Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Le Parlement a-t-il le droit d’avoir une réflexion en matière de relations internationales ?
Mme Josette Durrieu, rapporteur, et M. Daniel Reiner. Oui !
M. Gérard Longuet. La réponse est manifestement oui.
Nous avons, les uns et les autres, une culture de la vie parlementaire. Certes, reconnaissons que celle-ci souffre, sous notre République, d’un écrasement par le fait présidentiel et l’exécutif !
Au fond – et mon collègue Claude Malhuret n’a pas tort –, ce sont des initiatives, que je qualifierais de malicieuses si le sujet n’était pas aussi grave – le terme me gêne, bien sûr –, de certains de nos collègues de l’Assemblée nationale qui ont conduit et la commission des affaires européennes et la commission des affaires étrangères du Sénat à prendre position.
Ces commissions ont exprimé une idée qui me semble partagée par la majorité de nos compatriotes : nous avons un devoir de dialogue et l’intérêt bien compris de la France est d’établir des relations avec la Russie, dont les gouvernements passent, mais dont les problèmes, en se sédimentant, risquent de créer un fossé infranchissable.
L’intérêt objectif de notre pays, c’est de trouver les chemins d’un dialogue avec la Russie.
Nous sommes en train de commémorer la Première Guerre mondiale. Souvenons-nous que, lorsque le président Poincaré était en visite officielle à Saint-Pétersbourg en juillet 1914, les différences entre nos régimes politiques étaient au moins aussi marquées que maintenant et que nous avons pourtant su, en nous parlant, établir un équilibre.
Beaucoup de pays européens n’ont pas le même sens des responsabilités.
À travers cette proposition de résolution, nous rappelons que la France a une politique étrangère indépendante, qui prend en considération certes la situation des États, mais aussi, et peut-être d’abord, nos intérêts nationaux, qui, en l’espèce, je le pense profondément, se confondent avec ceux de l’Europe, à savoir établir avec la Russie des relations plus constructives, en dépit des difficultés.
C’est ce que nous propose ce texte. Je reconnais les concessions qu’il contient, mais elles sont sans doute moins importantes que ne l’est la perspective de rétablir le dialogue. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.
M. Jacques Legendre. À l’issue de ce débat, j’ai une impression de gâchis. Je crois que nous aurions pu en faire l’économie, parce que pesait sur lui la mauvaise image initiale donnée à l’Assemblée nationale par un texte qui, lui, était outrancier et absolument déséquilibré.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai tout de même été quelque peu étonné. Je m'attendais à ce que vous réaffirmiez, avec force et clarté, au début et à la fin du débat, la position du Gouvernement.
Le membre de l’opposition que je suis était, sur ce point, assez largement en accord avec l’action qui a été menée par le Gouvernement et qui s’est concrétisée dans le rôle joué par la France lors de la conclusion des accords de Minsk.
Je suis un peu étonné de vous avoir entendu, si souvent, vous en remettre à la sagesse du Sénat, non pas qu’il me soit désagréable que vous invoquiez cette sagesse, mais parce que je crois qu’il est logique qu’un gouvernement, quand il est saisi d’une question aussi importante, indique clairement quelle est son orientation, ne serait-ce que pour permettre à l’assemblée en question de se déterminer par rapport à sa politique.
Ce soir, nous allons voter un texte, qui est assez ambigu, qui va être interprété de différentes manières et qui ne vous facilitera pas la tâche, monsieur le secrétaire d’État, quand se réunira à nouveau le Conseil de l’Union européenne.
C’est pourquoi, en constatant cette situation, je suis au regret, ce soir, de ne pas pouvoir voter la proposition de résolution qui nous est soumise.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je ne voterai pas cette proposition de résolution, car je considère paradoxal d’avoir commencé l’après-midi en votant un texte qui construit du droit international, qui a fait l’objet d’une négociation multilatérale, et de le finir sur la constatation, par le Sénat, du résultat d’un rapport de force.
