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Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi pour l’économie bleue est parvenue à l’élaboration d’un texte commun.
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Saisine du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi le mercredi 6 avril 2016, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par le Premier ministre, de la loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
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Information de l'administration et protection des mineurs
Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs (texte de la commission n° 488, rapport n° 487).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Troendlé, en remplacement de M. François Zocchetto, rapporteur.
Mme Catherine Troendlé, en remplacement de M. François Zocchetto, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre de l’éducation nationale, mes chers collègues, je constate que les femmes sont majoritaires dans notre hémicycle ce soir… Cela mérite d’être souligné !
Mme Catherine Tasca. En effet !
Mme Catherine Troendlé, en remplacement de M. François Zocchetto, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Il me revient de vous présenter les conclusions de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs, en remplacement de notre rapporteur, M. François Zocchetto, qui nous prie d’excuser son absence.
La commission mixte paritaire, réunie le mardi 22 mars à l’Assemblée nationale, est parvenue à un accord, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir, compte tenu de l’importance du sujet.
Je tiens à saluer l’ouverture d’esprit dont a su faire preuve le rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Erwann Binet, en œuvrant, de concert avec François Zocchetto, à la construction de ce compromis.
Après l’adoption de ces conclusions par l’Assemblée nationale la semaine dernière, nous sommes appelés à nous prononcer dans une ambiance un peu particulière, eu égard aux événements qui se sont déroulés à la maison d’arrêt de Corbas dans la nuit de lundi à mardi derniers et qui vont priver un grand nombre de familles d’un procès pourtant attendu.
Mes chers collègues, je ne puis que vous inviter à adopter les conclusions auxquelles la commission mixte paritaire est parvenue. Sur ce dossier, en effet, trop de temps a été perdu depuis un an. Je ne reprendrai pas l’historique, mais je déplore que nous n’ayons pas été mis en mesure de nous prononcer sur un texte consacré à ce sujet dans des délais plus rapprochés des événements dramatiques survenus au printemps 2015, qui ont conduit à la prise de conscience de la nécessité de remédier à certaines lacunes de notre législation.
Sur ce sujet, le Sénat a su faire preuve d’ouverture d’esprit et infléchir les positions qu’il avait prises en octobre dernier.
Je souhaite le dire avec force : pour un grand nombre de sénateurs, le principe d’une communication d’informations à l’administration par l’autorité judiciaire sur des procédures pénales en cours n’allait pas de soi. Si personne ne conteste l’impérieuse nécessité d’assurer aux enfants la protection la plus complète contre les auteurs d’agressions sexuelles, cet impératif de protection ne saurait nous faire oublier l’un des principes majeurs de notre procédure pénale, consacré dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : la présomption d’innocence. Telle a été la position constante du Sénat et de votre commission des lois dans l’examen de ce projet de loi.
Nous avons finalement admis que des informations puissent être communiquées sur des procédures judiciaires en cours dès lors que celles-ci sont à un stade avancé : mise en examen par un juge d’instruction, qui suppose des indices graves ou concordants, ou saisine d’une juridiction de jugement, qui implique la mise en mouvement de l’action publique.
En revanche, toute communication avant ce stade, c’est-à-dire à l’issue de la garde à vue ou d’une audition libre, était pour nous à proscrire. En effet, la transmission d’informations à un tel moment de la procédure interviendrait de manière trop précoce, sans certitude sur la matérialité des faits, de surcroît dans le cadre d’une procédure non contradictoire ; de ce fait, elle contreviendrait gravement au principe constitutionnel de la présomption d’innocence.
Nous nous réjouissons que les députés se soient rangés à ce point de vue.
J’ajoute que la suppression de cette faculté n’entravera en rien les prérogatives dont dispose la justice pour mettre en place des mesures de sûreté si, au vu des circonstances et de la personnalité de l’auteur présumé des faits, il est estimé nécessaire de l’écarter d’un milieu professionnel impliquant un contact avec des mineurs.
De fait, le parquet a toujours la possibilité de saisir un juge d’instruction par réquisitoire introductif, ouvrant ainsi la voie à une possible mise en examen assortie d’un contrôle judiciaire. Si la saisine d’un juge d’instruction est considérée comme excessive, le parquet peut saisir le tribunal correctionnel par procès-verbal et, dans cette attente, saisir le juge des libertés et de la détention en vue d’un placement sous contrôle judiciaire. Au demeurant, le projet de loi sur le crime organisé, adopté hier après-midi par notre assemblée à une large majorité, contient une disposition facilitant les conditions dans lesquelles le parquet peut saisir dans ce cadre la juridiction de jugement.
