Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voici un texte malheureusement moins consensuel que la proposition de loi relative aux drones civils ! Le Sénat examine aujourd’hui une proposition de loi emblématique d’une tentative de régulation de « l’ubérisation » de l’économie. À ce titre, ce texte du député Laurent Grandguillaume mérite toute notre attention.
Depuis quelques années, le marché du transport a connu l’arrivée des véhicules de transport avec chauffeur, dits « VTC », concurrence à laquelle les taxis se sont fortement opposés.
Or taxis et VTC doivent pouvoir coexister à Paris, comme c’est le cas dans de nombreuses autres grandes villes. Économiquement, ils le peuvent amplement : le secteur des VTC est clairement sous-développé à Paris, par comparaison à une capitale voisine, Londres, par exemple. Déjà, en 2014, le rapport Thévenoud constatait le sous-équipement de Paris avec 3 chauffeurs VTC ou taxi pour 1 000 habitants, contre 10 à Londres ou 13 à New York.
De plus, la cible visée n’est pas exactement la même, les VTC ayant créé une nouvelle offre : des ménages plus modestes, notamment les jeunes, qui n’utilisaient pas le taxi, vont parfois désormais avoir recours aux VTC. Il y a là une catégorie de clientèle inexploitée, et personne ne vole les clients de l’autre. Nous assistons au contraire à la démocratisation de tout un secteur.
Toutefois, la France a peur, peur de la nouveauté, peur de la concurrence. Alors elle réglemente, mais elle réglemente trop.
Le secteur du transport public particulier de personnes a subi de profonds changements ces dernières années, avec l’apparition d’un nouveau modèle économique. Nous devons veiller à ne pas nous opposer au choix des consommateurs. Or des millions d’entre eux plébiscitent ce mode de transport qui crée une demande nouvelle, en complémentarité, j’y insiste, avec l’offre existante.
Nous ne devons pas non plus nous opposer à la création d’emplois. Le rapport Thévenoud a révélé un potentiel gisement de 68 000 emplois. Selon l’INSEE, le secteur des VTC est celui qui a connu le plus de créations d’entreprises en 2014.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. Cyril Pellevat. Nous ne devons pas nous opposer, enfin, à la nécessité de rechercher de nouveaux modèles de mobilité pour décongestionner les centres-villes. L’impact environnemental du VTC est avéré, avec environ 30 000 véhicules en moins en région parisienne, selon l’ADEME.
La loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur, dite « loi Thévenoud », a tenté de donner un cadre à la concurrence entre les taxis et les VTC, mais celle-ci n’a pas eu réellement d’impact et n’a pas permis un apaisement des tensions entre taxis et VTC.
Pour donner suite à la mission de médiation sur l’avenir économique du secteur, que lui a confiée le Premier ministre en janvier dernier, le député Laurent Grandguillaume a déposé la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui, commandée à la fois par le Premier ministre et le secrétaire d’État chargé des transports. Avec ce texte, Laurent Grandguillaume et le Gouvernement ont voulu créer les conditions d’une concurrence saine et équilibrée. L’objectif est certes louable, mais il n’est pas atteint, et les diverses manifestations auxquelles nous avons assisté ces derniers temps en témoignent.
Reprenons un à un les articles du texte qui nous est soumis.
Avant tout, je me félicite que l’article 1er ait été sensiblement réécrit par le rapporteur. Je proposerai toutefois une amélioration de l’écriture de la qualification juridique des plateformes, aujourd’hui considérées comme des organisateurs de transport, alors qu’elles sont des intermédiaires. Qui pourrait penser qu’hotels.com ou Expedia ait les mêmes obligations juridiques qu’une compagnie aérienne ?
M. Michel Bouvard. Très bien !
M. Cyril Pellevat. Concernant l’absence de données fiables sur le secteur du transport public particulier de personnes, la commission avait initialement supprimé l’article 2 autorisant l’autorité administrative à imposer aux acteurs du secteur la transmission périodique de données. Le rapporteur proposera un amendement de compromis, auquel je suis favorable, visant à récréer un dispositif d’échange de données respectueux des droits et libertés fondamentaux.
