Mme Catherine Procaccia. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme orateur sur cette proposition de loi relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes, je suis soumis à une double difficulté.
Premièrement, j’interviens au tout début de la discussion générale, sur un sujet que je découvre, puisque, comme le rapporteur, je ne siégeais pas sur ces travées lors de l’examen de la loi Thévenoud.
Deuxièmement, notre assemblée fait l’objet, depuis ce matin, d’un véritable siège, qui tend peut-être à peser sur notre décision finale.
Un véritable bouleversement des schémas économiques traditionnels est en cours, et le texte que nous examinons aujourd’hui est en phase avec un monde évoluant à grande vitesse, grâce à la formidable créativité de ce que l’on appelle la révolution numérique. En effet, l’émergence planétaire extrêmement rapide d’une application numérique de transports des particuliers affecte le modèle économique traditionnel des taxis, et la proposition de loi aujourd’hui soumise à notre vote, la deuxième sur le sujet en deux ans, montre bien qu’il est nécessaire de procéder à une amélioration de la régulation du secteur.
J’interviens aujourd’hui devant vous, nonobstant que, à Saint-Martin, territoire que j’ai l’honneur et la chance de représenter, ce type de services n’existe pas. En effet, Saint-Martin et Saint-Barthélemy ayant la pleine compétence en la matière, ces collectivités sont exclues du dispositif, comme tend à le souligner l’amendement n° 54, adopté ce matin par la commission. Je vous parle donc sans aucun parti pris.
Devant de telles évolutions, seules trois options sont possibles : le conservatisme du monopole des taxis, le laisser-faire entre tous les acteurs du marché du transport de particuliers ou la réforme par la régulation du secteur.
Le conservatisme, à mon sens, est voué à être débordé par la créativité de nouvelles technologies que le grand public a, lui-même, déjà adoptées.
Le laisser-faire, à mon sens, favorisera la loi du plus fort et, à terme, une situation sociale encore plus conflictuelle.
La régulation du secteur doit donc, à mon sens, être privilégiée, afin de pacifier la situation actuelle et de faire cohabiter en bonne intelligence deux professions qui peuvent et doivent se compléter.
M. Jean-Jacques Filleul. Absolument !
M. Guillaume Arnell. La concurrence, lorsqu’elle est saine, ne peut que bénéficier aux usagers, et c’est bien l’objectif qu’il ne faut pas perdre de vue. En effet, n’est-il pas indéniable que les taxis tendent à l’amélioration de la qualité de leurs prestations depuis que les VTC sont entrés sur le marché ? Je pense, par exemple, aux prix fixes pour les trajets à destination et au départ des aéroports ou à la généralisation des terminaux de cartes bancaires.
Toutefois, des évolutions positives sont encore possibles et souhaitables, notamment sur les frais d’approche, le type de véhicules ou la prestation du service en général – propreté, courtoisie, etc. Mais cela demeure au libre choix de la profession.
Comme notre excellent rapporteur, dont je salue la qualité du travail, accompli dans un temps très court,…
M. Michel Raison. C’est vrai !
M. Guillaume Arnell. … je regrette la méthode employée, celle de la proposition de loi. Vous évitez ainsi l’avis du Conseil d’État et une étude d’impact, qui auraient pourtant été indispensables eu égard aux enjeux pour le secteur et aux risques juridiques liés à l’application de la loi en l’état.
L’inconstitutionnalité déclarée de certaines dispositions de la loi Thévenoud par des questions prioritaires de constitutionnalité nous a bien montré que le juste équilibre entre la liberté d’entreprendre et l’intérêt général n’est pas si évident à trouver.
Ainsi, il ressort des travaux de la commission des avancées significatives, telles que la suppression de l’amende de 300 000 euros à l’article 1er, celle-ci pouvant apparaître comme totalement disproportionnée, la suppression de l’article 2 relatif à la communication de données personnelles aux autorités administratives, ou encore, à l’article 3, la précision du champ de la dérogation à l’interdiction faite aux centrales de réservation d’imposer des clauses d’exclusivité aux conducteurs.
