Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, sur l'article unique.
M. Éric Bocquet. En tant que sénateur du Nord, je ne pouvais manquer l’occasion d’intervenir sur la situation de La Voix du Nord, évoquée à plusieurs reprises au cours du débat.
Aux termes de la loi Travail, les conditions du licenciement économique sont désormais clarifiées de sorte qu’un licenciement économique puisse être prononcé si l’entreprise est confrontée à une baisse des commandes ou de son chiffre d’affaires, à des pertes d’exploitation ou à une importante dégradation de sa trésorerie. Or M. Gabriel d’Harcourt, directeur délégué général de La Voix du Nord, indiquait hier, sur le plateau de France 3 Régions : « Nous gagnons de l’argent actuellement. Nous sommes une entreprise rentable. » En effet, le chiffre d’affaires du groupe Rossel La Voix s’est élevé, en 2015, à 253,9 millions d’euros et, en 2016, à 256 millions. Le groupe a dégagé des bénéfices.
Dans votre intervention liminaire, madame la ministre, vous avez dit que votre loi renforçait les droits des salariés. Je me demande comment les salariés confrontés à ce PSE qui leur tombe sur la tête vont entendre vos propos. Ils sont sous le choc et ont exprimé aujourd’hui, par le biais d’un communiqué intersyndical unanime, leur opposition radicale à ce plan social d’une ampleur inégalée.
Le cas de La Voix du Nord est un cas d’école : que vous le vouliez ou non, il existe un lien entre cette situation et votre loi. Mon groupe exprime en cet instant son soutien total aux salariés concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l'article unique.
Mme Laurence Cohen. Ce débat pourrait laisser penser que nous vivons dans deux mondes différents…
À l’aube de cette nouvelle année, nous aurions pu espérer, madame la ministre, au regard des conséquences qu’entraînent les décrets d’application de votre loi et que M. Bocquet vient d’évoquer à travers un exemple précis, que vous ayez réfléchi davantage.
Las, vous brandissez toujours les mêmes arguments pour défendre votre loi : l’inversion de la hiérarchie des normes n’emporterait, selon vous, aucune conséquence négative ; la suppression du principe de faveur n’aurait aucun effet dévastateur… Vous restez sur les mêmes positions.
Pour notre part, nous nous appuyons pourtant sur des auditions, entre autres, d’inspecteurs du travail qui révèlent les effets néfastes de votre loi.
Plusieurs de nos collègues nous reprochent d’être un peu trop radicaux en demandant l’abrogation de ce texte dont certaines mesures sont positives.
Toutefois, la conquête des acquis sociaux repose sur la convergence de luttes et de lois progressistes. On peut donc toujours faire bouger les choses et modifier les textes en vigueur.
Si le droit à la déconnexion, évoqué par certains dans cet hémicycle, répond à un réel problème, la loi Travail ne l’a encadré d’aucune obligation, d’aucune contrainte à la charge des employeurs. Il s’agit d’une coquille vide, dont l’inscription dans une charte dépend du bon vouloir des employeurs.
Ce droit illusoire ne permet pas de garantir les revendications des salariés, notamment des cadres. Vous n’avez pas entendu les organisations syndicales qui vous ont fait des propositions – je pense, par exemple, à l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens, l’UGICT-CGT.
Ce que vous considérez comme une avancée majeure ne répond pas réellement à l’enjeu de la santé au travail et du développement du travail numérique et ne règle aucunement la question de la charge de travail ni celle de la réduction du temps de travail.
Alors qu’il était question d’inscrire une garantie positive pour les travailleurs dans le marbre de la loi, nous nous retrouvons avec un dispositif optionnel qui n’est plus, au final, qu’une coquille vide. C'est la raison pour laquelle il est important d’abroger la loi Travail. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, sur l'article unique.
M. Pierre Laurent. L’un des arguments sur lequel repose notre proposition de loi tient à la légitimité de la loi Travail.
Juridiquement, celle-ci est légitime. Politiquement, l’usage du 49.3 permet d’en douter. Nous avions déjà fortement soulevé cette interrogation lors de l’adoption de la loi : le Gouvernement, qui n’avait aucune majorité parlementaire, avait alors préféré passer en force.