S’agissant du statut LOTI, l’article 4 traite de l’enjeu principal de cette proposition de loi : l’éviction d’un secteur entier du transport public de personnes dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Cette proposition est la conséquence d’une promesse hâtive faite par le Premier ministre lors des manifestations violentes des taxis.
Rappelons que les LOTI, tirant leur nom de la loi d’orientation des transports intérieurs, avaient été expressément autorisés à concurrencer les taxis dans la loi Thévenoud.
La proposition de loi vise à interdire, à partir du 1er juillet 2017, la fourniture de services occasionnels régis par la loi LOTI avec des véhicules de moins de 10 places dans les périmètres soumis à l’obligation de réaliser un plan de déplacement urbain, c’est-à-dire dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Une période transitoire d’un an est prévue pour permettre aux entreprises proposant ces services de se convertir en exploitants de taxis ou de VTC.
Nos collègues députés ont maintenu le 1er juillet 2018 comme date limite pour permettre aux chauffeurs LOTI d’effectuer leur changement de statut vers celui de VTC.
Notre commission avait initialement avancé au 1er janvier 2017 le début de la période transitoire, date à laquelle le rapporteur propose de ne plus faire référence. Il me semble indispensable de ne pas faire peser sur les acteurs les contraintes inhérentes aux changements politiques susceptibles d’intervenir en 2017.
Pour ma part, je suis favorable à ce que la période de transition débute dans les 12 mois, avec application pleine de la mesure sous 24 mois : 2017 étant une année d’élections, le Gouvernement ne sera pas en mesure de prendre des actes réglementaires permettant une transition correcte entre les statuts LOTI et VTC. Précisons que des milliers d’entreprises et de chauffeurs seront victimes des changements d’organisation et de l’incapacité des préfectures et des CMA, les chambres des métiers et de l’artisanat, à juguler l’afflux de candidats.
Sur le fond, je vous avoue, je me résous difficilement à mettre 10 000 personnes au chômage. Je conçois que le statut actuel prévu par la loi Thévenoud ne soit pas parfait. Néanmoins, il permet aux VTC d’être salariés. En l’état actuel du droit, je pense que le statu quo aurait mieux valu que la suppression.
En revanche, un vrai statut de VTC salarié aurait été opportun. Le texte passe à côté d’une réglementation qui aurait, pour le coup, été très utile. Le secteur des VTC souffrant de la paupérisation, tout comme celui des taxis, il aurait été bienvenu de traiter de la lutte contre la précarisation et le dumping social dans ce texte. Les salariés VTC et taxis sont insuffisamment protégés et aspirent à plus d’indépendance, à plus de liberté et à des salaires plus élevés.
Enfin, la formation, plus précisément l’examen de passage pour devenir chauffeur de VTC, fait débat. L’augmentation rapide du nombre de chauffeurs VTC inquiète, certes, les taxis, mais diminuer la fréquence des examens, alors que les demandes d’entrée dans le marché ne cessent d’augmenter, constituerait une restriction de l’accès à cette profession, ce qui ne serait pas acceptable.
Nous devons admettre que confier l’organisation des examens aux chambres de métiers et de l’artisanat, traditionnellement proches des taxis, est également de nature à inquiéter les VTC.
Autre source d’inquiétude : le durcissement de l’examen ne va pas dans le sens du développement des VTC. Je serai favorable à la mise en place d’un tronc commun de formation entre taxis et VTC si et seulement si les conditions d’accès à cet examen ne sont pas trop restrictives et que le cadre juridique est prochainement stabilisé.
La commission a fait le choix de supprimer l’article 6, qui confie aux CMA l’organisation de l’examen. Le rapporteur n’est pas opposé à cette mesure, mais il considère que ce transfert peut se faire par la voie réglementaire. D’ailleurs, mes chers collègues, je vous informe que c’est déjà le cas. Le Sénat n’a pas encore voté la mesure que le Gouvernement a déjà entrepris ce transfert !
J’ai ainsi sous les yeux le compte rendu d’une réunion qui s’est tenue le 25 octobre dernier en préfecture du Rhône, et qui avait pour ordre du jour la communication aux acteurs du secteur la future organisation de l’examen VTC par les CMA, sous le format d’un tronc commun VTC-taxis. La simple lecture de ce document et l’état d’avancement du dispositif montrent le peu d’intérêt que porte le ministère aux travaux du Parlement…
Sur le fond, l’article 5 doit être clairement aménagé par le législateur, sous peine de bloquer littéralement l’entrée dans la profession de VTC. En début d’année, l’État n’a pas été en mesure d’organiser l’examen pendant trois mois, empêchant ainsi les 2 000 candidats mensuels d’entrer sur le marché.