Tout ce que nous avons fait dans l’après-midi est profondément marqué par ce décalage. C’est profondément dommage et c’est un très mauvais signal !
Le format « Normandie » a été l’outil pour construire, avec les accords de Minsk, une solution européenne à une crise européenne. Et il faut que cela reste entre Européens !
D’ailleurs, nous devons rendre hommage au Président de la République et à la chancelière allemande d’avoir pris ces initiatives pour arriver à une solution européenne.
Je crains qu’avec ce vote, nous n’affaiblissions l’ensemble du processus, le format « Normandie », la place de la France dans cette enceinte, ainsi que sa capacité d’action et d’influence.
C’est la raison pour laquelle je ne pourrai pas voter cette proposition de résolution.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de résolution européenne relative au régime de sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Fédération de Russie.
J'ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 242 :
Nombre de votants | 335 |
Nombre de suffrages exprimés | 318 |
Pour l’adoption | 302 |
Contre | 16 |
Le Sénat a adopté.
En application de l’article 73 quinquies, alinéa 7, du règlement, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera transmise au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures trente-cinq, est reprise à vingt-deux heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
9
Répression des abus de marché
Adoption définitive des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché (texte de la commission n° 612, rapport n° 611).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, nous examinons ce soir les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à réformer le système de répression des abus de marché.
Comme vous le savez, nous sommes en effet parvenus à un accord, le 17 mai dernier, avec nos collègues de l’Assemblée nationale sur un texte que nous avions largement anticipé, grâce à des travaux qui avaient conduit Claude Raynal et moi-même à déposer deux propositions de loi identiques sur ce même sujet en novembre dernier.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des dispositions de la proposition de loi : elles consistent essentiellement à tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015, en mettant en place une procédure d’aiguillage entre la voie de répression administrative et la voie de répression pénale des abus de marché. Ces dispositions ont déjà été largement présentées et commentées en première lecture dans cet hémicycle. Je me contenterai donc de reprendre les conclusions auxquelles nous sommes parvenus sur les onze articles qui restaient en discussion.
Le texte issu de la commission mixte paritaire, qui comporte en définitive huit articles, prend en compte de nombreux apports de notre assemblée.
Ainsi, à l’issue d’un débat, la commission mixte paritaire a adopté l’article 1er A dans la rédaction du Sénat, qui renforce et sécurise les incriminations pénales en matière d’abus de marché. Nous avons en effet créé, pour les délits boursiers, une circonstance aggravante de bande organisée, portant la peine d’emprisonnement applicable à dix ans.
Nous avons ajouté que le parquet pouvait, dans un tel cas, mettre en œuvre des moyens d’enquête renforcés – par exemple, des interceptions téléphoniques – au stade de l’enquête préliminaire, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention. Nous avons également précisé dans ce même article, afin de garantir la proportionnalité des peines, que l’amende pour les personnes morales responsables pénalement devait être le quintuple du montant exprimé en valeur absolue pour les personnes physiques, soit 500 millions d’euros, ou dix fois le montant de l’avantage retiré.
Le dispositif d’orientation des poursuites, qui constitue l’article 1er de la proposition de loi, a aussi été adopté dans une rédaction améliorée et précisée par le Sénat. Il s’agissait de déterminer les différentes étapes de la concertation entre le parquet national financier et l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, et d’encadrer ces étapes par des délais, afin de rendre la procédure plus rapide et plus efficace.
Le texte adopté par la commission mixte paritaire retient aussi un article additionnel 2 bis que nous avions introduit et qui étend le champ de la procédure de composition administrative de l’Autorité des marchés financiers aux abus de marché, alors que cette possibilité est aujourd’hui limitée aux manquements professionnels. Cette extension permet d’assurer un parallèle avec la procédure pénale, où une comparution avec reconnaissance préalable de culpabilité est possible. Je note d’ailleurs que des dispositions inspirées du même esprit figurent dans le projet de loi dit « Sapin II », que nous examinerons prochainement.
