M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Enfin, et c’est sans doute là qu’une vraie volonté politique s’impose, il faut revoir l’éducation des jeunes générations, reconquérir les esprits, oser faire le constat de l’échec patent d’un système scolaire qui, par amour de la différence, fabrique l’exclusion ! Il faut renouer avec la fierté d’être Français et réapprendre à nos enfants un récit national.
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. Éric Doligé. Ce n’est pas la gauche qui le fera !
Mme Dominique Estrosi Sassone. « Nul ne naît fanatique, nous dit Edgar Morin. Il peut le devenir progressivement s’il s’enferme dans des modes pervers ou illusoires de connaissance. » Voilà la clef qui nous permettra de gagner cette guerre. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC se lèvent et applaudissent longuement.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est en ce jour de célébration du 14 juillet que notre peuple a été frappé à Nice, avec haine, avec rage, avec cruauté, par un individu au profil encore mal défini aujourd’hui, islamiste radical de la dernière heure.
Ainsi, 84 personnes sont décédées, parmi lesquelles 10 enfants. Des dizaines de blessés sont très gravement atteints et certains luttent encore pour la vie. À cet instant, mes pensées vont vers toutes ces familles et leurs proches, et je veux ici saluer toutes celles et ceux – policiers, gendarmes, pompiers, secouristes, personnels hospitaliers et particuliers – qui ont su faire preuve d’un grand courage.
Cette attaque sauvage a suscité d’emblée un immense désarroi dans la population, mais aussi chez de nombreux responsables politiques. Que faire contre un assaillant isolé, sans lien évident avec une organisation terroriste, bien éloigné du profil type de l’apprenti terroriste ? C’est tout le paradoxe du débat qui nous intéresse aujourd’hui.
Face à l’émotion, à la colère, au sentiment d’impuissance, nombreux sont ceux qui, tout en qualifiant l’attentat de Nice d’imprévisible, voire de fatal, exigent dans le même temps la prolongation de l’état d’urgence, qui s’est, en l’occurrence, révélé totalement inefficace.
Aussi, dans une précipitation extrême, les députés ont adopté un texte qui ne répond en rien à la situation niçoise, pas plus qu’il ne répond au légitime besoin de sécurité exprimé par nos concitoyens.
En outre, cette précipitation ne permet pas d’aborder le point clef de la bataille contre Daech : reconstruire une région dévastée par la logique de guerre des Occidentaux. Avec l’ONU, il faut mettre fin aux stratégies déstabilisatrices et engager une logique de paix. Cessons aussi des amitiés coupables dans cette région et permettons enfin la création d’un État palestinien.
Avec mes amis du groupe CRC, je le dis clairement : il ne faut pas céder à une certaine facilité en prolongeant de six mois l’état d’urgence et en lui conférant, de fait, un caractère permanent.
Oui, le risque zéro n’existe pas, et personne n’a de baguette magique. Pour autant, il faut avoir le courage de mettre un terme à cette procédure d’exception en ouvrant le débat sur les moyens politiques, économiques et sociaux pour faire face sur le long terme à la menace, pour limiter au maximum le risque.
Le 14 juillet, quelques heures avant le drame, François Hollande déclarait : « On ne peut pas prolonger l’état d’urgence éternellement ! » Il indiquait que la loi pouvait maintenant prendre le relais. Il faudra m’expliquer, monsieur le Premier ministre, monsieur le président de la commission des lois, en quoi la tragédie de Nice, contre laquelle l’état d’urgence ne pouvait rien, justifie ce contresens essentiel : on prolonge quelque chose qui n’a rien empêché.
La droite de l’hémicycle me répondra qu’il faut durcir l’état d’urgence, enfermer tous les suspects, expulser à tour de bras, interdire les rassemblements.
M. Antoine Lefèvre. Caricature !
Mme Éliane Assassi. Elle nous traitera encore une fois, et comme d’autres, de laxistes, ce que nous ne sommes pas.
