt, la Sapienza de Rome et l’université d’Amsterdam : nos universités ont fait l’Europe avant tout le monde ; l’Europe a toujours été une évidence pour elles, dès le Moyen Âge. Il est normal qu’une fois encore elles nous montrent la voie vers le dialogue de nos cultures et l’amitié de notre jeunesse.
Ces projets concrets donnent du sens à la citoyenneté européenne et contribuent à rapprocher les Européens. Nous devrons cependant veiller à ce qu’ils soient plus que des annonces ou des mesures techniques. Ils devront préfigurer un véritable changement de cap de la construction européenne vers une Europe plus juste, plus solidaire et plus ouverte.
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
Mme Colette Mélot. Il nous semble que le Président de la République entend défendre cette orientation à l’avenir ; nous le soutiendrons dans cette démarche.
Pour conclure, je voudrais m’attarder sur une autre menace existentielle qui plane sur le projet européen, le Brexit. Nous saluons le travail du négociateur en chef de la Commission européenne, Michel Barnier, qui ne ménage pas ses efforts pour trouver un accord acceptable pour tous et maintenir une relation étroite entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
Vendredi dernier, la Commission européenne et le Royaume-Uni ont fini par tomber d’accord sur les modalités de leur « divorce », après des mois de discussions tendues. Nous espérons que ce premier pas permettra d’ouvrir la voie à des discussions commerciales pour l’avenir, après le Brexit prévu à la fin du mois de mars 2019.
Nous sommes convaincus que, si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, il ne quitte pas l’Europe. Nous devons faire de son départ une chance pour avancer plus vite et plus profondément avec ceux qui restent, sans esprit de revanche. Nous sommes optimistes sur la conclusion de ces négociations, mais nous vous prions, madame la ministre, de conserver un œil attentif sur les intérêts de nos concitoyens expatriés et, plus largement, sur les intérêts de la France dans les discussions à venir.
Plus largement, le groupe Les Indépendants - République et Territoires forme le vœu que ce Conseil européen soit l’occasion pour le Président de la République de traduire en acte son engagement pour une Europe plus unie, plus forte et plus protectrice, au service de ses citoyens et tournée vers l’avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – Mme Fabienne Keller et M. Simon Sutour applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviendrai sur le Brexit, la sécurité extérieure, le défi migratoire ou encore le renforcement de l’intégration économique, qui sont quelques-unes des priorités inscrites à l’ordre du jour du prochain Conseil européen.
J’évoquerai tout d’abord le Brexit.
Les pourparlers sur ce sujet ont connu ces derniers jours une avancée significative, qu’il convient de saluer. En effet, vendredi dernier, la Commission européenne a recommandé au Conseil européen de constater la réalisation d’un progrès suffisant dans la première phase des négociations, ce qui devrait permettre le passage à la deuxième phase, c’est-à-dire à la négociation sur notre future relation commerciale avec le Royaume-Uni.
La première phase, nous le savons, portait quant à elle sur les droits des citoyens, la facture du Brexit et le cas irlandais.
Près de 3 millions d’Européens vivant outre-Manche devraient voir leurs droits garantis.
L’accord résultant des négociations sur la facture, laquelle pourrait s’élever à près de 50 milliards d’euros, porte avant tout sur la méthodologie du règlement financier. Espérons, madame la ministre, que la méthode choisie permettra de garantir le montant jugé indispensable pour couvrir les engagements du Royaume-Uni au sein des programmes du cadre financier pluriannuel.
Par ailleurs, même si les Britanniques s’acquittent à terme de leur dette contractuelle, nous perdrons le deuxième contributeur net au budget de l’Union européenne. Leur sortie pèsera immanquablement sur le budget européen post-2020.
Enfin, le Brexit, c’est aussi la question irlandaise. Les Européens souhaitent éviter le retour d’une frontière dure entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Même si la Première ministre britannique s’est engagée en ce sens, nous savons qu’elle subit la pression de ses alliés du parti unioniste nord-irlandais, qui ne veulent pas entendre parler d’un alignement réglementaire entre leur territoire et l’autre partie de l’île. À ce stade, on a le sentiment que la question de la frontière irlandaise pourrait guider en partie les contours du Brexit, entre sortie dure et sortie modérée, en fonction de considérations de politique intérieure. Il faut effectivement être prudent en la matière.
Mes chers collègues, j’évoquerai maintenant la politique migratoire tant la situation demeure fragile, malgré toutes les mesures que l’Union européenne a mises en œuvre depuis 2015.
Nous avons tous suivi avec effroi le scandale de la vente de migrants africains comme esclaves en Libye. Cette tragédie nous interroge et doit évidemment nous faire réagir.
Les dispositifs de surveillance en mer et de lutte contre les passeurs sont bien entendu nécessaires, car nous devons à nos concitoyens européens une sécurisation des frontières communautaires. Cependant, pour faire cesser les tragédies humaines qui se jouent dans les camps et en mer, l’Union européenne doit renforcer significativement tous les autres volets de sa politique migratoire, car nous faisons face à un phénomène durable. À la Sorbonne, voilà quelques semaines, le Président de la République l’avait d’ailleurs souligné : « La crise migratoire n’est pas une crise, c’est un défi qui durera pour longtemps. »
Il faut notamment renforcer la politique de développement. Des engagements en ce sens avaient été pris lors du sommet de La Valette afin de répondre aux causes de la migration irrégulière. Près de 3,2 milliards d’euros ont été débloqués, mais il semblerait que ces fonds ne soient pas suffisamment fléchés vers le développement. Avez-vous, madame la ministre, des précisions à apporter sur ce sujet ?
La politique migratoire, c’est aussi une politique d’accueil. Nous savons que ce volet a éprouvé la solidarité, cette valeur étant pourtant au cœur du projet européen. Le renvoi, la semaine dernière, de quatre pays européens devant la Cour de justice de l’Union européenne en est malheureusement une navrante illustration.
J’en viens à l’Europe de la défense, un chantier qui progresse, et je m’en félicite. Vous l’avez dit, madame la ministre, cette « Europe de la défense est en train de devenir une réalité ».
Le fonds européen de la défense annoncé en juin dernier par la Commission européenne devrait mobiliser 5,5 milliards d’euros par an pour faire face aux grands enjeux de sécurité en Europe.
Je n’oublie pas l’initiative de coopération structurée permanente, qui permettra sans aucun doute de partager la responsabilité de la défense entre les États membres et de ne pas faire peser l’effort sur un petit noyau d’entre eux, à commencer par notre pays, qui est le plus souvent en première ligne.
Enfin, je dirai quelques mots sur l’Union économique et monétaire, car de la bonne santé des économies européennes dépendent beaucoup d’autres politiques.
Au sein du groupe du RDSE, nous soutenons avec constance quelques principes. J’en citerai deux : l’harmonisation et la protection.
Harmoniser, c’est mettre fin à la concurrence. Aussi est-ce sans réserve que nous soutenons par exemple le projet d’assiette commune d’impôt sur les sociétés ou encore la révision de la directive sur les travailleurs détachés.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Franck Menonville. Les traités, je le rappelle, posent le principe d’une coordination des politiques économiques. Cette coordination n’a de sens qu’avec un minimum de règles fiscales et sociales communes.
Je profiterai du temps qui m’est alloué pour évoquer la PAC. Je sais qu’elle ne figure pas à l’ordre du jour du prochain Conseil, mais je tiens à relayer quelques inquiétudes ayant trait au principe de cohésion.
Madame la ministre, les organisations agricoles s’inquiètent du projet de PAC 2020 et du risque de renationalisation des aides. Pour schématiser, une telle renationalisation ne risque-t-elle pas de créer des distorsions de concurrence entre les agriculteurs européens ? Je pense qu’elle affaiblirait immanquablement notre stratégie agricole et alimentaire, alors que tant de défis sont à relever. Au sein du groupe du RDSE, nous sommes totalement hostiles à une renationalisation supplémentaire de la PAC.
M. Jean-Claude Requier. Tout à fait !
M. Franck Menonville. J’en viens au second principe : protéger.
Protéger le marché européen quand celui-ci est clairement menacé doit aussi être une priorité.
La semaine dernière, le Parlement et le Conseil européens se sont accordés pour renforcer les instruments de défense commerciale de l’Union européenne, dont ceux qui sont dirigés contre le dumping. À cet égard, je reprendrai la formule de la commissaire : mieux vaut tard que jamais !
Sans renoncer aux règles du commerce international, l’Union européenne doit toutefois pouvoir se mettre à l’abri d’une concurrence déloyale, que favorise une ouverture parfois naïve du marché européen. Soyons donc plus vigilants s’agissant des accords internationaux, notamment sur le MERCOSUR, que nous ne l’avons été avec le CETA.
