Sommaire
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
Secrétaires :
MM. Christian Cambon, Claude Haut.
M. Éric Bocquet ; Mme la présidente.
Mme Nathalie Goulet ; Mme la présidente.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques ; Mme la présidente ; M. Franck Montaugé.
5. Développement d'outils de gestion de l'aléa économique en agriculture. – Adoption d’une proposition de résolution
M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de résolution
Texte de la proposition de résolution
Adoption, par scrutin public, de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
6. Liberté, indépendance et pluralisme des médias. – Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis de la commission des lois
M. David Assouline, auteur de la proposition de loi n° 416
Clôture de la discussion générale.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur
Amendement n° 34 rectifié de Mme Mireille Jouve. – Retrait.
Amendement n° 37 de M. David Assouline. – Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion.
7. Communication relative à la procédure d’examen en commission d’un projet de loi
8. Communications du conseil constitutionnel
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
10. Communication relative à une commission mixte paritaire
11. Saisine du Conseil constitutionnel
12. Information de l'administration et protection des mineurs. – Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire
Discussion générale :
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Amendement n° 1 du Gouvernement. – Adoption.
Adoption définitive du projet de loi dans le texte de la commission mixte paritaire, modifié.
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Secrétaires :
M. Christian Cambon,
M. Claude Haut.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Commission mixte paritaire
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
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Dépôt de documents
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu du président de l’Assemblée de la Polynésie française le rapport n° 28-2016 et l’avis n° 2016-06 A/APF du 21 mars 2016 sur le projet d’ordonnance portant transposition de la directive 2014/17/UE du 4 février 2014 relative aux contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage résidentiel et sur le projet d’ordonnance portant transposition de la directive 2014/91/UE du 23 juillet 2014 modifiant la directive 2009/65/CE portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM).
Ces documents ont été transmis à la commission des finances.
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Rappels au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour un rappel au règlement.
M. Éric Bocquet. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’agriculture, mes chers collègues, l’actualité de ces derniers jours impose un rappel au règlement du Sénat de la République à l’ouverture de cette séance.
Depuis le début de la semaine, les révélations faites dans le cadre des « Panama papers » mettent en évidence les pratiques, non seulement de l’État de Panama, lequel ne figurait plus sur la liste française des paradis fiscaux depuis 2012, mais aussi de la deuxième banque française, à savoir la Société générale.
Lors de l’émission Cash investigation diffusée sur France 2 hier soir, les propos que M. Frédéric Oudéa, alors président-directeur général de ladite banque, a tenus sous serment lors de son audition par la commission du Sénat le 17 avril 2012 ont été fort utilement rappelés. Permettez-moi de les rappeler ici à mon tour :
« La Société générale a fermé ses implantations dans les pays qui figuraient sur cette liste grise, mais aussi dans ceux que désignait la liste des États non coopératifs, c’est-à-dire en pratique, pour nous, à Panama. »
« En complément de ces différentes réglementations, nous avons adopté un code de conduite fiscale comportant des engagements en matière de lutte contre l’évasion fiscale qui a été approuvé par le conseil d’administration du groupe en novembre 2010. Aux termes de ce document, nous entretenons avec les autorités fiscales une relation transparente. […] En ce qui concerne la relation avec les clients, nous n’encourageons pas ces derniers à contrevenir aux lois et facilitons donc toutes les déclarations et informations aux autorités fiscales. »
« Nous n’avons plus d’activité ni dans les pays de la liste grise ni dans les États non coopératifs et nous avons été au-delà de ces exigences en fermant nos activités dans les territoires qui ne figuraient pas sur ces deux listes, mais qui étaient considérés comme des centres financiers offshore. »
À l'évidence, les informations qui nous parviennent cette semaine contredisent fondamentalement ces déclarations de 2012. Il apparaît en effet que la Société générale est l’un des principaux clients du cabinet Mossack Fonseca implanté au Panama et qu’elle a créé pas moins de 979 sociétés offshore, via Mossack Fonseca. Deux tiers de ces entités offshore ont été créées par sa filiale Société générale Bank & Trust Luxembourg, au cœur de l’Union européenne.
Mme Assassi, présidente du groupe CRC, souhaite mettre ce sujet dans le débat public et saisir le bureau du Sénat de manière officielle et solennelle, afin qu’une suite soit donnée à cette affaire. Il y va selon nous de l’honneur de la Haute Assemblée, du respect des parlementaires dans leurs fonctions, de la République et, plus globalement, de l’ensemble de nos concitoyens, qui ne doivent surtout pas désespérer de nos institutions.
De mon côté, et à titre personnel, j’ai mandaté un avocat en la personne de Me Koubbi, spécialiste de ces sujets, pour agir dans ce dossier. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’indique tout d’abord que le groupe UDI-UC soutient totalement la démarche d’Éric Bocquet.
Je rappelle ensuite, en qualité de vice-présidente de la commission d’enquête sur le rôle des banques et des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux, dont François Pillet était le président et Éric Bocquet le rapporteur, que nous avions sollicité le président Bel, puis le président Larcher, afin d’obtenir la mise en place dans cette maison d’une structure chargée, d’une part, d’assurer le suivi des préconisations formulées par deux commissions d’enquête dans leurs rapports successifs et, d’autre part, de suivre l’évolution de la législation, très importante en la matière. Nous n’avons obtenu satisfaction ni du président Bel ni du président Larcher.
La demande qui est faite aujourd'hui s’inscrit tout à fait dans ce cadre. C'est la raison pour laquelle, madame la présidente, je le répète, notre groupe la soutient et s’y associe totalement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Odette Herviaux et M. Franck Montaugé applaudissent également.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Mon rappel au règlement porte sur l’organisation de nos travaux de cette après-midi.
Nous nous apprêtons à examiner la proposition de loi visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture déposée par certains de nos collègues du groupe socialiste et républicain. Nos collègues ont fait un choix qui doit être ici relevé, lequel est fondé sur l’article 34-1 de la Constitution et sur les articles correspondants du règlement du Sénat. Il en résulte que la commission des affaires économiques n’a pas pu examiner cette proposition de résolution alors qu’elle travaille depuis des mois sur les questions agricoles et qu’il aurait été extrêmement intéressant pour elle de discuter des propositions de nos collègues.
Si ce texte avait été une proposition de résolution européenne, il aurait été examiné et par la commission des affaires européennes et par la commission des affaires économiques. La proposition de résolution que nous examinerons cet après-midi n’aura, elle, été examinée par aucune commission. En outre, puisqu’elle ne peut faire l’objet d’amendements, il faudra la prendre telle quelle !
Ce choix, je pense, ne doit rien au hasard. Nos collègues ont préféré une discussion ne pouvant entraîner la moindre conséquence, à l’instar d’une question orale, dans le créneau horaire offert à l’opposition, quand le groupe Les Républicains, pour sa part, a déposé une proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, laquelle a été discutée.
Je regrette ce choix, d’une part, parce que la commission des affaires économiques a été privée d’un débat qui eût été extrêmement intéressant, et, d’autre part, parce que la discussion de cette proposition de résolution donnera lieu à un dialogue de sourds entre ses auteurs et ceux, dont je fais partie, qui doutent de son efficacité.
En définitive, je regrette profondément que le Sénat n’ait pas été en mesure de discuter de propositions qui, pour une fois, émanaient de nos collègues de l’opposition.
Mme la présidente. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, monsieur le président de la commission.
M. Franck Montaugé. Je demande la parole, madame la présidente !
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Si vous me le permettez, madame la présidente, je réagirai aux propos de M. le président de la commission des affaires économiques.
Monsieur Lenoir, j’entends les arguments que vous avez développés. Notre intention, cher collègue, n’est pas de monopoliser un débat aussi important que celui qui porte sur l’avenir de l’agriculture française et européenne.
La procédure que nous avons choisie est parfaitement légale.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. Je ne le conteste pas !
M. Franck Montaugé. Elle satisfait à toutes les exigences du règlement du Sénat. Nous entendons simplement, et vous le comprendrez à l’écoute des interventions qui seront les nôtres, lancer un débat de fond sur l’avenir de l’agriculture européenne, qui n’appartient à personne et qui intéresse tout le monde.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission des affaires économiques. C’est bien pour cela qu’il aurait fallu un débat au sein de la commission des affaires économiques !
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Développement d'outils de gestion de l'aléa économique en agriculture
Adoption d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Henri Cabanel, Didier Guillaume, Franck Montaugé, Alain Bertrand et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 418).
Dans la discussion, la parole est à M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de résolution.
M. Henri Cabanel, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis fier de présenter aujourd’hui, avec mes collègues Franck Montaugé et Didier Guillaume, cette proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture. En effet, je suis profondément convaincu qu’un marché sans règle est comme une démocratie sans loi.
De la crise porcine à la crise laitière, l’actualité agricole est riche d’exemples dramatiques, aux conséquences humaines et sociales désastreuses. Je rappelle qu’un agriculteur se suicide tous les deux jours.
La volatilité des prix est aujourd’hui le principal défi de l’agriculture. Ce phénomène, en augmentation ces dernières années, a un effet déstabilisant et déstructurant tant sur le secteur agricole que sur les autres maillons de la filière agroalimentaire. Dans un marché mondialisé, il faut donc construire une stratégie à l’échelle européenne.
La crise actuelle, qui est une crise structurelle de l’agriculture européenne, et non pas une crise localisée, une crise nationale, une crise française, comme cela avait d’abord été dit, appelle de nouvelles solutions. Faut-il souligner qu’il y a quelques jours près d’un millier d’agriculteurs britanniques ont manifesté dans les rues de Londres, avec moutons, vaches et veaux, contre la baisse du prix du lait et pour la promotion des produits britanniques ?
L’agriculture est au carrefour d’enjeux multiples, qui sont même de nature vitale pour un pays comme le nôtre : enjeux économiques et sociaux d’abord – l’agriculture fournit 5,6 % des emplois et représente 3,6 % du PIB de la France –, enjeux sanitaires et environnementaux ensuite.
L’ancrage territorial de l’alimentation est l’un des vecteurs du développement durable. L’agriculture participe à l’aménagement de notre territoire, à la préservation et au développement d’une alimentation de qualité ou encore au maintien d’une activité économique dans nos territoires ruraux. Alors que l’agriculture est en décroissance continue, émergent également des enjeux d’indépendance alimentaire à l’échelon européen, comme le soulignent de nombreux professionnels.
En France, de multiples mesures ponctuelles ont été prises afin de faire face à la crise que connaît notre agriculture.
Par ailleurs, la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 a apporté sa part de réponse en engageant notre agriculture dans l’agroécologie, en encourageant la mutualisation et le travail collectif – transparence des groupements agricoles d’exploitation en commun, les GAEC, ou création des groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE – et en renforçant par là même sa compétitivité.
Des dispositifs ont été développés en matière de gestion des risques climatiques et sanitaires.
Dans le domaine sanitaire, l’État est régulièrement amené à prendre des mesures pour se prémunir des risques. Le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental, créé en 2013 et financé par les agriculteurs, l’État et l’Union européenne, indemnise les agriculteurs des pertes subies lors des crises sanitaires ou des accidents environnementaux. Cet exemple français intéresse d’autres pays européens, qui souhaitent s’engager dans cette voie.
Dans le domaine climatique, quelque 65 % de la prime des agriculteurs souscrivant une assurance récolte sont subventionnés. Ce système doit être généralisé grâce au contrat socle mis en place en 2015. Toutefois, le taux de pénétration reste faible : en 2015, seuls 32 % des exploitations de grandes cultures et 20 % des vignes étaient couvertes contre le risque climatique. L’objectif est une montée en puissance d’ici à 2020.
La dotation pour aléas, la DPA, qui permet aux exploitants agricoles de provisionner des fonds en prévision d’éventuelles crises, a été renforcée par le Gouvernement, mais elle nécessite encore des améliorations, notamment par filière et par exploitation.
Enfin, le Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA, vient essentiellement compenser les risques liés aux catastrophes naturelles et les pertes de fonds qui en découlent.
Vous l’aurez compris, nous ne sommes pas de ceux qui pensent que l’État doit se désengager. Tout au contraire, nous militons en faveur d’une intervention raisonnée de la puissance publique, à rebours du libéralisme non maîtrisé des politiques agricoles européennes actuelles.
La crise porcine de l’été dernier, provoquée en partie par l’embargo russe, en partie par l’impossibilité d’établir une cotation entre les plus gros acheteurs de porcs et les éleveurs, a démontré l’inélasticité prix de l’offre à court terme. Il en résulte une impossibilité de fournir sur le long terme une rémunération stable et suffisante des ressources engagées dans la production.
Quand les prix sont élevés, les producteurs investissent et produisent plus, jusqu’au jour où les prix baissent. Les producteurs doivent alors continuer de produire pour rembourser leurs investissements, quitte à subir la sous-rémunération de leur travail.
Le 14 mars dernier, le commissaire européen à l’agriculture a dû se rendre à l’évidence : la concurrence n’est pertinente que dans la mesure où elle fait l’objet d’une régulation étatique. Phil Hogan a ainsi dû acter pour la première fois le déclenchement de l’article 222 permettant aux opérateurs de déroger au droit de la concurrence pour limiter temporairement la production.
S’agissant des mécanismes d’intervention, la Commission a décidé de doubler les plafonds d’intervention pour la poudre de lait et le beurre et de remettre en place des mesures de stockage privé pour le porc.
D’autres outils peuvent être déclenchés. Toutefois, sont-ils adaptés à la situation ? La question de l’aléa économique reste entière. Il existe peu de moyens de sécuriser réellement le revenu des agriculteurs.
Alors que le défi de l’agriculture européenne dans une économie mondialisée, soumise à la concurrence des pays à faibles coûts de production, est celui de la volatilité des prix, nous proposons par cette résolution de faire de la gestion de l’aléa des risques économiques la priorité des négociations qui vont commencer sur la PAC 2020.
Il s’agit de faire le bilan de la politique agricole commune dans l’Union européenne et de ses effets par rapport aux moyens qui y sont consacrés. Il faut s’inspirer des autres puissances agricoles ayant mis en place des outils efficaces pour protéger leurs agriculteurs. En termes d’évolution des soutiens publics entre 2008 et 2015, l’Union européenne est la seule à avoir baissé son soutien, quand la Chine l’a augmenté de 145 %, le Brésil de 44 % et les États-Unis de 39 %.
Nous sommes champions pour la part des paiements découplés, qui s’élève à 61 %, alors que la Chine ne consacre à ces paiements que 18 %, les États-Unis 1 %, et qu’il n’y en a pas au Brésil ni au Canada.
Nous ne pouvons que constater qu’il n’y a pas de stratégie à long terme de l’Europe pour la sécurité alimentaire, la préservation des terres agricoles, la stabilisation des revenus, de l’investissement et de la compétitivité.
Il s’agit donc de mettre en œuvre des mesures pérennes, qui ne peuvent être déclenchées qu’à l’échelle européenne. La France doit porter cette volonté devant l’Union européenne, afin de la rendre commune. Nous estimons donc nécessaire que l’Union européenne s’accorde sur des instruments de mutualisation du risque économique visant à stabiliser les revenus des agriculteurs.
Vous le savez, mes chers collègues, des possibilités existent déjà. L’article 36 du règlement de 2013 donne la possibilité aux États membres de développer « un instrument de stabilisation des revenus, sous la forme de participations financières à des fonds de mutualisation, fournissant une compensation aux agriculteurs en cas de forte baisse de leurs revenus ». La France n’a, pour l’heure, pas pu le faire, pour des raisons tant budgétaires – fonds insuffisants sur le deuxième pilier – que techniques – problème d’articulation avec les autres outils d’assurance récolte.
En conséquence, nous estimons que la réforme de la PAC doit encourager une plus grande flexibilité, afin de construire un mécanisme de stabilisation des revenus au niveau européen, permettant de pallier la disparition des outils de régulation et se fondant sur le principe fondamental de la solidarité professionnelle.
Aucun instrument de gestion des risques ne peut répondre à lui seul à la variété des situations. Une combinaison d’outils est nécessaire en fonction de la nature et de l’ampleur des risques, des productions et des filières concernées, ainsi que des objectifs des agriculteurs et des pouvoirs publics.
Il faut être innovant et supprimer les contraintes qui pèsent sur les tests de terrain. La France peut être un pays précurseur en ce domaine. Il faut créer des réseaux de collaboration au niveau européen sur la recherche et, enfin, réfléchir à la création d’une agence européenne de gestion des risques, avec des objectifs, ainsi que des moyens pour définir des stratégies.
La prochaine réunion du comité de l’agriculture de l’OCDE se déroulera demain et vendredi à Paris. La France copréside avec les États-Unis cet événement, et cela en présence du commissaire européen à l’agriculture. À cette occasion, il serait judicieux que la France porte cette proposition auprès de ses partenaires européens, engageant ainsi les réflexions autour de la future PAC post-2020. Cette dernière doit accorder davantage de place à la gestion des risques en agriculture.
Nous le savons bien, les négociations s’annoncent très difficiles, mais elles indispensables. Elles s’annoncent longues, c’est pourquoi il faut les entamer de suite, pour espérer qu’elles portent leurs fruits pour la construction de la prochaine PAC.
Monsieur le ministre, nous connaissons l’image de la France dans le monde, nous connaissons la place et la qualité de notre agriculture, nous connaissons votre détermination et votre force de persuasion. Vous pourrez, je l’espère, vous appuyer sur la volonté du Parlement pour réussir ce défi majeur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, encore une fois, nous partageons les constats dressés dans l’exposé des motifs de cette proposition de résolution.
S’il est vrai qu’aujourd’hui l’Europe n’est plus en capacité de compenser avec justesse la volatilité des prix et des revenus, il est vrai également que le libéralisme effréné engendre la course sans fin à l’agrandissement et à la compétitivité exacerbée entre États membres, qui ouvrent la voie au dumping social, à la main-d’œuvre bon marché et aux prix tirés vers le bas.
Comment ne pas souscrire à l’idée que, pour remédier à cette volatilité des marchés, à la concurrence internationale sans limites et parfois même déloyale, à l’incapacité à maintenir des prix rémunérateurs, mais aussi aux crises sanitaires ou diplomatiques, il faille mettre en place des outils de gestion de l’aléa économique au niveau européen ?
L’Europe de l’harmonisation reste à construire, et c’est urgent et indispensable, car le chemin risque d’être long ! Les États ont abandonné aux seules lois du marché leurs agriculteurs.
Toutefois, nous ne pensons pas que le développement de l’assurance récolte et la construction d’un système de mutualisation des risques économiques ou de solidarité professionnelle permettant aux acteurs des différentes filières de développer des organisations économiques soient des solutions permettant de faire face aux aléas du marché.
Alors que la gestion des marchés et la régulation des productions ne sont plus à l’ordre du jour, que les crédits alloués dans la PAC aux situations de crise sont insignifiants au regard des besoins, vous nous proposez de mettre en place et de promouvoir les outils du marché en lieu et place d’une véritable politique publique.
On passe à la « gestion des risques » via des compagnies d’assurance ou des fonds de mutualisation à cotisation obligatoire.
Cette proposition de résolution s’inscrit dès lors dans la continuité de la loi de modernisation agricole de 2010, qui a posé les grandes orientations en faveur des marchés à terme, des assurances revenus ou chiffres d’affaires et de la contractualisation. Pourtant, nous avions alors soulevé le paradoxe qui consiste, d’un côté, à déréguler la PAC, puis, de l’autre, à compenser les aléas ainsi créés.
Nous pensons au contraire qu’il faut sortir l’agriculture des logiques marchandes et financières. Il faut s’attaquer aux véritables causes de la situation en concertation avec l’ensemble des producteurs et des professionnels. Si l’on ne prévoit pas des règles au niveau européen, on ne s’en sortira pas.
Pour garantir des revenus dignes à nos agriculteurs, pour assurer sur nos territoires une production alimentaire de qualité, notre agriculture a besoin de stabilité. En effet, la suppression de toutes les mesures d’orientation des prix place les exploitants agricoles dans un face-à-face déséquilibré avec les opérateurs de marché, les transformateurs et la grande distribution.
Nous pensons au contraire qu’il faut réhabiliter le principe d’une véritable régulation, permettant de garantir un prix décent.
Il faut dès lors une maîtrise des volumes de production, car 1 % de lait ou de viande en trop sur le marché, c’est 10 % de baisse de prix ! Il faut aussi contraindre la grande distribution à la loyauté, en restituant la part de la plus-value prise aux paysans après la flambée des prix en 2009.
Il faut également interdire les ventes à perte et fixer des prix rémunérateurs. Il est aussi du ressort des chambres d’agriculture, qui remplissent une mission de service public, de contribuer à fixer des prix rémunérateurs aux produits agricoles.
On pourrait aussi imaginer un fonds structurel dédié aux filières en difficultés et géré par les acteurs eux-mêmes. Nous avons déposé de nombreux amendements en ce sens – des amendements réalistes, loin de la simple déclaration d’intention.
Toutefois, nous pouvons aller plus loin en prenant l’exemple du quantum mis en place en France pour le blé en 1945. Ainsi, pendant des décennies, les cinquante premiers quintaux de blé vendus par chaque exploitation étaient payés à un prix fort garanti par l’État. Le reste obéissait aux lois du marché.
Ce système, appelé « paiement différencié », a fonctionné en France pendant des années pour la production de jeunes bovins. Il s’agirait donc d’utiliser le budget consacré aux primes PAC pour un complément de prix. Il serait réservé à la première tranche de production chez chaque éleveur. Le quantum, le prix garanti aux producteurs, serait bien sûr l’addition du prix du marché et du complément du prix. Voilà la vraie assurance qui permettrait de sauver nos petits et moyens agriculteurs.
L’économie au sens noble y gagnerait : ce sont les grosses exploitations laitières et porcines qui produisent au prix le plus élevé ; il coûte quatre fois moins cher de nourrir une vache au pré plutôt qu’à l’auge avec du maïs et du soja OGM importé.
Ce sont des pistes que nous aurions tout intérêt à approfondir aux niveaux national et européen si nous voulons véritablement sauver notre agriculture. Il faudra bien faire évoluer le droit européen, et le plus vite sera le mieux !
Comme le rappelait récemment le rapporteur Daniel Gremillet lors de la discussion de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, les suicides sont nombreux parmi les agriculteurs. Si nous ne nous attaquons pas au problème de la répartition de la valeur ajoutée au sein des filières et aux prix d’achat aux agriculteurs, nous ne répondrons pas à leurs besoins et nous n’assurerons pas leur survie.
Au-delà de la recherche de solutions conjoncturelles, nous allons devoir reprendre notre avenir agricole en main, afin que l’exploitation et l’exploitant soient remis au centre des décisions. Le fonctionnement de toutes les filières agricoles est à bout de souffle.
Malheureusement, cette proposition de résolution ne redonnera pas suffisamment d’oxygène. Elle ne permet pas de réécrire collectivement l’avenir de notre agriculture pour la sortir de la zone sombre. C’est pour ces seules raisons, et non pour afficher une quelconque posture, mes chers collègues, que nous ne voterons pas en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé.
M. Franck Montaugé. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, lors des trop nombreuses crises qui touchent notre agriculture, combien de fois avons-nous entendu, à juste titre : « Nous ne voulons pas des primes, nous voulons des prix ! » ?
Dans le même temps, certains de nos agriculteurs, parfois jeunes, en appellent à des réformes structurelles qui permettraient de vivre plus directement et plus décemment d’une rémunération par les marchés, des marchés correctement rémunérateurs qui leur donnent aussi une visibilité suffisante pour définir la bonne stratégie d’exploitation, pour faire les choix pertinents d’investissement qui demeurent, on le sait, la condition majeure de leur compétitivité dans la durée. Des marchés « justes » en quelque sorte.
Toutefois, quelle est la réalité ? Celle-ci est d’abord faite de la réponse conjoncturelle que le Gouvernement a apportée aux différentes filières en crise. Près de 4,5 milliards d'euros de soutiens – un niveau inédit dans l’histoire de notre pays – ont été apportés sous des formes diverses, pour répondre aux enjeux immédiats, de survie parfois, de notre agriculture.
Au-delà de ces mesures, la réalité, ce sont des mécanismes de régulation des marchés qui soit ont disparu – c’est le cas des quotas –, soit n’existent pas, ou alors sous des formes quasi embryonnaires.
Dans le cadre des traités et des règlements de l’Union européenne, les principes de l’ultralibéralisme modèlent l’agriculture de nos nations, de nos régions et de nos terroirs, en même temps qu’ils font disparaître et souffrir trop souvent, parfois jusqu’à l’insupportable, nos paysans. Dans ce contexte éminemment politique, dont les valeurs prépondérantes ne sont pas les miennes, la résignation n’est pas de mise et la réaction ne peut être que politique !
Néanmoins, l’avènement du « grand soir » est aussi peu probable qu’est juste, à l’égard du producteur agricole, le dogme de la « concurrence libre et non faussée » ! Alors, que faire ? Pour davantage de justice et d’équité dans la rémunération de nos producteurs, il faut regarder la réalité en face, appréhender dans toutes ses composantes la complexité du sujet et affronter la réalité de ces marchés avec les bons outils de gestion de leur volatilité et de celle des prix. Telle est l’ambition de cette proposition de résolution.
Une remarque me paraît essentielle pour prendre la mesure de la situation, insoutenable dans la durée, à mon sens, dans laquelle se trouvent aujourd’hui la plupart des agriculteurs européens. Les agriculteurs n’ont pas de pouvoir de marché. Pis, quand les aides dont ils bénéficient augmentent, c’est l’amont et l’aval qui en profitent.
La question se pose immédiatement du rôle que devrait jouer l’Europe dans ce contexte d’adossement – le mot « affrontement » serait plus approprié – aux marchés européens et mondiaux qui déterminent pour une large part les revenus de nos producteurs.
La PAC actuelle n’intègre pas, à un niveau significatif en tout cas, de mécanisme de gestion du risque de prix. Si l’on examine la situation sur le plan international, plusieurs constatations s’imposent. Malgré les idées reçues, les soutiens globaux par habitant augmentent aux États-Unis, en Chine, au Brésil, etc., et ils diminuent dans l’Union européenne. Les États-Unis ont abandonné leurs aides découplées et consacrent 80 % de leurs aides aux assurances.
À la différence de l’Union européenne, les États-Unis ont une interprétation très libérale des règles d’aides de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, traduites dans les boîtes « verte », « orange » et « rouge ».
L’Union européenne est le seul pays à utiliser des aides découplées et elle y consacre 80 % de son budget. Elle n’a pas de stratégie agricole à long terme en matière de sécurité alimentaire, d’accès à la terre, de stabilisation des revenus, de soutien à la croissance et à l’emploi.
Le budget agricole américain est flexible et facilement modulable, alors que celui de la PAC l’est beaucoup moins.
Enfin, on constate que l’écart en matière de système d’information entre les États-Unis et l’Union européenne est considérable sur les comptabilités des exploitations, ainsi que sur la connaissance de la réalité physique des territoires agraires – les techniques satellitaires y sont beaucoup plus développées que chez nous –, et que le big data agricole, qui est une réalité aux États-Unis, est inexistant dans l’Union européenne.
Sans considérer comme un modèle le système américain de gestion de risques, il faut l’étudier pour définir notre propre approche et notre boîte à outils de gestion et de couverture des différents types de risques.
Pour les risques individuels de type usuel, la gestion relève de choix privés soutenus par des aides publiques à la diversification des cultures, à l’épargne de précaution, au lissage par la fiscalité, aux baisses de charges.
Quand l’aléa est maîtrisable, interventions collectives et publiques se complètent par le biais de coopération de producteurs, de fonds de mutualisation des risques, d’assurances récoltes – risques climatiques, d’assurances revenus et de couvertures à terme.
Enfin, lorsque le risque est systémique et que l’aléa est catastrophique, c’est au public d’intervenir pour rééquilibrer les marchés, avec des aides contracycliques et au titre de la solidarité nationale pour les calamités naturelles.
À partir de cette cartographie et de l’analyse des politiques nationales et de la politique européenne dans ce domaine, quel constat peut-on faire ? Où sont les marges de manœuvre, les possibilités de progrès, les orientations à privilégier ?
Tout d’abord, l’État intervient sur baisses de charges et sur le lissage de la fiscalité. Il encourage les organisations collectives – coopératives, GAEC, GIEE –, gages d’efficience accrue et de mutualisation des risques. Il intervient aussi dans le financement des assurances récolte-risques climatiques par le biais du contrat socle, et en matière de calamités sanitaires ou environnementales, au travers notamment du Fonds national de mutualisation sanitaire et environnemental, le FMSE.
Il pourrait utilement approfondir la mise en œuvre des articles 36 à 39 du règlement 1305/2013 de l’Union européenne, qui traitent de la gestion des risques par la mise en place de dispositifs assurantiels de couverture des pertes, de fonds de mutualisation permettant le paiement de compensations financières, d’instruments de stabilisation des revenus.
Quant à l’Union européenne, dans la perspective de la PAC 2020, elle devrait se mettre en position de pouvoir évaluer finement les pertes de revenus agricoles, soutenir des instruments visant à combler le fossé entre les marchés purement financiers et le marché de l’assurance, favoriser la création de comptes d’épargne de précaution, soutenir les tests de terrain pour valider ou non les concepts de gestion de risque et les méthodes nouvelles.
L’Union pourrait également développer des processus d’apprentissage à partir d’expérimentations et de modélisations, prévoir un financement suffisamment flexible pour les outils de gestion des risques en utilisant les réserves spéciales dont elle dispose, prévoir une organisation pour la supervision de la gestion des risques en restructurant le premier pilier, en fixant des objectifs stratégiques pour ce premier pilier restructuré, et, enfin, adapter le cycle de gestion budgétaire de la PAC.
Je soumets à notre débat ces pistes possibles de réflexion et d’étude. Elles constituent une réorientation stratégique de la PAC actuelle, dont la transition vers ce nouveau modèle doit être mûrement pensée, l’expérimentation, la modélisation et l’évaluation devant être engagées sous forme de tests ou d’expérimentations sans tarder. Nombre d’acteurs intéressés y sont prêts.
Sur un plan plus politique, je reste convaincu que la construction d’un rapport de force impliquant toutes les parties prenantes – gouvernements des pays membres, organismes professionnels, etc. – sera indispensable pour mener à bien une telle réforme.
La démarche que vient de mener avec succès le ministre auprès du commissaire européen Phil Hogan démontre que volonté politique et force du collectif peuvent faire bouger les lignes.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Franck Montaugé. Je termine, madame la présidente.
N’oublions pas non plus que, pour obtenir l’indispensable adhésion des agriculteurs eux-mêmes à ce nouveau paradigme, parce que c’est de cela qu’il s’agit, il faudra les former. Les associer au plus tôt dans ce processus de transition majeur est donc un impératif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Madame la présidente, monsieur le ministre, oui, les différentes crises qui se succèdent doivent nous pousser à réfléchir à de nouveaux modes de soutien et d’accompagnement de nos agriculteurs.
Tel est l’objet de cette proposition de résolution, dont je salue la pertinence. Toutefois, dans le contexte de crise actuelle, cela ne nous dispensera pas de saluer également les nombreuses mesures prises sur votre initiative, monsieur le ministre, par le Gouvernement et que certains oublient bien trop facilement.
Mes chers collègues, les producteurs agricoles sont schématiquement confrontés à quatre risques majeurs : climatique, économique, sanitaire, environnemental.
Des voies ont certes été ouvertes par la PAC 2014-2020 en matière de gestion des risques. L’ensemble des outils existants permet d’ores et déjà de couvrir un certain nombre de risques en agriculture. Néanmoins, la question de l’aléa économique n’a, pour le moment, pas été réglée par la PAC et son deuxième pilier. En effet, à chaque crise, et l’actualité récente nous le rappelle, de nombreuses exploitations se trouvent fragilisées et l’on voit disparaître des agriculteurs, avec les conséquences économiques, sociales et territoriales connues de tous.
Il faut, par conséquent, faire rapidement évoluer le dispositif et couvrir également les aléas économiques. L’enjeu est de taille, mais il doit être évalué en tenant compte des futures échéances qui attendent la PAC et l’Union européenne.
Aujourd’hui, dans la PAC, les crédits alloués aux situations de crise sont insignifiants au regard des réels besoins qui s’expriment.
Pour que l’aléa économique puisse être mieux pris en compte, il conviendrait soit d’augmenter significativement les dotations du deuxième pilier de la PAC affectées à cette action, soit de faire basculer le mécanisme de stabilisation des revenus du deuxième vers le premier pilier de la PAC, afin de le rendre éligible aux aides directes.
Les enjeux sont connus. La PAC devra nécessairement être modifiée en profondeur après 2020, pour s’adapter aux situations nouvelles que nous connaissons. C’est dès à présent qu’il faut agir, et je sais que le Gouvernement y est prêt.