Je crois donc que le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire n’offre pas, sur ce point, de moindres garanties de protection pour les mineurs, compte tenu des alternatives que je viens de mentionner, tout en maintenant chacun dans son rôle, autorité judiciaire et administration. En effet, il n’appartient pas à l’administration de tutelle d’un agent de prendre de telles mesures de sûreté.
Je reste persuadée que, au contraire, cette suppression prévient le risque que des personnes soient injustement mises en cause et voient leur réputation, ainsi que leur intégrité mentale et psychique, gravement compromise avant toute condamnation. Ce risque existe et nous ne pouvons l’ignorer.
Pour le reste, au-delà des différentes clarifications juridiques que le Sénat a opérées et qui ont été entérinées par la commission mixte paritaire, je tiens à souligner que celle-ci a confirmé un apport majeur du travail de notre assemblée : l’élargissement des facultés de consultation du casier judiciaire par les conseils départementaux pour l’octroi des agréments des assistants maternels et familiaux.
Enfin, je dois dire un mot du renoncement du Sénat à une disposition à laquelle nous étions très attachés, moi la première : le caractère systématique, dans le respect des prescriptions de la jurisprudence constitutionnelle, de la peine complémentaire d’interdiction d’exercice d’une activité auprès des mineurs pour les personnes reconnues coupables d’une infraction sexuelle contre mineur. Je regrette que nous n’ayons pas pu convaincre les députés du bien-fondé de notre position en la matière. Oserai-je dire qu’il y a là, pour nos collègues députés et sénateurs socialistes, un point de blocage, que je ne saurais m’expliquer autrement que par des considérations un peu militantes ?
Il me semble pourtant qu’une telle mesure serait d’une grande efficacité. En effet, elle garantirait que les juges correctionnels se prononcent systématiquement sur les peines complémentaires. Ils pourraient au besoin les écarter, s’ils ne les estiment pas fondées, mais, en tout état de cause, nous serions prémunis contre le risque d’oubli de l’existence même de cette faculté à la disposition de la juridiction de jugement.
Toutefois, le compromis était au prix de ce renoncement. Beaucoup de temps ayant déjà été perdu, comme je l’ai souligné au début de mon intervention, nous ne pouvions risquer d’en perdre encore avec l’échec de la commission mixte paritaire, qui aurait entraîné une nouvelle lecture dans chaque assemblée, puis la lecture définitive par l’Assemblée nationale.
Tels sont, mes chers collègues, les principaux éléments du compromis qui vous est soumis et que je vous invite à approuver.
Je dois dire, avec une pointe d’ironie, que je m’explique mal l’amendement déposé par le Gouvernement sur les conclusions de la commission mixte paritaire et tendant à supprimer la disposition prévoyant un décret en Conseil d’État pour l’application du projet de loi. Je me l’explique d’autant moins bien qu’un tel formalisme constitue une garantie juridique sans nuire en rien à l’efficacité de l’action publique ; tout au plus faut-il quelques semaines pour que le Conseil d’État examine le projet de décret et rende son avis. Au surplus, il est curieux que cet examen juridique soit considéré comme trop lourd alors que tant de temps s’est déjà écoulé et que la future loi ne sera applicable, ainsi qu’il est expliqué dans l’étude d’impact du projet de loi, qu’au début de l’année 2017, du fait de la nécessité de mettre à niveau les outils informatiques de la justice.
En vérité, l’efficacité du dispositif se heurtera nécessairement aux moyens dont disposent actuellement les parquets et à leur contexte de charges d’activité. À l’inadaptation des effectifs du ministère public et à l’importance et la multiplicité de ses missions s’ajoute l’inadaptation de ses moyens informatiques, un problème qui a déjà été soulevé à de nombreuses reprises dans notre assemblée. Un tel constat ne peut que faire écho aux récents propos du garde des sceaux sur les moyens de fonctionnement de la justice.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire, modifiées par l’amendement du Gouvernement. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, comme si le drame que nous avons connu il y a un an ne suffisait pas, le suicide du directeur d’école de Villefontaine hier matin est venu brutalement raviver la douleur des familles.