Pour ma part, je me réjouis que le rapporteur et d’autres collègues aient retenu mon amendement relatif au développement d’une offre de transport au bénéfice des familles en situation de précarité et/ou d’isolement. La mobilité est en effet un enjeu indéniable, en particulier en milieu rural, afin de remédier à l’exclusion et au repli sur soi.
Après ces éléments positifs, quelques interrogations persistent. Il apparaît notamment difficile de confier l’organisation de l’examen d’accès aux professions du transport public de personnes à un seul et même organisme, alors que ces professions n’ont pas le même statut et ne s’adressent pas au même public.
Enfin, je regrette que, face à une telle révolution économique, certains enjeux fondamentaux soient passés sous silence. Je pense notamment à la paupérisation de la profession des chauffeurs de VTC – certains ne gagnent pas plus de 500 euros par mois, une fois le véhicule payé –, mais aussi de certains chauffeurs de taxi, pour des raisons différentes.
Je pense, surtout, à l’épineuse question de la fiscalité applicable ou non à ces plateformes numériques…
Vous conviendrez avec moi, mes chers collègues, que le sujet n’est pas épuisé, et que nous nous retrouverons très certainement pour un troisième texte sur le transport particulier de personnes.
Le groupe du RDSE porte un regard différencié sur cette proposition de loi et se déterminera en fonction de l’évolution des débats. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste. – Mme Marie-Annick Duchêne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais souligner différents points d’accord – notre collègue Guillaume Arnell vient d’en évoquer certains à l’instant.
Tout d’abord, les VTC ont obligé les taxis à se moderniser : c’était devenu nécessaire, parce que la situation de monopole n’incitait pas ces derniers à être à l’écoute des clients autant qu’il aurait fallu l’être. Par ailleurs, le numerus clausus a été à l’origine d’un problème d’offre. Les chauffeurs de taxi ont parfois eu du mal à l’admettre, mais ils sont nombreux à avoir compris qu’ils devaient évoluer, et le niveau de service offert par les taxis a tendance à s’améliorer. Il faut continuer dans cette voie.
Ensuite, nous avons été nombreux à le dire à cette tribune, il faut permettre à ces deux secteurs de se développer de manière harmonieuse. Nous avons besoin de penser de manière globale les transports et la mobilité à l’échelle de la métropole francilienne et à l’échelle du pays. De ce point de vue, je me réjouis que votre administration soit désormais à la manœuvre, monsieur le secrétaire d’État, en lieu et place du ministère de l’intérieur : la question des taxis et des VTC n’est pas une question d’ordre public, c’est une question de mobilité !
Que l’on le veuille ou non, la mobilité évolue, parce que les techniques évoluent, de même que les attentes des consommateurs. Dans un cadre écologique, nous devons permettre une mobilité partagée, pensée avec les technologies d’aujourd’hui et les attentes des consommateurs : moins de voitures particulières et plus de transports collectifs ; telle est la logique qui s'impose.
Une fois ce constat posé, nous pouvons trouver un autre point d’accord pour reconnaître que ce texte essaie d’apaiser, comme la proposition de loi Thévenoud essayait de le faire en son temps. Monsieur le secrétaire d’État, de proposition de loi en proposition de loi, ce petit jeu peut durer longtemps ! Il me semble que nous serons tous d’accord pour admettre que l’on ne parviendra pas à stabiliser la situation avec le présent texte. Nous savons déjà qu’il faudra de nouveau légiférer.
Mme Nicole Bricq. En effet, ce n’est pas fini !
M. Vincent Capo-Canellas. N’y voyez pas un reproche personnel, monsieur le secrétaire d’État, mais force est de constater que le Gouvernement « marche au bruit » : d’une manifestation de chauffeurs de taxi à une manifestation de chauffeurs de VTC, il essaie de trouver, avec beaucoup de difficulté, un point d’équilibre.