Selon moi, seule la France a la capacité d’être leader sur ces orientations de la politique agricole européenne. Il est donc hautement nécessaire qu’elle porte cette proposition au niveau européen, dans le cadre des réflexions menées sur la PAC de l'après 2020, afin de construire un système de mutualisation du risque économique en agriculture visant comme objectif principal la stabilisation et la garantie des revenus.
Je voudrais enfin vous alerter sur un autre sujet, monsieur le ministre : les difficultés rencontrées par nos viticulteurs à la suite des importations de vins à bas prix venus d’Espagne. C’est là un vrai problème, qui peut entraîner une réelle dégradation de la situation viticole. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme aucun autre secteur économique, l’agriculture doit faire face à différents types d’aléas, sanitaire, climatique, économique et même diplomatique, si l’on songe à l’embargo russe. Tous ces risques, qui parfois se cumulent, fragilisent la plupart des filières.
Nous connaissons tous le poids de l’agriculture dans la balance commerciale, son rôle dans l’aménagement du territoire et, tout simplement, sa vocation première de fournir une alimentation de qualité. Il n’est donc pas besoin de démontrer que la France a tout intérêt à maintenir son rang de grande nation agricole et, pour cela, à conserver les quelque 452 000 exploitations qui couvrent encore son territoire.
Hélas, dans un contexte de plus en plus concurrentiel, notre agriculture souffre d’un déficit de compétitivité qui la déclasse progressivement.
Dans ces conditions, comment protéger l’agriculture des crises conjoncturelles ? Comment garantir la viabilité d’une exploitation en cas de coup dur ? Plus fondamentalement, comment assurer des revenus décents à tous ceux, hommes et femmes, qui sacrifient beaucoup pour leur travail sans être certains d’en vivre correctement ?
Nous savons que les différents plans d’aide, tels que ceux qui ont été mis en œuvre au cours de ces derniers mois pour répondre à la crise de l’élevage, constituent une réponse d’urgence nécessaire. Toutefois, ils ne constituent pas une solution pérenne pour stabiliser les revenus des agriculteurs sur le long terme.
Quant aux grandes lois d’orientation, elles sont également utiles pour encourager les réformes de structure ainsi que l’adaptation des exploitations aux nouveaux défis, tels que celui de l’environnement, pour n’en citer qu’un. C’est ainsi, monsieur le ministre, que le RDSE avait approuvé en 2014 la loi d’avenir visant à organiser la transition vers l’agroécologie et engager l’agriculture dans une véritable mutation.
Néanmoins, là aussi, malgré les efforts de structuration des filières, le développement de la contractualisation ou encore l’encouragement aux démarches de qualité, nous constatons que l’agriculture continue de rencontrer des difficultés.
Si, globalement, nous avons un secteur qui est performant à bien des égards, nous savons aussi qu’il est tributaire d’un contexte mondial de grande volatilité des prix, dans lequel l’agriculture européenne est de moins en moins protégée. Nous voyons bien comment la fin des quotas laitiers perturbe la filière du lait – j’en profite, monsieur le ministre, pour saluer votre ténacité, bien connue, concernant la réintroduction de mécanismes de régulation, même si cela n’est que temporaire.
Sans contester le principe de réciprocité dans les échanges agricoles, comment nos exploitants peuvent-ils affronter le marché avec des standards de production qui diffèrent d’un pays à un autre ? Cette réciprocité n’a de sens que si, de notre côté, nous mettons fin au zèle normatif qui augmente nos coûts de production et si, de l’autre, ce n’est pas la foire au moins-disant social ou sanitaire.
Je m’inquiète d’ailleurs des conséquences du traité transatlantique sur l’agriculture, un sujet dont nous avons débattu récemment au Sénat. Comme vous le savez, mes chers collègues, le volet de la levée des obstacles non tarifaires pourrait poser problème à la filière bovine. La France doit défendre ses intérêts.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, d’autant plus que c’est un engagement qu’avait pris le Président de la République en 2013 devant les éleveurs à Cournon-d’Auvergne. « Je ferai également tout pour que l’agriculture puisse être préservée dans la négociation avec les États-Unis, car nos produits ne peuvent pas être abandonnés aux seules règles du marché », disait-il. Nous sommes bien d’accord…
En attendant, dans le contexte général d’une libéralisation qui gagne du terrain, il est évident que, tant que nos agriculteurs ne se battront pas à armes égales avec leurs concurrents, nous devrons leur garantir un filet de sécurité. Lorsqu’une crise se déclare, nous engageons souvent en premier lieu un traitement social, avec un report de charges ou un allégement de dettes. Cette approche fait dépendre le sort des exploitants les plus fragiles de la bonne volonté du Gouvernement. Il faut rapidement trouver un mécanisme permanent de stabilisation en cas d’aléa économique.
Comme le souligne la proposition de résolution, peu d’outils permettent de sécuriser le revenu des agriculteurs. Nous devons donc engager une réflexion dans ce sens pour mettre en œuvre un instrument fondé sur la mutualisation du risque.
Comme le suggèrent également les auteurs de la proposition de résolution, la PAC doit être le cadre de cette mise en œuvre. La solidarité est une valeur qui fonde le projet européen. L’Union européenne doit mieux la traduire au travers de sa politique agricole, sans qu’il soit besoin de faire le forcing, comme la France a dû le faire au cours de ces derniers mois pour faire accepter ses propositions en réponse à la crise de l’élevage.
Enfin, je dirai un mot de l’aléa climatique, bien que ce ne soit pas le sujet. Il me semble qu’une assurance récolte est un gage de la solidité économique d’une exploitation et, par conséquent, une garantie, aussi, de préservation des revenus des agriculteurs. Je voudrais juste rappeler que j’avais défendu en 2008 une proposition de loi visant à rendre cette assurance obligatoire, car, à ce jour, trop peu d’exploitants sont couverts. C’est un chantier à approfondir, monsieur le ministre.
Mes chers collègues, nous sommes à la veille du comité de l’agriculture de l’OCDE. Aussi, l’adoption de la proposition de résolution permettrait d’envoyer un message auquel le RDSE souhaite s’associer. C’est pourquoi l’ensemble des membres de notre groupe approuvera cette proposition, sans arrière-pensée et avec enthousiasme.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre agriculture est en danger de mort. Les agriculteurs disparaissent dans la colère et la souffrance, et certains d’entre eux sont poussés au suicide. Comme vous le savez, notre agriculture traverse une crise majeure, à la fois conjoncturelle et structurelle.
Le Gouvernement a pris la mesure de cette crise beaucoup trop tard, et pour cause : quand donnerez-vous à nos agriculteurs un ministre à plein-temps, qui ne cumule pas ses fonctions avec celles de porte-parole du Gouvernement et qui s’intéresse réellement à la crise agricole ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Notre agriculture doit redevenir la première puissance européenne. Pour rendre à l’agriculture française son rang, la majorité sénatoriale a tiré la sonnette d’alarme dès le mois de mai 2015. En effet, le président Jean-Claude Lenoir vous avait suggéré, monsieur le ministre, de venir devant la commission des affaires économiques du Sénat pour faire le point sur le dossier de l’élevage. Vous êtes venu le 4 juin 2015.
En juin 2015, mes collègues Daniel Gremillet et Jackie Pierre avaient interpellé le Gouvernement sur la faiblesse des prix du lait et des viandes bovines, ovines et porcines. Ces interpellations avaient d’ailleurs été relayées au sein de la commission des affaires européennes, où la question cruciale des marges et des débouchés avait été longuement abordée.
Face à la fronde des agriculteurs, le président Gérard Larcher a organisé le 16 juillet dernier une table ronde en pleine crise agricole. Quel dommage de ne pas mettre en avant, dans cette proposition de résolution, le travail effectué par le Sénat, et surtout la rapidité avec laquelle le président Larcher avait réagi sur le problème agricole !
Cette table ronde avait pourtant permis de rassembler l’ensemble des acteurs de la filière agroalimentaire. Il s'est ensuivi, au cours de l’été 2015, un grand nombre de manifestations musclées dans tout le pays, notamment la « nuit de la détresse ». Puis, le 3 septembre dernier, les agriculteurs se sont massivement rassemblés à Paris. Ce même jour, nous avons accueilli au Sénat une délégation de représentants des organisations agricoles présentes sur la place parisienne.
Monsieur le ministre, je pourrais aussi vous parler du débat que nous avons eu dans cet hémicycle le 6 octobre 2015 sur la situation et l’avenir de l’agriculture. Deux jours plus tard, la commission des affaires européennes, dont je suis membre, a rencontré M. Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture.
Vous oubliez également la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture, à travers laquelle la majorité sénatoriale a voulu répondre aux attentes des agriculteurs à court, moyen et long terme, en faisant preuve d’une véritable ambition pour le monde agricole.
Aucune ligne de la présente proposition de résolution ne rappelle tout le travail effectué, rapidement et avec efficacité, par le Sénat, qui a déposé un texte apportant des réponses et des solutions concrètes à la détresse des agriculteurs. Le Gouvernement a certes pris des mesures d’urgence : nous le constatons tous ici et ne cherchons pas à le nier.
Alors oui, je le répète, quel dommage de ne pas mentionner dans cette proposition de résolution les mesures structurelles qui ont été adoptées par la majorité sénatoriale et rejetées par la majorité socialiste de l’Assemblée nationale, ce que je considère comme une marque de mépris. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Ces mesures, je le rappelle, concernent notamment l’amélioration du dispositif de contractualisation en faveur de l’incitation à l’investissement, ou encore de l’allégement des charges de toute nature.
Nous avons déposé une proposition de loi qui va bien plus loin que cette proposition de résolution. Dès lors, permettez-moi de m’interroger, mes chers collègues, sur l’intérêt de ce texte. Contrairement aux lois, les résolutions n’ont pas de valeur contraignante et marquent l’expression d’un souhait ou d’une préoccupation.
Ce n’est qu’aujourd’hui, le 6 avril 2016, que la crise agricole est devenue une préoccupation et une priorité pour vous, chers collègues, qui vous êtes abstenus le 9 décembre 2015, puis le 23 mars 2016, lorsqu’il fallait se prononcer sur la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
De même, vos collègues socialistes de l’Assemblée nationale ont rejeté cette proposition de loi le 4 février dernier. C’est incompréhensible ! Pourquoi proposer une résolution et ne pas avoir voté une proposition de loi qui va beaucoup plus loin ?
Nous avons voté une proposition de loi dont l’ambition est de redonner de véritables perspectives à nos agriculteurs et à l’économie agroalimentaire de notre pays. Il s’agit aussi d’affirmer une position forte de la France dans la perspective de la future réforme de la PAC.
Plutôt que d’avoir pris une posture purement politicienne et de ne pas participer à l’enrichissement de la proposition de loi au travers de vos propositions, vous avez fait le choix de vous limiter à une simple résolution, qui n’est pas le fruit du débat parlementaire tant nécessaire pour conforter la position française en Europe et, par-delà, notre ministre.
Chers collègues signataires de cette résolution, invitez vos collègues députés socialistes à se mettre en cohérence avec vous et ainsi adopter notre proposition de loi. Faites-le au moins pour l’agriculture !
Nous nous abstiendrons sur cette résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’exposé des motifs de la proposition de résolution rappelle plusieurs rendez-vous qui ont ponctué l’année 2015 : le plan exceptionnel de soutien à l’élevage lancé le 22 juillet, les mesures complémentaires prises le 3 septembre, la loi de finances pour 2016 parue au Journal officiel le 30 décembre, enfin, devant la persistance de la crise, les décisions portant essentiellement sur l’allégement des charges sociales prises le 11 février.
Tout en reconnaissant les efforts réalisés, je constate que la situation de l’agriculture n’a pas évolué favorablement pour autant.
Examinons l’évolution des cours des grandes productions. En ce qui concerne le lait, nous nous orientons vers un prix de 2,90 euros pour dix litres, en baisse de près de 40 centimes par rapport aux années 2012-2013. S’agissant du porc, nous nous situons autour de 1,10 euro le kilogramme, avant application d’un système différencié de primes. Pour les céréales, l’année qui s’ouvre s’annonce extrêmement difficile.
Nous sommes d’accord sur le constat, mais ce n’est pas le plus difficile. Repenser le modèle agricole est une nécessité, qui s’impose dans un cadre européen et mondial dépassant désormais largement les frontières de l’Hexagone.
Le contexte européen est évoqué dans cette proposition de résolution. La préparation de la future PAC sera, bien évidemment, un très grand rendez-vous. Il est clair que la France portera de lourdes responsabilités quant à la définition des futures interventions.
Nous avons constaté des évolutions significatives : il faut aujourd’hui les évaluer froidement et probablement corriger certaines d’entre elles.
Le budget de l’agriculture est globalement en régression. C’est un constat, monsieur le ministre, pas un reproche, car le débat est complexe. Les décisions sur le découplage sont bonnes, de même que les réflexions en direction de l’élevage et des jeunes agriculteurs. En revanche, le budget européen doit être totalement revisité en ce qui concerne les opérations de « verdissement » : leur évaluation mérite d’être affinée, de même que leur réel rapport qualité-prix. Enfin, la responsabilité de l’Europe sur sa contribution à la couverture des risques économiques doit être engagée.
Faut-il définitivement abandonner l’idée d’outils de régulation ? C’est ma première interrogation.
Ce serait selon moi une erreur de penser que nous devons totalement et définitivement abandonner l’idée de régulation des prix et des volumes. Ce serait un véritable aveu d’impuissance par rapport à la liberté des marchés. Nous pensons donc que des initiatives portant sur les outils de régulation des prix et des volumes doivent être prises.
Ma seconde interrogation porte sur la solidarité professionnelle. Son principe est accepté par les acteurs politiques et professionnels. Toutefois, soyons lucides : ces mécanismes seront difficiles à construire. Comment prendre la mesure de l’aléa économique ? Quels seront les seuils déclencheurs ? Faut-il avoir une approche locale, régionale ou nationale ? Quels moyens budgétaires des collectivités, quels moyens financiers et quels moyens fiscaux faudra-t-il déployer ? Autant de réponses que la profession, l’Union européenne et la France devront construire.
Au-delà du budget de la PAC et de sa future évolution, nous ne pouvons passer sous silence les délocalisations des productions dans des pays européens, qui mettent la France en grande difficulté.
Nous pouvons ainsi nous pencher sur le déplacement de la production laitière ou de la production porcine. Observons les phénomènes concernant les fruits et légumes : les distorsions de concurrence entre pays membres ne sont plus supportables. Il y a là un vrai sujet d’harmonisation des politiques sociales et environnementales au plan européen, et un véritable chantier que cette proposition de résolution devrait aborder beaucoup plus clairement. C’est dire l’urgence qu’il y a à prendre des initiatives politiques significatives.
Des réflexions sont déjà engagées sur la PAC de l’après-2020. Les institutions européennes admettent que des mécanismes de couverture des risques sous forme d’assurance, de fonds mutuels ou d’outils de stabilisation du revenu existent, mais qu’ils sont très peu utilisés.
Le Parlement européen prépare un rapport sur la question, et une étude suggère une organisation à cinq niveaux, depuis la gestion des risques les moins importants jusqu’aux crises les plus graves, qui seraient, elles, gérées directement par la Commission européenne.
La gestion des volumes serait prise en main par les organisations de producteurs, assistées par les collectivités. Des assurances récoltes et revenus seraient développées avec, là aussi, des financements publics. Ces pistes intéressantes arrivent tardivement, mais il faut néanmoins les prendre en compte.
Je rappelle par ailleurs la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, examinée le 23 mars dernier au Sénat en deuxième lecture. Différentes orientations fondamentales sont évoquées dans ce texte, et on ne peut que souhaiter le succès de cette proposition de loi et regretter son rejet par l’Assemblée nationale. La recherche d’un consensus sur ce texte nous semble nécessaire et serait, à n’en pas douter, saluée.
La proposition de résolution examinée aujourd’hui nous semble également utile, et nous lui apporterons donc notre appui.
Je souhaite, pour terminer, évoquer l’initiative que je compte prendre avec certains de mes collègues membres de la commission des affaires économiques.
Nous sommes en effet en train de planifier une série d’auditions d’acteurs clefs du secteur des assurances, d’acteurs institutionnels et d’acteurs de terrain, avec pour objectif de déposer une proposition de loi dont je souhaite vivement qu’elle puisse associer toutes les formations politiques de notre assemblée.
Je considère que le sujet de la « couverture des risques », particulièrement des risques climatiques en l’espèce, mériterait d’être abordé avec toute la vigueur et l’intérêt nécessaires.
À l’heure actuelle, trois types d’interventions existent : un dispositif de provisions fiscales sur les résultats d’exploitation, qui intéresse les zones à grande culture ou à haute rentabilité ; le système dit « des calamités agricoles », alimenté financièrement par les agriculteurs, mais dont le niveau de couverture est faible ; enfin, le système assurantiel, qui est limité, car il est onéreux, malgré les aides européennes.
Une solution visant à régler les difficultés posées par les aléas climatiques doit être trouvée. La situation de grande fragilité que connaît l’agriculture nécessite un système de couverture, et de toute urgence. Nous devons, tous ensemble, y travailler, et je fais appel à toutes les sensibilités politiques.
Le principe de l’assurance généralisée doit être retenu, car il organise à lui seul un système vraiment mutualisé. La discussion avec les organismes d’assurance doit s’ouvrir d’urgence, afin de percevoir les vrais enjeux.
Enfin, les concours publics indispensables doivent être réunis. C’est possible et, selon moi, le budget de 255 millions d’euros destiné au Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA, doit trouver là son utilisation exclusive. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le soutien de l’agriculture française mobilise, une fois de plus, notre hémicycle. La grave crise que celle-ci traverse touche l’ensemble des territoires et ne laisse indifférents ni les élus ni l’ensemble de nos concitoyens.
Cette résolution, qui nous occupe aujourd’hui, vise à compléter les dispositifs assurantiels existants de gestion des risques agricoles.
Ces dispositifs sont actuellement de trois ordres : l’assurance récolte, dont le Gouvernement essaie de renforcer l’attractivité ; la dotation pour aléas, également renforcée par le Gouvernement ; enfin, le Fonds national de gestion des risques en agriculture, qui a vocation à répondre aux besoins en cas d’événement catastrophique.
La proposition de résolution requiert qu’on lui adjoigne un système global européen de sécurisation de l’aléa économique, complémentaire des aides de la politique agricole commune actuelle. Cela permettrait de faire face aux variations brutales des cours inhérentes aux marchés mondialisés, parfois sujets à une scandaleuse spéculation sur les matières premières agricoles.
Selon l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, pour 100 euros d’achat alimentaire sur le marché, quelque 8,20 euros seulement reviennent à l’agriculture, 13,20 euros aux industries agroalimentaires, 19,20 euros au commerce, 14,30 euros aux importations alimentaires, 15,30 euros aux importations de biens intermédiaires comme l’alimentation animale, les engrais ou les pesticides et, enfin, 9,30 euros aux taxes.
Je le redis : sur 100 euros de dépense alimentaire, seulement 8,20 euros reviennent à l’agriculture !
En 2014, la moyenne des revenus d’une exploitation française, avant impôts et hors subventions, était de 600 euros pour l’année, quand la subvention totale moyenne par bénéficiaire s’élevait à 34 500 euros ! On comprend alors que, d’une certaine manière, nos agriculteurs français sont devenus des salariés de l’Europe et que, quand les marchés mondiaux toussent, c’est l’ensemble d’une filière qui s’enrhume.
Tout cela ne doit pas occulter de très fortes disparités au sein même de chaque filière. Les aides sont ainsi faites que les plus grosses exploitations en captent la plus grande part et sont, de ce fait, artificiellement plus rentables. Aussi, les aides devraient s’appuyer sur les UTH, les unités de travail humain – bien nommées –, plutôt que sur le nombre d’hectares.
L’intention de cette proposition est louable, elle est réaliste et pragmatique, mais elle me dérange, dans le sens où elle s’adapte à un système qui est, lui-même, à remettre en cause en profondeur. Cependant, je voterai en sa faveur, avec les réserves suivantes.
Cette proposition de résolution s’inscrit dans un cadre où les outils de régulation ont été abandonnés. Or la régulation tant européenne que mondiale devra être remise en perspective. L’alimentation n’est pas une marchandise comme les autres, et il est inacceptable que les denrées alimentaires soient cotées en bourse et fassent l’objet de spéculations.
Je citerai, moi aussi, l’élu écologiste François Dufour, ancien vice-président de la région Basse-Normandie en charge de l’agriculture – mon collègue Michel Le Scouarnec et moi avons les mêmes lectures et sources d’inspiration… (Sourires.) Alors que les productions agricoles atteignent des rendements record, le monde agricole est en grande souffrance.
Aujourd’hui, au nom de la concurrence libre et non faussée, les États ont abandonné leurs pouvoirs et leurs agriculteurs aux marchés, au risque de perdre leur souveraineté alimentaire, leurs équilibres territoriaux et les solidarités entre les peuples.
On ne pourra pas s’en sortir si on n’élabore pas de nouvelles règles au niveau européen, mais aussi au niveau planétaire. À ce sujet, la perspective du traité transatlantique est une catastrophe, déjà annoncée, pour une majeure partie de nos productions. Évidemment, nous nous y opposerons !
La stabilité, dont a besoin l’agriculture, nécessite de maitriser les volumes de production et, au besoin, de prendre des mesures de réduction de production. Ce qui est, tout de même, un paradoxe, si cette réduction est l’un des bénéfices de la transition vers une agriculture respectueuse du sol, du climat, de l’humain et des équilibres environnementaux. Et cela existe déjà, nous en avons débattu : il s’agit de l’agriculture biologique. C’est aussi le but de cette noble cause que vous avez mise en avant, monsieur le ministre : l’agroécologie.
En polyculture avec des rotations, la baisse de rendement entre le bio et le conventionnel est de seulement 9 %, selon la métaétude dirigée par Claire Kremen, professeur de sciences de l’environnement à l’université de Californie et codirectrice du Berkeley Food Institute.
Toutefois, la rentabilité économique est, quant à elle, supérieure à l’agriculture classique, sans même prendre en compte les aménités environnementales. Et, si l’on passe en polyculture-élevage, les rendements et la rentabilité sont encore supérieurs économiquement.
Plutôt qu’une énième assurance, nous devrons imaginer une façon de retrouver des prix rémunérateurs et approfondir encore l’idée d’une rétribution des aménités environnementales apportées par les agriculteurs.
Nous devons aussi parler des pesticides, qui sont sujets à débat actuellement… Eh bien, il va falloir les oublier ! Qu’ils soient herbicides, comme le glyphosate, ou insecticides, comme les néonicotinoïdes, ils seront, à mon sens, interdits à court terme. Il le faudra bien, et notre agriculture en vivra mieux !
Je conclurai par le cœur de ce qui constitue mon action politique sur ces questions : en agriculture, à bas la chimie et vive l’alchimie ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – M. Michel Le Scouarnec applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture, présentée par nos collègues du groupe socialiste et républicain, nous permet, une nouvelle fois, d’aborder la délicate question de l’avenir de l’agriculture française dans cet hémicycle.
Il y a tout juste deux semaines, il était également question, dans ce même lieu, d’une agriculture française forte et diversifiée, au travers de la proposition de loi de notre collègue Jean-Claude Lenoir du groupe Les Républicains, visant à favoriser la compétitivité de l’agriculture et la filière agroalimentaire.
Demain et vendredi prochain se tiendra le comité de l’agriculture de l’OCDE et le conseil Agriculture et pêche de l’Union européenne se réunira, la semaine prochaine, de manière informelle. Il y a, en effet, urgence !
Oui, l’agriculture est en crise. Oui, des réponses structurelles et conjoncturelles doivent être apportées par nos gouvernants, et c’est également notre devoir de parlementaires.
Ces dispositifs sont très attendus par les agriculteurs, bien sûr, mais aussi par tous les Français, car l’agriculture fait partie intégrante de notre identité. C’est aussi un moteur économique très puissant et un facteur essentiel d’aménagement de notre territoire, notamment en zone de montagne.
Dans ce contexte, comment passer sous silence l’attitude de l’Assemblée nationale, qui n’a pas souhaité examiner, en première lecture, la proposition de loi transmise par le Sénat, qui vise pourtant à apporter des réponses adaptées aux problèmes de l’agriculture et aux filières agroalimentaires ?
M. Antoine Lefèvre. C’est scandaleux !
Mme Patricia Morhet-Richaud. Alors que la crise agricole n’a jamais été aussi grave, comment devons-nous interpréter la motion de rejet préalable de vos collègues socialistes, chers collègues, vous qui portez cette résolution ?
Comment interpréter l’absence d’amendement de votre part, lors des deux lectures au Sénat, sur la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire ?
Comment expliquer à nos agriculteurs et éleveurs, sur nos territoires, que certains élus de la République n’ont pas jugé utile d’étudier un texte, qui a donné lieu à un important travail parlementaire, en commission et en séance publique ?
Le constat serait-il différent selon que l’on siège d’un côté ou de l’autre de l’hémicycle ? Le mal qui gangrène l’agriculture française, nous l’avons tous identifié. Je crois que nous partageons tous la même vision ; elle doit nous conduire à répondre à l’urgence de la situation.
C’est pourquoi je reste convaincue que l’amélioration de la transparence sur l’origine des produits alimentaires et le souci de mieux partager la valeur ajoutée, tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire du producteur au consommateur, est une nécessité.
L’instauration d’une conférence agricole annuelle s’inscrit dans cette perspective, tout comme l’utilisation d’indicateurs d’évolution de coûts pour garantir des prix rémunérateurs.
L’investissement doit aussi être soutenu. La création d’un livret vert pourrait permettre de drainer l’épargne populaire vers les secteurs agricole et alimentaire.
La gestion des risques doit aussi faire l’objet d’améliorations visant, d’une part, à reporter les échéances des emprunts en cas de crise et, d’autre part, à assouplir le mode de calcul du seuil de déclenchement de la déduction pour aléas. La gestion collective des risques doit être amplifiée, car elle permet de garantir une couverture acceptable.
Enfin, face à la volatilité des marchés et à la concurrence internationale, l’allégement des charges qui pèsent sur les exploitants agricoles, qu’elles soient administratives ou financières, doit aussi être acté, faute de quoi de nombreuses exploitations agricoles disparaîtront demain.
Mes chers collègues, ce n’est pas une résolution qui va régler le problème de l’agriculture française. Aussi, comme ma collègue l’a dit tout à l’heure, notre groupe s’abstiendra sur ce texte.
Nous attendons du Gouvernement qu’il mette en place des politiques publiques adaptées et prenne un engagement fort, qu’il soit en capacité de relayer à l’échelle européenne.
Nous devons tout faire pour préserver nos savoir-faire et nos produits de qualité et renforcer la compétitivité de notre agriculture et des filières, afin de sauvegarder les emplois dans nos territoires et d’entretenir l’espace. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture française compte parmi les plus grandes au monde. Au sein de l’Union européenne, la France occupe, depuis une quinzaine d’années, la troisième place des pays exportateurs de produits agricoles et agroalimentaires, toutes destinations confondues. Elle reste le premier exportateur vers les pays hors Union européenne.
Son excédent d’échanges en matière agricole dépasse les 10 milliards d’euros et, avec ses 475 000 exploitations qui créent 73 milliards d’euros de produits agricoles, notre pays est aussi le premier producteur européen, comme le premier en termes de surface agricole utilisée, avec plus de 25 millions d’hectares.
M. Jean-Paul Emorine. Non, 28 millions !
Mme Delphine Bataille. L’agriculture constitue donc une composante d’une importance stratégique pour notre pays et l’un des piliers de nos territoires. C’est dire l’importance des enjeux et des répercussions de la crise actuelle des filières agricoles pour les économies française et européenne.
Cette proposition de résolution vise à apporter des réponses structurelles, dans le contexte actuel de crise profonde. Elle pose les bases d’un débat nécessaire sur l’évolution de la politique agricole commune, car il nous faut nous adapter aux nouvelles orientations européennes. En effet, le mouvement de réforme de la PAC, lancé depuis une dizaine d’années, a nettement aggravé l’exposition des agriculteurs aux risques des marchés. De nombreuses exploitations, davantage exposées aux fluctuations des cours, se trouvent aujourd’hui très fragilisées et risquent de disparaître.
Quoi qu’en pense la première oratrice du groupe Les Républicains, dont l’intervention, partisane et polémique, n’honore pas notre assemblée et constitue une insulte aux agriculteurs et à l’action de nos collègues sur leurs territoires (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), la mobilisation du Gouvernement et votre engagement, monsieur le ministre, ont permis, outre les mesures prises au niveau national pour répondre à l’urgence de la situation – ces mesures ont été déclinées par Henri Cabanel tout à l’heure –, de préserver au mieux le budget de la PAC, les aides couplées et un certain nombre d’outils pour la gestion de crises.
Néanmoins, la baisse des prix et la disparition des outils de régulation des marchés en Europe affectent le niveau moyen du revenu agricole.
De plus, les aides directes, qui constituent encore un puissant stabilisateur des revenus, sont menacées par les contraintes budgétaires. Pour sécuriser les revenus, la question des outils de gestion des risques agricoles devient donc cruciale.
Il existe déjà plusieurs dispositifs pour faire face aux aléas climatiques et sanitaires, comme le fonds de mutualisation sanitaire et environnemental ou le contrat socle, récemment mis en place et encore sous-utilisé, malheureusement, mais le risque économique lié notamment à la volatilité des prix n’est pas suffisamment couvert.
Certains pays, comme les États-Unis ou le Canada, ont développé des outils pour répondre à ces aléas économiques et faire face aux fluctuations des revenus. L’expérience nord-américaine montre que trois familles d’instruments peuvent coexister : les filets de sécurités pour pallier des situations catastrophiques, les outils de lissage des prix et des revenus et les instruments de cession du risque.
Toutefois, la mise en œuvre de ces outils n’est rendue possible qu’au prix d’un interventionnisme très fort et très coûteux de l’État. Par ailleurs, certains de ces dispositifs font l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part des organisations environnementales.
Plus récemment, des outils privés de gestion des risques et des expériences professionnelles se sont développés, en Europe, dans certaines productions. De nombreux acteurs institutionnels et universitaires mènent des réflexions sur des modes d’accompagnement plus pérennes et sur ces instruments de gestion de l’aléa économique.
Les solutions et les enjeux étant connus, il semble indispensable d’agir au plus vite, tant au niveau national qu’européen.
Aujourd’hui, seule la France, avec des alliés comme l’Espagne et l’Italie, a la capacité d’être leader sur ces orientations de la politique agricole européenne.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Delphine Bataille. Aussi, nous ne pouvons que soutenir les auteurs .de cette proposition de résolution dans leur invitation à engager des discussions, dès les prochains rendez-vous européens et internationaux. Monsieur le ministre, nous savons pouvoir compter sur votre détermination. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture française souffre. Nous le savons et nous devons réagir par des mesures efficaces, des réformes structurelles et des textes ambitieux.
La proposition de résolution qui nous est présentée aborde la notion de l’aléa économique en agriculture. Les agriculteurs font face, il est vrai, à la volatilité des marchés mondiaux des matières premières agricoles et à la variation des prix. Ces facteurs sont difficilement supportables pour les exploitants. Un agriculteur vendra une tonne de blé tel jour à tel prix et découvrira, le lendemain, qu’elle aura augmenté de 50 %. Est-ce son rôle d’être un trader ?
Il est nécessaire de sécuriser le revenu des agriculteurs. C’est ce à quoi encourage cette proposition de résolution, dont les auteurs souhaitent le développement d’outils de gestion de cet aléa économique au niveau européen.
Le Gouvernement est invité à agir, dans le cadre des réflexions menées sur la politique agricole commune d’après 2020, pour construire un système de mutualisation du risque économique, et à aborder ce sujet dès les rendez-vous internationaux de demain, à l’OCDE, et de la semaine prochaine, lors de la réunion informelle du Conseil « Agriculture et pêche » de l’Union européenne.
Nous pouvons observer les mécanismes de prise en charge de cet aléa qui existent déjà dans d’autres pays, tel le dispositif américain de prix garantis. Cette proposition de résolution semble donc évidemment consensuelle. Elle invite notamment le Gouvernement à « poursuivre son engagement en faveur d’une agriculture française forte et diversifiée ». Personne ne peut s’opposer à cela…
Toutefois, chers collègues, nous avons débattu, dans cette assemblée, en décembre et mars derniers, de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Pourquoi ne pas avoir apporté plus d’éléments sur la gestion de l’aléa économique dans ce texte ?
La proposition de loi sénatoriale contenait des dispositions pertinentes, puisque le Gouvernement en a repris plusieurs : la révision du dispositif de déduction pour aléas, afin de permettre aux exploitants de mobiliser plus facilement cette réserve financière ; l’assouplissement de la définition de l’aléa économique ; l’extension du dispositif de suramortissement des investissements aux bâtiments d’élevage et de stockage réalisés.
Enfin, le Gouvernement a annoncé qu’il reprendrait d’autres mesures encore, telles que la référence au prix payé au producteur dans les contrats commerciaux, la non-cessibilité des contrats laitiers et la simplification en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE. La proposition de loi n’était donc pas si mauvaise que cela !