Enfin, la commission mixte paritaire a retenu un ajout du Sénat à l’article 4 pour garantir que, dans l’hypothèse où l’AMF choisirait de ne pas exercer les droits de la partie civile, elle ait la possibilité d’être présente à l’audience pour éclairer, si besoin, le tribunal correctionnel sur les points techniques d’un dossier.
L’aboutissement de toute commission mixte paritaire nécessite de parvenir à des compromis et nous éprouvons bien évidemment quelques regrets, comme celui de ne pas avoir convaincu nos collègues députés de reprendre les dispositions que nous avions introduites pour renforcer la coopération entre le parquet national financier et l’AMF au stade de l’enquête, en instaurant notamment des obligations réciproques d’information. Il est regrettable que persistent encore des réticences à une véritable coopération entre ces deux instances, alors même que la procédure d’aiguillage la rend absolument nécessaire.
De même, chacun a constaté que la dualité des ordres de juridiction posait question en matière de recours contre les sanctions prononcées par l’AMF : dans le cadre d’une même affaire d’abus de marché où un professionnel des marchés financiers et un non-professionnel seraient condamnés par l’AMF, le recours contre cette sanction relève, dans le premier cas, du Conseil d’État et, dans le second cas, de la cour d’appel de Paris. Notre commission des lois avait proposé d’unifier ce contentieux et la commission des finances l’avait suivie : il faudra peut-être revenir sur ce sujet.
De même, toujours sur l’initiative de la commission des lois, le Sénat avait adopté un article additionnel autorisant l’accès de l’AMF aux données de connexion des opérateurs téléphoniques sur autorisation du juge des libertés et de la détention, afin de sécuriser une procédure juridiquement très fragile. Il nous a été dit qu’une réflexion plus générale était en cours : nous espérons qu’elle pourra aboutir rapidement compte tenu des enjeux qui s’y attachent.
Le Gouvernement a déposé un amendement à l’article 5 qui reproduit exactement un amendement adopté à l’Assemblée nationale, ayant pour objet d’assurer des coordinations techniques dans le code monétaire et financier concernant l’outre-mer. J’y suis tout à fait favorable et je vous propose donc d’adopter le texte de la proposition de loi tel qu’issu des conclusions de la commission mixte paritaire, avec l’amendement déposé par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée examine aujourd’hui pour la deuxième fois la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché, qui a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire le 17 mai dernier, ce dont je me réjouis.
Cette proposition de loi participe pleinement à l’objectif de modernisation de la vie économique que s’est fixé le Gouvernement, notamment avec le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, qui est actuellement discuté par l’Assemblée nationale – ce qui explique l’absence de Michel Sapin parmi vous ce soir –, avant qu’il ne vous soit transmis dans les semaines à venir.
Adapter la répression des abus de marché au développement des marchés financiers est absolument indispensable pour mettre la France en conformité avec le « paquet » européen sur les abus de marché et éviter ainsi que de nouvelles pratiques frauduleuses n’échappent au pouvoir de sanction de l’AMF ou du juge pénal.
Cependant, la proposition de loi ne se limite pas à une telle adaptation, comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, car elle apporte également une réponse pragmatique à la décision du Conseil constitutionnel de mars 2015 qui a invalidé la double poursuite et la double sanction, administrative et pénale, des abus de marché.
Comme vous le savez, cette réponse repose sur la concertation entre l’AMF et le parquet national financier avant tout engagement de poursuites. Cette concertation permettra de déterminer, au cas par cas, quelle voie de poursuite et de sanction est la meilleure. En cas de désaccord entre les deux institutions, il reviendra au procureur général près la cour d’appel de Paris d’envoyer l’affaire soit devant l’AMF soit devant le juge.
Je me réjouis que ce mécanisme, qui constitue le cœur de la proposition de loi, ait fait l’objet d’un consensus entre les deux assemblées, entériné par l’accord obtenu en commission mixte paritaire le 17 mai dernier. En effet, il présente deux avantages importants.