Mes chers collègues, tels sont les quelques messages que je souhaitais faire passer au nom du groupe du RDSE, profondément attaché à l’Europe et soucieux de la conduire vers plus de progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – Mme Fabienne Keller et M. Franck Montaugé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes rassemblés pour préparer le Conseil européen des 14 et 15 décembre. Comme à chaque fois, sa réunion est importante, mais l’ordre du jour du moment est particulièrement stratégique. J’interviendrai donc sur quatre points : le Brexit, la politique économique, la politique de défense et, si vous me le permettez, Strasbourg, même si c’est hors sujet – en fait, c’est plutôt un sujet permanent. (Sourires.)
Mon premier point porte sur le Brexit.
Vous l’avez rappelé, madame la ministre, l’accord du 8 décembre précise des points sur les droits des citoyens, sur le règlement de la facture, même si aucun chiffre précis ne nous a été communiqué sur le montant que les Britanniques sont prêts à payer, sur la question si délicate de la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Pouvez-vous nous dire si cet accord est assez solide pour servir de base à l’accord définitif ? J’ai bien entendu ce que vous aviez dit, à savoir que nous n’avions pas encore fait le plus dur. Pouvez-vous également nous indiquer la durée envisagée pour la période de transition ? On sait qu’elle sera au minimum de deux ans, mais pourrait-elle être plus longue ? Certains évoquent une durée de cinq ans.
Mon deuxième point a trait à la politique économique, à l’euro et à la fiscalité.
Nous saluons les éléments importants exposés par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne. Nous observons les avancées concernant la création d’un fonds monétaire européen, à partir du TSCG et du mécanisme européen de stabilité, le fameux MES. Nous observons aussi tous la dynamique favorable à la zone euro.
J’insisterai sur les questions fiscales, en particulier sur l’optimisation. Certaines entreprises échappent ainsi à l’impôt et ne contribuent pas à la richesse de leur pays. Cela choque nos concitoyens. Madame la ministre, est-il possible d’accélérer l’adoption des directives ACCIS et ACCIS consolidée, qui définissent une assiette fiscale commune pour l’impôt sur les sociétés, élément socle pour progresser vers l’harmonisation ?
Par ailleurs, peut-on espérer observer une convergence en matière de fiscalité des entreprises ? La France est sur une dynamique de baisse de la fiscalité des entreprises. Ne peut-on envisager une sorte de convergence ou de serpent fiscal ? L’unanimité exigée sur cette question est une source de difficulté et de blocage.
Enfin, pourriez-vous nous indiquer la position de la France sur la taxation des GAFA. La commissaire, Mme Vestager, a adopté une position audacieuse sur cette question. Si elle n’est pas exempte de risques, elle marque un volontarisme européen important.
Mon troisième point concerne la politique européenne de défense.
Vous l’avez rappelé, un accord à vingt-trois, devenus vingt-cinq hier – il ne manque plus que Malte et le Danemark ; c’est presque un accord européen –, a été trouvé. Les attentes de nos concitoyens sont fortes sur ce sujet, s’agissant notamment d’une réponse coordonnée au terrorisme. Pouvez-vous nous indiquer comment s’articulera la coopération avec le Royaume-Uni ? Nous savons que nous avons des accords bilatéraux très puissants, mais le Royaume-Uni privilégie plutôt la coopération par le biais de l’OTAN, laquelle est bien sûr tout à fait essentielle.
Dans la vingtaine de propositions qui ont été faites mi-novembre, j’ai relevé la question de l’interopérabilité des forces multinationales. Ma collègue Colette Mélot a évoqué des exercices plus nombreux. Je voudrais vous interroger sur leur rôle ; je pense évidemment en particulier à l’Eurocorps de Strasbourg, que vous connaissez bien. Plus globalement, c’est avec une forme d’amertume que j’ai constaté le démantèlement partiel de la brigade franco-allemande. Je suis vigilante s’agissant de ces forces multinationales, qui sont formidables, mais qui, au quotidien, sont parfois un peu oubliées dans certains arbitrages nationaux.
Mon dernier point sera plus politique.
Je suis très touchée par la question irlandaise. Il se trouve que j’ai eu la chance de connaître John Hume, à qui a été décerné le prix Nobel de la paix pour sa participation aux négociations de paix. On peut rappeler, car on ne l’a pas toujours en tête, que c’est la dernière paix signée en Europe, il y a tout juste dix-neuf ans. Ce n’est donc pas très vieux. Ce fut le Good Friday Agreement, l’accord du Vendredi Saint.
L’Irlande du Nord est très attachée à sa capitale, Londres, et connaît depuis près d’un siècle la libre circulation sur l’île, territoire qu’elle a en commun avec la République d’Irlande. Cette question n’est pas simple et nous ramène à l’une des valeurs fondamentales de l’Union européenne, à savoir la paix. Claude Kern, André Reichardt et moi, en tant qu’Alsaciens et Strasbourgeois, savons ce que vit une zone écartelée, qui fait partie d’un ensemble politique tout en étant attachée ailleurs par des traités. C’est cette histoire particulière qui a vu Strasbourg avoir cinq nationalités différentes en cent trente ans et qui a conduit les Européens, après la guerre, à faire le choix de notre ville comme siège du Parlement européen.
Je tiens à saluer très officiellement, madame la ministre, votre engagement remarquable en faveur de Strasbourg. Vous êtes au top des ministres européens ! (M. Robert del Picchia applaudit.) On peut vous applaudir en effet pour ce que vous avez fait pour Strasbourg.
Vous venez à Strasbourg lors de chaque session du Parlement européen. Vous vous y êtes rendue dès le mois de juillet. Vous avez accompagné le Président Macron le 31 octobre à la Cour européenne des droits de l’homme, cette institution remarquable. Vous venez d’écrire au président Tajani pour vous élever contre l’organisation d’une mini-session budgétaire à Bruxelles. Je salue votre engagement, car vous donnez de votre personne en multipliant les allers-retours. Vous irez probablement à Strasbourg encore cette semaine.
Mme Fabienne Keller. Je vous remercie de nous présenter votre stratégie de défense de Strasbourg en tant que capitale européenne de la France, cette mission étant si particulière. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe La République En Marche.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour une fois, l’ordre du jour du Conseil européen de fin d’année semble un peu moins pléthorique que d’habitude, mais les sujets qui seront abordés sont loin d’être anodins. Ils portent sur plusieurs des enjeux mis en avant par Jean-Claude Juncker dans son discours sur l’état de l’Union le 13 septembre dernier.
Les orateurs qui m’ont précédé ayant déjà largement évoqué les problématiques inscrites à cet ordre du jour, je concentrerai l’essentiel de mon propos sur le Brexit et sur les questions connexes liées à cet épineux dossier.
Au préalable, je tiens cependant à vous faire part de mon sentiment très mitigé s’agissant de la réforme de la zone euro présentée par la Commission européenne mercredi dernier, laquelle sera examinée lors du sommet de la zone euro, qui se tiendra le 15 décembre, dans la foulée du Conseil européen. Une fois passées les grandes déclarations d’intention sur la nécessaire réforme de l’Europe, la Commission européenne semble être en effet revenue au « business as usual », à savoir avancer a minima, réformer mais pas trop, suffisamment pour éviter l’accusation de statu quo… Une fois de plus, il semblerait que la montagne ait tout simplement accouché d’une souris.
La réforme de la zone euro, telle qu’elle est proposée par la Commission, traduit une absence de vision politique et risque fort de se réduire à la seule création d’un titre de ministre européen de l’économie et des finances. Ce ministre jouera un rôle plus cosmétique qu’effectif, puisqu’il sera placé sous la tutelle du président de la Commission et ravalé au rang de simple « coordinateur ».
Comme mon collègue Didier Marie, je m’interroge : sans solidarité financière entre États membres ni instauration d’un Parlement de la zone euro, comment pouvons-nous espérer mettre fin aux déséquilibres profonds qui existent à l’intérieur de l’Union, ainsi qu’à la compétition fiscale agressive qui sévit entre nos États ?
Faire preuve d’une réelle ambition pour l’Europe supposerait de doter la zone euro d’un budget spécifique, au lieu de se limiter, comme le propose la Commission, à ouvrir quelques lignes budgétaires nouvelles dans un cadre pluriannuel financier déjà plus que contraint.
Bref, ce que la Commission propose aujourd’hui est sans grande audace. On sent bien que le président Juncker a sans doute peur, à dix-huit mois des élections européennes, de froisser les États non-membres de la zone euro et surtout de bousculer l’Allemagne, qui est actuellement plongée dans de délicates négociations en vue de constituer une coalition gouvernementale. Pour autant, les récentes déclarations très pro-européennes de M. Martin Schultz, futur allié de la coalition, laissent penser que nos voisins d’outre-Rhin pourraient assouplir leur position sur la zone euro. Il a en effet évoqué l’idée de la création d’un budget dans son discours du 7 décembre dernier.
Madame la ministre, pensez-vous qu’il y a quelque espoir que les discussions de vendredi permettent d’aller au-delà et dans un sens plus proche des propositions avancées par le Président de la République lors de son discours de la Sorbonne le 26 septembre dernier ?
J’en viens à présent à l’état actuel des négociations sur le Brexit.