Il reste, certes, beaucoup de travail sur la gestion de l’aléa économique, mais nous avions au moins commencé à avancer sur ce point. Je regrette que vous n’ayez pas souhaité y prendre davantage part et que vous ayez préféré élaborer cette proposition de résolution.
Néanmoins, je reconnais que ce texte peut constituer un appui pour le Gouvernement, afin que celui-ci agisse au niveau européen.
Je profite de cette discussion générale, monsieur le ministre, pour vous indiquer d’autres facteurs qui pénalisent gravement les agriculteurs et qui, à ce titre, méritent d’être abordés.
Dans mon département de la Haute-Savoie, plus spécialement dans ma commune, agriculteurs et maraîchers m’expliquent qu’ils souffrent d’une concurrence déloyale entre pays européens. Ainsi, les produits phytosanitaires utilisés sont différents selon les pays : certains sont tolérés quand d’autres ne le sont pas. Les normes ne sont pas les mêmes, par exemple en Espagne, les produits se retrouvant pourtant sur les mêmes marchés.
Nos agriculteurs bénéficient, bien sûr, d’outils de prise en charge des aléas climatiques, environnementaux et sanitaires, via le Fonds national de gestion des risques en agriculture et via l’outil fiscal qu’est la dotation pour aléas.
Pourtant, certaines difficultés subsistent, notamment en ce qui concerne les maraîchers dont les surfaces de production sont limitées. Des problèmes de coût, tout d’abord : le coût de l’assurance étant trop élevé, certains maraîchers m’indiquent qu’ils ne peuvent pas assurer leurs parcelles.
En outre, le système d’assurance fonctionne sur une unité de base d’un hectare. Lorsqu’un hectare d’une même culture est endommagé, l’agriculteur est indemnisé. Mais la situation se révèle problématique pour les maraîchers, puisque, durant l’année, ils ont généralement plusieurs cultures sur un même hectare.
Monsieur le ministre, je vous remercie, pour les exploitants qui m’ont alerté, de prendre en compte ces difficultés, qui sont les leurs, mais aussi certainement celles de nombreux autres agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord me féliciter, comme chaque fois d’ailleurs, du débat qui nous réunit.
Si certains peuvent penser qu’il s’agit de débats très politiciens, au fond, quand on en arrive à la conclusion, on constate, comme la dernière intervention vient de le montrer, qu’il y a des choses qui avancent : il y en a qui font consensus, d’autres qui font dissensus, mais cela fait partie du débat démocratique.
Je crois que le Sénat a, sur la question agricole, des choses à dire, et cette proposition de résolution s’inscrit dans un calendrier assez précis. Tom Vilsack, le secrétaire d’État à l’agriculture américain, vient ainsi à Paris et coprésidera demain avec moi la réunion ministérielle de l’OCDE, qui va réunir à peu près vingt-cinq ministres de pays appartenant à cette organisation, ce qui est important en termes de participation.
Ensuite, il y aura au mois de mai prochain, à Amsterdam, un conseil informel où sera évoqué l’avenir de la politique agricole commune, qui comprendra sûrement deux étapes : l’avenir immédiat, c'est-à-dire l’évaluation à mi-parcours, en 2017, et l’avenir d’une nouvelle politique agricole commune, pour 2020.
Les sujets qui vous ont beaucoup occupés dans vos interventions et qui vous préoccupent sont, bien sûr, liés à la crise que traverse l’agriculture, en particulier l’élevage français, mais aussi européen. Cela a été rappelé, il y a eu des manifestations même en Grande-Bretagne. Et j’ajouterai : même en Finlande, où entre 500 et 1 000 agriculteurs ont manifesté avec leur tracteur, ce qui était du jamais vu ! C’est bien la preuve que le problème se pose à l’échelle européenne.
Je l’avais dit lors du conseil des ministres extraordinaire qui s’est tenu au début de l’année et répété lors de celui du 14 mars dernier, on ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas un problème de surproduction à l’échelle européenne, en particulier pour le lait.
J’ai déjà dû l’indiquer devant le Sénat : nous en étions à plus de 52 000 tonnes de poudre de lait stockée au mois de février, alors qu’on en avait stocké 40 000 tonnes sur toute l’année 2015. Au début de ce mois, et c’est la preuve d'une surproduction, on a atteint le plafond d’intervention, soit 109 000 tonnes. D’ores et déjà est donc stocké en poudre de lait l’équivalent du plafond. C'est dire à quelle vitesse vont les choses !
Or ceux qui refusent de discuter d’un minimum d’organisation de la stabilisation de la production sont souvent les mêmes qui ont recours à l’intervention. On ne peut pas et augmenter sa production et ne pas vouloir de régulation, et aller solliciter l’intervention publique. C’est là un sujet que je vais rappeler, et je suis très heureux que le Parlement européen ait décidé d’organiser le 20 mai prochain la réunion que nous avions demandée. J’ai eu une discussion hier avec l’interprofession laitière pour qu’une position française puisse être dégagée et défendue.
Tout cela doit être l’occasion de pousser dans le sens que nous souhaitons, c'est-à-dire faire en sorte qu’il y ait une responsabilité européenne par rapport à la crise que nous traversons et que nous ne soyons pas en concurrence les uns avec les autres, les uns contre les autres.
L’un de vous a évoqué les délocalisations de production. Il y a en a plus aujourd'hui au sein même d’un pays comme la France, par exemple, avec la fin des quotas laitiers – on voit bien qu’il y a des risques très importants de transferts de production laitière de régions françaises vers d’autres – qu’à l’échelle européenne où, au contraire, sauf dans quelques pays, on est en train d’augmenter la production.
De ce côté, la France est parfaitement respectueuse des engagements pris en 2008 sur une augmentation, certes, mais une augmentation acceptée et acceptable de la production laitière, qui s'est accrue de 1,5 % à 2 % l’an dernier. On va dépasser les 24 milliards ou 25 milliards de litres, mais, dans d’autres pays – je pense notamment à l’Allemagne –, cela fait cinq ou six ans que l’on est à des niveaux d’augmentation de la production de 2,5 %, 3 % ou 3,5 %. L’Irlande est même passée au-dessus des 6 %. Ces augmentations se cumulent et rendent plus que jamais nécessaires des décisions de régulation.
Cependant, au-delà de ces éléments, le débat d’aujourd'hui porte sur un autre sujet, qui est un sujet de fond.
Il y a un budget de développement agricole et rural de la politique agricole commune. Si je prends l’exemple de la France, les aides qui sont versées dans le premier pilier et dans le deuxième pilier avoisinent 8,5 milliards d’euros. Elles comprennent des aides à l’hectare, des aides couplées, des aides de compensation des handicaps naturels, etc.
Ces 8,5 milliards d’euros constituent en quelque sorte un forfait versé tous les ans, quel que soit le niveau des prix du marché, donc de la rémunération que les agriculteurs peuvent attendre de la vente de leurs produits.
Dans la logique des aides découplées, dont il a été rappelé que c’était une spécificité européenne, l’idée au début de la réforme de la PAC était d’ailleurs de verser la même aide à l’hectare partout, de manière forfaitaire et équivalente, et de laisser les agriculteurs choisir, en fonction des opportunités de marché, leurs productions sur les hectares aidés. C’est cela la stratégie du découplage, ce qui peut entraîner des effets de bascule et de balancier d’une production à l’autre. Ainsi, au moment où j’ai pris mes fonctions, du fait des difficultés de l’élevage, une partie des éleveurs a « basculé » du côté de la production céréalière et végétale. Cela a donc existé.
Au moment de la réforme de la politique agricole commune, je n’ai pas souhaité accepter la logique du découplage à 100 % sur toutes les aides, et c’est pourquoi je me suis battu pour des aides couplées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez justement rappelé que, aux États-Unis, il reste des aides couplées. Qu’est-ce qu’une aide couplée ? C’est une aide qui est destinée à soutenir une production de manière spécifique. En revanche, quand vous êtes à l’aide forfaitaire à l’hectare, on vous aide et on vous demande des contreparties environnementales, mais, pour ce qui est de la production, c’est le marché qui décide.
Le débat entre aides découplées et aides couplées est donc déjà un débat de fond, qui rejoint la préoccupation qui est la vôtre : entre le libéralisme, qui voudrait que l’on aille vers 100 % d’aides découplées, et l’idée que la politique agricole commune doit garder des objectifs de choix de production, vous avez là une partie de l’explication et de ce qui se joue à l’échelle européenne.
M. Martial Bourquin. Tout à fait !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Si j’ai obtenu des aides couplées alors qu’un certain nombre de pays n’en voulaient pas, c’est parce que j’ai trouvé une majorité à l’échelle européenne.
Cette majorité que j’appelle la « banane verte », par opposition à la « banane bleue » souvent indiquée par les géographes du centre urbain de l’Europe, correspond aussi, cela m’a frappé, à une certaine conception de l’agriculture, en particulier de l’élevage, un élevage qui n’est pas uniquement industriel et dans des bâtiments, mais intègre aussi l’élevage en plein air, en particulier pour le lait et pour la viande bovine. Vous regarderez sur la carte : l’Irlande, la France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, puis on remonte vers la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie et la Pologne. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Cette majorité est liée à une conception de l’agriculture et elle a fait le choix de refuser le découplage totalisé qui nous conduit à avoir une logique unique de marché. C’est le premier point, et il est très important.
Deuxième point, quand il y a une crise sur les prix, avec une perte de 20 % à 30 %, ces aides européennes à hauteur de 8,5 milliards d’euros ne permettent plus – soyons objectifs entre nous – aux agriculteurs d’y faire face. La preuve en est que nous avons débattu, et logiquement et légitimement, du plan de soutien à l’élevage.
Du fait aussi que dans les crises sanitaires, que ce soit pour l’influenza aviaire dans le Sud-Ouest aujourd'hui ou pour la fièvre catarrhale ovine que l’on a connue dès la fin de l’année dernière, ou encore pour la sécheresse – avec le FNGRA, le Fonds national de gestion des risques en agriculture –, nous avons l’obligation de soutenir les agriculteurs.
Il y a une aide, forfaitaire en quelque sorte, de 8,5 milliards d’euros, et 1 milliard d’euros lorsque nous sommes confrontés à une crise. Il y a donc là un sujet majeur.
On pourrait défendre l’idée que, si les prix étaient définitivement fixés et encadrés, le problème ne se poserait plus. Toutefois, le bonheur n’est pas toujours aussi facile à trouver !
Notre agriculture est exportatrice – on a l’impression parfois que, pour certains, c’est un gros mot ! – de champagne, de vin, de blé, de viande, de foie gras, donc de produits de qualité, qui sont demandés à l’échelle mondiale, exportatrice aussi d’une image. Mais, dès lors que l’on est sur le marché mondial, on n’est plus uniquement entre nous. Les prix que l’on pourrait fixer ici changeraient ailleurs et, de toute façon, nous serions affectés.
Je prends le cas du lait : 24 milliards à 25 milliards de litres produits en France et l’équivalent de 8 milliards de litres exportés, que ce soit sous forme de poudre, de beurre ou de produits transformés. Si nous devions considérer que tout ce qui est produit en France doit y être consommé, il nous faudrait consommer l’équivalent de 8 milliards de litres de lait supplémentaires ! Et je n’ose même pas parler du vin : s’il fallait que l’on consomme chez nous tout ce que l’on importe, les séances seraient beaucoup moins longues au Sénat, ou au contraire beaucoup plus longues… (Sourires.) Ailleurs aussi, d’ailleurs !
C’est donc impossible. On peut toujours rêver à une forme idéale de système, mais il faut tenir compte des conséquences sur une réalité qui est, pour le ministre de l’agriculture, celle d’une agriculture qui a aussi vocation à exporter des produits, en particulier des produits de qualité.
La volatilité a trois causes, dont j’ai parlé tout à l’heure.
Il s’agit tout d’abord des crises sanitaires, dont chacun ici mesure les conséquences.
Il s’agit ensuite des crises climatiques, qui parfois se succèdent et qui sont de deux types, celles qui sont liées aux inondations ou à la grêle et celles qui sont liées aux sécheresses. Le réchauffement climatique a en l’occurrence une conséquence concrète : il augmente les fréquences des aléas climatiques et, ce faisant, il en accroît aussi l’intensité. Lorsqu’il y a des problèmes d’inondation ou de grêle, comme on a pu en connaître depuis que je suis arrivé dans ce ministère, on a affaire à des phénomènes d’une violence extrême. De la même manière, on a bien sûr connu des sécheresses dans le passé, mais, désormais, elles ont des conséquences économiques, en particulier pour l’élevage, qui sont également extrêmes.
Il s’agit enfin, et dans le même temps, de la volatilité des prix sur le marché.
Il y a donc là trois causes, trois effets qui nécessitent effectivement que l’on ait bien en tête – c’est l’objet de cette résolution – la nécessité de mettre en place des mécanismes pour compenser les crises, mais aussi pour permettre aux agriculteurs de faire des provisions ou de se constituer une épargne de précaution. En effet, il est bien sûr nécessaire que l’État soit là pour faire face aux conséquences des crises, mais on a aussi besoin d’amortisseurs plus forts. Vous les avez d’ailleurs cités dans vos interventions.
Nous avons ajusté la DPA, dotation qui fonctionne mieux que la DPI, avec laquelle la défiscalisation profitait d’abord à l’investissement.
En fait, vous investissez quand les prix sont bons et que vous avez de bons revenus. Si vous devez rembourser quand les prix sont plus bas, vous vous trouvez coincés entre vos annuités de remboursement et les investissements que vous avez faits alors que vous aviez de la marge. Si les prix restent trop bas pendant trop longtemps, comme c’est le cas actuellement, alors vous vous demandez à l’État de vous aider ; c’est le débat sur les années blanches et les reports d’annuités. C’est logique, et c'est la raison pour laquelle il faut que nous ayons un système beaucoup plus contracyclique.
Nous devons être capables quand les prix sont élevés de permettre aux agriculteurs d’accéder à des mécanismes mutualisés, assurantiels. En somme, il s’agit d’une épargne de précaution, que l’on mutualise ensuite, pour faire en sorte que la volatilité liée aux aléas sanitaires, climatiques et économiques puisse être compensée par des mécanismes d’amortissement évitant que des agriculteurs ne soient confrontés à des pertes brutales de revenus qui remettent en cause la pérennité des exploitations.
M. Gérard César. Bien sûr !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je me rappelle de l’exemple de viticulteurs de l’Entre-deux-Mers, qui s’étaient d’ailleurs engagés peu de temps auparavant : il y a des situations où, du jour au lendemain, tout un projet peut être remis en cause qui s’inscrivait pourtant dans du moyen terme. J’ai vu la même chose dans l’Aude, lorsqu’il y a eu de la grêle sur 1 500 à 2 000 hectares : pour les producteurs du Minervois, cela a été terrible.
Il faut donc l’aide de l’État, bien sûr, mais il faut aussi qu’une mutualisation se mette en place.
M. Gérard César. Tout à fait !
M. Stéphane Le Foll, ministre. C’est là que la question est posée, et nous en avions discuté, monsieur César, au moment du débat sur l’assurance viticole. (M. Gérard César acquiesce.)
Comment amorcer le processus ? Pour que ce système fonctionne, il faut qu’il ait une base très large, c’est-à-dire le maximum d’agriculteurs – d’où le débat sur l’obligation d’assurance – pour que le coût de l’assurance soit le plus faible possible. Comme on commence avec une base étroite, le coût de l’assurance est élevé ; comme le coût est élevé, on ne peut pas élargir la base, donc le système est bloqué. C’est pourquoi nous avons mis en place le système du « contrat-socle » d’assurance, et essayé, au travers de l’aide publique, d’amorcer le processus en l’étendant des productions végétales, aux productions animales – fourrages, en particulier – et aux productions viticoles. Avec ce « contrat-socle », nous avons donc commencé à mettre en place un système qui va permettre aux agriculteurs de s’assurer grâce à la mutualisation.
Ce dernier point est important. En effet, c’est ce qui nous différencie du système américain. Quelle est la différence entre l’assurance et la mutualisation ?
Dans le système assurantiel, le coût de l’assurance est assumé à titre individuel et la prestation est versée à titre individuel : chacun assume sa part de risque. Le système assurantiel couvre le risque de manière collective, mais chaque assuré paie sa propre assurance.
Dans le système mutualiste, on cherche à amortir le coût individuel par la mutualisation du risque global encouru par l’ensemble des contributeurs à la mutuelle. C’est très intéressant !
Si, comme l’a dit M. Lasserre voilà quelques instants, vous organisez au Sénat des rencontres avec des assureurs et des mutualistes, n’oubliez jamais d’engager un débat de fond sur ces questions.
À partir de là, si nous sommes d’accord sur le constat, à savoir l’existence de plusieurs risques – sanitaire, climatique, économique –, le besoin de mettre en place des mécanismes contracycliques qui peuvent servir d’amortisseur pour éviter que les agriculteurs ne soient entraînés dans des crises majeures qui remettent en cause la pérennité même de leur activité, il faut pouvoir amorcer ce système. C’est là que l’Europe intervient.
En effet, si on veut mettre en place des systèmes suffisamment efficaces qui permettent de couvrir ces risques, on n’y parviendra pas uniquement grâce à un financement de l’État ou grâce à un système assurantiel individuel, mais en dégageant une partie des versements forfaitaires du budget de l’Union européenne dans les périodes où ça va bien pour constituer une forme d’épargne de précaution au service des agriculteurs afin de couvrir ces risques et cette volatilité des marchés. Tel est en tout cas l’état d’esprit dans lequel je vais présenter mes perspectives pour la politique agricole commune.
Au fond, la future PAC doit viser quatre objectifs.
Premièrement, il faut préserver le budget de la PAC et ne pas laisser gagner ceux qui, dans une bataille budgétaire à l’échelle européenne, veulent le réduire. Nous devons donc faire preuve de vigilance sur la question budgétaire.
Deuxièmement, il faut garder l’équilibre entre le découplage et le couplage des aides. On en revient à ce qui a déjà été dit : si nous lâchons sur le couplage des aides, nous irons vers un système où les aides de la politique agricole commune, au-delà même des filets de sécurité mis en place pour réguler, encourageront l’adaptation des productions au marché au détriment du choix de maintenir certaines productions.
Troisièmement, il ne faut pas oublier la compensation des handicaps. En effet, si la politique agricole commune a un sens, c’est bien de permettre le maintien d’une activité agricole là où la nature fait que cette activité n’est pas économiquement viable. La compensation des handicaps est une justification très importante du maintien et de la pérennité d’une politique agricole à l’échelle européenne, parce que certaines zones connaissent des handicaps, en France – nous en connaissons tous –, mais aussi dans d’autres pays. Pour moi, je ne vous l’ai encore jamais dit, mais je vous le dis aujourd’hui, la compensation des handicaps devrait être le premier pilier d’une politique publique agricole…
M. Gérard César. La compensation des handicaps économiques !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Bien sûr !
La compensation des handicaps vise à maintenir une activité économique agricole dans des zones où elle risquerait de disparaître en l’absence d’aides. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.) Ces trois premiers objectifs constituent la base de toute politique agricole commune.
J’en viens au dernier objectif, à savoir l’environnement. Les politiques publiques vont continuer de consacrer un volet de plus en plus important à l’environnement, puisque les aides publiques se justifient aussi par des choix qui intéressent globalement les grands enjeux environnementaux.
Je vous l’annonce, dans les propositions que je mettrai sur la table, la question des sols agricoles constituera un enjeu spécifique, pour une multitude de raisons. En effet, les sols agricoles et la photosynthèse jouent un rôle essentiel dans l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et dans la lutte contre le réchauffement climatique – c’est l’objet du fameux projet de recherche « 4 pour 1 000 ». À l’échelle européenne, la politique agricole doit au minimum envisager les sols agricoles – comme on peut le faire avec les sols forestiers – comme des outils majeurs, parce qu’ils sont des usines à stocker du carbone. Or, plus on stocke de carbone, plus on produit d’azote ; plus on a d’azote, plus le sol est fertile ; plus le sol est fertile, plus les rendements sont élevés. Il s’agit donc d’un enjeu majeur.
M. Joël Labbé. Très juste !
M. Stéphane Le Foll, ministre. En revanche, il faut simplifier la prise en compte des questions environnementales, parce qu’elle a été jusqu’à présent excessivement complexifiée, notamment pour le calcul des surfaces d’intérêt écologique (M. Gérard César opine.) qui est compliqué et fait râler les agriculteurs, souvent à juste titre. Malgré tout, il faut passer par cette étape pour entamer la suivante.
Il faudra donc simplifier les objectifs de verdissement, mais la question des sols agricoles est pour moi au cœur du débat, en particulier pour le stockage du carbone.
Enfin, il faudra se poser la question de la part de financement qui pourra être consacrée à la mutualisation des risques. C’est la dernière étape de notre réflexion. Votre proposition de résolution porte sur ce dernier point, mais toute la politique agricole ne saurait être consacrée à ce seul objectif.
Aux États-Unis, le système assurantiel coûte cher. En outre, dans ce système, le comportement des agriculteurs est soumis au biais de l’aléa moral : ils sont assurés et ne se préoccupent donc plus du risque. Puisque les agriculteurs anticipent que, de toute façon, l’assurance leur sera versée et ne se soucient pas toujours de ce qu’il faudrait faire pour fonctionner au mieux, c’est la puissance publique qui compense.
Sur cette question, on ne peut donc pas basculer vers une politique publique assurantielle à 100 %, parce que le coût en serait très important et que l’aléa moral est intégré dans les choix stratégiques, ce qui peut être très pénalisant. Il faut donc réfléchir à la part que nous allons consacrer à la couverture de ces risques.
Ce débat est le premier d’une série dont je vous ai rappelé la chronologie, avec la réunion du comité de l’agriculture de l’OCDE et le conseil informel des ministres de l’agriculture. Nous essayons donc d’engager un processus.
Le fonds de gestion de crise, prévu dans la précédente PAC, est abondé à hauteur de 400 millions d’euros, soit 0,5 % des crédits du premier pilier. En cas de crise, cela signifie que 0,5 % des aides du premier pilier sont perdues pour l’année suivante. Pour l’instant, ce fonds n’est pas utilisé. Je me pose donc la question suivante : sur la base de ces sommes qui ne sont jamais utilisées, ne pourrait-on pas construire un système qui permettrait d’engager une action contracyclique dans le cadre d’un système mutualiste ?
C’est ainsi que j’envisage de poser le débat à l’échelle européenne pour répondre à la question que vous avez posée dans votre résolution. Les travaux du ministère de l’agriculture seront orientés dans ce sens et, le 20 mai, nous présenterons un papier qui reprendra les grandes lignes de ce que je viens de dire, par définition – puisque c’est moi qui le présenterai (M. Daniel Raoul sourit.) ; je ferai donc en sorte que mes services suivent leur ministre ; je vous rassure : ils ont déjà commencé. Ensuite, il nous reste à calibrer un dispositif qui soit efficace, qui encourage stratégiquement la mutualisation des risques dont je vous ai dit qu’ils étaient multiples, le tout au bénéfice des agriculteurs.
En effet, si on passe par le système financier, ce qui sera légitime et normal, il faut que les aides potentielles destinées à faire face aux aléas retournent chez les agriculteurs au coût minimal d’une épargne de précaution. Voilà l’enjeu, voilà la logique que nous allons suivre.
C’est la raison pour laquelle cette proposition de résolution, dont j’espère qu’elle sera adoptée, est importante : elle permet d’ouvrir un débat qui se poursuivra. Une évaluation sera effectuée en 2017, avant la réforme de 2020. Ceux qui nous suivront et qui auront alors à négocier trouveront donc sur la table un certain nombre de réflexions qui pourront les aider. Merci en tout cas pour ce débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs travées du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains. – M. Raymond Vall applaudit également.)
Mme la présidente. Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture
Le Sénat,
Vu l'article 34–1 de la Constitution,
Considérant que l’agriculture française traverse aujourd’hui une crise conjoncturelle et structurelle sans précédent ;
Considérant que notre modèle agricole fait partie intégrante de notre histoire, de notre patrimoine culturel et gastronomique et participe, par là-même, au rayonnement de la France dans le monde entier et qu'à ce titre, il est indispensable de maintenir notre modèle agricole dans sa diversité ;
Considérant que, par nature, l’activité agricole est soumise à de nombreux aléas sanitaires, climatiques et économiques ;
Considérant que la concurrence internationale, la volatilité des marchés financiers et la disparition des mécanismes de régulation au niveau européen fragilisent l’agriculture française et européenne qui, en outre, n’est pas nécessairement soumise aux mêmes normes sanitaires, sociales ou économiques que ses concurrents ;
Considérant que la crise actuelle démontre la nécessité de mettre en œuvre de nouveaux mécanismes pérennes de soutien aux agriculteurs ;
Considérant que des dispositifs de couverture des risques sanitaires et climatiques sont déjà en place pour garantir la sécurité des consommateurs et des agriculteurs ;
Considérant que la mise en œuvre d’une couverture des aléas économiques pourrait parfaire le dispositif existant en assurant une stabilité aux exploitants agricoles ;
Considérant que si des démarches peuvent être initiées au niveau national en ce sens, il appartient néanmoins à l’Europe de mettre en place un système global de stabilisation des revenus au travers de la future PAC.
Invite le Gouvernement à :
Encourager davantage la solidarité professionnelle afin que les acteurs des filières travaillent ensemble pour développer des organisations économiques plus à même de faire face aux aléas des marchés ;
Prolonger son action volontariste de mobilisation des fonds publics pour accompagner les agriculteurs en soulageant leur trésorerie en cas de crise économique de court terme ;
Déterminer les conditions dans lesquelles le mécanisme de stabilisation des revenus au sein du deuxième pilier de la PAC pourrait être mis en œuvre en France, comme le permettent les articles 36, 38 et 39 du règlement UE n°1305/2013 ;
Poursuivre les discussions avec la profession agricole afin de rendre le dispositif de l’assurance-récolte plus attractif et accessible, à l’instar des évolutions déjà entreprises avec le contrat-socle ;
Agir au niveau européen, dans le cadre des réflexions menées sur la PAC d’après 2020, pour construire un système de mutualisation du risque économique en agriculture visant comme objectif principal la stabilisation et la garantie des revenus ;
Engager des discussions dès les prochains rendez-vous européens et internationaux qui se tiendront en avril 2016, à savoir : la réunion du comité de l’agriculture de l’OCDE, qui se déroulera les 7 et 8 avril 2016, co-présidée par les Ministres de l’agriculture de la France et des États-Unis, et la tenue du Conseil Agriculture informel de l’Union européenne dans le courant du mois d’avril à Amsterdam, pour faire évoluer les modalités d’intervention du mécanisme de stabilisation des revenus afin de le rendre plus attractif et envisager son basculement du deuxième vers le premier pilier de la PAC.
Poursuivre son engagement en faveur d’une agriculture française forte et diversifiée, préservant nos savoir-faire et nos produits de qualité, renforçant notre compétitivité et sauvegardant nos emplois, aux travers de politiques publiques adaptées et d’un engagement politique fort aux niveaux national et européen.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 199 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 177 |
Pour l’adoption | 177 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux et M. Raymond Vall applaudissent également.)
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Liberté, indépendance et pluralisme des médias
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et républicain, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (proposition n° 446, texte de la commission n° 519, rapport n° 518, avis n° 505), en examen conjoint avec la proposition de loi relative à l’indépendance des rédactions, présentée par MM. David Assouline, Didier Guillaume et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 416, rapport n° 518).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, madame la présidente et rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, après nos échanges fructueux sur le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, en février, je suis heureuse d’être à nouveau avec vous au Sénat pour travailler à cette proposition de loi en faveur de la liberté et l’indépendance des médias.
Permettez-moi de saisir cette occasion pour nous féliciter globalement du large succès des opérations de passage à la TNT haute définition hier, succès rendu possible par l’excellent travail législatif coproduit par l’Assemblée nationale et le Sénat, grâce notamment à Patrick Bloche et à votre rapporteur, Catherine Morin-Desailly, que je veux saluer, au même titre que le Conseil supérieur de l’audiovisuel et l’Agence nationale des fréquences, qui ont mené un travail intense de mise en œuvre.
Je reviens aux propositions de loi que vous examinez aujourd’hui. La liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias sont des objectifs vers lesquels nous ne devons pas cesser de tendre, et c’est au législateur qu’il incombe de protéger ces valeurs. Nous y sommes tous ici attachés, je le sais.
L’actualité de ces derniers jours nous donne une éclatante illustration du service que les médias rendent à la société : ils peuvent contribuer de façon majeure, par leur capacité d’investigation et leur poids dans le débat public, au bon fonctionnement de notre démocratie.
Je ne doute pas que le projet de loi, la proposition de loi, veux-je dire, sur l’indépendance des médias, dont je veux sincèrement remercier les auteurs et les rapporteurs, avec qui mon ministère a pu mener, je crois, un travail fécond, contribuera à garantir leur indépendance et à protéger cette liberté.
Lors de l’examen de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, j’ai tenu à ce que plusieurs amendements soient adoptés. Le premier restreint la mise en place des comités d’indépendance de l’article 7 aux radios généralistes à vocation nationale, compte tenu du nombre de radios locales, trop important pour envisager leur généralisation.
J’ai également fait adopter un nouvel article 9 bis pour interdire la vente d’une chaîne de télévision dans un délai de cinq ans suivant la délivrance de l’autorisation par le CSA. Cette disposition vise à protéger le domaine public hertzien du jeu spéculatif.
Enfin, j’ai présenté à l’Assemblée nationale un amendement fondamental, me semble-t-il, relatif au renforcement de la protection du secret des sources des journalistes et des collaborateurs de rédaction. Je reviendrai plus loin sur cette mesure forte en faveur, elle aussi, de la liberté de la presse, et qui s’intégrait donc parfaitement dans cette proposition de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à votre tour, vous vous êtes saisis de ce texte. Sous votre autorité bienveillante, madame la présidente, chère Catherine Morin-Desailly, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a travaillé à y imprimer sa marque.
J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt vos débats en commission et je me réjouis des points d’accord que vos travaux ont permis d’atteindre. Nous les évoquerons en détail dans le cours de nos échanges.
Je voudrais tout d’abord souligner deux points, qui correspondent à autant de lignes de force de ce texte.
Premièrement, j’évoquerai la protection de la liberté éditoriale des journalistes.
L’article 1er permet d’étendre à tous les journalistes, quels que soient les médias dans lesquels ils travaillent, une protection, qui, depuis son introduction en 2009 dans la loi de 1986 sur l’audiovisuel, protégeait les journalistes de l’audiovisuel public. Certes, elle était en vigueur bien avant cette date, mais seulement dans le droit conventionnel.
Avec votre proposition de rédaction de l’article 1er, vous entendez concilier la garantie des droits des journalistes avec l’obligation faite aux entreprises de presse de se doter d’une charte de déontologie, laquelle doit être respectueuse de la ligne éditoriale définie par la direction de chaque titre, mais qui aura d’autant plus de force qu’elle aura été élaborée par l’équipe dirigeante et les journalistes.
Cette rédaction va être débattue et peut-être enrichie pour tenir compte des équilibres trouvés à l’Assemblée nationale.
La charte de déontologie, je le souligne, peut également contribuer à renforcer la confiance des lecteurs, des téléspectateurs et des auditeurs envers les organismes de presse.
Deuxièmement, j’aborderai la création de comités relatifs à l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes, comités que j’appellerai, par souci de simplicité, « les comités indépendance ».
Sans porter atteinte à la liberté éditoriale des éditeurs de télévision et de radio, non plus qu’à la responsabilité du directeur de la publication, ces comités doivent permettre de traiter d’une manière transparente et concertée toute menace sur l’indépendance d’un média qui serait portée à leur connaissance. Vos travaux ont restreint les modalités de saisine, que vous avez jugées trop ouvertes, de ces comités.
Ce texte permettra aussi à certaines personnes bien définies de les consulter – je pense aux médiateurs, là où ils existent – afin de garantir à nos concitoyens la défense de l’intérêt général.
Par ailleurs, votre proposition permet de préciser le rôle du CSA et les règles de mise en place des « comités indépendance », pour que chacun soit bien dans son rôle et qu’il n’y ait pas de confusion.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en conclusion, je voudrais enfin évoquer l’amélioration des garanties apportées au secret des sources des journalistes. Il s’agit d’un enjeu démocratique majeur.
Vous connaissez ma détermination à ce que cette loi, avec ce point en particulier, soit adoptée, conformément à un engagement que le Président de la République, alors candidat, avait pris.
Il nous appartient tous ensemble de trouver le point d’équilibre le plus juste entre la sécurité que nous devons garantir aux journalistes dans leur travail d’investigation, indispensable à la démocratie, et la possibilité encadrée d’enquêter dans des cas précis où cela s’avère nécessaire pour la sécurité de nos concitoyens.
En adoptant l’amendement gouvernemental que j’ai eu l’honneur de porter, l’Assemblée nationale a défini, je le crois, les contours d’un bon équilibre.