Je voudrais que nous essayions de trouver ensemble le moyen non pas de répondre aux revendications des uns ou des autres, mais de proposer un système adapté aux technologies, aux attentes et aux besoins de mobilité d’aujourd’hui. Si nous parvenions à tenir ce cap, nous réaliserions ensemble un grand progrès.
Malheureusement, je ne crois pas que ce texte permette un tel progrès, car il me paraît plus tenir du « cautère sur une jambe de bois ». Alors, oui, nous sommes nombreux ici à penser qu’il faudra demain légiférer de nouveau.
Il faut bien sûr entendre la désespérance des chauffeurs de taxi, auxquels il faut assurer un avenir. Sur ce point, je reprocherai au texte qui nous est présenté de ne pas apporter de réponse à la question de l’indemnisation des chauffeurs de taxi et de la reprise des licences – vous me répondrez que des obstacles juridiques s’y opposent.
Monsieur le secrétaire d’État, il faudrait que vous nous donniez des explications claires : nous avons entendu dire que le sujet serait abordé dans le cadre du projet de loi de finances rectificative ; or, à vous lire, on peut penser que ce sera encore plus tard. Pourtant, la question est essentielle.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Vincent Capo-Canellas. Si l’on répond de manière positive à cette question, même si ce n’est pas aisé, je le sais, il faudra en tirer les conséquences. En effet, l’indemnisation implique que le système des licences est amené à disparaître, ce qui ouvre une nouvelle perspective. Encore faudrait-il, cependant, que celle-ci soit prise en compte, sinon nous allons encore passer à côté du problème et slalomer entre les difficultés.
Cette proposition de loi essaie d’apporter un apaisement, mais elle n’y parvient pas. L’équilibre trouvé n’est pas celui auquel nous aurions souscrit en première analyse, mais il a le mérite d’exister, même s’il est imparfait et inconfortable. Il a d’ailleurs posé à la commission une vraie difficulté : comment, sur la base d’un équilibre qui – passez-moi l’expression – n’est pas terrible, retoucher un texte bancal dès le départ ?
Le rapporteur a fait un excellent travail fondé sur une lecture juridique : il a supprimé les dispositions de nature réglementaire, renvoyées aux décrets et aux arrêtés, prenant le risque de faire disparaître la substance même du compromis. Par définition, il vaut mieux que la totalité des termes du compromis figure dans un seul texte, ce qui donne des assurances égales à chacun des acteurs. Il faut sans doute supprimer certains éléments du texte, parce qu’ils sont de nature réglementaire, mais on peut alors s’interroger sur le nouvel équilibre auquel nous sommes parvenus.
Cela dit, je souhaite insister sur deux points.
Premièrement, M. Grandguillaume a tenté une réconciliation en nous disant que ce texte n’opposait pas les chauffeurs de taxi aux chauffeurs de VTC, mais plutôt les chauffeurs de taxi et de VTC aux plateformes. C’est habile, mais c’est un peu court, parce que l’on omet ainsi de répondre aux questions évoquées dans la première partie de mon intervention.
Cette proposition de loi va également parfois trop loin. Je défendrai un amendement visant le transport partagé, c’est-à-dire l’activité de Blablacar, une entreprise française qui connaît une réussite mondiale.
Ce secteur ne pose pas de problème : à quoi bon l’inclure dans cette proposition de loi, si ce n’est pour satisfaire cette manie française de toujours tout réglementer ? On en profite pour légiférer subrepticement sur les conditions qui régissent le marché intérieur de la principale entreprise mondiale du secteur, qui est française, au risque de la déstabiliser. Qui plus est, cette intervention se limite à indiquer qu’un décret interviendra, ce qui crée une incertitude, rien n’étant précisé concernant le contenu de ce décret. J’ai vu que la commission avait été sensible à nos arguments sur cette question : jusqu’où est-elle prête à avancer avec nous ?