Après la relative désillusion de mercredi concernant la réforme de la zone euro, on s’attendait vendredi à un jour plus faste pour l’Union avec l’annonce d’un accord avec la Grande-Bretagne sur la première phase des négociations se rapportant aux modalités de sa sortie de l’Union : accord sur le règlement financier de la séparation, accord sur la gestion de la frontière entre la République d’Irlande et la province d’Irlande du Nord et accord, enfin, sur le sort des citoyens expatriés…
Passé l’effet d’annonce plutôt enthousiasmant – pour peu qu’on puisse réellement s’enthousiasmer pour un divorce par consentement plus ou moins mutuel –, la lecture détaillée du document officiel de quinze pages, présenté vendredi dernier, a de quoi laisser dubitatif sur l’accord final qui résultera des négociations de phase 2, lesquelles porteront sur les futures relations entre les deux parties et sur la demande britannique, non clarifiée, d’obtenir éventuellement une période de transition.
L’avancée la plus nette et la plus clairement favorable aux intérêts de l’Union et de ses citoyens concerne bien évidemment le statut des citoyens expatriés. Le Royaume-Uni semble avoir enfin réalisé, ou reconnu, la valeur et l’importance du travail effectué par les ressortissants européens pour l’économie britannique, qu’ils occupent des emplois qualifiés ou moins qualifiés. D’après les chiffres de son Bureau de la statistique nationale, ils représentaient en 2016 près de 7 % des forces de travail britanniques. Mme May, sous la pression d’ailleurs du patronat et des milieux financiers, a donc été contrainte d’en rabattre un peu sur sa position initiale, très idéologique, et d’accepter que les droits des citoyens expatriés demeurent les mêmes.
Je regrette cependant nos concessions sur la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne. Il est en effet simplement prévu que les tribunaux britanniques « pourront » interroger pendant huit ans la Cour sur des questions d’interprétation de la législation européenne relative aux droits des citoyens immigrés. Que ferons-nous si aucun tribunal britannique n’interroge la Cour de justice de l’Union européenne ? Et pourquoi huit ans seulement ? À partir de quel moment pourra-t-on juger qu’il existe un manquement de la part du Royaume-Uni, susceptible de faire l’objet d’un recours ?
Madame la ministre, au-delà des formules parfois sibyllines et complexes figurant dans cette partie de l’accord, pouvez-vous illustrer plus concrètement et détailler plus avant les garanties obtenues en faveur des ressortissants européens travaillant au Royaume-Uni ?
Quant à l’accord trouvé sur le règlement financier, plusieurs points et non des moindres semblent restés en suspens. Au-delà de la validation de la méthode de calcul du montant dû par Londres, qui est celle proposée par Bruxelles, des ambiguïtés, et non des moindres, subsistent notamment sur la facture que devra régler le Royaume-Uni. Si nous refusons de notre côté d’avancer un chiffre, les Britanniques, eux, ne rechignent pas à le faire. Ils estiment que cette facture s’élèverait à un montant compris entre 40 milliards et 45 milliards d’euros.
À ce sujet, il ne faut pas se faire d’illusion : il n’y a aucun gain, aucun bénef, pour l’Union européenne dans ce règlement financier. La facture correspond à des engagements pris par le Royaume-Uni en tant que membre et à sa participation à plusieurs programmes ou agences européennes. Je pense ainsi au paiement de politiques déjà engagées dans l’actuel cadre pluriannuel financier jusqu’en 2020.
Au-delà de 2020, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne représentera un trou budgétaire annuel de plusieurs milliards d’euros, qu’il faudra combler ou qui nous contraindra à faire des économies. Je rappelle en effet que le Royaume-Uni est le troisième contributeur net du budget européen, avec près de 9 milliards d’euros. Nous devons donc saisir cette occasion pour rendre le budget européen plus lisible et plus équitable, afin de mettre un terme à tous ces mécanismes de rabais et de rabais sur le rabais, qui entachent tant le budget européen.
Enfin, sur le volet relatif à l’Irlande, qui a été évoqué par plusieurs de nos collègues, nous avons l’impression d’être autant otages de la situation politique intérieure du Royaume-Uni que Mme May elle-même, qui est partagée entre, d’un côté, les attentes des milieux financiers et économiques et, de l’autre, une alliance avec le DUP, un parti quasiment d’extrême droite nord-irlandais.
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. André Gattolin. Je conclus, monsieur le président.
Or les derniers sondages montrent qu’une majorité d’Irlandais sont favorables à la réunion des deux Irlande. Quelque chose est donc en train de se passer.
Certes, le texte est en l’état intéressant, mais je crains qu’il ne soit pas totalement cadré et que Mme May n’ait surtout cherché à temporiser entre des forces concurrentes et divergentes. La deuxième phase des négociations risque d’être un beau morceau à régler ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. Simon Sutour applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.
M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom du président de la commission, Christian Cambon, retenu par une rencontre avec des personnalités internationales.
Le 30 mars 2019, le Royaume-Uni deviendra un pays tiers de l’Union européenne. Nous le regrettons. Des personnalités telles que Tony Blair veulent croire que cette perspective est encore réversible. Mais il faut se résoudre à l’évidence : après l’accord de vendredi, elle devient de plus en plus plausible.
Nous nous réjouissons de l’accord qui a été trouvé. Sans lui, le Brexit risquait de nous ramener plus de quarante ans en arrière. Cet accord devrait permettre – enfin ! – d’envisager l’avenir, en passant à la deuxième phase des négociations prévues par l’article 50 du traité sur l’Union européenne.
Mais nous ne sommes pas naïfs, mes chers collègues. Le président du Conseil européen l’a rappelé : le temps est compté, et le plus difficile est devant nous, comme l’a également dit la ministre.
En premier lieu, nous restons préoccupés par la question irlandaise, en raison du conflit tragique, pas si lointain d’ailleurs, que l’île a connu, et qui a été surmonté grâce à des coopérations reposant, pour une large part, il ne faut pas l’oublier, sur le droit et les budgets européens.
L’accord trouvé sur la question de la frontière irlandaise est un pas en avant appréciable, mais il n’est pas dépourvu d’ambiguïtés. Au regard des engagements de principe énoncés, les difficultés d’application paraissent presque inextricables. Et je n’évoquerai pas le risque de division politique, voire de désunion territoriale, qu’elles suscitent outre-Manche. Le plus dur reste à faire !
En deuxième lieu, la phase 2 des négociations s’annonce ardue. Elle sera d’abord consacrée à la définition d’une période de transition, puis à l’élaboration de un ou plusieurs traités précisant le cadre futur des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Ce cadre devra définir une « relation spéciale », équilibrée, non discriminante vis-à-vis des États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen, dans un traité qui pourrait, nous dit-on, comporter des similitudes avec l’accord économique et commercial global avec le Canada, le fameux CETA.
Nous serons donc particulièrement attentifs à ces nouvelles négociations, car – le négociateur en chef Michel Barnier nous l’a confirmé ici même, au Sénat – ce ou ces traités avec le Royaume-Uni seront de nature mixte, c’est-à-dire que nous aurons à en autoriser la ratification. Madame la ministre, cela signifie que ces nouvelles négociations devront être parfaitement transparentes et portées dans le débat public. Nos concitoyens nous demanderont la garantie que le Brexit ne signifie pas l’introduction, à terme, de formes nouvelles de dumping réglementaire ou fiscal à l’intérieur du continent européen. Il faudra maintenir notre union à vingt-sept, et c’est un défi.
Cela étant dit, le Brexit ne doit pas capter toute notre énergie. Comme cela est écrit dans le rapport du Sénat sur la refondation de l’Europe, et comme le Président Macron et la Chancelière Merkel l’ont affirmé : l’avenir à vingt-sept est plus important que le Brexit !
Plus qu’une priorité, refonder l’Union est un enjeu vital. La politique migratoire, de nouveau à l’ordre du jour du prochain Conseil, doit continuer à concentrer toute notre attention. Le phénomène migratoire, dans sa dimension tant intérieure qu’extérieure, constitue un défi majeur et durable. Nous avons échoué, pour le moment, à y répondre efficacement, humainement et solidairement. Il faut donc agir, et vite.
En matière de défense, les avancées sont importantes, mes chers collègues. Le moteur franco-allemand a permis le lancement d’une coopération structurée permanente et, disons-le, prometteuse. Mais soyons réalistes : on a beaucoup parlé, il faut maintenant agir.
La mise en œuvre, dans les mois à venir, de projets communs d’acquisition et de développement de capacités militaires, voire la réalisation d’engagements conjoints sur des théâtres d’opérations extérieures, constitueront le vrai et l’unique test d’une volonté d’agir ensemble. Or la concrétisation de décisions prises à vingt-cinq sur des sujets si stratégiques nous laisse perplexes.
Mes chers collègues, chacun le sait : la politique d’emploi des forces qui est celle de la France, sa capacité de projection en opérations au-delà de ses frontières constituent une singularité dans l’Union européenne. Mais, au Sahel, c’est bien la sécurité de l’Europe que nous défendons, et pas uniquement celle de la France.