Les insuffisances de la législation existante ont été corrigées pour permettre à la presse d’investigation de faire son travail sans risquer de mettre ses sources en difficulté. L’enquête menée par les plus grandes rédactions mondiales sur l’évasion fiscale au Panama – les Panama papers – illustre, s’il en était besoin, la pertinence, l’actualité et la nécessité de cette loi.
Permettez-moi de rappeler quelques-unes des avancées majeures du texte.
Tout d’abord, l’obligation faite aux enquêteurs d’obtenir l’autorisation préalable du juge de la liberté et de la détention avant toute action pouvant porter atteinte au secret des sources. Ce contrôle s’effectuait a posteriori, et non a priori, aux termes de la loi de 2010.
Citons également l’extension de la protection du secret des sources à tous les collaborateurs de la rédaction, au directeur de la publication, bref à toute la chaîne de recherche de l’information, là où la loi de 2010 visait uniquement le journaliste.
Je veux encore citer l’interdiction de condamner un journaliste pour le délit de recel d’une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction, d’une violation du secret professionnel ou d’une atteinte à la vie privée.
Madame la présidente de la commission de la culture, vous avez souhaité déléguer le travail parlementaire sur cette partie du texte à la commission des lois du Sénat. Celle-ci a fait le choix de ne pas retenir la plus grande partie de ces avancées et de revenir aux principales dispositions de la loi de 2010.
Je le regrette et souhaite que nos travaux en séance publique permettent de revenir à des mesures que je crois bonnes pour notre démocratie. J’espère avoir votre soutien sur ce point.
Voilà, chère Catherine Morin-Desailly, cher David Assouline, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes que je voulais réaffirmer devant vous au sujet de cette loi que je vous proposerai d’adopter.
Garantir l’indépendance des médias, protéger leurs sources, c’est construire une démocratie moderne, solide sur ses bases et capable d’affronter le monde d’aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Marie-Christine Blandin et M. Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, rapporteur. Madame la présidente, madame la ministre, mes très chers collègues, renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias : on ne peut bien sûr que souscrire aux objectifs de la proposition de loi qui nous a été transmise par l’Assemblée nationale.
Corollaire de la liberté d’expression, la liberté d’information est l’un des « fondamentaux » de toute démocratie. Nous le mesurons chaque jour, que ce soit sur notre sol, où certains ont voulu la voir abattue, ou, pas très loin de chez nous, en Europe même. Je pense aujourd’hui à la régression de la liberté des médias en Pologne, en Hongrie ou encore en Croatie. Hélas, les exemples sont nombreux de par le monde.
À cet égard, je tiens à saluer le remarquable travail de défense des journalistes de Reporters sans frontières.
En France, la situation semble a priori satisfaisante : l’accès à l’information n’a jamais été aussi aisé ; la pluralité des supports d’information est foisonnante ; la diversité des médias n’a jamais été aussi importante.
Même si la presse écrite souffre, pour des raisons que nous connaissons tous, les journaux d’opinion, fort heureusement, existent toujours. Du quotidien local à la chaîne d’information étrangère, les sources d’information sont multiples et accessibles. Le développement d’une presse gratuite, depuis une quinzaine d’années, la révolution numérique et l’apparition des réseaux sociaux, nouveaux pourvoyeurs d’information, ont, eux aussi, changé jusqu’aux usages de nos concitoyens.
Une étude de Médiamétrie parue la semaine dernière a particulièrement attiré mon attention : elle montre que, si les Français s’informent toujours massivement via les médias traditionnels – 80 % par la télévision, 52 % par les chaînes d’information en continu, 49 % par les radios et 49 % par la presse –, ils sont aussi de plus en plus nombreux à s’informer via les médias numériques, tels que les portails et pages d’actualité, les pure players et les réseaux sociaux : de 34 % en 2013, ils sont passés à 38 % en 2016, et cette progression n’est, bien entendu, pas près d’être enrayée.
Au-delà de la remise en cause du modèle économique des médias traditionnels engendrée par cette évolution, nous sommes confrontés à un véritable défi démocratique. En effet, la multiplicité des informations diffusées sur internet pose, plus encore que par le passé, les questions de la vérification des sources, de la qualité du recoupement des faits exposés et du caractère professionnel des personnes qui diffusent ces informations.
Dans ce foisonnement, cette pléthore de canaux d’information, subsiste toujours un soupçon insidieux : l’information qui nous est délivrée est-elle véritablement indépendante ? Alors que ce soupçon visait hier le monde politique, aujourd’hui, il s’est tourné vers le monde économique.
Ainsi, devant l’affaiblissement structurel des acteurs historiques et le besoin grandissant de capitaux pour assurer une modernisation devenue indispensable, le recours à de puissants investisseurs extérieurs au monde des médias s’est progressivement imposé : rachat des Échos par LVMH ; prise de contrôle du Monde par MM. Niel, Bergé et Pigasse ; montée au capital de Vivendi de l’industriel Vincent Bolloré ; rachat de 49 % de NextradioTV par Altice.
Ces prises de participation dans des médias majeurs se sont accompagnées d’autres rachats dans le but de constituer des groupes de taille critique, qui ont, en quelques années, considérablement redessiné l’univers des médias en France : Libération et L’Express ont rejoint Altice ; Le Nouvel Observateur a été repris par Le Monde ; Dailymotion a été racheté par Vivendi.
L’émergence de ces nouveaux groupes de médias, gérés comme de véritables sociétés industrielles, a eu des incidences sur l’exercice de leur métier par les journalistes, qui, d’une part, ont été amenés à revoir leurs méthodes de travail pour intervenir sur l’ensemble des supports et, d’autre part, ont souvent dû accepter de s’inscrire dans une logique de groupe plus ou moins publicitaire.
Dès lors se pose légitimement la question de l’influence des annonceurs sur la ligne éditoriale de ces médias. Pourtant, les cas d’interférences sont connus et, à juste titre, dénoncés, même s’ils demeurent rares.
En 2009, le site Rue89 se faisait l’écho de la suppression dans le numéro du 29 janvier du journal Direct matin d’un article qui expliquait « en détail comment la RATP exploitait les données du Pass Navigo à des fins commerciales ».
En 2011, Mediapart dénonçait un autre cas de censure concernant la publication Géo Histoire, qui avait supprimé plusieurs pages consacrées à la collaboration des entreprises françaises dans un dossier consacré à l’Occupation.
Plus récemment, c’est la nouvelle direction de Canal+ qui a été montrée du doigt à l’occasion d’interventions sur la programmation de son magazine Spécial Investigation, un reportage portant sur le Crédit mutuel ayant fait l’objet d’une déprogrammation et des sujets d’enquête ayant été refusés par la direction éditoriale.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’est légitimement saisi de l’affaire en septembre 2015 et a obtenu des évolutions, avec la création d’un comité de déontologie pour iTélé et Canal+ et la rédaction d’une charte. Ces engagements sont destinés à renforcer les garanties relatives à l’indépendance éditoriale.
Dans le cas d’espèce, la régulation ex post exercée par le CSA semble donc avoir fonctionné, et rien ne semblait par conséquent justifier a priori le recours à une initiative législative, qui plus est dans l’urgence. Auditionné par notre commission le 23 mars dernier, Olivier Schrameck, président du CSA, a d’ailleurs rappelé que le conseil n’avait jamais demandé de modifications législatives.
C’est dans ce contexte qu’en février 2016 deux propositions de loi ont néanmoins été successivement déposées sur le bureau des deux assemblées. Je donne acte à notre collègue David Assouline de son antériorité dans cette réflexion, puisqu’il est l’auteur d’une première proposition de loi sur l’indépendance des rédactions déposée en 2011.
Je tiens tout d’abord à rappeler les mauvaises conditions dans lesquelles nous avons dû examiner ces textes : absence d’étude d’impact et de concertation préalable, ce que tout le monde, ou presque, a déploré ; engagement de la procédure accélérée ; examen tout juste quatre semaines après l’adoption à l’Assemblée nationale, même si nous avons réussi à mettre à profit ce court délai pour entendre de nombreux acteurs des médias français ; enfin, cet examen sera vraisemblablement tronqué au cours de cet après-midi et renvoyé, au mieux, en fin de session.
Si je regrette que les textes que nous examinons prévoient de remplacer un système souple de régulation à la fois interne, au cœur des entreprises, et externe, par le CSA, qui devient non plus un régulateur, mais un censeur du monde des médias, j’ai voulu m’inscrire dans une démarche constructive.
J’ai aussi proposé que notre commission s’attelle à distinguer l’urgent de l’important et demeure concrète.
Tout d’abord, il importe de réaffirmer le bien-fondé des principes de transparence, d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information et des programmes. Ainsi, nous souscrivons à l’inscription dans la loi du droit d’opposition des journalistes et à l’institution de chartes et de comités de déontologie dans les entreprises.
Il s’agit de sujets tout à fait essentiels, mais nous avons veillé à ce que ces principes trouvent leur juste traduction dans des dispositifs pertinents et opérationnels, qui n’entravent pas le bon fonctionnement des entreprises et qui prennent en compte ce travail collectif qu’est la confection d’un journal, dans le respect de chacun, avec une chaîne de responsabilité clairement établie.
Nous avons tâché d’éviter toute immixtion injustifiée du législateur, les entreprises étant déjà suffisamment encadrées de normes et de contraintes pour ne pas en rajouter.
C’est pourquoi la commission de la culture a prévu que les modalités d’élaboration de la charte puissent s’adapter à chaque entreprise. Bien sûr, en matière de déontologie, il y a un référentiel commun, mais il y a aussi une histoire, une culture propre à chacun.
Notre commission a de surcroît limité le rôle du comité d’entreprise en matière de contrôle de la déontologie des journalistes.
Elle a précisé que le CSA veille à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, sans qu’il devienne l’arbitre entre les journalistes et leurs employeurs.
Enfin, elle a supprimé la possibilité de saisine de ces comités par « toute personne » et ouvert un droit de saisine à la société des journalistes.
Je vous proposerai quelques autres améliorations.
Il me reste deux points à aborder avant de céder la parole à mon collègue Hugues Portelli, qui exposera le point de vue de la commission des lois sur la création d’un régime de protection du secret des sources, qui est une véritable avancée.
Premièrement, je suis favorable à un travail approfondi sur la déontologie. Celle-ci est en effet au cœur de la crédibilité des médias. Cela signifie qu’elle doit s’inscrire dans le cadre d’un dialogue permanent au sein de l’entreprise : le journal, encore une fois, c’est un collectif, comme n’ont cessé de nous le dire nos nombreux interlocuteurs. La déontologie concerne bien sûr les droits, mais aussi les responsabilités des journalistes et de la rédaction, ainsi que l’a encore récemment rappelé le président de l’Observatoire de la déontologie de l’information, Patrick Eveno, dans son dernier rapport annuel, qui pointait notamment les dysfonctionnements dans le traitement de l’information à la suite des attentats du début de l’année 2015.
Deuxièmement, selon moi, l’enjeu pour les médias traditionnels français n’est pas l’adoption par le Parlement français de telle ou telle proposition de loi, fût-elle pleine de bonnes intentions et comportant quelques avancées.
L’enjeu réside plutôt dans leur adaptation à un paysage de l’information en complète recomposition, avec l’entrée sur le marché de l’information des grands acteurs internationaux de l’internet et des réseaux sociaux. Là se trouve à terme, si nous n’y prenons garde, la véritable menace pour le pluralisme et l’indépendance des médias français.
On se souviendra de la manière dont le géant Google, voilà quelques années, a répondu aux réclamations des éditeurs de presse en leur faisant l’aumône de quelques millions d’euros pour solde de tout compte, sans apporter de solutions aux problèmes structurels du nouveau et juste partage de la valeur ajoutée qu’engendre la mutation numérique. Je trouve donc que le débat suscité par ces deux propositions de loi, même s’il était nécessaire, est quelque peu déphasé au regard des immenses défis qui sont devant nous, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Sylvie Robert applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission de la culture, je vais en quelques mots vous donner le point de vue de la commission des lois sur un article de la proposition de loi, qui concerne la protection du secret des sources.
Je tiens d’abord à rappeler que ce secret des sources est bien protégé par une loi en vigueur datant de 2010, laquelle a été élaborée pour intégrer dans le droit français la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH. C’est le droit actuellement appliqué en France par nos tribunaux.
Je connais assez bien la jurisprudence de la CEDH, et je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu beaucoup de modifications jurisprudentielles depuis 2010. Les grands arrêts de la cour en la matière datent en fait des années quatre-vingt-dix et deux mille.
Si la proposition de loi vise à modifier la loi de 2010, c’est pour tenir compte d’autres points de vue, notamment celui, qui avait été sollicité, de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. En la matière, le droit français actuel est donc parfaitement conforme au droit européen.
Qu’a fait la commission des lois ? Elle a tout simplement vérifié que l’article de la proposition de loi qui lui était soumis, lequel est relatif à la protection du secret des sources, est conforme à la fois au droit du Conseil de l’Europe et au droit français tel que les juges l’appliquent habituellement. Elle a alors remarqué un certain nombre de différences qu’elle a voulu corriger pour revenir à un droit plus équilibré, plus conforme aux références européennes et jurisprudentielles.
En cela, je considère que le travail accompli par la commission des lois sur cet article 1er ter est non pas un recul de l’état du droit mais bel et bien une « avancée » – pour parler comme Mme la ministre. En effet, dans le droit français, comme dans le droit européen, il y a un principe, qui est celui de l’égalité devant la loi. Cela signifie que tous les citoyens, y compris les journalistes, sont égaux devant la loi.
Le droit pose un deuxième principe, qui est la protection du secret. Il dépasse les sources des journalistes et s’étend au secret de l’instruction, de la vie privée, de la défense nationale… Et par les temps qui courent, ces secrets-là, ils comptent autant que le secret des sources ! La commission des lois est donc intervenue pour veiller au respect de tous ces secrets et à leur harmonisation.
Dans l’expression « secret des sources », le mot « secret » est important. Qu’est-ce qu’un secret ? C’est quelque chose qu’on doit veiller à ne guère divulguer, y compris s’agissant des sources.
La commission des lois s’est d’abord interrogée pour savoir qui doit bénéficier du secret des sources. Il ne suffit pas de répondre que les journalistes sont concernés. Encore faut-il définir ces derniers. Aussi, la commission des lois a veillé au maintien d’une définition claire du journaliste. En effet, si chacun est journaliste et bénéficie du secret des sources, il n’y a plus de secret, tout le monde peut le divulguer.
La première chose à faire était donc de maintenir une définition. Il s’agit, d’ailleurs, de celle de la loi de 1881 et de la jurisprudence qui l’interprète, de notre point de vue, madame la ministre, de façon extrêmement libérale et favorable au monde de la presse.
La deuxième question sur laquelle nous nous sommes interrogés concerne la rédaction de l’amendement glissé par le Gouvernement en cours de débat à l’Assemblée nationale. En effet, s’il s’agit bien d’une proposition de loi, il n’en demeure pas moins vrai que l’article 1er ter – et de ce point de vue, votre lapsus est tout à fait intéressant et juste – résulte d’un amendement pris sur l’initiative du Gouvernement, qui l’a rédigé. Cet article 1er ter vient donc du Gouvernement, sauf qu’il a été écrit un peu vite, madame la ministre, tellement vite qu’il comporte des erreurs et omissions. (M. Gérard César sourit.) Ainsi, à titre d’exemple, ce que les fonctionnaires de la Direction des affaires criminelles et des grâces attribuent au code de procédure pénale, ils ont oublié de le faire figurer dans le code pénal ou dans le code de la presse !
La commission des lois a donc essayé de remettre tout cela « d’équerre ». Elle a fait en sorte d’harmoniser les choses pour que quand on parle de « prévention » et de « répression », on en parle partout, que quand on parle de « crime » et de « délit », on en parle un peu partout. Et elle a veillé à ce que tout cela soit rédigé dans des termes juridiques corrects.
Je termine en disant que nous avons rétabli le délit de recel de la violation du secret de l’instruction. En effet, respecter le secret de l’enquête, le secret de l’instruction, c’est un droit fondamental, c’est un droit essentiel ! Et le supprimer, ce ne serait pas une avancée, ce serait un recul grave de l’état de droit !
Je vais vous donner un exemple, madame le ministre. Peut-être avez-vous remarqué que, l’an dernier, la Cour de cassation a condamné…
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Hugues Portelli, rapporteur pour avis. Oui, madame la présidente, je vais terminer sur ce point, mais ce que je vais relater est important. (M. Alain Gournac sourit.)
La Cour de cassation, disais-je, a condamné un journaliste pour avoir divulgué partout le portrait-robot d’un violeur en série, alors que c’était couvert par le secret de l’instruction. Croyez-vous qu’une telle diffusion soit une avancée ? Méditez cela, nous en reparlerons au cours du débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, auteur de la proposition de loi n° 416.
M. David Assouline, auteur de la proposition de loi n° 416. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission et rapporteur, mes chers collègues, le groupe socialiste et républicain a choisi d’inscrire dans cette niche parlementaire ces deux propositions de loi en discussion conjointe. La commission de la culture a proposé de travailler sur la base du texte qui nous vient de l’Assemblée nationale pour lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée. Cette proposition de loi pourra ainsi suivre une navette – ce n’est pas le cas de toutes les propositions de loi dont nous débattons au Sénat – afin d’aboutir à une loi qui sera, je l’espère, bientôt promulguée.
Aujourd'hui, nous ne discutons pas seulement ici pour poser de grands principes – ce qui est parfois le cas dans le cadre des niches parlementaires –, nous discutons pour faire véritablement la loi, car telle est la perspective que nous avons à court terme.
Certains se sont interrogés sur l’opportunité d’agir en procédure accélérée. Pourquoi avoir privilégié l’inscription d’une telle loi dans notre agenda parlementaire ? Ce choix est-il utile ?
Je commencerai mon propos en proclamant et démontrant cette utilité. Lorsque ces textes ont été inscrits à l’ordre du jour parlementaire, il n’était probablement pas possible de prévoir les contingences qui alimentent assez massivement l’actualité depuis quarante-huit heures.
L’indépendance de la presse, c’est non seulement un impératif de la démocratie – Victor Hugo la plaçait sur un pied d’égalité avec le suffrage universel, dont elle est inséparable –, c’est aussi une liberté, gage d’une démocratie vivante.
Cela vaut aussi au-delà de notre pays, dans le monde entier. En effet, la démonstration qui est faite depuis deux jours, c’est bien que quelque chose d’important pour l’avenir du monde et ses équilibres économiques, pour l’idée qu’on peut se faire du bien-être dans le monde grâce à une économie saine, a bien été dévoilé par la presse internationale. C’est le travail de journalistes qui a permis de révéler ces informations quand les États et les instances internationales semblaient avoir donné à l’opinion publique tous les moyens de se saisir de ces sujets pour imposer des pratiques plus vertueuses dans le domaine des échanges financiers. C’est la presse qui l’a fait et on doit l’acter !
Je remercie d'ailleurs le Président de la République et le ministre Michel Sapin d’avoir commenté cet événement en commençant par saluer le travail des journalistes à l’origine de tout cela. Ils ont permis d’informer l’opinion, de la mobiliser et de donner la force – plus de force – à nos gouvernants, quand ils le voulaient. Ils ont permis d’exercer un peu de pression et de contraintes sur ceux qui résistaient à la volonté de mieux réguler la finance internationale et de lutter contre les paradis fiscaux.
Voilà une démonstration concrète de l’utilité de toujours remettre sur le métier cette question de l’indépendance des médias ! Le principal argument de ceux qui réfutent le caractère d’actualité du sujet est d’ironiser sur les menaces qui pourraient peser dans notre pays sur la liberté des médias. La réponse à la question paraît évidente : il n’y a jamais eu autant de médias, autant de structures, autant d’auditeurs sur l’ensemble des supports, qu’il s’agisse des télévisions – il y a beaucoup de chaînes –, du net – il y a beaucoup de plateformes – ou de la presse écrite, qui compte pas mal de titres.
Or ce que l’on peut constater aujourd'hui, c’est que, si les titres explosent en effet sur tous les supports, l’essentiel de cette pluralité est de plus en plus détenue par des propriétaires uniques. Cette offre massive ne correspond donc pas forcément à un pluralisme d’expressions et d’opinions. Il peut exister beaucoup de chaînes, dont les noms sont différents mais qui appartiennent en fait à un seul groupe, lequel suit une même ligne éditoriale et produit les mêmes articles. En changeant les noms et les titres, on donne l’illusion de la diversité.
Dans cet univers qui bouge de plus en plus et de façon accélérée depuis quelques années en raison des mutations technologiques, il faut s’attacher à préserver l’indépendance des journalistes. En effet, dans la concurrence internationale, il y a la nécessité, que je ne conteste pas, d’avoir des grands groupes pour résister. En effet, si nous n’avions pas, en France, des groupes en mesure de fournir l’offre médiatique et l’information, dans le monde sans frontières d’aujourd'hui, on le sait, la place serait prise par de grands groupes étrangers.
Il s’agit non de contester cela, mais de faire attention, car nous avons dans notre pays deux caractéristiques qui sont potentiellement problématiques – cela se vérifie parfois dans la pratique, Mme la rapporteur a évoqué des cas tout à l’heure.
Quelques grands groupes de médias audiovisuels possèdent quasiment l’ensemble. Voyez ce qui se passe dans ce qui était, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le fleuron de la diversité, la presse quotidienne régionale, laquelle est d'ailleurs la plus lue aujourd'hui sous la forme écrite.
Il y avait alors dans notre pays des titres qui reflétaient les courants de l’opinion, si bien qu’on pouvait avoir jusqu’à six titres par département et que le lecteur avait le choix dans cette offre diversifiée. Aujourd'hui, le Crédit mutuel a racheté l’essentiel de la production de presse quotidienne régionale dans l’Est de la France, qu’il a ratissé du sud jusqu’au nord de cette bande orientale. Cette concentration – il possède maintenant des dizaines de titres – pose en effet question. Mme Morin-Desailly a évoqué les groupes –Vivendi, Bouygues… – qui interviennent dans l’audiovisuel, je ne veux pas les citer de façon exhaustive.
J’en viens à la seconde caractéristique qui peut, potentiellement, nuire à l’indépendance. Vous le voyez, je suis modéré : je dis « potentiellement », alors que les exemples concrets montrent que ce n’est pas toujours seulement potentiel.
La caractéristique de nos grands groupes – et cela nous différencie des autres grandes démocraties qui nous entourent –, c’est qu’ils vivent essentiellement de la commande publique. Non seulement ces groupes ne sont pas spécialisés dans les médias – ils font autre chose, exercent dans le bâtiment et les travaux publics, pratiquent la vente d’armes… – mais ils vivent aussi de la commande publique.
On se demande pourquoi ils s’intéressent également aux médias, qui ne sont pas le cœur de leur métier. Parce qu’ils vivent de la commande publique, ne voudraient-ils pas influencer cette dernière en possédant les médias ? Vous le voyez, c’est potentiel, mais je parle de la réalité.
Il faut faire attention à préserver l’indépendance des journalistes. En effet, nous allons y revenir tout à l’heure, on peut légiférer sur la concentration. Je l’ai proposé voilà plusieurs années. Je m’y étais risqué dans le cadre d’une proposition de loi, ce qui est compliqué. En effet, si l’on commence à parler de seuil de concentration capitalistique, du nombre d’auditeurs ou de la quantité de médias que l’on peut posséder, il faut disposer d’études d’impact pour viser juste. Or le Parlement français, contrairement au Parlement américain, ne dispose pas de tels moyens. En travaillant seul, dans le cadre d’une proposition de loi, il ne peut pas atteindre un tel degré de précision. Par conséquent, si nous avions procédé de la sorte, le travail aurait été bâclé.
Nous avons donc choisi un autre angle : puisque nous vivons dans cet univers, avec ses dangers potentiels, nous allons concentrer notre travail sur la question de savoir comment assurer l’indépendance des journalistes.
Les propositions de loi soumises à notre examen s’attachent à définir, à travers des événements concrets, ce qui peut les protéger. Il y a cette avancée sur le secret des sources, dont nous vous remercions, madame la ministre, après des blocages qui ont duré pendant au moins trois ans. Nous reviendrons concrètement sur le sujet et répondrons aux arguments développés par M. Portelli et d’autres. Nous avançons, ce débat le montre !
Notre texte prévoit le droit d’opposition – nous y reviendrons. L’article 1er est très important. Sans doute ne mènerons-nous pas la discussion jusqu’à son terme, mais peut-être parviendrons-nous à évoquer cet article.
Et puis, il y a ces comités de déontologie – d’autres disent « d’indépendance ».
Un débat concerne le CSA. Peut-il avoir une prérogative de veille ? Il faut faire attention à ne pas continuer à renforcer ses pouvoirs et à éviter qu’il n’ait, en amont, des prérogatives de surveillance quotidienne des rédactions au moment où elles produisent l’information, prérogatives dont il était démuni auparavant…
J’en arrive à ma conclusion. Tout ce débat, nous allons l’avoir de façon précise au travers des amendements. Quoi qu’il en soit, il est utile de légiférer sur l’indépendance des médias parce que le paysage nous l’impose aujourd'hui, parce que nous devons veiller, nous, législateurs, à faire ce que nous avons introduit dans la Constitution ici, au Sénat, avec un amendement du groupe socialiste et républicain. La loi doit garantir l’indépendance, le pluralisme et la liberté des médias. C’est ce que nous faisons en examinant ces propositions de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert.
Mme Sylvie Robert. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, quelle urgence y a-t-il à légiférer pour renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ? Je dirai qu’il existe deux types de menaces pressantes : l’une interne au système médiatique, qui a déjà été amplement évoquée, l’autre externe, mais qui lui est intimement corrélée.
Oui, la presse et l’audiovisuel font face à un phénomène de concentration qui oblige à une attention accrue – ce même phénomène est d’ailleurs à l’œuvre dans beaucoup de secteurs économiques, comme le rappellent les débats sur le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, autour de la concentration horizontale et verticale dans la musique, par exemple, qui révèlent des tendances en développement.
En vue de réguler l’industrie des médias, les deux lois fondatrices de 1986 portant réforme du régime juridique de la presse et relative à la liberté de communication ont instauré des dispositifs de limitation des opérations de concentration. Pour autant, le défi posé par la compétition internationale exacerbée et la globalisation des marchés incite les grands groupes médiatiques à consolider leur position en diversifiant leur portefeuille. Il s’ensuit que depuis plusieurs années ce phénomène de concentration s’accentue dangereusement et qu’il nécessite, en conséquence, d’être régulé.
Le risque, qui s’est révélé réel, est bien sûr d’aboutir à une confusion entre les intérêts économiques des groupes détenteurs des organes de presse ou des chaînes audiovisuelles et la manière de traiter et d’analyser l’information. Quand cette déviance devient manifeste, elle ébranle la confiance des citoyens dans les médias – seuls 39 % leur font confiance aujourd’hui – et porte préjudice à la probité journalistique légitimement attendue.
Sans revenir sur les polémiques nées de la décision de ne pas diffuser tel programme ou tel reportage, il se révélait donc urgent de prendre les dispositions en vue d’aller plus avant dans la « séparation des pouvoirs » entre les actionnaires-éditeurs et les journalistes, et dans la non-ingérence – directe ou indirecte – des premiers dans la ligne éditoriale fixée par les seconds.
En somme, il est question de cloisonner ce qui relève de la gestion économique et financière du groupe, intérêt par essence privé, et ce qui a trait à l’information du public, intérêt éminemment général impliquant indépendance et pluralisme.
Pour ce faire, ces propositions de loi visent à conforter et à étayer des droits, notamment en étendant le droit d’opposition reconnu, en l’état, uniquement aux journalistes de l’audiovisuel public et en consacrant le droit à la protection du secret des sources. Sur ces deux points, le groupe socialiste et républicain proposera de rétablir le texte issu de l’Assemblée nationale.
Il s’agit bien de sécuriser la profession journalistique, car malgré leurs droits et la liberté théorique dont ils jouissent et qui s’exerce dans le respect de la ligne éditoriale, les journalistes peuvent se restreindre.
À l’instar d’artistes qui, parfois – et malheureusement trop souvent en ce moment –, s’empêchent d’aller jusqu’au bout de leur imaginaire, les journalistes ne sont pas à l’abri de l’autocensure, mal qui fragilise toute démocratie. Conscients, voire victimes des pressions économiques qui pèsent sur leur groupe, ils peuvent, on l’a vu, éviter certains sujets ou même s’interdire de les traiter de façon critique.
De cet engrenage, il résulte, a minima, la perte d’une grille de lecture d’un événement et, au pire, une perte sèche d’information. Quoi qu’il en soit, l’autocensure journalistique, qui peut être causée par un manque d’indépendance des rédactions, nuit au pluralisme et engendre une privation d’information pour le public, si bien qu’elle s’apparente à une défaite de la démocratie.
Par conséquent, faciliter l’exercice du métier de journaliste et lui apporter la sérénité nécessaire constitue une exigence démocratique. Milan Kundera, dans L’Immortalité, écrivait que « le pouvoir du journaliste ne se fonde pas sur le droit de poser une question, mais sur celui d’exiger une réponse » ; ce droit « d’exiger une réponse » n’est autre que le droit à l’information du public, prémisse indispensable pour qu’une opinion éclairée se révèle.
Encore faut-il s’assurer que cette information soit indépendante, plurielle pour que tout un chacun puisse se forger une opinion libre. Hannah Arendt l’exprimait bien dans Vérité et politique : « La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat. […] Sans les journalistes, nous ne nous y retrouverions jamais dans un monde en changement perpétuel et, au sens le plus littéral, nous ne saurions jamais où nous sommes. » Comme ces phrases, si percutantes, résonnent avec l’actualité et les désormais fameux « Panama papers » !
Face aux récits de façade, qui peuvent s’apparenter à des contes imaginaires, les journalistes font ressortir ce qu’il y a parfois de plus froid : les faits. Sans nécessairement chercher à faire de leur narration un roman, ils démontrent et démontent ce qui est approximatif, inexact ou mensonger.
Pour paraphraser Kundera, le pouvoir du journaliste n’est pas de déclarer la vérité ; il est d’éclaircir le trouble et de déconstruire le mensonge. Ni prophète ni juge, il est messager d’une simple part de vérité, peintre d’une réalité brute.
Investiguer, informer, expliquer : telles sont, à mon sens, les trois missions principales qui incombent aux journalistes. Cette pédagogie apparaît d’autant plus fondamentale que l’information est devenue un enjeu essentiel.
La propagation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, ou NTIC, qui constituent selon Jeremy Rifkin la troisième révolution industrielle, démultiplie à la fois les sources, les formats et la rapidité de circulation de l’information. Les réseaux sociaux parachèvent cette géographie contemporaine des médias : ils abolissent toute frontière et amplifient l’écho des événements, jusqu’aux plus lointains.
C’est ainsi que les individus s’emparent de ces nouvelles technologies et les font évoluer perpétuellement pour leur donner un sens, par la création de mouvements spontanés ou encore de solidarités très modernes. Atouts indéniables, symboles d’une société active qui se meut, le traitement et l’analyse de l’information n’en sont pas moins complexifiés de par les NTIC.
Il s’agit d’un immense défi démocratique : face à la multiplicité d’informations disponibles et à leur volatilité, face au sentiment que nous ressentons parfois d’être perdus au milieu de cette actualité dont le bruit ne cesse jamais, comment bien informer ? Comment donner à comprendre alors que le temps de réflexion est de plus en plus comprimé ? C’est précisément ce rôle de vigie démocratique, devenu majeur, que doivent incarner les journalistes.
Ce rôle, on le sait, est déjà délicat à remplir. Il l’est toujours plus au vu de la désinformation qui sévit, en particulier sur internet. Il convient d’abord de démêler le vrai du faux puis de prouver que telle ou telle information doit être prise au sérieux. La fonction pédagogique des journalistes participe donc d’une entreprise plus globale d’éducation aux médias, qui doit notamment viser les plus jeunes. Elle est de nature à lutter contre cette désinformation qui se répand, s’enracine et porte selon moi directement atteinte aux fondements démocratiques de notre société.
Cependant, « dans une époque où ce qui est cru est plus important que ce qui est vrai », comme le déclare un artiste dans l’un de ses textes, être audible et légitime dépend autant du contenu de votre travail que de la confiance que vous inspirez.
C’est pourquoi cette proposition de loi vise à restaurer la confiance des citoyens dans les médias, en renforçant l’indépendance et le pluralisme de ceux-ci. Faire la politique de l’autruche, estimer qu’il y a nul problème, nulle urgence à légiférer, c’est tout simplement aller à l’encontre de l’intérêt démocratique et de l’intérêt général.
Dans une « société de défiance », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Yann Algan et Pierre Cahuc, rétablir la confiance dans une institution considérée comme le quatrième pouvoir ne se décrète pas. C’est un labeur quotidien qui se mesure à l’aune des articles de presse, des émissions de radio et des programmes télévisuels.