Je proposerai par voie d’amendement, lors de la discussion des articles, de border et de simplifier l’action réglementaire, en précisant que l’examen sera uniquement théorique et non pratique et qu’il sera régulier et accessible. Il devra par ailleurs être organisé par les centres que le Gouvernement a expressément agréés en début d’année, le modèle existant n’ayant fait l’objet d’aucune contestation jusqu’à présent.
Monsieur le secrétaire d’État, la création d’une épreuve pratique va tripler le coût de l’examen et en complexifier sensiblement l’accès. À raison d’une heure par candidat en région parisienne, nous craignons un véritable contingentement administratif. En effet, nous doutons que les CMA soient en mesure de recruter et de former des dizaines d’agents en ce sens pour le 1er janvier 2017.
Je rappelle enfin que nombre de chauffeurs de VTC sont des citoyens peu ou pas diplômés, n’ayant pas eu l’opportunité d’avoir accès à une formation qualifiante. L’examen ayant permis à plusieurs milliers d’entre eux de sortir du chômage, il a servi d’ascenseur social. La proposition de loi risque de casser cet élan. Nous devons faire en sorte de l’améliorer et de la rééquilibrer.
J’en profite pour féliciter M. le rapporteur, Jean-François Rapin, de son travail et pour le remercier des nombreux échanges que nous avons pu avoir sur ce texte. Mon groupe suivra sa position, mais, à titre personnel, je me réserve de voter différemment en fonction des débats.
Rappelons que le transport public particulier de personnes est l’un des secteurs les plus innovants, en plein essor en France comme dans le monde entier.
Mme Nicole Bricq. Exactement !
M. Cyril Pellevat. Je souligne que les VTC ne se limitent pas à la société américaine Uber ; il existe de nombreuses TPE et PME françaises de VTC. La proposition de loi pourrait affaiblir encore un peu plus celles-ci face au géant américain aux reins plus solides, au risque de les faire disparaître.
M. Charles Revet. Très bien !
M. Cyril Pellevat. Je n’oppose pas taxis et VTC. Je suis un utilisateur de taxis, mais également de VTC. Je souhaite simplement que le texte qui sortira de notre assemblée soit équilibré, non seulement pour les usagers des taxis et des VTC, mais aussi pour l’ensemble des chauffeurs qui font vivre le secteur.
La proposition de loi exprime à l’égard de la profession des VTC une certaine méfiance. Or, je le répète, les professions de chauffeurs de taxis ou de VTC peuvent cohabiter. Au lieu de brider ce secteur,…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue !
M. Cyril Pellevat. … nous devrions au contraire favoriser la modernisation des taxis, les encourager en ce sens et simplifier leurs statuts, afin de leur permettre d’être plus compétitifs. Il convient notamment de retravailler le problème des licences. En cela, je rejoins la position de Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Roux.
M. Jean-Yves Roux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le secteur du transport public particulier de personnes est une préoccupation très régulière de notre assemblée
Je suis pour ma part persuadé qu’il est de la responsabilité du législateur de prendre en compte activement ces nouvelles demandes, si fluctuantes soient-elles, et d’adapter dès qu’il le faut les règles existantes, surtout lorsque l’on s’aperçoit que certaines d’entre elles sont contournées. Je pense bien sûr aux dispositions sur les LOTI, aux risques pour la vie quotidienne des chauffeurs ou aux contradictions avec nos actions en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique et l’attractivité touristique.
Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à modifier très vite nos dispositions législatives et réglementaires. Nous sommes loin d’être les plus dogmatiques et les plus normatifs en la matière.
Partout dans le monde, en effet, les législations développées dans les plus grandes villes, à Londres ou New York, sur le partage de l’espace public et l’organisation du transport public de particuliers ne cessent de s’adapter et de se renforcer à mesure que le secteur évolue.