Tout d’abord, il préserve le bon fonctionnement de la phase de détection des abus de marché et d’enquête. Dans la situation actuelle, c’est l’AMF qui, dans la très grande majorité des cas, détecte les opérations d’initiés ou les manipulations de cours grâce à la surveillance continue des marchés qu’elle effectue en s’appuyant, notamment, sur des systèmes très sophistiqués de suivi des variations de cours et de volume du marché.
Dans certains cas, moins fréquents, le parquet national financier peut également découvrir lui-même certains faits susceptibles de constituer des abus de marché. Chaque institution mène ensuite sa propre enquête et doit pouvoir continuer à le faire. Ce point est très important, car tant l’AMF que le parquet national financier appliquent des logiques et disposent de moyens d’enquête distincts et parfois même complémentaires.
Ensuite, la proposition de loi permettra de continuer à réprimer de manière efficace et adaptée les abus de marché, en laissant à l’AMF et au parquet national financier le soin de décider, au cas par cas, quelle est la meilleure voie de poursuite. La plupart des affaires devraient continuer à être traitées par la voie administrative qui permet d’infliger de manière rapide des sanctions pécuniaires importantes. Ce mode de répression est particulièrement adapté aux marchés financiers, en permanence soumis à des innovations technologiques qu’il convient, lorsqu’elles sont de nature à porter atteinte à l’intégrité du marché, de sanctionner rapidement afin de bloquer leur essor et d’envoyer un message clair aux investisseurs et aux épargnants.
En France, les marchés financiers fonctionnent de manière sûre et robuste, toute manipulation y est rapidement et sévèrement sanctionnée. Dans les cas les plus graves, une peine privative de liberté que seul le juge pénal est à même d’infliger peut se justifier : la voie pénale devrait bien sûr être alors choisie.
Il semble donc que la proposition de loi soumise aujourd’hui à l’examen de votre assemblée, fruit d’un travail parlementaire approfondi qu’il convient de saluer, atteint pleinement l’objectif que ses auteurs s’étaient fixé et auquel le Gouvernement souscrit sans réserve, à savoir réformer de manière ambitieuse et pragmatique notre système de répression des abus de marché, qui risquait l’obsolescence et une fragilisation juridique.
Vous avez rappelé, monsieur le rapporteur, que le Gouvernement avait déposé un amendement de coordination concernant les départements et collectivités d’outre-mer. Bien sûr, j’insiste sur la nécessité d’un vote conforme, compte tenu des délais qui nous sont impartis par la décision du Conseil constitutionnel, mais vous nous avez rassurés sur ce point en indiquant que le Sénat, après l’issue positive d’une commission mixte paritaire, pouvait adopter un texte identique à celui adopté par l’Assemblée nationale. Cette soirée conclut un parcours parlementaire long, mais qui montre bien la complémentarité qui peut exister, sur certains sujets, entre l’ensemble de la représentation nationale et le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons, en cette douce soirée de printemps bienvenue, les conclusions de la commission mixte paritaire sur les propositions de loi réformant le système de répression des abus de marché.
Sur ce sujet technique passionnant et très important, députés et sénateurs se sont accordés sur la rédaction d’un texte commun. Il est vrai que le législateur dispose de peu de temps pour adopter cette réforme, rendue inévitable et urgente par la décision du Conseil constitutionnel du 18 mars 2015 qui entraîne l’abrogation du système actuel à compter du 1er septembre 2016.
La première lecture nous a donné l’occasion d’aborder les principaux enjeux liés à la répression des abus de marché : adaptation des procédures répressives au droit européen en vertu du principe non bis in idem ; relèvement significatif des plafonds de sanctions pour mieux dissuader les acteurs susceptibles de commettre des délits boursiers ; organisation de la coopération entre l’Autorité des marchés financiers, chargée de la répression administrative, et le parquet national financier, chargé de la répression pénale ; question des moyens matériels, humains et technologiques alloués à chacune des deux autorités ; organisation, activité et indépendance de l’AMF et du parquet national financier.