Néanmoins, cette responsabilité n’incombe pas uniquement aux journalistes. Les obligations relatives à l’indépendance et au pluralisme, qui peuvent être intégrées, par exemple, aux conventions signées entre les éditeurs de service de télévision et le Conseil supérieur de l’audiovisuel, pourraient être développées sous l’égide des comités généralisés par l’article 7 de la présente proposition de loi ; de même, ces comités pourraient contribuer à valoriser les bonnes pratiques observées.
En somme, l’objectif est donc bien de réfléchir à l’environnement médiatique dans son ensemble et à la manière d’étendre la confiance entre tous les acteurs. Dans cette perspective, les autorités publiques ainsi que l’autorité administrative indépendante en charge de garantir la liberté de communication audiovisuelle et le pluralisme des opinions doivent aussi inspirer confiance. Cela passe par une impartialité objective, qui doit s’observer tant dans les modalités de désignation de ses membres et dans sa composition que dans la justification de ses décisions et la stabilité de sa jurisprudence.
Mes chers collègues, la réponse commune à apporter pour insuffler une confiance renouvelée dans les médias se résume en un seul mot : « indépendance », à savoir tant celle des rédactions que celle des organes chargés du contrôle de cette indépendance. Voilà la finalité que poursuit et déploie cette proposition de loi.
En fin de mon propos, je veux sincèrement remercier les auteurs de cette proposition de loi. L’auteur français Michel del Castillo a eu cette phrase éloquente : « J’ai toujours pensé que la grandeur du journaliste se mesurait par son indépendance ». L’actualité de cette semaine lui donne entièrement raison ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Corinne Bouchoux et Mireille Jouve ainsi que M. Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas l’actualité qui confère à ce texte une quelconque urgence ; c’est plutôt la contradiction croissante entre, d’une part, l’indépendance et l’éthique de l’information et, d’autre part, le modèle économique que se donnent les médias depuis des décennies, modèle aggravé en France tant par les liens des éditeurs avec la commande publique que par la précarisation de la profession.
Il est de notre devoir de prendre en considération le risque pour la démocratie que représentent ces changements et d’y trouver des parades. Voilà pourquoi ce texte est bienvenu.
Néanmoins, les propositions peuvent manquer leur cible si elles n’installent pas les garde-fous rigoureux et nécessaires que les journalistes sont en droit d’attendre pour exercer au mieux leur mission.
Or, à cet égard, les minorations effectuées par la commission aggravent le renoncement. Les relire à l’aune du travail collectif d’investigation mené par les journalistes sur les « Panama papers » est édifiant.
La protection du secret des sources est un bien précieux qui conditionne la liberté de l’information. Elle doit être renforcée. Nous regrettons par conséquent les amendements proposés par la commission des lois. Par la réintroduction dans ce texte de la notion d’« impératif prépondérant d’intérêt public », la commission des lois entend nous ramener à la formulation floue et sujette à interprétations variables de la loi de 2010.
En supprimant la sanction de suspension des aides à la presse, notre commission se prive de la dissuasion, tant ces aides sont indispensables. Permettre de les supprimer ne fragilise pas les entreprises, mais les conduit simplement à respecter la loi.
Mme la présidente-rapporteur nous rappelle que « le “capital confiance” des Français à l’égard de leurs médias est faible ». Toutefois, en refusant de faire davantage évoluer la législation, elle ne tire pas toutes les conséquences de ce fait et risque plutôt d’aggraver le capital confiance des Français à l’égard de leurs représentants.
Quant à la suppression proposée des dispositions relatives à la protection des lanceurs d’alerte, qui ont pourtant été adoptées à l’unanimité par l’Assemblée nationale et qui s’articulaient pleinement avec la protection du secret des sources des journalistes, le moins que l’on puisse dire est que cela irait à rebours de l’histoire et de l’actualité récente. Je vous proposerai de réintroduire cet article, absolument essentiel pour que ces sentinelles sachent qu’elles peuvent alerter quand il y a fraude, transgression de la loi ou toute autre atteinte à l’intérêt général. Je remercie à cet égard le Gouvernement d’avoir anticipé ce débat en complétant le dispositif proposé.
Les écologistes sont en revanche sceptiques sur la mise en place des chartes déontologiques maison. Ainsi, chaque entreprise ou société disposerait de son propre texte. On offrirait donc la possibilité à certains titres d’être plus souples que d’autres en matière de déontologie, et aux journalistes qui y contribuent d’être plus ou moins regardants sur les conditions d’exercice de leur métier.
Alors qu’il existe de solides textes de référence, depuis l’article 34 de la Constitution jusqu’à la « charte de Munich », cette géométrie variable, dans un contexte de précarité de la profession, serait la porte ouverte au dumping éthique et à l’éclatement d’une ligne de conduite commune qui honore le journalisme.
Un autre de nos regrets a pour objet la régulation de la concentration. Aujourd’hui, en France, sept individus milliardaires disposent de 95 % de la production journalistique. Leur métier d’origine importe peu : à un certain niveau, on accroche un groupe de presse à sa boutonnière comme certains croient que la réussite à cinquante ans s’affiche par une Rolex au poignet. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Isabelle Debré. C’est petit !
M. Alain Gournac. Le trait est gros !
Mme Marie-Christine Blandin. Des propriétaires d’une certaine marque de montre s’indignent-ils ?
M. Jean-Louis Carrère. Ils ont été touchés !
Mme Marie-Christine Blandin. Des exemples récents ont montré que la frontière est mince entre l’information et les intérêts des actionnaires envers leurs annonceurs.
Seules des règles strictes peuvent éloigner les risques de dépendance des rédactions, de comportements zélés ou d’autocensure.
Nous éprouvons donc beaucoup de regrets et peu de satisfaction. Nous avions la possibilité de mettre en place des dispositions ambitieuses pour garantir la qualité de l’information. Certains ont pourtant pensé, ce matin, qu’il était urgent d’attendre pour ne fâcher personne.
Alors que la démocratie vacille et que le peuple n’a plus confiance, gardons-nous de ne brandir en France qu’un sabre de bois, qui fera rire les éditeurs de presse, ou plutôt ceux qui, à un moment donné de la courbe de leurs bénéfices, se sont servis de la presse comme d’une marchandise parmi d’autres. Le groupe écologiste réserve donc son vote final et se prononcera en fonction de l’évolution des avancées permises par ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe CRC. – M. Hervé Poher et Mme Françoise Laborde applaudissent également.)
M. Alain Gournac. Plus c’est gros, plus ça passe !
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, en ce moment même se tient en Turquie le procès de Can Dündar et Erdem Gül, journalistes au sein du journal progressiste et laïc Cumhuriyet. Ces deux journalistes d’investigation risquent la prison à perpétuité. Pour quelle raison ? Simplement pour avoir publié une enquête sur la livraison d’armes par les services de renseignement turc à des rebelles islamistes en Syrie au début de l’année 2014.
Plus que jamais, cette affaire, qui fait grand bruit en Turquie et qui est devenue l’un des symboles de la répression de la liberté de la presse par le régime de Recep Tayyip Erdogan, doit nous rappeler l’importance de médias libres et indépendants.
C’est l’objet de la proposition de loi examinée en séance aujourd’hui que de renforcer la garantie des principes constitutionnels qui fondent une liberté et une indépendance effectives des médias.
En effet, il faut bien le dire, la confiance du public dans ses moyens d’information s’érode depuis plusieurs années. Les raisons de cette défiance sont protéiformes, ainsi que l’explique l’Observatoire de la déontologie de l’information : les journalistes, moins soucieux d’une certaine éthique, sont considérés comme « trop proches du pouvoir ou des puissances d’argent ». Le phénomène est loin d’être nouveau. Rappelons-nous Albert Camus, défenseur acharné d’une morale professionnelle pour tous les journalistes, qui militait pour « couper les liens incestueux entre notre profession et les puissances d’argent ».
De ce point de vue, l’année 2015 est venue éclairer d’une lumière nouvelle le vœu que formait l’auteur de L’Homme révolté en 1939. En effet, jamais la concentration des médias entre les mains de quelques industriels, dont les autres activités ont peu à voir avec l’information et la communication, n’avait été aussi visible et importante. De Libération au Parisien–Aujourd’hui en France en passant par L’Obs, L’Express ou BFM TV–RMC, on peut égrener les noms de médias regroupés entre les mains d’une poignée d’hommes d’affaires.
L’un de ces exemples s’est peut-être avéré plus symbolique que d’autres tant il a parlé à notre imaginaire collectif : j’ai en tête la reprise en main de la ligne éditoriale de Canal+ par Vincent Bolloré, qui s’est accompagnée de la censure de documentaires de l’émission Spécial Investigation. Les questions suscitées par ce sujet ont animé les auditions de notre commission.
Une démocratie ne peut que sortir renforcée d’une loi visant à consolider l’indépendance et le pluralisme de ses médias. En effet, si ce combat est avant tout celui des rédactions et des journalistes, il peut aussi nécessiter l’engagement de la représentation nationale.
Ce texte peut permettre de faire évoluer la législation en vigueur eu égard à certaines pratiques devenues caduques et favoriser l’émergence d’autres pratiques en rapport avec une certaine actualité.
Je pense notamment à la jurisprudence relative au délit de recel de violation du secret de l’instruction, dans les cas où l’intérêt général est en jeu : ce délit est tombé en désuétude à mesure que les tribunaux prononçaient régulièrement la relaxe des journalistes. Je pense également aux dispositions visant à élargir le statut de lanceur d’alerte en matière d’environnement et de santé publique, domaines où l’importance de leurs révélations n’est plus à démontrer.
Il est d’ailleurs regrettable que, sur ces deux points, la commission des lois comme la commission de la culture aient décidé de faire marche arrière. Voilà un bien mauvais signal envoyé, d’une part, aux journalistes d’investigation et, d’autre part, aux lanceurs d’alerte, alors même que l’actualité de ce début de semaine et les révélations qui ont suivi la publication des « Panama papers » par Le Monde confirment à quel point nous avons besoin d’eux et, par conséquent, de protéger leur statut et leurs enquêtes.
Je regrette également les reculs de notre commission sur l’article 1er. Il paraissait tout à fait légitime de généraliser à tous les journalistes le droit d’opposition, protection dont bénéficiaient jusqu’alors les seuls journalistes de l’audiovisuel public.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Nous l’avons fait !
Mme Mireille Jouve. Notre commission a toutefois jugé bon de supprimer la notion d’« intime conviction professionnelle », qui venait établir dans la pratique ce droit d’opposition. Or cette conviction, loin d’être une humeur du moment, devait être formée dans le respect d’une charte déontologique dont chaque entreprise de presse devra se doter. Par ailleurs, cette notion existe de longue date pour les journalistes de l’audiovisuel public ; sa transposition dans la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle n’avait d’ailleurs rencontré aucune opposition.
Concernant cette charte déontologique, je forme également le vœu qu’elle permette l’inscription d’un code de bonne conduite sur l’emploi des journalistes et les conditions de leur rémunération, à un moment où les conditions de travail ne cessent de se dégrader et la part des pigistes d’augmenter. C’est d’ailleurs pourquoi certains de mes collègues et moi-même proposerons une rédaction collégiale de cette charte de déontologie.
Enfin, je proposerai également de rétablir le dispositif de retrait des aides publiques en cas de manquement aux obligations de transparence de l’actionnariat ou de violations des obligations de droit d’opposition des journalistes. Le principe me paraît suffisamment important pour être maintenu et je ne suis pas convaincue par l’argument selon lequel ce dispositif de sanction serait plus lourd pour les entreprises les plus fragiles. Il le sera, avant tout, pour celles qui ne respectent pas certains devoirs qui semblent pourtant essentiels.
Mes chers collègues, le groupe du RDSE se prononcera diversement sur ce sujet. Je conclurai, pour ma part, par cette citation d’Albert Camus qui n’a pas fini de nous faire réfléchir : « un journal libre se mesure autant à ce qu’il dit qu’à ce qu’il ne dit pas ». (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mmes Corinne Bouchoux et Élisabeth Doineau ainsi que M. Bernard Lalande applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la liberté, de l’indépendance et du pluralisme de la presse : qui oserait prétendre qu’il ne s’agit pas là d’une question centrale pour notre démocratie mais aussi, en ce moment, de l’un de ses maillons faibles ?
Notre démocratie ne se porte pas bien ; or les questions de la libre information, de son indépendance vis-à-vis des puissances d’argent et de son pluralisme réel, et non seulement de la pluralité des canaux d’informations, sont au cœur de cette crise démocratique.
« Donner à toutes les intelligences libres les moyens de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde » : ce principe, ce droit fondamental énoncé par Jean Jaurès dans l’éditorial du numéro fondateur de L’Humanité est-il aujourd’hui assuré à tous nos concitoyens ? Loin de là !
Nous attendions donc sur ce sujet essentiel une loi importante. Le quinquennat en cours aura au contraire été marqué par des mouvements redoublés de contrôle et de concentration dans tous les grands moyens d’information, par une précarisation croissante d’une grande part des journalistes et par une instabilité économique toujours plus grave dans un secteur à la recherche d’un nouveau modèle d’équilibre.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui constitue en quelque sorte un rattrapage de ce manquement à l’initiative législative attendue. Elle a le mérite d’avancer, enfin, sur ces terrains essentiels mais ses limites sont elles aussi avérées.
Le présent texte laisse de côté deux questions majeures.
Premièrement, il ignore la précarisation croissante du métier, sur laquelle tous les syndicats de journalistes ont tenu à insister auprès de nous. Ce phénomène menace la qualité et le libre exercice professionnel du métier de journaliste.
Deuxièmement, il ne traite pas de l’étouffement du pluralisme par la concentration financière et multimédia qui ne cesse de se renforcer. Auditionné par notre commission de la culture, le président du CSA l’a pourtant reconnu : « Les lois anti-concentration sont dépassées. »
À cet égard, nous proposerons, à travers nos amendements, des dispositions essentielles. Mais, au-delà, il faut d’urgence entreprendre un chantier législatif d’ampleur.
Je le sais, on nous opposera l’imperfection de nos amendements. Mais qui peut le plus peut le moins ! Les dispositions que nous avançons constitueraient un premier pas dans la bonne direction et une incitation à poursuivre.
Parallèlement, on nous objecte qu’en encadrant la mainmise de MM. Arnault, Bolloré, Bouygues, Dassault, Drahi, Bergé, Lagardère, Niel, Pigasse, Pinault, ou encore du Crédit mutuel, l’on risquerait d’ouvrir la porte au capital étranger anglo-saxon, et de lui donner la maîtrise de nos moyens d’information.
Permettez-nous de penser que la protection du CAC 40 ne nous apportera pas la meilleure des garanties !
À ce titre, Hubert Beuve-Méry savait faire la différence entre une « industrie de presse » et une « presse d’industrie ». C’est vers la seconde, vers ce que l’on appellerait aujourd’hui « une presse d’argent », que nous avançons aujourd’hui à grands pas. Beuve-Méry disait à son propos : « Il suffit que l’information n’aille pas porter quelque préjudice à des intérêts très matériels et très précis, ou, à l’occasion, qu’elle les serve efficacement. »
Les exemples sont, hélas ! nombreux. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer les exemples les plus récents, le film Merci Patron !, l’émission Les Guignols de l’info, ou encore un reportage à charge consacré au Crédit mutuel par la chaîne Canal+. À l’inverse, on peut mentionner les préventions de M. de Tavernost, de M6, lequel ne supporte pas que l’on dise du mal de ses clients à l’antenne. On le vérifie ainsi, ces problèmes sont bien là !
Dans le même temps, chacun le sait, des titres majeurs du pluralisme comme L’Humanité, Politis ou Mediapart (M. Alain Gournac s’esclaffe. – Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.),…
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. On sait bien que ces titres ne reflètent pas vos opinions !
M. Cédric Perrin. En effet, nous les lisons rarement !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Eh bien, vous devriez les lire plus souvent !
M. Pierre Laurent. … mènent un combat quotidien acharné pour assurer leur survie et en restant indépendants.
M. François Bonhomme. Modèles de pluralisme !
M. Alain Gournac. Pluralisme un peu spécial…
M. Pierre Laurent. La présente proposition de loi s’emploie avant tout à offrir de nouvelles garanties d’indépendance aux journalistes et aux équipes rédactionnelles.
Nous soutenons plusieurs de ces avancées, notamment celle, très importante, qui est relative à la protection des sources. Nous souhaitons que ce texte soit renforcé dans ce domaine, mais aussi en vue de protéger les lanceurs d’alerte.
Nous saluons l’instauration d’un droit de retrait des journalistes, qui peut être invoqué quand on cherche à leur imposer un contenu aux antipodes des principes déontologiques et de leurs convictions professionnelles. Encore faudra-t-il que ce droit ne soit pas bafoué, dans les faits, par la pression exercée sur chaque journaliste, par des conditions de travail de plus en plus précaires.
Nous proposons également de développer entièrement les intentions de transparence, en exigeant la pleine publicité des mouvements d’actionnaires dans la propriété des médias, sans aucun seuil.
Sur le front de la déontologie, nous appuyons certaines avancées contenues dans cette proposition de loi, mais nous entendons les renforcer clairement, les garantir par la référence aux chartes qui unissent la très grande majorité de la profession. Faute de quoi, nous risquons de voir fleurir dans les rédactions des « chartes maison » au rabais, au gré des rapports de force inégaux entre actionnaires et journalistes. Nous veillerons donc à introduire une référence claire à la charte des droits et devoirs de Munich et à la charte d’éthique professionnelle adossée à la convention collective.
Pour les mêmes raisons, nous proposons, à travers plusieurs amendements, de renforcer et de garantir le poids et les droits des équipes rédactionnelles.
Nous préférons ce chemin à celui qui a été choisi au sujet du CSA. En effet, nous mettons en doute l’article relatif au rôle de cette instance. Ces dispositions partaient semble-t-il d’une bonne intention. Mais elles risquent d’aboutir à l’inverse du but visé : non pas la garantie de l’indépendance mais le contrôle des rédactions et des médias, auquel le CSA précise lui-même qu’il n’est pas candidat !
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, nous souhaitons travailler à enrichir les garanties apportées par cette proposition de loi, lesquelles, dans plusieurs domaines clefs, nous paraissent encore trop homéopathiques.
Notre vote dépendra également du sort réservé aux intentions affichées pour le présent texte par la majorité sénatoriale.
Au cours de nos débats, nous avons parfois le sentiment que la voix des grands actionnaires souffle manifestement dans les nuques.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Pas du tout, c’est la voix du bon sens !
M. Pierre Laurent. Il est clair que, pour notre part, nous ne voterions pas une proposition de loi privée de ses quelques avancées, un simple texte d’affichage vidé de son sens.
M. David Assouline. Bien sûr !
M. Pierre Laurent. Nous resterons donc actifs et vigilants, tout au long des discussions, pour rendre possible le vote de dispositions plus nécessaires que jamais à la liberté, à l’indépendance et au pluralisme des médias. Voilà pourquoi, en l’état du présent texte, nous réservons notre vote ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mmes Corinne Bouchoux et Marie-Christine Blandin applaudissent également.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux. (Mme Patricia Morhet-Richaud et M. Michel Houel applaudissent.)
M. Alain Gournac. Ah, enfin !
M. Jean-Pierre Leleux. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, pour paraphraser l’un de mes maîtres à chanter, Jacques Brel, je dirai que la « quête » vers l’indépendance, cette « inaccessible étoile », est non seulement légitime mais tout à fait louable, et que nous la suivons tous.
Même si cette quête reste un « impossible rêve », nous devons tenter ensemble de l’atteindre.
M. Jean-Claude Carle, vice-président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Comme c’est bien dit ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Leleux. Toutefois, on peut s’interroger quant à la précipitation avec laquelle sont débattues les dispositions soumises, aujourd’hui, à notre examen. À ce titre, on peut regretter que la procédure accélérée soit devenue, ces derniers temps, un moyen habituel de légiférer.
Devant l’Assemblée nationale, Patrick Bloche, rapporteur de la proposition de loi relative à la liberté, à l’indépendance et au pluralisme des médias, a assuré que ces dispositions relevaient de l’urgence. Il a invoqué le souci de protéger les journalistes des risques de censure qu’engendrerait une concentration grandissante des médias.
Son propos faisait suite à la déprogrammation d’une émission d’investigation, à la demande de la direction de Canal+. Aussi ce texte a-t-il peu à peu reçu le surnom de « proposition de loi anti-Bolloré ».
Au reste, cette affaire a fait grand bruit à l’automne dernier. Le CSA est intervenu et l’émission en question a été reprise par France Télévisions. Dans une certaine mesure, elle prouve qu’une forme de régulation s’impose lorsque l’indépendance des médias subit une transgression, et que cette régulation peut être assurée presque naturellement.
Pour ma part, notamment à la suite de débats qui m’ont parfois mis un peu mal à l’aise, je décèle dans ce texte de loi un esprit de défiance et de suspicion à l’égard des rédactions de presse, des directeurs de journaux et de chaînes. D’ailleurs, lors des auditions menées par la commission, nos interlocuteurs nous ont affirmé les percevoir ainsi.
En revanche, les professionnels sont dans l’attente d’autres mesures qui les aideraient à faire face à la crise économique subie par le secteur depuis le développement du numérique, qui, elles, justifieraient l’urgence. Mais le texte qui nous parvient de l’Assemblée nationale imposait de nombreuses contraintes supplémentaires aux entreprises, notamment l’obligation de consultation annuelle du comité d’entreprise quant au respect du droit d’opposition des journalistes ou l’adaptation des conventions conclues par le CSA avec les éditeurs de services.
Notre commission de la culture a sensiblement modifié cette proposition de loi, sur l’initiative de son rapporteur, Catherine Morin-Desailly, dont je tiens à saluer la rigueur, source d’un travail de qualité, et la qualité d’écoute.
M. Jean-Claude Carle, vice-président de la commission de la culture. Très bien !
M. Jean-Pierre Leleux. Nous avons maintenu l’extension du droit d’opposition aux journalistes de presse écrite tout en veillant à la constitutionnalité de cette disposition, en supprimant la notion trop subjective d’« intime conviction professionnelle » figurant à l’article 1er. À l’instar de Mme la rapporteur, j’estime qu’il faudra maintenir cette suppression lors du vote en séance publique.
Nous avons évité un risque juridique, des complications pour le juge et une représentation vexatoire des liens de travail dans les sociétés de presse.
Cet article 1er érigeait clairement les journalistes en contre-pouvoir éditorial. Ceux-ci étaient à même de désavouer leur hiérarchie, alors qu’ils disposent déjà d’un statut protecteur et que la responsabilité civile et pénale du directeur de la publication est engagée.
Pour garantir cette liberté de conscience, il est certainement plus utile de généraliser les chartes déontologiques au sein des sociétés, comme l’a prévu l’Assemblée nationale après l’intervention des élus du groupe Les Républicains.
De même, la version initiale de cette proposition de loi permettait une ingérence excessive et injustifiée du CSA et des comités d’éthique au sein des rédactions. Le CSA devenait une sorte d’arbitre, voire de censeur des relations entre les journalistes et leurs employeurs.
En conséquence, notre commission a pris une sage décision : refuser d’étendre exagérément les pouvoirs du CSA, tout en lui reconnaissant une mission de veille quant au pluralisme, à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes.
La même sagesse a motivé l’examen des articles portant sur les obligations d’information des sociétés en matière de transparence du capital. Nous avons choisi de relever le pourcentage déclenchant les obligations à un niveau plus adapté à la conjoncture.
De surcroît, la création d’une nouvelle sanction pour les manquements constatés mettant en cause le soutien financier apporté aux entreprises les plus fragiles était, à nos yeux, disproportionnée. Elle ne figure donc plus dans la rédaction adoptée en commission.
Enfin, je signale les modifications apportées à l’article 1er ter, relatif à la protection des sources des journalistes. En effet, il faut préserver un équilibre entre la liberté d’information, que nous appelons tous de nos vœux, et les intérêts majeurs de notre société, en l’occurrence le secret de l’instruction.
Parallèlement, nous avons maintenu les dispositions en faveur de la publication des annonces légales, ainsi que certaines avancées. Je songe notamment à l’incitation fiscale à investir dans les entreprises de presse, votée en 2015. Non seulement ces mesures ont peu à voir avec l’indépendance et la transparence des médias, mais elles présentent un intérêt pour les entreprises.
Il est urgent de répondre aux défis majeurs qu’affrontent la presse et le secteur audiovisuel, en butte à la baisse des ventes au numéro, à l’érosion et au vieillissement des publics, à la chute des recettes publicitaires et aux difficultés d’adaptation numérique. Ces défis sont multiples. Le principal d’entre eux est d’assurer la survie de nos entreprises face à l’essor des géants internationaux.
À mon sens, la concentration des médias en Europe n’est pas nécessairement une menace pour l’indépendance des journalistes. Bien au contraire, elle constitue une nécessité économique.
De nombreux rapports se sont succédé, proposant des mesures destinées à contrer les difficultés subies par les médias et l’audiovisuel. On souhaiterait que ce chantier de réformes soit engagé. D’importantes initiatives doivent être prises.
En conclusion, mes chers collègues, les membres de notre groupe voteront cette proposition de loi dans la mesure où elle conservera la valeur ajoutée apportée en commission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – MM. Jean-Claude Luche et Vincent Capo-Canellas applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, « renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias » : quel beau titre pour une proposition de loi !
Comment expliquer qu’un tel texte puisse susciter une opposition très large de la part des éditeurs de presse et des syndicats de journalistes ?
Nous sommes convaincus de l’importance des enjeux en présence, comme des valeurs d’indépendance et de pluralisme des médias. Dans une France marquée par l’esprit des Lumières, l’indépendance de la presse est solidement ancrée dans les consciences.
J’admets volontiers que l’on n’est jamais assez exigeant, jamais assez vigilant à cet égard, même si je ne perçois pas de remise en cause.
Quelques incidents récents, qui viennent d’être rappelés, ont été mis en avant. Tel ou tel reportage n’aurait pu être diffusé. Mais ces faits ont donné lieu à de vifs débats dans la société française : c’est là la preuve que les principes d’indépendance et de pluralisme des médias sont bien vivants, qu’ils sont spontanément perçus comme légitimes.
Aussi est-il probablement excessif de nous proposer d’examiner ce texte selon la procédure accélérée. Cette initiative pour partie désordonnée ajoute au législateur des contraintes peu en phase avec l’évolution des médias.
M. Leleux l’a indiqué il y a quelques instants : en la matière, le risque principal est d’ordre économique, au regard de la faiblesse de la surface financière ou des résultats de nombreuses entreprises du secteur. En 2016, l’économie des médias me semble plus en danger que leur indépendance.
Si je puis faire un clin d’œil à M. Pierre Laurent, en la matière, la dissociation entre « liberté formelle » et « liberté réelle » ne doit pas être sous-estimée. La liberté ne sera réelle que lorsque l’équilibre économique des médias français sera de nouveau assuré.
Cette interrogation économique se double d’une remise en cause technologique, marquée par l’émergence du numérique et l’arrivée de nouveaux concurrents issus de cette sphère. Ces derniers, qui sont le plus souvent des acteurs internationaux, deviennent des médias de plein exercice. Madame la rapporteur, ce phénomène est l’un de ceux qui, dans votre travail, vous ont servi de guide.
L’entreprise de presse audiovisuelle ou écrite n’a besoin ni d’instabilité ni de complexité. La faiblesse structurelle de cette proposition de loi découle du fait qu’elle s’éloigne de cette notion d’entreprise, voire qu’elle commet des contresens. Je songe au rôle qui aurait pu être confié aux comités d’entreprise, si l’on en était resté aux termes initiaux.
En outre, la volonté d’ériger le CSA en juge, en arbitre sur ce terrain déontologique, alors qu’il est lui-même acteur, par sa compétence de désignation, ne semble pas s’appuyer sur une réflexion aboutie.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Voilà !
M. Philippe Bonnecarrère. Dans le calendrier très étroit offert par la procédure accélérée, il était illusoire, pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, de travailler sur l’ensemble du cadre économique d’exercice des médias. De même, il serait inapproprié ou hâtif de vouloir modifier les équilibres de la loi de 1881.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Tout à fait !
M. Philippe Bonnecarrère. La commission s’est efforcée de faire simple et efficace, en anticipant de possibles conciliations, d’une part, entre les journalistes et les éditeurs de presse et, d’autre part, entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Il est permis d’observer que la présente proposition de loi ne traite pas de la définition du « journaliste professionnel », laquelle, curieusement, reste double : se combinent celle des articles L. 7511–3 à L. 7511–5 du code du travail et celle introduite, par la loi du 4 janvier 2010, à l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881.
J’approuve les amendements présentés par Mme la rapporteur et retenus par la commission.
Un important pas en avant est proposé vers les journalistes, avec les chartes de déontologie. Parallèlement, les conditions d’adoption de ces documents restent ouvertes. Ainsi, les entreprises de presse bénéficieront d’une certaine souplesse et la responsabilité du directeur de publication ne sera pas dissoute. Tel est l’objet de l’article 1er, qui généralise le droit de tout journaliste à refuser toute pression ou à ne pas divulguer ses sources, tout en étendant la charte déontologique à tous les médias, avec une date d’adoption réaliste.
J’approuve également la clarification de l’article 1er bis, grâce auquel la vocation des comités d’entreprise est bien stabilisée.
Nous débattrons des lanceurs d’alerte. Le choix a été fait de renvoyer ce sujet à un texte généraliste adéquat pour ne pas le tronçonner. Sur les différentes travées de cet hémicycle, nous exprimons tous à ce propos les mêmes préoccupations. Mais il faut éviter d’inscrire dans cette proposition de loi de sérieuses contradictions !
Le CSA recouvrerait son rôle de régulateur, et les comités de déontologie se verraient proposer une définition plus adaptée, notamment quant aux conditions de saisine énoncées à l’article 7.
M. le rapporteur pour avis a développé l’enjeu de la protection des sources. Pour l’essentiel, la commission des lois semble soucieuse de préserver le secret des sources autant qu’il est possible, sans modifier les équilibres trouvés au fil du temps par la Cour européenne des droits de l’homme.
Une rédaction plus brève de ces dispositions a pu être interprétée comme un retour en arrière. Certains s’en sont émus. Mais ce choix s’appuie avant tout sur un souci de pertinence juridique au regard d’une jurisprudence bien assise, du point de vue soit du droit à l’information et de l’indépendance des journalistes, soit de la protection de la vie privée ou de la présomption d’innocence.
L’article 1er ter pose bien le principe de la protection des sources des journalistes. Il précise qui a droit à cette protection du secret des sources et définit ce qu’est une atteinte à celui-ci, en fixant de manière limitative des exceptions au principe.
Mes chers collègues, permettez-moi de conclure en indiquant que notre commission a très fermement insisté sur l’importance de maintenir l’article 11 ter dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
Le pluralisme de la presse hebdomadaire, qui assure un maillage essentiel dans nos départements, serait largement mis en cause si l’accès aux annonces légales n’était pas rouvert à celle-ci, notamment pour les ventes dites « commerciales ». Au demeurant, cet enjeu ne se limite pas à la presse hebdomadaire. La presse quotidienne, qu’elle soit régionale ou nationale, s’y montre également attentive ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. David Assouline. J’ai présenté, comme auteur, la proposition de loi n° 416, je vais maintenant prendre part à la discussion au nom de mon groupe.
Il me semble important que nos échanges ne cèdent pas à la confusion. J’ai écouté attentivement Mme la rapporteur, laquelle, par un exposé assez précis, a justifié notre choix de légiférer sur ce sujet. Contrairement à M. Jean-Pierre Leleux, elle n’a pas considéré que la régulation se faisait « de façon naturelle ».
Le débat apparaît donc nécessaire, et j’entends la différence d’appréciation de ces propositions de loi entre, d’une part, les propos de Mme la rapporteur et, d’autre part, les déclarations tenues devant nous par certains patrons de presse et de médias et relayées presque exactement par M. Leleux.
La régulation naturelle n’existe pas et en matière de droit et d’indépendance de la presse et des médias, il n’a jamais été question de s’en remettre à cela.
Nous posons des droits, des règles et des principes, qui doivent précisément permettre une régulation qui ne soit pas naturelle et sauvage. Il ne s’agit pas, ici, de l’audiovisuel public, mais de groupes privés, au sein desquels les rapports de force sont clairs : ceux qui possèdent décident. S’agissant d’information, la définition de protections apparaît donc nécessaire.
Nous échangeons avec Mme la rapporteur à propos des précisions qu’il reste à apporter sur plusieurs sujets. Nous ne formulons sans doute pas les choses de la même manière, mais le débat porte sur le rôle du CSA, sur la désignation, la composition ou le champ d’action des comités indépendants d’éthique ou de déontologie, voire sur le regard que doit porter sur eux le CSA.