Deuxièmement, en ce qui concerne les véhicules LOTI et les VTC, il ne faut pas se tromper. Certes, quelques chauffeurs de VTC se sont livrés à un détournement condamnable du régime de la loi LOTI.
Force est de constater cependant que certains VTC répondent à un vrai besoin et travaillent depuis des années dans la légalité. Je ne voudrais pas que ceux-ci soient affectés par ce texte, notamment dans les grandes villes, en particulier en Île-de-France. Pour parler d’un secteur que je connais un peu moins mal que les autres, je rappelle que le secteur de l’aviation d’affaires a un vrai besoin de VTC, voire de véhicules LOTI, lorsqu’il s’agit de transport public de plusieurs personnes.
La mesure qui consiste à considérer que le seuil à partir duquel des prestations de transport LOTI peuvent être assurées doit être fixé à huit passagers revêt une importance considérable : la fixation de ce seuil peut tuer des entreprises qui travaillent bien depuis des années et dans la légalité, en Île-de-France. Vous risquez de réduire à néant tout un secteur d’activité, ce qui n’a pas de sens.
Mme Nicole Bricq. Absolument !
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous accorderons une attention particulière au sort réservé à certains des amendements que nous défendrons. J’espère que le Sénat pourra travailler de manière constructive ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes. Ce texte vient ainsi compléter la loi Thévenoud, votée à l’automne de 2014, en réponse à un contexte social tendu.
En effet, depuis la création du régime VTC en 2009 et l’apparition d’Uber à Paris à la fin de 2011, la confusion règne dans le secteur du transport public de particuliers, confusion à l’origine d’une opposition parfois violente et qui doit trouver une solution. Pour tenter de réguler cette situation, cette proposition de loi décline cinq améliorations significatives.
Premièrement, elle confère aux plateformes de mise en relation des consommateurs avec les chauffeurs un statut de « centrale de réservation » s’accompagnant d’une série d’obligations de bon sens et d’un régime de sanctions. Les plateformes devront ainsi se soumettre à une responsabilité vis-à-vis du client, justifier l’existence d’un contrat d’assurance couvrant leur responsabilité civile professionnelle, enfin s’assurer du respect des règles en vigueur par leurs chauffeurs.
Deuxièmement, la proposition de loi organise la transmission de métadonnées du secteur – réservations, nombre de conducteurs, nombre de courses… – au futur Observatoire national du transport public particulier de personnes, afin d’améliorer la connaissance, par la puissance publique, de ce domaine d’activité, tant pour adapter l’offre de transports que pour prévoir de futures évolutions législatives. Il nous faut trouver une solution en séance pour réintégrer cette disposition dans le texte.
Troisièmement, la proposition de loi interdit aux centrales de réservations de faire valoir des clauses d’exclusivité ou des objectifs de chiffre d’affaires dans les contrats qu’elles proposent aux entreprises de VTC et aux chauffeurs indépendants. Cela répond à une nécessité de préserver une concurrence libre et non faussée entre les plateformes et ainsi d’éviter la constitution d’oligopoles qui exerceraient une pression salariale sur les conducteurs et une pression tarifaire sur les consommateurs. Il s’agit également d’une question de sécurité routière.
Quatrièmement, pour faire face au détournement du statut LOTI régissant le transport de groupe, par des centrales proposant des trajets relevant du transport individuel, la proposition de loi interdit aux chauffeurs LOTI d’exercer au sein des 61 agglomérations françaises de plus de 100 000 habitants.
Si cette mesure peut sembler radicale, elle a le mérite de la simplicité et de l’efficacité. Pour faire face à d’éventuelles difficultés individuelles et ne laisser aucun chauffeur en situation de précarité, la proposition de loi prévoit des dispositions pour permettre aux chauffeurs LOTI qui le désirent d’obtenir par équivalence le statut taxi ou VTC.