À Londres, l’ancien maire et actuel ministre des affaires étrangères du gouvernement de Mme Theresa May, M. Boris Johnson, souhaitait ainsi contingenter le nombre de VTC autorisés à circuler, car leur croissance récente avait augmenté les embouteillages dans la ville, ainsi que le nombre de voitures garées illégalement. Des entreprises de transport de particulier se sont vu retirer leur licence durant des périodes déterminées en Chine ou à New Delhi, là aussi à des fins de régulation du secteur.
Plus récemment, le 28 octobre dernier, un tribunal britannique a condamné la société Uber et requalifié le statut de deux chauffeurs de la compagnie d’auto-entrepreneurs en salariés bénéficiant des droits correspondants. Nous avons tout lieu de nous féliciter de cette décision.
Mme Nicole Bricq. Ce sera jugé en appel !
M. Jean-Yves Roux. Je préfère, mes chers collègues, que nous définissions ensemble des règles relatives aux conditions de travail des chauffeurs, plutôt que cette question soit réglée douloureusement par les tribunaux, et ce au détriment de l’ensemble de la communauté nationale.
Les législations visant spécifiquement ce secteur en pleine expansion évoluent donc toutes dans le même sens, celui d’un renforcement de la régulation du secteur, tirant vers le haut les conditions de recrutement et de formation des chauffeurs, ainsi que les exigences de sécurité. Cette proposition de loi obéit à la même logique.
À l’instar de mon collègue Jean-Jacques Filleul, je salue l’important travail de concertation mené de bout en bout et l’équilibre trouvé, qui permet d’organiser un secteur en mouvement permanent. La situation n’est pas simple. Durant ces quelques mois de discussion au Sénat, en effet, nous avons vu émerger un certain nombre d’interlocuteurs professionnels, dont certains de manière particulièrement soudaine, sans que l’on puisse parfois évaluer leur sérieux.
Je souligne également la volonté de prendre en compte une demande forte, générationnelle et touristique, en faveur d’une montée en gamme globale des services : c’est la raison pour laquelle nous proposons un amendement visant à systématiser la possibilité de recourir au paiement bancaire dans les taxis.
Les perspectives d’emploi de ces services, notamment de jeunes rencontrant des difficultés à s’insérer sur le marché du travail, pour qui ces secteurs constituent une vraie chance, nous engagent. Nous devons à ces chauffeurs le même degré d’exigence en matière de formation et de sécurité que pour les taxis, d’autant que nous devrons garder à l’esprit que, demain, la concurrence s’organisera avec des services de voitures sans chauffeur, et non plus seulement entre des voitures avec chauffeur.
Au total, la régulation exigeante de l’ensemble de ces services va indéniablement dans le sens de l’histoire.
Pour autant, nous ferions, je crois, une erreur majeure en ne voyant dans cette proposition de loi que l’expression d’un accord entre les taxis et les acteurs du VTC. En effet, même si plus des deux tiers des VTC sont situés dans l’aire urbaine de Paris, nous sommes à l’orée de stratégies de déploiement en province qui nécessitent des outils de régulation nationale, assorties de capacités d’action profondément décentralisées, au service de priorités d’aménagement du territoire.
Une enquête de décembre 2015, rapportée par l’ADEME, mentionne ainsi que 33 % des personnes ont déclaré que, en l’absence de services de VTC, elles auraient utilisé les transports en commun pour réaliser leur déplacement. Si l’usage des VTC entraîne une diminution de l’utilisation de la voiture, il entraîne également une baisse de l’usage de certains des modes alternatifs à la voiture personnelle.
À cet égard, l’article 2 initial de la proposition de loi Grandguillaume me paraît indispensable, car il replace bien l’offre de transport public particulier de personnes dans le cadre d’une politique globale de transport.
Aussi, la transmission de données, et non la fin du secret des affaires et la communication de données stratégiques, confidentielles, comme j’ai pu le lire dernièrement, est bien au cœur de politiques intermodales de transport de particuliers.
La proposition de loi Grandguillaume, en particulier son article 2, permet d’accompagner l’émergence de nouveaux modes d’organisation des déplacements urbains et périurbains intégrant les taxis et les VTC.