Les principes d’un partenariat renforcé avec le Royaume-Uni, seul État membre qui, à l’instar de la France, dispose d’une culture stratégique, semblent déjà faire consensus. Il faut s’en féliciter.
Madame la ministre, la France doit cultiver cette entente, scellée avec son unique partenaire européen à la fois détenteur de l’arme nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, si elle prétend conserver ses leviers d’actions diplomatiques en formant un bloc européen dans les instances multilatérales et si elle entend défendre sa politique de dissuasion, garante du régime de non-prolifération face à l’accélération des essais balistiques et nucléaires de la Corée du Nord. Plusieurs orateurs ont déjà mentionné ce dernier enjeu.
Face à de tels défis, on le voit bien : la diffraction de l’Europe serait un non-sens géostratégique. Maintenir la cohésion de notre continent est un impératif tant économique que social et de sécurité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le vice-le président de la commission des affaires européennes.
M. Cyril Pellevat, vice-président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, permettez-moi d’excuser l’absence de M. Bizet, président de la commission des affaires européennes, qui est actuellement en déplacement au titre de l’Union interparlementaire.
Notre débat revêt un intérêt tout particulier à la veille d’un Conseil européen d’une grande importance.
C’est en tout premier lieu le retrait du Royaume-Uni qui retient notre attention. Le Sénat a plaidé pour un « retrait ordonné », et notre groupe de suivi, commun avec la commission des affaires étrangères, restera très vigilant quant à la finalisation de l’accord de retrait. Cette attention est d’autant plus nécessaire que, par ses propos récents, le négociateur britannique, M. Davis, semble lier le sort de cet accord à celui relatif au cadre des relations futures. Une telle analyse nous paraît tout à fait inacceptable.
En priorité, notre vigilance portera sur la situation des citoyens européens installés au Royaume-Uni. Nous relevons beaucoup de points positifs dans le rapport des négociateurs. Je m’interroge cependant sur le rôle de la Cour de justice. Certes, celui-ci est bien prévu, mais les juges britanniques auront la simple faculté et non l’obligation de consulter la Cour. En outre, cette possibilité sera limitée à une période de huit ans. N’est-on pas en deçà de ce qui serait nécessaire pour apporter des garanties effectives aux citoyens européens ?
Le même rapport affirme une nouvelle fois qu’il n’y aura pas de frontière « en dur » entre les deux parties de l’Irlande. C’est là un point très positif. Est ainsi garanti l’accord de paix du Vendredi saint, qui a mis fin aux violences en Irlande du Nord en 1998. C’est fondamental. Mais tout cela devra être précisé en vue de la finalisation de l’accord de retrait.
Pour ce qui concerne le règlement financier, nous prenons acte de la décision des autorités britanniques de respecter leurs engagements budgétaires ; c’est bien le moins. Sur ce point aussi, cependant, le Sénat se montrera vigilant.
Si le Conseil européen décide d’engager des discussions quant au cadre des relations futures, l’Union européenne devra conserver l’unité qui a été la sienne pendant la première phase.
L’enjeu n’est pas à négliger. Les États membres, dont la France elle-même, pourront avoir des intérêts propres à défendre. Le négociateur de l’Union, Michel Barnier, nous a indiqué que le futur accord aura un caractère mixte. Sa ratification devra donc être autorisée par le Parlement.
À cet égard, le Sénat entend jouer tout son rôle. Chacun voit bien l’intérêt de conserver des liens très étroits avec un partenaire qui demeurera essentiel dans beaucoup de domaines, notamment la sécurité.
Cela étant, l’Union européenne doit rester claire et ferme. Le Royaume-Uni a choisi de quitter l’Union. Nous le regrettons, mais nous respectons son choix, et il doit en assumer les conséquences. On ne peut avoir plus d’avantages en dehors qu’au sein de l’Union. Notre groupe de suivi avait clairement exprimé cette exigence.
L’Union devra aussi veiller à défendre les intérêts des différents secteurs économiques exposés aux effets du Brexit. Je pense en particulier au secteur de la pêche, lequel est particulièrement préoccupé par la période d’incertitude qui s’ouvre. Nous devons disposer d’évaluations sectorielles précises.
Les questions de défense seront également à l’ordre du jour du Conseil européen. Nous saluons les progrès accomplis grâce au lancement d’une coopération structurée permanente. Cette coopération va dans le sens des préconisations émises par le groupe de suivi sénatorial. Peut-on escompter une mise en œuvre rapide des projets recensés à ce titre ?
Il nous semble également nécessaire de développer des outils de cohérence opérationnelle et des capacités de financement européen en faveur de la défense. Quelles sont, notamment, les perspectives pour le futur fonds européen de la défense ?
Le Conseil européen se prononcera par ailleurs sur les questions sociales, l’éducation et la culture. Il s’agit de renforcer la cohésion européenne en progressant vers la convergence sociale.
En la matière, le sommet de Göteborg a permis d’identifier des pistes intéressantes. Nous serons, en particulier, attentifs à la mise en œuvre des principes réunis dans le socle européen des droits sociaux. Nous examinerons également le résultat du trilogue sur l’épineux dossier des travailleurs détachés, qui est très vivement ressenti dans nos territoires. Nos rapporteurs, Fabienne Keller et Didier Marie, nous en rendront compte.
Le renforcement des compétences est un autre enjeu majeur. Les défis à relever sont lourds compte tenu de l’impact du numérique et, désormais, de l’intelligence artificielle. À ce titre, l’Union a un rôle limité, mais elle peut appuyer et coordonner l’action des États membres.
Nous plaidons notamment pour un Erasmus des apprentis : ce dispositif contribuerait à l’acquisition des compétences et à la mobilisation des jeunes autour du projet européen.
Enfin, le sommet de la zone euro devrait permettre un débat sur l’avenir de l’union économique et monétaire, après la présentation de sa feuille de route, le 6 décembre dernier, par la Commission européenne.
Notre groupe de suivi a retenu l’approche ambitieuse d’un Fonds monétaire européen. Surtout, il a insisté sur le rôle des États membres dans le pilotage exécutif de la zone euro.
Ce n’est pas la piste que semble privilégier la Commission. Je relève que la question, pourtant essentielle, de la dimension démocratique n’est abordée que sous l’angle de la responsabilité du futur ministre des finances de la zone euro devant le Parlement européen. Rien n’est précisé quant à l’association des parlements nationaux, laquelle est pourtant essentielle à un fonctionnement vraiment démocratique.
La conférence de l’article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union européenne, le TSCG, offre à nos yeux un cadre intéressant à cette fin, à condition d’être modernisée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tous les orateurs l’ont relevé, le prochain Conseil européen aura une importance toute particulière pour l’Europe et son avenir. En effet, il devrait marquer la clôture de la première phase des négociations relatives au Brexit. Il donnera également l’occasion de réunir, pour la première fois depuis juillet 2015, un sommet de la zone euro, dans une configuration ouverte à vingt-sept États membres, afin de décider d’une feuille de route pour avancer dans la réforme de l’Union économique et monétaire.
Bien sûr, ces deux sujets, que j’évoquerai brièvement, sont d’une importance capitale pour la commission des finances, que je représente ce soir.
Tout d’abord, je reviendrai sur les négociations relatives au Brexit.
À la suite du compromis trouvé dans la nuit du 8 décembre dernier entre le Royaume-Uni et la Commission européenne, les vingt-sept États membres devront faire le point sur l’état d’avancement des négociations et autoriser l’ouverture de la deuxième phase de discussions concernant la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
Mes chers collègues, vous le savez tous et vous en avez parlé, l’un des trois points de l’accord trouvé la semaine dernière porte sur le règlement financier du Brexit.
Selon les chiffres officieux, le Royaume-Uni devrait verser un total de 50 milliards d’euros, au lieu des 20 milliards d’euros initialement prévus. Ce montant devrait notamment couvrir les engagements pris dans le cadre financier actuel, couvrant la période 2014-2020, ainsi qu’une part des « restes à liquider » antérieurs contractés par l’Union européenne.
Madame la ministre, à ce titre, mes premières questions sont les suivantes : pouvez-vous nous confirmer le chiffre de 50 milliards d’euros ? Surtout, pouvez-vous nous confirmer le calendrier suivant lequel le Royaume-Uni devrait s’acquitter de cette somme ?
Le Conseil européen des 14 et 15 décembre prochains sera également l’occasion d’autoriser la task force de la Commission européenne à entamer la négociation d’une période de transition, à compter de la date de sortie théorique du 30 mars 2019, et à ouvrir les discussions quant aux liens futurs entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne.
Selon le négociateur en chef, Michel Barnier, que le Sénat a auditionné il y a quelques jours, le plus difficile est donc à venir, d’autant qu’il ne reste que seize mois avant la date de sortie théorique du Royaume-Uni.
Le secteur des marchés financiers occupera sans doute – et c’est sur ce sujet que je tiens à insister – une place centrale dans cette seconde phase de négociations.