Or, depuis, le Premier ministre de l’époque a lui-même rouvert le débat sur le 49.3. Dans les rangs de la majorité présidentielle, plusieurs responsables politiques d’importance, dont certains sont candidats à l’élection présidentielle, ont également insisté sur cette question.
S’agit-il de paroles de campagne qui seront mises au rancart dans quelques mois ? Je ne le crois pas. J’y vois plutôt des engagements politiques.
Puisque le débat persiste dans le pays, notre proposition de loi est l’occasion de rouvrir le chantier. M. Desessard nous reproche d’être trop radicaux, mais à entendre Mme la ministre, les plages de débat éventuelles ne sont pas très nombreuses dans la mesure où elle continue de défendre, point par point, l’intégralité de la loi. Alors que la question de la médecine du travail, par exemple, inquiète tous les parlementaires de gauche, aucune ouverture n’est faite.
Cette proposition de loi d’abrogation est le moyen, mis à la disposition de la représentation parlementaire, de rouvrir l’ensemble de ce chantier. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à abroger la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite « loi Travail ».
J'ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe CRC, l’autre, du groupe socialiste et républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 86 :
Nombre de votants | 156 |
Nombre de suffrages exprimés | 140 |
Pour l’adoption | 25 |
Contre | 115 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Enseignement supérieur
Rejet d’une proposition de résolution européenne
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe communiste républicain et citoyen, de la proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir, présentée, en application de l’article 73 quinquies du règlement, par Mme Brigitte Gonthier-Maurin et plusieurs de ses collègues (proposition n° 104, rapport de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication n° 258, rapport de la commission des affaires européennes n° 179).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de résolution européenne.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la proposition de résolution européenne. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne s’inscrit dans la continuité des propositions que le groupe communiste républicain et citoyen soutient en faveur d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur. Enjeu d’importance, tant l’enseignement supérieur et l’enseignement scolaire sont confrontés à une complexification croissante des savoirs. C'est pourquoi nous militons pour que le service public de l’éducation dans sa globalité permette une élévation des connaissances et des qualifications pour toutes et tous.
Voilà près de dix-sept ans, les États européens s’étaient engagés, au travers de la stratégie dite de Lisbonne, à faire de l’Union européenne, d’ici à 2010, « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».
Cette stratégie a échoué. Pour ne citer qu’un chiffre, je rappellerai que l’Union européenne avait prévu d’affecter au budget de la recherche 3 % de son produit intérieur brut. Elle n’y consacre, dans son ensemble, que 1,9 %.
Parmi les raisons de cet échec, il en est une qui est peu invoquée, mais qui figure pourtant au cœur de la problématique : la stratégie de Lisbonne n’a pas été dotée de moyens financiers spécifiques !
En France, si la dépense intérieure d’éducation a progressé, la part de l’État, elle, n’a cessé de diminuer depuis 2000.
Ainsi les États membres qui ont fixé les objectifs de la stratégie de Lisbonne se sont-ils heurtés à leurs propres politiques de déconstruction des services publics d’éducation.
Dans le cadre de la stratégie Europe 2020 ont été fixés, par ailleurs, cinq objectifs.
Un seul concerne l’éducation : « améliorer les niveaux d’éducation, en particulier en s’attachant à réduire le taux de décrochage scolaire à moins de 10 % et en portant à 40 % au moins la proportion de personnes âgées de 30 à 34 ans ayant obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur ou atteint un niveau d’études équivalent. »
Cet objectif est étroitement inspiré des conclusions du Conseil Éducation de mai 2009, lequel a donc, à juste titre, considéré développement de l’enseignement supérieur comme un enjeu « prioritaire ».
Les États membres ont bien pris conscience que la croissance des emplois à forte intensité de connaissances justifie plus que jamais une politique de démocratisation de l’enseignement supérieur.
Cette dernière est également indispensable pour répondre à un autre grand objectif de la stratégie Europe 2020, objectif déjà contenu dans la stratégie de Lisbonne, consistant à porter à 3 % du PIB l’effort en matière de recherche, objectif qui suppose lui aussi une importante augmentation de l’emploi dans ce secteur.