Pour nous, cette surenchère n’est pas responsable. Elle ne répond en rien à la situation de Nice. Elle est d’ordre politique. Elle est motivée principalement par des positionnements préélectoraux. Nous assistons à une véritable course à l’échalote pour éviter d’être vilipendés par un Front national aux aguets, se délectant d’une situation qui favorise la montée de la haine, du racisme. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Vous avez la mémoire courte, chers collègues !
Mme Éliane Assassi. Mes chers collègues, je le répète, on ne combat pas le Front national en allant sur son terrain, celui de la guerre et de la confrontation mortifère. On le combat en remettant la France debout,…
M. Éric Doligé. Ce n’est pas vous qui allez la remettre debout !
Mme Éliane Assassi. … en recréant le lien social et la solidarité, en redonnant de l’espérance au quotidien et pour l’avenir.
M. Bernard Vera. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Les politiques libérales, défendues aujourd’hui comme hier, détruisent ce lien, créent de l’individualisme, de l’exclusion, alors que la riposte à ce terrorisme exige une France solidaire.
Le bilan de l’état d’urgence n’est pas très favorable. Sur les milliers de perquisitions administratives des premières semaines, les procédures pour terrorisme se comptent sur les doigts de la main. L’affaire la plus sérieuse, celle d’Argenteuil, avec l’arrestation le 24 mars dernier de Reda Kriket, détenteur d’un véritable arsenal, a été menée dans le cadre de la procédure de droit commun.
L’état d’urgence, hormis l’ajout concernant les outils informatiques et les quelques concessions faites à la droite parlementaire, se distingue essentiellement du droit commun par les moyens d’interdiction de manifester et de se réunir. Ce fait est assez symbolique du danger que fait courir à l’équilibre démocratique la persistance d’un état d’exception. La démocratie doit continuer à vivre, et pleinement.
Je l’ai souligné lors de la réunion du Parlement en Congrès à Versailles le 16 novembre dernier, la victoire de Daech serait de contraindre notre pays à des reculs en matière de libertés publiques. Ne cédons pas en pérennisant l’état d’urgence : notre pays doit avoir les moyens de faire face à cette menace dans le cadre du droit commun.
L’action d’un déséquilibré, vassal de la dernière heure de Daech, doit-elle ébranler l’état de droit en France ? La question mérite d’être posée. Il faut avoir le courage d’affirmer que l’éradication de la menace djihadiste, véritable fascisme des temps modernes, sera un long combat, qui doit mobiliser toute la société, toutes nos institutions, le peuple tout entier.
Cette mobilisation générale exige tout d’abord des moyens. Tout le monde le sait, la police, la gendarmerie, l’armée, sont exsangues. La réduction drastique de leurs moyens par les années de présidence de M. Sarkozy les a considérablement affaiblies, comme la désorganisation du renseignement.
M. Thierry Foucaud. Exactement !
Mme Éliane Assassi. La justice doit être redressée. Quels sont aujourd’hui les moyens en suivi psychologique ? Où en est la protection judiciaire de la jeunesse ? Derrière l’affichage contre la radicalisation, l’affaiblissement de notre appareil judiciaire, pénitentiaire et policier est patent. L’école, nos collectivités et le mouvement associatif sont bien sûr aux premières loges de cette bataille. C’est un grand effort financier qui doit être engagé pour mobiliser tous ces acteurs. Le projet de loi de finances pour 2017 devrait en être la traduction.
L’état d’urgence a trouvé ses limites en matière de politique répressive. C’est maintenant un autre état d’urgence que vous devez déclencher, monsieur le Premier ministre, celui de la mise en mouvement de la société, pour repousser la division. Cet état d’urgence populaire doit s’appuyer sur une autre politique économique et budgétaire. Oui, l’argent doit être mis au service du vivre ensemble et non pas toujours et encore à celui de quelques intérêts privés.
Notre société va mal.
M. Éric Doligé. Vous avez tout compris ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Nos concitoyens refusent les choix libéraux, comme cette désastreuse loi Travail. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Ils aspirent à vivre en paix, à vivre en sécurité, à vivre heureux, au travail comme en famille, avec leurs amis. L’état d’urgence sécuritaire, cette surenchère souvent indécente et irresponsable, ne répond en rien à cette attente.
C’est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen votera unanimement contre ce projet de loi, qui ferme les portes au lieu d’ouvrir des espérances. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce 14 juillet 2016, la fête nationale s’est transformée en tragédie nationale. Cette date restera marquée dans notre histoire comme une tache, comme une date de douleur et de colère.
À mon tour, je tiens à saluer, au nom du groupe socialiste et républicain, la mémoire des femmes et des hommes qui ont succombé dans cette attaque terroriste. Mes pensées vont aux blessés. Je salue également les familles touchées, meurtries par cet attentat. Je salue les Niçoises et les Niçois, qui ont payé un lourd tribut.
Je tiens également à adresser un salut amical et fraternel aux cinq sénateurs des Alpes-Maritimes : Marc Daunis, Dominique Estrosi Sassone, Colette Giudicelli, Jean-Pierre Leleux, Louis Nègre. Mieux que quiconque, en raison de leur proximité, ils ont pris la mesure de cette tragédie. (Applaudissements.) Nous devons leur apporter tout notre soutien.
Je tiens à me féliciter de la bonne tenue de ce débat. Monsieur le Premier ministre, nous pouvons en être fiers et heureux. Oui, dans de tels moments, il faut prendre de la hauteur. C’est la raison qui doit l’emporter, non les réactions épidermiques.
Monsieur le Premier ministre, permettez-moi de louer le sang-froid et le travail important du ministre de l’intérieur. Je vous salue également : vous vous êtes rendu sur place, à Nice, à plusieurs reprises. Vous avez pris les décisions qu’il fallait dans ce moment difficile. Au nom de l’ensemble du groupe socialiste et républicain et de tous les sénateurs, sur quelque travée qu’ils siègent, je tiens à vous remercier de votre action en la circonstance.
Que l’on soit de droite ou de gauche, de la majorité ou de l’opposition, lorsque la France est touchée et que le Premier ministre se rend sur place, il représente la France.
Ne laissons pas les terroristes islamistes nous diviser. Je le dis très tranquillement : ceux qui insultent le Gouvernement, ceux qui insultent le Premier ministre, ceux qui font de la récupération politique, insultent la France et ne sont pas dignes d’être membres de la représentation nationale. Lorsque la France est meurtrie, touchée, nous devons être capables, quelles que soient nos divisions, de nous rassembler autour de nos valeurs républicaines. L’indispensable sécurité de nos concitoyens, l’avenir commun de la nation sont autant de raisons de rester unis, soudés, sans verser dans la polémique indécente – il y en a eu beaucoup.
Le débat a été fort, le débat a été vif. Les uns et les autres se sont exprimés. Mais l’indécence a parfois pris le pas sur la raison. Ne tombons pas dans l’irrationnel et la surenchère, cela ne pourrait que nous conduire à notre propre perte.
Ce que nous avons entendu quelques heures, voire quelques minutes après le drame de Nice a beaucoup choqué, m’a choqué, a choqué mes collègues, a choqué les Français. Ceux-ci s’en souviendront. Un responsable politique n’est pas là pour parler vite, il est là pour parler juste. Les terroristes cherchent à nous diviser. Ne tombons pas dans le piège qu’ils nous tendent…
Oui, il faut agir, et les propositions du Gouvernement vont dans ce sens. Il est facile d’être des commentateurs de la vie politique, mais ce n’est pas le rôle du parlementaire. Celui-ci est un acteur politique et doit assumer les décisions prises. Il existe une responsabilité de l’action – le Premier ministre et le Gouvernement ne s’y dérobent pas –, mais il existe surtout une responsabilité de la proposition, et je suis au regret de constater que certains n’ont pas fait preuve de responsabilité dans les propositions qu’ils ont formulées.
Nous voulons absolument lutter contre le terrorisme, mais cette lutte ne peut avoir pour conséquence le recul de l’État de droit.
Vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre : Guantanamo, le Patriot Act et les lois d’exception américaines n’ont empêché ni Boston ni Orlando. Je tiens à l’affirmer avec vigueur au nom de mon groupe : enfermer des gens sur de simples soupçons, jamais nous ne l’accepterons : 2016 n’est pas 1940 ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je ne doute pas que la justice de notre pays aura la main ferme. La nouvelle prorogation de l’état d’urgence, qui est débattue sereinement, va dans ce sens.