Il y a quelques jours, la Première ministre britannique, Mme Theresa May, a réitéré la volonté de son pays de sortir de l’union douanière et du marché intérieur. Mais les effets de la perte du passeport européen seront potentiellement dommageables aux intérêts de l’industrie financière britannique.
Dans le cadre des travaux qu’elle a consacrés, au printemps dernier, à la compétitivité des places financières, notre commission des finances a estimé que la conclusion d’un accord de transition couvrant l’ensemble des services financiers ne s’imposait pas.
Cependant, les Britanniques disposeront de moyens de pression non négligeables dans les secteurs de la banque et de l’assurance. C’est pourquoi nous avons tenté de tracer les lignes rouges susceptibles de constituer l’armature de la position française lors des négociations du volet « marchés financiers » du Brexit.
Premièrement, il ne saurait être admis que des infrastructures cruciales pour le bon fonctionnement des marchés européens soient soumises à un régime juridique et à une supervision distincts de ceux de l’Union. Dès lors, nous recommandons d’étudier l’intérêt d’introduire une obligation de localiser au sein de l’Union européenne les infrastructures d’importance systémique dont les activités sont libellées en euros.
Deuxièmement, les conditions d’une concurrence équitable en Europe devront être préservées. Un tel impératif implique, notamment, le durcissement des régimes d’équivalence existants, ce afin de maîtriser les risques de divergence réglementaire.
Madame la ministre, j’espère que ces travaux pourront éclairer le Gouvernement dans la définition de la position française, quant à la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne au sujet des produits financiers.
Troisièmement, et enfin, il appartiendra à la France de tirer pleinement parti du Brexit et du rééquilibrage qu’il pourrait entraîner. À cet égard, le choix de Paris comme nouveau siège de l’Autorité bancaire européenne, même s’il résulte d’un tirage au sort, est un signal positif qui rejoint l’une de nos recommandations.
Dans le bref temps d’intervention qui me reste, j’évoquerai le sommet de la zone euro.
Cette réunion des chefs d’État ou de gouvernement sera l’occasion de débattre de la feuille de route et des propositions présentées par la Commission européenne le 6 décembre dernier.
De prime abord, ce « paquet » relatif à la zone euro paraît plus réaliste que les propositions du Président de la République. En effet, il n’est pas question de créer un véritable budget de la zone euro, mais de déployer des instruments budgétaires spécifiques à la zone euro, notamment pour soutenir la convergence des États en vue de leur adhésion à l’euro ou encore pour faire office de mécanisme de stabilisation en cas de choc asymétrique.
Ces instruments trouveraient leur place au sein même du budget de l’Union.
Ainsi, le ministre européen de l’économie et des finances, proposé par la Commission européenne, ne serait pas responsable du budget de la zone euro, mais cumulerait les fonctions de vice-président de la Commission et de président de l’Eurogroupe.
Parmi ces nouvelles propositions, la transformation mécanisme européen de stabilité, le MES, en un fonds monétaire européen, ou FME, est certainement la plus substantielle.
Le FME continuerait de soutenir les États membres en cas de difficultés financières. Il jouerait également le rôle de filet de sécurité pour le Fonds de résolution unique de l’Union bancaire.
Sur le plan institutionnel, je relève avec satisfaction que la proposition de règlement prévoit une responsabilité du FME devant les parlements nationaux. Ainsi, les parlementaires des différents États pourront demander aux représentants du Fonds de répondre par écrit à toute observation ou question. Ils pourront également entendre le directeur général du FME.
En revanche, je regrette que la proposition de directive pour intégrer le contenu du TSCG au sein du droit de l’Union ne contienne aucune évolution de la conférence interparlementaire prévue par l’article 13 de ce traité. Il est simplement indiqué que la directive s’appliquera sans préjudice de cette « pratique ».
Or les membres de la commission des finances ayant assisté à ces conférences constatent que la pratique existante n’est pas satisfaisante. Ces réunions laissent souvent un sentiment de frustration : elles ne permettent pas aux parlementaires nationaux de débattre de manière approfondie de points précis avec les parlementaires européens. En définitive, elles n’aboutissent à aucune décision.
A minima, l’adoption systématique de conclusions de fond, sur des sujets ou sur des textes préalablement identifiés, serait souhaitable.
Madame la ministre, j’espère que vous pourrez vous faire l’écho de cette demande auprès du Parlement européen et de vos homologues des autres États membres : ainsi, ces réunions au titre de l’article 13 du TSCG pourraient devenir plus efficaces ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, permettez-moi de vous remercier de vos interventions. Il ne me sera pas possible de répondre à l’ensemble de vos prises de parole, à ce stade du moins : je vous prie de m’en excuser à l’avance. J’essayerai de me concentrer sur ce qui relève de l’ordre du jour du Conseil des 14 et 15 décembre prochains.
Vous avez été très nombreux, et j’hésite même à vous citer tous – M. del Picchia, M. Menonville, M. Marie, Mme Keller, M. Gattolin, M. Kern, M. Pellevat, Mme Mélot –, à saluer la perspective de la conclusion de la première phase des négociations relatives au Brexit et à vous interroger sur les différents aspects de l’accord trouvé entre les négociateurs.
Pour ce qui est des droits des citoyens, j’ai indiqué dans mon propos liminaire la façon dont seraient considérés les Européens au Royaume-Uni.
Monsieur Gattolin, madame Mélot, vous avez parfaitement raison de le souligner : si plusieurs points de vigilance demeurent, le résultat d’ensemble se révèle protecteur pour les citoyens européens vivant au Royaume-Uni. Ces derniers pourront continuer à y résider, à y étudier et à y travailler comme ils le font aujourd’hui. Il en va de même pour les ressortissants britanniques installés chez nous, notamment les retraités.
Certes, monsieur le vice-président Pellevat, nous aurions souhaité que la Cour de justice de l’Union européenne soit mobilisée systématiquement, et non de manière facultative. Nous aurions aussi souhaité qu’elle puisse agir sans contrainte de temps, et non seulement pendant huit ans. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer la protection qu’apportera le juge britannique.
Nous avons insisté pour que les lignes directrices que le Conseil européen adoptera rappellent bien le rôle de la Cour et son importance transversale.
La solution trouvée pour ce qui concerne les citoyens européens résidant au Royaume-Uni doit être clairement circonscrite à ce cas particulier, dont les implications ne sont pas les mêmes, par exemple, que pour le marché intérieur. Nous veillerons donc à ce que cette solution ne crée pas de précédents dans les autres domaines de la négociation à venir. C’est là un point clef pour éviter d’affaiblir le marché intérieur.
Pour ce qui concerne l’Irlande, M. del Picchia, Mme Keller et M. Pellevat ont souligné que, si la déclaration d’intention va dans le bon sens, les principes retenus semblent s’exclure mutuellement.
Cette ambiguïté devra être levée au cours de la deuxième phase de négociation. Le point important est qu’un éventuel alignement réglementaire entre le Royaume-Uni et l’Union européenne dans les domaines nécessaires à la mise en œuvre des coopérations entre le nord et le sud de l’Irlande ne peut avoir pour conséquence un marché intérieur à la carte : une telle situation serait inacceptable pour nous. J’insiste sur ce point : nous serons très attentifs à un total respect de l’intégrité du marché intérieur.
Pour ce qui concerne le règlement financier, je tiens à rassurer MM. Pellevat, Marie et Menonville : le Royaume-Uni accède bien à la quasi-totalité des demandes européennes. Nous pouvons nous en réjouir. J’ai cité tout à l’heure les grandes masses ; s’y ajoute, par exemple, la participation du Royaume-Uni à la facilité en faveur des réfugiés en Turquie ou au Fonds européen de développement.
Certes, tant que l’accord de retrait n’est pas finalisé, le Royaume-Uni n’est pas engagé juridiquement ; mais il l’est politiquement, comme le sera l’Union européenne si le Conseil européen estime que les progrès sont suffisants.
Madame Keller, la période de transition devra être limitée dans le temps, et elle ne pourra pas être renouvelée.
Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur Gattolin, Michel Barnier l’a dit, nous sommes parvenus à un accord quant aux principes et aux paramètres du règlement financier. Les hypothèses macroéconomiques peuvent fluctuer, et les chiffres avec elles. Je relève tout au plus que le chiffre de 40 à 45 milliards d’euros, avancé par diverses sources britanniques, est un montant net, défalquant les sommes que le Royaume-Uni va continuer à percevoir de la part de l’Union européenne.
Quant au calendrier de versement des sommes que le Royaume-Uni doit à l’Union, il sera similaire à celui que suivent les autres États membres, ni plus rapide, ni plus lent.
Monsieur Kern, monsieur del Picchia, monsieur Pellevat, vous avez mentionné l’association des parlements nationaux à la négociation du Brexit. Il est clair que l’accord sur la relation future sera soumis à la ratification de ces diverses assemblées.
Madame Keller, monsieur del Picchia, vous m’avez interrogée quant à l’avenir des relations dans le domaine de la défense entre la France et le Royaume-Uni. Nous sommes déterminés à poursuivre et à approfondir cette coopération, à la fois à titre bilatéral et avec d’autres partenaires. C’est l’un des aspects qui doivent figurer dans la deuxième phase des négociations.