Il en va de même des chartes, à propos desquelles nous devons éviter toute confusion. Je soutiendrai ici que celles-ci ne pourront pas être des chartes maison déconnectées des principes généraux de la profession. Nous devons, à ce sujet, tenir compte des propos tenus par Pierre Laurent. Toutefois, la référence à des textes infralégislatifs qui n’offrent peut-être pas la stabilité juridique nécessaire ne me semble pas idoine pour fixer des principes généraux.
Tous ces débats sont légitimes. Comme nous légiférons sans doute un peu trop rapidement, je ne suis pas toujours certain de défendre la meilleure position. Pour cette raison, un de nos amendements vise, sinon à mettre en place une clause de revoyure, au moins à permettre au Parlement, ensuite, d’observer le fonctionnement des mesures adoptées et de juger de leur justesse ou de la nécessité de les compléter. Personne ne saurait affirmer aujourd’hui que ses choix sont les bons. Nous devons nous efforcer d’établir ces garde-fous.
Un autre débat est lancé par M. Leleux, lequel affirme qu’il ne s’agirait ici que d’embêter des entreprises déjà confrontées à des difficultés, plutôt que de leur venir en aide.
Franchement, je ne connais pas une entreprise de médias ou de presse qui, au vu de son capital ou de ses moyens propres, puisse se dire maltraitée par les pouvoirs publics, notamment en matière d’aide financière. Suivez mon regard ! Il conviendrait plutôt de remercier l’État de son aide, y compris en matière de distribution. L’implication de l’État au service de la défense de ce pluralisme doit être saluée.
Pour terminer, j’ajoute un élément que je compte introduire par amendement, relatif aux reventes spéculatives de fréquences. Mme Catherine Morin-Desailly avait introduit dans la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, après un vote unanime du Sénat, la taxation à 20 % des plus-values tirées de ces opérations, afin de produire un effet dissuasif. Il y a longtemps, j’avais proposé 5 %, sans rencontrer l’unanimité ; elle se fait aujourd’hui sur 20 %, je suis pour !
Le CSA a ensuite réagi conformément aux souhaits de Mme Morin-Desailly à la vente spéculative de la chaîne Numéro 23. Le Conseil d’État a cassé cette décision. Je défendrai un amendement tendant à donner au CSA les moyens d’exercer sa mission sans être entravé, en soumettant les attributions de fréquences à une période probatoire. Cela permettra de s’assurer, après deux ans et demi, que les engagements pris sont tenus. Je m’en expliquerai.
À mon sens, nous devons être capables de légiférer en répondant aux situations concrètes qui s’imposent à nous. Nous avions unanimement considéré que les reventes spéculatives de fréquences étaient néfastes à la démocratie ; la situation actuelle constitue pour nous un véritable camouflet.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner conjointement une proposition de loi émanant de l’Assemblée nationale visant à renforcer l’indépendance et le pluralisme des médias et une proposition de loi relative à l’indépendance des rédactions, à l’initiative de nos collègues du groupe socialiste et républicain.
Faudrait-il voir dans ce tir croisé de nos collègues de la majorité gouvernementale la réponse à un danger réel menaçant la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias en France ?
Il est vrai que l’émergence de nouveaux groupes de presse et les prises de participation dans les médias doivent nous conduire à une grande vigilance pour préserver la liberté de l’information et la liberté d’expression, lesquelles constituent les fondements de toute démocratie.
Comme beaucoup de mes collègues, je n’ai pas constaté de raréfaction de l’information, bien au contraire. Nous avons, en France, la chance de pouvoir accéder à une multitude d’informations grâce à la pluralité des supports : radio, télévision, presse écrite ou encore internet.
Il est vrai que l’accès à internet ne garantit pas d’avoir affaire à une information vérifiée par des journalistes ayant, d’une part, identifié la source et, d’autre part, recoupé les faits. Mais il s’agit également d’un formidable moyen de faire circuler l’information.
Il convient donc de garantir qu’un véritable travail de journaliste a été effectué en amont. Il doit être indépendant et sa ligne éditoriale ne doit pas être dictée par un intérêt quelconque, d’ordre personnel ou professionnel, comme le souci de ne pas déplaire à certains annonceurs.
Nous sommes réunis pour débattre de ce texte, mais je me demande si l’indépendance éditoriale de l’audiovisuel français est menacée au point de vouloir accorder au CSA plus de pouvoirs et lui conférer un rôle supplémentaire de veille sur les bonnes pratiques.
Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais moi, après la diffusion hier soir du magazine Cash investigation consacré aux « Panama papers », je ne n’ai pas le sentiment qu’il existe une véritable connivence entre le monde des affaires et le monde des médias !
M. David Assouline. Évidemment, cette émission était diffusée sur l’audiovisuel public, pas sur BFM TV ! Vous ne savez pas de quoi vous parlez !
Mme Patricia Morhet-Richaud. La régulation exercée par le CSA semble plutôt bien fonctionner et je m’étonne de la volonté de nos collègues de vouloir légiférer, ou tout au moins de vouloir le faire dans la précipitation.
Nos concitoyens entretiennent certes à l’égard des médias, comme envers les politiques, d’ailleurs, une grande méfiance. La question de l’indépendance et de l’honnêteté de l’information mérite donc d’être posée, mais certainement pas dans le cadre d’une procédure accélérée ! Elle nécessite un large débat public tenant compte de tous ses aspects, au-delà du seul respect de l’indépendance éditoriale, du pluralisme des opinions ou du contrôle déontologique.
Je me félicite d’ailleurs de l’important travail réalisé en commission par nos collègues et en particulier par notre rapporteur Catherine Morin-Desailly.
Comme un certain nombre de sénateurs, j’ai été saisie par des entreprises de presse locales publiant des annonces légales. Je suis, pour ma part, favorable au maintien de l’obligation de ces publicités dans la presse papier, car ces supports sont encore très lus et attendus dans nos territoires ruraux et de nombreux emplois sont concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – Mme Françoise Gatel et M. Jean-François Longeot applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
M. David Assouline. Tous les courants du parti sont présents, on sent que la primaire approche !
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de féliciter en premier lieu notre collègue Catherine Morin-Desailly pour sa rigueur et son travail, effectué au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et sur les travées de l’UDI-UC.)
Nous aurions facilement pu rejeter ce texte, lequel, je le rappelle, est une loi de circonstances, au caractère démagogique.
M. David Assouline. Ah bon ?
Mme Nicole Duranton. Le texte a été amendé afin, notamment, d’en supprimer les principales contraintes imposées aux sociétés de presse ou audiovisuelles. Je salue également le travail de mon collègue Hugues Portelli concernant la protection des sources des journalistes. Il a fait adopter plusieurs amendements visant à assurer le respect des enquêtes et de l’instruction, et, plus largement, de l’intérêt public.
La liberté d’information, l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et le pluralisme sont intimement liés à la démocratie et sont, évidemment, indispensables à la vitalité de nos débats.
Force est pourtant de constater que cette proposition de loi telle qu’elle avait été rédigée posait davantage de questions qu’elle ne résolvait les problèmes dénoncés.
Mme Isabelle Debré. Eh oui !
Mme Nicole Duranton. De plus, nous savons tous que les textes de circonstances et la précipitation débouchent rarement sur de bonnes lois.
M. Michel Savin. Bien sûr !
Mme Isabelle Debré. Tout à fait !
M. David Assouline. Alors, votez contre !
Mme Nicole Duranton. J’en veux pour preuve la méthode douteuse consistant à confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel une nouvelle mission : garantir « l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes ». Le procédé est douteux, puisqu’il est tout de même permis d’émettre des réserves sur l’indépendance du CSA en raison, notamment, des modalités de nomination de son président, par le président de la République, sans aucune exigence de compétences !
M. David Assouline. Comment cela ? Parlons-en !
Mme Nicole Duranton. De plus, le CSA éprouve déjà des difficultés à s’acquitter de ses missions traditionnelles, à savoir veiller au respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion.
La commission de la culture a restreint les pouvoirs exorbitants conférés par l’article 2 au CSA. Elle a supprimé le pouvoir du CSA d’adapter les conventions qu’il conclut avec les éditeurs de services de télévision ou de radio, pour assurer le respect des principes de pluralisme, d’honnêteté et d’indépendance de l’information et des programmes.
Le 23 mars dernier, Olivier Schrameck, président du CSA, nous a clairement indiqué que le Conseil n’avait jamais demandé de modifications législatives.
La liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, pour reprendre l’intitulé de cette proposition de loi, seraient-ils menacés en France ? Est-il urgent de légiférer, de surcroît en procédure accélérée, sans nous donner le temps de la concertation ni de l’étude d’impact ?
Il est vrai que notre pays a mis énormément de temps à prendre conscience des bouleversements que représentent le développement d’une presse gratuite, la révolution du numérique, l’apparition des réseaux sociaux, etc. Tout cela a changé les usages de nos concitoyens et, surtout, a remis en cause le modèle économique des médias traditionnels.
Je doute que cette proposition de loi soit à la hauteur des enjeux qui intéressent les médias aujourd’hui (M. David Assouline s’exclame.), même si certains dispositifs me paraissent utiles. Ce texte permettra-t-il de garantir l’indépendance et le pluralisme des médias ? Aujourd’hui, l’enjeu réside surtout dans la survie des entreprises de presse et d’audiovisuel face aux géants d’internet que sont Google ou Facebook.
Permettez-moi de rappeler également le contexte dans lequel nous avons dû examiner cette proposition de loi : quatre semaines après le vote à l’Assemblée, en procédure accélérée, alors que le nombre d’articles avait doublé. Ces conditions ne permettent pas un travail de fond sérieux au regard des enjeux que j’ai indiqués précédemment.
C’est pourquoi je félicite notre rapporteur qui, par ses amendements, a réussi à définir un socle de principes applicables aux groupes audiovisuels et aux entreprises de presse. Ses amendements préservent la liberté éditoriale, l’indépendance des journalistes vis-à-vis du CSA et le rôle de régulateur que celui-ci doit jouer. Comme à chaque fois, la majorité sénatoriale travaille dans un esprit constructif et l’examen de cette proposition de loi en est un exemple, je tenais à le rappeler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – MM. Claude Kern et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Audrey Azoulay, ministre. Je reviendrai sur certains des points qui viennent d’être abordés.
Tout d’abord, l’opposition entre viabilité économique et indépendance de la presse me semble fallacieuse. À mon sens, l’une nourrit l’autre. Mesdames, messieurs les sénateurs, en restaurant, par cette proposition de loi, la confiance du public dans les médias, vous participerez au renforcement de la viabilité économique des titres de presse. Les chiffres cités par plusieurs intervenants, notamment Mme la rapporteur, montrent que c’est nécessaire.
Néanmoins, et vous l’avez évoqué, l’enjeu du partage de la valeur et du modèle économique de la presse et de l’audiovisuel constitue un véritable débat – un débat complémentaire – auquel le Gouvernement participe pleinement, notamment à Bruxelles, dans ses discussions avec la Commission européenne. On assiste depuis une quinzaine d’années, avec le développement des plateformes numériques – plusieurs d’entre vous ont souligné le rôle de ces dernières dans la distribution de l’information –, à un phénomène de monétisation de l’information par les géants du numérique, au détriment de ceux qui la produisent.
Nous avons l’impression que l’information est partout et qu’elle est gratuite. En réalité, ceux qui la produisent en tirent moins de bénéfices, ce qui entraîne une fragilisation économique de la presse dans son ensemble, alors que l’on a l’illusion d’une profusion de l’information, point qui a également été relevé, notamment par Sylvie Robert.
En renforçant les capacités d’investigation et d’approfondissement des sujets de la presse, nous renforçons le travail d’information au détriment de sa prolifération illusoire et de la fragilisation économique du secteur.
Nous aurons l’occasion de revenir à la question du secret des sources. M. Portelli a évoqué l’égalité de tous les citoyens devant la loi, pour s’étonner que les journalistes jouissent de droits spécifiques, liés à l’exercice de leur métier. Il s’agit pourtant d’un mécanisme bien connu : en témoignent le droit au secret médical, le droit des avocats au secret dans leurs rapports avec leurs clients, qui protègent la démocratie. C’est pourquoi il existe un droit spécifique à la protection du secret des sources, au service de l’intérêt général. Cet argument ne me semble donc pas devoir prospérer.
Sur la conciliation du secret des sources et des exigences de la sécurité nationale, qui a également été évoquée, la proposition du Gouvernement – largement reprise par l’Assemblée nationale – visait justement à concilier les impératifs de la sécurité publique et la nécessité de protéger les sources des journalistes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez les insuffisances de la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, à laquelle vous souhaitez revenir. Vous avez ainsi évoqué le recel de la violation du secret de l’instruction, auquel, à mon sens, la loi n’apporte pas une réponse satisfaisante.
Il importe en effet de préciser que le secret des sources est protégé uniquement dans le cas où ce recel a pour but l’intérêt général. L’exemple particulièrement scabreux qui a été cité ne me semble pas répondre à cette exigence. Les journalistes ne sont ni hors sol ni hors-la-loi, mais ils ont droit à une protection particulière, lorsqu’ils défendent l’intérêt général.
Sur ce sujet, j’appelle votre attention sur la notion d’impératif prépondérant d’intérêt public, que vous avez citée et qui me semble assez floue. Elle est utilisée, c’est vrai, par la Cour européenne des droits de l’homme, mais le Conseil d’État, consulté sur le texte que nous avons élaboré en 2013 et qui est resté en suspens depuis, a validé, dans la nouvelle proposition qui vous est soumise, la nécessité que soit établie une liste précise des cas où l’impératif prépondérant d’intérêt public peut être invoqué, afin de mieux les encadrer. On aura ainsi la possibilité de savoir précisément ce que cela recouvre.
Cette liste a été dressée et le Gouvernement a choisi d’inclure dans ces infractions les délits prévus par les titres I, « Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation », et II, « Du terrorisme », du livre IV du code pénal, en stricte conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et les recommandations du Conseil d'État du mois de juin 2013.
Enfin, nous vous proposerons de rétablir le statut particulier des lanceurs d’alerte – question évoquée par Mme Jouve –, réservé aux personnes qui confient aux journalistes des faits tenus secrets méritant d’être portés à la connaissance du public. Cela s’inscrit dans un mouvement d’ensemble de protection des lanceurs d’alerte, puisque le projet de loi dit « Sapin II » prévoit également de les protéger quand cela concerne des matières financières. Cela me semble parfaitement utile à nos démocraties et nous savons qu’un certain nombre de pays ont pris des dispositions en ce sens. (M. David Assouline applaudit.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Madame la ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que la présente proposition de loi a été inscrite par la conférence des présidents dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain pour une durée de quatre heures, c'est-à-dire, compte tenu des rappels au règlement et de la brève suspension de séance intervenue tout à l’heure, jusqu’à dix-huit heures quarante-cinq.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias
Article 1er
Après l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un article 2 bis ainsi rédigé :
« Art. 2 bis. – Tout journaliste, au sens du 1° du I de l’article 2, a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission, une partie d’émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à la charte déontologique de son entreprise ou de sa société éditrice.
« Toute convention ou tout contrat de travail signé entre un journaliste professionnel et une entreprise ou une société éditrice de presse ou de communication audiovisuelle entraîne l’adhésion à la charte déontologique de l’entreprise ou de la société éditrice.
« Les entreprises ou sociétés éditrices de presse ou audiovisuelles qui en sont dénuées se dotent d’une charte déontologique avant le 1er juillet 2017. Pour les entreprises ou sociétés éditrices audiovisuelles, le comité institué à l’article 30-8 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est consulté dans le cadre de l’élaboration de la charte. »
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. En introduction à l’article 1er, je souhaite apporter quelques précisions utiles à notre réflexion. Je rappellerai tout d’abord les deux principes qui ont présidé à nos travaux et conduit la commission à apporter plusieurs modifications d’importance à cet article, lorsque, la semaine dernière, elle a établi le texte sur lequel nous nous prononçons aujourd’hui.
Le premier principe est l’exigence de clarté et d’intelligibilité de la loi. Dans ce cadre, si la commission partage la volonté de l’auteur de la proposition de loi de voir les journalistes bénéficier des garanties nécessaires au libre exercice de leur profession, elle s’est interrogée sur la pertinence d’une partie du dispositif proposé.
Si elle a bien retenu le principe du droit d’opposition des journalistes – contrairement à ce que vous avez peut-être compris, madame Jouve –, elle s’est prononcée contre l’introduction, dans la loi fondatrice du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de la notion d’« intime conviction professionnelle », dont la subjectivité, alors même qu’elle fonde un droit nouveau, pose réellement question. Sa constitutionnalité même est douteuse, car l’absence de définition de cette notion rend manifeste l’incompétence négative du législateur à son endroit et, partant, l’établit en contrariété avec l’article 34 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel, en effet, se montre traditionnellement attentif à ce que le législateur épuise sa compétence pour fixer les conditions d’exercice d’une liberté, en particulier lorsqu’elle entre dans le champ de la liberté d’expression.
Or, à la différence de la clause de conscience et de la clause de cession, dont les conditions d’application sont parfaitement définies par le code du travail, l’intime conviction professionnelle du journaliste s’apparente plutôt à un droit moral, par nature difficile à encadrer.
Le second principe est celui de la recherche de l’efficacité des dispositions votées et, en l’espèce, de leur cohérence avec la réalité du fonctionnement des entreprises de presse et audiovisuelles.
La généralisation des chartes déontologiques à l’ensemble des entreprises de presse représente ainsi une avancée significative, réclamée de longue date par le Syndicat national des journalistes.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Si de grands textes nationaux ont progressivement émergé, ces chartes déontologiques sont loin d’être systématiques à l’échelle de l’entreprise.
Néanmoins, l’échec de la généralisation de ces chartes comme de l’élaboration d’un texte unique envisagée par les états généraux de la presse écrite de 2009 plaide, par réalisme, pour des chartes d’entreprise ou de groupe. Je réponds donc par anticipation à mes collègues qui souhaiteraient une charte unique.
Selon le même principe d’efficacité, j’ai proposé à notre commission de laisser les modalités d’élaboration de la charte s’adapter à la réalité de l’entreprise.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie mes collègues, M. Assouline et Mme Robert entre autres, d’avoir inscrit ce texte dans le temps réservé au groupe socialiste et républicain.
Aux termes de l’article 1er, « tout journaliste […] a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources ». En outre, il ne peut se voir contraint de signer une contribution avec laquelle il serait en désaccord.
Cet article pose des principes fondamentaux qui sont ensuite illustrés dans le texte. L’article 1er ter précise notamment que toute personne exerçant la profession de journaliste ou des fonctions de direction de la publication ou de la rédaction au sein des entreprises de presse est protégée au titre du secret des sources. Ce point est très important.
De même, il est essentiel que soit écrit noir sur blanc qu’il ne peut être porté atteinte au secret des sources seulement si cette atteinte est justifiée, soit par la prévention et la répression d’un crime, soit par la prévention d’un délit par ailleurs défini.
Mes chers collègues, il s’agit là des fondements de la démocratie. Je regrette que les débats auxquels j’assiste depuis plusieurs années dans cet hémicycle n’aient pas été conclusifs et n’aient pas affirmé ces fondements.
Nous ne parviendrons malheureusement pas à terminer l’examen de ce texte aujourd'hui. Or il est grand temps, il est plus que temps d’adopter enfin un texte sur le sujet.
C’est pourquoi je me réjouis d’avoir entendu dire – peut-être le confirmerez-vous, madame la ministre – que le Gouvernement prendrait des dispositions pour que les textes de cette nature qui sont venus devant le Sénat ou devant l’Assemblée nationale puissent aller à leur terme. Il s’agit d’un engagement du Président de la République et il serait vraiment incompréhensible que la protection du secret des sources des journalistes ne fût pas inscrite le plus vite possible dans notre législation.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 34 rectifié, présenté par Mme Jouve, MM. Amiel, Barbier, Collombat et Guérini, Mme Laborde et M. Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Après les mots :
contraire à
insérer les mots :
son intime conviction professionnelle formée dans le respect de
La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Madame le rapporteur, je crois avoir compris le sens de l’article 1er et je pense que l’amendement que je m’apprête à défendre, relatif à l’intime conviction, est important.
Cet amendement vise en effet à rétablir la notion d’intime conviction professionnelle que le journaliste peut opposer à sa direction pour refuser toute pression ou refuser de signer un article, une émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté.
J’ai entendu en commission les craintes de contentieux que pourrait faire peser cette mesure. Or une telle disposition existe pour les journalistes de l’audiovisuel public depuis près de trente ans et n’a donné lieu à aucun contentieux. En outre, en 2009, la majorité précédente a conféré une valeur législative à cette notion pour tous les journalistes de l’audiovisuel public. Pourquoi une mesure qui serait juste pour les journalistes de l’audiovisuel public ne le serait-elle pas pour tous les autres ?
Par ailleurs, le débat sur la légitimité de cette notion qui a eu lieu à l’Assemblée nationale a conduit à asseoir cette intime conviction professionnelle sur des fondements déontologiques issus de la charte de l’entreprise, donc sur des principes clairs et précis.
La notion d’intime conviction professionnelle fonde à mon sens la responsabilité du journaliste dans l’exercice de sa profession et le respect dont celle-ci doit faire l’objet.
Mme la présidente. L'amendement n° 37, présenté par MM. Assouline et Guillaume, Mme Blondin, M. Carrère, Mmes D. Gillot et Lepage, MM. Magner et Manable, Mme S. Robert et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Après les mots :
contraire à
insérer les mots :
sa conviction formée dans le respect de
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Afin d’éviter toute confusion, je répète que, conformément aux propos de Mme Morin-Desailly, le droit d’opposition est maintenu dans le texte de la commission. Cette seule disposition répond d’ailleurs à ceux qui prétendent que cette proposition de loi est inutile.
L’article 1er dispose ainsi que « tout journaliste […] a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission, une partie d’émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté ».
Les patrons de presse – que je respecte – y étaient opposés, craignant un pataquès ! Toutefois, Mme Morin-Desailly a souhaité le maintien de cette disposition et l’a clairement affirmé.
Le point qui demeure en discussion tient à l’ajout par l’Assemblée nationale d’une disposition précisant que le journaliste « ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle ». Celui-ci suscite un débat sémantique.
Je rappelle que j’ai moi-même introduit la notion d’intime conviction professionnelle dans la loi votée sous Sarkozy sur l’indépendance de l’audiovisuel public.
M. François Bonhomme. C’est remarquable ! (Sourires.)
M. David Assouline. Vous ne pouvez donc vous y opposer pour des raisons d’inconstitutionnalité, madame Morin-Desailly ! Nous avons une réelle divergence sur ce point. Si la notion d’intime conviction professionnelle était inconstitutionnelle, elle aurait été censurée. Or elle figure dans une loi de la République, en l’occurrence votée par une majorité de droite, grâce à un amendement que j’avais proposé et qui a été adopté.
Je suis toutefois d’accord avec ceux – notamment Mme Morin-Desailly – qui veulent supprimer les mots « intime conviction professionnelle » dans cette proposition de loi, qui vise l’ensemble de la presse et non le seul audiovisuel public. En effet, je ne sais pas très bien ce que signifie « intime » dans une loi générale et la notion de « conviction professionnelle » renvoie à des rapports de négociation professionnelle qui ne sont pas complètement liés à la déontologie du journaliste.
J’ai donc proposé cette formulation intermédiaire : « sa conviction formée dans le respect de la charte déontologique ». Cette conviction ne peut être religieuse, ni même personnelle : il s’agit seulement d’une conviction professionnelle formée dans le respect d’une charte, c'est-à-dire de principes déontologiques.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. David Assouline. Cette proposition prend donc en compte la position de Mme Morin-Desailly, sans affaiblir le texte voté par l’Assemblée nationale.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur ces deux amendements.
Toutefois, à titre personnel, j’y suis profondément défavorable pour les raisons que j’ai clairement exposées au début de l’examen de cet article. En dépit des efforts de M. Assouline pour conserver le terme de conviction, celui-ci, à l’instar de celui d’intime d’ailleurs, est juridiquement indéfini et porteur de risques de contentieux.
L’article 1er élargit le droit d’opposition à l’ensemble des journalistes, notamment ceux de la presse écrite. En le faisant figurer dans la loi de 1881, il l’inscrit dans le marbre. Le texte offre donc déjà un certain nombre de garanties et c’est pourquoi, à titre personnel, pour des raisons de pragmatisme, je vous invite à ne pas adopter ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. le vice-président de la commission de la culture.
M. Jean-Claude Carle, vice-président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Pour que les choses soient claires pour l’ensemble de nos collègues, je précise que, lors de la réunion de la commission, ce matin, Mme le rapporteur s’est prononcée contre ces deux amendements. Toutefois, pour des raisons de majorité, la commission en a décidé autrement.
Mme le rapporteur est donc défavorable à ces deux amendements à titre personnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Audrey Azoulay, ministre. D’abord issue d’un texte conventionnel, l’intime conviction a été inscrite dans la loi en 2009 pour les journalistes de l’audiovisuel public. L’Assemblée nationale propose de l’étendre à l’ensemble de la presse en l’adossant à une charte déontologique qui n’était pas présente dans la version initiale de la proposition de loi. Je peux donc comprendre la tentation du rapporteur de ne plus faire du tout référence à la notion de conviction en s’appuyant uniquement sur la charte.
Toutefois, il me semble que l’adoption de l’amendement de M. Assouline aboutirait à un bon compromis entre le texte de 2009, la position de l’Assemblée nationale et l’instauration de chartes déontologiques.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis favorable sur l’amendement n° 37 et demande le retrait de l’amendement n° 34 rectifié au profit de celui-ci.
Mme la présidente. Madame Jouve, l'amendement n° 34 rectifié est-il maintenu ?
Mme Mireille Jouve. Non, je le retire volontiers au profit de celui de M. Assouline, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 34 rectifié est retiré.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote sur l'amendement n° 37.
Mme Marie-Christine Blandin. On voit bien où mène le mélange des genres…
L’expression de la rapporteur, qui, en son intime conviction, est défavorable à cet amendement alors que la commission a décidé d’y être favorable a introduit quelque confusion ! Toutefois, les avis respectifs de la rapporteur et de la commission ont été clairement explicités.
Je souhaite préciser que, quel que soit le vote qui va intervenir sur l’intime conviction, celle-ci concerne également les photos de journalistes et le droit de retrait ou de non-signature de ces derniers quand leurs photographies sont recadrées, trafiquées à l’aide de Photoshop ou que des participants sont ajoutés ou retirés.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Leleux. J’invite mes collègues à maintenir la rédaction adoptée par la commission de la culture, qui a simplement supprimé la notion d’« intime conviction professionnelle ». Il s’agit là d’une avancée considérable pour ce qui concerne le droit d’opposition des journalistes.
Je prends acte du retrait de l’amendement n° 34 rectifié. L’amendement de M. Assouline est un compromis, mais laisse subsister le flou,…
Mme Isabelle Debré. Quand il y a un flou, il y a un loup !
M. Jean-Pierre Leleux. … le juge devant apprécier la situation.
Cette clause, qui, comme l’a relevé Mme la rapporteur, s’apparente plus à une clause morale, n’est absolument pas définie par le droit et ouvrira la voie à de nombreux contentieux entre les journalistes et la direction de la publication.
Pour ma part, j’estime que la rédaction retenue par la commission est bonne. Tel qu’il est rédigé, cet article constitue, je le répète, une avancée pour les journalistes. Aussi, il convient de rejeter l’amendement n° 37, d’autant que le trouble dans la relation hiérarchique entre le directeur de la publication et le journaliste n’est pas clarifié. Il reviendra en définitive au directeur de la publication, qui a tout de même la responsabilité pénale, de choisir de publier ou de diffuser ou non. Cette contradiction entraîne un flou, qui est sujet à contentieux.
Même si je comprends la préoccupation de nos collègues d’introduire la notion d’« intime conviction » professionnelle, il faut ici la refuser.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. Comme l’a indiqué Mireille Jouve, nous soutiendrons l’amendement de David Assouline.
Je suis tout à fait d’accord : cette adoption permettra aussi aux photographes d’invoquer la notion d’« intime conviction ».
Je rejoins les propos de Marie-Christine Blandin : les avis de la commission et de Mme la rapporteur sont divergents sur l’article 1er, les sénateurs de la majorité étant alors insuffisamment représentés, mais, dès l’examen de l’article 2, la rapporteur, également présidente de la commission, sera d’accord avec la commission ! Je préfère apporter cette précision aujourd'hui, car nous ne poursuivrons la discussion de ce texte que le 25 mai prochain.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate, pour explication de vote.
M. Patrick Abate. Je ne comprends pas bien ce débat, qui semble fondamental, alors que nous sommes tous d’accord pour que les journalistes soient mieux protégés et que leur indépendance soit assurée. Même si l’on peut s’interroger sur la qualité normative des notions d’« intime conviction » ou de « conviction », il existe en tout état de cause une jurisprudence. De même, on peut établir un parallélisme avec les journalistes de l’audiovisuel.
Nous estimons qu’il importe de renforcer l’indépendance et la protection du journaliste d’autant que la charte déontologique dont il est question à l’article 1er est une charte « maison », si je puis dire. On en reparlera ultérieurement, mais celle-ci pourrait être défavorable. Si l’on réussit à généraliser les chartes déontologiques, le journaliste pourra, dans son intime conviction, refuser de signer ou de divulguer ses sources.
Je le répète, je ne comprends pas ce débat. Il serait très simple d’accepter l’amendement de M. Assouline.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Concrètement, l’amendement visant à rétablir la version adoptée par l'Assemblée nationale où figurait la notion d’« intime conviction professionnelle », une notion qui est déjà mentionnée dans une loi, et que j’avais préconisée, a été retiré et ne fait donc plus partie du débat.
La commission a, pour sa part, enlevé cette notion, tout en maintenant le droit d’opposition. Pour ce qui me concerne, je maintiens mon amendement. Certains d’entre vous défendent la position de Mme Morin-Desailly, tout en s’attaquant au droit du journaliste de ne pas signer un article. Monsieur Leleux, les propos que vous avez tenus vont à l’encontre de ceux de Mme Morin-Desailly ; je veux être clair sur ce point.
M. Jean-Pierre Leleux. Pas du tout !
M. David Assouline. Mais si, vous avez parlé des contentieux que cela allait créer !
Il est écrit que tout journaliste peut refuser de signer un article s’il a été modifié.
Les patrons de presse étaient contre le droit d’opposition des journalistes, au prétexte que cette mesure serait de nature à entraîner des contentieux. Vous redites la même chose ! Or cette rédaction a été maintenue par Mme Morin-Desailly. Le seul changement, c’est la disparition de la notion d’« intime conviction professionnelle ».
Je l’ai souligné, l’adjectif « intime » me semblait bizarre. Sur ce point, je rejoins Mme Morin-Desailly : je ne sais pas comment cette notion est codifiée. Il n’y a pas de jurisprudence sur ce point, en tout cas pas à ma connaissance.
Tant la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale que celle je propose lient cette conviction – je maintiens la notion de « conviction » – à la charte déontologique. Je sais, monsieur Abate, que vous n’aimez pas les chartes, mais aucune autre formulation n’a été proposée ici.
En d’autres termes, soit vous acceptez la version que je propose, soit vous acceptez celle de la commission, qui fait disparaître la conviction du journaliste.
À ce stade, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter l’amendement n° 37 et de réfléchir à la question d’ici à la réunion de la commission mixte paritaire. Très franchement, mon amendement répond à tous les arguments échangés ici par les uns et les autres, quel que soit leur bord politique.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, pour explication de vote.
M. Claude Kern. Monsieur Assouline, vous n’avez cessé de désigner nommément Mme Morin-Desailly. Or la rédaction retenue a été adoptée par la commission de la culture à une forte majorité. Mme Morin-Desailly s’exprime donc en tant que rapporteur du texte. Cessez de la désigner directement !
Mme Isabelle Debré. C’est malheureux ! (Sourires.)
Mme la présidente. Monsieur Assouline, je me tourne vers vous en tant qu’auteur de la proposition de loi n° 416. Compte tenu du temps qu’il nous reste, il ne me semble pas opportun, pour la suite du débat, d’entamer l’examen de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune. Je vous propose donc que nous en restions là pour aujourd’hui.
M. David Assouline. Je suis d’accord, madame la présidente !
Mme la présidente. La suite de la discussion est donc renvoyée à une prochaine séance.
Mes chers collègues, je vous informe que le Gouvernement a sollicité l’inscription de la suite de ce texte le mercredi 25 mai après-midi et que la conférence des présidents aura lieu à dix-neuf heures.
7
Communication relative à la procédure d’examen en commission d’un projet de loi
Mme la présidente. Lors de sa réunion du 9 mars dernier, la conférence des présidents a décidé que le projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015 portant réduction du nombre minimal d’actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées serait examiné en deuxième lecture selon la procédure d’examen en commission.
Ont été publiés ce jour, sur le site du Sénat, le rapport et le texte de la commission des lois.
Ces deux documents ont été adressés au Gouvernement et aux présidents des groupes.