C’est à ces familles que je pense ce soir, à elles qui attendaient des réponses dont elles seront à jamais privées ; à elles qui, dès le départ, ont cherché à dépasser leur douleur et qui m’ont confié dès nos premières rencontres leurs attentes à notre égard. Ces familles attendent de nous, Gouvernement et Parlement réunis, que nous apportions des réponses à la hauteur des dysfonctionnements constatés dans cette affaire.
Comme mon collègue garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, l’a indiqué, une enquête a été immédiatement ouverte par le procureur pour établir les circonstances exactes du décès. En outre, un travail est d’ores et déjà engagé pour avancer sur la voie d’un renforcement des mesures spécifiques de prévention des risques de suicide dans les milieux pénitentiaires.
Ces réponses-là sont essentielles, et nous les leur donnerons.
Plus encore, nous devons faire en sorte que ces drames ne puissent plus se reproduire. C’est ce que nous devons à ces familles qui ont fait face dans la dignité et ont cherché à chaque instant à dépasser leur émotion pour faire progresser notre droit.
Madame Troendlé, vous l’avez dit, les débats ont été longs et riches ici même comme à l’Assemblée nationale. Cela montre que nous avons su collectivement dépasser l’émotion et les clivages partisans pour réaliser ce que les pouvoirs publics auraient dû faire depuis longtemps.
À ce stade de mon intervention, je voudrais saluer l’esprit de responsabilité dont ont fait preuve les rapporteurs et les commissions des lois des deux assemblées pour parvenir à l’élaboration d’un texte commun en commission mixte paritaire. Je voudrais en particulier remercier le rapporteur François Zocchetto, pour le consensus qu’il a su trouver. En effet, chacun mesure combien le texte dont nous débattons pour la dernière fois ce soir est fondamental pour le fonctionnement de nos institutions.
Chacun connaît la suspicion qui s’est propagée à l’endroit de l’institution scolaire ; je n’y reviens donc pas. Faute d’informations, celle-ci a pu abriter dans ses murs un prédateur sexuel, condamné quelques années auparavant pour des faits graves, qui n’auraient dû entraîner qu’une seule chose : sa révocation !
Chacun mesure bien aussi que les cas de pédophilie dont nous parlons ne sont pas des événements isolés. Ce fléau existe, questionne et place toutes les institutions face à leurs responsabilités. Notre responsabilité collective, à vous parlementaires comme à nous ministres, c’est d’apporter une réponse non pas à un événement, mais au dysfonctionnement systématique dans la transmission d’informations entre l’autorité judiciaire et les administrations qu’a révélé cette affaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en vous soumettant ce texte avec ma collègue de l’époque, Christiane Taubira, nous n’avions d’autre ambition que de trouver les mécanismes et les procédures pour éviter que cette situation choquante ne se reproduise.
Nous avons certes eu des désaccords avec le rapporteur François Zocchetto, et nous nous en sommes longuement expliqués le 26 janvier dernier. Mais nous avons surtout partagé des préoccupations communes, comme la nécessaire lisibilité du droit, ou encore la réponse à apporter aux attentes exprimées par les présidents de conseil départemental concernant la surveillance de l’entourage des assistants maternels.
En élaborant un texte commun, la commission mixte paritaire est parvenue à fédérer les volontés exprimées dans les deux assemblées autour de quelques principes essentiels, auxquels j’adhère pleinement.
Loin du flou auquel les magistrats étaient jusqu’alors réduits, obligation sera faite demain à ces derniers de porter à la connaissance des administrations les condamnations les plus graves prononcées à l’encontre de personnes travaillant habituellement au contact des mineurs.
Dans un cadre désormais sécurisé et apportant toutes les garanties nécessaires pour les personnes mises en cause, les transmissions d’informations pourront intervenir au moment de la mise en examen, en amont donc des condamnations pénales.
Je me range à la position que la commission mixte paritaire a adoptée, car je crois aux nouveautés introduites dans le texte et fais confiance à l’esprit de responsabilité des magistrats.
Avec ce texte, nous permettrons dans tous les cas aux magistrats, que ce soit dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à domicile avec surveillance électronique, d’interdire à un individu mis en examen d’exercer une activité impliquant un contact avec des mineurs.
Comme vous tous, je veux croire que les magistrats s’emploieront sans tarder à engager des poursuites ou à décider une mise en examen lorsqu’il existera des indices graves ou concordants de l’existence d’une infraction grave. C’est à ce stade-là que mon administration pourra être informée.
Ce compromis auquel vous êtes parvenus, par-delà les approches partisanes, sera la base sur laquelle de nouvelles pratiques pourront se mettre en place dans les tribunaux comme dans les administrations.
Ce texte est une œuvre collective. En l’adoptant, le Sénat apportera sa contribution à l’avancée du droit sur un sujet extrêmement sensible et pour lequel notre législation avait pris trop de retard.
J’insiste sur ce point : ce retard n’était pas sans conséquence. En effet, en l’absence de cadre légal clair et précis, nous avions laissé perdurer – reconnaissons-le – des failles bien visibles pour les prédateurs sexuels, lesquels, on le sait, recherchent précisément des contextes professionnels dans lesquels ils peuvent côtoyer des enfants. Or il n’y a aucune place à l’école pour les prédateurs sexuels. Aucune !
En adoptant ce texte, vous le savez, vous apporterez une réponse pour l’avenir. En revanche, il faut avoir conscience qu’il ne s’agit d’une réponse ni aux errements du passé ni à l’interrogation des familles : comment garantir, en effet, qu’il n’y a pas au sein de l’école d’autres prédateurs en fonction, qui auraient été condamnés dans le passé pour des faits dont l’administration n’aurait pas eu connaissance ?
À cet égard, je m’étais engagée devant les familles de Villefontaine à prendre mes responsabilités. J’ai tenu cet engagement, puisque j’ai décidé à la fin du mois de janvier de mettre en œuvre le contrôle systématique des antécédents judiciaires des agents relevant de mon ministère et qui sont au contact de mineurs. Contrôler ainsi les casiers judiciaires de 850 000 agents constitue une opération de grande ampleur, qui prendra plus d’un an, à raison de 3 000 contrôles par jour.
Cette mesure inédite est indispensable pour montrer aux familles que nous avons tiré toutes les leçons de l’affaire de Villefontaine. Indispensable aussi pour que l’on en finisse avec la suspicion qui pèse sur les agents de l’éducation nationale. J’ai conscience qu’il ne suffit pas de la dénoncer et qu’il faut démontrer par des actes qu’elle n’est pas fondée. C’est le sens de cette opération de contrôle.
Être ferme sur les principes et transparente sur les actions que nous engageons, c’est la règle que je me suis fixée. Je m’y suis tenue à une occasion plus récente encore, lorsque j’ai diligenté une enquête administrative à propos de l’affaire de Villemoisson-sur-Orge, dont chacun a évidemment entendu parler : en 2007, un enseignant n’avait pas été sanctionné, alors qu’il avait été condamné précédemment et de manière définitive par un tribunal anglais. Je le redis ici : ce cas est différent de celui de Villefontaine, mais, comme pour cette affaire, je tirerai toutes les conséquences du rapport que me remettra prochainement l’inspection générale sur le sujet.
Pour que notre organisation soit sans faille face aux prédateurs, les textes sont nécessaires mais insuffisants. Nous avons aussi besoin de changer les pratiques. Avec la Chancellerie, depuis un an, nous avons donc préparé les professionnels de terrain, dans les parquets comme dans les rectorats, à fonctionner avec les nouvelles règles que, je l’espère, vous adopterez largement.
Depuis la rentrée scolaire de 2015, des référents « éducation nationale » ont été nommés dans chaque parquet et des référents « justice » sont identifiés dans chaque rectorat. Nos référents ont été formés avec l’appui de la Chancellerie. Désormais, il existe des procédures officielles et sécurisées d’échange d’informations entre eux.
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes prêts à appliquer la loi que vous vous apprêtez à adopter. Pour tout vous dire, les textes d’application prévus par le projet de loi sont eux aussi déjà prêts, puisque nos administrations ont travaillé tout au long de la procédure parlementaire pour que nous mettions en œuvre cette loi au plus vite et dans l’intérêt de tous. C’est la raison pour laquelle je me suis permis de m’ouvrir aux rapporteurs des deux assemblées de mon regret de voir la commission mixte paritaire renvoyer la mise en œuvre de cette loi à des décrets en Conseil d’État plutôt qu’à des décrets simples.
Comprenons-nous bien, il ne s’agit évidemment pas de faire une quelconque offense au Conseil d’État. C’est au contraire en plein accord avec cette institution que nous avions opté pour des décrets simples qu’il est possible de publier rapidement. Vos collègues députés ont été unanimement sensibles à cette rapidité d’exécution, et je sais que votre assemblée n’y est pas non plus indifférente. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement dans des termes identiques à celui qui a été voté par l’Assemblée nationale. J’espère vraiment qu’il recueillera votre accord.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte de la commission mixte paritaire qui est soumis à votre approbation nous offre enfin le cadre juridique dont nous avons tant manqué par le passé pour protéger les mineurs, tout en apportant de précieuses garanties au respect de la présomption d’innocence. C’est un texte efficace, qui permettra aux professionnels de terrain d’agir et qui empêchera les dysfonctionnements que nous avons tous déplorés de se reproduire. En apportant votre soutien à un projet très largement coconstruit avec votre assemblée, vous participerez à la dynamique que doit insuffler ce texte dans les pratiques des magistrats et des administrations. Je vous remercie par avance de votre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC et certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs, texte sur lequel Sénat et Assemblée nationale ont trouvé un compromis.
Ce texte autorise la transmission d’informations – il la rend même obligatoire dans certains cas – entre la justice et l’administration employant des personnes en contact avec des mineurs et mises en cause pour des infractions, notamment à caractère sexuel.
Si les députés sont revenus sur leur intention initiale d’autoriser la transmission d’informations dès la garde à vue ou l’audition libre, les sénateurs membres de la commission mixte paritaire ont, de leur côté, entériné le principe de cette transmission lors d’une procédure en cours, au stade de la mise en examen, par exemple, et donc avant toute condamnation, ce que, pour notre part, nous déplorons.
La peine complémentaire d’interdiction d’exercer un travail impliquant un contact avec des mineurs à la suite d’une condamnation ou d’un placement sous contrôle judiciaire, introduite par la majorité sénatoriale, a finalement été abandonnée. C’est une légère amélioration, dans la mesure où il revient au juge, et non au législateur, de décider d’une telle peine complémentaire.
Toutefois, les progrès constatés dans la rédaction du texte ne font pas changer la position de mon groupe sur l’essentiel. En première lecture, mes collègues Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat ont exprimé de sérieuses inquiétudes face aux risques de dérive que le texte fait peser sur la présomption d’innocence. Ce principe – faut-il le rappeler ? – a valeur constitutionnelle.
Aux termes de l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme énonce, quant à lui, que « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Or la rédaction finale du projet de loi prévoit que l’information soit transmise avant toute condamnation définitive. Cela revient d’une manière ou d’une autre à jeter le soupçon sur une personne dont la culpabilité n’a pas été clairement établie et, dans le cas d’infractions sexuelles en lien avec des mineurs, à bafouer son honneur, à briser sa carrière, sa vie et celle de son entourage.
En première lecture, nous avions proposé une réécriture de l’article 1er, qui prévoyait la transmission systématique d’informations en cas de condamnation définitive, ni plus ni moins. Cette rédaction aurait permis l’élaboration d’un texte plus équilibré et plus conforme au principe de la présomption d’innocence. L’autorité judiciaire doit en effet être protégée de la pression des médias et de l’opinion, qui demandent des jugements immédiats et font peu de cas des droits de la défense.
L’affaire de Villefontaine, qui est à l’origine de ce projet de loi, a connu avant-hier un rebondissement tragique. Il en ressort que la priorité doit consister aujourd’hui à mieux organiser la circulation de l’information entre les administrations et à obliger l’éducation nationale à mieux vérifier les antécédents judiciaires des agents qu’elle nomme à des postes où ils sont en contact avec des mineurs. Ainsi, l’ancien directeur d’école de Villefontaine avait déjà été condamné sept ans auparavant pour des faits qui auraient dû alerter sa hiérarchie.
Mes chers collègues, veuillez m’excuser de le dire ainsi, mais, au fond, chaque affaire est unique. D’autres affaires mettent en cause des adultes à tort. Souvenons-nous de l’affaire Bernard Hanse en 1997 : un professeur de gymnastique, accusé à tort d’attouchements par l’un de ses élèves, avait tragiquement mis fin à ses jours.
Pour conclure, j’indique que les membres du RDSE restent sur la position qu’ils avaient adoptée en première lecture, fidèles en cela à leur tradition de défense des libertés publiques et individuelles. Ce n’est pas parce qu’il y a des failles dans l’administration qu’il est légitime de déposer un texte attentatoire à la présomption d’innocence. À cet égard, je salue les circulaires prises par Mme la ministre de l’éducation nationale, car elles devraient apporter des améliorations concrètes. Si des faits graves survenaient, l’autorité judiciaire dispose déjà d’une panoplie de mesures adaptées, comme le contrôle judiciaire ou la comparution immédiate, et je dis bien « immédiate » !
Attachés comme chacun ici à la protection des enfants, nous veillons aussi au respect des principes fondamentaux et à la qualité de la loi. En l’occurrence, le principe qui doit nous guider est celui de la présomption d’innocence, alors que les malheurs sont multiples : malheur des enfants victimes ou malheur des adultes mis en cause. C’est la raison pour laquelle, comme en première lecture, les membres du RDSE n’approuveront pas le texte. Certains voteront contre les conclusions élaborées par la commission mixte paritaire, quand d’autres, la majorité, s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi avant toute chose d’exprimer ma profonde et très sincère compassion envers les familles bouleversées par le suicide du directeur d’école de Villefontaine.
Le 20 octobre dernier, la Haute Assemblée a examiné une proposition de loi extrêmement pertinente de notre collègue Catherine Troendlé relative à la protection des mineurs contre les agressions sexuelles. Ce texte nécessaire à la protection des enfants n’a pourtant jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Le 26 janvier dernier, nous avons été saisis d’un texte semblable sur l’initiative du Gouvernement.
Aujourd’hui, nous examinons les conclusions de la commission mixte paritaire, qui est parvenue – je m’en réjouis – à élaborer le 22 mars dernier un texte commun sur ce projet de loi.
Je ne rappellerai pas les terribles affaires de pédophilie qui sont survenues dans le milieu scolaire au printemps de l’année 2015 et qui sont à l’origine à la fois de la proposition de loi de notre collègue et du présent projet de loi. Sur un tel sujet, il ne saurait y avoir de débat politicien autour de la reconnaissance de paternité des mesures proposées. Ce qui importe, c’est que le texte soit adopté et surtout qu’il soit appliqué le plus vite possible, de telle sorte que les affaires de Villefontaine et d’Orgères, ravivées tragiquement cette semaine, ne puissent plus se reproduire. En effet, la protection de l’enfant exige à la fois vigilance et attention.
Le constat a été dressé que l’organisation des relations entre l’autorité judiciaire et l’administration de l’éducation nationale était défaillante. Le cadre légal applicable est également porteur d’incertitudes juridiques pour les parquets, chargés des transmissions d’informations, dès lors qu’une procédure pénale est en cours.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, ce projet de loi est nécessaire.
Je veux remercier le rapporteur, François Zocchetto, et les membres de la commission mixte paritaire d’avoir su trouver un accord satisfaisant, disent certains, pour chacune des chambres et, surtout, pour la protection de nos enfants et la présomption d’innocence.
Pour élaborer ce compromis nécessaire à une application rapide du projet de loi, le Sénat a dû renoncer – nous le regrettons vivement – à l’article 1er A visant à rendre systématique, sauf décision contraire spécialement motivée de la juridiction, la peine complémentaire d’interdiction d’exercice, temporaire ou définitive, d’une activité professionnelle impliquant un contact habituel avec des mineurs. En contrepartie, les députés ont suivi la position de principe du Sénat sur le respect de la présomption d’innocence, en renonçant à la possibilité de procéder à la transmission d’informations à l’issue de la garde à vue ou de l’audition libre. Une information à un stade aussi précoce de la procédure aurait gravement contrevenu à la présomption d’innocence et aurait constitué un dispositif contraire à la Constitution. En effet, l’incertitude sur la véracité des faits reprochés à une personne y est bien trop forte.
Il s’agit donc, ce soir, d’approuver un accord équilibré, obtenu en bonne intelligence, qui, nous le souhaitons, permettra de véritables avancées pour la protection des mineurs et l’échange d’informations entre la justice et les administrations, à la condition, madame la ministre, d’y allouer les moyens nécessaires. Il n’y a plus de temps à perdre ! La vulnérabilité des enfants engage notre responsabilité collective, au-delà de nos convictions. Aussi le groupe UDI-UC votera-t-il favorablement ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)