Monsieur del Picchia, monsieur Kern, monsieur Pellevat, madame Keller, madame Mélot, la coopération structurée permanente, que vous avez analysée, a été lancée lundi dernier à vingt-cinq États membres. Au total, dix-sept projets ont été présentés dans ce cadre.
Nous devrons démontrer que les engagements que nous avons pris seront bien mis en œuvre, et les décisions de lancement des premiers projets seront prises rapidement. Les chantiers les plus urgents seront financés de façon intergouvernementale, directement ou via le fonds européen de défense lorsque ce dernier sera opérationnel. Certains pourraient bénéficier du programme de développement de l’industrie de défense, qui prévoit de premiers financements communautaires dès 2019, pour 500 millions d’euros au titre des années 2019 et 2020.
Madame Keller, vous m’avez posé une question précise au sujet de l’Eurocorps. L’engagement n° 13 de la coopération structurée permanente, la CSP, contient un tiret qui incite les membres de la CSP à rejoindre les structures multinationales, dont l’Eurocorps.
Je rappelle que l’Eurocorps est un projet séparé de la construction européenne, qui peut être utilisé par des coalitions internationales, par l’Union européenne – tel a été le cas au Mali en 2015 ou en Centrafrique en 2016 –, ou encore par l’OTAN – il en fut ainsi en 2000 au Kosovo et en 2012 en Afghanistan.
Monsieur Marie, vous vous êtes inquiété du débat relatif aux migrations prévu à l’agenda des leaders. Laissez-moi vous rassurer : c’est précisément pour réfléchir ensemble à l’avenir de l’Europe, et sans se substituer aux colégislateurs, que les chefs d’État et de gouvernement ont choisi cette forme de débat, durant le dîner, qui ne donnera pas lieu à des conclusions écrites.
Nous sommes nombreux à craindre que l’Europe n’avance à trop petits pas, voire que, parfois, elle ne fasse du sur-place. Il est utile que les chefs d’État et de gouvernement puissent, à chacune de leurs rencontres, parler librement et échanger sur les sujets majeurs qui mettent en jeu l’avenir de l’Union européenne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs d’entre vous, notamment M. Marie, Mme Keller, M. Gattolin et M. de Montgolfier, m’ont interrogée au sujet de la zone euro.
Comme je l’évoquais dans mon propos introductif, les propositions présentées par la Commission européenne le 6 décembre dernier permettent de lancer le débat. Mais il est clair, monsieur Gattolin, monsieur Marie, que nous souhaitons être plus ambitieux.
J’ai évoqué tout à l’heure notre vision d’une capacité budgétaire de la zone euro. À court terme, nous devons cependant commencer par compléter l’union bancaire, par déployer un filet de sécurité pour le fonds de résolution unique. Vous le savez, la France est favorable à une telle action.
Nous soutenons l’idée de doter, à terme, la zone euro d’un ministre des finances, qui pourra contribuer à une meilleure coordination des politiques économiques et à une amélioration du contrôle démocratique de la zone euro. Toutefois, une telle réforme suppose de renforcer la zone euro par des compétences nouvelles, notamment par une capacité budgétaire propre.
Madame Keller, monsieur Menonville, puisque vous mentionnez l’harmonisation de la fiscalité des entreprises,…
M. Yvon Collin. C’est très important !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. … permettez-moi de rappeler notre vision à cet égard : celle, le moment venu, d’un budget de la zone euro financé par des taxes nouvelles dans les domaines numérique et environnemental, ou bien encore, à terme, par l’affectation d’une partie des recettes de l’impôt sur les sociétés, lorsque ce dernier sera harmonisé. La France souhaite que ces sujets figurent dans le débat que nous aurons avec nos partenaires européens.
Au-delà des considérations propres à la zone euro, nous avons l’ambition commune, avec l’Allemagne, de parvenir dans les quatre prochaines années à l’harmonisation des bases de l’impôt sur les sociétés.
Par ailleurs, nous avons appelé à une réduction des écarts de taux d’impôt sur les sociétés à l’échelle européenne, en définissant un corridor de taux qui engagerait les États membres.
Monsieur Kern, monsieur Marie, vous avez plaidé pour davantage de convergence sociale. Cet objectif, qui est le nôtre, figure à l’ordre du jour du Conseil des 14 et 15 décembre prochain, et nous veillerons à ce qu’il soit pleinement pris en compte au titre du futur cadre financier pluriannuel.
Je dirai également un mot de l’éducation.
Madame Mélot, vous avez rappelé le projet d’universités européennes, que nous défendons. Ce projet doit permettre à un étudiant de commencer des études dans un pays et de les achever dans un autre de façon très souple.
Nous souhaitons que les conclusions du Conseil européen puissent reprendre cet objectif fondamental pour développer la mobilité européenne. Mais il faut aussi encourager la mobilité des scolaires : c’est ce que nous appelons le processus de la Sorbonne. Nous insisterons certainement sur ce point à Bruxelles et lors de la réunion ministérielle du processus de Bologne, qui aura lieu en mai prochain en France.
J’ajoute que nous redoublerons d’efforts pour que l’Erasmus des apprentis, qui existe sur le papier, devienne une réalité pour un nombre significatif de bénéficiaires.
M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Pour nos jeunes, c’est là une possibilité de bénéficier de nouvelles opportunités, notamment en termes d’emplois.
Il y a quelques instants, M. Ouzoulias a éloquemment rappelé les valeurs qui font l’Union européenne, et en particulier les droits des femmes.
Dès demain, au Conseil de l’Europe, à Strasbourg, je serai avec Marlène Schiappa pour mettre en valeur ces droits des femmes à travers le continent européen et pour en réaffirmer la force.
En conclusion, je tiens à remercier Mme Keller de ses propos et à la rassurer quant au siège strasbourgeois du Parlement européen.
Strasbourg doit rester le siège de la démocratie européenne. C’est aussi le symbole de la réconciliation franco-allemande. On dit trop souvent que l’Europe se résume à une bulle à Bruxelles. Il faut que l’Europe soit proche des territoires. Il ne doit y avoir aucun doute quant à la détermination du Gouvernement à œuvrer en faveur du respect de la multipolarité des institutions européennes ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Débat interactif et spontané
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre pour deux minutes également.
Dans le débat interactif et spontané, la parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la ministre, mes chers collègues, les migrations ont de l’avenir : ce n’est pas une fatalité, c’est une réalité. D’ailleurs, elles sont beaucoup plus fréquemment Sud-Sud que Sud-Nord, même si l’Europe en subit aussi les conséquences.
Nous en conviendrons tous, mieux vaut que la France et l’Europe soient, et restent attractives, en assumant les conséquences de cette attractivité, plutôt qu’elles ne deviennent un espace qui ne fait pas envie : une telle évolution serait néfaste pour l’ensemble de ceux qui vivent sur notre continent.
Toutefois, la manière dont l’Europe fait face à ce que l’on appelle la crise migratoire fragilise aujourd’hui les relations entre l’Union européenne et tous ses voisins. Ce facteur complique nos relations avec l’ensemble de notre voisinage et menace notre sécurité.
Madame la ministre, les images d’esclavage, diffusées par CNN, ont provoqué un choc mondial. Elles ont, en somme, administré la preuve d’un crime contre l’humanité, qui ne peut rester sans suite. Ni l’Europe ni l’Afrique ne peuvent continuer à faire semblant de ne pas voir ce que – passez-moi l’expression – le colonel Kadhafi a eu « l’élégance » de nous cacher pendant plusieurs années.
Aujourd’hui, comment agir pour éradiquer ces crimes, maintenant que nous en sommes conscients ?
Une réforme de l’asile est indispensable. Mais ce qui se passe en Libye nous le rappelle une fois de plus : il ne peut être question d’employer la notion de pays tiers sûr pour réformer l’asile européen. Procéder ainsi, ce serait aller à l’encontre de cette belle idée de l’asile, qui est une obligation conventionnelle pour les pays de l’Union européenne et qui, pour la France, est même une obligation constitutionnelle. Quelles assurances pouvons-nous avoir sur ces sujets ?
Enfin, dans ces conditions, la zone Schengen ne sera stable que si les pays qui la constituent acceptent de faire converger progressivement leurs politiques d’immigration et d’échanger quant à leurs expériences d’intégration.
Quel chemin permettra d’y parvenir, compte tenu des grands décalages qui s’observent aujourd’hui, des différentes expériences, des différentes histoires qu’ont connues les pays de la zone Schengen ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur Leconte, vous avez très bien résumé le drame dont nous sommes tous témoins aujourd’hui et que subissent les migrants en Libye.
À cet égard, la France ne reste pas inactive, loin de là. Dès cet automne, nous avons réuni, à La Celle-Saint-Cloud, les parties libyennes. Faire respecter les droits de l’homme en Libye tant que ce territoire ne dispose pas d’un État stable, c’est une espérance totalement illusoire.