8
Communications du conseil constitutionnel
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 6 avril 2016, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le quatrième alinéa de l’article L. 3132 26 du code du travail et des mots « ou, à Paris, le préfet » du second alinéa du III de l’article 257 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (Compétence du préfet de Paris pour les dérogations au repos dominical) (2016-547 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 6 avril 2016, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le paragraphe Il de l’article L. 611-2 du code de commerce (Pouvoirs du président du tribunal de commerce en l’absence de dépôt des comptes annuels d’une société) (2016-548 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
9
Conférence des présidents
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vais vous donner lecture des conclusions de la conférence des présidents, qui s’est réunie aujourd’hui.
La conférence des présidents a pris acte, en application de l’article 6 bis du règlement, d’une part, de la demande du groupe Les Républicains de création d’une commission d’enquête sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l’Union européenne, ainsi que sur l’impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage, avec une prise d’effet au lundi 25 avril, d’autre part, de la demande du groupe communiste républicain et citoyen de création d’une mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord.
Les vingt et un membres de la commission d’enquête et les vingt-sept membres de la mission d’information seront désignés le mercredi 27 avril, à quatorze heures trente.
Voici donc l’ordre du jour des prochaines séances du Sénat tel qu’il a été établi par la conférence des présidents :
SEMAINE SÉNATORIALE |
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JEUDI 7 AVRIL 2016 |
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De 14 h 30 à 18 h 30 (ordre du jour réservé au groupe RDSE) |
- Proposition de loi modifiant la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République pour permettre de rallonger d’un an le délai d’entrée en vigueur des nouvelles intercommunalités, présentée par M. Jacques MÉZARD et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen (texte de la commission, n° 517, 2015-2016) Ce texte a été envoyé à la commission des lois. • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure - Débat sur l’offre de soins dans les territoires ruraux • Temps attribué au groupe RDSE : 10 minutes • Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure |
À 18 h 30 |
- Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires (texte de la commission, n° 507 rectifié, 2015-2016) (demande du Gouvernement) • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure |
Suspension des travaux en séance plénière : du lundi 11 au dimanche 24 avril 2016 |
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SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT |
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MARDI 26 AVRIL 2016 |
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À 14 h 30 et le soir |
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique (texte de la commission, n° 535, 2015-2016) Ce texte a été envoyé à la commission des lois avec des saisines pour avis de la commission des affaires économiques, de la commission de la culture, de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable et de la commission des finances. • Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 25 avril, à 11 heures • Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 26 avril matin et mercredi 27 avril matin • Temps attribué aux rapporteurs des commissions saisies pour avis dans la discussion générale : 5 minutes • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure 15 • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 25 avril, à 17 heures |
MERCREDI 27 AVRIL 2016 |
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À 14 h 30 |
- Désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l’Union européenne, ainsi que sur l’impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage • Délai limite de remise, au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle, des candidatures à cette commission d’enquête : mardi 26 avril, à 16 heures - Désignation des vingt-sept membres de la mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord • Délai limite de remise, au secrétariat de la direction de la législation et du contrôle, des candidatures à cette mission d’information : mardi 26 avril, à 16 heures |
MERCREDI 27 AVRIL 2016 (SUITE) |
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À 14 h 30 (suite) |
- Débat sur le projet de programme de stabilité (demande de la commission des finances) • Temps attribué à la commission des finances : 15 minutes • Temps attribué à la commission des affaires sociales : 5 minutes • Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 26 avril, à 17 heures |
À 16 h 30 et le soir |
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique (texte de la commission, n° 535, 2015-2016) |
JEUDI 28 AVRIL 2016 |
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À 10 h 30 |
- Explications de vote et vote, en deuxième lecture, sur le projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant l’ordonnance n° 2015-1127 du 10 septembre 2015 portant réduction du nombre minimal d’actionnaires dans les sociétés anonymes non cotées (texte de la commission, n° 530, 2015-2016) Ce texte a été envoyé à la commission des lois. Il sera examiné conformément à la procédure d’examen en commission selon laquelle le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission. • Lors de la séance, seuls peuvent intervenir le Gouvernement, le rapporteur de la commission pendant 10 minutes et un représentant par groupe pendant 7 minutes, ainsi qu’un sénateur ne figurant sur la liste d’aucun groupe pendant 3 minutes • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 27 avril, à 17 heures - Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique (texte de la commission, n° 535, 2015-2016) |
À 15 heures |
- Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur France 3, Public Sénat et sur le site Internet du Sénat) • Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : jeudi 28 avril, à 11 heures |
À 16 h 15 et le soir |
- Suite du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique (texte de la commission, n° 535, 2015-2016) |
SEMAINE DE CONTRÔLE |
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MARDI 3 MAI 2016 |
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À 15 h 15 |
- Explications de vote des groupes sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique (texte de la commission, n° 535, 2015-2016) • Temps attribué aux orateurs des groupes pour les explications de vote, à raison d’un orateur par groupe : 7 minutes pour chaque groupe et 3 minutes pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe • Délai limite pour les inscriptions de parole : lundi 2 mai, à 17 heures |
De 16 heures à 16 h 30 |
- Scrutin public solennel, en salle des Conférences, sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique (texte de la commission, n° 535, 2015-2016) |
À 16 h 30 |
- Proclamation du résultat du scrutin public solennel sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique (texte de la commission, n° 535, 2015-2016) |
À 16 h 45 |
- Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat) • Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mardi 3 mai, à 12 h 30 |
À 17 h 45 |
- Débat sur la situation financière des communes et des intercommunalités (demande du groupe Les Républicains) • Temps attribué au groupe Les Républicains : 10 minutes • Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 2 mai, à 17 heures - Débat sur le cadre législatif et réglementaire applicable aux essais cliniques (demande de la commission des affaires sociales) • Temps attribué à la commission des affaires sociales : 10 minutes • Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : lundi 2 mai, à 17 heures |
MERCREDI 4 MAI 2016 |
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À 14 h 30 |
- Débat sur les conclusions du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur les femmes et les mineur-e-s victimes de la traite des êtres humains (demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes) • Temps attribué à la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes : 10 minutes • Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 3 mai, à 17 heures - Débat sur le rôle et l’action des collectivités territoriales dans la politique du tourisme (demande du groupe RDSE) • Temps attribué au groupe RDSE : 10 minutes • Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 3 mai, à 17 heures - Débat sur « la Stratégie Nationale de l’Enseignement Supérieur » (demande du groupe socialiste et républicain) • Temps attribué au groupe socialiste et républicain : 10 minutes • Temps attribué aux orateurs des groupes : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mardi 3 mai, à 17 heures |
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT |
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MARDI 10 MAI 2016 |
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À 9 h 30 |
- 26 questions orales L’ordre d’appel des questions sera fixé ultérieurement. • n° 1278 de Mme Pascale GRUNY à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé (Traitements innovants des déchets des établissements de santé) • n° 1307 de M. Jacques GENEST à Mme la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (Allocation chômage d’un fonctionnaire révoqué) • n° 1320 de M. Daniel CHASSEING à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé (Numerus clausus) • n° 1321 de M. Jean-Baptiste LEMOYNE à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique (Fracture numérique et couverture des zones grises) • n° 1323 de Mme Élisabeth LAMURE à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports (Assouplissement des démarches administratives relatives au service civique) • n° 1325 de M. Patrick CHAIZE à Mme la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat (Enquête nationale sur l’éclairage public en 2014) • n° 1327 de M. Yannick VAUGRENARD à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé (Faisabilité d’un dispositif de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante) • n° 1328 de Mme Élisabeth DOINEAU à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire (Création d’un statut de personne morale non professionnelle) • n° 1332 de Mme Agnès CANAYER à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement (Politique forestière en Seine-Maritime) • n° 1333 de M. Michel CANEVET transmise à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire (Simplification de la réglementation pesant sur le secteur touristique) • n° 1335 de M. Alain MARC à Mme la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat (Atterrissements dans les cours d’eau) • n° 1338 de Mme Dominique ESTROSI SASSONE à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales (Assurance des équipements et des infrastructures des collectivités locales) |
MARDI 10 MAI 2016 (SUITE) |
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À 9 h 30 (suite) |
• n° 1341 de Mme Laurence COHEN à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche (Difficultés du pôle aérien d’Air France à Paris Charles-De-Gaulle) • n° 1343 de M. Bernard CAZEAU transmise à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales (Modalités de recensement des logements sociaux dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement) • n° 1350 de M. Patrick ABATE à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé (Avenir du régime local d’assurance maladie en Alsace-Moselle) • n° 1351 de M. Alain NÉRI à M. le ministre de l’intérieur (Commissariats de police de Cournon-d’Auvergne et Gerzat) • n° 1352 de M. Jean Louis MASSON à M. le ministre de l’intérieur (Cumul de mandats) • n° 1357 de Mme Patricia SCHILLINGER à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales (Recettes de la communauté d’agglomération des Trois frontières et accord franco-suisse sur l’aéroport de Bâle-Mulhouse) • n° 1358 de M. Roger MADEC à Mme la ministre du logement et de l’habitat durable (Droit au logement opposable et disparité dans la mobilisation du contingent préfectoral entre les départements) • n° 1362 de M. Philippe KALTENBACH à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales (Intégration des départements de la petite couronne au sein de la métropole du Grand Paris) • n° 1363 de Mme Catherine PROCACCIA à Mme la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat (Avenir du carburant diesel et des véhicules) • n° 1367 de M. Dominique WATRIN à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (Contrôle de l’utilisation des fonds publics dans les écoles privées) • n° 1368 de M. Yves DAUDIGNY transmise à M. le ministre de l’intérieur (Restrictions de circulation des convois exceptionnels dans l’Aisne) • n° 1371 de M. Roland COURTEAU à Mme la ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat (Bassin versant de la Berre et réserve africaine de Sigean) |
MARDI 10 MAI 2016 (SUITE) |
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À 9 h 30 (suite) |
• n° 1390 de M. Pierre LAURENT à M. le secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche (Ligne Charles-de-Gaulle-Express) • n° 1422 de M. Martial BOURQUIN à Mme la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes (Difficultés financières des associations d’aide à la famille) |
À 14 h 30 et le soir |
- Sous réserve de sa transmission, proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché (AN, n° 3601) Ce texte sera envoyé à la commission des finances. • Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 2 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 4 mai matin • Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 9 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 10 mai matin • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 9 mai, à 17 heures - Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (n° 484, 2015-2016) Ce texte a été envoyé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, avec une saisine pour avis de la commission des lois pour la deuxième lecture. • Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : jeudi 28 avril, à 12 heures • Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 3 mai, à 18 heures, et mercredi 4 mai matin • Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : lundi 9 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 10 mai début d’après-midi et mercredi 11 mai matin • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 9 mai, à 17 heures |
MERCREDI 11 MAI 2016 |
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À 14 h 30 et le soir |
- Suite de l’ordre du jour de la veille |
JEUDI 12 MAI 2016 |
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À 10 h 30 |
- 5 conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié : => Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’avenant n° 6 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté de Monaco à la convention du 28 février 1952 entre la France et la Principauté de Monaco sur la sécurité sociale (n° 348, 2015-2016) => Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Irak sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements (n° 482, 2015-2016) => Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements (n° 669, 2014-2015) => Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil en vue de l’établissement d’un régime spécial transfrontalier concernant des produits de subsistance entre les localités de Saint-Georges de l’Oyapock (France) et Oiapoque (Brésil) (n° 298, 2015-2016) => Projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil concernant les transports routiers internationaux de voyageurs et de marchandises (n° 153, 2015-2016) • Délai limite pour qu’un président de groupe demande le retour à la procédure normale : mardi 10 mai, à 17 heures - Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord portant création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (n° 483, 2015-2016) • Temps attribué aux orateurs des groupes : 30 minutes • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 11 mai, à 17 heures |
JEUDI 12 MAI 2016 (SUITE) |
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À 10 h 30 (suite) |
- Suite de la deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (n° 484, 2015-2016) |
À 15 heures |
- Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur France 3, Public Sénat et sur le site Internet du Sénat) • Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : jeudi 12 mai, à 11 heures |
À 16 h 15 et le soir |
- Suite de l’ordre du jour du matin |
SEMAINE SÉNATORIALE |
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MARDI 17 MAI 2016 |
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À 14 h 30 |
- Proposition de loi relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils, présentée par MM. Xavier PINTAT et Jacques GAUTIER (n° 504, 2015-2016) (demande du groupe Les Républicains) Ce texte a été envoyé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. • Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 9 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 11 mai matin • Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 13 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 17 mai début d’après-midi • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 13 mai, à 17 heures |
À 16 h 45 |
- Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat) • Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : mardi 17 mai, à 12 h 30 |
À 17 h 45 et le soir |
- Suite éventuelle de la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité de l’usage des drones civils (n° 504, 2015-2016) - Proposition de loi précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue, présentée par M. Gérard LONGUET (n° 522, 2015-2016) (demande du groupe Les Républicains) Ce texte a été envoyé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. • Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 9 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 11 mai matin • Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 13 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 17 mai début d’après-midi • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : vendredi 13 mai, à 17 heures |
MERCREDI 18 MAI 2016 |
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De 14 h 30 à 18 h 30 (ordre du jour réservé au groupe communiste républicain et citoyen) |
- Proposition de loi tendant à assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale, présentée par M. Éric BOCQUET et plusieurs de ses collègues (n° 402, 2015-2016) Ce texte a été envoyé à la commission des finances. • Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 9 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 11 mai matin • Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 13 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 18 mai matin • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 17 mai, à 17 heures |
MERCREDI 18 MAI 2016 (SUITE) |
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De 14 h 30 à 18 h 30 (ordre du jour réservé au groupe communiste républicain et citoyen) (suite) |
- Proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d’identité abusifs, présentée par Mme Éliane ASSASSI et plusieurs de ses collègues (n° 257, 2015-2016) Ce texte a été envoyé à la commission des lois. • Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 9 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 11 mai matin • Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 13 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 18 mai matin • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 17 mai, à 17 heures |
De 18 h 30 à 20 heures et de 21 h 30 à minuit (ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain) |
- Sous réserve du respect du délai d’information préalable du Gouvernement, proposition de résolution présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Didier GUILLAUME, Richard YUNG et les membres du groupe socialiste et républicain, visant à protéger le système du crédit immobilier français dans le cadre des négociations de Bâle (n° 523, 2015-2016) • Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 17 mai, à 17 heures • Les interventions des orateurs vaudront explications de vote |
MERCREDI 18 MAI 2016 (SUITE) |
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De 18 h 30 à 20 heures et de 21 h 30 à minuit (ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain) (suite) |
- Proposition de loi visant à associer les parlementaires à la vie institutionnelle locale, présentée par M. Yannick BOTREL et les membres du groupe socialiste et républicain (n° 273 rectifié, 2015-2016) Ce texte a été envoyé à la commission des lois. • Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 9 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 11 mai matin • Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 13 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 18 mai matin • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 17 mai, à 17 heures |
JEUDI 19 MAI 2016 |
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À 10 h 30 |
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, habilitant le Gouvernement à adopter des mesures relevant du domaine de la loi pour simplifier et rationaliser l’organisation de la collecte de la participation des employeurs à l’effort de construction et la distribution des emplois de cette participation (n° 481, 2015-2016) (demande du Gouvernement en application de l’article 48, alinéa 3, de la Constitution) Ce texte a été envoyé à la commission des affaires économiques. • Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 9 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 11 mai matin • Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : vendredi 13 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 18 mai matin • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 18 mai, à 17 heures |
De 14 h 30 à 18 h 30 (ordre du jour réservé au groupe écologiste) |
- Proposition de résolution pour l’instauration d’un revenu de base présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Jean DESESSARD et les membres du groupe écologiste (n° 353, 2015-2016) • Temps attribué à l’auteur de la proposition de résolution : 10 minutes • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 18 mai, à 17 heures • Les interventions des orateurs vaudront explications de vote - Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à favoriser l’ancrage territorial de l’alimentation (texte de la commission, n° 427, 2015-2016) - Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à intégrer le principe de substitution au régime juridique des produits chimiques (n° 302, 2015-2016) Ce texte a été envoyé à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. • Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 9 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mercredi 11 mai matin • Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : mardi 17 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mercredi 18 mai matin • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 18 mai, à 17 heures |
SEMAINE RÉSERVÉE PAR PRIORITÉ AU GOUVERNEMENT |
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MARDI 24 MAI 2016 |
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À 14 h 30 et le soir |
- Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (n° 495, 2015-2016) Ce texte a été envoyé à la commission de la culture. • Délai limite pour le dépôt des amendements de commission : lundi 9 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour le rapport et le texte : mardi 10 mai après-midi et, éventuellement, le soir et mercredi 11 mai matin • Délai limite pour le dépôt des amendements de séance : jeudi 19 mai, à 12 heures • Réunion de la commission pour examiner les amendements de séance : mardi 24 mai matin et, éventuellement, à la suspension de l’après-midi et mercredi 25 mai matin • Temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale : 1 heure • Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 23 mai, à 17 heures |
MERCREDI 25 MAI 2016 |
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À 14 h 30 et le soir |
- Suite de la deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (n° 495, 2015-2016) - Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (texte de la commission, n° 519, 2015-2016), en examen conjoint avec la proposition de loi relative à l’indépendance des rédactions, présentée par MM. David ASSOULINE, Didier GUILLAUME et les membres du groupe socialiste et républicain (n° 416, 2015-2016) (rapport commun) |
JEUDI 26 MAI 2016 |
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À 10 h 30 |
- Suite de l’ordre du jour de la veille |
À 15 heures |
- Questions d’actualité au Gouvernement (Diffusion en direct sur France 3, Public Sénat et sur le site Internet du Sénat) • Délai limite pour l’inscription des auteurs de questions : jeudi 26 mai, à 11 heures |
À 16 h 15 et le soir |
- Suite de l’ordre du jour du matin |
Prochaine réunion de la Conférence des Présidents : mercredi 11 mai 2016, à 19 heures |
Je vais maintenant consulter le Sénat sur les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances et à l’ordre du jour autre que celui résultant des inscriptions prioritaires du Gouvernement.
Y a-t-il des observations ?…
Ces propositions sont adoptées.
10
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi pour l’économie bleue est parvenue à l’élaboration d’un texte commun.
11
Saisine du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat qu’il a été saisi le mercredi 6 avril 2016, en application de l’article 61, alinéa 2, de la Constitution, par le Premier ministre, de la loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
12
Information de l'administration et protection des mineurs
Adoption des conclusions modifiées d’une commission mixte paritaire
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs (texte de la commission n° 488, rapport n° 487).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Troendlé, en remplacement de M. François Zocchetto, rapporteur.
Mme Catherine Troendlé, en remplacement de M. François Zocchetto, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre de l’éducation nationale, mes chers collègues, je constate que les femmes sont majoritaires dans notre hémicycle ce soir… Cela mérite d’être souligné !
Mme Catherine Tasca. En effet !
Mme Catherine Troendlé, en remplacement de M. François Zocchetto, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Il me revient de vous présenter les conclusions de la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs, en remplacement de notre rapporteur, M. François Zocchetto, qui nous prie d’excuser son absence.
La commission mixte paritaire, réunie le mardi 22 mars à l’Assemblée nationale, est parvenue à un accord, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir, compte tenu de l’importance du sujet.
Je tiens à saluer l’ouverture d’esprit dont a su faire preuve le rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Erwann Binet, en œuvrant, de concert avec François Zocchetto, à la construction de ce compromis.
Après l’adoption de ces conclusions par l’Assemblée nationale la semaine dernière, nous sommes appelés à nous prononcer dans une ambiance un peu particulière, eu égard aux événements qui se sont déroulés à la maison d’arrêt de Corbas dans la nuit de lundi à mardi derniers et qui vont priver un grand nombre de familles d’un procès pourtant attendu.
Mes chers collègues, je ne puis que vous inviter à adopter les conclusions auxquelles la commission mixte paritaire est parvenue. Sur ce dossier, en effet, trop de temps a été perdu depuis un an. Je ne reprendrai pas l’historique, mais je déplore que nous n’ayons pas été mis en mesure de nous prononcer sur un texte consacré à ce sujet dans des délais plus rapprochés des événements dramatiques survenus au printemps 2015, qui ont conduit à la prise de conscience de la nécessité de remédier à certaines lacunes de notre législation.
Sur ce sujet, le Sénat a su faire preuve d’ouverture d’esprit et infléchir les positions qu’il avait prises en octobre dernier.
Je souhaite le dire avec force : pour un grand nombre de sénateurs, le principe d’une communication d’informations à l’administration par l’autorité judiciaire sur des procédures pénales en cours n’allait pas de soi. Si personne ne conteste l’impérieuse nécessité d’assurer aux enfants la protection la plus complète contre les auteurs d’agressions sexuelles, cet impératif de protection ne saurait nous faire oublier l’un des principes majeurs de notre procédure pénale, consacré dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : la présomption d’innocence. Telle a été la position constante du Sénat et de votre commission des lois dans l’examen de ce projet de loi.
Nous avons finalement admis que des informations puissent être communiquées sur des procédures judiciaires en cours dès lors que celles-ci sont à un stade avancé : mise en examen par un juge d’instruction, qui suppose des indices graves ou concordants, ou saisine d’une juridiction de jugement, qui implique la mise en mouvement de l’action publique.
En revanche, toute communication avant ce stade, c’est-à-dire à l’issue de la garde à vue ou d’une audition libre, était pour nous à proscrire. En effet, la transmission d’informations à un tel moment de la procédure interviendrait de manière trop précoce, sans certitude sur la matérialité des faits, de surcroît dans le cadre d’une procédure non contradictoire ; de ce fait, elle contreviendrait gravement au principe constitutionnel de la présomption d’innocence.
Nous nous réjouissons que les députés se soient rangés à ce point de vue.
J’ajoute que la suppression de cette faculté n’entravera en rien les prérogatives dont dispose la justice pour mettre en place des mesures de sûreté si, au vu des circonstances et de la personnalité de l’auteur présumé des faits, il est estimé nécessaire de l’écarter d’un milieu professionnel impliquant un contact avec des mineurs.
De fait, le parquet a toujours la possibilité de saisir un juge d’instruction par réquisitoire introductif, ouvrant ainsi la voie à une possible mise en examen assortie d’un contrôle judiciaire. Si la saisine d’un juge d’instruction est considérée comme excessive, le parquet peut saisir le tribunal correctionnel par procès-verbal et, dans cette attente, saisir le juge des libertés et de la détention en vue d’un placement sous contrôle judiciaire. Au demeurant, le projet de loi sur le crime organisé, adopté hier après-midi par notre assemblée à une large majorité, contient une disposition facilitant les conditions dans lesquelles le parquet peut saisir dans ce cadre la juridiction de jugement.
Je crois donc que le texte résultant des travaux de la commission mixte paritaire n’offre pas, sur ce point, de moindres garanties de protection pour les mineurs, compte tenu des alternatives que je viens de mentionner, tout en maintenant chacun dans son rôle, autorité judiciaire et administration. En effet, il n’appartient pas à l’administration de tutelle d’un agent de prendre de telles mesures de sûreté.
Je reste persuadée que, au contraire, cette suppression prévient le risque que des personnes soient injustement mises en cause et voient leur réputation, ainsi que leur intégrité mentale et psychique, gravement compromise avant toute condamnation. Ce risque existe et nous ne pouvons l’ignorer.
Pour le reste, au-delà des différentes clarifications juridiques que le Sénat a opérées et qui ont été entérinées par la commission mixte paritaire, je tiens à souligner que celle-ci a confirmé un apport majeur du travail de notre assemblée : l’élargissement des facultés de consultation du casier judiciaire par les conseils départementaux pour l’octroi des agréments des assistants maternels et familiaux.
Enfin, je dois dire un mot du renoncement du Sénat à une disposition à laquelle nous étions très attachés, moi la première : le caractère systématique, dans le respect des prescriptions de la jurisprudence constitutionnelle, de la peine complémentaire d’interdiction d’exercice d’une activité auprès des mineurs pour les personnes reconnues coupables d’une infraction sexuelle contre mineur. Je regrette que nous n’ayons pas pu convaincre les députés du bien-fondé de notre position en la matière. Oserai-je dire qu’il y a là, pour nos collègues députés et sénateurs socialistes, un point de blocage, que je ne saurais m’expliquer autrement que par des considérations un peu militantes ?
Il me semble pourtant qu’une telle mesure serait d’une grande efficacité. En effet, elle garantirait que les juges correctionnels se prononcent systématiquement sur les peines complémentaires. Ils pourraient au besoin les écarter, s’ils ne les estiment pas fondées, mais, en tout état de cause, nous serions prémunis contre le risque d’oubli de l’existence même de cette faculté à la disposition de la juridiction de jugement.
Toutefois, le compromis était au prix de ce renoncement. Beaucoup de temps ayant déjà été perdu, comme je l’ai souligné au début de mon intervention, nous ne pouvions risquer d’en perdre encore avec l’échec de la commission mixte paritaire, qui aurait entraîné une nouvelle lecture dans chaque assemblée, puis la lecture définitive par l’Assemblée nationale.
Tels sont, mes chers collègues, les principaux éléments du compromis qui vous est soumis et que je vous invite à approuver.
Je dois dire, avec une pointe d’ironie, que je m’explique mal l’amendement déposé par le Gouvernement sur les conclusions de la commission mixte paritaire et tendant à supprimer la disposition prévoyant un décret en Conseil d’État pour l’application du projet de loi. Je me l’explique d’autant moins bien qu’un tel formalisme constitue une garantie juridique sans nuire en rien à l’efficacité de l’action publique ; tout au plus faut-il quelques semaines pour que le Conseil d’État examine le projet de décret et rende son avis. Au surplus, il est curieux que cet examen juridique soit considéré comme trop lourd alors que tant de temps s’est déjà écoulé et que la future loi ne sera applicable, ainsi qu’il est expliqué dans l’étude d’impact du projet de loi, qu’au début de l’année 2017, du fait de la nécessité de mettre à niveau les outils informatiques de la justice.
En vérité, l’efficacité du dispositif se heurtera nécessairement aux moyens dont disposent actuellement les parquets et à leur contexte de charges d’activité. À l’inadaptation des effectifs du ministère public et à l’importance et la multiplicité de ses missions s’ajoute l’inadaptation de ses moyens informatiques, un problème qui a déjà été soulevé à de nombreuses reprises dans notre assemblée. Un tel constat ne peut que faire écho aux récents propos du garde des sceaux sur les moyens de fonctionnement de la justice.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire, modifiées par l’amendement du Gouvernement. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, comme si le drame que nous avons connu il y a un an ne suffisait pas, le suicide du directeur d’école de Villefontaine hier matin est venu brutalement raviver la douleur des familles.
C’est à ces familles que je pense ce soir, à elles qui attendaient des réponses dont elles seront à jamais privées ; à elles qui, dès le départ, ont cherché à dépasser leur douleur et qui m’ont confié dès nos premières rencontres leurs attentes à notre égard. Ces familles attendent de nous, Gouvernement et Parlement réunis, que nous apportions des réponses à la hauteur des dysfonctionnements constatés dans cette affaire.
Comme mon collègue garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, l’a indiqué, une enquête a été immédiatement ouverte par le procureur pour établir les circonstances exactes du décès. En outre, un travail est d’ores et déjà engagé pour avancer sur la voie d’un renforcement des mesures spécifiques de prévention des risques de suicide dans les milieux pénitentiaires.
Ces réponses-là sont essentielles, et nous les leur donnerons.
Plus encore, nous devons faire en sorte que ces drames ne puissent plus se reproduire. C’est ce que nous devons à ces familles qui ont fait face dans la dignité et ont cherché à chaque instant à dépasser leur émotion pour faire progresser notre droit.
Madame Troendlé, vous l’avez dit, les débats ont été longs et riches ici même comme à l’Assemblée nationale. Cela montre que nous avons su collectivement dépasser l’émotion et les clivages partisans pour réaliser ce que les pouvoirs publics auraient dû faire depuis longtemps.
À ce stade de mon intervention, je voudrais saluer l’esprit de responsabilité dont ont fait preuve les rapporteurs et les commissions des lois des deux assemblées pour parvenir à l’élaboration d’un texte commun en commission mixte paritaire. Je voudrais en particulier remercier le rapporteur François Zocchetto, pour le consensus qu’il a su trouver. En effet, chacun mesure combien le texte dont nous débattons pour la dernière fois ce soir est fondamental pour le fonctionnement de nos institutions.
Chacun connaît la suspicion qui s’est propagée à l’endroit de l’institution scolaire ; je n’y reviens donc pas. Faute d’informations, celle-ci a pu abriter dans ses murs un prédateur sexuel, condamné quelques années auparavant pour des faits graves, qui n’auraient dû entraîner qu’une seule chose : sa révocation !
Chacun mesure bien aussi que les cas de pédophilie dont nous parlons ne sont pas des événements isolés. Ce fléau existe, questionne et place toutes les institutions face à leurs responsabilités. Notre responsabilité collective, à vous parlementaires comme à nous ministres, c’est d’apporter une réponse non pas à un événement, mais au dysfonctionnement systématique dans la transmission d’informations entre l’autorité judiciaire et les administrations qu’a révélé cette affaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en vous soumettant ce texte avec ma collègue de l’époque, Christiane Taubira, nous n’avions d’autre ambition que de trouver les mécanismes et les procédures pour éviter que cette situation choquante ne se reproduise.
Nous avons certes eu des désaccords avec le rapporteur François Zocchetto, et nous nous en sommes longuement expliqués le 26 janvier dernier. Mais nous avons surtout partagé des préoccupations communes, comme la nécessaire lisibilité du droit, ou encore la réponse à apporter aux attentes exprimées par les présidents de conseil départemental concernant la surveillance de l’entourage des assistants maternels.
En élaborant un texte commun, la commission mixte paritaire est parvenue à fédérer les volontés exprimées dans les deux assemblées autour de quelques principes essentiels, auxquels j’adhère pleinement.
Loin du flou auquel les magistrats étaient jusqu’alors réduits, obligation sera faite demain à ces derniers de porter à la connaissance des administrations les condamnations les plus graves prononcées à l’encontre de personnes travaillant habituellement au contact des mineurs.
Dans un cadre désormais sécurisé et apportant toutes les garanties nécessaires pour les personnes mises en cause, les transmissions d’informations pourront intervenir au moment de la mise en examen, en amont donc des condamnations pénales.
Je me range à la position que la commission mixte paritaire a adoptée, car je crois aux nouveautés introduites dans le texte et fais confiance à l’esprit de responsabilité des magistrats.
Avec ce texte, nous permettrons dans tous les cas aux magistrats, que ce soit dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à domicile avec surveillance électronique, d’interdire à un individu mis en examen d’exercer une activité impliquant un contact avec des mineurs.
Comme vous tous, je veux croire que les magistrats s’emploieront sans tarder à engager des poursuites ou à décider une mise en examen lorsqu’il existera des indices graves ou concordants de l’existence d’une infraction grave. C’est à ce stade-là que mon administration pourra être informée.
Ce compromis auquel vous êtes parvenus, par-delà les approches partisanes, sera la base sur laquelle de nouvelles pratiques pourront se mettre en place dans les tribunaux comme dans les administrations.
Ce texte est une œuvre collective. En l’adoptant, le Sénat apportera sa contribution à l’avancée du droit sur un sujet extrêmement sensible et pour lequel notre législation avait pris trop de retard.
J’insiste sur ce point : ce retard n’était pas sans conséquence. En effet, en l’absence de cadre légal clair et précis, nous avions laissé perdurer – reconnaissons-le – des failles bien visibles pour les prédateurs sexuels, lesquels, on le sait, recherchent précisément des contextes professionnels dans lesquels ils peuvent côtoyer des enfants. Or il n’y a aucune place à l’école pour les prédateurs sexuels. Aucune !
En adoptant ce texte, vous le savez, vous apporterez une réponse pour l’avenir. En revanche, il faut avoir conscience qu’il ne s’agit d’une réponse ni aux errements du passé ni à l’interrogation des familles : comment garantir, en effet, qu’il n’y a pas au sein de l’école d’autres prédateurs en fonction, qui auraient été condamnés dans le passé pour des faits dont l’administration n’aurait pas eu connaissance ?
À cet égard, je m’étais engagée devant les familles de Villefontaine à prendre mes responsabilités. J’ai tenu cet engagement, puisque j’ai décidé à la fin du mois de janvier de mettre en œuvre le contrôle systématique des antécédents judiciaires des agents relevant de mon ministère et qui sont au contact de mineurs. Contrôler ainsi les casiers judiciaires de 850 000 agents constitue une opération de grande ampleur, qui prendra plus d’un an, à raison de 3 000 contrôles par jour.
Cette mesure inédite est indispensable pour montrer aux familles que nous avons tiré toutes les leçons de l’affaire de Villefontaine. Indispensable aussi pour que l’on en finisse avec la suspicion qui pèse sur les agents de l’éducation nationale. J’ai conscience qu’il ne suffit pas de la dénoncer et qu’il faut démontrer par des actes qu’elle n’est pas fondée. C’est le sens de cette opération de contrôle.