Il faut l’expliquer aux Français sans mensonge, avec clarté, force et courage. Oui, des lois sur le terrorisme ont été votées. Oui, des lois sur le renseignement ont été votées – le Premier ministre a rappelé qu’il fallait aller plus loin. Oui, nous soutenons la coalition internationale et le fait que la France, avec d’autres pays, aille frapper en Irak et en Syrie ; c’est indispensable pour gagner cette guerre. Ceux qui voudraient s’en retirer ou qui auraient peur feraient fausse route, me semble-t-il.
Sur l’état d’urgence, notre position est claire, et je remercie M. le ministre de l’intérieur de l’avoir dit dans un grand journal du soir : l’état d’urgence ne peut être un état permanent.
C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste et républicain votera le texte qui nous est soumis, modifié par la commission des lois – j’en profite pour saluer M. le rapporteur de son ouverture d’esprit. Nous avons voté douze des dix-sept amendements examinés en commission. Des discussions auront lieu lors de la discussion des articles. Nous souhaitons parvenir à une commission mixte paritaire conclusive ce soir.
M. Michel Mercier, rapporteur. Nous aussi !
M. Didier Guillaume. Il y va de l’intérêt du Parlement tout entier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.) C’est dans ce cadre que nous souhaitons travailler.
Je conclurai en rappelant nos principes. Notre ennemi, ce n’est pas l’Arabe, c’est le djihadiste. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.) Notre ennemi, ce n’est pas le musulman, c’est l’intégriste religieux. (Mêmes mouvements.) Notre ennemi, c’est la stigmatisation, le racisme, la xénophobie. Dans ce moment, nous devons veiller avant tout à lutter contre cela. Attention aux dérapages faciles. Le Gouvernement doit parler clairement aux Français. Nous devons rappeler qu’il faut éviter les amalgames.
La laïcité constitue l’une des valeurs fondamentales de notre pays. Il faut la propager encore, mais elle n’est pas contre l’islam : elle est la neutralité vis-à-vis de toutes les religions. Nous souhaitons la défendre, sans que la République recule devant l’islamisme. Agissons ainsi au nom de la République. Ce n’est pas une question de droite ou de gauche. Faire vivre la République, c’est faire vivre de nouveau le 14 juillet.
Monsieur le Premier ministre, nous devons mener ce combat jusqu’au bout, contre le terrorisme, contre le populisme, contre tous les populismes, contre tous les populistes.
La grandeur de la France, dans l’histoire, est d’avoir su résister. La grandeur de l’action publique est de toujours défendre l’intégrité de notre nation dans le cadre formel de notre pacte républicain. La grandeur du parlementaire est de penser à l’intérêt général et d’agir toujours pour la République et pour la France. La grandeur de l’action publique, c’est, pour nous parlementaires, de dire toujours, où que nous soyons : vive la République ! Vive la France ! Vive la laïcité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme tous nos concitoyens, les membres du groupe écologiste ont été choqués par la gravité et l’horreur de cette tragédie. Face à ce drame, nous voulons respecter la mémoire des victimes, leur rendre hommage, ainsi qu’à leurs proches, et saluer l’action des forces de sécurité, des forces de secours et des personnels soignants. Tel sera notre premier message.
La parole publique doit avant tout être porteuse d’apaisement. À cet égard, nous avons trouvé déplacés certains propos politiciens outranciers, prononcés en pleine situation d’effroi.
Nous, représentants politiques, ne soyons pas à l’image des personnages du tableau de Francisco de Goya, Duel au gourdin, dans lequel deux hommes luttent, tout à leur haine l’un de l’autre, ne se rendant même pas compte du péril commun qui va les emporter tous deux. N’oublions pas que l’extrême droite est prête à cueillir les fruits de ces querelles et que le terrorisme lui-même se nourrit du chaos qu’il suscite.
On doit savoir gré au Gouvernement d’avoir tenu un discours de vérité quant à la gravité et la pérennité de la menace qui pèse sur nos sociétés.
Dans ces circonstances, il faut se défier du discours belliciste, qui devient la norme. Oui, nous sommes en guerre dans divers théâtres d’opérations à l’étranger, mais, sur le territoire national, avons-nous, parmi nos concitoyens, un ennemi collectif, déclaré et identifié, contre lequel nous sommes en guerre ?
Face à un danger qui, pour être élevé, n’en est pas moins diffus, les paroles guerrières sont toujours source de surenchère, du côté tant des esprits fragiles, récupérés par Daech, que de nos concitoyens tentés par l’amalgame et le rejet de l’autre.
Il faut avoir la lucidité et le courage de reconnaître que, lorsque la menace est diffuse et que le terrorisme peut prendre toutes les formes possibles d’actes violents, il n’existe pas de martingale pour l’éviter à coup sûr. Prétendre le contraire relève de la démagogie.
Néanmoins, nous devons et nous pouvons agir. Il est légitime que le Gouvernement souhaite apporter une réponse rapide et forte à la demande de nos concitoyens à la suite de cet odieux crime. Tout exécutif ainsi mis à l’épreuve tente de faire le maximum.
Au-delà de l’indispensable discours d’apaisement, ce sont l’efficacité et le respect des droits de l’homme qui doivent guider la politique de lutte contre le terrorisme. Pour certains d’entre nous, l’état d’urgence doit faire l’objet d’un bilan véritablement objectif. Si ce dispositif s’est révélé justifié immédiatement après les attentats du 13 novembre, il atteint à l’évidence aujourd’hui les limites de son efficacité.
Les mots parlent d’eux-mêmes : une urgence n’a pas vocation à se pérenniser. D’ailleurs, la loi sur le terrorisme avait précisément vocation à s’inscrire dans le temps long. Nous ne pouvons pas empiler les mesures sécuritaires, qu’elles soient pérennes ou d’exception, sans nous interroger sur leur efficacité.
À cet égard, l’Assemblée nationale a formulé des propositions dans le rapport de la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015. Il y apparaît que l’organisation de nos services de renseignement doit être profondément repensée. Ce sont là des pistes de mesures concrètes et efficaces, qui ne remettent pas pour autant en cause les libertés publiques. Ce débat doit pouvoir s’ouvrir entre le Gouvernement et le Parlement.
Une remise en cause perpétuelle des droits fondamentaux est-elle la solution ? Que ferons-nous lors du prochain attentat ? Prendrons-nous encore de nouvelles mesures ? Ne cédons pas au jeu de Daech, dont la seule ambition est de mettre à bas notre État de droit. Tout renforcement de la répression pénale n’aura aucune prise sur des individus prêts à sacrifier leur vie.
Le Gouvernement doit également expliquer clairement à nos concitoyens les objectifs de sa politique étrangère, qui doit s’appuyer sur une vision globale de nos interventions et une meilleure anticipation des conséquences.
Si certaines opérations extérieures ont permis de contenir l’avancée de l’État islamique, l’absence d’une forte coalition sous l’égide de l’ONU ou de mesures efficaces propres à assécher la manne pétrolière dont profite Daech, il sera difficile de terrasser cette organisation.
Par ailleurs, ne perdons pas de vue que ces tueurs sont aussi les abcès douloureux d’un grand corps malade : une société en proie au racisme, aux divisions et aux inégalités, en manque d’un discours commun généreux et mobilisateur, et en attente de perspectives. Face à cela, les harangues de Daech trouvent facilement un écho auprès d’individus sans repères, prêts à écouter toute idéologie proposant une explication du monde, aussi meurtrière soit-elle.
Face à l’ampleur du drame et à l’humilité qu’appellent les réponses à y apporter, les membres du groupe écologiste appréhendent différemment les dispositions de ce projet de loi – c’est notre diversité. (Sourires.)
Ainsi, certains, bien que conscients de ses limites, souhaitent mettre l’accent sur la nécessité d’actions visibles. Ils soutiendront les choix du Gouvernement, parce que la douleur et la peur se soignent aussi par des symboles forts, qu’attend le peuple meurtri.
D’autres, considérant que le seul symbole, sans l’efficacité, ne saurait justifier une nouvelle surenchère qui menace les libertés publiques au fondement de la démocratie, ne vous suivront pas, monsieur le Premier ministre.
Néanmoins, toutes et tous, nous sommes unis pour appeler à retisser des liens sociaux si serrés qu’il n’y aura plus de place pour les armes des meurtriers. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Bruno Sido. Ce n’est pas un remède, cela !
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’exercice législatif auquel nous sommes conviés, dans des circonstances extrêmement dramatiques, recèle une très grande difficulté. La difficulté relève d’abord du drame qui s’est déroulé à Nice le 14 juillet dernier. Nos pensées vont d'ailleurs vers les 84 victimes et leurs proches.
Une fois encore, un terroriste a assassiné lâchement des hommes, des femmes et des enfants sur notre territoire. Je pense aussi, bien sûr, aux policiers, aux gendarmes et aux militaires, qui s’exposent chaque jour pour assurer notre sécurité, ici et sur les théâtres extérieurs, et qui paient un lourd tribut aujourd'hui encore. Je salue également l’action des secouristes, qui ont été exemplaires.
Par respect pour les victimes, il nous semblait normal d’attendre que le débat ait lieu hier à l’Assemblée nationale, aujourd’hui au Sénat, pour aborder l’ensemble des questions qui se posent dramatiquement : l’arsenal législatif, le dispositif de sécurité, les moyens mobilisés et la stratégie mise en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme.
Le Gouvernement nous propose aujourd’hui de proroger pour la quatrième fois l’état d’urgence qui est en vigueur sur notre sol depuis le 14 novembre 2015. Nous y sommes prêts, mais nous mesurons les limites de cette première et nouvelle riposte. Elle offre à l’exécutif des moyens supplémentaires de prévention du terrorisme, notamment grâce aux perquisitions administratives. Toutefois, l’état d’urgence n’a malheureusement pas empêché les meurtres de Magnanville, ni cette tuerie dramatique à Nice.
Il est vrai que, outre les dispositions nouvelles qu’il contient, l’état d’urgence a également un caractère symbolique. C’est une première réaction utile. Elle s’inscrit dans un contexte législatif déjà renouvelé. La limite de l’exercice est connue : lutter avec les armes de la démocratie contre des barbares qui, eux, utilisent toutes les armes du totalitarisme pour tenter d’abattre les démocraties.
Nous avons adopté récemment une loi réformant en profondeur la procédure pénale pour être en adéquation avec l’évolution de la menace. Avec cette loi, le ministère de l’intérieur a la possibilité d’assigner à résidence une personne qui revient d’un territoire où interviennent des groupes terroristes. Elle permet aussi de procéder à une retenue administrative quand il y a des raisons de penser que le comportement d’un individu est lié à des activités terroristes.
Ces modifications, nous les avons votées, parce que la lutte acharnée contre le terrorisme sera longue et difficile, et qu’elle devra s’effectuer, comme dans toute démocratie moderne, dans le cadre du droit commun.
Si nous pouvons vous suivre, monsieur le Premier ministre, dans la volonté de ne pas adopter des lois d’exception, nous ne devons pas nous interdire de prendre des mesures liées à des circonstances qui, elles, sont exceptionnelles. L’état d’urgence est d’ailleurs un état d’exception.
Cet état d’urgence renforcé est donc nécessaire, mais il ne règle qu’une partie des nombreuses questions qui sont posées. Hier, l’Assemblée nationale a très sensiblement modifié le texte du Gouvernement, ce qui est légitime, grâce d’ailleurs aux propositions d’une partie de l’opposition, qui a été très constructive. Ce matin, notre commission des lois a approfondi ce travail. Ce n’est pas, ce n’est plus une simple prorogation de l’état d’urgence, et c’est tant mieux, car cela aurait été insuffisant.
Les modifications qui ont été intégrées vont dans le bon sens, mais elles ne sont pas nouvelles : la Haute Assemblée les avait déjà adoptées à deux reprises depuis le mois de janvier dernier, par exemple les dispositions en matière d’application des peines pour les personnes condamnées pour terrorisme.
Je tiens à saluer le travail de notre rapporteur, Michel Mercier, qui, au sein de la commission des lois, suit depuis des mois, avec vigilance, la mise en œuvre de l’état d’urgence et qui a aujourd’hui encore éclairé avec hauteur la réflexion du Sénat, grâce à son expertise sur le sujet. Le texte qu’il nous propose est équilibré, et le groupe UDI-UC le soutiendra.
Toutefois, l’état d’urgence, même renforcé, s’il est nécessaire, n’est pas suffisant. Il n’est pas la solution au terrorisme. Il n’y a d'ailleurs pas de solution unique. Il est, bien sûr, l’un des éléments, parmi d’autres, de la lutte contre le terrorisme.
L’arsenal législatif et juridique n’épuise pas le débat. La question des moyens budgétaires, humains et techniques est au moins aussi importante que le cadre pénal et juridique. Il ne faut pas l’aborder sous l’angle polémique, en se renvoyant des chiffres les uns aux autres, mais avec le souci de définir ensemble un État régalien qui dispose des moyens pour assurer la sécurité de ses habitants, avec les efforts budgétaires que cela suppose.
Je suis convaincu qu’il faut changer de posture dans la lutte contre le terrorisme. Ce n’est pas le sentiment qui a été donné par le Président de la République. Nous avons, certes, apprécié l’évocation de la réserve opérationnelle, un sujet sur lequel notre collègue Jean-Marie Bockel, avec d’autres, a beaucoup travaillé, mais il faut sans doute s’interroger sur la doctrine d’emploi de nos forces de l’ordre. Le sentiment qui est parfois donné, c’est que l’on continue à combattre cette nouvelle forme de terrorisme avec les outils d’hier. L’État répond à de nouvelles menaces avec des modes opératoires qui paraissent quelque peu figés.
Oui, l’état d’urgence renforcé, tel qu’il est proposé par la commission des lois du Sénat, est utile, oui à la cohésion nationale pour faire face au terrorisme, mais à condition que vous acceptiez de vous interroger sur la posture globale, monsieur le Premier ministre, et que vous consentiez aussi le principe de la faire évoluer.
Bien sûr, je ne pense pas que nous puissions aujourd’hui aligner un catalogue de mesures toutes faites, mais nous pouvons recenser les objectifs des terroristes, qui, malheureusement, sont parfois publics et diffusés sur internet. Il faut s’interroger sur ces nouveaux modes opératoires, mais aussi, a minima, sur l’adaptation de la stratégie de l’État, en s’appuyant éventuellement sur le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. C’est cette stratégie qu’il faut partager et discuter ensemble, ou à tout le moins clarifier.
La société, les Français doivent aussi accepter d’évoluer dans l’organisation des manifestations publiques. On le mesure, même si c’est une contrainte.
Nous devons en outre résolument nous engager pour un islam de France et être aux côtés de nos compatriotes musulmans modérés, qui s’interrogent sur la faiblesse de l’État face aux salafistes.
Le devoir du Gouvernement est de rassembler. Il est de refuser la tentation, qui est parfois la sienne, de tomber dans une communication binaire. La tentation de ressouder ses propres troupes en recourant à l’affrontement droite-gauche ne doit pas avoir sa place ; ce n’est pas à la hauteur du débat.
La solution, c’est une nation rassemblée et soudée face à cette menace. Il faut bannir du discours du Gouvernement toute déclaration d’autosatisfaction, comme nous en avons entendu à la fin de l’Euro 2016 – c’était sans doute précipité. De la même façon, je crois que la déclaration du ministre de l’intérieur relative aux conclusions de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale était quelque peu expéditive.
Nous souhaitons, monsieur le Premier ministre, être ensemble à la hauteur du débat, et nous souhaitons aussi que vous soyez à l’écoute de l’opposition. Nous savons que c’est en nous rangeant derrière la Nation tout entière, autour des valeurs de la République, que nous réussirons, ensemble, à combattre le terrorisme.
Ces enjeux situent la hauteur et la difficulté du débat : abattre le terrorisme avec des armes de la démocratie, toutes les armes que la démocratie autorise. Nous y sommes prêts. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe Les Républicains et du RDSE.)