Cinquièmement, et enfin, le texte initial définit un tronc commun d’aptitude pour les chauffeurs, quel que soit leur statut. Cet examen d’aptitude serait désormais confié aux chambres des métiers et de l’artisanat, cette mesure ayant pour objectif de protéger les chauffeurs et leurs clients, mais aussi d’éviter la multiplication anarchique des conducteurs sur le marché. Il nous semble fondamental que ce dispositif soit réintégré dans le texte.
Le sujet ne se limitant pas à ce texte, je profite du temps qui me reste pour saluer la réflexion engagée par le Gouvernement sur la création d’un fonds de garantie ayant pour objet le rachat des licences de taxis et la consultation afférente lancée auprès des professionnels du secteur.
Lors de l’examen de la loi Thévenoud, en juillet 2014, j’avais ainsi proposé que les détenteurs de licence puissent transformer leur investissement en droits pour la retraite. En effet, la distorsion de concurrence incompréhensible entre, d’une part, des taxis qui doivent débourser parfois jusqu’à 400 000 euros – c’est un maximum, mais c’est énorme ! – pour acquérir leur licence et, d’autre part, des chauffeurs de VTC qui ne doivent s’acquitter que de 100 euros pour obtenir leur carte professionnelle, ne peut plus durer.
Avec cette seconde loi en moins de deux ans, le législateur rattrape son retard sur les évolutions rapides de l’activité économique dite « collaborative » au XXIe siècle. La réflexion ainsi engagée est salutaire et ne manquera pas d’être poursuivie lors de la prochaine législature, pour continuer à améliorer la protection des travailleurs de l’économie collaborative et la fiscalisation de ses entreprises. Pour ce faire, les écologistes proposent notamment de favoriser le développement des coopératives, qui sont l’essence même de cette nouvelle économie collaborative.
La version issue de l’Assemblée nationale nous semble remplir efficacement son triple objectif de régulation, de responsabilisation et de simplification. Elle accompagne intelligemment la modernisation du secteur, en améliorant la protection des acteurs comme des consommateurs. C’est pourquoi le groupe écologiste est favorable à cette version et déterminera son vote en fonction de l’évolution du texte au cours des débats qui vont se dérouler dans notre hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – MM. Guillaume Arnell et Jean-Noël Guérini applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’offre de transport particulier de personnes, historiquement organisée autour des taxis et des véhicules de grande ou de petite remise, a été profondément modifiée en 2009 par la loi Novelli, qui a facilité l’ouverture vers d’autres régimes juridiques : les plateformes VTC s’y sont engouffrées.
Avec le développement du numérique et les applications de géolocalisation, les VTC connaissent un essor important. Traditionnellement, les taxis peuvent être hélés sur la voie publique. Les véhicules de remise, ainsi que les voitures de tourisme avec chauffeur, les VTC, doivent être réservés. Les entreprises de transport public routier, outre leurs activités de services publics pour le compte des collectivités et de l’État, exécutent des services de transport de groupes préalablement constitués, dans le cadre du dispositif des services occasionnels, catégorie provenant du droit communautaire.
Si, à l’origine, chacune de ces professions exerçait des activités distinctes, le développement du numérique et la demande accrue de mobilité des personnes dans toutes les métropoles et grandes agglomérations bouleversent totalement ces professions. En effet, elles interviennent sur un seul et même marché et, du point de vue des personnes en recherche de mobilité, les prestations rendues sont très largement identiques.
Malgré tout, les récentes évolutions ont entraîné de fortes crispations, parce que tout va trop vite et que les réglementations affichent souvent du retard sur l’évolution de la société. Sans doute faut-il, ou faudra-t-il, modifier l’économie générale du secteur dans un temps indéterminé ?