Aussi, nous soutenons les efforts de l’envoyé spécial des Nations unies, Ghassan Salamé, pour une stabilisation de la situation en Libye.
De plus, lors du sommet entre l’Union européenne et l’Union africaine qui s’est tenu à Abidjan, le Président de la République a pris l’initiative d’une réunion spécifiquement dédiée à cette question. Un groupe de travail s’est formé, entre Africains et Européens, à la fois pour traiter très rapidement du cas des personnes les plus vulnérables en Libye et pour faire en sorte qu’elles puissent être évacuées de ce territoire, soit vers leur pays d’origine, soit vers d’autres États.
Nous-mêmes, nous avons envoyé au Niger une mission de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, pour déterminer si des personnes relevant manifestement du régime de l’asile pouvaient venir directement en France. Nous incitons nos partenaires européens à faire de même.
Vous mentionnez la notion de pays tiers sûr. Toutefois, cette dernière renvoie à l’idée de sûreté. Il est raisonnable de s’interroger sur la possibilité de travailler avec des pays tiers sûrs, mais, à l’heure actuelle, la Libye ne relève évidemment pas de cette catégorie.
Vous avez aussi parlé de la nécessité, au sein de Schengen, de mieux harmoniser nos politiques d’immigration, d’asile et d’intégration.
Côté franco-allemand, nous avons mis en place le conseil franco-allemand de l’intégration, qui s’est réuni pour la première fois il y a quelques semaines à Berlin, en vue d’échanger sur les bonnes pratiques ainsi que sur les difficultés rencontrées. Nous travaillons bien sûr – nous œuvrons très activement en ce sens – à une harmonisation du régime d’asile européen, indispensable pour que les migrants et les demandeurs d’asile ne soient pas ballottés d’un pays à un autre et selon des règles différentes à l’intérieur même de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Les éleveurs français ont manifesté le 28 novembre dernier devant les préfectures pour alerter la population et interpeller les pouvoirs publics. Leur cible : un vaste accord commercial en discussion avec l’Union européenne et le MERCOSUR – Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay –, l’une des régions du monde, vous le savez, les plus compétitives pour la viande bovine.
Sur la table depuis 1999, mais gelé depuis plusieurs années, ce projet d’accord est aujourd’hui relancé. Les plus optimistes prévoient même un accord avant la fin de l’année 2017. Sur ce sujet, Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur, a déclaré « privilégier le contenu au calendrier ». Selon lui, « il ne faut pas confondre vitesse et précipitation », car, poursuit-il, « nous avons besoin de donner des garanties aux consommateurs européens liées à l’aspect sanitaire et pour s’assurer que les produits conviennent aux standards de l’Union européenne ».
Madame la ministre, vous l’aurez compris, les éleveurs français sont inquiets des conséquences de ces accords dont les discussions sont en cours, car, vous le savez, cette filière est en souffrance, en crise. Que pouvez-vous nous dire sur l’avancée et le contenu de ces négociations, dont l’échéance est particulièrement redoutée par les éleveurs de nos terroirs ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, vous pointez du doigt un sujet sur lequel la France est très engagée au sein de l’Union européenne, au-delà même de la négociation d’un accord commercial avec le MERCOSUR, à savoir la réciprocité des avantages acquis dans un accord commercial et la réalité des concessions supportées par tel secteur ou tel autre de nos économies.
Nous avons demandé avec insistance à la Commission de nous fournir des éléments statistiques sur les profits retirés ou les concessions acceptées par les différents secteurs de l’économie au fil des accords conclus ou en cours de négociation, de manière à savoir clairement qui y gagne et, le cas échéant, qui y perdrait.
Bien sûr, dans le cadre d’un accord comme celui du MERCOSUR, des secteurs seront gagnants. N’oublions pas de le dire, nous avons beaucoup à attendre d’une baisse des droits de douane et des obstacles non tarifaires consentis par les pays du MERCOSUR.
Vous l’avez parfaitement résumé, nos éleveurs craignent l’arrivée de viande bovine à des prix compétitifs. Nous avons fait part de notre préoccupation au président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls ; un certain nombre d’autres États membres de l’Union européenne ont insisté pour que les propositions formulées par la Commission en matière de quotas d’importation de viande bovine soient raisonnables. Cette discussion est en cours à Buenos Aires. À cet égard, vous l’avez mentionné, le secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne, actuellement en déplacement dans cette capitale, est extrêmement vigilant sur les questions à la fois de quotas et d’exigences sanitaires s’agissant des produits qui seront importés dans l’Union européenne.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que notre mobilisation sur cette question est totale.
M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la ministre, quelles garanties ont vraiment été obtenues sur la question irlandaise ?
Les éléments de l’équation sont connus : respect des accords dits du Vendredi saint, qui prévoient la liberté de déplacement et d’échanges entre l’Irlande et l’Irlande du Nord et, bien sûr, le retrait du Royaume-Uni du marché unique. Est venu au dernier moment se rajouter le prérequis d’une identité de régime entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni, qui ressemble beaucoup, madame la ministre, à un cheval de Troie.
Nous vous avons écoutée à plusieurs reprises, ainsi que Michel Barnier, développer l’idée suivant laquelle le Royaume-Uni ne pouvait obtenir des conditions équivalentes à celles dont il bénéficiait avec le marché unique – vous venez d’ailleurs de le rappeler dans votre réponse aux orateurs.
L’ambiguïté des termes de l’accord sur la partie irlandaise fait pourtant courir le risque d’aboutir à une union douanière qui pourrait être très proche du marché unique.
Au risque d’insister, et tout en vous ayant écoutée bien sûr avec grand soin il y a quelques minutes, j’aimerais savoir si vous pouvez nous donner une garantie sur ce point, avant d’aborder le deuxième round des négociations. (Mme Michèle Vullien applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, vous avez parfaitement raison, la question de l’Irlande est aujourd’hui réglée sur les principes, mais elle devra trouver sa traduction dans la deuxième partie de la négociation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
En réalité, le rapport conjoint du Royaume-Uni et de notre négociateur Michel Barnier préconise une solution en trois étapes.
Soit l’accord futur règle globalement la question. Imaginons, par exemple, que la Première ministre britannique revienne sur la position qu’elle avait affirmée précédemment – on a vu beaucoup d’allées et venues dans les positions britanniques ! – et décide que, finalement, le Royaume-Uni reste dans le marché intérieur et dans l’union douanière ; alors la question ne se poserait évidemment plus.
Soit une solution spécifique est trouvée, sur laquelle il revient aux Britanniques de faire des propositions : ce sont eux qui sortent, ce sont eux qui proposent.
Soit un alignement réglementaire est assuré entre la République d’Irlande et le Royaume-Uni sur les sujets qui relèvent de l’accord du Vendredi saint, et exclusivement. En l’espèce, vous avez parfaitement raison, il est hors de question que cet alignement réglementaire se résume à une équivalence – un terme que les Britanniques aiment beaucoup ! – : ils voudraient voir remplacer le respect d’intégrité du marché intérieur, par, en fait, une forme de pick and choose au travers du sujet irlandais, c’est-à-dire le contraire de ce que nous acceptons dans l’accord futur. De ce point de vue, nous serons évidemment extraordinairement vigilants.
Si l’accord devait se traduire par cet alignement réglementaire partiel, cela nécessiterait bien évidemment que soient mis en place des contrôles à l’entrée dans le marché intérieur. Cette question est évidente, mais elle n’est pas écrite, et c’est toute l’ambiguïté du rapport conjoint de Michel Barnier et de David Davis. Cependant, tout est clair dans l’esprit de Michel Barnier, tout comme ce l’est évidemment dans le nôtre.
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. L’Europe, d’un club d’États, doit devenir une Europe des citoyens. Dans ce cadre, je souhaite vous interroger, madame la ministre, sur la position du Gouvernement quant à la conditionnalité des aides – un thème abordé de plus en plus souvent et qui nous préoccupe.
Ainsi, bien sûr, il n’est pas bien que des États ne respectent pas les critères sociaux et fiscaux. Il n’est pas bien que des États ne veuillent aucune réforme structurelle ou, plus grave, ne respectent pas les valeurs de l’État de droit. En ce moment, l’État espagnol fait beaucoup parler de lui compte tenu de son comportement en Catalogne. Mais les citoyens ou les territoires de ces pays doivent-ils en subir les conséquences, en ne bénéficiant plus, par exemple, des aides des fonds structurels, alors qu’ils ne sont pour rien dans l’action de leurs dirigeants, pour lesquels ils n’ont souvent pas forcément voté ?
Si les citoyens européens et les territoires ne sont plus respectés, le risque est important que se creuse encore plus le fossé avec Bruxelles et les institutions européennes ? Les Européens convaincus que nous sommes tous ici ne pourraient alors que le regretter.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, nous parlons de l’Union européenne, nous parlons des États de l’Union européenne, nous parlons d’États démocratiques où les citoyens choisissent librement leurs dirigeants, sur la base de programmes qu’ils peuvent rejeter à l’élection suivante. Cela signifie très simplement qu’ils doivent affronter les conséquences du non-respect par leur gouvernement de l’État de droit ou de critères constitutifs de ce qui forme l’Union européenne.