Le rapport de notre ancien collègue Yves Krattinger, intitulé Les Transports publics locaux en France : mettre les collectivités territoriales sur la bonne voie, qui date de janvier 2012, abordait déjà la nécessité de coordonner les initiatives. Il présentait ainsi comme une priorité la production d’une information multimodale. Par définition, cette information ne peut être produite qu’à plusieurs. C’est pourquoi elle nécessite une bonne coordination entre les différentes autorités organisatrices de transport.
Avec la numérisation et la présence de plateformes, ne nous y trompons pas, nous sommes passés d’une logique d’offre de transport public particulier de personnes à une logique d’adaptation de services de transport particulier à une multitude d’usagers.
L’étude de l’ADEME de juin 2016 sur les différentes formes de transport avec chauffeur VTC tire les mêmes conclusions. Elle indique cependant de manière liminaire que « paradoxalement, peu de données publiques existent sur la contribution des VTC aux systèmes de mobilité urbaine dans lesquels ils viennent s’insérer. »
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je défends avec la plus grande vigueur la possibilité pour les autorités chargées de l’organisation des transports, c'est-à-dire, pour l’essentiel, les collectivités territoriales, de disposer non seulement de données publiques pour exercer pleinement leur action au service des usagers, mais aussi de règles d’aménagement du territoire.
À ce jour, les perspectives liées à la transmission des données peuvent paraître embryonnaires, mais les tendances sont présentes. Ainsi, à terme, les sociétés de transports en commun pourraient établir plus systématiquement des partenariats avec des VTC, comme avec des taxis, afin d’assurer le besoin de mobilité des habitants des zones peu denses, moins bien desservies ou en prolongement des transports en commun.
À terme également, les actions très concrètes de lutte contre le réchauffement climatique menées à l’échelle des villes et des régions devront et pourront aussi tirer parti des données transmises.
En conclusion, mes chers collègues, je dirai que ce texte devra sans nul doute être réaménagé d’ici à quelques années. Il porte cependant en germe un modèle, celui d’une économie collaborative, fortement décentralisée, exigeante en termes de formation et de sécurité, qui doit être accompagnée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Guillaume Arnell et Jean Desessard applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. Je souhaite répondre en quelques mots aux questions qui m’ont été posées et aux inquiétudes qui se sont exprimées.
Monsieur le rapporteur, soyez-en sûr, je suis toujours, sur ce texte comme sur tout autre, attentif au travail du Sénat, que je n’ai jamais considéré comme une chambre d’enregistrement. Au contraire, je pense que le travail qui y est réalisé est souvent intéressant. La Haute Assemblée pose ainsi régulièrement les bons problèmes. La discussion que nous venons de mener est extrêmement instructive de ce point de vue. J’en veux pour preuve la démonstration brillante de M. Capo-Canellas.
Évidemment, il y a des questions juridiques concernant la répartition entre la compétence réglementaire et la compétence législative. Mais l’équilibre du texte repose avant tout sur une appréciation politique. Nous sommes donc pris entre ces deux feux.
Monsieur Capo-Canellas, vous pensez avoir juridiquement raison, mais vous reconnaissez qu’une lecture différente est possible, le Sénat pouvant être vu comme l’autorité qui remet en cause des engagements pris devant l’Assemblée nationale. Il y a là un vrai problème, qu’il nous appartient de lever, même si vous n’avez pas l’intention d’aller au bout de votre logique.
C’est pourquoi, vous l’aurez remarqué, j’ai essayé de répondre dans mon intervention à cette question de la nature, réglementaire ou non, de certaines mesures. Soyons très attentifs à cet aspect des choses. En tout état de cause, je le répète, l’intervention de M. Capo-Canellas, qui était tout à fait fondée, illustre bien la complexité du débat.
Je voudrais remercier tous les intervenants, soutiens ou opposants, de ne pas être tombés dans la caricature, qui consisterait à dire que le monde moderne s’impose à nous et à stigmatiser ceux qui voudraient s’y opposer.
Il y a certes une réalité qui s’impose à nous. De ce point de vue, j’ai trouvé très intéressante l’intervention de M. Pellevat. Nous avons bien compris qu’il est plutôt contre le fait de légiférer, mais, in fine, il reconnaît en toute sincérité qu’il y a une vraie difficulté et que nous aurions mieux fait d’avancer vers un vrai statut, éventuellement salarié, des VTC. Monsieur le sénateur, vous iriez donc au-delà de ce que nous avons osé faire… En tout cas, je vous remercie de votre démonstration, car telle est bien la question qui se pose à la fin, comme le disait Mme Didier.