De la même façon, renforcer la capacité d’innovation des économies européennes passe par un élargissement de l’accès aux études supérieures.
Or l’examen de la situation à mi-parcours fait apparaître des résultats contrastés.
Certes, la part des diplômés dans la population âgée de 30 à 34 ans a progressé, passant de 34 % en 2010 à plus de 38 % en 2015. L’objectif de 40 % en 2020 semble donc atteignable.
Toutefois, les écarts entre les pays membres s’agissant des conditions d’accès à l’enseignement supérieur restent considérables.
Ainsi, les frais d’inscription en premier cycle vont de la gratuité à plus de 11 000 euros. Le montant des bourses sur critères sociaux varie lui aussi fortement d’un État membre à l’autre : inférieur à 1 000 euros dans la plupart des nouveaux pays membres, il dépasse 9 000 euros dans certains États membres plus anciens.
En réalité, l’augmentation du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur s’est effectuée dans un contexte global de stagnation ou de diminution des dépenses publiques en faveur de l’enseignement supérieur, même si, là encore, les situations sont contrastées.
Depuis 2010, ces dépenses ont en effet augmenté dans certains États membres, mais elles ont stagné ou diminué dans la plupart d’entre eux, en lien direct avec ce que certains nomment avec pudeur « le resserrement de la discipline budgétaire ».
Reste un constat : la dépense publique moyenne pour l’enseignement supérieur au sein de l’Union demeure inférieure à 1,3 % du PIB.
Les conditions d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur à l’échelle de l’Union ne sont donc pas réunies. Sortons du double langage, et parlons clair ! On ne peut pas, d’un côté, prôner la démocratisation de l’enseignement supérieur, sans l’asseoir, de l’autre, sur des moyens publics pérennes.
Dans un contexte de plus en plus concurrentiel, illustré par l’importance des « classements » des universités, le développement d’un enseignement supérieur dont le financement repose de plus en plus sur les étudiants et leurs familles va s’accélérer et devenir source de davantage d’inégalités.
L’exemple des États-Unis montre pourtant les effets néfastes d’une telle évolution. Certes, la dépense totale en faveur de l’enseignement supérieur, qui représente 2,8 % du PIB, est élevée, mais les conséquences sociales d’un tel modèle sont extrêmement lourdes : fortes inégalités entre les établissements, logique financière et concurrentielle, endettement considérable des étudiants lors de leur entrée dans la vie professionnelle. Aujourd’hui, la dette cumulée des étudiants américains atteint 1 160 milliards de dollars, soit plus de 6 % du PIB des États-Unis ; elle dépasse désormais celle des ménages américains !
L’Union européenne et les États membres doivent donc rompre avec cette logique inacceptable qui assimile l’enseignement supérieur à un marché.
Seul un financement essentiellement public, en effet, peut garantir, d’une part, une véritable autonomie intellectuelle des universités, incompatible avec une logique marchande, et, d’autre part, la poursuite d’une réelle démocratisation de l’enseignement supérieur, incompatible, elle, avec des droits d’inscription élevés et des bourses sur critères sociaux ne couvrant qu’une part réduite des dépenses incompressibles d’un étudiant.
Ce constat a été parfaitement dressé dans le rapport du comité pour une stratégie nationale de l’enseignement supérieur, la STRANES, prévue par la loi Fioraso de 2013, dont nous avons débattu ici, mes chers collègues, en mai dernier.
Pour rappel, les auteurs de ce rapport, s’ils évoquent des pistes possibles de financement complémentaire, au nombre desquelles le mécénat, le recours aux fondations ou la formation continue, se prononcent pour le maintien d’un financement essentiellement public de l’enseignement supérieur.
À cette fin, la STRANES fixe deux objectifs, ceux-là mêmes qui figurent dans la présente proposition de résolution européenne : porter à l’échelon européen un objectif de 2 % du PIB consacré à l’enseignement supérieur d’ici à 2025 ; exclure du calcul des déficits publics les dépenses publiques d’enseignement supérieur.