Pour organiser la coexistence des professions de transport individuel de personnes, la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux VTC, dite loi Thévenoud, a cherché, et trouvé, je crois, un premier équilibre entre la modernisation de la profession de taxi et l’encadrement du nouveau régime des VTC.
Elle a engagé un travail de rapprochement des réglementations, rendu les licences de taxis incessibles et imposé une série d’obligations nouvelles aux taxis. Elle oblige les VTC à ce que nous avons appelé le « retour à la base », ce qui est essentiel, et impose des obligations aux intermédiaires VTC, tout en renforçant les contrôles. La loi de 2014 est bien un texte de compromis. Elle a permis de régler les conflits de l’époque.
Rapporteur de ce texte, et après avoir, moi aussi, beaucoup consulté, j’ai toujours considéré qu’avant deux ou trois ans, il faudrait sans doute y revenir. En effet, la loi de 2014 ne permet pas de répondre à toutes les difficultés, car de nouveaux contournements sont apparus, particulièrement dans l’utilisation du statut occasionnel ou capacitaire LOTI, un mode de transport collectif occasionnel de petite dimension.
Les transporteurs sous statut LOTI ont l’obligation légale de transporter plus d’une personne, mais beaucoup d’entre eux ne transportent en réalité qu’une seule personne, comme les taxis ou les VTC.
La proposition de loi que nous examinons est issue du rapport de Laurent Grandguillaume. Elle a été adoptée à l’Assemblée nationale avec l’abstention de l’opposition. Il s’agit, dans ce texte, de réprimer une fraude évoquée plus tôt, celle du détournement du statut de LOTI, avec l’assentiment des plateformes de réservation, sans que ces chauffeurs aient reçu de formation particulière, ni encore moins subi un examen pour valider leurs dispositions à exercer ce métier.
Je crois qu’il faut plutôt aider les chauffeurs, trop souvent entraînés dans la précarité par certaines plateformes qui ne visent que leurs propres gains, au détriment de la justice sociale.
Cette proposition de loi de régulation du transport public particulier de personnes vise ainsi à renforcer les obligations et responsabilités des plateformes, tout en rééquilibrant leur relation avec les chauffeurs, à améliorer la connaissance du secteur du transport public particulier de personnes, à prévenir le détournement du statut LOTI en interdisant les services occasionnels de moins de dix places dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, à permettre aux chauffeurs LOTI de devenir chauffeurs de taxi ou de VTC et, enfin, à harmoniser l’accès au secteur par des examens en partie communs, dont l’organisation, dans le texte voté à l’Assemblée nationale, pourrait être confiée aux chambres des métiers. Monsieur le secrétaire d’État, vous pourrez sans doute nous donner des informations plus précises sur ce point.
Je crois qu’il faut le répéter à satiété : cette proposition de loi n’est pas un texte en faveur d’un secteur ou d’un autre. J’ajoute que des chauffeurs de taxi, comme de VTC, se sont exprimés positivement sur ce texte.
Lors de mon intervention en commission, le 19 octobre dernier, j’ai remercié Jean-François Rapin, rapporteur, de son implication dans ces domaines complexes. Je confirme en séance publique son excellent investissement et son souci de maintenir l’équilibre. Son attitude est d’autant plus méritoire et appréciable que de nombreux amendements furent déposés qui, s’ils avaient été adoptés, auraient pu bouleverser la logique de la proposition de loi. Avec sagesse, il ne les a pas suivis, ce que j’apprécie aujourd’hui.
L’ensemble de la profession a été consulté par Laurent Grandguillaume, y compris M. le secrétaire d’État. Cette proposition de loi a fait l’objet d’une large concertation avec l’ensemble des organisations professionnelles de taxis, de VTC, de LOTI, ainsi qu’avec les plateformes.
Pour que cet équilibre soit efficace, cette proposition de loi repose sur trois grands principes : responsabilisation, régulation et simplification. Il n’est absolument pas question de freiner l’ouverture à de nouveaux moyens de mobilité, mais bien de les accompagner et de les réguler, afin que toutes les organisations professionnelles de transport de personnes s’y retrouvent.