Aujourd’hui, d’aucuns pensent que le nec plus ultra, c’est de travailler dans ce type de lien de subordination, car c’en est bien un : quand vous êtes « désactivé », vous n’avez plus de travail, alors que vous devez toujours payer votre loyer. À ceux-là, qui se trouvent aussi parfois dans le camp de la gauche et qui présentent le salariat comme une soumission insupportable, je rappelle que ce statut est historiquement une conquête. Au début du XIXe siècle, les gens travaillaient au jour le jour…
Mme Évelyne Didier. À la tâche !
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État. … et la construction idéologique du salariat, qui a germé non seulement dans les rangs de la gauche, mais également au sein de la démocratie chrétienne, a consisté à répondre à la situation que vivaient les journaliers de l’époque.
Il ne faut pas parer des atours du modernisme une situation qui, au fond, ressemble d’assez près au vieux monde. Ayons bien ces conquêtes à l’esprit, même si cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’espace pour évoluer.
Néanmoins, il appartient à ceux qui, aujourd’hui, ont la possibilité de faire avancer les choses d’apporter les bonnes réponses. Pour l’instant, elles ne viennent pas, mais peut-être vont-elles venir.
Même si comparaison n’est pas raison, regardez ce qui est se passe avec l’émergence des livreurs à domicile, autre nouvelle forme de travail. Ce secteur crée des milliers d’emplois, en France comme ailleurs.
On nous a beaucoup recommandé de le laisser se développer assez librement, car il donnait du travail aux gens. Jusqu’au jour où des accidents se sont produits, en France, mais aussi en Italie ! À Bordeaux, récemment, un livreur s’est fait renverser par une voiture et a été blessé gravement. C’est alors que l’on a découvert que ce garçon de vingt-cinq ans ne bénéficiait d’aucune couverture pour accident de travail, outre la prise en charge de ses soins. Cet exemple doit tous nous interpeller, y compris les plateformes ou les employeurs éventuels.
Il est essentiel que la responsabilisation sociale de tous, éventuellement via la négociation, permette d’apporter des réponses. On ne peut pas rester dans le statu quo pour des questions potentiellement aussi graves. Sinon, demain, dans nos permanences d’élus, nous recevrons nombre de victimes qui en appelleront à la solidarité nationale. Nous devons donc essayer d’avancer, peut-être vers le salariat, pour trouver des solutions à ces problématiques sociales essentielles. Ainsi, la lecture historique du phénomène que j’ai faite, si critiquable soit-elle, pourra être écartée grâce à ces initiatives.
Le législateur n’est pas encore allé jusque-là, monsieur Pellevat, mais, pour ma part, je pense qu’il vaut mieux que la question se règle par la négociation entre les partenaires. En tout cas, je le répète, il faudra bien avancer, faute de quoi les mêmes situations déboucheront demain sur les mêmes conflits.
Par ailleurs, plusieurs d’entre vous m’ont interrogé sur le fonds de garantie, qui faisait partie de la feuille de route que j’ai présentée. Nous avons réalisé un travail avec l’administration, pour examiner quels pourraient être ses contours et ses ambitions.
Plusieurs possibilités s’offraient à nous, mais nous ne sommes pas parvenus à dégager un consensus sur le sujet. J’avais donc demandé à l’ensemble des organisations syndicales, nombreuses dans ce secteur, de donner leur position par écrit, et je m’étais engagé à les publier, ce que nous avons fait voilà quelques semaines. Vous pouvez donc trouver sur le site du ministère toutes les contributions sur la question du fonds de garantie. Vous constaterez avec moi que l’on est loin du consensus.
Il y a ceux qui sont contre le principe ; il y a ceux qui sont pour, mais qui se demandent qui va payer, ce qui n’est pas un petit détail. Certains pensent que c’est à l’État de financer, d’autres, à savoir les taxis, pensent que seuls les VTC doivent payer, d’autres encore penchent pour que tout le monde paie. Il y a là une difficulté majeure, et je pense que le débat n’est pas clos.