Ce sont ces deux propositions que nous défendons – nous ne sommes pas les seuls, si j’en crois les messages de soutien que je reçois depuis quelques jours.
C’est dans ce contexte, monsieur le secrétaire d’État, que l’amendement déposé en dernière minute par le Gouvernement, tendant à supprimer de cette proposition de résolution européenne la disposition prévoyant d’exclure les dépenses publiques d’enseignement supérieur du calcul des déficits publics, prend toute sa « saveur ».
Cela confirme, hélas ! le choix de ce gouvernement, déniant au passage sa propre STRANES, d’assimiler l’enseignement supérieur à un marché. Votre argument est le même que celui des deux corapporteurs de la commission des affaires européennes : il s’agit de ne pas donner « un nouveau coup de canif dans le pacte de stabilité ».
Mon collègue Éric Bocquet reviendra longuement sur ce point, et ce débat est loin d’être clos, soyez-en sûrs, mes chers collègues !
C’est pour cette raison que le groupe CRC a inscrit cette proposition de résolution européenne à l’ordre du jour de sa niche parlementaire, tant ces revendications sont consubstantielles à un projet d’émancipation humaine pour lequel nous sommes mobilisés tous azimuts : à l’instant pour l’abrogation de la loi Travail, maintenant pour un financement pérenne de l’enseignement supérieur, demain sur la situation de l’hôpital public. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne sur la reconnaissance de l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir soulève des questions fondamentales pour notre société : d’une part, quels sont les besoins de financement, à l’horizon 2025, de l’enseignement supérieur européen, dans un contexte de massification des effectifs et de concurrence internationale accrue, d’autre part, comment doivent se répartir financement public et financement privé ?
Je me réjouis que, grâce à cette initiative de Mme Brigitte Gonthier-Maurin et de nos collègues communistes, nous ayons l’occasion, une nouvelle fois, de débattre de ces enjeux au sein de notre hémicycle.
En dépit d’une communauté de préoccupations, notre commission de la culture, comme la commission des affaires européennes avant elle, a choisi de ne pas adopter ce texte. Je tiens à m’en expliquer devant vous, ce rejet n’étant évidemment pas la marque d’une quelconque indifférence à l’égard des enjeux de l’enseignement supérieur, bien au contraire !
Reprenant très directement l’une des propositions du comité pour la STRANES en matière de financement de l’enseignement supérieur, la présente proposition a pour objet, en premier lieu, de reconnaître l’enseignement supérieur comme « un investissement nécessaire à l’avenir » ; en deuxième lieu, d’amener les dépenses d’enseignement supérieur à 2 % du PIB européen à l’horizon 2025 ; en troisième lieu, d’exclure les dépenses d’enseignement supérieur et de recherche du calcul des déficits publics.
S’agissant du premier point – reconnaître l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à l’avenir –, je pense que nous sommes, sur toutes les travées de cet hémicycle, unanimement d’accord ; nous avons conscience du rôle et des fonctions de l’enseignement supérieur. C’est là, bien évidemment, un objectif de l’Union européenne et de ses États membres, à commencer par la France. La reconnaissance par l’Union et par les États membres de l’enseignement supérieur comme un investissement nécessaire à leur avenir n’est donc pas, me semble-t-il, un sujet nécessitant l’adoption d’une résolution européenne.
S’agissant du deuxième point – amener les dépenses d’enseignement supérieur à 2 % du PIB européen à l’horizon 2025 –, nous sommes également tous d’accord pour reconnaître que les besoins de financement de l’enseignement supérieur, en France comme en Europe, sont majeurs, puisqu’il s’agit de faire face à la fois à la massification des effectifs et aux besoins d’amélioration et de modernisation continue des prestations offertes par les établissements, dans un contexte de vive concurrence internationale.
Mais l’objectif des 2 % du PIB est encore loin : la France est en dessous de 1,5 %, et l’Union européenne dans son ensemble n’atteint pas les 1,3 % ; nous sommes loin, très loin, derrière les États-Unis et le Canada, qui dépassent les 2,5 %. Il s’agit donc d’un objectif certes souhaitable, mais très ambitieux.