La proposition de loi supprime la possibilité de cumuler poursuites administratives et pénales et la remplace par un « aiguillage » en amont entre les deux voies. Rappelons que la réforme ne devrait pas bouleverser la pratique dans la grande majorité des cas, puisque le cumul des poursuites était rarement appliqué, la sanction administrative étant généralement privilégiée.
Toutefois, dans les cas où l’AMF et le parquet national financier pourraient s’estimer tous deux compétents pour exercer des poursuites, c’est le procureur général près la cour d’appel de Paris qui arbitrera en faveur de l’un ou de l’autre. En pratique, cette procédure pourrait renforcer la prééminence de l’AMF dans la répression des abus les plus courants.
En effet, l’Autorité des marchés financiers dispose de moyens – un budget annuel de 80 millions d’euros – significativement plus importants que ceux qui sont alloués au parquet national financier, ainsi que de l’avantage d’être composée, pour partie, de professionnels fins connaisseurs du secteur. Par ailleurs, force est de constater que, jusqu’à présent, des peines d’emprisonnement sont rarement prononcées à l’encontre des auteurs de ce type de délit. Cependant, compte tenu des évolutions actuelles et des révélations qui se sont accumulées depuis la crise financière de 2008, cette situation sera peut-être amenée à changer.
De fait, les plafonds des sanctions sont significativement relevés : jusqu’à 100 millions d’euros d’amende, au lieu de 1,5 million d’euros ou 150 000 euros, selon les cas, pour une personne physique et jusqu’à cinq ans d’emprisonnement au lieu de deux ans actuellement. Espérons que l’AMF et le parquet national financier sauront utiliser avec pertinence ce spectre de sanctions élargi.
À côté des sanctions administratives, qui ont pour objectif de frapper au porte-monnaie – c’est sans doute le bon endroit –, la voie pénale conserve toute sa pertinence. Les efforts du jeune parquet national financier, dont nous avons auditionné la responsable, Mme Houlette, il y a quelques semaines, doivent être encouragés.
Le texte de la présente proposition de loi résulte d’un compromis fructueux entre les versions de l’Assemblée nationale et du Sénat, il faut le rappeler et s’en féliciter.
L’article 1er bis et l’article 4 bis ne font que transposer les dispositions des textes européens, notamment le règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014.
Le texte a, en revanche, conservé certaines rédactions du Sénat, notamment à l’article 1er, cœur du dispositif, et à l’article 2. Il a également conservé l’article 2 bis, introduit par la Haute Assemblée, qui élargit aux abus de marché le champ de la composition administrative, c’est-à-dire de certaines procédures de conciliation applicables par l’AMF.
En définitive, si ce texte n’épuise pas le très vaste sujet de la régulation financière, il apporte une réponse rapide, concrète, opérationnelle à un vide juridique et offre la possibilité de prononcer des sanctions plus sévères. Nous ne manquerons pas de retrouver ces sujets lors de l’examen du projet de loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dans quelques semaines, sans doute au début du mois de juillet.
En conclusion, j’ai le plaisir de confirmer que les membres du RDSE voteront en faveur du texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je m’en tiendrai à quelques considérations, M. le rapporteur ayant fort bien dit l’essentiel.
Le présent texte, qui réforme le système français de répression des abus de marché, était, dès l’origine, consensuel, comme chacun a pu le mesurer. Nous constatons avec plaisir qu’il peut être adopté dans cet état d’esprit encore aujourd’hui.
Les mesures qu’il contient doivent être adoptées dans une certaine urgence, en raison de la décision du Conseil constitutionnel qui rend caduques au 1er septembre prochain les dispositions du code monétaire et financier relatives aux sanctions du délit d’initié et du manquement d’initié.
Compte tenu de cette urgence et de la nécessité de permettre que les abus de marché continuent d’être poursuivis et jugés, nous nous félicitons que les deux assemblées aient pu trouver un accord en commission mixte paritaire.
À cette occasion, le débat a été nourri et les versions de l’Assemblée nationale et du Sénat ont fait l’objet de discussions approfondies, notamment en raison du caractère technique des dispositions concernées. Nous avons eu de longs échanges sur les questions juridiques et constitutionnelles que celles-ci soulèvent. Il est heureux, je crois, que les deux assemblées aient pu se mettre d’accord sur un texte commun en s’assurant de l’efficacité du dispositif.
Le principal enjeu de ce texte de loi consistait à trouver la bonne articulation entre les procédures administratives et judiciaires en matière financière en mettant notre droit en conformité avec les jurisprudences constitutionnelle et conventionnelle, tout en préservant l’efficacité du dispositif existant.
La bonne collaboration et la coordination des deux principaux acteurs, à savoir le parquet national financier et l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, la procédure de concertation, le système d’aiguillage et d’arbitrage par le procureur général près la cour d’appel de Paris ont donc été au cœur des débats entre les deux assemblées pour trouver le bon équilibre, qui, à mon sens, a été atteint.
Ce texte de compromis porte bien évidemment la patte du Sénat, puisque sur les dix-neuf dispositions introduites par la Haute Assemblée en première lecture, essentiellement issues des travaux des deux excellents rapporteurs, que je salue, treize ont été retenues par la commission mixte paritaire et nos collègues députés.
Avec les dispositions issues du texte adopté lors de cette dernière, nous améliorons la coordination entre l’AMF et le parquet national financier, ce qui était nécessaire. Nous alourdissons également les sanctions des infractions qui faussent le marché, ce qui l’était tout autant. Enfin, nous assurons une répression efficace, rapide et dissuasive de ces pratiques avec un dispositif équilibré.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC approuvera les conclusions de la commission mixte paritaire sur cette proposition de loi. (Mme Marie-France Beaufils, ainsi que MM. Michel Canevet et André Gattolin applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à la suite du dépôt d’une question prioritaire de constitutionnalité concernant l’affaire EADS, une proposition de loi a été déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale et mise en discussion après engagement de la procédure accélérée.
J’observe que, pour une fois, le processus a été plutôt rapide, puisque le texte initial avait été déposé le 24 mars, ce qui signifie qu’il aura fallu moins de trois mois pour voter cette proposition de loi.
L’enjeu est connu : il s’agit d’éviter que nous ne nous retrouvions d’ici peu face à un vide juridique regrettable, dans lequel auraient pu s’engouffrer tous les habiles boursicoteurs pour se dispenser de rendre des comptes à la justice, alors même qu’ils auraient commis un délit d’initié.
Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire nous semble assez équilibré, grâce à un travail commun de qualité entre les deux assemblées.
Les apports techniques et juridiques de nos collègues plus au fait de ces aspects, lors de la commission mixte paritaire, ont par ailleurs permis de parer à la plupart des difficultés qui pourraient se présenter lors de l’application et de la mise en œuvre du texte. C’est en tout cas ce qu’a ressenti au cours de la réunion Éric Bocquet, que je remplace ce soir.
Nous soutiendrons la proposition de loi, telle qu’elle est aujourd’hui rédigée, parce qu’il faut bien que nous disposions d’outils pour lutter contre des comportements délictueux particulièrement coûteux pour l’économie : je veux parler de la délinquance financière et, plus spécifiquement, de la délinquance boursière.
Prétendre que la future loi va résoudre l’ensemble des problèmes est évidemment quelque peu excessif, mais toujours est-il qu’un mode de fonctionnement des autorités judiciaires est mis en place et que le rôle du parquet national financier est précisé. Aussi, nous devrions nous attacher à ce que ces instances disposent des moyens matériels et humains de mener leurs missions.
À cet égard, je dois avouer n’avoir guère été rassurée par l’audition récente de Mme Houlette, procureur du parquet national financier, sur ce sujet. Permettez-moi de citer en cet instant un extrait de cette audition : « Quelques données chiffrées : lorsque l’institution a été créée, nous étions cinq magistrats, dont le procureur que je suis, et un greffier stagiaire. Nous avons atteint aujourd’hui un effectif de quinze magistrats, quatre assistants spécialisés – dont deux administrateurs des finances publiques, un expert-comptable et un spécialiste en matière boursière –, un greffier en chef, cinq greffiers et une assistante administrative ».
Mme Houlette poursuivait : « Nous sommes aujourd’hui saisis de 353 procédures, dont 155 pour fraude fiscale et escroqueries à la TVA – soit 44 % du total -, 136 pour atteinte à la probité, 43 pour délits boursiers, les 19 procédures restantes étant en cours d’évaluation. Parmi ces procédures, 70 % sont en enquête préliminaire et 30 % font l’objet d’une information judiciaire ».
Or, aux termes d’une analyse produite lors de la création du parquet national financier pour déterminer le travail indispensable sur un dossier, il avait été considéré qu’un magistrat ne pouvait suivre plus de huit procédures. Mme Houlette nous alertait donc sur la durée des enquêtes en matière économique et financière et les moyens nécessaires pour pouvoir mener celles-ci.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne souhaite pas entrer dans le détail du texte, mais je veux m’attarder sur la nécessité d’assurer ces moyens au PNF.
Ils sont indispensables pour des poursuites efficaces et une plus grande répression en matière fiscale. Lorsque les finances sont corrompues, le bon fonctionnement de l’économie et le pacte démocratique sont en jeu, nous a rappelé Mme Houlette. C’est donc là une priorité absolue de la politique pénale du parquet national financier.
Les moyens sont aussi indispensables pour agir dans les dossiers qui concernent en particulier les atteintes à la probité, mais aussi pour lutter contre la fraude fiscale.
Enfin, les moyens sont indispensables pour la moralisation des marchés financiers, ce qui nous intéresse ce soir.
Mme Houlette a également évoqué la réduction des effectifs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, alors même que les moyens policiers sont le complément indispensable d’une bonne administration de la justice.
Que nous disposions du cadre législatif adapté à la poursuite de nos objectifs de lutte contre la délinquance financière est une chose, mais que nous n’ayons pas, in fine, l’orchestre suffisamment pourvu pour jouer cette musique complexe s’avérerait regrettable.
Les enjeux de ce texte ne sont pas seulement techniques.
À l’évidence, il nous fallait en droit français un outil efficace pour organiser la répression des abus de marché, c’est-à-dire les délits d’initiés, car, effectivement, nous avons souvent constaté au cours de l’histoire que ceux qui détiennent la puissance financière sont ceux-là mêmes qui détiennent la bonne information, au bon moment, pour accroître encore cette puissance financière, qui atteint parfois des sommets indécents.
Certains pensent, avec sincérité d’ailleurs, que le marché s’autorégule, grâce à la « main invisible » si chère à Adam Smith. Pour notre part, nous sommes de ceux qui estiment que, dans certains cas, il est nécessaire d’actionner une main bien ferme pour réprimer les abus de marché.
Le délit d’initié crée évidemment un enrichissement personnel rapide et facile par des gains boursiers, même si ces pratiques sont théoriquement surveillées par l’Autorité des marchés financiers.
C’est somme toute un exercice facile : il suffit d’être proche de la direction d’une société cotée pour obtenir des informations stratégiques juste avant la publication des résultats, d’une augmentation de capital, d’un rachat ou d’une annonce favorable à l’entreprise. Il est des cas où certains sont devenus millionnaires en multipliant leurs mises par trois ou cinq, sans prendre le moindre risque.
Nous allons donc soutenir ce texte en toute lucidité et sans grande illusion, mais en pleine responsabilité et conscients de l’urgence pour le politique de reprendre la main sur les affaires financières du monde. Certes, ce texte ne donne pas encore la capacité de régler les problèmes du trading de haute fréquence, cette pratique essentielle sur les marchés financiers qui échappe à tout contrôle humain, mais je pense que nous aurons l’occasion d’y revenir à l’occasion de la discussion d’un autre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)