Nous souhaitons donc reprendre cette négociation avec l’ensemble des parties prenantes dans les semaines qui viennent, car la question du fonds de garantie, au moins pour ceux qui sont le plus en difficulté, doit trouver une issue, même si le sujet du financement n’est pas aujourd’hui abouti.
Monsieur Pellevat a évoqué une information qu’il avait lue, comme moi, dans la presse, selon laquelle le Gouvernement anticiperait le résultat du vote sur la loi en organisant d’ores et déjà la suite. C’est la pure vérité, mais il en va toujours de même, pour tous les textes de loi. On ne peut pas à la fois interpeller le Gouvernement, quand on est parlementaire, sur la longueur des délais de publication des textes réglementaires, et lui reprocher de se préparer !
Évidemment, le Gouvernement ne va pas appliquer une loi si elle n’est pas votée. Mais en attendant, sur ce texte, comme sur beaucoup d’autres, je dois avouer que nous travaillons en amont sur les dispositions réglementaires. Et puisque nous sommes dans une démarche collective, il vaut mieux que les gens soient informés, d’où la tenue de la réunion que vous évoquez.
Par ailleurs, je tiens à le dire, le débat sur la résistance que nous opposerions à l’organisation des examens est sans fondement. L’État s’est même retrouvé devant le tribunal administratif, car l’examen n’avait pu être organisé qu’au mois de novembre, et non au mois d’octobre comme prévu, pour des raisons matérielles ! Je signale à ce propos que le tribunal nous a donné raison.
Tout cela ne me paraît pas aller dans le bon sens, car nous sommes en train de nourrir des polémiques inutiles, qui ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Monsieur Arnell, j’ai apprécié votre intervention. Sur le principe, nous sommes d’accord avec votre constat : la concurrence, lorsqu’elle est saine, ne peut profiter qu’à l’usager. Néanmoins, vous l’avez également constaté, ces conditions ne sont pas toujours réunies.
En outre, vous avez évoqué la nécessité de lutter contre la paupérisation des chauffeurs VTC. La question est bien là : s’il s’agissait d’un monde merveilleux dans lequel on pourrait entrer sans diplôme et exercer son activité en tant que travailleur indépendant, personne n’y trouverait rien à redire. Mais la réalité est tout autre, nous le savons bien.
Partout dans le monde, comme au sein du Parlement français, on débat de plus en plus pour trouver une bonne organisation. Je dois en convenir, j’étais plus interrogatif au début, lorsque le Premier ministre m’a confié cette mission, avec l’appui de la médiation de Laurent Grandguillaume. Nous avons affaire à des professionnels responsables ayant bien compris que, du fait de l’émergence de la modernité, ces nouveaux modèles permettent à d’autres d’avoir accès à la mobilité. C’est important, mais on ne peut pas rester dans cette situation.
En France, l’utilisation détournée de la LOTI, qui aggrave le problème et les sanctions, n’est pas le fait des chauffeurs VTC, qui ont juste envie, au départ, d’exercer cette profession. À quoi sommes-nous confrontés ? Pour être très clairs, à une publicité sur les plateformes – nous en avons fait une capture d’écran – qui demande : « Comment devenir chauffeur VTC ? Encore plus simple que la loi, la LOTI permet d’éviter certaines procédures, comme un examen, etc. » (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
Ici, nous faisons la loi et nous devons respecter les textes. Or il existe peu de cas de figure où les pouvoirs publics ont été confrontés à une fraude aussi massive, dont les victimes sont non seulement les chauffeurs de taxi, mais aussi les chauffeurs VTC.
Lorsque nous nous sommes aperçus de ces détournements massifs, nous avons demandé la liste des acteurs concernés. Mais comme ces gens détiennent une expertise juridique extraordinaire et des moyens considérables, on nous a répondu que la loi d’origine, qui n’avait évidemment pas prévu la fraude, ne nous permettait pas de les obtenir. Il ne faut pas refaire l’histoire ; c’est ainsi que les choses se sont passées, malheureusement, et il aurait pu en aller autrement.
Je reste persuadé que nous pouvons trouver une issue. Je tiens à remercier ceux qui ont participé à toutes les tables rondes. Comme l’ont souligné certains d’entre vous, il faudra peut-être y revenir – pour ne pas dire que nous devrons assurément y revenir.