Les auteurs de la proposition de résolution estiment par ailleurs que « les dépenses d’enseignement supérieur doivent être essentiellement couvertes par un financement public ».
Pour ma part, s’agissant de la France, je considère que l’État ne peut supporter à lui seul la charge de l’investissement dans l’enseignement supérieur : les étudiants et leurs familles, ainsi que les entreprises, doivent aussi participer à cet investissement dont ils seront bénéficiaires.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si je partage l’ambition des auteurs de la proposition de résolution s’agissant des besoins de financement de l’enseignement supérieur, je considère que la répartition qu’ils préconisent entre financements public et privé est malheureusement irréaliste.
Le troisième point, à savoir l’exclusion des dépenses d’enseignement supérieur et de recherche du calcul des déficits publics, est plus financier et technique.
Depuis son entrée en vigueur en 1997, le pacte de stabilité et de croissance fixe respectivement à 3 % et à 60 % du PIB les valeurs de référence pour le déficit budgétaire annuel et l’endettement public. Le pacte laisse cependant à la Commission et au Conseil une marge d’appréciation pour évaluer la viabilité des finances publiques à la lumière des circonstances spécifiques à chaque pays.
C’est ainsi que la Commission a pu réserver un traitement particulier, en 2015, aux dépenses liées à l’accueil des réfugiés, aux dépenses de sécurité de la France ou encore aux dépenses liées aux tremblements de terre en Italie.
Ces dérogations à l’application des règles du pacte sont cependant très loin de faire l’unanimité, parmi les États membres comme parmi les experts internationaux, et le Conseil les a fortement encadrées depuis fin 2015.
La commission des affaires européennes du Sénat a, pour sa part, adopté récemment une proposition de résolution européenne pour déplorer la multiplication, depuis 2015, de ces clauses de flexibilité qui renforcent, selon elle, l’opacité autour du pacte.
À la suite de la commission des affaires européennes, la commission de la culture n’a pas estimé souhaitable de demander la création d’une nouvelle dérogation à l’application des règles du pacte de stabilité et de croissance.
C’est pourquoi la commission de la culture vous propose de ne pas adopter la proposition de résolution européenne qui nous est soumise, même si nos préoccupations sont en partie convergentes avec celles de ses auteurs.
Le Gouvernement a déposé hier soir un amendement – je le rappelle pour mémoire, même s’il s’agit d’un fait récent (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.) – visant à demander la création d’une dérogation au pacte de stabilité et de croissance pour les dépenses d’enseignement supérieur.
Cette initiative, qui a reçu un avis défavorable de la commission, n’infléchit pas notre position de rejet global de ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d’État auprès de la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je reconnais à Mme Gonthier-Maurin, qui connaît bien ces sujets, une constance dans la défense de ses positions.
Ce qu’elle a dit est tout à fait juste : l’Europe ne s’est pas dotée d’objectifs chiffrés s’agissant de ses dépenses en matière d’enseignement supérieur. La conférence de Lisbonne a bien fixé un objectif – 3 % du produit intérieur brut – pour les dépenses de recherche-développement, mais elle ne l’a pas fait pour les dépenses d’enseignement supérieur, non plus d’ailleurs que pour la répartition, en la matière, entre financement public et financement privé.
C’est dans le cadre de la STRANES que, pour des raisons tenant principalement à la nécessité d’élever le niveau des compétences et des connaissances au regard de grandes mutations que votre assemblée connaît bien, la France a choisi de se doter d’une perspective qui, au terme d’une trajectoire sur dix années, l’amènerait à consacrer 2 % du PIB au financement de l’enseignement supérieur.
Madame la sénatrice, votre texte contient deux propositions : premièrement, que la France défende l’application au niveau de l’Union européenne de cet objectif fixé au niveau national par la STRANES ; deuxièmement, que la part publique dans ce financement soit exclue du calcul du déficit budgétaire.