La numérisation bouleverse notre société, nous l’avons dit ; elle ne peut en aucun cas être synonyme de dérégulation. Dans cette proposition de loi, il y a bien des règles communes et elles sont partagées : la régulation et la concertation, c’est ce que nous défendons en voulant conserver la logique d’ensemble du texte.
Le groupe socialiste défendra deux amendements. L’un tend à rétablir l’article 12 dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, même si je ne suis pas insensible à l’amendement déposé par M. le rapporteur, dont les dispositions méritent toute notre attention, monsieur le secrétaire d’État. L’autre vise à préciser, au sein de l’article 8, l’une des dispositions de la loi de 2014 relative à l’utilisation d’un terminal de paiement électronique dans les taxis.
Le groupe socialiste s’exprimera positivement sur cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme les orateurs qui m’ont précédée, je tiens à indiquer que nous avons apprécié le travail très approfondi mené par notre rapporteur.
Depuis de nombreuses années, les manifestations de taxis font la une des journaux – c’est le cas aujourd’hui encore – en raison des embouteillages qu’elles provoquent dans les grandes villes de France.
Certains les présentent comme une opposition entre les taxis et les VTC, entre anciens et modernes dans un domaine d’une grande complexité. Ces conflits sont en réalité la manifestation des difficultés grandissantes rencontrées par les chauffeurs, quelle que soit leur situation professionnelle, face à une précarisation croissante due essentiellement au système Uber, un système perçu comme un progrès par les consommateurs en raison de la simplicité d’utilisation et de prix plus qu’attractifs, mais qui induit, en réalité, une paupérisation et une aggravation des conditions de travail des chauffeurs, une forme d’esclavage des temps modernes – je pèse mes mots.
À cet égard, la France n’est pas une exception, puisque l’on assiste à des mobilisations dans de nombreuses capitales européennes. Partout, les syndicats se mobilisent. D’ailleurs, très récemment, le vendredi 28 octobre dernier, un tribunal du travail britannique a condamné le géant commercial Uber à reconnaître les chauffeurs comme des employés et non comme des auto-entrepreneurs.
Dans ce système, les chauffeurs ne sont pas des salariés. Ils sont payés à la tâche, dans un « partenariat » avec la plateforme qui les rend dépendants du système sans leur assurer les protections inhérentes au salariat, à savoir un contrat de travail et des protections sociales. Un chauffeur devient un « client », une embauche est un « enrôlement » et le licenciement une « désactivation ». On dit aux personnes concernées qu’elles sont « désactivées » ! Mes chers collègues, les évolutions de vocabulaire sont toujours significatives : il faut y être attentif.
La difficulté à trouver des solutions réside dans la grande variété des situations, entre les chauffeurs locataires, salariés, artisans, ceux qui sont dans le métier depuis longtemps, qui n’ont plus de dettes, et ceux qui ont commencé il y a trois ou quatre ans, ceux qui sont VTC ou taxi, grande remise ou en coopérative. Cette diversité explique d’ailleurs que le législateur ait dû y revenir à nouveau et que les gens de la profession aient tant de difficultés à trouver un terrain d’entente.
Il faut dire que l’État a sa part de responsabilité, puisqu’il a abandonné progressivement l’idée que cette profession réglementée était d’abord un service public, pour considérer aujourd’hui qu’il s’agit d’un secteur marchand, dans lequel il faut introduire la concurrence.
Si l’ouverture à la concurrence et la déréglementation introduites dès 2009 ont paru constituer une aubaine aux personnes qui pouvaient trouver ainsi un emploi rapidement sans avoir d’autre qualification que le permis de conduire, ils ont très vite compris que Uber et d’autres les avaient attirés pour mieux les asservir.