Être ferme sur les principes et transparente sur les actions que nous engageons, c’est la règle que je me suis fixée. Je m’y suis tenue à une occasion plus récente encore, lorsque j’ai diligenté une enquête administrative à propos de l’affaire de Villemoisson-sur-Orge, dont chacun a évidemment entendu parler : en 2007, un enseignant n’avait pas été sanctionné, alors qu’il avait été condamné précédemment et de manière définitive par un tribunal anglais. Je le redis ici : ce cas est différent de celui de Villefontaine, mais, comme pour cette affaire, je tirerai toutes les conséquences du rapport que me remettra prochainement l’inspection générale sur le sujet.
Pour que notre organisation soit sans faille face aux prédateurs, les textes sont nécessaires mais insuffisants. Nous avons aussi besoin de changer les pratiques. Avec la Chancellerie, depuis un an, nous avons donc préparé les professionnels de terrain, dans les parquets comme dans les rectorats, à fonctionner avec les nouvelles règles que, je l’espère, vous adopterez largement.
Depuis la rentrée scolaire de 2015, des référents « éducation nationale » ont été nommés dans chaque parquet et des référents « justice » sont identifiés dans chaque rectorat. Nos référents ont été formés avec l’appui de la Chancellerie. Désormais, il existe des procédures officielles et sécurisées d’échange d’informations entre eux.
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes prêts à appliquer la loi que vous vous apprêtez à adopter. Pour tout vous dire, les textes d’application prévus par le projet de loi sont eux aussi déjà prêts, puisque nos administrations ont travaillé tout au long de la procédure parlementaire pour que nous mettions en œuvre cette loi au plus vite et dans l’intérêt de tous. C’est la raison pour laquelle je me suis permis de m’ouvrir aux rapporteurs des deux assemblées de mon regret de voir la commission mixte paritaire renvoyer la mise en œuvre de cette loi à des décrets en Conseil d’État plutôt qu’à des décrets simples.
Comprenons-nous bien, il ne s’agit évidemment pas de faire une quelconque offense au Conseil d’État. C’est au contraire en plein accord avec cette institution que nous avions opté pour des décrets simples qu’il est possible de publier rapidement. Vos collègues députés ont été unanimement sensibles à cette rapidité d’exécution, et je sais que votre assemblée n’y est pas non plus indifférente. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé un amendement dans des termes identiques à celui qui a été voté par l’Assemblée nationale. J’espère vraiment qu’il recueillera votre accord.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte de la commission mixte paritaire qui est soumis à votre approbation nous offre enfin le cadre juridique dont nous avons tant manqué par le passé pour protéger les mineurs, tout en apportant de précieuses garanties au respect de la présomption d’innocence. C’est un texte efficace, qui permettra aux professionnels de terrain d’agir et qui empêchera les dysfonctionnements que nous avons tous déplorés de se reproduire. En apportant votre soutien à un projet très largement coconstruit avec votre assemblée, vous participerez à la dynamique que doit insuffler ce texte dans les pratiques des magistrats et des administrations. Je vous remercie par avance de votre vote. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC et certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce soir les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs, texte sur lequel Sénat et Assemblée nationale ont trouvé un compromis.
Ce texte autorise la transmission d’informations – il la rend même obligatoire dans certains cas – entre la justice et l’administration employant des personnes en contact avec des mineurs et mises en cause pour des infractions, notamment à caractère sexuel.
Si les députés sont revenus sur leur intention initiale d’autoriser la transmission d’informations dès la garde à vue ou l’audition libre, les sénateurs membres de la commission mixte paritaire ont, de leur côté, entériné le principe de cette transmission lors d’une procédure en cours, au stade de la mise en examen, par exemple, et donc avant toute condamnation, ce que, pour notre part, nous déplorons.
La peine complémentaire d’interdiction d’exercer un travail impliquant un contact avec des mineurs à la suite d’une condamnation ou d’un placement sous contrôle judiciaire, introduite par la majorité sénatoriale, a finalement été abandonnée. C’est une légère amélioration, dans la mesure où il revient au juge, et non au législateur, de décider d’une telle peine complémentaire.
Toutefois, les progrès constatés dans la rédaction du texte ne font pas changer la position de mon groupe sur l’essentiel. En première lecture, mes collègues Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat ont exprimé de sérieuses inquiétudes face aux risques de dérive que le texte fait peser sur la présomption d’innocence. Ce principe – faut-il le rappeler ? – a valeur constitutionnelle.
Aux termes de l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ». L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme énonce, quant à lui, que « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Or la rédaction finale du projet de loi prévoit que l’information soit transmise avant toute condamnation définitive. Cela revient d’une manière ou d’une autre à jeter le soupçon sur une personne dont la culpabilité n’a pas été clairement établie et, dans le cas d’infractions sexuelles en lien avec des mineurs, à bafouer son honneur, à briser sa carrière, sa vie et celle de son entourage.
En première lecture, nous avions proposé une réécriture de l’article 1er, qui prévoyait la transmission systématique d’informations en cas de condamnation définitive, ni plus ni moins. Cette rédaction aurait permis l’élaboration d’un texte plus équilibré et plus conforme au principe de la présomption d’innocence. L’autorité judiciaire doit en effet être protégée de la pression des médias et de l’opinion, qui demandent des jugements immédiats et font peu de cas des droits de la défense.
L’affaire de Villefontaine, qui est à l’origine de ce projet de loi, a connu avant-hier un rebondissement tragique. Il en ressort que la priorité doit consister aujourd’hui à mieux organiser la circulation de l’information entre les administrations et à obliger l’éducation nationale à mieux vérifier les antécédents judiciaires des agents qu’elle nomme à des postes où ils sont en contact avec des mineurs. Ainsi, l’ancien directeur d’école de Villefontaine avait déjà été condamné sept ans auparavant pour des faits qui auraient dû alerter sa hiérarchie.
Mes chers collègues, veuillez m’excuser de le dire ainsi, mais, au fond, chaque affaire est unique. D’autres affaires mettent en cause des adultes à tort. Souvenons-nous de l’affaire Bernard Hanse en 1997 : un professeur de gymnastique, accusé à tort d’attouchements par l’un de ses élèves, avait tragiquement mis fin à ses jours.
Pour conclure, j’indique que les membres du RDSE restent sur la position qu’ils avaient adoptée en première lecture, fidèles en cela à leur tradition de défense des libertés publiques et individuelles. Ce n’est pas parce qu’il y a des failles dans l’administration qu’il est légitime de déposer un texte attentatoire à la présomption d’innocence. À cet égard, je salue les circulaires prises par Mme la ministre de l’éducation nationale, car elles devraient apporter des améliorations concrètes. Si des faits graves survenaient, l’autorité judiciaire dispose déjà d’une panoplie de mesures adaptées, comme le contrôle judiciaire ou la comparution immédiate, et je dis bien « immédiate » !
Attachés comme chacun ici à la protection des enfants, nous veillons aussi au respect des principes fondamentaux et à la qualité de la loi. En l’occurrence, le principe qui doit nous guider est celui de la présomption d’innocence, alors que les malheurs sont multiples : malheur des enfants victimes ou malheur des adultes mis en cause. C’est la raison pour laquelle, comme en première lecture, les membres du RDSE n’approuveront pas le texte. Certains voteront contre les conclusions élaborées par la commission mixte paritaire, quand d’autres, la majorité, s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi avant toute chose d’exprimer ma profonde et très sincère compassion envers les familles bouleversées par le suicide du directeur d’école de Villefontaine.
Le 20 octobre dernier, la Haute Assemblée a examiné une proposition de loi extrêmement pertinente de notre collègue Catherine Troendlé relative à la protection des mineurs contre les agressions sexuelles. Ce texte nécessaire à la protection des enfants n’a pourtant jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Le 26 janvier dernier, nous avons été saisis d’un texte semblable sur l’initiative du Gouvernement.
Aujourd’hui, nous examinons les conclusions de la commission mixte paritaire, qui est parvenue – je m’en réjouis – à élaborer le 22 mars dernier un texte commun sur ce projet de loi.
Je ne rappellerai pas les terribles affaires de pédophilie qui sont survenues dans le milieu scolaire au printemps de l’année 2015 et qui sont à l’origine à la fois de la proposition de loi de notre collègue et du présent projet de loi. Sur un tel sujet, il ne saurait y avoir de débat politicien autour de la reconnaissance de paternité des mesures proposées. Ce qui importe, c’est que le texte soit adopté et surtout qu’il soit appliqué le plus vite possible, de telle sorte que les affaires de Villefontaine et d’Orgères, ravivées tragiquement cette semaine, ne puissent plus se reproduire. En effet, la protection de l’enfant exige à la fois vigilance et attention.
Le constat a été dressé que l’organisation des relations entre l’autorité judiciaire et l’administration de l’éducation nationale était défaillante. Le cadre légal applicable est également porteur d’incertitudes juridiques pour les parquets, chargés des transmissions d’informations, dès lors qu’une procédure pénale est en cours.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, ce projet de loi est nécessaire.
Je veux remercier le rapporteur, François Zocchetto, et les membres de la commission mixte paritaire d’avoir su trouver un accord satisfaisant, disent certains, pour chacune des chambres et, surtout, pour la protection de nos enfants et la présomption d’innocence.
Pour élaborer ce compromis nécessaire à une application rapide du projet de loi, le Sénat a dû renoncer – nous le regrettons vivement – à l’article 1er A visant à rendre systématique, sauf décision contraire spécialement motivée de la juridiction, la peine complémentaire d’interdiction d’exercice, temporaire ou définitive, d’une activité professionnelle impliquant un contact habituel avec des mineurs. En contrepartie, les députés ont suivi la position de principe du Sénat sur le respect de la présomption d’innocence, en renonçant à la possibilité de procéder à la transmission d’informations à l’issue de la garde à vue ou de l’audition libre. Une information à un stade aussi précoce de la procédure aurait gravement contrevenu à la présomption d’innocence et aurait constitué un dispositif contraire à la Constitution. En effet, l’incertitude sur la véracité des faits reprochés à une personne y est bien trop forte.
Il s’agit donc, ce soir, d’approuver un accord équilibré, obtenu en bonne intelligence, qui, nous le souhaitons, permettra de véritables avancées pour la protection des mineurs et l’échange d’informations entre la justice et les administrations, à la condition, madame la ministre, d’y allouer les moyens nécessaires. Il n’y a plus de temps à perdre ! La vulnérabilité des enfants engage notre responsabilité collective, au-delà de nos convictions. Aussi le groupe UDI-UC votera-t-il favorablement ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme d’un débat sur lequel nous avons été saisis trois fois en sept mois.
Sur le fond, le projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs organise la possibilité, pour les parquets, de communiquer à l’administration certaines décisions prises par l’autorité judiciaire, qu’il s’agisse d’une condamnation ou de l’existence de poursuites pénales. Sont institués, à la fois, un régime général applicable à toutes les personnes exerçant des activités soumises à contrôle qui seraient mises en cause pour des infractions de tous types et un régime particulier pour les personnes en contact avec les mineurs mises en cause pour certaines infractions, avec l’introduction de deux nouveaux articles dans le code de procédure pénale : l’article 11-2 et l’article 706-47-4.
Nous avons bien sûr pris acte des conclusions de la commission mixte paritaire, qui comportent deux mesures améliorant le texte : d’une part, l’Assemblée nationale a accepté la position de principe du Sénat sur le respect de la présomption d’innocence, en renonçant à la possibilité de procéder à la transmission d’informations à l’issue de la garde à vue ou de l’audition libre ; d’autre part, le Sénat a accepté de renoncer à l’instauration de peines complémentaires sans décision expresse du juge, une disposition reprise de la proposition de loi votée par la Haute Assemblée en octobre 2015.
Toutefois, la question de la transmission d’informations se pose en des termes différents selon que la communication porte sur des condamnations – la transmission ne soulève alors aucune difficulté ; elle doit être rapide et systématique – ou sur des éléments d’une procédure en cours.
Si la commission des lois du Sénat, puis la CMP ont rendu le texte plus acceptable, notamment en supprimant la possibilité d’une transmission d’informations à l’issue d’une garde à vue ou d’une audition libre, il n’en demeure pas moins que cette transmission reste possible en cours de procédure, en cas de mise en examen ou de renvoi devant une juridiction, c’est-à-dire avant que la condamnation ne soit définitive. Selon nous, cette dernière modalité porte gravement atteinte à notre principe constitutionnel de présomption d’innocence. Une nouvelle catégorie juridique est ainsi créée : désormais, une personne interpellée reste présumée innocente, mais son employeur est alerté par le parquet de sa possible culpabilité ! La présomption d’innocence devient, dès lors, proportionnelle au retentissement médiatique de la mise en accusation.
Nous le réaffirmons haut et fort, notre droit pénal ne peut transiger sur les principes et les droits fondamentaux, tout particulièrement dans la période actuelle. Rappelons que la présomption d’innocence, figurant à l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à l’article IX de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dans notre code pénal et dans notre code civil, consiste en ce que nul ne puisse être déclaré coupable sans établissement de sa culpabilité au cours d’un procès public. Or, dans la droite ligne du projet de loi de réforme de la procédure pénale, qui a été voté hier ici même au Sénat, ce texte opère un changement de paradigme quant à la caractérisation des infractions : des « débuts d’actes », on passe à des « intentions de faire » ; de la « nécessité des preuves », on passe à la « suffisante suspicion »… C’est un glissement dangereux vers davantage de subjectivité qui est ainsi mis en œuvre dans notre droit pénal.
De plus, face au manque flagrant de moyens du parquet, force est de constater la portée infime d’un tel projet de loi, qui revêt davantage le caractère d’un texte d’affichage. Le principe d’un régime général de transmission d’informations, sous certaines garanties, se heurte nécessairement à l’état de fonctionnement des parquets, qui ne peuvent plus répondre à l’ensemble de leurs missions, lesquelles n’ont par ailleurs cessé d’augmenter en matière civile comme en matière pénale, ainsi que le rappelle le rapport remis par Jean-Louis Nadal au mois de novembre 2013.
Depuis septembre dernier, des référents « éducation nationale » ont été nommés dans chaque parquet pour faciliter les transmissions. Pour autant, il n’y a pas eu d’embauches. Cette nouvelle fonction retombe donc sur l’un des parquetiers déjà en poste.
Ce constat, madame la ministre, nous conduit à douter de l’efficacité d’un tel dispositif. D’ailleurs, comme le souligne la Conférence nationale des procureurs de la République sollicitée par le rapporteur, « les juridictions ne disposent à ce jour d’aucun outil informatisé d’alerte permettant de remplir les nouvelles missions imposées par le texte ». Cela importera d’autant plus s’il faut mettre en œuvre les nouvelles dispositions législatives, alors même que des milliers de procédures concernées sont en cours.
Tous ces dysfonctionnements de nature technique et organisationnelle ne seront résolus que par une nécessaire réorganisation des services judiciaires et de l’éducation nationale.
Au regard de l’atteinte inadmissible portée au principe de la présomption d’innocence et du manque de moyens pour mener à bien tout projet de réorganisation des services judiciaires et de l’éducation nationale, nous continuons à nous opposer à ce texte en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire du 22 mars dernier, à laquelle j’ai participé aux côtés de mon collègue Jacques Bigot, a abouti à un texte dont nous débattons ce soir. Avant d’entrer plus avant dans son examen, je tiens à dire que le groupe socialiste et républicain du Sénat s’est particulièrement réjoui d’un tel accord, car le sujet est important et douloureux. J’espère que notre chambre, après l’Assemblée nationale le 31 mars dernier, adoptera les conclusions de cette CMP.
Rappelons que ce texte fait suite à des faits divers dramatiques à Villefontaine et à Orgères, qui ont particulièrement bouleversé le monde de l’éducation. Je ne peux pas ne pas évoquer ici le récent suicide d’un détenu suspecté de tels faits. Ce suicide traduit le mal-être d’un présumé coupable et prive les mineurs victimes et leurs familles du procès qu’ils attendaient et auquel ils avaient droit.
C’est dire la gravité de ces situations, gravité dont le Gouvernement a pris la mesure. Ce dernier nous a proposé un dispositif novateur afin d’empêcher, autant que faire se peut, la reproduction de faits similaires aux conséquences dramatiques.
Ce dispositif permet aux procureurs de la République de donner des informations à des administrations ou à certains organismes sur des personnes condamnées ou soupçonnées. Les procureurs sont même obligés de le faire dans certains cas, lorsqu’ils sont face à une personne dont l’activité implique un contact habituel avec des mineurs.
L’enjeu de ce texte est simple, mais difficile. Il s’agit de trouver le juste équilibre, la bonne articulation entre trois principes importants : la protection des mineurs, qui doit être notre préoccupation première – notre société proclame volontiers son attachement à la défense de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais elle est encore loin d’assurer effectivement cette protection – ; la présomption d’innocence, principe fondamental de notre justice ; le secret de l’enquête et de l’instruction, un secret trop souvent bafoué.
Ce débat sur le positionnement du curseur entre ses trois points, nous l’avons eu à trois reprises ici au Sénat : au moment des débats sur le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dit « DDADUE pénal », durant l’été 2015 ; lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Catherine Troendlé durant l’automne 2015 ; au cours du présent texte proposé par le Gouvernement, qui nous occupe depuis cet hiver. Chaque fois, durant nos discussions, qu’elles aient eu lieu en séance publique ou au sein de la commission des lois, notre groupe a défendu une position constante, qui a été reprise lors de la commission mixte paritaire.
Tout d’abord, nous avons toujours été plus que réservés sur la possibilité, que proposait le Gouvernement, de transmission de l’information par le procureur de la République dès le stade de la garde à vue ou de l’audition libre. Selon nous, la protection des mineurs ne pouvait justifier une telle entorse à la présomption d’innocence. Cette position était partagée par le Sénat et a été retenue par la commission mixte paritaire.
Ensuite, nous nous sommes fermement opposés, dès l’examen de la proposition de loi de Mme Catherine Troendlé, à la mise en place, à l’encontre des personnes condamnées, d’une peine automatique d’interdiction d’exercer une activité impliquant un contact avec des mineurs. Nous considérons en effet que cette peine proposée par la droite est contraire au principe d’individualisation de la peine auquel nous sommes très attachés. En outre, cette disposition est une illustration évidente d’une marque de défiance à l’égard des juges qui nous semble injustifiée. Cette peine existe aujourd’hui dans notre droit, elle est complémentaire ; c’est au juge de décider, au cas par cas, de son application. Cette position était partagée par l’Assemblée nationale et a été retenue par la commission mixte paritaire.
Aussi notre groupe se réjouit-il de l’accord trouvé en commission mixte paritaire, qui nous semble être équilibré, opportun et bienvenu. Nous voterons donc le projet de loi, tout comme nous voterons votre amendement, madame la ministre, concernant le passage du décret en Conseil d’État au décret simple pour des raisons purement pratiques de rapidité de mise en œuvre du texte.
Il sera maintenant nécessaire, j’y insiste, que des moyens humains supplémentaires soient effectivement donnés aux procureurs de la République. À chaque texte, nous accroissons leurs tâches, qui sont de plus en plus lourdes. Dès lors, nous devons parallèlement augmenter leurs moyens, qu’ils soient financiers ou humains. Je sais que M. le garde des sceaux a, dès sa prise de fonction, fait de l’augmentation des moyens de la justice une priorité. Je tiens à vous assurer, madame la ministre, que le groupe socialiste et républicain du Sénat appuiera fortement son action sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les tragiques événements qui se sont produits dans l’Isère et en Ille-et-Vilaine, sauf pour vous préciser que malheureusement, depuis lors, vingt autres dossiers d’actes pédocriminels ont été ouverts dans des écoles en France ; 200 enfants seraient concernés, selon l’association Innocence en danger.
En cet instant, compte tenu des événements qui sont survenus à la maison d’arrêt de Corbas, j’ai comme vous, madame la ministre, une pensée vraiment émue pour toutes les familles qui seront privées d’un procès. C’est une souffrance supplémentaire infligée à ces familles, déjà confrontées à l’horreur des actes perpétrés sur leurs enfants, des enfants brisés.
Il est plus qu’urgent d’agir afin de protéger les enfants de prédateurs qui ne devraient pas être au contact de jeunes publics. Que de temps perdu !
Lorsque les ministres de la justice et de l’éducation nationale ont annoncé l’élaboration d’un projet de loi, j’ai immédiatement proposé mon propre texte de loi aux conseillers de la garde des sceaux, visant à rendre effective l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu’une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur, texte que j’ai déposé le 12 mai 2015.
Or quelle ne fut pas ma surprise, mais aussi mon désarroi, lorsque la démarche gouvernementale s’est réduite à un simple amendement, qui plus est intégré dans un texte sans rapport, le projet de loi DDADUE. Je ne peux pas m’imaginer un seul instant que le Gouvernement ait pris le risque d’un cavalier législatif sans connaissance de cause, une démarche que je qualifierai d’irresponsable au vu de la gravité des problématiques à traiter.
C’est alors que le groupe Les Républicains a pris ses responsabilités en inscrivant à l’ordre du jour ma proposition de loi dans la première semaine parlementaire, en automne dernier. Je remercie mes nombreux collègues qui l’ont cosignée, ainsi que le président du groupe Les Républicains, M. Bruno Retailleau. Je remercie également notre excellent rapporteur, M. François Zocchetto, qui a remanié ce texte avant son adoption à une large majorité à l’issue des débats du Sénat. Or Mme la garde des sceaux n’en a pas voulu, alors qu’elle avait trouvé le texte équilibré. Il a fallu attendre le mois de décembre 2015 pour que le texte du Gouvernement soit soumis à l’Assemblée nationale, puis au Sénat.
Fidèle au travail de fond qui avait été mené par M. François Zocchetto et la commission des lois – à cet instant, je voudrais également remercier le président Philippe Bas –, le texte du Gouvernement a été enrichi par les dispositions de la proposition de loi déjà votée au Sénat avec, comme objectif, de préserver le principe de la présomption d’innocence et d’éviter, bien évidemment, tout risque d’inconstitutionnalité qui reporterait encore le délai d’application d’un texte en réponse à de sordides affaires.
Il y a urgence, disais-je. Alors, oui, il a fallu faire un choix difficile lors de la commission mixte paritaire en ce qui concerne l’automaticité de la peine complémentaire. À titre personnel, j’étais attachée à cette automaticité. C’est d’ailleurs pour cela que j’en avais fait mention dans ma proposition de loi. Néanmoins, au vu de l’importance majeure de ce texte, il était de notre devoir de parlementaires d’aboutir à une conciliation, notamment – même si je le regrette un peu – en reculant sur ce point, afin d’éviter un échec de la commission mixte paritaire.
C’est donc dans le même état d’esprit, madame la ministre, que je soutiendrai l’amendement du Gouvernement, afin de déterminer par décret simple, en lieu et place d’un décret en Conseil d’État, les modalités d’application de l’article 11-2 du code de procédure pénale, ainsi que les modalités d’application de l’article 706-47-4 du code de procédure pénale relatif à la communication d’informations par l’autorité judiciaire aux autorités administratives concernant les personnes en relation avec des mineurs.
Désormais, mes chers collègues, je forme le vœu que ce texte de concertation soit rapidement mis en application, dans l’intérêt des plus vulnérables, les enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat, lorsqu’il examine après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte en ne retenant que les amendements présentés ou acceptés par le Gouvernement.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :
projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs
Article 1er A
(Supprimé)
Article 1er
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après l’article 11-1, il est inséré un article 11-2 ainsi rédigé :
« Art. 11-2. – I. – Le ministère public peut informer par écrit l’administration des décisions suivantes rendues contre une personne qu’elle emploie, y compris à titre bénévole, lorsqu’elles concernent un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement :
« 1° La condamnation, même non définitive ;
« 2° La saisine d’une juridiction de jugement par le procureur de la République ou par le juge d’instruction ;
« 3° La mise en examen.
« Le ministère public ne peut procéder à cette information que s’il estime cette transmission nécessaire, en raison de la nature des faits ou des circonstances de leur commission, pour mettre fin ou prévenir un trouble à l’ordre public ou pour assurer la sécurité des personnes ou des biens.
« Le ministère public peut informer, dans les mêmes conditions, les personnes publiques, les personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public ou les ordres professionnels des décisions mentionnées aux 1° à 3° du présent I prises à l’égard d’une personne dont l’activité professionnelle ou sociale est placée sous leur contrôle ou leur autorité.
« II. – Dans tous les cas, le ministère public informe sans délai la personne de sa décision de transmettre l’information prévue au I. L’information est transmise à l’administration, ou aux personnes ou ordres mentionnés au dernier alinéa du même I.
« Le ministère public notifie sans délai à l’administration, ou aux personnes ou ordres mentionnés au dernier alinéa du même I, l’issue de la procédure et informe la personne concernée de cette notification.
« L’administration, ou la personne ou ordre mentionné au dernier alinéa du I, qui est destinataire de l’information prévue au même I ne peut la communiquer qu’aux personnes compétentes pour faire cesser ou suspendre l’exercice de l’activité mentionnée aux premier et dernier alinéas dudit I.
« Cette information est confidentielle. Sauf si l’information porte sur une condamnation prononcée publiquement et sous réserve de l’avant-dernier alinéa du présent II, toute personne qui en est destinataire est tenue au secret professionnel, sous les peines prévues à l’article 226-13 du code pénal. Toute personne en ayant eu connaissance est tenue au secret, sous les mêmes peines. Le fait justificatif prévu au 1° de l’article 226-14 du même code n’est pas applicable lorsque la personne mentionnée à ce même 1° a eu connaissance des faits par la transmission prévue au I du présent article.
« II bis. – Les condamnations dont la mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire a été exclue en application de l’article 775-1 du présent code ne peuvent être communiquées à l’initiative du ministère public, sauf en application du deuxième alinéa du II du présent article à la suite d’une première information transmise en application du I. Dans ce cas, l’information fait expressément état de la décision de ne pas mentionner la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire.
« III. – Hors le cas où une décision prononçant une sanction a été légalement fondée sur l’information transmise par le ministère public, lorsque la procédure pénale s’est terminée par un non-lieu ou une décision de relaxe ou d’acquittement, l’administration, la personne ou l’ordre mentionné au dernier alinéa du I supprime l’information du dossier relatif à l’activité de la personne concernée.
« IV. – Les modalités d’application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’État. Il précise les formes de la transmission par le ministère public de l’information, les modalités de transmission des décisions à l’issue des procédures et les modalités de suppression de l’information en application du III. » ;
2° Après le 12° de l’article 138, il est inséré un 12° bis ainsi rédigé :
« 12° bis Ne pas exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs lorsqu’il est à redouter qu’une nouvelle infraction soit commise ; »
2° bis Au 2° de l’article 230-19, après la référence : « 12°, », est insérée la référence : « 12° bis, » ;
2° ter L’article 706-47 est ainsi rédigé :
« Art. 706-47. – Le présent titre est applicable aux procédures concernant les infractions suivantes :
« 1° Crimes de meurtre ou d’assassinat prévus aux articles 221-1 à 221-4 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur un mineur, précédés ou accompagnés d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, ou lorsqu’ils sont commis en état de récidive légale ;
« 2° Crimes de tortures ou d’actes de barbarie prévus aux articles 222-1 à 222-6 du même code ;
« 3° Crimes de viol prévus aux articles 222-23 à 222-26 dudit code ;
« 4° Délits d’agressions sexuelles prévus aux articles 222-27 à 222-31-1 du même code ;
« 5° Délits et crimes de traite des êtres humains à l’égard d’un mineur prévus aux articles 225-4-1 à 225-4-4 du même code ;
« 6° Délit et crime de proxénétisme à l’égard d’un mineur prévus au 1° de l’article 225-7 et à l’article 225-7-1 du même code ;
« 7° Délits de recours à la prostitution d’un mineur prévus aux articles 225-12-1 et 225-12-2 du même code ;
« 8° Délit de corruption de mineur prévu à l’article 227-22 du même code ;
« 9° Délit de proposition sexuelle faite par un majeur à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique, prévu à l’article 227-22-1 du même code ;
« 10° Délits de captation, d’enregistrement, de transmission, d’offre, de mise à disposition, de diffusion, d’importation ou d’exportation, d’acquisition ou de détention d’image ou de représentation pornographique d’un mineur ainsi que le délit de consultation habituelle ou en contrepartie d’un paiement d’un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation, prévus à l’article 227-23 du même code ;
« 11° Délits de fabrication, de transport, de diffusion ou de commerce de message violent ou pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur, prévus à l’article 227-24 du même code ;
« 12° Délit d’incitation d’un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle ou à commettre cette mutilation, prévu à l’article 227-24-1 du même code ;
« 13° Délits d’atteintes sexuelles prévus aux articles 227-25 à 227-27 du même code. » ;
3° Après l’article 706-47-3, sont insérés des articles 706-47-4 et 706-47-5 ainsi rédigés :
« Art. 706-47-4. – I. – Par dérogation au I de l’article 11-2, le ministère public informe par écrit l’administration d’une condamnation, même non définitive, pour une ou plusieurs des infractions mentionnées au II du présent article, prononcée à l’encontre d’une personne dont il a été établi au cours de l’enquête ou de l’instruction qu’elle exerce une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs et dont l’exercice est contrôlé, directement ou indirectement, par l’administration.
« Il informe également par écrit l’administration, dans les mêmes circonstances, lorsqu’une personne est placée sous contrôle judiciaire et qu’elle est soumise à l’obligation prévue au 12° bis de l’article 138.
« Les II à III de l’article 11-2 sont applicables aux modalités de transmission et de conservation des informations mentionnées au présent article.
« II. – Les infractions qui donnent lieu à l’information de l’administration dans les conditions prévues au I du présent article sont :
« 1° Les crimes et les délits mentionnés à l’article 706-47 du présent code ;
« 2° Les crimes prévus aux articles 221-1 à 221-5, 222-7, 222-8, 222-10 et 222-14 du code pénal et, lorsqu’ils sont commis sur un mineur de quinze ans, les délits prévus aux articles 222-11, 222-12 et 222-14 du même code ;
« 3° Les délits prévus à l’article 222-33 du même code ;
« 4° Les délits prévus au deuxième alinéa de l’article 222-39, aux articles 227-18 à 227-21 et 227-28-3 du même code ;
« 5° Les crimes et les délits prévus aux articles 421-1 à 421-6 du même code.
« III. – Les modalités d’application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d’État. Ce décret précise :
« 1° Les formes de la transmission de l’information par le ministère public ;
« 2° Les professions et activités ou catégories de professions et d’activités concernées ;
« 3° Les autorités administratives destinataires de l’information ;
« 4° (Supprimé)
« Art. 706-47-5 (Supprimé)
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Article 3
Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° L’article L. 133-6 est ainsi modifié :
a) Au 1°, la référence : « L. 221-6 » est remplacée par la référence : « 221-6 » ;
b) Au 2°, la référence : « L. 222-19 » est remplacée par la référence : « 222-19 » ;
c) Après le onzième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’incapacité prévue au premier alinéa du présent article est applicable, quelle que soit la peine prononcée, aux personnes définitivement condamnées pour les délits prévus aux articles 222-29-1, 222-30 et 227-22 à 227-27 du code pénal et pour le délit prévu à l’article 321-1 du même code lorsque le bien recelé provient des infractions mentionnées à l’article 227-23 dudit code. » ;
2° L’article L. 421-3 est ainsi modifié :
a) À la dernière phrase du cinquième alinéa, après les mots : « assistants familiaux est », sont insérés les mots : « , sous réserve des vérifications effectuées au titre du sixième alinéa du présent article, » ;
b) Le sixième alinéa est ainsi modifié :
– à la deuxième phrase, les mots : « casier judiciaire n° 3 » sont remplacés par les mots : « bulletin n° 2 du casier judiciaire » ;
– à la dernière phrase, les mots : « bulletin n° 3 » sont remplacés par les mots : « bulletin n° 2 ».
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Mme la présidente. Nous allons maintenant examiner l’amendement déposé par le Gouvernement.
Article 1er
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 15 et 44, premières phrases
Supprimer les mots :
en Conseil d'État
La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Il s’agit d’autoriser le Gouvernement à procéder par décret simple plutôt que par décret en Conseil d’État, pour garantir une application plus rapide de la loi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Favorable.
Mme la présidente. Sur cet article, je ne suis saisie d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole ?…
Le vote est réservé.
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je vais mettre aux voix l’ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement du Gouvernement.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
13
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 7 avril 2016 :
De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :
(Ordre du jour réservé au groupe du RDSE)
Proposition de loi modifiant la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République pour permettre de rallonger d’un an le délai d’entrée en vigueur des nouvelles intercommunalités (n° 415 rectifié, 2015-2016) ;
Rapport de M. Patrick Masclet, fait au nom de la commission des lois (n° 516, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 517, 2015-2016).
Débat sur l’offre de soins dans les territoires ruraux.
À dix-huit heures trente :
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires ;
Rapport de M. Alain Vasselle, fait au nom de la commission mixte paritaire (n° 506, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 507 rectifié, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-deux heures trente.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD