M. François-Noël Buffet, rapporteur. Sur l’amendement n° 9, défendu par M. Mézard, l’avis de la commission est défavorable. En effet, ses auteurs refusent simplement l’augmentation des délais de prescription des délits et des crimes.
J’en viens aux amendements nos 6 rectifié bis et 7 rectifié bis, présentés par Mme Jouanno. Le premier d’entre eux vise à établir l’imprescriptibilité des crimes commis sur des mineurs ; le second, à défaut, tend à fixer pour ces crimes un délai de prescription de trente ans.
La commission est défavorable à ces deux amendements, pour des raisons que nous avons déjà exposées. Pour le premier, nous estimons que l’imprescriptibilité n’est pas souhaitable, quelle que soit la nature de l’infraction, en dehors des crimes contre l’humanité, dont nous avons rappelé la spécificité. Pour le second, la décision n’a pas été facile. Néanmoins, au vu des auditions et de ce que nous avons pu en comprendre et en tirer, il nous est apparu raisonnable de nous en tenir aujourd’hui à un délai de vingt ans. Outre le maintien du principe de la prescription, nous avons surtout voulu que la qualité des preuves puisse prospérer et que l’on puisse aboutir à un procès où le risque d’acquittement de l’accusé ne soit pas trop élevé. En effet, un acquittement peut au final s’avérer plus ravageur. Nous préférons que le procès se tienne beaucoup plus tôt, ce qui permet de préserver les preuves.
Concernant l’amendement n° 1 rectifié quater, pour être tout à fait honnête, je n’en ai pas très bien compris l’objet : il tend à créer le délit de non-dénonciation de délits sur mineur. Or le droit prévoit, à travers les dispositions de l’article 434–3 du code pénal, un délit de non-dénonciation de délits sur mineur. Dès lors que la prescription sera de six ans, ce délit s’appliquera sans difficulté aux faits que vise tout particulièrement M. Kaltenbach, à compter de la majorité de la personne. Le droit positif suffit donc largement et me semble beaucoup plus clair. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
L’amendement n° 5 rectifié quater vise à porter le délai de prescription de dix ans à vingt ans pour les délits commis sur mineurs prévus à l’article 706–47 du code de procédure pénale. Pour la commission, lorsqu’il s’agit d’un délit, le délai de dix ans, qui commence à courir à compter de la majorité de la victime, semble satisfaisant. C’est pourquoi elle émet également un avis défavorable.
La commission émet aussi un avis défavorable sur l’amendement n° 4 rectifié quater, qui tend à faire passer de vingt ans à trente ans la prescription pour les délits de violence ayant entraîné une ITT supérieure à huit jours.
La commission émet en revanche un avis favorable sur le sous-amendement n° 17 rectifié, qui tend à réinscrire le délai de prescription de six ans, ce qui paraît équilibré.
La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 3 rectifié quater, qui a pour objet de porter à trente ans la prescription des infractions sur des mineurs. Je me suis déjà expliqué sur ce sujet.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’analyse de la commission des lois. Il ne peut qu’être défavorable à la position de Jacques Mézard, qui s’oppose au principe même de la proposition de loi : il considère au contraire que les progrès réalisés en matière de recueil, d’exploitation ou de conservation des preuves nécessitent d’envisager de nouveau un allongement des délais de prescription.
Le Gouvernement considère également que le délai de vingt ans pour les délits les plus graves commis sur les mineurs est suffisant au regard à la fois du report du point de départ à la majorité des victimes et de la difficulté qu’il y aurait à juger ces affaires trop longtemps après la commission des faits. C’est pourquoi il émet un avis défavorable sur les amendements visant à prévoir des évolutions dans ce domaine. En revanche, il émet un avis favorable sur les amendements de la commission des lois.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Je tiens à remercier Mme Jouanno d’avoir posé, à travers son premier amendement, la question de l’imprescriptibilité. C’est en effet le vrai sujet de ce débat. Je peux comprendre que, pour certains, les violences sexuelles sur les enfants soient tellement graves qu’elles ne puissent jamais être prescrites. Dans ce cas-là, c’est le principe même de la prescription en matière pénale qui doit être rebattu. Après tout, on pourrait très bien concevoir que, dans notre société, aucune prescription n’existe pour les crimes et délits.
La proposition de loi modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles de Mmes Dini et Jouanno, dont Philippe Kaltenbach était le rapporteur, a été déposée à une période où la plupart des crimes étaient prescrits par dix ans : il fallait donc instaurer des dispositions particulières pour les violences sexuelles commises sur des enfants. Nous fixons aujourd'hui un cadre général et le texte que nous examinons apporte des clarifications, en prévoyant un rythme de prescription qui soit à peu près analogue.
Cela ne signifie nullement que l’on considère que les violences sexuelles faites aux mineurs ne sont pas des actes graves – ce sont des actes graves ! – : il faut sensibiliser la société et les poursuivre le plus vite possible ; voilà le vrai sujet. C’est ainsi que l’on évitera des amnésies post-traumatiques. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.
Mme Chantal Jouanno. J’ai un peu de mal à entendre, et ce dans les différents sens du terme, ce qui vient d’être dit.
Je rappelle qu’un certain nombre de pays ont voté l’imprescriptibilité pour les crimes sexuels sur mineurs : la Suisse, le Canada et, dernièrement, le gouvernement de Californie. À mon avis, ces États n’ont pas pris ces décisions à la légère. Ils ont constaté que les crimes sexuels commis sur des mineurs avaient des conséquences en chaîne extrêmement graves et pouvaient être considérés comme des phénomènes épidémiques qui se reproduisaient. C’est bien la réalité en France, il n’est qu’à citer les chiffres du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes : 84 000 viols ou tentatives de viol par an, plus de 14 000 sur des hommes. Ce sont des chiffres énormes, qui plus est ils ne baissent pas.
Il faudrait, selon certains, faire en sorte que la révélation ait lieu le plus tôt possible, mais, dans 90 % des cas, les auteurs de ces actes sont des proches ! Il n’y aura donc pas de révélation par les proches.
Je comprends très bien que la question de l’imprescriptibilité entraîne un débat extrêmement lourd, puisque nous avons fait le choix de la limiter aux crimes contre l’humanité.
J’en viens au délai de trente ans. Comment comprendre que l’on traite exactement de la même manière des crimes sexuels commis sur des adultes et des crimes sexuels commis sur des mineurs quand on voit les conséquences sur les enfants ? Comment comprendre que la France ait jusqu’à présent jugé nécessaires des délais de prescription différents entre adultes et mineurs et que ce ne soit plus le cas aujourd'hui ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Ce texte présente l’intérêt de clarifier et de codifier un certain nombre de règles relatives à la prescription de l’action publique et des peines qui sont aujourd’hui dans la jurisprudence.
Toutefois – et c’est l’objet de l’amendement n° 9 que je soutiendrai –, doubler les délais de prescription sur l’action publique pour les délits et les crimes me semble très dangereux, pour des raisons tant philosophiques que techniques.
La notion même de prescription jour un rôle dans la pacification de la société et sa cohésion. J’entends bien ce que l’on peut dire sur les crimes les plus graves et les crimes sexuels, mais des dispositions particulières sont déjà prévues, qui prennent en compte cette spécificité et prévoient un délai jusqu’à vingt ans après la majorité. Faire vivre la société en se projetant dans son avenir et non dans son passé est essentiel, la notion de pardon l’est tout autant.
Par ailleurs, il faut reconnaître que la capacité d’administration d’une preuve s’estompe avec le temps, la mémoire s’étiole, se déforme. De ce point de vue, nous ne pouvons considérer que l’augmentation des délais de prescription améliorera la qualité de la justice.
Je relève en outre deux contradictions. Il est question des nouvelles technologies, mais les nouvelles technologies nous permettent d’aller plus vite, elles ne justifient pas de doubler les délais. Pourquoi des analyses demandées par les magistrats à la police scientifique mettent-elles si longtemps à être réalisées ? Il ne faudrait pas qu’il s’agisse d’une simple mesure de confort et que cela revienne à adapter les délais aux moyens de la justice. Ce sont les moyens qui sont nécessaires. En votant un doublement des délais de prescription, nous obtiendrons une justice plus lente et moins efficace.
Par conséquent, l'amendement n° 9, qui vise à éviter ce doublement des délais de prescription, est favorable aux victimes. Il permet en effet de se concentrer sur les moyens pour avoir une justice rapide et efficace et non une justice de confort où l’on adapte les délais aux moyens. (M. Jacques Mézard et Mme Cécile Cukierman applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour explication de vote.
M. Jean-François Longeot. Je ne veux pas du tout me placer en donneur de leçons ou porter un jugement. Sur ce dossier, il ne faut pas raisonner de façon uniquement juridique, en évoquant l’encombrement de la justice, sa lenteur, que sais-je encore, il faut une approche beaucoup plus humaine. Dans cette optique, porter le délai à trente ans me paraît important. C’est pourquoi je soutiendrai les amendements de Chantal Jouanno.
Il ne s’agit pas d’un sujet facile, mais mon intime conviction est la suivante : il faut allonger ce délai de vingt ans. (Mme Chantal Jouanno et M. Loïc Hervé applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.
M. Philippe Kaltenbach. Même si je salue le travail du rapporteur, j’avoue être un peu déçu par sa position sur l’allongement du délai de prescription à trente ans. J’avais même cru pouvoir le convaincre, au mois de mai dernier, lors de l’examen de ce texte par la commission, puisqu’il avait lui-même déposé le 23 mai un amendement visant à porter ce délai à trente ans. J’avais d’ailleurs demandé que soit entendu le docteur Guérin, qui explique de façon extrêmement convaincante le phénomène de l’amnésie traumatique.
Malheureusement, dans cet hémicycle, une majorité n’est pas favorable à l’allongement de ce délai. À la suite de Chantal Jouanno, je tiens à insister sur le fait que, lors de l’examen de la proposition de loi cosignée par Mmes Dini et Jouanno il y a trois ans, nous avons voté cette disposition après un long débat, considérant alors que les crimes sexuels sur enfants étaient très graves, inacceptables, qu’ils se reproduisaient. En outre, le prédateur sexuel qui viole des enfants mineurs a malheureusement tendance à réitérer son geste et à ne pas s’arrêter. Il faut donc tout mettre en œuvre pour l’arrêter. En allongeant les délais de prescription, on se donne des outils supplémentaires.
Qui plus est, il faut penser aux victimes, qui sont profondément traumatisées par ce qu’elles ont subi : elles en porteront leur vie durant les conséquences extrêmement graves et lourdes. Les victimes demandent l’imprescriptibilité, je les ai rencontrées. En allongeant le délai de prescription, on répond à une demande forte en leur permettant d’agir plus longtemps.
Les victimes ont en effet expliqué que, bien souvent, la fin de l’amnésie traumatique arrivait après quarante ans. Avec la disposition prévue, vingt ans après la majorité, on arrive à trente-huit ans. En portant le délai à trente ans, on fait un geste en direction des victimes, on rend notre justice plus efficace pour lutter contre les prédateurs sexuels qui s’attaquent à des enfants et on fait évoluer le droit dans un sens favorable à la défense des victimes et à la lutte contre les violences sexuelles sur mineurs.
Il est vrai qu’il s’agit d’un système un peu dérogatoire, mais, face à de tels crimes, il faut savoir être humain, souple et trouver les meilleures armes juridiques. C’est pourquoi je maintiens les amendements que j’ai déposés.
Mme la présidente. La parole est à M. François Pillet, pour explication de vote.
M. François Pillet. Je partage l’analyse sur la prescription et ce qui la fonde. Dans notre État de droit, la prescription permet que l’ordre public ne soit pas à nouveau troublé lorsque le temps l’a apaisé. La prescription protège également la justice de l’érosion et de la mauvaise qualité de la preuve, vous l’avez tous évoqué. Par conséquent, par la prescription, la justice se protège elle-même des erreurs qu’elle pourrait commettre. C’est très important.
Je comprends parfaitement que l’on insiste sur le caractère gravissime de certains crimes. Comme l’a excellemment dit, dans une formule que je retiens, Jacques Bigot, à la fin d’une session d’assises, du côté de l’accusation, il y a un coupable ou un innocent, mais, du côté de la victime, quoi qu’ait été décidé, la victime reste la victime.
J’évoquerai une expérience professionnelle, même si elle n’a pas sa place dans un hémicycle, puisque ni sa qualité ni, a fortiori, son intensité ne peuvent être mesurées. Lorsque vous avez reçu dans votre cabinet de telles victimes, quinze ans, voire vingt ans après les faits et que l’instruction est telle que la preuve n’est pas là, qu’attend-on de la session d’assises sinon qu’elle participe à la thérapeutique ?
M. Philippe Kaltenbach. À la reconstruction !
M. François Pillet. Non, la justice n’est pas une thérapeutique.
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. François Pillet. Qui pis est, lorsque, à la fin de la session d’assises, on aura dit à la victime que le coupable ne l’est pas, on aura rouvert une blessure qui deviendra alors inguérissable, parce que le débat aura eu lieu dans la sphère publique et aura montré que les preuves n’étaient pas là.
Je comprends, je partage même la volonté de protéger la victime, mais, ce faisant, vous allez renforcer son état de fragilité. Je le répète, la justice n’est pas une thérapeutique : il faut trouver d’autres voies pour œuvrer en faveur de la guérison de la victime et pour que justice lui soit rendue. (M. François Commeinhes et M. Philippe Bas, président de la commission des lois, applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Les amendements qui ont été présentés ont permis de mettre en évidence l’aspect humain, qui est tout à fait légitime dans ce débat.
Je salue le travail mené par nos collègues de la commission des lois sur cette proposition de loi. Modifier le code pénal est très compliqué et je me rallie bien évidemment à la position du rapporteur.
Nous ne pouvons qu’être interpellés par ces drames, ces crimes sur mineurs, mais il faut faire confiance à la justice et à l’engagement de tous ceux qui œuvrent dans ce cadre et jouent un rôle fondamental. Nous parlons de l’efficacité de la justice. Il faut trouver des solutions et défendre les victimes innocentes, les plus jeunes. Cela passe aussi par l’engagement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Au regard des remarques que nous avons formulées dans la discussion générale, nous voterons l’amendement n° 9 et faisons nôtres les arguments que Jacques Mézard a avancés en le présentant.
J’en viens aux autres amendements. Il faut veiller à se préserver de toute émotion quand nous pensons à ces victimes. Nous sommes touchés, car nous pouvons toutes et tous être une victime potentielle demain. Ce n’est pas cela qui doit nous animer aujourd’hui, au moment d’élaborer la loi.
Quand on parle de souplesse, on ne garantit plus l’équité et ce que doit être la justice dans notre pays. Même si c’est difficile à dire, je trouve que l’on oublie que le temps de l’instruction et le procès permettent de garantir la justice aux deux parties, à la victime comme à la personne qui sera peut-être reconnue coupable.
Cette fuite en avant du temps de la prescription n’offre pas nécessairement la garantie d’une véritable justice, tant pour la victime que pour la personne qui, à l’issue du procès, sera ou non reconnue coupable.
Il a également été question du choc traumatique. Vous l’avez rappelé, madame Jouanno, nous en avons déjà débattu lors de l’examen de la proposition de loi que vous avez cosignée avec Mme Dini. Peut-être faut-il reprendre ce dossier du point de vue législatif et pénal et revoir le point de départ du délai de la prescription. En effet, c’est au moment où la victime a conscience de ce qui lui est arrivé que cela commence. En revanche, ce n’est pas en allongeant le délai de prescription à trente ans – pourquoi ne pas le porter à quarante ans, voire rendre le délit imprescriptible ? – que l’on réglera la question, notamment les problèmes de choc post-traumatique.
C’est pourquoi, en l’état, nous ne voterons pas ces différents amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Il s’agit là d’un sujet extrêmement sensible. Nous avons rarement dans cet hémicycle des discussions sur un texte qui touche à la conscience de chacun. Il n’y a pas de vérité absolue sur la question qui nous est posée aujourd’hui.
Un travail de fond a été mené en commission.
Mme Cécile Cukierman. Un vrai travail !
M. Yves Détraigne. François Pillet a bien souligné qu’il fallait un droit à l’oubli. Il ne faut pas faire remonter à la surface des affaires anciennes que le temps n’a pas fait oublier – on n’oublie jamais certains traumatismes –, mais qui a permis d’apaiser la société.
Je l’ai dit lors de la discussion générale, la prescription est un élément du vivre ensemble. Je crois sincèrement qu’il faut à un moment que l’oubli arrive, ne serait-ce que pour la régulation de notre société, même s’il est vrai que ce n’est pas possible pour tout le monde – il est des traumatismes que l’on n’oublie jamais lorsque l’on en a été la victime.
En droit, on dit souvent qu’en raison de l’ordre public on n’appliquera pas telle ou telle disposition. Selon moi, en raison de l’ordre public, il faut une prescription. C’est pourquoi je me rangerai à la position de la commission.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Bien sûr, je voterai mon amendement.
M. Philippe Kaltenbach. Quelle surprise ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jacques Mézard. Il arrive que l’on retire ses amendements après avoir été convaincu par les arguments des autres. Pour votre part, monsieur Kaltenbach, vous ne m’avez absolument pas convaincu. C’est la raison pour laquelle je voterai mon amendement avec encore plus de résolution.
Ce n’est pas parce que l’on est opposé à l’allongement des délais de prescription que l’on n’est pas sensible aux problèmes des victimes et que l’on ne s’en préoccupe pas. Je rappelle d’ailleurs que l’expression « victimes innocentes » est un pléonasme.
Ce n’est pas protéger les victimes que d’allonger les délais de prescription. Certes, cela fait plaisir à un certain nombre d’associations – on connaît aujourd’hui le fonctionnement d’un certain nombre de courants. Pour ma part, si je respecte toutes les opinions, je pense que nous ne faisons pas du bon travail et que ce n’est pas le moyen de protéger les victimes.
Dans la discussion générale, j’ai parlé de l’échelle des peines.
Mme Cécile Cukierman. Oui !
M. Jacques Mézard. Bien sûr, s’attaquer à des mineurs, à des enfants, est absolument intolérable, mais tuer des gens l’est tout autant !
M. Jean-Pierre Sueur. Bien sûr !
M. Jacques Mézard. François Pillet a raison de dire que l’expérience professionnelle est subjective et qu’il ne faut pas en abuser. Reste qu’elle permet d’avoir un certain recul. Compte tenu des modifications des jurisprudences de nos tribunaux et de nos cours au regard de certains types d’infractions en une trentaine d’années, il faut être extrêmement prudent lorsque l’on prend des décisions sans tenir compte de l’échelle des peines.
Je le redis, car j’en suis convaincu – c’est notre rôle de dire ce que l’on croit être bon, même si l’on se trompe –, nous faisons du mauvais travail, qui aura des conséquences dans les années à venir.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je tiens à expliquer le cheminement qui a conduit la commission à présenter à la Haute Assemblée un texte qui ne touche pas aux délais de prescription concernant les infractions commises contre les mineurs. Personne ici, quel qu’il soit, ne manque d’humanité à l’égard des victimes (M. Jacques Mézard opine.), singulièrement les mineurs, agressées par ceux qu’il faut appeler des criminels. Il n’y a pas de doute sur ce point.
Lorsque nous avons eu à travailler, décider et légiférer sur un sujet aussi important que celui de savoir si nous prolongions le délai de prescription pour ce type d’infraction, je me suis posé deux questions.
En premier lieu, du point de vue judiciaire, cela fera-t-il avancer la qualité du procès ? La vérité judiciaire et la poursuite criminelle en seront-elles meilleures ?
En second lieu, le procès constitue-t-il, en la circonstance, un moyen de thérapie pour les victimes ? (Mme Chantal Jouanno s’exclame.) C’est une question légitime, ainsi que l’a relevé François Pillet.
C’est la raison pour laquelle la commission des lois a auditionné de nombreux magistrats, qui nous ont très clairement indiqué que, dans ce type de dossiers, plus les procédures étaient engagées tardivement, moins le procès prospérait, faute de preuves.
M. Jacques Mézard. C’est évident !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Bien sûr, nous le regrettons, mais, dans la grande majorité des cas, les infractions commises ne permettent pas, vingt ans, trente ans ou quarante ans plus tard, d’établir la preuve et aboutissent toutes à des non-lieux, des acquittements, des relaxes, voire rien du tout si l’auteur est décédé.
Le procès a-t-il alors un rôle thérapeutique ?
Mme Chantal Jouanno. Personne n’a parlé de thérapie !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ma chère collègue, vous ne pouviez participer aux auditions que la commission a organisées dans le cadre de ce texte avec les associations qui ont évoqué ce sujet, je le regrette d’ailleurs. C’est la raison pour laquelle j’en livre le résultat à la Haute Assemblée. J’ai interrogé le chef de service de l’unité médico-judiciaire judiciaire de l'Hôtel-Dieu, sa réponse était formelle : le fait que la procédure et le procès soient engagés très longtemps après la commission des faits ne règle pas du tout le problème ; ce n’est de toute façon pas leur rôle, a-t-elle ajouté, ce qui est une remarque assez juste. Selon elle, le délai de vingt ans à compter de la majorité est largement suffisant.
Ce qui compte, c’est de se donner les moyens de sensibiliser les victimes le plus tôt possible (M. Jacques Mézard opine.) pour qu’elles puissent elles-mêmes être en mesure d’engager les procédures le plus tôt possible. À partir de là, le délai de vingt ans courant à partir de la majorité, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de trente-huit ans, suffit, si l’on est bien organisé, pour que les procédures puissent être engagées.
Face à ces deux éléments, qui m’ont paru importants, j’ai considéré qu’il fallait maintenir le délai de vingt ans.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 6 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 7 rectifié bis.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié quater.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié quater.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié quater.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 17 rectifié.
(Le sous-amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, l'amendement n° 3 rectifié quater n'a plus d'objet.
L'amendement n° 11 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 13
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Par dérogation au premier alinéa des articles 7 et 8 du présent code, le délai de prescription de l'action publique de l'infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique, sans toutefois que le délai de prescription puisse excéder douze années révolues pour les délits et trente années révolues pour les crimes à compter du jour où l'infraction a été commise.
II. – Après l’alinéa 14
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Est dissimulée l'infraction dont l'auteur accomplit délibérément toute manœuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux. Cet amendement vise à rétablir la règle du report du point de départ de la prescription en cas d’infraction dissimulée, qui figurait dans la version initiale de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale. Il s’agit de l’un des points d’équilibre essentiels du texte.
Il ne me paraît pas souhaitable de ne retenir que l’hypothèse trop restrictive des infractions occultes par nature. Une telle restriction constituerait un retour en arrière, en particulier dans le domaine des infractions financières, par rapport aux avancées de la jurisprudence.
Sur ce point, la commission des lois du Sénat a amendé le texte afin d’améliorer sa rédaction, mais également de renforcer sa sécurité juridique.
Tel est le sens de l’introduction d’un délai butoir de prescription, afin que les règles de report du point de départ de la prescription ne conduisent pas à une imprescriptibilité de fait. Cette préoccupation est partagée par le Gouvernement.
C’est la raison pour laquelle l’amendement que je vous propose en conserve le principe tout en procédant à une réécriture, en augmentant la durée de dix à douze ans correspondant au double de la nouvelle prescription de droit commun de six ans, soit deux fois six ans.
En effet, si on retenait des délais plus courts, comme cela existait, on empêcherait des poursuites d’affaires financières d’une importance particulière, comme il en existe actuellement. Je n’imagine pas que le Sénat puisse ne pas souhaiter instaurer cette imprescriptibilité.