Au fond, tous les chauffeurs ont pris conscience qu’ils étaient dans la même galère, et c’est la raison pour laquelle Laurent Grandguillaume a pu écrire cette proposition de loi qui, en dehors des plateformes, a fait l’unanimité dans la profession, même si bien sûr il reste toujours quelques points à améliorer. Les chauffeurs se sont rassemblés au-delà de leurs différences, avec une analyse lucide de la situation, pour défendre leur métier, leur dignité et leurs droits. Ils défendent aussi l’idée qu’il faut des règles communes à tous.
Disons-le, le système Uber est fondé sur l’exploitation des hommes (Mme Nicole Bricq proteste.), sur la régression des droits sociaux et des droits du travail, sur l’enrichissement de quelques-uns au détriment du plus grand nombre et sur la délocalisation des profits générés vers les paradis fiscaux, échappant ainsi à l’impôt.
Les plateformes de mise en relation des clients avec les chauffeurs représentent un progrès, nous ne le nions pas, mais leur fonctionnement doit être encadré. Aujourd’hui, elles perçoivent leur pourcentage, de l’ordre de 20 %, sans se préoccuper de la manière dont le service est rendu.
Aujourd’hui, il faut le dire, cette activité connaît parfois des dérives, comme la conduite sans permis ou même des trafics en tout genre. De plus, les pouvoirs publics ne disposent pas de données fiables sur ce secteur économique. Il devient vraiment nécessaire de simplifier les statuts, de clarifier l’offre et de permettre aux chauffeurs de travailler avec plusieurs plateformes.
Enfin, la mise en place d’un tronc commun de formation et d’examens, demande largement partagée par tous les acteurs, permettrait une qualité de service et une égalité de traitement.
Notre rapporteur nous dit qu’il soutient ce travail, mais qu’une réécriture du texte était nécessaire pour que ce dispositif soit juridiquement solide. Pourquoi n’a-t-il pas alors vraiment trouvé de terrain d’entente avec l’auteur de la proposition de loi ? Pour nous, la responsabilité des centrales de réservation doit être affirmée clairement, et il faut nous efforcer de mieux connaître ce secteur. Pourquoi alors supprimer l’article 2 ?
J’ajoute les questions du temps de travail et du fonds de garantie. J’espère que les débats pourront éclairer la position de chacun.
Légiférer est une nécessité pour dire le droit. Nous devons lutter contre l’idée que l’économie, c’est la loi de la jungle, et que tout est permis. Derrière cette économie-là, c’est-à-dire une économie sans usines ni salariés, il y a la volonté de ne voir en l’homme qu’un consommateur qui produit des données, lesquelles sont collectées par des plateformes et permettent de mieux connaître lesdits consommateurs pour qu’ils achètent encore et encore. La machine tourne !
Derrière l’« ubérisation » de l’économie, il y a le contrôle de l’économie par la data et le remplacement progressif des États par les GAFA. De ce monde-là, nous, nous ne voulons pas ! Évoluer, progresser, bien sûr ; inventer, évidemment, mais toujours en gardant à l’esprit que l’homme doit rester au cœur de notre aventure et de nos préoccupations.
Monsieur le secrétaire d’État, vous parlez régularisation, responsabilisation, simplification. Nous sommes d’accord, mais vous oubliez le mot « contrôle », qui va avec le mot « sanction ». Or, à nos yeux, ces termes doivent apparaître dans la loi, car l’autocontrôle n’est pas de mise.
Monsieur le rapporteur, vous avez raison d’évoquer la sécurisation juridique. Il faut, évidemment, plus de « boers », et, très certainement, un fonds de garantie effectif. Nous verrons donc ce qui ressortira de nos débats.
Pour conclure provisoirement, je dirai que nous sommes favorables à la loi Grandguillaume, mais que nous sommes très réservés sur la version issue des travaux de la commission du développement durable du Sénat. (MM. Jean Desessard et Hervé Poher applaudissent.)