Il peut être intéressant de faire un point précis sur la situation en Europe s’agissant de ces deux questions : combien les pays dépensent-ils en matière d’enseignement supérieur – la réponse à cette question permettra de mesurer le chemin qui reste à parcourir ? Et quelle est la structure de financement, c’est-à-dire la part respective du public et du privé ?
Les dépenses d’enseignement supérieur s’élèvent en moyenne aujourd’hui pour les vingt-deux pays de l’Union européenne étudiés dans le rapport le plus récent de l’Organisation de coopération et de développement économiques – les chiffres sur lesquels vous avez raisonné, madame la sénatrice, sont peut-être un petit peu datés – à 1,6 % du PIB, et à 1,4 % du PIB pour l’ensemble des pays de l’OCDE. La France se situe entre les deux, puisque les dépenses d’enseignement supérieur y représentent 1,5 % du PIB.
Existe-t-il dans l’Union européenne des pays se situant à 2 % du PIB ? Il y en a un seul ! C’est l’Estonie. Quelques pays nordiques n’en sont pas très loin – la Finlande et le Danemark sont à 1,9 % – ; d’autres pays, en particulier le Royaume-Uni, sont à 1,8 % du PIB. L’Allemagne est à 1,3 %.
La fixation d’un tel objectif conduirait donc l’ensemble des pays européens, à une exception près, l’Estonie, à faire un petit ou un gros effort, et plutôt un gros effort, de l’équivalent d’un demi-point de PIB.
Par ailleurs, quelle est la part de ces dépenses qui est respectivement financée par le public et par le privé ?
En la matière, les situations sont radicalement divergentes.
Il y a un bloc de pays, à savoir les pays nordiques, auxquels j’ajoute la France et l’Allemagne, dans lesquels la charge, en matière de dépenses d’enseignement supérieur, repose presque exclusivement, en tout cas en très grande partie, sur le public : à 95 % pour les pays nordiques – le financement privé y est presque inexistant –, 82 % pour la France et un taux similaire pour l’Allemagne.
Dans certains pays, à l’inverse, les dépenses publiques sont minoritaires par rapport aux dépenses privées. Au Royaume-Uni, auquel je pense en particulier, elles représentent environ 45 % du total. Le bon résultat de ce pays tient donc principalement aux efforts des familles – c’est en effet essentiellement cela, le financement privé… –, qui assument environ 47 % ou 48 % de la dépense, le financement étant un peu complété par des partenariats avec les entreprises.
La position du Gouvernement figure, je l’ai dit, dans la STRANES : nous estimons qu’atteindre 2 % du PIB est souhaitable, mais cet objectif ne doit pas masquer la grande disparité des réalités nationales et mériterait d’être affiné.
Figure également dans la STRANES la nécessité d’ouvrir la réflexion sur la prise en compte des sommes consacrées à la préparation de l’avenir, qu’il s’agisse d’ailleurs de l’enseignement supérieur ou de la recherche, dans le déficit public.
C’est ici que les difficultés commencent, et c’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement : il partage l’objectif préconisé, mais, à ce stade, il ne souhaite pas arbitrer entre les différentes possibilités susceptibles d’être défendues à l’échelle européenne. Faut-il, comme vous le demandez, madame la sénatrice, exclure du calcul du déficit les dépenses d’enseignement supérieur ou, autre proposition, les dépenses de recherche du calcul du déficit ? Faut-il plutôt privilégier les dépenses liées à la défense ou à la conduite de certaines opérations extérieures ?…
Des arbitrages doivent être effectués entre les différentes réflexions amorcées au niveau européen et qui doivent encore trouver leur chemin. Nous ne pouvons donc pas souscrire à une proposition de résolution selon laquelle ce sont les dépenses d’enseignement supérieur qui doivent sortir du calcul du déficit – sous-entendu : pas les autres. Peut-être s’avérera-t-il plus judicieux, par exemple, d’en exclure les dépenses de recherche, et c’est ce qui me gêne dans la proposition de résolution.
Si son amendement était adopté, le Gouvernement ne verrait en revanche que des avantages au vote de celle-ci ; s’il ne l’était pas, nous nous en remettrions, mesdames, messieurs les sénateurs, à la sagesse de votre assemblée.