De mon point de vue, il est indispensable que, à l’occasion de la discussion du prochain cadre financier pluriannuel, la question de conditionnalité soit posée. D’ailleurs, elle a déjà été posée en novembre dernier lors du conseil affaires générales : nous avons eu une première prédiscussion avec le commissaire Oettinger et l’ensemble des États membres de l’Union européenne sur le prochain budget européen. Personne, pas même ceux qui se revendiquent d’une « démocratie illibérale », car ce sont bien eux qui sont visés quand on parle de non-respect de l’État de droit – en Catalogne, c’est l’initiative catalane qui ne respectait pas l’État de droit ; je sais que je ne vous convaincrai pas et que nous ne sommes pas d’accord sur ce point, mais il faut tout de même rappeler ce principe –, personne, disais-je, pas même la Pologne ni la Hongrie, n’a contesté le bien-fondé de l’existence de conditionnalités.
Ensuite, nous ne serons pas forcément d’accord – en tout cas, ce ne sera pas facile – sur les conditionnalités et la manière dont on les applique. Mais dès lors que l’on sollicite des fonds de cohésion, cela signifie que l’on décide de participer à la convergence entre les économies, mais aussi les systèmes sociaux au sein de l’Union européenne. On n’est pas obligé de les solliciter, mais, si on le fait, c’est que l’on respecte une forme de pacte entre les États de l’Union européenne. Voilà ce que le prochain budget européen devrait réussir à traduire.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Nous le savons tous, notre défense est en première ligne en matière de lutte contre le terrorisme djihadiste, en première ligne à l’extérieur, comme sur notre propre sol, frappé, comme beaucoup de nos partenaires, par des attentats terroristes qui nous ont endeuillés.
Nos armées ont fourni, à cette occasion, les personnels et les moyens nécessaires pour que l’opération Sentinelle prenne corps. Lors de ces attentats, la France aurait pu alors légitimement considérer qu’un retrait ou un engagement moindre à l’extérieur était nécessaire pour mieux répondre aux problématiques de sécurité intérieure. Ce ne fut pas le cas, et la France n’a pas baissé la garde, ni au Levant ni dans la bande sahélo-sahélienne. Elle le fait aussi parce qu’elle considère que la sécurité de chacun est l’affaire de tous.
Notre pays accomplit donc des efforts considérables en matière de défense collective, dont nos partenaires européens bénéficient directement ou indirectement. Lors de l’élection présidentielle de mai dernier, de nombreux candidats avaient proposé un mécanisme visant à exclure les investissements de défense du calcul du déficit au sens des critères de Maastricht.
Après le Brexit, la France reste le seul pays de l’Union européenne à porter un effort budgétaire significatif en matière de défense. Or notre défense assure non seulement notre protection, mais aussi celle des Européens. C’est pourquoi notre pays ne devrait plus être pénalisé dans son effort en matière de défense par les règles de gouvernance de la zone euro. Au contraire, il devrait logiquement en être tenu compte dans le calcul de notre déficit public.
Alors que vingt-trois pays européens ont émis le souhait, le 13 novembre dernier, d’approfondir l’Europe de la défense au travers d’une coopération structurée permanente, quand nos partenaires vont-ils accepter de tirer les conséquences de l’engagement de la France ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, vous avez raison de saluer l’implication et l’engagement de nos forces pour notre sécurité et, très souvent, la sécurité de l’ensemble de nos partenaires européens. Permettez-moi tout de même de nuancer vos propos.
C’est sur la base d’une décision nationale que nous engageons nos troupes, et non pas sur une demande de l’Union européenne. Nous sommes présents au Levant et au Sahel parce que nous l’avons décidé, et non pas parce que l’Union européenne nous a sollicités.
Il serait évidemment tentant de considérer que nous pourrions défalquer notre effort de défense du calcul du déficit budgétaire dans la mesure où d’autres pays en profitent. Toutefois, on ne prend pas seul une telle décision – celle-ci se prend à vingt-huit aujourd’hui, et vingt-sept demain ! Surtout, ce serait la porte ouverte à une sorte d’arbre de Noël où chacun viendrait expliquer pourquoi telle ou telle de ses politiques publiques sert ses voisins et devrait ne pas être comptabilisée dans les critères de Maastricht.
Du reste, je tiens à saluer l’effort consenti aujourd’hui par nos partenaires européens, à nos côtés, au Sahel, au Levant : nous les avons sollicités soit pour venir avec nous, au Sahel – et ils l’ont fait ! –, soit pour apporter un soutien logistique, soit pour nous relayer dans d’autres types d’opérations où nous étions présents afin de nous permettre de nous concentrer sur la lutte contre le terrorisme et le djihadisme au Sahel – et ils l’ont fait.
De ce point de vue, la réalité d’aujourd’hui, sur le plan de la perception géostratégique, est très différente de celle que j’ai connue comme diplomate il y a quelques années encore, où le Sahel était censé être notre zone d’intervention ; personne ne songeait à aller voir ce qui s’y passait.
Demain, le Président de la République réunit un sommet autour du G5 Sahel pour faire en sorte que nos partenaires européens contribuent au financement des capacités africaines de lutte contre le terrorisme. Les choses évoluent donc dans une très bonne direction.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey. Madame la ministre, vous avez fait référence, dans vos propos introductifs, à la question des migrations et à la recherche d’un instrument financier spécifique. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la nature de cet instrument ? N’y a-t-il pas là – j’ai déjà posé cette question d’une autre manière, lors de votre audition par la commission des affaires européennes – la tentation de prendre prétexte de cet instrument financier pour diminuer les crédits de la politique de cohésion sociale en Europe ? Quelle est la position du Gouvernement français sur ce point ? Jusqu’où le Gouvernement ira-t-il, étant entendu que la création d’un instrument financier européen est une bonne chose dans la mesure où il traduit une mutualisation européenne sur cette question et donne du sens à l’action publique européenne ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, j’ai fait mention de cette hypothèse, qui n’est aujourd’hui encore qu’une hypothèse ! Celle-ci a été émise en particulier par le président du Conseil européen Donald Tusk, pour répondre à une préoccupation que nous partageons : quand il s’agit de traiter des questions migratoires, comme le disait ce matin mon collègue espagnol – j’étais à Bruxelles pour le conseil Affaires générales –, on ne peut pas passer notre temps à tendre le sombrero. Il faut avoir la certitude d’avoir des crédits qui permettent de réagir vite, bien et efficacement.
Qu’il s’agisse des fonds utilisés pour l’accord signé avec la Turquie ou du Fonds fiduciaire d’urgence destiné aux pays d’origine des migrations, le tour de table est toujours assez lent, et parfois difficile. On vient tout juste de finaliser le tour de table sur la fenêtre Afrique du Nord. C’est donc une fragilité dans l’efficacité de notre action.
Stabiliser les financements est probablement nécessaire, même s’il faut aussi garder une forme de flexibilité pour ce type de crédits. En réalité, se pose la question de savoir ce que l’on met dans le budget européen et quelle marge de flexibilité on inscrit pour faire face, par exemple, à des crises inattendues.
De ce point de vue, le budget européen présente un certain nombre de faiblesses. Vous mettez le doigt sur la question suivante : quid des fonds de cohésion ? Mais je pourrais vous rétorquer : quid de la PAC ? Quid des grandes politiques européennes traditionnelles eu égard à l’émergence de nouveaux besoins, de nouvelles attentes, et aussi face au départ d’un contributeur net, le Royaume-Uni ? Ce sera l’enjeu de la négociation du futur cadre financier pluriannuel.
Il conviendra d’œuvrer en faveur d’une plus grande efficacité et d’une plus grande simplicité concernant les fonds structurels ou la politique agricole commune. Il faudra aussi lutter contre les mauvaises pratiques, tels les rabais qui avaient été accordés à un certain nombre d’États membres contributeurs net. Cela doit aussi nous inciter à réfléchir à de nouvelles ressources propres. En la matière, le groupe de travail présidé par Mario Monti avait fait des propositions intéressantes.
Pour notre part, nous avons proposé de travailler à une taxe relative aux grands acteurs du numérique, ainsi qu’à une taxe environnementale. Le moment est sans doute venu de faire preuve de créativité. Nous devons faire face aux besoins et aux attentes de nos concitoyens sur les politiques européennes, et nous devons être capables de les financer.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 14 et 15 décembre 2017.
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 13 décembre 2017 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe CRCE)
Proposition de loi visant à réhabiliter la police de proximité (n° 715, 2016-2017) ;
Rapport de M. François Grosdidier, fait au nom de la commission des lois (n° 132, 2017-2018) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 133, 2017-2018).
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative au développement du fret ferroviaire (n° 600, 2016 2017).
De vingt et une heures à une heure :
(Ordre du jour réservé au groupe La République En Marche)
Débat sur le thème : « Le retour des djihadistes en France ».
Débat sur la COP23.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt et une heures dix.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD